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Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande

Edition numérique

Philippe BRIDEL

Glossaire du patois de la Suisse romande

Introduction

Dans MDR, 1866, tome XXI, pp. V-XIII

© 2022 Société d’histoire de la Suisse romande

 

GLOSSAIRE DU PATOIS DE LA SUISSE ROMANDE

PAR LE

DOYEN BRIDEL

AUTEUR DU CONSERVATEUR SUISSE
AVEC UN APPENDICE
comprenant
UNE SÉRIE DE TRADUCTIONS DE LA PARABOLE DE L’ENFANT PRODIGUE
QUELQUES MORCEAUX PATOIS EN VERS ET EN PROSE
ET UNE COLLECTION DE PROVERBES
LE TOUT RECUEILLI ET ANNOTE PAR

L. FAVRAT

Membre de la Société d’histoire de la Suisse romande
.

Priscæ vestigia gentis.

 

LAUSANNE
GEORGES BRIDEL ÉDITEUR
1866

/V/

INTRODUCTION

Le vénérable pasteur de Montreux, le doyen Bridel, mort au printemps de 1845, avait entrepris, à la requête de la Société celtique de France, un glossaire des patois de la Suisse occidentale. Il y travailla durant de longues années, et ne cessa d’y ajouter et de le retoucher que lorsque sa main tremblante se refusa à tenir la plume. On peut même dire que ce fut, avec le Conservateur suisse, l’œuvre importante de sa longue carrière. Dans ses derniers jours, voulant remettre en mains sûres son précieux manuscrit, il le légua à la Société d’histoire de la Suisse romande, dont il était un des fondateurs. C’est ce qui explique pourquoi cet ouvrage, qui n’a pas trait directement aux études historiques, paraît aujourd’hui dans les Mémoires et Documents de cette société. Chacun comprendra d’ailleurs que ce volume est bien à sa place, /VI/ et il est inutile de dire que l’étude des patois a son importance historique. Au reste, nos patois seront bientôt de l’histoire: ils se modifient et s’altèrent de plus en plus sous l’influence du français qui envahit peu à peu les campagnes. Et cela est si vrai que, dans mainte localité, les hommes qui savent encore parler le pur et franc patois de leurs pères, sont en général des vieillards, tandis que la jeune génération, tout en comprenant l’ancien idiome, ne parle plus guère que le français.

Le glossaire du doyen Bridel devait comprendre le matériel aussi complet que possible des patois du Valais, de Fribourg, de Vaud, de Genève, de Neuchâtel et du Jura bernois. Mais ce champ s’est trouvé un peu vaste, d’autant plus qu’il s’agissait de fixer un idiome populaire, c’est-à-dire une langue flottante, indécise, capricieuse et vous échappant quand vous croyez l’avoir saisie. Aussi l’œuvre du doyen devait être nécessairement incomplète. Cependant, telle qu’elle est, elle présente une très grande richesse de vocables, particulièrement pour les cantons du Valais, de Fribourg et de Vaud. Elle est moins complète à l’égard de Genève et du Jura bernois, et Neuchâtel est peu représenté. Ce ne sont pas tant les mots eux-mêmes qui font défaut, que les formes souvent nombreuses du même mot, et c’est justement là un des écueils les plus sérieux que l’on rencontre dans la composition d’un glossaire patois. Mais sans parler de sa richesse, le glossaire de Bridel a un mérite essentiel: il /VII/ se trouve être assez complet pour les patois des Alpes, qui sont les plus originaux, les moins altérés et par cela même les plus intéressants.

Quant aux étymologies celtiques que renferme l’ouvrage, et qui sont trop nombreuses encore, malgré quelques retranchements, il ne faut pas les traiter avec trop de rigueur, l’auteur en ayant fait bon marché lui-même: « J’ai vécu, dit-il, dans un temps où l’on croyait qu’Adam avait parlé bas-breton, et je me suis longtemps trompé, en cherchant, à la manière de M. de Cambri, du celte dans tous nos mots patois; maintenant j’avoue de bonne foi que, pour un mot de famille celtique, il en est, dans notre romand, dix d’origine latine, et je préfère la vérité à un système qui commence à passer de mode; mais je n’ai pas le courage de revenir sur mes pas, et de corriger mes erreurs 1. »

Habemus confitentem reum: la critique saura à quoi s’en tenir et ne s’acharnera pas sur ces malheureuses étymologies, qui auraient été les bienvenues il y a quelque cinquante ans et qui sont contestées aujourd’hui. Quant à les retrancher toutes, quelqu’un nous l’a conseillé, mais nous n’en avons pas eu le courage en face d’un pareil aveu. D’ailleurs il en est bon nombre qui ont les apparences pour elles et qui doivent être exactes: c’est aux philologues de les distinguer. /VIII/

On rencontrera aussi quelques étymologies grecques un peu risquées; les mêmes scrupules nous ont engagé à les conserver pour la plupart.

