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Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande

Edition numérique

Frédéric TROYON

Habitations lacustres des temps anciens et modernes:

Première partie
Habitations lacustres

Dans MDR, 1860, tome XVII, pp. 11-242

© 2022 Société d’histoire de la Suisse romande

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PREMIERE PARTIE

HABITATIONS LACUSTRES

 

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CHAPITRE Ier.

AGE DE LA PIERRE.


Il y a eu, en Europe, une époque pendant laquelle l’homme était réduit, par son ignorance des arts métallurgiques, à utiliser la pierre, l’os et le bois, pour satisfaire aux besoins de son existence 1 . Tout ce qu’on connaît de plus ancien montre que l’industrie a débuté par la fabrication d’instruments en pierre, qu’on retrouve même dans des terrains diluviens où ils ont été recouverts par des formations d’une antiquité très reculée. Les recherches faites par M. Boucher de Perthes dans le nord de la France, près d’Amiens et d’Abbeville, soulèvent à cet égard des questions d’un grand intérêt 2 . Cet explorateur infatigable a retiré des terrains diluviens de la Picardie des instruments en silex, évidemment /12/ travaillés par la main de l’homme 1 , mêlés à des ossements d’animaux dont les espèces ont disparu de l’Occident, tels que l’hippopotame, le mamouth et le rhinocéros. On croyait que ces pachydermes avaient cessé d’exister en Europe avant l’apparition de l’homme, mais plusieurs géologues d’un mérite reconnu ont constaté l’authenticité de ces gisements, qui se retrouvent, avec les mêmes terrains, près de Hoxne, dans le Suffolk. Il en résulte donc que l’homme a vécu en France et en Angleterre en même temps que le mamouth et ses congénères 2 .

Les restes de cette époque, pris dans le diluvium, ont été recouverts à la suite d’une catastrophe provenant de l’affaissement de territoires inondés par la mer, et l’on est conduit à se demander si ce sont là les traces du déluge qui a laissé de si profonds souvenirs chez la plupart des peuples, ou si la formation de ces couches lui est étrangère. Les eaux ont envahi les continents à des époques très diverses, non seulement avant la création de l’homme, mais aussi postérieurement. On voit encore de nos jours des terrains en Italie 3 et sur les bords de la mer Baltique 4 s’affaisser peu à /13/ peu dans les eaux depuis plusieurs siècles, ou se relever insensiblement par un mouvement contraire. Les druides prétendaient que des peuples s’étaient établis dans les Gaules, au milieu des indigènes, à la suite de l’accroissement de l’Océan qui les avait chassés des îles les plus éloignées et de pays situés au delà du Rhin 1 .

Au milieu de tous ces mouvements du sol, il est difficile de constater les traces du déluge biblique qui, d’après Moïse, n’a pas duré plus d’une année. Quoi qu’il en soit, ces grandes espèces d’animaux, découvertes en France et en Angleterre, ont encore vécu après l’apparition de l’homme en Occident, mais il est probable que leur existence dans la période humaine est antérieure au déluge proprement dit. Les instruments en pierre, trouvés avec les ossements, sont d’un genre très primitif, toutefois l’industrie était sans doute plus avancée sur d’autres points du globe, dont la population devait présenter une variété de culture quelque peu analogue à celle des temps modernes.

M. Boucher de Perthes a découvert, près de la Somme, d’autres dépôts d’antiquités de l’âge de la pierre, évidemment moins anciens que les précédents. Nous aurons à revenir sur ce dernier genre d’objets, tout pareils à ceux qui accompagnent les restes des habitations lacustres. Pour le moment, il suffit d’ajouter que les constructions dont nous avons à nous occuper doivent être envisagées, jusqu’à la preuve du contraire, comme postérieures au déluge. La série des antiquités sorties des lacs ou des tourbières de l’Irlande et de la Suisse occidentale, présente un ordre de succession /14/ et une continuité qui ne permettent pas de supposer une interruption telle que celle qui serait résultée d’une inondation générale. D’autre part, le plus grand nombre des habitations, abandonnées avant l’âge du bronze, portent des traces d’une destruction par le feu, qui exclut l’idée d’un bouleversement par les eaux.

Pour éviter toute méprise, il est donc bien entendu que l’âge de la pierre, dont on retrouve les restes dans les lacs et dans les tombeaux, est envisagé, dans ce travail, comme postérieur au déluge mentionné par Moïse.

En prenant ainsi pour point de départ de nos recherches les temps depuis lesquels le séjour de l’homme, en Occident, a été continu, on peut dire que les débris de la première période sont répandus dans la plupart des pays de l’Europe. Les découvertes qui se multiplient depuis quelques années ne permettent plus de douter que cet âge primitif n’ait eu de grandes proportions. Quelques cimetières antiques avaient déjà montré l’ancienne occupation de l’Helvétie, où l’on découvre maintenant par milliers les antiquités de l’âge de la pierre. On est bien loin cependant d’avoir retrouvé tous les restes enfouis dans la vase des lacs et dans la tourbe des vallées; toutefois on connaît déjà suffisamment de points d’une richesse remarquable pour qu’une description des emplacements explorés en Suisse et dans d’autres pays puisse donner une idée de la population qui avait l’habitude de vivre sur les eaux.

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SUISSE

Lac de Moosseedorf,

dans le canton de Berne.

A la suite du desséchement partiel du petit lac de Moosseedorf, près d’Hofwyl, entrepris en 1856, dans un but agricole, M. le Dr Uhlmann et M. Albert Jahn découvrirent, non loin de la sortie des eaux, à la droite du ruisseau d’Urtenen, un emplacement où d’anciens pieux sortaient quelque peu de la tourbe, à la surface de laquelle se trouvaient quelques instruments en pierre et en os. Dès lors M. le Dr Uhlmann a exploré cette localité avec beaucoup de soin, et c’est d’après ses communications obligeantes et l’examen des objets recueillis, que je reproduis les principaux traits de cette découverte 1 .

Les fouilles entreprises sur ce point n’ont pas tardé à montrer que les pieux occupent toute la zone mise à découvert par l’abaissement des eaux, sur une largeur de 50 pieds, et qu’ils se retrouvent encore 5 pieds plus en avant dans la direction de l’ouest, sous le niveau actuel du lac, abaissé de 8 pieds. La longueur de l’emplacement occupé par les pilotis est de 70 pieds, et s’étend du nord au sud, entre le /16/ nouveau rivage à l’ouest et la plaine marécageuse située à l’est. Sur la moitié de la zone, le long du marécage, les pilotis disparaissent sous une formation moderne de tourbe, d’une épaisseur d’environ 2 pieds au levant, tandis qu’ils sont encore saillants de 4 à 7 pouces du côté du lac. Ces pieux, plantés verticalement, traversent une ancienne couche de tourbe de 3 à 4 pieds d’épaisseur, et descendent encore de 2 à 3 pieds dans une marne calcaire, fond primitif du lac, en sorte que leur longueur totale, dans leur état actuel, est de 5 à 7 pieds. Groupés sans ordre apparent, les uns se touchent presque, la plupart sont distants de 1 à 2 pieds, mais d’autres sont beaucoup plus éloignés; leur diamètre est de 3 à 5 pouces et parfois même de 7 à 10. Le bois employé est le chêne, le tremble, le bouleau et le sapin, et, indépendamment des essences, la conservation dans la tourbe et la marne est telle que l’extrémité inférieure des pieux, terminée en pointe, porte encore toutes les entailles faites sous la hache de pierre

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La couche de marne, dans laquelle entrent les pilotis, ne contient aucun objet d’industrie, mais bien des coquillages d’espèces vivantes. Sa surface est évidemment le fond primitif du lac, dont les bords ont été envahis par la tourbe, qui présente deux couches distinctes sur l’emplacement des pilotis. La plus ancienne, épaisse de 3 à 4 pieds vers la plaine, s’étend depuis celle-ci sur une largeur d’environ 60 pieds, et disparaît sous les eaux, vers la limite occidentale des pieux. La couche supérieure, de formation moderne, présente à peu près la moitié des dimensions de la précédente, en épaisseur et en largeur.

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Les objets d’industrie ne se retrouvent nulle part ailleurs que dans la couche inférieure de tourbe, dont ils occupent /17/ toute l’épaisseur jusqu’à 4 à 5 pouces au-dessus de la marne. On découvre les pièces les plus légères et les plus lourdes aussi bien au fond qu’à la surface de la tourbe ancienne, et ces débris consistent surtout en ossements plus ou moins fracturés d’animaux divers, en fragments de poterie et en instruments en pierre et en os, sans aucune trace de métal. Plusieurs pièces de bois carbonisées, couchées à la surface de la tourbe ancienne, témoignent d’une destruction par le feu, mais ces traces d’incendie sont moins fortes du côté de la plaine, où se trouvaient encore des espèces de plateaux disposés perpendiculairement à la rive, et qui paraissent être les restes du pont par lequel on arrivait à ces habitations. Lors de leur destruction, quelques parties se sont affaissées dans l’eau, de sorte qu’on retrouve encore sur les pieux, au milieu de la tourbe, des restes du plancher construit avec des branches de sapin de la grosseur du bras, disposées horizontalement.

M. le docteur Uhlmann a sorti de cette ancienne couche de tourbe près d’un millier d’objets d’industrie, et à la suite des fouilles qu’il a reprises plus tard, il a de nouveau recueilli de nombreux débris. — Les fragments de poterie sont d’une argile grossière, dont la pâte est généralement mêlée de petits cailloux siliceux. Ces vases, travaillés à la main, révèlent l’enfance de l’art du potier et portent très rarement des traces d’ornementation.

La plupart des instruments en pierre ont été faits de roches propres à la Suisse; cependant il est probable que les silex viennent en général de la France. Dans tous les cas, des matières brutes étaient apportées dans les habitations du Moosseedorfsee, où existait un véritable lieu de fabrique. On retrouve, en effet, beaucoup d’instruments ébauchés ou /18/ cassés, avec un grand nombre d’éclats de silex détachés des pièces destinées à devenir des pointes de flèche, des couteaux et des espèces de scie. Le cristal de roche a même été taillé en pointes de flèche, ce que je n’avais encore observé nulle part ailleurs. Dans le nombre des pièces rares, il faut citer un instrument en bois, de la forme d’un couteau à lame massive, dont le tranchant est remplacé par une rainure qui ne contient plus qu’un mastic noirâtre destiné à fixer une lamelle de silex, faisant sans doute l’office de la scie. Les peuples du nord de l’Europe ont quelquefois travaillé et armé des os de la même manière pour en faire des pointes de lance 1 , et les Mexicains, avant la conquête de Cortez, fabriquaient aussi des sabres en bois qui recevaient leur tranchant de lamelles en silex enchâssées dans une rainure 2 . La serpentine a surtout été employée pour les haches en forme de coin; leurs dimensions ne dépassent guère 4 à 5 pouces de longueur; il en est même de 10 à 12 lignes, qui, fixées à des bois de cerf, ont servi de tranchets. Les haches entraient parfois dans des emmanchures en bois de cerf, qui, au lieu d’être percées en travers pour recevoir le manche, devaient être fixées à celui-ci au moyen d’une entaille et de ligatures. Ces procédés compliqués sont les indices d’une manière de faire très primitive, ainsi que l’exécution d’une partie de ces instruments, quoiqu’on ne puisse méconnaître les moyens ingénieux employés pour travailler la pierre sans autre secours que celui de la pierre. La pratique ne tarda /19/ pas sans doute à enseigner l’art d’utiliser la cassure conchoïdale du silex. En se servant avec adresse, en guise de marteau, des angles vifs d’un caillou brisé, on pouvait détacher peu à peu de petits éclats, de manière à arriver à la forme voulue. Il n’est pas moins surprenant de trouver de fort petites pointes de flèches, parfaitement achevées; mais ce que les sauvages exécutent encore de nos jours sans le secours du métal n’a pas présenté plus de difficultés dans les temps anciens. Les roches compactes et à veines irrégulières exigeaient d’autres procédés, dont il est facile de se rendre compte en examinant les pièces fragmentées, ainsi que les instruments sortis du fond du lac, destinés à la fabrication. Après avoir choisi la pierre dont on voulait faire une hache, on commençait par la dégrossir à l’aide du marteau, puis ses côtés étaient dessinés par des rainures de 3 à 4 lignes de profondeur sur 1 à 2 de largeur, ce qui ne pouvait se faire qu’avec la lamelle ou scie de silex, le sable, l’eau, et surtout une patience inouïe. Arrivé à ce point, il restait une opération délicate, c’était de détacher d’un coup de marteau la bande qui devait tomber le long de la rainure (Pl. V, 17), mais parfois un coup malheureux cassait en travers la pierre, qui n’était plus bonne qu’à jeter à l’eau, et tout était à recommencer. Si l’opération réussissait, l’instrument était achevé sur des plaques de grès, faisant l’office de meules immobiles, dont il recevait le tranchant et le fini.

Les instruments en os occupent aussi une large place dans la découverte de Moosseedorf; ils consistent surtout en ciseaux et en poinçons de dimensions diverses, formés de côtes ou de canons fendus. Il n’est pas facile de dire exactement à quel usage servaient ces espèces de ciseaux en os, sinon qu’ils devaient être employés à couper des matières peu /20/ dures; cependant le grand nombre de ces pièces témoigne qu’elles avaient leur utilité pratique. Quant aux poinçons, sans vouloir en restreindre l’usage, ils trouvaient leur application immédiate dans la couture des vêtements ou l’ajustement des pièces de peau au moyen de lanières; quelques-uns sont d’une finesse surprenante; d’autres ont pu servir de pointes de trait, de même que chez les sauvages. Des bois de cerf, fendus et entaillés sur les bords, tout pareils à ceux qu’on retrouve avec les antiquités de l’Amérique dans l’Etat de New-York 1 , ont été utilisés comme lances ou harpons. Un morceau de bois de cerf est creusé en espèce de coupe ou verre à boire. (Pl. VII, 27.) De nombreux fragments portent les marques de la hache et de la scie en silex. De petites pièces rondes ou carrées d’écorce et de bois sont percées d’un trou circulaire. Des dents d’ours, également percées, étaient sans doute portées comme amulettes à la manière de plusieurs peuples et entre autres des anciens Livoniens, dans les tombeaux desquels on retrouve ces dents suspendues à des chaînettes en bronze 2 . Des os et des pierres de calcaire noir des Alpes ont évidemment servi de polissoirs, car, malgré la simplicité des produits de cette fabrique, quelques pièces ont été finies avec un soin surprenant.

L’une des découvertes les plus remarquables faites en 1856 sur cet emplacement par M. le Dr Uhlmann, est celle de grains d’orge agglomérés par la carbonisation. La culture des céréales pendant l’âge de la pierre est un fait trop inattendu pour être admis sans circonspection, mais dès lors des grains de froment se sont retrouvés même au fond de la /21/ tourbe ancienne, et la présence de ces céréales au milieu des débris d’autres établissements du même âge ne permet plus de douter que les premiers habitants de l’Helvétie n’aient connu l’agriculture. La châtaigne d’eau (trapa natans), qui ne croît plus sur nos lacs, était sans doute utilisée comme nourriture à Moosseedorf, où elle se trouve au milieu des pilotis, ainsi que sur plusieurs autres emplacements lacustres. On ne peut se dissimuler, vu l’absence des métaux, que les instruments aratoires devaient être fort imparfaits; toutefois, si l’on réfléchit que c’est à l’âge de la pierre qu’appartiennent les tumulus les plus gigantesques, pour l’érection desquels la terre a été accumulée jusqu’à une hauteur de 40, 60, et même au delà de 100 pieds, on comprendra que ceux qui étaient capables d’exécuter de pareils travaux pouvaient bien aussi remuer la surface du sol, ensemencer et moissonner.

On ne doit cependant pas se représenter ces populations primitives comme essentiellement adonnées à l’agriculture. La pêche, la chasse et les animaux domestiques étaient pour elles des moyens importants de subsistance, aussi retrouve-t-on de nombreux ossements d’animaux qui proviennent soit de la desserte des repas, soit des provisions destinées à la fabrication. Plusieurs portent des entailles qui montrent que les animaux étaient découpés comme le font encore les bouchers, d’autres conservent l’empreinte de dents de carnassiers et ont été probablement rongés par des chiens.

Bien que tous les ossements recueillis n’aient pas encore été déterminés, on peut indiquer dans le nombre des animaux domestiques le bœuf, le mouton, la chèvre et le chien. D’entre les animaux sauvages, se trouve l’urus primigenius 1 /22/ dont l’atlas (première vertèbre cervicale) mesure 87 lignes de diamètre, tandis que la vertèbre correspondante du bœuf actuel n’est que de 42 à 44 lignes, l’ours, le sanglier, l’élan, /23/ le cerf, le chevreuil, le chamois, le castor 1 , le chat, la belette, la souris, la tortue et plusieurs espèces d’oiseaux. Tous ces ossements ainsi que les objets d’industrie sortent de l’ancienne couche de tourbe, recouverte en partie d’une formation plus récente qui ne contient aucun de ces débris.

La haute antiquité des habitations lacustres de Moosseedorf ressortira plus clairement de l’ensemble des découvertes du même âge faites en Suisse; pour le moment, sans rien déterminer relativement aux siècles écoulés depuis leur construction, il suffira de présenter quelques observations /24/ générales. Lorsqu’on planta les pieux, dont on retrouve la partie inférieure dans la marne calcaire et dans la tourbe ancienne, celle-ci n’avait encore recouvert que de 4 à 5 pouces la couche de marne, limite depuis laquelle apparaissent les objets d’industrie 1 . A cette époque, la rive du lac était par conséquent plus à l’est, du côté de la plaine, et il serait même possible de retrouver ce rivage, en suivant sous le marais la surface de la couche de marne, fond primitif du lac, jusqu’au point où elle se relève à la hauteur du niveau des eaux. Ce point une fois fixé, on pourrait dire exactement à quelle distance les habitations se trouvaient de la terre ferme, et quelle était l’étendue du pont qui les mettait en communication avec la rive. Les pieux, usés par l’action des eaux à des hauteurs qui varient suivant l’épaisseur de la tourbe, s’élevaient nécessairement en ligne horizontale au-dessus de l’ancien niveau du lac, de manière à laisser passer les vagues sous le plancher qu’ils supportaient, en sorte que leur longueur moyenne devait être de 15 à 20 pieds, d’après les mesures indiquées plus haut. Les cabanes étaient groupées sur une plate-forme d’environ 55 pieds de largeur sur 70 de longueur, et, pour que les débris d’industrie se soient accumulés au fond du lac sur tout cet espace, et non pas seulement sur les bords du plancher, il faut que celui-ci ait été formé de pièces mal jointes, laissant des interstices par lesquels les petits objets pouvaient tomber à /25/ l’eau. On comprend du reste que, bien loin d’avoir des bois de sciage, l’ajustement ne devait jamais être rigoureux, vu les moyens limités dont on disposait. Quant aux débris plus volumineux, tels que les fragments de poterie disséminés sur tout cet espace, il est possible qu’on les ait jetés à l’eau par ces trappes qui, d’après Hérodote, existaient dans chaque cabane des Pæoniens. Ce sont là sans doute les raisons qui ont permis l’accumulation de ces débris entre les pilotis, immédiatement au-dessous du plancher. On ne saurait, du reste, attribuer à la destruction des cabanes toute cette dissémination des objets, parce que leur dépôt a été successif et de longue durée, vu qu’ils sont étagés sur 3 à 4 pieds d’épaisseur. On voit ainsi que cette accumulation a eu lieu peu à peu, pendant tout le temps de la formation de la tourbe ancienne, jusqu’au moment où l’incendie a détruit ces demeures, dont les pièces de bois carbonisées gisent au-dessus des débris d’industrie.

La durée de ces habitations serait facile à déterminer, si l’on pouvait calculer avec quelque certitude celle de la formation de la tourbe, mais cette question soulève des difficultés de plus d’un genre. Autant sa production est rapide dans certaines conditions, autant elle s’opère avec lenteur dans d’autres cas. On cite des forêts abattues par des coups de vent qui, en moins d’un demi-siècle, étaient remplacées par une tourbe propre à être exploitée 1 , et nous voyons ici que, depuis l’âge de la pierre, la tourbe qui recouvre les traces d’incendie n’a guère acquis que 2 pieds d’épaisseur, et cela en plusieurs milliers d’années. Des lois particulières paraissent présider à cette formation soulacustre, qui ne /26/ descend jamais à une grande profondeur, à cause du manque d’air nécessaire à la végétation. C’est ainsi que, sous l’emplacement de nos habitations, la couche ancienne s’affaiblit en s’avançant dans le lac, et disparaît à une soixantaine de pieds de la rive, sous 10 à 15 pieds d’eau. Il est évident que l’accroissement de cette couche, de 3 à 4 pieds d’épaisseur, vers l’ancien rivage, a dû suivre une progression plus rapide que celle de la couche supérieure, dont les dimensions en hauteur et en largeur sont la moitié moindres, mais encore cette progression inégale d’une couche à l’autre a-t-elle subi un temps d’arrêt. Les derniers objets en os et en pierre déposés à la surface de la zone longitudinale du côté du lac, n’ont point été recouverts, et montrent que l’accroissement tourbeux a pris fin sur cette zone pendant l’âge de la pierre. Il n’en a pas été de même du côté de la terre, où se trouve la couche moderne; toutefois il y a eu interruption entre sa formation et celle de la couche inférieure, car, s’il en était autrement, elle contiendrait encore, comme nous allons le voir, quelque partie des pilotis. Lorsque l’incendie détruisit les habitations, on conçoit que le feu ne put atteindre les pieux au-dessous du niveau du lac. Dès lors les eaux, par leur action incessante, mais extrêmement lente, les ont usés peu à peu, et ce n’est qu’au bout de siècles nombreux qu’ils ont été détruits jusqu’à la surface de la tourbe ancienne. Or, si l’accroissement tourbeux s’était poursuivi sans interruption d’une couche à l’autre, il aurait nécessairement enveloppé une partie de ces pieux, qui ne purent être immédiatement usés jusqu’au fond du lac, et leur partie prise dans cette nouvelle tourbe aurait échappé aux agents destructeurs, étant protégée par cette formation, dont on connaît les propriétés de conservation. Cependant, nous avons /27/ vu plus haut que ce qui reste des pieux n’entre jamais dans la couche supérieure, d’où l’on doit conclure qu’il y a eu un temps d’arrêt assez considérable entre les deux couches de formation tourbière.

S’il n’est guère possible de calculer le nombre des siècles qui se sont écoulés depuis la destruction de cette bourgade, il n’en est pas moins certain que les débris recueillis sur ce point prennent place à la tête d’une série de découvertes qui caractérisent divers degrés de développement antérieurs à notre ère, et qu’on doit les envisager comme remontant à la période la plus reculée de l’histoire de l’homme en Helvétie.

L’emplacement qui vient d’être décrit n’est pas le seul point du lac de Moosseedorf qui ait été occupé par des habitations lacustres. M. le Dr Uhlmann a retrouvé à la tête du lac des pilotis et quelques objets de la même période, mais leur profondeur dans la tourbe en rend l’exploitation difficile.

 

Tourbière de Wauwyl,

dans le canton de Lucerne.

Un bassin d’eau existait autrefois sur l’emplacement de la tourbière de Wauwyl, où s’élevaient des habitations lacustres qui ont été abandonnées dans l’âge de la pierre, de même que celles de Moosseedorf 1 . La tourbe, en envahissant ce bassin, a contribué à la conservation des restes /28/ remarquables découverts en 1859. Les pilotis, enfoncés verticalement, portaient des poutres horizontales sur lesquelles reposait le plancher formé de bois ronds, de la grosseur du bras; les interstices étaient garnis avec des branchages, puis le tout avait été couvert de terre glaise de manière à former une esplanade très solide. Cette terre est encore employée de nos jours pour l’aire de quelques granges, et l’on s’en sert aussi dans les montagnes pour garnir les marches des escaliers. On trouve, dans la tourbière de Wauwyl, jusqu’à cinq planchers du même genre, superposés les uns sur les autres. C’était sur cette plate-forme, élevée sans doute de quelques pieds au-dessus des hautes eaux, qu’on construisait les cabanes de forme circulaire, surmontées d’un toit cônique recouvert de paille et d’écorces, dont les débris gisent souvent dans le limon autour des pilotis. Les parois, formées de pieux et de branches entrelacées, étaient revêtues d’argile à l’intérieur de la hutte.

Il existe à Wauwyl plusieurs planchers voisins les uns des autres, dont l’un mesure 92 pieds de longueur sur 50 de largeur. On voit, d’après leur disposition et celle des pilotis, que les cabanes étaient groupées sur chaque esplanade, et il est probable qu’un pont permettait de passer de l’une à l’autre, réunissant ainsi les divers quartiers de la bourgade. Celle-ci communiquait avec la rive au moyen d’un autre pont et de canots, formés d’un tronc d’arbre creusé, dont l’un était conservé dans la tourbe.

On ne découvre, vers les pilotis de Wauwyl, aucune trace de métal, mais bien de nombreux instruments pareils à ceux de Moosseedorf et de plusieurs autres emplacements. Les matières travaillées sont la pierre, le bois, l’os, les dents, les bois de cerf et les arêtes de poisson. La plupart des /29/ haches se faisaient avec des pierres du pays; d’autres, en serpentine et en silex étrangers à la Suisse, ont été importées. Les lamelles de silex, enchassées dans un manche en bois, servaient surtout à scier les os. Des poignards et des pointes de lance sont en bois de cerf. L’os était employé pour des couteaux, des ciseaux, des poinçons et des pointes de trait. On faisait des alênes et des couteaux plus fins que les précédents avec des dents d’ours et de sanglier, qu’on portait aussi comme amulettes après les avoir percées.

Les ossements de plusieurs animaux étaient mêlés à ces débris de l’industrie humaine avec de nombreux restes d’arêtes de poisson. On verra plus tard que l’ensemble des découvertes du premier âge permet de reconstituer la faune de cette époque, et que les populations qui construisaient leurs demeures sur les eaux ne vivaient pas seulement des produits de la pêche et de la chasse, ce qui résulte déjà des fouilles de Moosseedorf.

 

Lac de Zurich.

La baisse extraordinaire des eaux pendant l’hiver de 1853 à 1854, a amené l’importante découverte des pilotis situés vis-à-vis de Meilen. Des ouvriers occupés à des travaux de terrassement trouvèrent sous le limon de nombreux pilotis, des charbons, des foyers, des ossements et des instruments divers, qui témoignent d’un ancien établissement sur ce lieu. M. le Dr Ferd. Keller, prévenu de cette découverte, ne tarda pas à constater le genre de constructions dont on venait de retrouver les débris, et dès lors un /30/ nouveau champ d’exploration a été largement exploité en Suisse 1 .

Les pilotis, usés par les eaux et recouverts de 1 à 2 pieds de limon, traversent une couche d’environ 2 pieds d’épaisseur, formée d’argile sablonneuse, colorée en noir par la décomposition de nombreuses matières organiques. Cette couche contient tous les débris des habitations. En dessous, vient le fond primitif du lac, dans lequel les pilotis pénètrent jusqu’à 7 et 10 pieds de profondeur. La disposition générale des pieux est parallèle à la rive, leur épaisseur est de 4 à 6 pouces; les uns sont en chêne, les autres en hêtre, en bouleau ou en sapin. Parfois ils sont formés de tiges fendues en 3 ou 4 morceaux, et la pointe de leur extrémité inférieure a été façonnée à l’aide du feu ou de la hache. Il importe de remarquer que plusieurs ont été taillés avec la hache de bronze, ce qu’il est facile de reconnaître quand on a vu le genre d’entailles produit par la pierre. Cette circonstance est d’autant plus importante que presque tous les instruments découverts sont en pierre et en os, bien qu’on en ait déjà recueilli plusieurs centaines sur cet emplacement, qui est encore loin d’être entièrement exploré.

Les haches en pierre de Meilen présentent une plus grande variété que celles du lac de Moosseedorf, quoique la forme la plus générale soit toujours celle du coin, qui se fixait à l’extrémité d’un morceau de bois de cerf, percé quelquefois en travers pour recevoir le manche; d’autres haches de formes diverses ont été finies avec soin, et plusieurs, percées sur le milieu de leur longueur, pouvaient être emmanchées /31/ plus facilement que les coins. Percer la pierre sans le secours du métal devait présenter de grandes difficultés, aussi ces pièces appartiennent-elles en général à la fin du premier âge. C’est un progrès réel; mais encore la hache, affaiblie par ce trou, se cassait assez souvent sur le manche, et, plus d’une fois, on a utilisé ces fragments en les perçant de nouveau. On a trouvé à Meilen un spécimen de ce genre. C’est une espèce de marteau cylindrique dont l’autre extrémité se terminait sans doute par un tranchant. Quoi qu’il en soit, ayant été brisé sur l’ouverture pratiquée pour le manche, on avait commencé à percer de nouveau ce fragment. Le percement étant inachevé, on voit qu’il se faisait à l’aide d’un instrument pointu qui, au lieu d’évider la pierre à la manière du perçoir, creusait une rainure circulaire de façon à ménager à l’intérieur un noyau à peu près cylindrique; or on conçoit que cet instrument devait être en métal pour pouvoir traverser toute l’épaisseur de la hache.

On trouve à Meilen, comme ailleurs, des cailloux utilisés comme marteaux, des broyons, des meules, des pierres à aiguiser et des dalles de grès calciné ayant servi de foyer.

Le silex a été employé pour des pointes de flèche et de lance, pour des couteaux et de petites scies, dont l’une est encore fixée à la poignée en bois le long de laquelle elle avait été enchâssée.

Meilen était aussi un lieu de fabrique, où l’on a utilisé les roches du pays, ainsi que quelques pierres étrangères. La plupart des silex sont originaires de la France, et la néphrite de l’Orient, qu’on retrouve avec les antiquités du premier âge dans plusieurs contrées de l’Europe, était connue sur les bords du lac de Zurich. On ne saurait cependant /32/ affirmer que les instruments en néphrite retrouvés à Meilen aient été fabriqués sur ce point.

Les instruments en os consistent essentiellement en espèces de ciseaux, en poinçons et en aiguillettes munies d’un œil. Les bois de cerf étaient utilisés pour les emmanchures des ciseaux et des haches. Des dents de sanglier ont été aiguisées dans le genre de tranchets, d’autre dents, percées d’un trou, servaient sans doute d’amulettes.

Les ossements découverts en grand nombre à Meilen proviennent de l’aurochs, de l’élan, du cerf, du daim, du chevreuil, du bouquetin, du sanglier et du renard. Les animaux domestiques sont le chien, le mouton et entre autres le bœuf. On a aussi découvert quelques squelettes humains dont les crânes n’ont malheureusement pas été conservés.

La pêche, la chasse et le produit des animaux domestiques n’étaient pas les seuls moyens de subsistance. Les habitants de la bourgade lacustre de Meilen connaissaient déjà l’agriculture, ce qui ressort des grains de froment conservés dans le limon du lac. Les fruits de plusieurs arbrisseaux, et entre autres du noisetier, servaient aussi à l’alimentation.

La poterie, toujours brisée, ne diffère pas de celle des autres emplacements. Les pesons de fuseau, en argile, sont pareils à ceux qu’on découvre dans les tombeaux.

Comme objets d’ornement personnel, il faut citer quelques grains de collier en ambre provenant des côtes de la mer Baltique. Une autre pièce importante est un petit bracelet en bronze (Pl. VIII, 28), qui témoigne que le métal commençait à s’introduire dans l’Helvétie à une époque où les habitations lacustres de Meilen existaient encore.

A la suite de fouilles eutreprises postérieurement par /33/ M. le colonel Schwab, on a encore découvert sur cet emplacement un celt en bronze (Pl. VIII, 30), soit coin ou hachette, d’après lequel on peut se convaincre que l’emploi des instruments en métal n’était pas tout à fait étranger aux habitants des bords du lac de Zurich. On comprend dès lors comment une partie des pieux ont pu être taillés avec le bronze, et combien cette nouvelle matière a dû favoriser le développement de l’industrie primitive.

De nombreux instruments en pierre et en os ont été sortis de la vase du lac près de Mænnedorf. Plusieurs présentant le fini de ceux de Meilen, il est probable que cet emplacement a eu la même durée.

L’extrémité inférieure du lac, qui pénètre dans la ville de Zurich, avait aussi ses habitations lacustres, dont les pilotis ont été recouverts en partie par des travaux de terrassement. On a retrouvé sur ce point des bois de cerf, et, entre autres, des emmanchures de hache avec des marteaux en pierre dont l’antiquité est incontestable.

Il est à présumer que les rives du lac de Zurich ont eu des bourgades plus nombreuses que celles qui ont été explorées jusqu’à ce jour, mais quand les pilotis sont recouverts de vase, comme à Meilen, il est difficile de retrouver les emplacements occupés.

 

Lac de Pfeffikon,

dans le canton de Zurich.

On voit, près de Pfeffikon, des traces de pilotis au milieu desquels on a trouvé dernièrement une hache en pierre, mais l’emplacement le plus important est celui qui a été /34/ découvert par M. Jacob Messikommer, au commencement de l’année 1858, dans la partie de la tourbière appelée Himeri, non loin de Robenhausen 1 . Depuis longtemps les objets mis au jour par l’exploitation de la tourbe avaient accrédité chez les riverains l’opinion que les roseaux traversés par l’Aabach, à sa sortie du lac, croissent sur un point qui, après avoir été anciennement recouvert par les eaux, a dû s’élever peu à peu. Les recherches de M. Messikommer et les travaux exécutés pour l’écoulement du lac ont pleinement confirmé cette opinion.

Les débris d’industrie qui recouvrent cet emplacement sont étagés en couches diverses. Les premiers se trouvent à environ 3 pieds sous la surface actuelle du marécage. Un peu plus bas apparaît une couche blanchâtre, déposée, à ce que l’on croit, avec l’intention d’arrêter l’accroissement de la tourbe. A une profondeur de 5 pieds, vient une autre couche de gravier, d’un pied d’épaisseur, à laquelle on attribue le même but. Enfin c’est au-dessous de ces 6 pieds que se présentent le plus grand nombre d’objets d’industrie.

Il faut remarquer qu’on n’a trouvé aucune trace de métal. Les instruments, découverts en fort grand nombre, sont du même genre que ceux des autres emplacements de l’âge de la pierre. D’entre les haches, plusieurs, en serpentine, ont été aiguisées avec soin et polies sur les quatre faces. Les scies et divers instruments tranchants sont en silex du Jura. Des cailloux de la grosseur du poing, de forme sphérique ou pareils à des cubes dont les angles seraient émoussés, ont servi de marteaux. De grossières plaques de molasse, de grandeurs diverses, étaient utilisées comme pierres à /35/ aiguiser et aussi comme foyers. Les meules de moulin qu’on trouve toujours deux à deux, ayant chacune une surface plate, sont d’un poudding de la vallée voisine. Des fragments de pierre rougeâtre peuvent avoir servi à la peinture des vases ou à quelque autre ornement.

Des bois de cerf et divers os d’animaux ont été employés pour des poinçons, des instruments à racler, des pointes de traits et des espèces de poignards.

La poterie est toujours brisée, de telle sorte qu’on n’a pas retrouvé un seul vase entier. Les fragments permettent cependant de s’assurer que la forme prédominante des vases les plus grands est celle du cylindre. Les ornements consistent en lignes creuses, en pointillages et en reliefs ondulés produits par des cordons d’argile appliqués sur les flancs du vase. L’art du potier est encore très imparfait. Plusieurs fragments sont d’une argile grossière pétrie avec des grains de quartz; les autres, d’une pâte plus fine, présentent une surface unie, colorée en noir avec le graphite.

L’argile a aussi été employée pour des pièces qu’on envisage comme des pesons de fuseau, et pour des boules qui en les rougissant au feu ont pu être employées comme ces projectiles incendiaires à l’aide desquels les Nerviens incendièrent le camp de César 1 . Il est difficile d’indiquer l’usage de cônes percés à leur sommet, hauts de 2 à 3 pouces, sur 4 de diamètre à leur base, fabriqués d’un mélange d’argile et de charbons pilés.

On a même trouvé des cordes et des cables, faits avec l’écorce de différents arbres (Pl. VII, 9), et des cordons qu’on /36/ croit être de chanvre ou de lin; les plus gros sont formés de 4 bouts tordus et les autres de deux. (Pl. VII, 8.)

Les noisettes étaient abondantes. Plusieurs sont percées de part en part, comme pour des joujoux d’enfant.

Les ossements déterminés sont ceux de l’urus, du cerf, du chevreuil, du sanglier, du renard et du chien.

Un bateau, pareil aux pirogues des sauvages, consistait en un tronc de chêne creusé en auge, mais dont le peu de consistance n’a pas permis la conservation, tandis que les bois résineux ont beaucoup mieux résisté à l’action des siècles.

Les pilotis sur lesquels reposaient les habitations sont des pieux qui ont encore une longueur de 10 à 11 pieds, distants les uns des autres de 2 à 3 pieds et dont l’extrémité inférieure, taillée en pointe avec la hache de pierre, descend de quelques pieds dans le limon. Ces pieux sont de chêne, de sapin et de bouleau; plusieurs ont été faits de troncs refendus. Ceux qui se trouvent sur le pourtour de l’emplacement, sont reliés les uns aux autres par des branches entrelacées qui devaient ajouter à leur solidité.

La plateforme sur laquelle reposaient les cabanes était formée, ainsi qu’on peut s’en convaincre par les pièces de bois conservées, de traverses et de plateaux de 2 à 3 pouces d’épaisseur, fixés sur les pilotis au moyen de chevilles en bois. Ces chevilles, les trous, ainsi que les entailles carrées qu’on voit sur les plateaux, ont tous été faits à l’aide d’instruments en pierre.

La surface de cet emplacement recouvert par les pieux et situé au midi du lac, ne recouvre pas moins de 120,000 pieds carrés, et forme un quadrilatère irrégulier dont le côté le plus long est parallèle à l’ancienne rive occidentale du /37/ lac, actuellement envahie par la tourbe. Cette bourgade était à une distance d’environ 2000 pas de cette rive, ainsi que de celle du sud, tandis qu’elle était éloignée de 3000 pas de la rive septentrionale, avec laquelle elle était en communication par un petit pont dont une partie des pieux qui le supportaient subsistent encore. La direction du pont vers la rive la plus éloignée s’explique par le fait que les jardins et les pâturages de la colonie ont dû occuper la contrée fertile du village de Kempten, dont on dérive le nom de Campodunum.

On comprend que des siècles nombreux se sont écoulés depuis l’époque où ces habitations s’élevaient comme un îlot sur la partie inférieure du lac, actuellement occupée par un marécage. Bien qu’on ne puisse pas établir de progression régulière dans l’accroissement de la tourbe, ainsi que nous le montre l’emplacement de Moosseedorf, on voit que les derniers débris tombés à l’eau ne sont recouverts que d’une couche de 3 pieds et que ceux qui remontent au commencement de l’existence de cette bourgade sont à 6 pieds de profondeur. On ne saurait en conclure que la durée de l’occupation ait été aussi longue que celle qui s’est écoulée depuis la destruction de ces habitations jusqu’à nos jours, vu que la formation tourbière ne s’élève pas indéfiniment; cependant on ne peut douter que des siècles nombreux ne se soient écoulés, et il est remarquable que ces couches historiques présentent à peu près la même puissance que celles de Moosseedorf.

 

Lac de Constance.

Le lac de Constance, situé entre la Suisse et l’Allemagne, est particulièrement riche en débris d’habitations lacustres /38/ de l’âge de la pierre. Le rivage descendant sous les eaux en pentes généralement peu inclinées, présente de larges blancs-fonds très propres à ces constructions. Des baies charmantes avec un sol graveleux, l’abondance du poisson et du gibier, la fertilité du sol environnant et le voisinage des forêts de chêne et de sapin, durent engager les premiers habitants à occuper ces belles rives, dès leur arrivée dans le pays 1 .

La plupart de ces emplacements à pilotis sont assez considérables, et il est à remarquer que plusieurs s’étendent jusqu’au rivage actuel. Bien qu’on n’ait encore exploité avec soin qu’un petit nombre de localités, M. le docteur Keller croit pouvoir affirmer que la plupart des nombreux emplacements où l’on a constaté l’existence de pilotis ont cessé d’être habités pendant la période de la pierre. La puissance des couches dans lesquelles sont accumulés les objets d’industrie témoigne cependant que l’occupation a été de longue durée.

On a trouvé des instruments en pierre sur la rive sud-ouest au milieu des pilotis de Neuenburger Horn, de Feldbach, de Berlingen et d’Ermatingen. On vient de découvrir sur la rive thurgovienne, près de Steckborn, une grande quantité d’objets remarquables dont la description ne tardera pas à paraître.

Entre Rorschach et Staad, est une île appelée Heidenlændlein, autour de laquelle sont plusieurs pieux plantés dans l’eau; une partie s’étendent sur trois lignes à peu près parallèles au rivage, d’autres forment un demi-cercle de 5 pas de diamètre, mais aucun objet n’est encore venu révéler leur destination, quoique la tradition les envisage /39/ comme un ouvrage des païens. M. le docteur Keller a constaté un grand nombre de ces emplacements sur la rive méridionale du lac de Constance, mais la hauteur des eaux ne lui a pas permis de les fouiller.

La rive septentrionale du lac n’a pas été moins peuplée. On retrouve des pilotis près de Stein, à la sortie du Rhin. Des instruments en pierre ont été découverts près d’Oberstaad, de Wangen, de Hemmenhofen sur deux points différents, de Gaienhofen, de Hornstad, de Iznang, de Markelfingen et d’Allensbach. Dix-sept emplacements des environs de Lindau et de Bregenz ont été explorés par M. le baron de Mayenfisch. Leur grandeur moyenne est de 3 à 4 arpents. Quoiqu’ils soient situés près du bord, ils étaient primitivement dans l’eau, et l’on voit qu’un pont reliait la plupart d’entre eux à la rive. Ces constructions remontent à la plus haute antiquité, d’après les objets découverts. Ce sont des instruments en pierre, en os et en bois de cerf, tels que marteaux, haches, coins, couteaux, scies, pointes de divers genres et débris de poterie grossière, avec lesquels se trouvaient du blé, des broyons et de nombreux ossements d’animaux. Ces pièces ont été réunies dans le musée du prince de Hohenzollern-Sigmaringen 1 .

L’emplacement de Wangen, situé sur la rive badoise, à une lieue de Stein, est trop important pour ne pas entrer dans quelques détails sur les recherches qui y ont été faites par M. Gaspard Löhle, dès la fin de l’automne de 1856. Le lieu occupé par les pilotis à l’est de Wangen porte le /40/ nom de Gäu 1 et se trouve dans une rade protégée par un cap contre le vent d’ouest. Un terrain fertile s’étend entre une colline et le rivage, sur lequel pénètrent les pilotis, qui recouvrent un espace carré de gravier et de limon, de plus de 700 pas de longueur sur 120 de largeur. Les pieux plantés sur la rive pénètrent à une profondeur de 6 à 7 pieds, tandis que les pilotis baignés par les eaux ne descendent que de 3 pieds dans le sol. Sur plusieurs points, un lit de 6 pouces de sable et de gravier recouvre les débris d’industrie accumulés dans une couche de 2 à 3 12 pieds d’épaisseur. Ici, comme à Moosseedorf, les objets les plus lourds sont souvent les moins profonds, d’où il résulte que la formation de cette couche est contemporaine de l’occupation de la bourgade. D’autre part, la couche littorale, de 6 à 7 pieds d’épaisseur, doit son plus grand accroissement à l’action des vagues, qui a détaché de la rive beaucoup de pierres et de sable de manière à relever le sol de 3 à 4 pieds. Il est donc probable qu’originairement tous ces pieux étaient baignés par les eaux, et c’est à cette action envahissante de la rive qu’il faut attribuer la présence des pilotis qui atteignent sur plusieurs points le bord du lac.