La Société d’Histoire aurait pu faire paraître ce volume dès 1845, mais elle fut arrêtée déjà par la question des étymologies, et peut-être aussi par le fait qu’un de ses membres 1, qui était très versé dans la connaissance des patois, travaillait à un glossaire et proposait à la Société de fondre l’œuvre du doyen Bridel dans la sienne propre, pour publier ensuite l’œuvre collective dans ses Mémoires et Documents. Mais cette combinaison n’ayant pas été acceptée, on se rabattit sur l’idée de publier tel quel le manuscrit du doyen, et c’est bien son glossaire qui paraît au jourd’hui, sauf de légères modifications dont nous allons dire un mot.

Une question a dû fort embarrasser l’auteur; c’est celle de l’orthographe, mais aussi elle est hérissée de difficultés. Si l’on suit l’analogie du français, on enlève au patois une bonne partie de son caractère; et l’on rencontre d’ailleurs de véritables impasses, qu’il faut franchir en admettant des combinaisons de lettres ou des signes conventionnels étrangers à la langue française: si l’on serre la prononciation d’aussi près que possible, des difficultés du même genre se présentent en foule, à cause de certaines voyelles douteuses, de /IX/ certaines aspirations et d’articulations composées ou mouillées, dont quelques-unes sont particulières à notre langue rustique et qui sont très difficiles à rendre. En outre, dans ce dernier cas, l’orthographe est obligée de rompre net avec l’étymologie, ce qui produit un langage très bizarre et très ardu pour qui n’y est pas versé.

C’est pour cette dernière voie que l’auteur s’est décidé, et il faut bien dire qu’elle fait mieux comprendre et mieux pénétrer le génie des patois et leurs diverses nuances. Toutefois, dans cette voie même de la reproduction phonétique, l’orthographe de l’auteur n’est pas toujours rigoureuse et l’on trouvera des variations: ts et tz, cr et kr, lh et llh, entre autres, pour figurer la même articulation. Ajoutons que nombre de mots sont écrits avec un k, et pourraient l’être tout aussi bien avec un c.

Comme il aurait fallu bouleverser le manuscrit pour rétablir l’uniformité, et que d’ailleurs c’est l’œuvre du doyen que la Société entendait publier, nous n’avons touché à l’orthographe que dans les cas où cela devenait nécessaire pour faire concorder, par exemple, le vocable et la citation. Au reste, s’il a été apporté au manuscrit quelques autres modifications, elles sont insignifiantes, et elles ont été faites autant que possible dans le goût et les idées de l’auteur. Il en est une cependant, et c’est la plus grave, que nous devons justifier par quelques mots d’explication.

L’auteur avait figuré par un æ le pluriel des mots /X/ féminins en a, très nombreux dans notre idiome; mais c’était rentrer dans l’analogie du latin où cette finale æ est toujours longue, tandis que la finale correspondante est toujours brève dans nos patois. Un exemple. Le manuscrit disait, entre autres, la potta, la lèvre, et lé pottæ, les lèvres; or lé pottæ se prononce lè po-tè, en appuyant sur la syllabe po, tandis que la syllabe est fort brève, ce que l’orthographe æ ne rend pas du tout. D’ailleurs, dans ces noms-là, le pluriel est souvent formé par un e muet; on entend dire lè tsausse et lè tsaussè, et le æ n’aurait pas été exact. Au surplus, pour être logique, l’auteur devait écrire læ pottæ, car dans son système, le pluriel de la, c’est . Bref, après quelque hésitation, nous avons pris sur nous de remplacer ces æ par un e. Cette orthographe paraîtra toute naturelle, si l’on songe que nos patois ont conservé, pour les mots féminins en a, le pluriel des langues romanes; l’italien, par exemple, dit: la donna, le donne, et nous disons: la dama, le dame (lè damè, si l’on veut figurer la prononciation).

Les rares adjonctions ou éclaircissements que nous nous sommes permis sont indiqués par un N. de l’éd. (Note de l’éditeur).