Les divers bois employés sont tout naturellement des essences propres à la contrée, ainsi le chêne, le hêtre, l’ormeau, le bouleau, le sapin et le pommier sauvage qu’on doit donc envisager comme indigène. On se servait pour les pieux, de même qu’à Robenhausen, de tiges entières ou refendues en 2 ou 3 parties, dont la pointe qui devait pénétrer dans le sol était façonnée à l’aide du feu ou de haches en pierre. Les pieux sont distants les uns des autres d’un à plusieurs /41/ pieds. Sur l’espace d’une toise carrée, on en compte au moins 12 et souvent de 17 à 21; sur quelques points, où il fallait sans doute un point d’appui plus fort, on en voit 3 ou 4 qui se touchent. M. Löhle évalue leur nombre total à environ 40,000.

Wangen est l’un des plus riches emplacements exploités jusqu’à ce jour, et, malgré cette abondance, il n’y existe aucun objet en métal. On a recueilli des centaines de haches en pierre de grandeurs et de formes différentes, mais il est à remarquer que leur travail est encore très primitif et que la fabrication de la plupart d’entre elles doit avoir eu lieu sur place, ce qui ressort d’échantillons inachevés, pareils à ceux de Moosseedorf et du grand nombre des roches de la contrée qui ont été utilisées. Quelques pièces cependant sont d’une provenance étrangère, entre autres celles pour lesquelles on a employé une espèce de néphrite.

Les marteaux en serpentine, de forme cylindrique et percés d’un trou, sont de la plus grande rareté, ainsi que les pierres percées en général. Il n’en est pas de même des marteaux de forme à peu près cubique, qui ont été découverts en grand nombre.

Les petits instruments tels que scies, lamelles, pointes de trait et de lance ne sont nullement rares. Leur matière est le silex blond, noir et rougeâtre, provenant de la France et de l’Allemagne. Les scies qu’on trouve en Suisse sont très différentes de celles des pays Scandinaves. Dans le Nord, elles mesurent de 3 à 7 pouces de longueur et ont la forme d’un arc de cercle dont la corde est dentelée. En rafraîchissant les dents, cette ligne finit par devenir concave et donne à l’instrument l’aspect d’un croissant. La scie lacustre, moins nettement dentelée, longue de 2 à 3 pouces seulement, est /42/ une simple lamelle de silex, fixée dans sa longueur à un manche en bois ou en os sur lequel on a pratiqué une rainure dans laquelle l’instrument est enchâssé, puis consolidé avec un mastic noirâtre. (Pl. V, 11.) La scie du Nord, relativement grande, était plus propre à pénétrer dans le bois, bien que son épaisseur ne lui permit pas de cheminer bien en avant; celle des lacs a dû être employée pour les rainures de 2 à 3 lignes de profondeur qu’on voit sur les instruments en pierre ébauchés. Il va du reste sans dire que le même instrument a eu des usages d’autant plus divers que la variété des formes est plus limitée, et ces lamelles sans manche, qui sont aussi fort nombreuses dans le Nord, paraissent avoir remplacé très souvent le couteau.

On trouve à Wangen, comme ailleurs, beaucoup de plaques de foyers et de pierres à aiguiser.

Les bois de cerf et les os de grands et de petits mammifères, ainsi que ceux d’oiseaux, ont été employés pour une foule de poinçons, de ciseaux et de pointes de trait. — On portait aussi comme amulettes des dents percées d’ours et de loup. D’après les ossements déterminés, on peut mentionner l’urus, le bison, le cerf, le chevreuil, le sanglier, l’ours, le loup, le renard et le chien. Les restes d’un crâne humain étaient mêlés à ces débris.

La poterie est pareille à celle des découvertes précédentes. Un vase se distingue cependant par des ornements plus originaux, représentant des feuilles ou des nervures de feuilles d’arbre. (Pl. VII, 35.) La forme générale se rapproche de celle du cylindre, et beaucoup de fragments sont couverts d’une épaisse couche de suie. — Outre les pesons de fuseau, on trouve les boules percées, formées d’argile et de charbon pilé, qu’on a envisagées comme des projectiles incendiaires. /43/ Il importe de mentionner des morceaux d’argile, qui ont conservé en creux l’empreinte des montants ronds des cabanes, et dont la conservation est due à l’action du feu, lors de l’incendie de ces habitations.

Les restes des provisions destinées à la nourriture sont d’un intérêt tout particulier. On a découvert une grande quantité de blé sur plusieurs points de l’établissement de Wangen, et on le trouve disséminé sur toute l’épaisseur de la couche des débris anciens, en sorte que les premiers constructeurs de ces habitations devaient déjà connaître l’agriculture. Le grain et les épis, parfois entiers, sont toujours carbonisés, et leur conservation est plus que suffisante pour reconnaître le froment et l’orge à deux rangs (hordeum distichum), l’un et l’autre d’excellente qualité. Sur un point, où avait sans doute existé un grenier, se trouvait plus d’une mesure de grains carbonisés. Ailleurs c’étaient des vases contenant des graines de pin, des faînes, des noisettes et des pépins de pomme et de poire sauvages. On trouve même des quartiers de poires et de pommes qui avaient été certainement desséchés pour en faire des provisions. L’abondance des graines de framboise et de meuron témoigne que la consommation des fruits d’arbrisseaux a été considérable. Enfin bon nombre des ossements découverts proviennent aussi des animaux dont on se nourrissait.

La culture du blé, dans les âges reculés, étant dès maintenant un fait acquis à l’histoire, on sera moins surpris de retrouver l’emploi d’une plante à filaments qui a peut-être été le chanvre ou le lin. Les petites cordes de Robenhausen fournissaient déjà à cet égard un indice que vient appuyer une espèce d’étoffe découverte à Wangen. Elle consiste en mèches entrelacées ensemble de manière à former des nattes /44/ qui ont pu servir pour couvertures et peut-être pour vêtements. (Pl. VII, 24.) Il y a loin sans doute de ces tissus aux étoffes proprement dites, mais ces échantillons n’en sont pas moins d’un haut intérêt pour l’histoire de l’industrie. On trouve aussi de fines branches d’osier, tissées avec de la paille, qui sont sans doute les restes de paniers ou de corbeilles. (Pl. VII, 22.)

Au milieu de ces débris divers, on remarque encore à Wangen, de même que sur d’autres emplacements, des traces de mousse, de roseaux, de joncs, de paille et d’écorces qu’on suppose avoir servi à la couverture des cabanes, et dont une partie était sans doute réservée pour la couche de l’habitant lacustre.

 

Lac de Bienne.

D’après l’état actuel des recherches, la plupart des emplacements à pilotis des lacs de la Suisse orientale paraissent avoir été abandonnés pendant l’âge de la pierre ou à la fin de cette période. Il n’en a pas été de même dans la Suisse occidentale, où ces constructions ont été fort en usage dans la période suivante, et où elles ont même subsisté plus tard encore sur quelques points. Ce prolongement de durée a amené la formation de nouveaux dépôts qui, sur plus d’un lieu, doivent recouvrir des couches plus anciennes dont on ne pourra constater nettement l’existence que par des fouilles, souvent difficiles à pratiquer, à cause de la profondeur des eaux. Il résulte de ces circonstances que les débris les plus anciens sont moins faciles à retrouver, mais des découvertes significatives ont déjà été faites sur plusieurs /45/ points au pied du Jura, et elles ne tarderont pas à se multiplier.

Le Steinberg, emplacement à pilotis, près de Nidau, présente les instruments du premier âge, bien que ce soit surtout dans la période suivante qu’il ait pris un développement tout particulier. M. le colonel Schwab y a découvert plusieurs instruments en pierre et en os, des haches en serpentine, des silex taillés par la main de l’homme, des pointes de flèche et de fort petites hachettes en pierre, d’un pouce environ de longueur, du genre de celles de Moosseedorf, où on les emmanchait à des bois de cerf, en guise de tranchets. La néphrite d’Orient se trouve sur le Steinberg avec des dents d’animaux percées et d’autres objets qui, étant propres à plusieurs époques du développement industriel, ne peuvent pas être classés avec certitude dans l’une à l’exclusion des autres.

Les pilotis de Hagneck, exploités récemment par M. le professeur Desor, sont accompagnés d’un plus grand nombre d’instruments tranchants en pierre que de ceux de la deuxième époque. C’est sans doute à ces premiers qu’il faut rattacher une espèce de gobelet, taillé dans la tête d’un grand fémur.

D’après les objets recueillis, ces deux stations du lac de Bienne conservent les traces d’une occupation pendant le premier âge. Il est cependant difficile d’en apprécier la durée, mais la découverte faite dernièrement à Concise montre que la Suisse occidentale a eu des bourgades lacustres, dont la richesse et l’antiquité ne le cèdent en rien à celles des principaux établissements de la Suisse orientale. /46/

 

Pont de la Thièle

entre les lacs de Bienne et de Neuchâtel.

M. le colonel Schwab a découvert, près du Pont de la Thièle, des haches en pierre avec des emmanchures en bois de cerf, au milieu de pilotis répandus le long de la rive droite de la rivière, sur une étendue d’environ 170 pas de longueur. C’est sur ce point que les Romains jetèrent plus tard un pont dont on voit encore quelques traces, ce qui explique la présence, dans ce lieu, de poteries et de tuiles romaines.

On peut être surpris de la situation de ces cabanes sur la Thièle, par laquelle s’écoulent les eaux du lac de Neuchâtel dans celui de Bienne. Le peu de largeur du lit de la rivière devait ôter à ces constructions le caractère qu’elles avaient sur les lacs; cependant bien des habitations s’élèvent encore de nos jours au-dessus des eaux courantes, et il n’est point impossible qu’il en ait existé sur la Thièle, malgré la proximité des lacs. Toutefois la configuration du sol soulève des questions que des recherches ultérieures permettront peut-être de résoudre.

Le marécage qui sépare les lacs de Morat, de Neuchâtel et de Bienne n’a pas toujours existé. Il fut un temps où ces trois lacs formaient un seul bassin dont les eaux recouvraient le fond des vallées, mais les alluvions déposées par les torrents, ainsi que la formation des tourbes, diminuèrent peu à peu l’étendue de ce bassin, qui finit par être divisé en trois lacs. Le rétrécissement des rives se poursuit d’une manière continue et il n’est personne qui puisse méconnaître cet /47/ envahissement incessant sur tous les points où se manifeste la double action des alluvions et de la tourbe. Il en résulte que, depuis l’apparition de l’homme dans nos contrées, bien des rives ont été modifiées, et bien des emplacements, autrefois baignés par les eaux, se trouvent maintenant dans la plaine.

On est donc conduit à se demander si les pilotis situés dans le lit de la Thièle, de même que ceux de Robenhausen, sur les bords de l’Aabach, n’ont point été plantés le long d’une ancienne rive du lac. Les marécages qui séparent actuellement les lacs de Neuchâtel et de Bienne, primitivement réunis en un seul bassin, sont resserrés entre le hameau de la Thièle et les collines qui s’élèvent sur l’autre bord de la rivière, au pied du Jolimont, riche en antiquités de divers âges. C’est précisément sur ce point, éloigné aujourd’hui d’environ 4000 pieds du lac de Neuchâtel, qu’étaient construites les habitations du Pont de la Thièle, et l’on verra plus loin qu’il n’est point impossible qu’une zone de cette largeur ait pu se former depuis l’âge de la pierre.

On pourrait objecter que c’est sur cette zone que les Romains construisirent une chaussée entre Aventicum et le pont jeté en travers des pilotis, mais il suffit de faire observer qu’il existait aussi des habitations lacustres dans la vallée de l’Orbe, à une époque où l’emplacement d’Eburodunum était encore recouvert par les eaux du lac.

Si l’on ne découvre pas d’instruments en métal au milieu des pilotis du pont de la Thièle, dont l’emplacement a toujours été un passage commandé par la nature, il se peut que son abandon pendant l’âge de la pierre ait été motivé par l’envahissement de la tourbe, ou tout au moins que celle-ci ait été un obstacle à la reconstruction de ces habitations, dans le cas où elles auraient été détruites par le feu. /48/

 

Lac de Neuchâtel.

Plusieurs emplacements du lac de Neuchâtel présentent quelques difficultés de détermination à cause du petit nombre de pièces du premier âge découvertes sur ces points, et par le fait qu’ils ont été occupés postérieurement. C’est ainsi qu’on trouve des instruments tranchants en pierre avec des objets en bronze, à Chevroux, à Colombier, à Bevaix et à Cortaillod, où la serpentine, le silex et les têtes de fémur étaient employés comme haches, pointes de trait et gobelets du genre de celui de Hagneck.

La rive fribourgeoise du lac de Neuchâtel, explorée par plusieurs personnes, l’a été tout particulièrement par MM. Rey et de Vevey, qui ont eu l’obligeance de me communiquer les détails suivants sur Corbières et Estavayer. On voit vers la première localité deux emplacements d’époques différentes. Le plus rapproché de la rive, appelé Ténevières de la Craza, appartient à l’âge de la pierre. Les pieux, sortant à peine du gravier, sont entourés de pierres calcinées au milieu desquelles ne se trouvent que des instruments en pierre et en os, sans traces de métal. Une hache en serpentine, dont le tranchant est très vif, est encore solidement fixée à son emmanchure en bois de cerf, longue de 24 lignes. L’extrémité opposée à celle qui reçoit la hache est taillée à quatre faces, et devait entrer dans le trou carré du manche. La manière d’emmancher les haches de pierre variait sans doute autant dans l’antiquité que de nos jours chez les sauvages, et il n’est pas sans intérêt de retrouver sur Ténevières un bois de cerf dont l’extrémité la /49/ plus forte est percée transversalement d’un trou carré qui recevait l’emmanchure et servait ainsi de manche à la hache primitive. (Pl. III, 8.) Deux fragments de hache, 3 pointes de lance en silex, et 6 pesons en pierre, proviennent encore de ces habitations, qui paraissent avoir été détruites par le feu d’après les pierres calcinées, mentionnées plus haut. Ce fut sans doute après ce sinistre qu’on occupa l’emplacement voisin, dont les pilotis mieux conservés indiqueraient à eux seuls, indépendamment des objets découverts, une antiquité moins reculée.

Tout auprès de la ville d’Estavayer, existent deux emplacements, dans les mêmes conditions que les précédents. Le moins éloigné de la rive, appelé aussi Ténevières, est le plus ancien. Ce nom désigne, dans l’idiome des pêcheurs de la contrée, un monticule inondé par les eaux du lac. Le Ténevières d’Estavayer, d’environ 6 pieds de hauteur, est de formation naturelle. Le gravier recouvre la plupart des pieux, usés jusqu’à la surface du monticule par l’action incessante de l’eau. Les objets recueillis sont tous étrangers à la période du bronze et consistent en 4 coins, une hache en pierre, 2 pointes de lance en silex, 2 pointes de flèche, 12 pesons en pierre, un marteau en bois de cerf, percé sur le milieu de sa longueur qui est de 4 pouces, et un manche de même matière dont l’extrémité porte un trou carré comme le manche de hache du précédent emplacement. Des pierres calcinées indiquent, de même qu’à la Craza, une destruction par le feu. Il est à présumer qu’on entassait des cailloux sur l’esplanade de ces établissements, afin de s’en servir comme de projectiles en cas d’attaque, et que c’est à la suite de l’incendie que ces pierres ont subi l’action du feu.

Le second emplacement d’Estavayer, couvert de pilotis /50/ mieux conservés, date de l’âge du bronze. La plus grande distance à laquelle il se trouve du rivage s’explique sans doute par le besoin qu’on éprouvait de se mettre hors de la portée des projectiles incendiaires que l’ennemi pouvait lancer depuis le bord. Il est à remarquer qu’un grand nombre des habitations de la deuxième période sont plus en avant dans les eaux que celles du premier âge, soit que les moyens d’attaque fussent plus perfectionnés, soit que la coupe des bois présentât moins de difficultés 1 . Les explorateurs pourront tirer parti de ces observations, en les appliquant aux groupes de pilotis voisins, mais situés à des distances différentes de la rive, qu’on voit dans quelques lacs, et entre autres dans celui de Neuchâtel. Il sera intéressant de s’assurer s’ils sont accompagnés d’objets d’industrie d’époques différentes et s’ils présentent les mêmes caractères que ceux qu’on vient d’examiner.

Les travaux entrepris en vue de l’établissement de chemins de fer servent assez fréquemment les recherches des archéologues. Une découverte faite en pareilles circonstances, près de Concise, dans les derniers jours du mois de juillet 1859, a révélé l’existence d’un des emplacements lacustres les plus riches de l’âge de la pierre. Une drague à vapeur, placée en face des premières maisons de cette localité, du côté d’Yverdon, pour fournir les remblais nécessaires à la portion de la voie ferrée qui passe dans le lac, ne tarda pas à amener des débris provenant d’habitations qui datent de la plus haute antiquité. Dès les premiers jours, de nombreux amateurs ayant été attirés par cette découverte, les ouvriers réunirent avec le plus grand soin tout ce /51/ dont ils pensaient pouvoir retirer quelque bénéfice. Les instruments en pierre et en os ont été recueillis par milliers. Les musées de Lausanne et d’Yverdon 1 en possèdent un grand nombre. M. le comte de Pourtalès, à la Lance, s’est créé une collection avec ces pièces. Beaucoup d’objets se trouvent chez M. le Dr Clément, à Saint-Aubin, chez MM. Rey et de Vevey, à Estavayer, dans le musée de Neuchâtel et chez M. le colonel Schwab, à Bienne. Nombre de pièces ont été vendues à l’étranger; M. le professeur Agassiz en a emporté plusieurs pour le musée qu’il fonde en Amérique, et bien des morceaux sont restés entre des mains diverses.

Les objets découverts sont remarquables par la variété des formes, et par le fréquent emploi de l’os et des bois de cerf. Mais, avant de décrire ces divers genres de pièces, il importe d’ajouter que l’appât du gain a porté quelques ouvriers à fabriquer des faux qui ont été répandus en grand nombre. Au début de la découverte, qui a duré pendant les cinq semaines que la drague a fonctionné sur ce point, les faussaires se bornaient à imiter les formes authentiques en donnant un manche à l’instrument qui avait perdu le sien; mais plus tard l’imagination des fabricateurs a créé des formes inusitées dans l’antiquité, par la réunion insolite d’objets sortis du lac. Enfin, enhardis par le succès, ils ont fait divers instruments avec les galets de la rive et avec des os ou des bois de cerf.

Les faux répandus par ces ouvriers soulèveront plus d’un doute sur l’authenticité de certaines pièces, et entre autres sur la manière dont elles étaient emmanchées. Toutefois, avant de tenir pour fausse telle forme reproduite par la /52/ fabrique, il convient de s’assurer si le type n’en a pas été réellement découvert. D’autre part, toute pièce porte en elle un caractère d’antiquité que les faussaires, malgré leur adresse, ont été inhabiles à reproduire.

L’emplacement sur lequel a fonctionné la drague est situé à environ 300 pieds du bord. Il présentait l’aspect d’un monticule recouvert de 3 pieds d’eau à son sommet. Sa surface limoneuse ne laissait apparaître aucun vestige d’habitation.

C’est là qu’on a découvert, au-dessous du limon, une couche composée de gravier, de galets et de cailloux anguleux, cassés par la main de l’homme, au milieu desquels se trouvaient des restes de pilotis de chêne et de sapin, des charbons de bois, des ossements, d’innombrables bois de cerf coupés ou entaillés, des fragments de poterie et des instruments en pierre et en os. La drague déversait un limon qui contenait parfois des graines, de nombreux débris de roseaux et de petites branches. Enfin quelques objets en bronze proviennent de cet emplacement. Ces milliers d’instruments de l’âge de la pierre, tassés sous les eaux, les pilotis détruits jusqu’à la surface du sol et tous ces débris recouverts d’un limon qui ne permettait pas de soupçonner l’existence d’habitation, montrent que l’homme a occupé ce point longtemps avant l’introduction du métal. Il ressort aussi de la présence du bronze, quoique fort peu abondant, et du perfectionnement apporté dans la taille de quelques instruments primitifs, que ces constructions ont subsisté jusqu’à l’époque de transition du premier au deuxième âge.

La hache est l’instrument qui a joué le plus grand rôle dans l’industrie primitive. Utilisée pour la chasse, au besoin arme de guerre, on s’en servait pour les usages domestiques /53/ les plus divers; aussi en a-t-on retrouvé à Concise un très grand nombre d’exemplaires. (Pl. V, 20, 23, 24, 26, 27, 28, 30.) A part de rares exceptions, on peut être surpris de ses petites dimensions. Le tranchant ne mesure en moyenne que 15 à 20 lignes de largeur. La pierre employée de préférence est la serpentine. Plusieurs pièces ébauchées sont tombées à l’eau avant d’être achevées, d’autres ont été usées par un long usage; le tranchant, parfois très vif, est souvent aussi ébréché; et si quelques pièces présentent un fini remarquable, il en est un bon nombre qui ont été fabriquées avec peu de soin.

On trouve quelques bois de cerf entaillés de manière à reproduire en creux la forme de la pierre qui en a été détachée. (Pl. III, 1.) Ces manches, bien qu’ils soient fort rares, suffisent cependant pour constater que ce genre d’emmanchure a été usité en Suisse, de même que dans le Nord, ainsi qu’on peut s’en assurer par les publications de MM. Du Noyer, Wilde et Worsaae 1 , qui reproduisent la hache de pierre fixée dans la mortaise d’un manche en bois.

Deux bois de cerf, coupés en forme de T, étaient armés d’une pierre tranchante sur l’une des extrémités (Pl. III, 2, 7); mais la plupart des haches de Concise ont été primitivement formées de trois pièces: un morceau de bois de cerf, long de 2 à 3 pouces, recevait la pierre à un bout, tandis que l’autre, taillé à quatre faces, entrait dans la mortaise du manche, comme on a déjà pu le remarquer dans les découvertes faites à Estavayer. (Pl. IV, 1, 2, 3.) Il est curieux que l’assemblage de ces trois pièces n’ait /54/ pas été observé à Concise, ce qui provient sans doute de ce que le manche, étant en bois végétal, n’a pas subsisté jusqu’à nous. En revanche, les emmanchures faites de bois de cerf se sont conservées en très grand nombre; plusieurs portent les traces de l’usure produite par la meule en rafraîchissant le tranchant de la hache (Pl. III, 6); d’autres, se fendant sous le choc, étaient hors d’usage; plus rarement, à en juger du moins d’après les pièces découvertes, la pierre se brisait dans l’emmanchure.

Ces emmanchures présentent quelques variétés de forme. Les unes sont à peu près carrées (Pl. IV, 1); plusieurs ont été taillées de manière à ménager une proéminence latérale qui s’appuyait sur le manche (Pl. IV, 2, 3); quelques-unes sont bifurquées comme pour introduire un coin destiné à les fixer plus solidement dans l’ouverture qui les recevait. (Pl. IV, 16.) Sur l’une est un petit trou transversal, sans doute pour la consolider à l’aide d’une cheville (Pl. III, fig. 4); une autre, percée parallèlement au tranchant de la pierre, recevait le manche dans cette ouverture, de forme ovale (Pl. III, 3), mais il est probable qu’elle a été équarrie plus tard pour entrer dans la mortaise d’un autre manche.

Les ciseaux en pierre, fort nombreux aussi, se distinguent des haches en ce que leur tranchant est moins large. La plupart sont en serpentine et quelques-uns en néphrite d’Orient. (Pl. IV, 6, 11.) Fixés à l’extrémité d’un bois de cerf de 2 à 3 pouces de longueur, l’autre extrémité porte parfois une ouverture circulaire et longitudinale dans laquelle devrait entrer un corps cylindrique destiné peut-être à protéger le manche contre les coups de marteau. (Pl. IV, 4, 10.)

On comprend que, dans ces âges primitifs, le marteau /55/ devait être souvent remplacé par le premier caillou qui tombait sous la main; cependant ces pierres recevaient parfois des formes plus spécialement propres à leur destination. C’est ainsi qu’on retrouve des fragments qui rappellent quelque peu le batterand moderne. (Pl. V, 24.) Quant aux marteaux en pierre, percés d’un trou, on doit les regarder comme appartenant à l’âge de transition.

Les tranchets, destinés sans doute à couper le cuir ou les peaux, ont été d’un grand usage. La pierre a reçu un tranchant plus ou moins arqué. (Pl. IV, 5, 7; Pl. V, 25.) Quelques-unes ont conservé leur manche en bois de cerf, qui s’adapte fort bien à la main. Des extrémités d’andouillers, pareils à celui de la figure 13, Pl. IV, portent en creux l’empreinte de la pierre qui a disparu. Un instrument tout pareil ayant été découvert sur l’emplacement de Moosseedorf, par M. Alb. Jahn, on ne peut mettre en doute l’authenticité de cette forme.

Les silex, employés pour des instruments divers, sont pour la plupart étrangers à la Suisse. On trouve cependant des éclats nombreux qui montrent que la fabrication d’une partie de ces pièces se faisait à Concise. Une belle lamelle, de 7 pouces de longueur (Pl. V, 13), a pu servir d’arme ou d’instrument domestique. Une autre, longue de 5 pouces 3 lignes (Pl. V, 12), semble avoir fait l’office de racloir, ainsi que le N° 18. D’autres lamelles (Pl. V, 22), parfois d’une grande finesse, remplaçaient peut-être le couteau. Des éclats de silex sont dentelés sur l’un des bords seulement. (Pl. V, 19.) On est porté à envisager comme des perçoirs des pointes dont la coupe est triangulaire. De larges lamelles, tranchantes et fort minces (Pl. V, 1), pouvaient tenir lieu de scie; elles s’adaptaient sans doute à des manches du genre de la /56/ figure 14, qui, vu leur peu d’épaisseur sur la partie entaillée, ne pouvaient recevoir que des pièces larges et plates.

Les têtes de flèche en silex présentent la forme du triangle isocèle ou du losange, avec ou sans entailles sur les angles obtus, d’autres sont munies d’une pointe qui pénétrait dans la hampe et aussi de deux petits ailerons dans le genre de ceux du harpon. (Pl. V, 2 à 9.) Deux pointes de silex, en forme d’ovale et de losange (Pl. V, 10, 16), ont peut-être armé la hampe de la lance ou du javelot.

On a trouvé à Concise de nombreuses pierres discoïdes de 10 à 35 lignes de diamètre, percées d’un trou au centre, et pareilles à celles qu’on regarde comme des pesons de fuseau ou de filet. La destination de ces pièces, parfois assez informes, est très problématique (Pl. VIII, 9, 11): l’une de ces pierres, à peu près ovale, est percée de 2 trous (Pl. VIII, 8); telle autre, inachevée, n’est percée qu’à moitié; le trou, fait par un instrument mis en rotation, est évasé en entonnoir sur les deux faces du disque, et il est assez probable que plusieurs n’ont été forés que dans l’âge de transition. Le grès ou d’autres roches plus ou moins compactes, prises dans les galets de la rive, ont servi à la fabrication de ces disques, dont quelques-uns sont aussi en os ou même en poterie. L’une de ces pièces en bois était peut-être un flotteur.

Indépendamment des morceaux inachevés ou simplement ébauchés qui accompagnent les instruments complets ou hors d’usage par un long emploi, on trouve beaucoup d’éclats de pierres diverses, provenant de la fabrication des instruments. En outre, de nombreux cailloux ont été brisés par la main de l’homme. On a aussi recueilli au milieu de ces débris quelques pétrifications, le cristal de roche des Alpes et le corail blanc de la Méditerranée. /57/

Les pierres à aiguiser, plus ou moins usées par le frottement, ont la forme de meules immobiles aux contours irréguliers; des morceaux de grès sont de dimensions assez petites pour avoir été maniés à la main, et la molasse employée est en général de très bonne qualité. D’autres meules, en roches compactes, présentent une surface plane ou concave, sur laquelle on broyait ou concassait des graines ou des fruits. Quelques pierres paraissent avoir fait l’office de véritables enclumes.

La plupart des formes d’instruments en pierre ont été reproduites avec des ossements d’animaux et des portions de bois de cerf dont le choix était très bien approprié au but. Ce genre d’objets, qui renferme toute une collection d’outils, d’armes et d’ornements, n’est assurément pas le moins remarquable.

Les os les plus volumineux et les plus compactes étaient utilisés comme marteaux, ainsi que des morceaux de bois de cerf, dans la partie spongieuse desquels on a dû introduire une matière dure. Ces marteaux étaient percés d’un trou rond ou ovale qui recevait le manche (Pl. IV, 12), dont la direction était parfois oblique, ainsi qu’on le remarque sur quelques haches. La partie d’un manche en bois prise dans le trou d’un marteau, s’est conservée, tandis que le reste a été détruit par l’action des siècles, ce qui explique la disparition des manches de hache, lorsqu’ils n’étaient pas en bois de cerf. Un choc violent brisait souvent ces instruments, qu’on retrouve rarement intacts. (Pl. IV, 8, 14.) — Bien que les outils en bois aient le plus souvent disparu, une véritable mailloche en sapin a cependant été conservée. Le bois tout imprégné d’eau, et cédant sous la plus légère pression, ne pouvait laisser de doute sur son antiquité. L’instrument /58/ avait été coupé sur une branche, en ménageant une recrue qui servait de manche. (Pl. III, 5.)

De nombreux ciseaux en os et en bois de cerf, de largeur différente, avec ou sans manche, doivent avoir été employés pour le travail de matières peu dures. (Pl. VI, 15, 29.) L’extrémité opposée au tranchant présente parfois des inégalités qui exigeaient l’emploi d’un manche.

Des tranchets de formes variées, en os ou en dents de sanglier, sont munis d’un tranchant oblique ou convexe.

La variété des poinçons est très grande. (Pl. VI, 16, 18, 19, 21, 22, 26, 27, 28, 30.) Ils sont généralement faits avec des côtes ou des canons refendus, plus rarement avec des bois de cerf ou de chevreuil et des incisives de cochon; leur longueur varie de 15 lignes à quelques pouces. La pointe, acérée et polie, est ordinairement arrondie comme un cône effilé (Pl. VI, 26); elle est quelquefois à quatre pans (Pl. VI, 28), ou bien elle présente deux arêtes vives. (Pl. VI, 21.) L’autre extrémité du poinçon conserve souvent l’articulation soit la forme naturelle de l’os (Pl. VI, 16, 19, 26, 30) qui servait de poignée, mais il n’est pas rare qu’elle se termine, comme les ciseaux, par des anfractuosités (Pl. VI, 18) qui auraient blessé la main de l’ouvrier si l’instrument n’avait pas été fixé dans un manche tel que celui de la figure 23. — Plusieurs os aiguisés en poinçon décrivent un angle obtus sur l’une de leurs extrémités. (Pl. VI, 31, 37.)

Les aiguillettes en os, droites ou légèrement arquées, longues de 3 à 6 pouces, sont munies d’un œil ou même de deux vers le bout opposé à la pointe. (Pl. VI, 34.) Sur l’une (Pl. VI, 33), l’os a été évidé des deux côtés de la tête, afin que le fil ou le cordon passé dans l’œil ne gênât pas le jeu de l’instrument. Une autre aiguillette, pointue aux deux /59/ bouts, est percée sur le milieu de sa longueur où le renflement est sensiblement prononcé (Pl. VI, 36); ce même genre d’instrument a été usité dans l’âge du bronze. (Pl. XII, 22.) L’œil se trouve aussi vers la pointe de l’outil (Pl. VI, 35), comme on le remarque encore sur l’un des poinçons du sellier.

On doit sans doute désigner sous le nom de polissoir des os et des bois de cerf polis dont les formes se sont conservées dans le travail des cuirs. Des dents plantées jusqu’à l’émail dans des bois de cerf (Pl. VI, 13, 14) avaient peut-être un usage analogue. Les ouvriers du chemin de fer ont répandu de nombreuses imitations de ce genre de pièces dont le type n’est pas moins réel. Le lendemain de la découverte faite à Concise, M. Rossire, ingénieur, me remit l’un de ces instruments qu’il avait recueilli la veille sur la drague, et que j’ai déposé dans le musée de Lausanne, avec d’autres objets mis à part dès le premier jour, alors qu’aucun faux n’avait encore été fabriqué.

Entre les objets indéterminés en os et en bois de cerf, il faut citer plusieurs pièces, avec ou sans trou, cylindriques en tout ou en partie, parfois surmontées d’une espèce de bouton, ou bien de la forme d’épaisses lamelles. (Pl. IV, 17; Pl. VII, 6, 7, 10, 29, 34.) L’un de ces objets mérite une mention spéciale par la délicatesse de son travail. (Pl. VII, 14.) C’est une petite pièce longue de 7 à 8 lignes sur un diamètre de 2 lignes, percée dans sa longueur comme un tube, dont les extrémités cylindriques sont reliées par deux petites tiges ménagées lors de la taille de l’os. La fabrication de cette pièce, qui n’aurait rien que de fort ordinaire à une autre époque, n’en est pas moins intéressante vu la délicatesse du travail et les moyens limités de l’industrie primitive. /60/

On a vu que de nombreux éclats de silex et de roches diverses, ainsi que des instruments inachevés, témoignent que l’emplacement de Concise était un lieu de fabrique, et l’on arrive à la même conclusion quand on examine le nombre considérable de morceaux de bois de cerf préparés pour les manches d’outils divers, manches plus ou moins finis ou simplement ébauchés. Ils portent les marques non équivoques d’instruments dont le tranchant a produit une entaille généralement striée. On peut y reconnaître aussi l’action de la scie en silex et de la meule de grès. Quelques-uns ont reçu un poli que l’antiquité n’a pas fait disparaître; et plusieurs ont été entaillés pas les dents d’un rongeur qui ne peut être que le rat et la souris dont les cabanes lacustres ne devaient pas être plus à l’abri que ne le sont les habitations de nos jours et même les vaisseaux.

Des canons ou des tibia d’animaux ont été fendus et aiguisés en pointe sur l’une des extrémités. Leurs dimensions, de 7 à 8 pouces de longueur, ne permettant pas de les envisager comme des poinçons, il est probable qu’ils tenaient lieu du poignard dont ils reproduisent la forme et les dimensions. Les ingénieurs du chemin de fer ont déposé au musée de Lausanne un de ces poignards emmanché à une fort belle poignée en bois de cerf (Pl. VI, 11), recueilli sur la drague l’un des premiers jours où elle a fonctionné à Concise. On a prétendu plus tard que ces deux pièces n’étaient pas attenantes l’une à l’autre quand elles sont arrivées avec les débris déversés par la machine, et qu’un amateur s’est amusé à les réunir au moment où on allait les mettre de côté pour le musée. Je n’ai pu vérifier l’exactitude de ce récit, mais encore, en l’admettant, faut-il reconnaître que ces deux pièces, qui s’adaptent parfaitement, doivent avoir été faites /61/ l’une pour l’autre. Les faux innombrables répandus par les fabricateurs ont soulevé des doutes légitimes, cependant on ne saurait nier qu’une partie de ces grandes pointes en os, d’une antiquité incontestable, aient été fixées à des bois de cerf, vu que quelques-unes présentent la même particularité qu’un certain nombre de poinçons, c’est-à-dire que l’extrémité opposée à la pointe offre des anfractuosités dont la main aurait été blessée si cette partie anguleuse n’était pas entrée dans une poignée. Des andouillers de toutes dimensions, taillés par les Lacustres en forme de manche, sont trop nombreux pour qu’ils n’aient pas été préparés afin d’y fixer des instruments de genres divers, et il n’est pas superflu d’ajouter que les entailles antiques se distinguent très facilement de celles qui ont été imitées par les faussaires. L’un des ca ractères de la découverte de Concise consiste précisément dans le grand emploi que les habitants de cette bourgade ont fait des bois de cerf.

De fortes lames en bois de cerf, profondément dentelées sur l’un des côtés ou sur les deux (Pl. VI, 25, 32), rappellent quelques-unes des pointes de lance de Moosseedorf et de la vallée du Mississipi 1 . Une belle lame, en os, de 9 pouces de longueur, a dû avoir la même destination. (Pl. VI, 24.) D’autres os refendus, longs de 4 à 6 pouces, ont aussi la forme lancéolée (Pl. VI, 12), et la douille est reproduite en partie par ce qui reste du trou de la moelle formant une rainure naturelle, le long de laquelle s’adaptait la hampe. Celle-ci était consolidée par des ligatures qui passaient dans les entailles transversales faites sur l’os, percé en outre d’un trou destiné à recevoir une cheville en place du clou rivé qui retient la hampe dans la douille en métal. /62/

Des pointes de flèche en os présentent les mêmes particularités que la pièce précédente. La forme de quelques-unes est aussi lancéolée (Pl. VI, 1, 2, 8, 9); d’autres sont munies d’un seul aileron en guise de harpon (Pl. VI, 4, 5); l’une est armée d’une pointe qui pénétrait dans la hampe (Pl. VI, 7, 17); quelques-unes s’adaptaient à celle-ci au moyen d’un épi (Pl. VI, 1, 2), et plusieurs ont un fini qui a lieu de surprendre pour des armes de jet, dont le chasseur et l’homme de guerre doivent faire le plus souvent le sacrifice. Il en était du reste de même des pointes de silex qui ne demandaient pas moins de travail, et il est à présumer qu’une partie des esquilles en os, aiguisées en poinçon, étaient aussi fixées dans des roseaux, en guise de flèche.

On a découvert à Concise quelques os évidés et terminés par un bouton, qui paraissent être l’armature des extrémités de l’arc, sur lesquelles se fixe la corde. (Pl. VII, 4.) L’arc étant de bois, n’a pas été retrouvé. — Quelques bois de cerf dépouillés d’une partie de leurs ramures, ont pu servir de casse-tête.

L’os a aussi été employé pour des ornements personnels, dont il reste encore quelques traces. Des épingles à cheveux sont déjà pareilles à celles de l’âge du bronze. (Pl. VII, 1, 3, 11.) Il faut sans doute attribuer la même destination à de petites tiges en os, arquées, pointues sur un bout et surmontées d’une tête de forme ovoïde. (Pl. VII, 2.) Ces pièces présentent une particularité. C’est un anneau peu distant de la pointe, ménagé, lors de la taille de l’os, sur le côté convexe de l’instrument. Si cet anneau, faisant corps avec l’épingle, était peu propre à laisser glisser celle-ci, il rendait du moins l’ajustement facile, en y passant un cordon. On retrouve du reste en Silésie, près de Camenz, des épingles en bronze d’un /63/ genre analogue, mais dont l’anneau est plus rapproché de la tête.

Un os, taillé en forme de virole, a exactement les dimensions d’une bague. Un autre, malheureusement brisé, poli avec soin et de forme arrondie, ne saurait être qu’un fragment de bracelet. (Pl. VII, 17.)

Des grains en os et en bois de cerf, percés d’un trou (Pl. VII, 13, 19), faisaient partie des colliers, dans la composition desquels entraient aussi quelques grains en pierre. (Pl. VII, 20.) Des andouillers, entaillés sur leur pourtour à des distances égales, étaient certainement destinés à la confection de ce genre de perle (Pl. VII, 5); d’autres grains détachés sont restés inachevés.

Un ornement beaucoup plus délicat consiste en de petites lamelles ovales, de 9 à 12 lignes de longueur, taillées sur l’émail de grandes dents et percées d’un ou deux trous pour les suspendre ou les fixer comme objets de parure. (Pl. VII, 15, 16.)

Des dents, celles d’ours en particulier, ont été percées ou entaillées de manière à être portées en guise d’ornement, mais vraisemblablement à titre d’amulettes, comme c’était encore le cas dans les époques postérieures et en particulier dans les derniers âges païens. (Pl. VII, 12, 18.)

La poterie de l’âge primitif présente à peu près partout les mêmes caractères, et elle ne diffère pas à Concise de celle des emplacements contemporains explorés en Suisse. D’après les fragments découverts et 6 vases à peu près intacts, la forme cylindrique était assez en usage; cependant plusieurs vases, arrondis à leur base, étaient privés de pied. (Pl. VII, 30, 31, 32, 33, 36.) On ne retrouve pas les supports d’argile employés plus lard; mais quelquefois de /64/ petites proéminences, percées de deux trous, permettaient de passer des cordons pour suspendre le vase, comme on le remarque dans la plus ancienne poterie du Nord. Cinq des pièces intactes ne mesurent que 1 à 2 pouces de hauteur, sur 15 lignes à 3 pouces de diamètre. Trois petits vases, 2 cylindriques, l’autre évasé, sont en os ou plutôt en bois de cerf. (Pl. VII, 25, 26, 28.) L’un, muni d’un petit tenon, faisant saillie sur le rebord, devait avoir un fond en bois assujetti par trois pointes dont on voit les trous sur la partie inférieure du vase.

Une boule sphérique, de la grosseur des deux poings, percée d’un trou et formée d’argile pétrie avec des charbons, rappelle les pièces regardées comme des balles incendiaires 1 .

La détermination des nombreux ossements recueillis à Concise sera d’un haut intérêt pour la faune du pays, à l’époque des premières habitations de l’homme. Le grand emploi qu’on a fait des bois de cerf montre déjà combien cet animal était commun, et l’on peut aussi se faire une idée, d’après la grandeur de ses bois, de la taille élevée qu’il devait atteindre. On a retrouvé l’élan, le chevreuil, l’ours, le sanglier, le castor, des carnassiers et des rongeurs divers. Entre les animaux domestiques, on remarque beaucoup de débris du bœuf. Le cheval en revanche était rare, mais une dent molaire que j’ai recueillie ne peut laisser de doute sur sa présence. Plusieurs ossements proviennent de la chèvre, du mouton et du chien.

C’est sans doute à la destruction des habitations ou à quelque lutte armée qu’on doit attribuer la présence au /65/ milieu de ces débris de trois fragments de crânes humains et de deux mâchoires, l’une d’homme et l’autre d’enfant. Il est à regretter que ces fragments soient trop incomplets pour pouvoir légitimer quelque induction sur la race à laquelle appartenait ce peuple primitif.

L’activité de la drague à vapeur n’a pas toujours permis d’étudier avec tout le soin désirable bien des restes dont l’œil est peu frappé, mais qui n’ont pas moins leur intérêt; par exemple les graines ou les fruits récoltés comme aliments. Je ne puis citer que la noisette, la faîne, le noyau de prune et la pomme. — Quelques filaments, peut-être de chanvre, sinon d’écorce d’arbre, ne laissent pas de doute sur leur emploi, si on les rapproche des aiguillettes en os.

Pendant les derniers jours des travaux exécutés à Concise, la drague, en s’avançant vers le nord-est de l’emplacement, a amené quelques objets en bronze, qui montrent que ces habitations lacustres ont été occupées jusqu’à l’introduction de ce métal. On a découvert en outre des instruments en pierre qui appartiennent à l’âge de transition, pendant lequel le métal, encore rare, servait à perfectionner les produits de l’industrie primitive.