Il sera bon avant de parcourir le volume de lire les nota-bene de l’auteur (pages 95, 124, 203, 209, 308 et 341), lesquels donnent des renseignements utiles au sujet de l’orthographe et de la prononciation. L’a final, dans les verbes, est toujours long, tandis qu’il /XI/ est toujours bref dans les substantifs correspondants (cottâ, étayer; la cotta, l’étai, l’appui); et partout où ces verbes se trouvent accompagnés de leur substantif, nous leur avons donné l’accent circonflexe. Les infinitifs en i ont le plus souvent leur finale longue, ainsi: bailli, donner; bresi, briser. Parmi ceux qui l’ont brève, on peut citer cruvi, couvrir, et parti, partir.

Enfin voici le volume: il s’y trouvera des erreurs et des omissions, cela était inévitable; mais il n’en offrira pas moins le plus grand intérêt aux nombreux amis du patois, et surtout aux personnes qui s’occupent de l’étude comparative des langues romanes. Au reste, il est fort agréable à parcourir: il est semé de proverbes, de traits de naïveté, d’expressions figurées vives et originales, sans parler de quelques gaîtés que l’auteur a trouvées sur son chemin, et qui appartiennent bien aussi à ces priscæ vestigia gentis dont il s’est occupé toute sa vie.

Pour donner au glossaire plus d’intérêt, il fallait le faire suivre de quelques morceaux que l’on pût comparer, soit entre eux, soit avec d’autres idiomes romans; c’est ce qui nous a engagé à reprendre l’idée émise par la Société celtique de France pour l’étude comparative des patois, et à choisir la parabole de l’Enfant prodigue. On trouvera donc dans l’appendice vingt-six traductions diverses de cette parabole, toutes recueillies dans le domaine de nos patois, et pour l’exactitude desquelles nous nous sommes entouré de toutes les précautions. Nous remercions sincèrement /XII/ toutes les personnes à l’obligeance desquelles nous avons recouru et qui se sont empressées de répondre par l’envoi d’une traduction.

La première partie de l’appendice comprend de plus quatre traductions appartenant à d’autres idiomes. Deux d’entre elles représentent la langue romane des Grisons, dans ses deux principaux dialectes, le romanche et le ladin. Les deux autres appartiennent, l’une au roman des Vallées vaudoises du Piémont, et l’autre au rouchi ou patois des environs de Valenciennes. Ces deux dernières ont une grande valeur comme points de comparaison: elles offrent un spécimen de la langue d’oc et de la langue d’oïl, entre lesquelles se trouvent nos patois.

La seconde partie de l’appendice renferme un choix de morceaux où toute la Suisse française est représentée, à l’exception du canton du Valais, qui du reste est un des mieux représentés dans la série des traductions. Une assez riche collection de proverbes clôt le volume. Nous les avons recueillis un peu partout, mais principalement dans le Conservateur suisse; et pour plus de clarté nous les avons divisés en trois groupes: le temps, l’année, les saisons, les mois, les jours; — l’agriculture et la vie des campagnes; — les proverbes divers.

Un dernier mot. La publication du Glossaire et de son appendice a été longue et laborieuse, car voici deux ans bientôt que nous avons accepté la mission fort honorable et fort délicate à la fois de publier le /XIII/ manuscrit du doyen Bridel; mais, en pareille matière, il devait nécessairement surgir quelques difficultés, et bon gré mal gré, il a fallu nous hâter lentement. Nous ne regretterons d’ailleurs ni le temps, ni les veilles, ni les fatigantes épreuves, si le volume trouve de nombreux amis et ranime chez nous l’étude un peu languissante des patois.

Lausanne, octobre 1866.

L. Favrat.


LISTE DES ABRÉVIATIONS.

Adj., adjectif.
Adv., adverbe.
All., allemand.
Art., article.
B. B., bas-breton.
B. L., basse latinité.
C., celtique.
Conj., conjonction.
Fr., français.
Gr., grec.
Id., idem, indique qu'un mot est synonyme ou n'est qu'une autre forme du même mot.
Interj., interjection.
It., italien.
L., latin.
Loc., locution.
N. de l'éd., note de l'éditeur.
Part., participe.
Pl., pluriel.
Pron., pronom.
S. F., substantif féminin.
S. M., substantif masculin.
V. Fr., vieux français.
Voy., voyez.
V. st., vieux style, vieux langage.


 

NOTES:

Note 1, page VII Le doyen Bridel, essai biographique, par L. Vulliemin. Lausanne 1855. [retour]

Note 1, page VIII M. le ministre Moratel, qui s'est beaucoup occupé des patois. Il est à désirer que les matériaux, sans doute précieux, qu'il a recueillis, soient conservés et puissent être utilisés. [retour]