Je n’hésite pas à envisager comme appartenant à cet âge de transition les haches et marteaux en serpentine, percés d’un trou dans lequel était fixé le manche de l’instrument. Ces pièces, rarement intactes, longues de 5 à 6 pouces, sont taillées en hache sur l’un des bouts et en marteau sur l’autre. (Pl. VIII, 1, 3.) D’après les fragments conservés, on voit qu’elles se brisaient assez souvent sur l’ouverture du manche (Pl. VIII, 2, 4, 5, 6, 7.), ce qui arrivait aussi au moment de leur fabrication. (Pl. VIII, 2, 4.) Ces fragments de pièces inachevées indiquent que le trou se faisait au moyen /66/ d’un poinçon qui creusait une rainure circulaire, de manière à ménager à l’intérieur un noyau de la forme d’un cône tronqué; et l’examen attentif des parois ne permet pas de douter que le forage n’ait été produit par un rapide mouvement de rotation. Ce mouvement a dû être imprimé à la pierre plutôt qu’au poinçon, qui aurait eu à décrire un cercle. Pour comprendre cette manière de forer, il suffit de rappeler que la fabrication des vases en pierre ollaire consiste à fixer les extrémités d’un bloc cylindrique entre les pointes d’un axe horizontal, de sorte qu’étant mis en rotation, il soit usé par un poinçon en métal doux, parallèle à l’axe. Ce poinçon est fixé au montant du tour, et on le fait avancer peu à peu. jusqu’à la profondeur voulue, dans la rainure qu’il creuse par le frottement. Il n’est pas nécessaire de décrire ici le procédé par lequel on ménage le fond du vase. Le noyau enlevé, placé de nouveau entre les pointes de l’axe, est évidé à son tour; et c’est ainsi qu’on obtient cette série de vases qui rentrent les uns dans les autres. Ce genre de tour, d’une simplicité primitive, doit remonter à une haute antiquité, car l’on sait que le tour est connu depuis des âges fort reculés. La collection de M. le baron de Neuberg, à Prague, renferme des haches en pierre trouvées avec leurs noyaux dans un lieu de fabrique de la Bohême. Ces noyaux, replacés dans les trous dont ils ont été enlevés, ce qui est facile à constater par les veines de la pierre, laissent si peu d’ébattement, qu’ils n’ont pu être détachés qu’avec une pointe en métal, et nullement avec un cylindre creux, qui n’aurait pu donner à l’ouverture sa forme sensiblement conique. Le fer doux, employé dans l’industrie moderne, était remplacé par le bronze, et il va sans dire que l’eau et le sable siliceux jouaient leur rôle dans cette opération. Si ce /67/ procédé pour forer la pierre a dû être employé dans bien des cas, il est du reste incontestable qu’il n’a pas été le seul. Plusieurs haches en pierre, provenant de diverses localités, ont été percées par des moyens plus primitifs; lorsque le trou n’est pas circulaire, il ne peut être question d’un mouvement de rotation. Une hache en serpentine, à deux tranchants, des environs d’Agiez, porte un trou ovale et irrégulier qui exclut l’emploi de tout procédé mécanique. On trouve assez de ces instruments inachevés pour montrer que le forage s’est pratiqué par des moyens très divers.

Quelques poinçons en cuivre ou en bronze d’un faible alliage, de 8 lignes à 3 pouces de longueur, arrondis ou à quatre pans, sembleraient au premier abord avoir pu servir à percer la pierre; mais, outre leur ténuité, des pièces du même genre se retrouvent à une époque où les haches primitives n’étaient plus employées. (Pl. VIII, 19, 21.)

Huit épingles en bronze, longues de 25 lignes à un pied, sont surmontées de têtes sphériques, coniques ou en forme de fuseau. Elles portent en général de fines gravures étrangères au début de l’art. (Pl. VIII, 17, 20, 22 à 26.)

Une fibule, privée de son ardillon, faite avec un fil de bronze dont chaque extrémité a été enroulée en spirale plate, présente la figure de lunettes. (Pl. VIII, 13.)

Une virole (Pl. VIII, 14), trois petits anneaux (Pl. VIII, 15, 18), un bouton convexe (Pl. VIII, 12), un grain de collier (Pl. VIII, 29), et un couteau (Pl. VIII, 27), complètent la série des instruments en bronze trouvés à Concise. Le couteau, long de 7 pouces et 2 lignes, élégamment arqué, est orné sur le dos de stries et de chevrons, et sur les deux côtés de la lame, de lignes parallèles, de pointillages et d’arcs de cercle.

Au commencement du siècle, M. le capitaine Pillichody /68/ avait déjà découvert, non loin de cet emplacement, un peu plus avant dans le lac, auprès des restes d’un canot submergé et de pilotis encore saillants au-dessus de la vase, une belle épée en bronze, qui a été déposée dans le musée de Neuchâtel. (Pl. IX, 10.) Les habitations de l’âge de la pierre paraissent ainsi avoir été détruites au moment de l’introduction du bronze, dont on n’a retrouvé qu’une vingtaine d’objets, tandis que les autres ont été recueillis par milliers.

Après cette destruction, de nouvelles habitations s’élevèrent pendant l’âge du bronze à une plus grande distance de la rive. Malgré leur haute antiquité, la plus grande conservation des pilotis indiquerait à elle seule une époque postérieure, qui a cependant pris fin dans les âges antéhistoriques. D’autre part, l’épaisseur de la couche artificielle qui recouvre le premier emplacement représente une période assez étendue dont l’origine se perd dans la nuit des temps, et remonte probablement aux premières migrations de l’Orient à l’Occident.

Le limon sous lequel se trouvaient les pilotis de Concise doit recouvrir sur bien d’autres points les débris du premier âge, et plus d’un emplacement situé vers l’embouchure des torrents a disparu sous les alluvions accumulées dans le cours des siècles. C’est ce qui est arrivé sur les deux points suivants, occupés sans doute dès l’âge de la pierre, et envahis l’un et l’autre par des dépôts torrentiels.

Les eaux du lac de Neuchâtel baignaient autrefois la localité où est maintenant le village d’Yvonand, entre Yverdon et Estavayer. L’ancien golfe, comblé peu à peu par le torrent de la Mantue, avait aussi ses habitations lacustres, dont on a retrouvé les pilotis à 12 pieds de profondeur, en creusant des puits dans le hameau de Mordagne, près d’Yvonand. /69/ Bien qu’on n’ait pas recueilli d’objets d’industrie, on ne peut douter de la haute antiquité de ces restes de construction, situés à environ 1100 pieds de la rive actuelle du lac et recouverts de 10 à 12 pieds d’alluvions, sur lesquelles les Romains ont bâti de riches villas. On retrouve dans les jardins et les vergers de Mordagne des mosaïques, des fûts de colonnes cannelés, de petits chapiteaux en bronze, des statuettes, des poteries et de nombreuses médailles. Ces ruines n’ayant point été recouvertes par les alluvions du torrent, il en résulte que les dépôts accumulés sur les pilotis sont antérieurs à ces constructions romaines, ce qui fait remonter d’autant plus haut l’époque des habitations lacustres au-dessus desquelles s’élevaient déjà, au commencement de notre ère, des édifices dont la richesse contraste avec l’indigence primitive.

La plaine située entre Cortaillod et Colombier est d’une formation pareille à celle d’Yvonand, mais, sa largeur étant beaucoup plus considérable, les couches d’alluvions de la Reuse ont perdu en épaisseur ce qu’elles ont gagné en surface. On trouve dans la campagne du Grand Verger 1 , près du Bied, un pied de terre végétale sur des couches de terre blanche, de fin sable, de marne bleuâtre et de légères traces de tourbe, dont l’épaisseur totale est de 2 pieds. Au-dessous, c’est-à-dire à 3 pieds de profondeur depuis la surface du sol, apparaît l’ancien gravier du lac dans lequel sont des pieux pareils à ceux qu’on voit encore sous les eaux, en face du Bied. Ces pilotis, découverts en creusant des fondements pour les constructions du Grand Verger, sont /70/ éloignés de plus d’un millier de pieds de la rive actuelle du lac, en sorte que la retraite des eaux, occasionnée par les dépôts de la Reuse, a été à peu près la même qu’à Yvonand, depuis l’époque reculée où des habitations lacustres s’élevaient dans des golfes changés en promontoires. J’ignore si l’on trouve des ruines romaines dans cette partie de la plaine, mais l’emplacement du Bied, occupé avant l’ère chrétienne, est assurément bien moins ancien que celui du Grand Verger, vu l’étendue des alluvions qui séparent ces deux points.

 

Vallée de l’Orbe.

La plaine marécageuse qui s’étend d’Yverdon à Entreroches a été quelquefois envisagée comme étant de formation antéhumaine. Cependant la tradition populaire prétend conserver le souvenir d’un temps où le fond de la vallée était navigable, et c’est à l’appui de cette idée qu’elle mentionne l’existence de prétendus anneaux auxquels on aurait autrefois amarré les bateaux à Entreroches et sous le château d’Orbe 1 . Nul ne met du reste en doute que cette plaine n’ait été gagnée sur les eaux, mais ce qu’il est plus difficile de déterminer, c’est la durée de cette formation, produite par la marche envahissante des tourbes et des alluvions sur le /71/ bassin du lac d’Yverdon. Dans tous les cas, il a dû s’écouler bien des siècles avant que les cours d’eau qui descendent du Jura, d’une part, et du Jorat de l’autre, aient déposé leurs alluvions en barrages dans la vallée, de manière à diviser l’ancienne tête du lac en bassins de diverses grandeurs, que l’accroissement de la tourbe a fini par combler peu à peu 1 . A ces barrages alluviens de la rivière de l’Orbe et de ses affluents, dont on peut comparer la disposition à celle des nervures d’une feuille d’arbre, il faut ajouter l’action des dunes transversales, formées par le lac, et sur l’une desquel les s’éleva plus tard l’antique Eburodunum. Dans le fond des tourbières qui se formèrent entre ces diverses digues on a trouvé sur plus d’un point des pièces de bois travaillées par la main de l’homme; mais la découverte la plus intéressante est celle d’habitations lacustres dont les restes sont pris dans la tourbe que M. Simon, syndic d’Yverdon, fait exploiter vers les Uttins, au pied du mont de Chamblon, qui s’élève au milieu des marécages comme un îlot dans la vallée.

Auprès de ce mont, du côté du lac, on trouve, à 4 pieds environ de profondeur, des troncs d’arbres et d’arbrisseaux qui dessinent une ancienne rive, et, à une centaine de pieds de celle-ci, des pilotis plantés verticalement dans le sol, sous 8 à 10 pieds de tourbe. La difficulté d’écouler les eaux n’a pas permis de faire des fouilles à cette profondeur; cependant les ouvriers occupés à l’exploitation ont sorti du milieu des pieux deux petites haches de serpentine, en forme de coin, et une pointe de flèche en silex parfaitement intacte 2 . /72/

Non loin de là, dans le marais de Valeyres, on trouve à 4 pieds sous la surface du sol, de larges pièces de bois couchées horizontalement, à environ 10 pieds de distance les unes des autres, avec d’autres solives, pareillement horizontales, placées à angle droit de manière à former des carrés réguliers. Ces débris ne sont pas sans rapports avec ceux de Robenhausen et entre autres de Wauwyl.

Aux Clettes, entre les villages de Chamblon et de Montagny, une couche de 7 pieds de tourbe recouvre des pieux de chêne et de bouleau, plantés verticalement, qui mesurent 8 à 10 pouces de diamètre sur 3 pieds de longueur. Leur extrémité inférieure, terminée en pointe, porte les entailles grossières d’une hache imparfaite 1 .

Peut-être faut-il attribuer à l’une de ces localités une fort belle emmanchure de hache, en bois de cerf, trouvée à Yverdon, dans le lit de la Thièle, où elle peut avoir été entraînée par le cours d’eau, voisin des Uttins, qui se jette dans la rivière, à moins qu’elle ne provienne d’autres habitations dont on ignore l’emplacement. (Pl. IV, 15.)

L’intérêt qui se rattache à la découverte de ces pilotis ne consiste pas tant dans les objets recueillis que dans leur position exceptionnelle à une assez grande distance du lac. /73/ Il est évident que lorsqu’on les planta, les eaux s’avançaient dans la vallée jusqu’au mont de Chamblon, au pied duquel existent encore les traces d’une ancienne rive, et, si les pilotis n’avaient pas été plantés dans les eaux, on ne comprendrait pas leur utilité pour des habitations sur terre ferme, vu la légèreté des constructions de l’âge de la pierre; d’autre part, les objets découverts ne se seraient point trouvés à une dixaine de pieds de profondeur dans la tourbe. L’époque à laquelle Chamblon dominait ces cabanes de pêcheurs, doit remonter à une haute antiquité, car l’emplacement de la cité romaine d’Eburodunum était alors entièrement recouvert par les eaux, et cependant cette dénomination celtique 1 indique qu’il existait déjà sur ce point un établissement plus ancien que celui des Romains.

Pour fixer d’une manière approximative le moment auquel les habitations de Chamblon cessèrent de répondre à leur première destination par le fait de la retraite du lac, il faudrait avoir dans la vallée un point d’un âge déterminé, qui pût servir de terme de comparaison afin d’apprécier la marche rétrograde des eaux durant un certain nombre de siècles. Or ce point nous est donné par les ruines d’Eburodunum, disposées sur une dune transversale ou cordon littoral qui s’étend du pied du Jorat à la Tbièle 2 . Entre la /74/ dune et le lac, sur l’espace occupé en partie par la ville d’Yverdon, on ne retrouve aucune trace d’antiquités romaines; d’où il résulte qu’au commencement de notre ère le lac devait être beaucoup plus rapproché de la cité. En admettant qu’à la fin du IVe siècle les eaux baignassent encore les murs du castrum eburodunense, il aurait fallu environ 15 siècles pour la formation de la zone qui sépare ces ruines de la rive actuelle. Cette zone, mesurant en moyenne 2500 pieds de largeur, il suffit d’ajouter que les pilotis de Chamblon étant au moins à 5500 pieds du lac, la formation de cet espace a dû exiger 33 siècles, ce qui reporte au XVe siècle avant notre ère le dernier moment du séjour des eaux sous Chamblon. Ce chiffre dépasse sans doute de beaucoup la date plus ou moins vacillante à laquelle on rattache l’arrivée des premiers habitants de l’Helvétie, mais il n’est point permis de conclure de l’absence de renseignements écrits la non-existence de populations que l’histoire a négligé d’enregistrer. Si les limites de ce travail le permettaient, il serait aisé de citer de nombreux faits propres à divers pays de l’Europe, d’après lesquels on verrait que ce chiffre n’est point exagéré; du reste, l’historien des Gaulois, M. Amédée Thierry, fait remonter ses récits à 16 siècles avant l’ère chrétienne, indépendamment de toute donnée archéologique, et l’on attribue à une antiquité plus reculée la fondation des premières cités de la Grèce. /75/

Pour en revenir au calcul relatif à la formation de la vallée entre Chamblon et le lac, il importe d’ajouter que rien ne fait soupçonner, pendant l’époque humaine et antérieurement à notre ère, des conditions d’accroissement différentes de celles qui ont eu lieu postérieurement aux Romains; le résultat obtenu est même un minimum, vu que la vallée va se rétrécissant du côté du lac et que nous avons admis la présence de celui-ci au pied même d’Eburodunum dans le IVe siècle de l’ère chrétienne, tandis qu’il est probable que la retraite des eaux n’a pas été insensible depuis le moment où les Romains se sont fixés sur ce point. On pourrait objecter que la zone comprise entre les ruines romaines et le lac est formée d’alluvions, tandis que des tourbières coupées par des dunes séparent ces ruines du mont de Chamblon. Ici encore, il suffit de faire observer que de nos jours la retraite du lac a lieu d’une manière uniforme devant les marécages qui se trouvent entre le lac et la route de Grandson, et devant les alluvions de la Thièle et du Buron 1 .

On a souvent posé la question de savoir si le niveau du lac ne tend pas à se modifier sensiblement à travers le cours des siècles. Pour répondre à cette question, il faut d’abord la limiter à l’époque humaine. Cette variation, si elle existe, est à peu près insensible, car le rivage du pied de Chamblon, dessiné par les troncs et les racines d’arbrisseaux, répond à la hauteur de la rive actuelle. D’autre part, la surface de la tourbe qui recouvre les pilotis est de quatre à cinq pieds au-dessus du niveau moyen du lac, et les pilotis qu’on retrouve à une profondeur de huit à dix pieds seraient de /76/ nos jours sous environ cinq pieds d’eau, si celle-ci s’étendait encore dans la vallée; c’est précisément la profondeur à laquelle se trouvent plusieurs des pilotis de l’âge du bronze vis-à-vis de Corcellettes, et si d’autres descendent plus bas, dans le lac, rien ne nous dit qu’il n’en soit pas de même dans le marécage. On peut donc conclure que depuis plus de 5000 ans le niveau est resté le même. Toutefois il importe d’ajouter qu’il y a eu une hausse momentanée de plusieurs pieds, pendant la période romaine, mais qui provient d’un barrage dans le lit de la Thièle au delà de Nidau 1 . Le fait est qu’on retrouve sur l’emplacement d’Eburodunum deux couches de ruines romaines séparées par des dépôts stratifiés de sable et de gravier 2 . Des dépôts du même genre recouvrent des débris romains dans la vallée de la Broye, en-dessous de Missy 3 . On a pensé que cet exhaussement des /77/ eaux avait été produit pour faciliter la navigation au pied du Jura, mais, dans ce cas, le niveau n’aurait pas été élevé de manière à inonder les habitations. Il est plus probable, vu les ruines et les traces d’incendie existant sous ces dépôts alluviens, que cette inondation est le résultat de quelque ruse de guerre des barbares qui envahirent l’Helvétie dans le IIIe siècle de notre ère 1 .

Ces traces d’inondation ont pu induire en erreur sur le changement du niveau des eaux, mais en réalité il ne paraît pas avoir subi de modification sensible depuis trois à quatre mille ans.

S’il est intéressant de recueillir les données qui permettent de se faire une idée du temps qui a dû s’écouler depuis cette période primitive jusqu’à nos jours, il importe cependant d’ajouter que le résultat de ces calculs ne peut être présenté comme rigoureux. Toutefois, si des observations de ce genre se multiplient dans des lieux divers et conduisent à des conclusions analogues, on pourra arriver à des dates approximatives d’une assez grande vraisemblance.

 

Lac Léman.

Les nombreux pilotis découverts sur les rives du Léman appartiennent essentiellement à l’âge du bronze, à en juger /78/ par les produits de l’industrie recueillis jusqu’à ce jour. Au premier coup d’œil, on serait porté à admettre que la population de l’âge de la pierre ne s’est point établie sur ces rives pendant la période la plus ancienne; cependant, si l’on examine attentivement les emplacements à pilotis, on a lieu d’être surpris de la différence de conservation des pieux, et par conséquent d’une différence sensible d’antiquité. Sur quelques points, où l’on trouve le bronze sans traces de fer, les pieux les mieux conservés ont jusqu’à 5 et 6 pieds de longueur au-dessus du limon, tandis qu’on en voit d’autres, d’un diamètre d’environ 8 pouces, qui ont été usés par l’action de l’eau jusqu’à la surface de la vase, où ils n’apparaissent plus que comme des disques noirâtres (Pl. II, 4), ainsi qu’on le remarque sur les emplacements les plus anciens du lac de Neuchâtel. Parfois de grands pieux s’élèvent tout auprès de ces derniers, qu’ils ont sans doute remplacés. Dans tous les cas, il est évident que les plus longs ont été plantés pendant l’occupation de ces points, et, en admettant qu’ils ne remontent qu’à la fin de la période du bronze, on conçoit que l’usure des pieux voisins, qui est à peu près double de celle des précédents, baignés par 10 à 12 pieds d’eau, a dû exiger un temps extrêmement long, en sorte qu’il est probable que plusieurs des points occupés dans l’âge du bronze l’ont déjà été précédemment.

Un autre indice de la haute antiquité de ces habitations sur les bords du Léman ressort de la présence de pilotis sous des dépôts torrentiels, non moins considérables que ceux d’Yvonand et du Grand Verger. En creusant un puits à Vevey, au-dessus de l’église de Sainte-Claire, il y a une quarantaine d’années, on trouva, à 34 pieds de profondeur, une rangée de pilotis et un tronc de sapin couché sur un /79/ fin limon pareil à celui que la sonde amène du fond du lac, quand on la jette à 200 pas du rivage. Un second tronc, coupé au-dessus de ses racines et enfoui dans le limon, gisait au fond d’un puits voisin, à 30 pieds sous la surface du sol 1 . Une hache en pierre découverte dans la même localité, mais à une profondeur moins considérable, ne saurait être plus ancienne que les pieux au-dessus desquels elle a été perdue. C’est aussi sur l’emplacement situé entre Sainte-Claire et Saint-Martin que se trouvent les ruines de la station romaine de Vibiscum, séparées des anciens pilotis par une couche d’alluvions de 30 pieds et plus d’épaisseur. On conçoit qu’il a dû s’écouler bien des siècles avant que le torrent de la Veveyse ait accumulé tous ces dépôts, et cependant cette accumulation a eu lieu antérieurement à notre ère, ce qui ressort des constructions romaines qui, de même que celles de Mordagne, n’ont point été recouvertes par les alluvions.

Les travaux de chemin de fer à Villeneuve ont amené plusieurs découvertes intéressantes. Les tranchées du cône de déjection de la Tinière ont mis au jour des gisements successifs d’objets d’industrie. Le moins profond, de 4 à 6 pieds sous la surface du sol, remonte à l’époque romaine; 6 pieds plus bas, une couche de cendre et de charbons provient de l’âge du bronze; enfin, à 20 pieds de profondeur, d’autres débris paraissent appartenir à l’âge de la pierre.

On a découvert, en 1857, à la gauche du cône de la Tinière /80/ et non loin de la gare, une rangée de 8 pieux, plantés dans une couche de limon bleuâtre qui contenait des débris de bois flotté, des mollusques et un fragment de poterie, indiquant le niveau ancien des basses eaux. Ce limon, recouvert par le gravier des hautes eaux, apparaissait à 10 pieds 6 pouces sous la surface du sol, avant les travaux de déblais entrepris ces dernières années, et les pilotis se trouvaient à 1416 pieds de la rive actuelle du lac par les basses eaux, en sorte que tout l’emplacement occupé par la gare et la ville actuelle était baigné par le lac quand l’homme a pénétré dans ces contrées 1 .

On voit en face de Nernier, sur la côte de Savoie, à peu de distance de la rive et à une profondeur de 6 pieds par les basses eaux, quelques pieux d’un diamètre de près d’un pied. L’un, vide à l’intérieur, se trouve au milieu des pierres de la grève et, à quelques toises au couchant, les pilotis entrent dans la terre ferme où ils apparaissent dans le lit d’un petit canal, dont le filet d’eau se convertit en torrent par les grandes pluies. On en a même découvert en creusant un puits à l’occident du temple de Nernier, à une distance de 55 pas de la grève du lac. Il résulte de la disposition de ces pieux que le rivage pénétrait autrefois plus avant dans les terres et que les alluvions sur lesquels /81/ s’élève une partie du village actuel ont été déposées postérieurement à l’établissement de l’homme dans cette contrée. Il est à regretter qu’on n’ait encore découvert aucun objet d’industrie auprès de ces pieux, mais il n’est pas impossible que l’emplacement voisin qui se trouve à quelques minutes au couchant de Nernier, près de Messeri, ait été choisi pour se mettre à l’abri des alluvions. Les pilotis de ce dernier lieu, beaucoup mieux conservés que les précédents, datent de la période du bronze.

On retrouve ainsi à Vevey, à Villeneuve et à Nernier, des pilotis séparés de la rive actuelle du lac par des formations qui remontent à une haute antiquité, et tout permet de supposer qu’ils ne sont point étrangers à l’âge de la pierre. D’autres emplacements, rapprochés de cimetières de la première période, ne sont probablement pas sans rapports avec ceux-ci.

Les habitations lacustres qui s’élevaient vis-à-vis de Thonon ont été occupées pendant l’âge du bronze. Si l’on ne peut affirmer qu’elles aient existé dans la période précédente, il n’en est pas moins certain que la contrée de Thonon était déjà habitée, car on a retrouvé au levant de la ville, sur le bord du lac, plusieurs tombeaux qui ne contenaient que des couteaux en silex et des instruments en pierre.

Le canton de Vaud possède aussi quelques cimetières du premier âge. Deux entre autres, non loin de Lutry et de Pully, dépendaient peut-être de quelque village lacustre du voisinage. Le premier, découvert dans les vignes du Châtelard, propriété de M. J. Correvon, au levant de Lutry, comptait encore, il y a quelques années, une trentaine de tombes, dans lesquelles se trouvaient 2 grandes pointes de lance en /82/ silex et 2 pierres sphériques de 4 pouces de diamètre, percées chacune d’un trou. Le second cimetière, situé sur la colline de Pierre-à-Portay, entre Pully et Lausanne, contenait aussi des instruments en silex et en stéatite, sans aucune trace de métal 1 .

La découverte de divers instruments en pierre enfouis dans le sol, l’existence de plusieurs cimetières primitifs et l’occupation des grottes du Salève pendant le premier âge, ne permettent pas de douter que la présence de l’homme sur les bords du Léman ne soit aussi ancienne que sur les rives des autres lacs de la Suisse. Quand on voit l’habitant de l’Helvétie occidentale construire ses demeures au-dessus de la surface des eaux qui baignent le pied du Jura, depuis Bienne jusqu’au mont de Chamblon, on ne comprendrait pas que le riverain du Léman, éloigné de 4 à 5 lieues seulement des bourgades précédentes, n’ait pas eu les mêmes usages. On doit donc envisager les pilotis usés jusqu’à la surface de la vase ou pris sous d’épaisses couches d’alluvions, comme remontant à l’âge de la pierre. Jusqu’à la découverte de Concise, les bords du lac de Neuchâtel ne présentaient que les indices d’une occupation primitive, indices suffisants sans doute pour constater que les constructions de la première période ne lui étaient point étrangères, mais les débris nombreux amenés à l’improviste par la drague sont venus montrer que le canton de Vaud a eu des bourgades de la même importance et de la même antiquité que la Suisse allemande. On doit conclure de tout ce qui précède que des découvertes du même genre ne tarderont pas à avoir lieu sur les rives du Léman. /83/

 

Lacs d’Inkwyl et de Nüssbaumen,

dans les cantons de Berne et de Thurgovie.

Un autre genre de constructions lacustres, quelque peu différent de celui dont on vient d’examiner les débris, se retrouve dans les petits lacs d’Inkwyl et de Nüssbaumen. Les habitations, au lieu de s’élever immédiatement au-dessus de l’eau, reposaient sur un îlot de terre dont la partie supérieure seulement est artificielle. Des pieux recouvraient la surface de l’île et entouraient ses rives. Quant aux cabanes, rien ne permet de supposer qu’elles aient été différentes de celles des autres emplacements.

On comprend qu’on a dû utiliser les îlots et les bas-fonds d’un accès facile, et que ces derniers ont pu être exhaussés par l’accumulation de matériaux de manière à mettre leur surface à sec.

Le lac d’Inkwyl, d’environ 20 minutes de tour, est situé dans un marécage, à une lieue d’Herzogenbuchsee, sur la frontière des cantons de Berne et de Soleure 1 . Sa plus grande profondeur ne dépasse pas 30 pieds, et, malgré son peu d’étendue, il est très poissonneux. Au milieu de ce petit bassin est une île en partie artificielle et à peu près circulaire, d’un diamètre d’environ 50 pieds. Des pieux de chêne, distants de 3 à 4 pieds, sont répandus sur la surface de l’île, peu élevée au-dessus de l’eau, et en occupent aussi le pourtour. On découvre beaucoup de bois décomposé, jusqu’à une profondeur de 6 à 7 pieds, ainsi que des /84/ traverses qui paraissent avoir relié les pilotis extérieurs. Quelques-uns de ceux-ci, se dirigeant vers la rive du lac la plus rapprochée, sont sans doute les restes d’un pont.

Cet emplacement, découvert par M. Morlot en 1854, a été fouillé depuis par le propriétaire de l’île, M. Roth, et par M. Amiet, président du tribunal de Soleure. Les antiquités provenant de ces fouilles sont, entre autres, des marteaux en pierre, des haches, des coins de serpentine et de néphrite, des emmanchures en bois de cerf, des pointes de flèche en silex du Jura, ainsi que divers instruments, des meules, des pierres à polir, des poinçons en os, des fragments de poterie et des pesons de fuseau. Une pièce cônique en argile, dont la base ovale semble avoir fait l’office de sceau d’un genre, il est vrai, très primitif, est sans doute d’une antiquité moins reculée.

La tradition rapporte qu’un pêcheur doit avoir sorti du lac, avec son filet, un vase en bronze qui n’a pas été conservé. M. le docteur Keller rapporte aussi qu’on a découvert sur l’île quelques objets en fer qu’il pense devoir être de l’époque romaine.

D’après une communication de M. Morlot, le petit lac de Nüssbaumen possède un emplacement pareil à celui d’Inkwyl, consistant en une île artificielle, entourée de pilotis, et dont la surface mesure 110 pieds de longueur sur 60 de largeur.

Les habitations lacustres de la Suisse présentent ainsi quelques variétés de construction qu’on retrouve pareillement dans d’autres pays de l’Europe. Ce dernier genre d’îlots, plus ou moins artificiels, est particulièrement propre à l’Irlande, qui possède un grand nombre de ces emplacements, dont les lacs d’Inkwyl et de Nüssbaumen fournissent un spécimen. /85/

 

FRANCE.

Le petit nombre des lacs de la France n’a pas permis aux premiers habitants des Gaules de construire leurs demeures exclusivement sur les eaux, mais on ne sait pas encore jusqu’à quel point les rives des fleuves ont suppléé à celles des lacs, ni quel est le nombre des bassins envahis par la tourbe depuis que l’homme a pénétré en Occident. Il est probable cependant que quelques-unes des découvertes remarquables faites par M. Boucher de Perthes, sur les bords de la Somme, proviennent d’habitations lacustres. Telle est l’opinion de M. Ch. Petersen, professeur à Hambourg, qui m’écrivait le 27 octobre 1858: « Ou est sûr de reconnaître les constructions sur pilotis dans les faits énigmatiques des environs d’Amiens, où les bardeaux des toits étaient même conservés, ainsi qu’un fragment de planche. »

M. Boucher de Perthes a trouvé, en effet, près d’Abbeville, 1 des débris de l’âge de la pierre, recouverts de couches d’alluvions et de tourbe, formées postérieurement à ces dépôts, enfouis à plusieurs mètres au-dessous du niveau de la Somme. Sur divers points, des madriers de chêne grossièrement équarris et disposés en planchers ou en plateformes à clairevoie, rappellent les esplanades des habitations lacustres de la Suisse. Il manque cependant l’indication de pilotis, mais ils ont pu passer inaperçus, vu la difficulté de /86/ fouiller dans des tranchées de 8 à 12 mètres de profondeur, envahies par les eaux, qui ne pouvaient être enlevées qu’à l’aide de la pompe. La profondeur à laquelle se trouvent ces débris permet aussi de supposer que les demeures qui s’élevaient sans doute sur ces bassins, comblés plus tard par les alluvions et la tourbe, étaient construites sur des radeaux flottants, d’après l’usage des anciens Mexicains et des Chinois actuels, ce qui expliquerait l’absence de pilotis. Quoi qu’il en soit, les débris de l’industrie, trouvés avec ces planchers, sont fort pareils à ceux de la Suisse. Ce sont des haches en pierre, des gaines ou emmanchures en bois de cerf, parfois armées d’une dent de sanglier, des scies, des couteaux et de nombreux éclats de silex qui paraissent provenir de la fabrication des instruments, faite sur place. M. Boucher de Perthes a aussi découvert sur les mêmes points des poignards, des poinçons et des épinglettes en os ou en bois de cerf, des os calcinés et des charbons, débris du foyer. Les vases sont d’une argile grossière, pétrie avec de petites pierres; quelques-uns portent à l’extérieur des marques du feu. Des noisettes étaient réunies en provisions abondantes, et les ossements d’animaux, souvent brisés, appartiennent en partie à l’urus, au sanglier, au cheval, au bœuf, au chien et au castor.

D’autres indices d’habitations lacustres, propres à la France, se rapportant à des âges postérieurs, seront mentionnés plus loin. /87/

 

IRLANDE.

Crannoges ou îlots en bois.

M. Wilde, membre de l’académie royale de Dublin, découvrit en 1836, en Irlande, une île palissadée qui a été le point de départ des recherches que ce savant a publiées en 1857. Les travaux entrepris pour le dessèchement des marécages ont mis au jour beaucoup d’emplacements situés autrefois au milieu des eaux, et qui remontent en général à la plus haute antiquité. Ces constructions, différentes de la plupart de celles de la Suisse, répondent cependant à des usages pareils, et donnent une idée de ce qu’étaient les habitations qui s’élevaient sur les îlots d’Inkwyl et de Nüssbaumen.

Les Irlandais donnent le nom de crannoge à des îlots rendus habitables par des constructions en bois. Les points le plus souvent utilisés dans ce but sont des bas- fonds de marne ou d’argile, inondés en hiver et à sec en été. Pour les rendre habitables, on les a recouverts soit de tiges de chêne, couchées horizontalement, soit d’une couche plus ou moins forte de pierres brutes, qui sont quelquefois disposées en mur sec le long de la rive, soit enfin de pièces de bois parallèles ou rayonnantes, placées au niveau des plus hautes eaux et consolidées avec des cailloux. Le pourtour de l’îlot, de forme généralement circulaire, sur un diamètre de 60 à 200 pieds, est entouré de pieux de 4 à 9 pouces de diamètre, plantés dans la vase, et dont la partie qui s’élevait au-dessus /88/ de l’eau était originairement garnie de branches entrelacées, paraissant avoir formé une espèce d’abri ou de rempart. Dans quelques cas, cette palissade extérieure est le produit d’une industrie plus avancée. On déposait sur le limon des sablières horizontales, sur lesquelles s’emboîtaient des poteaux perpendiculaires, unis à leur sommet par des poutres parallèles aux premières pièces. — Ces crannoges étaient mis en rapport avec la rive au moyen d’une jetée ou d’un pont sur pilotis, ou bien à l’aide d’un canot, qui gît actuellement dans la vase, vers la plupart de ces îlots. (Pl. II, 1, 3.)

On retrouve toujours au centre des crannoges les traces d’un foyer formé de plusieurs pierres plates; sur les emplacements les plus considérables, il existe 2 ou 3 foyers distincts. Quelques-uns de ces établissements présentent des parties séparées par des rangées de pieux contre lesquels on a fixé des plateaux ou des planches. Ces espèces de chambres contiennent souvent une couche d’ossements qui mesure jusqu’à un pied d’épaisseur. D’autres fois ceux-ci remplissent des creux pratiqués dans le sol primitif, et sont recouverts par le lit de cailloux destiné à exhausser l’îlot naturel. Le nombre des ossements est souvent si considérable qu’on en a sorti jusqu’à mille quintaux d’un seul crannoge. Les espèces dont on retrouve les débris sont essentiellement le bœuf, le cochon, la chèvre, le mouton, le chien, le chevreuil, le renard et aussi le cheval et l’âne. Le grand élan irlandais et le bœuf aux cornes courtes, dont les races sont éteintes, ont été découverts sur quelques points.

La surface des crannoges offre de nombreux instruments des espèces les plus diverses, en pierre, en os, en bois, en bronze et en fer; des vases d’argile, des pierres à aiguiser, /89/ des meules de moulin, des haches, des ciseaux, des couteaux, des pointes de lance et de trait, des poignards, des épées, des chaînes, des débris de harnais de cheval et des ornements parmi lesquels se retrouvent aussi des coraux. Les canots en chêne, qui gisent dans le limon, sont pareils à ceux des emplacements lacustres de la Suisse.

On voit que l’occupation des crannoges a été de plus longue durée que celle des habitations décrites dans les pages précédentes. Des pilotis recouvrent souvent d’autres pilotis plus anciens. Des foyers sont étagés à des hauteurs diverses, soit par affaissement, soit par le dépôt de nouvelles couches. Les débris de l’industrie furent engloutis successivement par l’action de l’eau et la formation de la tourbe. Tout montre que ces emplacements ont été occupés pendant des siècles nombreux. Leur origine remonte à l’âge de la pierre, époque pendant laquelle vivaient des animaux d’espèces actuellement éteintes. Les crannoges ont traversé l’époque du bronze, et longtemps après ils étaient encore en usage. Les annales irlandaises les mentionnent même très fréquemment, à partir du Vme siècle de notre ère jusqu’à l’an 1610. D’après ces divers rapports, les crannoges étaient de véritables forts qui ont été parfois saccagés et brûlés, et que les coups de vent jetaient aussi à l’eau. Dans le comté de Monaghan, chaque chef avait son crannoge. La chronique les mentionne comme les défenses du nord de l’Irlande et comme des lieux de refuge où les chefs mettaient en sûreté leurs gens, leurs troupeaux et leurs trésors. M. Wilde pense que ces places isolées ont souvent été les retraites fortifiées de brigands qui s’y retiraient avec le bétail et le butin enlevés à l’ennemi 1 . /90/

Les crannoges paraissent ainsi avoir eu la même destination que les châteaux forts et les tours de refuge du moyen âge. Ils sont le fait d’un état social qui portait chaque chef à veiller à sa sûreté et qui favorisait le droit du plus fort. Dès que l’Irlande reçut ses premiers habitants, on éprouva sans doute le besoin d’avoir des retraites sûres contre les animaux sauvages, mais la destination primitive de ces îlots artificiels a pu recevoir plusieurs modifications dans le cours des siècles, suivant les diverses organisations sociales qui se sont succédé.

Si l’on rapproche à ce point de vue les habitations lacustres de la Suisse des crannoges de l’Irlande, on ne peut douter que ces constructions de l’ancienne Helvétie n’aient eu aussi pour but de faciliter la défense à une époque où il n’existait certainement pas une autorité assez fortement constituée pour protéger l’ensemble de la nation. Cependant les habitations lacustres de la Suisse se distinguent, à plus d’un égard des îlots artificiels de l’Irlande. Ceux-ci ressemblent à des châteaux-forts par leurs petites dimensions, tandis que les autres ont plutôt le caractère de bourgades; le crannoge était surtout un fort réservé au chef ou une place de refuge occupée temporairement. Les habitations lacustres étaient de véritables établissements habités par la population riveraine, qui y construisait ses cabanes, y déposait ses approvisionnements et y exerçait son industrie. Les îlots artificiels, surtout propres à la défense, ont subsisté jusqu’au XVIIme siècle. Les bourgades lacustres n’ont pu avoir une /91/ aussi longue durée, vu qu’elles répondent aux mœurs générales d’une population dont les usages primitifs devaient disparaître beaucoup plus anciennement.

 

ANGLETERRE.

Les habitations lacustres du genre le plus répandu en Suisse ne sont point exclusivement propres à ce pays. Bien que les recherches soient encore extrêmement incomplètes, on retrouve dans le nord de l’Europe plusieurs vestiees de ces constructions sur pilotis, qui remontent à l’âge de la pierre, période particulièrement riche en monuments funéraires répandus sur le littoral des grandes eaux.

Le Journal de la Société géologique de Londres publiait, en 1856, la description des couches de tourbe d’un petit lac du comté de Norfolk, dans lesquelles on a trouvé diverses traces de l’industrie humaine, qui se rattachent évidemment au sujet qui nous occupe 1 . A 6 milles au nord de Thetford, s’étendent de vastes plaines sablonneuses, peu élevées au-dessus de la mer, et où l’on voit plusieurs flaques d’eau sans écoulement sur leurs bords. L’un de ces bassins, d’une surface d’environ 48 acres, occupe une dépression naturelle du sol. Après avoir vidé l’eau au moyen de machines, on s’est assuré que la tourbe descendait sur quelques points jusqu’à 20 pieds de profondeur. A 5 ou 6 pieds sous la surface de cette couche tourbeuse, et rarement plus bas, on a trouvé beaucoup de bois de cerf, dont les uns étaient attenants aux /92/ crânes, tandis que les autres paraissent être tombés naturellement. D’entre les premiers, plusieurs avaient été sciés au-dessus du premier andouiller, et quelques-uns mesuraient en dessous jusqu’à 9 pouces de circonférence. La partie sciée est comme polie et montre positivement le travail de la main de l’homme. Des débris de bois, des silex de formes irrégulières et des quartz roulés, propres au pays, gisent sans ordre dans la tourbe, qui recouvre aussi de nombreux pieux de chêne, plantés verticalement, et dont l’extrémité a été taillée en pointe.

L’auteur de cette note, qui ignorait sans doute les découvertes faites en Suisse, ne cherche point d’où peuvent venir ces débris, mais une simple exposition des faits n’en a pas moins sa valeur. Ces nombreux pilotis trouvent leur explication naturelle dans les habitations lacustres. Ces silex et ces quartz sont étrangers à la formation tourbière. Ces bois de cerf n’ont pu être entraînés par les eaux, vu qu’aucun courant ne se jette dans ce bassin. L’action de la scie de pierre a produit sur les andouillers le même poli qu’on observe ailleurs, et les 5 à 6 pieds de tourbe qui recouvrent tous ces restes témoignent d’une antiquité incontestable.

 

ALLEMAGNE ET HOLLANDE.

On a déjà vu combien la rive du lac de Constance, opposée à celle de la Suisse, est riche en emplacements recouverts de pilotis. Il est ainsi à présumer que les premiers habitants de l’Allemagne ont utilisé pour leurs constructions /93/ les lacs de la Bavière et même les nombreux bassins du Nord. M. le professeur Petersen m’écrivait, dans la lettre citée plus haut: « Vos antiquités lacustres jettent un jour inattendu sur plusieurs découvertes du Nord qu’on ne savait comment expliquer. On trouve ici, comme chez vous, des antiquités dans les marais, et surtout dans les tourbes du Hanovre, où l’on découvre souvent des pilotis qu’on envisageait comme des restes de ponts construits par les Romains dans le temps de Drusus. Je ne doute point que la plupart de ces pilotis n’aient supporté des habitations. Il n’est pas rare de retrouver des instruments en pierre dans le fond des tourbières, et elles contiennent aussi des débris d’âges postérieurs. Jusqu’à présent je n’ai fait usage de ces découvertes que pour mes cours, mais j’espère, si j’en ai le temps, pouvoir en publier les résultats. »

Ces quelques lignes suffisent pour faire prévoir tout ce qu’il y a à attendre d’explorations dirigées scientifiquement dans le nord de l’Allemagne, et M. Petersen peut être assuré que ses publications seront accueillies avec un grand intérêt. Il ajoute que les pilotis, nombreux dans le Hanovre, forment aussi de grandes enceintes en Hollande, où les tourbières recouvrent bien des débris de l’industrie humaine. D’après M. Alphonse Esquiros, « on trouve de la tourbe dans les dunes de la Hollande, sous une épaisse couverture de sable, et sous la tourbe une argile mêlée de gravier, et dans cette couche, située quelquefois à une profondeur considérable, se rencontrent des objets d’art » 1 . /94/

 

DANEMARK.

On se fait difficilement une idée exacte du grand nombre d’antiquités qu’on découvre sur les côtes de la mer Baltique, a moins d’avoir visité ces contrées et les collections remarquables qui s’y trouvent. C’est dans ces pays tout d’abord que les savants ont été conduits à distinguer les âges successifs de la pierre, du bronze et du fer; mais, malgré tous les objets recueillis, les recherches sont loin d’être épuisées. Bien des tumulus ont été fouillés, et il en reste des milliers à ouvrir. Chaque année, pour ainsi dire, des découvertes fortuites montrent quel a été le nombre des trésors enfouis dans le sol par les hardis navigateurs du Nord. L’exploitation des tourbes constate fréquemment, par les objets d’industrie gisant à des profondeurs diverses, la présence de l’homme à une époque où ces marécages étaient encore navigables. Des canots, formés d’un tronc d’arbre creusé en auge, se retrouvent même au fond des tourbières. Dans telle localité, les objets enfouis sont tous en pierre, ailleurs c’est le bronze ou bien les armes en fer du 3me âge. On suppose, non sans raison, que la glace qui recouvre en hiver les lacs et les rivages de la mer se rompit souvent sous les pieds des chasseurs et des guerriers, accidents très fréquents encore de nos jours, et qu’ils disparurent avec leurs armes dans le sein des eaux que la tourbe a envahies peu à peu. Si l’on pouvait sonder la profondeur des lacs Scandinaves, on retrouverait les restes de nombreuses victimes que les eaux engloutissent à peu près chaque hiver, parfois même avec /95/ des traîneaux. Cependant, bien que des accidents de ce genre aient dû avoir lieu dans tous les siècles, il est plus d’une découverte qu’on ne saurait expliquer de cette manière. Trop souvent des objets d’industrie gisent au fond des tourbières sans ossements humains, si toutefois je suis bien renseigné, pour que leur dépôt n’ait pas quelque autre cause. On comprend que des armes de jet aient pu se perdre fréquemment dans les lacs, mais quand on trouve des épées, des boucliers, des poteries et des ossements d’animaux concassés, cette nouvelle explication est insuffisante.

M. le professeur Steenstrup, de Copenhague, savant remarquable par la sagacité de ses observations, s’est assuré que ces dépôts n’existent pas uniquement sur le bord des tourbières danoises, mais aussi sur le centre, où l’on découvre même des charbons de bois, des fragments de poterie et des ossements d’animaux. M. Steenstrup fait observer que non-seulement ces objets sont tombés à l’eau avant la formation de la tourbe, mais que ces ossements n’ont point été traînés sur la glace par les chiens ou les loups, puisqu’ils portent de nombreuses traces d’instruments tranchants, et qu’ils sont accompagnés de débris témoignant de l’habitation de l’homme sur ces points. Il a été conduit à supposer que l’habitant du Nord établissait quelquefois sa demeure sur des bateaux, ce qui n’aurait pas été sans rapport avec les jardins flottants de l’Orient. Le radeau a dû remplacer plus d’une fois les constructions sur pilotis, lorsque les bassins manquaient de blancs-fonds; mais il est probable qu’on retrouvera ces dernières, qui, comme on l’a vu, ont été usitées dans le Hanovre.

Les premiers habitants du Danemark n’ont cependant pas toujours élevé leurs demeures au-dessus de la surface des /96/ eaux. Il existe de nombreuses localités dans le voisinage de la mer et des fiords, où l’on voit des dépôts considérables, pareils à ceux qui se sont formés sous les habitations lacustres de la Suisse, mais avec cette différence qu’ils sont toujours sur terre ferme, à l’abri de l’action des vagues. On les retrouve depuis le nord du Jutland jusque sur les rives, à la hauteur de Kiel. M. N. G. Bruzélius en a aussi constaté près de Kullaborg, en Suède, sur la rive au nord-ouest de Lund. Ces dépôts mesurent de 2 à 10 pieds d’élévation, sur 100 à 1000 pieds d’étendue. Sur quelques points, bien que leur surface soit à 14 et même à 18 pieds au dessus de la mer, ils sont recouverts par une couche de gravier qui ne peut avoir été déposée que par une irruption des eaux, à la suite de quelque catastrophe qui paraît avoir clos la période pendant laquelle ces points étaient habités, à moins qu’ils n’aient été abandonnés auparavant 1 .

Ces dépôts de cuisine, nommés dans le Nord Kjökkenmöddinger, remontent tous à l’âge de la pierre, et ne contiennent nulle part aucune trace de métal. Ils sont infiniment moins riches que ceux des habitations lacustres, ce qui s’explique par la circonstance que les ustensiles ne pouvaient pas se perdre aussi facilement sur le sol que dans les eaux. A part un fort petit nombre de pièces d’un beau travail, polies ou percées d’un trou, ces dépôts ne renferment en général que des instruments grossiers ou brisés, mêlés aux débris de la fabrication et de la desserte des repas, avec des cendres, des charbons et des fragments de poterie. Malgré /97/ cette apparente pauvreté, les savants du Nord ont tiré d’importants résultats de l’accumulation de ces restes, qui ont été tout particulièrement explorés par MM. Worsaae, Forchammer et Steenstrup.

Les débris de la table ont essentiellement occupé M. Steenstrup, qui a reconstitué par ce moyen la faune locale et observé le déplacement de quelques espèces. L’huître, le peigne et d’autres mollusques ont laissé de nombreux débris. Il en est de même des poissons, surtout des harengs, et des anguilles. Les crabes sont rares. La chasse des oiseaux devait être abondante, entre autres celle des espèces aquatiques. On peut mentionner l’oiseau à édredon, la petite oie sauvage, l’alca impennis, qui n’existe plus, à ce que l’on croit, que sur une petite île des côtes de l’Islande, et le coq de bruyère. Le cygne sauvage ne séjournant que pendant l’hiver en Danemark, il en résulte que ces emplacements étaient occupés à cette saison, mais l’absence d’ossements de jeunes oiseaux, dont l’époque est de mai en août, pourrait faire supposer que les habitants se rendaient sur d’autres points pendant la belle saison, à moins toutefois que les chiens n’aient dévoré ces restes naturellement délicats. Les ossements d’oiseaux consistent surtout dans les os longs, qui sont de 20 à 25 fois plus nombreux que les autres; un carnassier domestique a dû dévorer ces derniers, et ce carnassier ne peut être que le chien, qui, lorsqu’on le nourrit de débris d’oiseaux, laisse les os longs dans la même proportion.

On trouve le phoque, le castor, des cerfs d’espèces différentes, le sanglier, l’aurochs, le lynx, le chat sauvage, la martre, le loup, le renard, le chien, le hérisson, le rat de terre et des escargots terrestres. D’entre les animaux domestiques, on ne possédait que le chien, dont il existait deux /98/ races distinctes. Les autres animaux élevés par l’homme, tels que le cheval, le bœuf et le mouton, paraissent n’avoir été introduis dans le Nord que pendant l’âge du bronze, ou tout au moins postérieurement à l’occupation de ces emplacements. On n’a pas encore recueilli de graines qui indiquent la connaissance de l’agriculture dans les pays Scandinaves, durant le premier âge.

On rencontre parfois, auprès de ces restes divers, des couches d’une poussière de charbon, qui contient une forte proportion de manganèse. L’analyse chimique de ces cendres noirâtres indique qu’elles proviennent de la fabrication du sel, obtenu, dès les premiers temps, par un procédé encore usité, il y a deux siècles, sur les côtes de la mer. On amassait une espèce d’algue (zostera marina) qu’on brûlait et dont on arrosait la cendre, naturellement chargée de manganèse, avec l’eau de mer, d’où résultait une efflorescence de sel qui n’était autre que le sal nigrum de Pline.

Ces dépôts ont trop d’analogie avec ceux de nos lacs pour les passer sous silence, et l’étude qui en a été faite montre l’importance qu’il y a, dans les recherches de ce genre, à ne négliger aucun débris 1 .


 

/99/

CHAPITRE II.

AGE DE TRANSITION DE LA PIERRE AU BRONZE.


L’art de travailler le bronze a précédé l’exploitation du fer, qui, d’une manière générale, ne se répand qu’assez tardivement en Europe. Avant de rechercher les raisons de cet ordre de succession, il importe d’établir la priorité du bronze, en retraçant les découvertes d’antiquités lacustres, d’après lesquelles on voit que ce métal fut employé immédiatement après la pierre. L’existence d’un âge dont tous les instruments tranchants sont en bronze suffit déjà pour démontrer qu’il y a eu une autre époque que celle de la pierre pendant laquelle le fer était inconuu, et rien ne permet de supposer que ce dernier métal, une fois exploité en Europe, ait jamais été abandonné pour accorder la préférence au bronze.

Toute matière nouvelle, acquise à l’industrie, se surajoute aux précédentes et commence par être rare; aussi le bronze /100/ servit-il d’abord à perfectionner les instruments primitifs avant de les remplacer. Malgré la rapidité avec laquelle ce métal paraît s’être répandu, les anciens usages ne disparurent pas en un jour et l’on dut utiliser longtemps encore quelques pièces du premier âge. Cette survivance fut particulièrement longue dans tout ce qui tient au culte, les prêtres ne changeant que difficilement la matière des instruments consacrés aux cérémonies religieuses. La pierre subsista longtemps après la découverte du bronze, et celui-ci était encore employé sur les autels alors que le fer était d’un usage général. Il est intéressant de retrouver des emplacements de pilotis qui caractérisent les deux moments de transition de la pierre au bronze, dans l’ancienne Helvétie, de manière à pouvoir constater, d’une part la fin du premier âge, avec l’apparition de quelques objets en métal, et de l’autre le commencement de la période du bronze, pendant lequel divers instruments sont encore en pierre.

Lacs de Zurich, de Bienne et de Neuchâtel.

Un grand nombre des habitations lacustres de la Suisse ont cessé d’exister avant l’introduction des métaux, mais deux des bourgades les plus importantes, celles de Meilen et de Concise, n’ont été abandonnées qu’à l’époque où le bronze commençait à se répandre. Le travail de plusieurs instruments, ainsi que les haches et les marteaux en pierre, percés à l’aide de poinçons, montrent assez que le métal servait à perfectionner la fabrication des ustensiles primitifs. Cette époque de transition n’a cependant pas laissé beaucoup de traces. On n’a retrouvé à Meilen que deux objets en /101/ bronze, un bracelet et un celt (Pl. VIII, 28, 30), malgré le grand nombre des instruments en pierre recueillis sur ce point. Si le métal est un peu moins rare à Concise (Pl. VIII, 12-15, 17-27, 29), il n’en est pas moins certain que cet emplacement a été abandonné avant que le bronze fût d’un usage général. Les épingles et le couteau richement ornés ne permettent pas de douter que ces pièces n’aient été fabriquées par des ouvriers habiles dans ce genre d’industrie, et par conséquent qu’elles n’aient été importées.

Les habitations de Hagneck contenaient aussi plus d’objets en pierre qu’en bronze, mais, sur d’autres localités, on remarque des proportions inverses. C’est ainsi que les débris du premier âge, propres au Steinberg, près de Nidau, ont été recouverts par les produits des périodes suivantes. On ne peut dire si cette bourgade a échappé à la destruction générale, ou si elle a été reconstruite sur des ruines; dans tous les cas, ce point est l’un de ceux qui a été occupé pendant le plus grand nombre de siècles.

Des vestiges de l’industrie primitive se retrouvent encore sur quelques autres emplacements du deuxième âge dans les lacs de Bienne et de Neuchâtel. Une pointe en silex, large d’un pouce sur 5 de longueur, était auprès des pilotis de Sutz, et divers instruments tranchants en pierre ont été recueillis à Bevaix, à Cortaillod, à Colombier et à Chevroux 1 . Ce n’est pas seulement dans les lacs de la Suisse qu’on découvre quelques objets en bronze mêlés à ceux de l’âge de la pierre. La réunion de pièces du même genre étant propre à plusieurs pays, il ressort nettement de l’ensemble de ces découvertes que le bronze a précédé le fer. Les points qui /102/ représentent cette transition ne sont cependant pas très nombreux, ce qui fait supposer que le passage d’une matière à l’autre s’est effectué assez rapidement. M. Worsaae a remarqué, en étudiant les antiquités du Nord, qu’il n’existe pas d’âge du cuivre dans les pays Scandinaves, et j’ai eu l’occasion de faire la même observation dans toutes les contrées de l’Occident que j’ai parcourues. Quand on voit les premières pièces en métal, qui apparaissent à la fin de l’âge de la pierre, alliées à l’étain, moulées avec habileté et ornées de gravures, on est conduit à reconnaître qu’elles ne sont point les ébauches d’une industrie naissante et que l’art de travailler le bronze est une découverte étrangère à l’Europe.


 

/103/

CHAPITRE III.

AGE DU BRONZE.


Les recherches scientifiques confirment les traditions grecques d’après lesquelles le bronze a été employé antérieurement au fer. Les raisons de cette priorité tiennent essentiellement à la nature et aux propriétés des minerais. Celui du cuivre, lourd et coloré en jaune ou en vert, attire bien plus l’attention que le minerais du fer, qui, par sa teinte brune ou rougeâtre, répandue dans beaucoup de terrains, laisse moins soupçonner la présence d’un métal 1 . La fusion du cuivre n’est pas plus facile que celle du fer, mais le cuivre allié à l’étain se prête très bien au moule, genre d’art qui /104/ paraît avoir précédé celui du martelage que réclame le fer, surtout pour de petits objets comme les instruments tranchants. Enfin le cuivre, allié à l’étain dans certaines proportions et soumis à un refroidissement lent, acquiert une dureté assez grande pour en faire des instruments tranchants. Il est même supérieur au fer par sa dureté aussi longtemps qu’on ne sait pas combiner celui-ci avec le carbone pour obtenir l’acier.

On ne peut cependant admettre qu’on ait passé immédiatement du travail de la pierre à celui du bronze, qui est un métal composé. Diverses traditions attribuent à l’incendie de forêts la fusion de minerais que l’homme aurait ainsi appris à traiter par le feu. Quoi qu’il en soit, l’affinage du cuivre demande plusieurs opérations qu’on a sans doute découvertes par le tâtonnement. Il a fallu en outre un certain temps avant qu’on ait su l’allier à l’étain pour obtenir le bronze, et cela d’autant plus que les mines d’étain ne se retrouvent que sur un très petit nombre de points de la surface du globe, tandis que le cuivre y est répandu en assez grande abondance. Il doit ainsi s’être écoulé une époque pendant laquelle les instruments encore imparfaits étaient en cuivre, mais on a déjà vu qu’on ne trouve pas en Europe les ébauches de cette industrie naissante, et que les instruments en métal qui apparaissent sur la fin de l’âge de la pierre sont en bronze et n’appartiennent nullement au début de l’art métallurgique. On a bien découvert en Europe un petit nombre d’objets en cuivre sans alliage d’étain, toutefois ces pièces rares ne caractérisent point une époque de transition, vu qu’elles accompagnent ordinairement le bronze et que celui-ci se trouve déjà avec la pierre, ainsi à Meilen et à Concise. /105/ Il en résulte évidemment que cette industrie été importée en Europe.

C’est dans l’Asie qu’il faut chercher un âge du cuivre, introduisant à celui du bronze. On découvre dans l’Hindoustan, entre le Gange et la Jumnah, dans la province d’Etaweh 1 , de nombreuses armes, consistant en pointes de flèches et en poignards de formes très primitives, qui, soumis à l’analyse chimique, ne présentent que du cuivre pur sans aucune trace d’alliage d’étain 2 . Il est à présumer que des armes du même genre n’ont point été étrangères au nord de l’Asie, puisque le Bulgare, venant du fond de la Sibérie, portait encore un coutelas de cuivre rouge 3 .

Dans l’Amérique du nord, cet âge du cuivre a été nettement constaté le long de la vallée du Mississipi, par les savantes recherches de MM. Squier et Davis. Longtemps avant que les anciens Américains aient su allier ce métal à l’étain, on utilisait le cuivre natif des bords du lac Supérieur pour des anneaux et des hachettes 4 et ce n’est que plus tard que les Mexicains et les Péruviens fabriquèrent des instruments tranchants en bronze.

L’âge de cuivre manquant à l’Europe, on peut déjà conclure de cette circonstance que l’art de produire le bronze a /106/ été importé. L’examen de nouvelles découvertes montrera que cette importation provient de l’invasion d’un nouveau peuple, mais on ne saurait admettre que la population primitive ait été complétement recouverte ou détruite, aussi a-t-elle dû sur plus d’un point être au bénéfice de la nouvelle industrie, soit en recevant par le commerce des objets fabriqués, soit en s’appropriant les connaissances nécessaires à leur production. On verra plus loin quelles ont été les destinées de l’Helvétie à cette époque, mais il importe auparavant de recueillir les renseignements que présentent les emplacements de pilotis du deuxième âge.


 

SUISSE.

Lac Léman.

Les rives du Léman ont été occupées dès les temps les plus reculés par une population qui a laissé, comme traces de son existence, les tombeaux voisins de Lutry, de Lausanne et de Thonon, ainsi que des pilotis usés jusqu’à la surface du limon, ou recouverts par d’épaisses couches d’alluvions. Tandis que les grottes du Salève avaient leurs Troglodytes, le Léman avait aussi ses peuplades lacustres, mais c’est surtout pendant la période du bronze que les constructions sur pilotis se sont élevées en grand nombre. Les débris de l’industrie métallurgique n’ont pas encore été retrouvés sur tous les emplacements explorés, toutefois les pieux qui sortent de la vase présentent généralement /107/ partout les mêmes caractères d’antiquité, ce qui permet de les classer dans la même période. De nouvelles recherches pourront rectifier ou compléter l’appréciation de quelques détails, mais elles ne modifieront guère les résultats historiques, pris dans leur ensemble.

On ne connaît encore à la tête du lac qu’un petit nombre d’emplacements à pilotis, ce qui provient de la nature rocheuse des rives et des modifications du littoral, apportées par les cours d’eau. Les alluvions de la Veveyse ont recouvert fort anciennement les pieux au-dessus desquels a été construite la station romaine de Vibiscum, mais il subsiste à peu de distance de là, entre Vevey et les Gonelles, un nombre assez considérable de pilotis sur le point de la rade, appelé le Creux de Plan. Ces pilotis sont surtout visibles par les basses eaux 1 .

Au-dessus de la petite ville de Cully, est un emplacement caillouteux, qui présente l’aspect d’un cône de déjection inondé, d’où sortent des pieux recouverts de 10 à 15 pieds d’eau, au milieu desquels je n’ai encore su voir aucun objet d’industrie.

Vis-à-vis du hameau de Cour, situé sous la ville de Lausanne, est la Pierre de Cour, connue de tous les baigneurs de la contrée. C’est un grand bloc erratique dont la partie supérieure est à découvert par les basses eaux 2 . Non loin de ce bloc, on voit sous 13 pieds d’eau des rangées de pieux /108/ disposés parallèlement à la rive, sur une étendue de 60 à 70 pieds de longueur, et à une distance de 880 pieds du rivage. Vers cette station, se trouvent de nombreux ossements, entre autres de bœuf et de cheval, dont plusieurs portent des entailles qui ont été évidemment faites avec un instrument en métal.

Un peu plus bas, est un second emplacement, en face du point où vient aboutir le chemin qui passe derrière la campagne de M. Francillon. L’espace occupé par les pieux est à une profondeur de 5 à 6 pieds par les basses eaux et mesure 64 pieds de largeur sur 163 de longueur. L’extrémité orientale est à 548 pieds de la rive, et l’extrémité occidentale à 604. Les pieux, distants les uns des autres d’environ 6 pieds, sont disposés en 5 rangées, à peu près parallèles à la rive; plusieurs, usés par l’action de l’eau, disparaissent sous le limon 1 .

La rade du Léman qui s’avance dans la plaine de Vidi, où s’élevait la cité de Lousonnium, baigne aussi les pilotis d’habitations lacustres. Ceux-ci sont nombreux près de St. Sulpice, où l’on voit entre autres, vis-à-vis de l’ancienne Abbaye, de grands troncs d’arbres avec une partie de leurs branches, plantés en désordre dans le limon et inclinés dans des sens divers. Ces troncs, qui sortent encore de plusieurs pieds de la vase, présentent moins de rapports avec nos constructions lacustres qu’avec les huttes des pêcheurs des petites anses du Bosphore, huttes perchées à des hauteurs diverses sur de longs pieux obliques et croisés, comme sur /109/ les rameaux entrelacés d’un arbre. On ne peut y arriver, vu l’absence de plateformes et leur élévation souvent assez considérable au-dessus de l’eau, qu’à l’aide d’échelles dont les rayons sont fixés aux pieux. Au couchant du port de St. Sulpice, non loin de l’embouchure de la Venoge, de nombreux pilotis se dirigent depuis la rive jusqu’à plusieurs centaines de pieds en avant dans le lac. Les pieux rapprochés du bord sortent à peine du fond caillouteux où se fait sentir l’action destructive des vagues, tandis que plus en avant, ils ont encore 1 à 3 pieds de longueur au-dessus du limon. Quelques débris de poterie de l’âge du bronze et un peson de fuseau en argile sont les seuls objets découverts jusqu’à présent sur ce point.

L’une des bourgades les plus considérables des bords du Léman est celle dont on retrouve les restes vis-à-vis de la ville de Morges, localité que M. Forel, président de la Société d’histoire de la Suisse romande, a tout particulièrement explorée avec son fils, qui met un grand zèle à ces recherches 1 . Les pilotis disposés parallèlement à la rive, dont ils sont distants d’environ 600 pieds, occupent, à une profondeur de 8 à 12 pieds par les basses eaux, un espace de 1200 pieds de longueur, sur 150 de largeur en moyenne. La plupart des pieux sont en chêne et mesurent de 3 à 8 pouces de diamètre; plantés irrégulièrement, ils sont éloignés les uns des autres d’un à quelques pieds, et s’élèvent encore d’un à 3 pieds au-dessus du limon ou du fond pierreux; leur extrémité inférieure, taillée en pointe, descend dans le sol de 15 pouces à 5 pieds et porte généralement des entailles qui paraissent avoir été faites avec la petite hache de bronze. /110/ Quelques-uns traversent une planchette que M. Forel suppose avoir été adaptée à la partie inférieure du pieu, pour empêcher qu’il ne s’enfonçât trop profondément dans le sol. Une planchette d’un pouce d’épaisseur, sur 13 12 de longueur et 4 de largeur, est percée de 2 trous carrés, distants de 4 pouces l’un de l’autre, et qui mesurent 18 lignes de diamètre. Au milieu de ces pilotis, on voit de nombreuses pièces de bois de grandes dimensions et divers débris, plus ou moins carbonisés, qui témoignent d’une destruction par le feu et d’un affaissement des constructions dans les eaux.

Les nombreux objets découverts sur l’emplacement de Morges étaient presque tous à la surface de la vase et du cailloutis, aussi est-il probable que des fouilles entreprises avec la drague offriraient d’intéressants résultats.

Quarante-trois celts 1 ou hachettes en bronze (Pl. X, 6, 10) ont été retirées çà et là du milieu des pilotis. Leur longueur varie de 4 à 7 pouces, et leur tranchant, généralement arqué, ne mesure que 1 à 2 pouces. Le tranchant était souvent rafraîchi à l’aide du marteau. L’un de ces celts, à la suite d’un long usage, a été diminué de moitié environ. Plusieurs sont munis d’une oreillette fixée sur le flanc de l’instrument. L’extrémité de la hache opposée au tranchant /111/ entrait dans un manche fendu ou entaillé et disposé comme la hampe d’une lance, mais, dans la plupart des cas, il devait être coudé. Le manche était consolidé par les ailerons du celt repliés sur le bois et parfois aussi avec des ligatures. Les 43 pièces découvertes à Morges ne présentent pas les variétés qu’on peut observer dans la plupart des collections. Aucune n’a la forme de la spatule; toutes ont exigé des manches fendus, à l’exception d’une seule (Pl. IX, 5), munie d’une douille longitudinale.

La destination la plus ordinaire du celt a certainement été celle de la hache, dont l’usage occupe longtemps encore la première place, comme c’était le cas dans l’âge de la pierre. Il faisait cependant aussi l’office de ciseau, et l’on ne peut douter qu’il n’ait servi comme arme de chasse et de guerre. Enfin des celts découverts sous des autels recevaient en outre une destination religieuse, sans que rien dans leur forme ne fasse soupçonner leur consécration au culte. Ce n’est pas, du reste, dans les premiers âges de l’industrie que le même genre de pièce revêt une forme particulière, appropriée à chacune de ses applications.

L’un des objets les plus remarquables est un moule de celt en bronze, formé de deux pièces, longues de 6 pouces 3 lignes sur 1 pouce 9 lignes de largeur 1 . (Pl. X, 15.) Le pourtour intérieur de l’une des moitiés porte un cordon saillant qui entrait dans la rainure correspondante de l’autre pièce pour maintenir en place les deux parties du moule et empêcher la fuite /112/ du métal en fusion. Une défectuosité a été réparée avec beaucoup de soin en rajustant une pièce sur la partie endommagée. La confection générale de l’instrument montre que l’art du mouleur était déjà très développé 1 . L’ouverture du moule donne sur l’extrémité opposée au tranchant du celt. Les ailerons sont droits de manière à pouvoir dégager plus facilement l’instrument de la matrice, plus tard on les repliait sur le manche qu’ils servaient à consolider. Le celt sortait du moule avec un tranchant assez obtus, mais qui s’affilait à l’aide du marteau dont on voit la marque des coups sur beaucoup de pièces. Il est assez curieux que, malgré le grand nombre des hachettes découvertes à Morges, aucune n’ait été coulée dans ce moule qui porte comme marque caractéristique une petite croix en creux entre les ailerons.

Cette pièce n’est pas seulement intéressante par les procédés industriels qu’elle révèle, mais elle fait voir que les Lacustres de l’âge de bronze fabriquaient eux-mêmes leurs instruments, comme le faisaient déjà ceux de l’âge de la pierre 2 .

Il est difficile de dire d’où l’on se procurait le cuivre; dans tous les cas, il est probable qu’on le tirait essentiellement /113/ des mines de la Gaule et de la Germanie, exploitées dès une haute antiquité. Quant à l’étain, rien ne permet d’affirmer qu’on ait déjà connu les mines de la Saxe. Les anciennes traditions le font venir des Iles Cassitérides, c’est-à-dire de l’Angleterre.

La découverte d’une fonderie de l’âge du bronze, à Echallens, montre que l’alliage de ces deux métaux se faisait sur place 1 . Un celt de Morges, analysé par M. Bischoff, professeur de chimie, donne la composition suivante: 89,88 parties de cuivre, 8,25 d’étain, 1,05 de plomb, 0,78 de nickel et des traces de fer, mais aucune de zinc. Ce dernier métal ne paraît pas avoir été allié au cuivre avant l’âge du fer, ce qui s’explique par la difficulté que présente cette opération, qui doit être faite à l’aide de vases clos, condition sans laquelle le zinc se réduit en flocons sur le métal en fusion. D’après l’analyse chimique de monnaies romaines, l’alliage du zinc avec le cuivre n’a été connu en Italie que fort peu de temps avant le siècle d’Auguste. La présence du plomb, du nickel et du fer doit être envisagée comme provenant du minerai de cuivre, dont l’affinage n’a pas été complet, et non point comme les éléments d’un alliage produit par l’industrie.

On a souvent attribué la dureté du tranchant des /114/ instruments en bronze de l’antiquité à une trempe particulière, et à un alliage fait dans des proportions déterminées. L’alliage a été en moyenne de 8 à 10 parties d’étain sur 90 à 92 de cuivre, on a cependant trouvé par l’analyse des instruments tranchants qui contenaient de 2 à 16 parties d’étain sur 98 à 84 de cuivre. On comprend qu’il y ait eu des tâtonnements et que les proportions n’aient pas été toujours rigoureuses. Quant à la trempe, elle agit sur le bronze d’une manière toute différente que sur l’acier. On sait que la dilatation et la contraction de ces deux métaux, placés sous la même action, se fait en sens inverse; aussi faut-il plutôt attribuer la dureté du bronze antique à un refroidissement lent et au martelage à froid du tranchant, ce qui rendait le métal plus dense et par conséquent plus dur.

Les couteaux, tous en bronze, sont au nombre de 13 (Pl. XI, 3, 6); la longueur de la lame mesure de 4 pouces à 65 lignes, sur une largeur moyenne de 5 à 8 lignes. Le tranchant, concave vers le manche, devient convexe vers la pointe, plus ou moins acérée, ce qui donne à cet instrument une forme assez élégante. Quatre couteaux ont une douille dans laquelle entrait le manche, et 9 sont munis d’une soie ou pointe qui pénétrait dans le bois.

M. Forel a découvert 8 faucilles en bronze, assez fortement arquées, dont la corde mesure de 4 à 5 pouces. Elles portent encore les traces du moule dans lequel elles ont été coulées, et leurs petites dimensions ne sont point exceptionnelles dans l’âge du bronze. Nous avons ici un instrument d’agriculture, ce qui ne saurait surprendre, puisque la culture du blé était déjà propre à la première période. Le grand nombre des faucilles découvertes dans les lacs ne permet /115/ pas de leur attribuer une destination purement religieuse, et, s’il faut en croire Pline, la faucille des Druides était en or.

Il est difficile d’indiquer la destination de 3 crochets, longs de 8 à 9 pouces et formés d’une mince tige de bronze carrée, qui parait avoir été arquée intentionnellement. Une pièce pareille, longue seulement de 5 12 pouces, trouvée dans les ruines romaines de Cheseaux, pourrait être envisagée comme une pointe de trait faussée, mais la courbure de celles de Morges est trop réglière pour être accidentelle.

D’entre les armes provenant du milieu des pilotis de Morges, il faut citer deux épées, dont l’une n’est qu’un tronçon de lame, long de 75 lignes sur 16 de largeur. L’autre (Pl. IX, 8), intacte, mesure 19 pouces 5 lignes de longueur, y compris les 3 pouces de la poignée, qui était primitivement revêtue d’une garniture en bois ou en os, assujettie par des clous rivés. La lame, large de 13 lignes vers la poignée, se rétrécit sur le premier tiers de sa longueur et se rélargit jusqu’au second tiers, d’où elle se termine en pointe. La forme ondulée du tranchant de la lame et les petites dimensions de la poignée caractérisent les épées en bronze de l’antiquité, dans le sud comme dans le nord de l’Europe. La population de cette époque avait une main plus effilée que celle des familles postérieures, ce qui est encore le cas de quelques peuples de l’Orient, ainsi des Hindous.

Deux lames de petites épées ou poignards (Pl. IX, 10) ont chacune 13 pouces de longueur. Elles se distinguent des poignards proprement dits de l’âge du bronze par leur peu de largeur à la naissance de la lame.

Dix pointes de lance ou de javelot (Pl. IX, 12), munies d’une douille, mesurent de 35 à 55 lignes de longueur.

Les objets en bronze qui ont servi comme ornements personnels /116/ sont essentiellement les épingles et les anneaux.

Les 18 épingles découvertes ont de 4 à 8 pouces de longueur. (Pl. XII, 2, 3, 13.) Elles consistent en fils de bronze légèrement renflés vers la tête, qui a la forme d’un disque, d’un bouton sphérique ou d’un cône, à moins que le fil n’ait été simplement recourbé en anneau, mais quelquefois il traverse un petit globe évidé, décoré de jours et de fines gravures.

Les anneaux, à part 5 à 6 qui ont pu servir de bagues, sont essentiellement des bracelets entr’ouverts, formés d’une tige circulaire, parfois lourds et massifs ou coulés en lamelles bombées. (Pl. XI, 20, 31.) Des stries, des torsades et des disques ont été gravés sur la plupart. Deux sont composés d’un triple fil élastique. Un autre est remarquable par ses pointillages et ses dessins en entrelacs anguleux d’un fort joli effet. Ces anneaux, au nombre de 33, mesurent de 2 à 3 pouces de diamètre. Quelques-uns, assez massifs, sont de si petites dimensions qu’ils ne peuvent avoir été portés que par de jeunes enfants. (Pl. XI, 27.)

Une espèce de disque à jours (Pl. XI, 16), en bronze coulé, de 15 lignes de diamètre, représente 3 cercles concentriques, unis par des portions de rayons. Ce genre de pièces se retrouve dans les tombeaux du Ve au IXe siècle de notre ère. Les Lapons portent encore à la ceinture des disques auxquels ils suspendent, avec des cordons, un couteau, des ciseaux, un peigne, en un mot, tout un trousseau d’instruments domestiques.

La poterie est extrêmement abondante au milieu des pilotis de Morges, mais les vases intacts sont plus rares sur ce point que sur beaucoup d’autres. Cependant de nombreux fragments, allant du fond au col du vase, permettent de reconstruire les formes et les dimensions. Les vases varient de 2 à /117/ 16 pouces de hauteur sur 3 pouces à 2 pieds de diamètre. Les uns ont la forme de tasse (Pl. XIII, 13) avec ou sans oreille; d’autres, évasés dans le bas, sont surmontés d’un col étroit et cylindrique, plusieurs ressemblent à des urnes au col plus ou moins rétréci, muni parfois de deux anses. Les vases de petites dimensions et de grandeur moyenne, se terminant souvent en pointe ou en surface convexe dans leur partie inférieure, ont exigé des supports. Les ornements consistent en quelques lignes horizontales, en petits creux, en lignes obliques et en espèces de cordons adaptés à la naissance du col, dont le bord a souvent été pincé ou travaillé en torsade. Le potier a laissé plus d’une fois l’empreinte de ses doigts sur ces ornements et sur les flancs du vase. La composition de la poterie est assez pareille à celle de l’âge de la pierre; on retrouve la même pâte, plus ou moins fine et compacte ou pétrie avec de petits cailloux siliceux. Cependant l’art du potier a fait des progrès incontestables; le tour était souvent employé, la variété des formes est plus grande et les ornements sont plus nombreux et mieux finis. Le graphite a même été employé comme vernis. Toutes les bourgades de quelque importance avaient leur fabrique de poterie, ce dont il est facile de se convaincre quand on trouve des échantillons déformés par la cuite qui n’ont pu avoir cours dans le commerce.

On a découvert un grand nombre de lourds anneaux en argile (Pl. XIII, 11), du diamètre de 3 à 5 pouces. Ils ne peuvent être que les supports des vases sans pied dont il a été fait mention. (Pl. XIII, 17.) On en emploie encore de pareils, pour le même but, dans la Catalogne, et cet usage s’est conservé jusqu’à nos jours dans les Indes orientales, ainsi aux environs de Madras. Quelques-uns de ces supports, noircis /118/ par le feu, étaient évidemment déposés sur le foyer, tandis que les autres étaient réservés pour la table ou le tronc d’arbre qui en tenait lieu, ce qu’on est en droit de conclure des coutumes modernes.

D’autres pièces en argile, de forme sphérique, percées d’un trou et de la grosseur du poing, peuvent être rapprochées des projectiles incendiaires mentionnés plus haut.

Une douzaine de pesons de fuseau, aussi en argile, mesurent de 8 à 18 lignes de diamètre.

On n’a pas encore retrouvé, au milieu des pilotis de Morges, des marteaux en bronze. On y suppléait à l’aide de pierres dures, le plus souvent quartzeuses, dont la forme arrondie a généralement pris par l’usage celle d’un cube aux angles émoussés. (Pl. XII, 43.) D’autres pierres étaient employées comme pierres à broyer et à aiguiser. L’une en grès, de forme conique, percée vers son sommet, paraît avoir servi de poids. Elle pèse 2 34 livres.

Des pierres discoïdes, de 3 à 4 pouces de diamètre, sont munies d’une rainure sur leur pourtour comme une poulie, et leurs faces convexes présentent généralement de légères cavités sur leur centre. Il est probable que ces pierres ont été employées pour des jeux. On voit dans le recueil de Pinelli 1 un personnage qui tient entre ses mains un disque pareil, sur le pourtour duquel est enroulée une corde, destinée à lancer la pierre, ce qui donne une explication de l’usage de cette rainure. Dans les tumulus de la vallée du Mississipi, on trouve un grand nombre de ces pierres discoïdes, avec ou sans rainure sur le bord, et de la forme de lentille ou bien à faces concaves. Les Indiens s’en servent /119/ encore dans le jeu qu’ils appellent chungke. Les joueurs, au nombre de deux, ont chacun une perche munie de bandelettes de cuir portant des marques, l’un fait rouler le disque, puis tous deux se mettent à courir et lancent à la fois leurs perches sur le sol de manière à ce que la pierre s’arrête sur l’une des bandelettes. Suivant la position du disque, celui qui a l’avantage a le droit de commencer la partie suivante. Les Indiens conservent ces pierres avec un soin religieux, et, contrairement aux anciens usages, ils sont dispensés de les enterrer avec leurs possesseurs, se les transmettant ainsi de génération en génération 1 . Il est à remarquer que jusqu’à présent on n’a pas retrouvé ces pierres dans les anciens tombeaux de la Suisse, mais seulement avec les débris d’habitations.

Deux des canots employés par les anciens habitants de la bourgade lacustre de Morges ont subsisté jusqu’à nos jours. L’un, transporté sur le rivage, il y a une quarantaine d’années, n’a pas tardé à être détruit. Il était formé d’un tronc de chêne creusé comme un bassin. L’autre gît encore auprès des pilotis sous 14 à 15 pieds d’eau. Une partie est prise dans le sable, celle qui n’a pas été recouverte mesure environ 10 pieds de longueur sur 2 de largeur. Elle se termine en pointe et a été taillée de manière à ménager une espèce de siége, pris sur l’épaisseur du bois à l’extrémité du canot.

Les ossements découverts sont assez nombreux. On retrouve le cerf, le sanglier, le cheval, le bœuf et le mouton. Mais cette liste est loin d’être complète, faute de déterminations suffisantes.

Cet emplacement, situé au levant de l’embouchure du /120/ torrent de la Morges, qui a donné son nom à la ville actuelle, était protégé par une double rangée de pieux plantés plus en avant dans le lac, au sud-ouest des habitations. Ces pilotis présentent les mêmes caractères d’antiquité que les autres, mais il n’est pas facile de se faire une idée parfaitement exacte de la destination de cette enceinte, qui avait peut-être pour double but de protéger les habitations contre les surprises par eau et contre l’action des tempêtes. Dans ce dernier cas, les pieux auraient dû former une espèce de digue capable de résister au roulis des vagues.

D’après l’ensemble des objets découverts, le seul métal employé étant le bronze 1 , il en résulte que l’occupation de cette bourgade a cessé avant l’âge du fer. Les nombreux instruments trouvés à la surface du fond pierreux ne peuvent provenir d’un abandon volontaire, et les pièces de bois carbonisées indiquent une destruction par le feu. On recherchera plus tard si l’incendie fut accidentel ou s’il se rattache à des scènes d’hostilité.

La rade située entre le cône de déjection du Boiron et l’antique village de Saint-Prex a aussi été occupée par des constructions lacustres. On voit, près de Fraidaigues, un emplacement de pilotis, recouvert par 10 à 11 pieds d’eau en hiver.

Une bourgade plus considérable s’élevait en face de la ville de Rolle, et s’étendait de la jetée actuelle jusqu’à peu de distance du château. Vers le milieu de cet emplacement, était un bas-fond à peine submergé par les basses eaux. Les riverains de la côte de Savoie ont longtemps tenu leur marché /121/ sur ce lieu, recouvert depuis peu d’années par l’île que les habitants de Rolle y ont construite et sur laquelle ils ont élevé un obélisque à la mémoire de leur combourgeois, Frédéric-César de la Harpe. Ce bas-fond, entouré de pieux, n’était pas sans rapports avec les crannoges de l’Irlande, mais l’esplanade s’étendait fort au delà, à droite et à gauche, supportée par des pilotis plantés dans un sol inégal, recouvert de 5 à 12 pieds d’eau en hiver. Au couchant de l’île, plusieurs pieux sont disséminés sur un assez long espace; beaucoup plus nombreux au levant, ils sortent parfois du limon, disposés en groupes; les plus longs mesurent 3 à 4 pieds, et d’autres, de même essence, sont usés jusqu’à la surface de la vase où ils présentent l’aspect d’un disque noirâtre. La différence de conservation montre que cet emplacement a été occupé pendant des siècles nombreux, et que les pilotis ont été renouvelés à des époques diverses. L’extrémité prise dans le sol porte encore les entailles de la hache, et celle baignée par l’eau a toujours perdu de son épaisseur. Quelques pieux sont même usés de telle sorte qu’il ne reste plus sur le disque entouré de vase qu’une tige amincie en aiguille de quelques lignes d’épaisseur, résultat de l’action destructive de l’eau, lente, mais continue. (Pl. II, 4)

Les fragments de poterie sont nombreux et présentent les mêmes caractères qu’à Morges. Un morceau, engagé dans l’argile, a conservé son vernis primitif, de couleur noirâtre, tandis que la partie restée dans l’eau est rugueuse, les cailloux mêlés à la pâte faisant saillie. Il n’est du reste guère d’emplacement où l’on ne puisse faire la même observation, suivant que le vase est plus ou moins pris dans le limon. C’est l’action corrosive de l’eau qui altère peu à peu la /122/ surface de la poterie, de même qu’elle soumet à une dégradation incessante les pilotis, dont la différence de conservation répond certainement à une différence très marquée d’antiquité.

Deux pierres discoïdes, avec rainure sur le pourtour, se trouvaient au milieu des pilotis de Rolle. L’une (Pl. XII, 40), sans dépressions sur ses faces convexes, a la forme d’une lentille; l’autre (Pl. XII, 41) est légèrement elliptique 1 .

Les marteaux et les pierres à aiguiser sont les mêmes qu’à Morges. Un seul instrument en bronze, découvert au levant de l’île, est une faucille très arquée dont la corde mesure 4 pouces de longueur 2 .

La ville de Nyon, connue par les ruines de la colonie équestre et par son ancienne dénomination celtique de Noviodunum, recouvre des débris d’âges très divers. C’est aussi à des époques différentes que remontent les pilotis baignés par les eaux du lac. Plusieurs sont évidemment étrangers aux constructions lacustres, il est possible qu’un certain nombre soient les restes d’un port de la cité romaine, mais il en est d’autres qu’on ne saurait attribuer qu’à des établissements sur les eaux. Ces derniers pilotis sont situés au levant de la jetée, dans la direction du cap de Promenthoux, en face des premières campagnes qu’on trouve au sortir de Nyon, en se rendant à Rolle. Eloignés de quelques centaines de pieds de la rive, ils se groupent parallèlement à celle-ci. Hauts de 2 à 3 pieds au-dessus du limon, ils sont en général assez distants les uns des autres et se trouvent à une /123/ profondeur de 15 pieds par les basses eaux. En admettant que les pieux pénètrent de 4 à 5 pieds dans le sol et qu’ils aient été élevés d’environ 5 pieds au-dessus des hautes eaux, de manière à laisser passer les vagues sous le plancher qui portait les habitations, ils doivent avoir eu primitivement une trentaine de pieds de longueur. Je n’ai découvert sur ce point que des fragments de la poterie caractéristique des lacs et des cailloux utilisés comme marteaux.

A Versoix, les pilotis sont disséminés sur un grand espace de la rade, comprise entre le bourg et le port inachevé, dont le duc de Choiseul avait entrepris la construction dans le siècle passé. Les pieux, de conservation inégale, baignés en hiver par 10 à 12 pieds d’eau, mesurent encore jusqu’à 5 et 6 pieds de longueur au-dessus de la vase. La poterie n’y est point rare. Plusieurs fragments ont appartenu à des vases d’un grand diamètre, munis d’un rebord évasé et ornés parfois, à la naissance du col, d’un cordon en relief; d’autres fragments rougeâtres portent des ornements en creux. Une pierre de jeu, semblable à celles de Morges, provient aussi de cet emplacement

Genève. L’extrémité inférieure du lac a été couverte d’habitations lacustres dont on retrouve les pilotis sur plusieurs points. En face des Pâquis, ils sont particulièrement accompagnés de débris de poterie dont l’argile est pleine de pierrettes siliceuses. Plus d’une fois, en creusant le sol dans les parties basses de la ville de Genève, on a trouvé des pieux pareils à ceux qu’on voit dans le lac. D’autres sont disséminés le long des Eaux-Vives. Les registres du Conseil d’Etat de la république de Genève mentionnent une rangée de pieux, « noirs comme ébène, » qui allait de la Tour de l’Ile jusques à Cologny. On les envisageait alors comme faisant partie d’un /124/ pont attribué à César 1 . Les bateliers désignent sous le nom de Travers 2 les pilotis qu’on voit dans la direction de Sécheron à Frontenex, et qui traversent ainsi la partie inférieure du lac. Sur quelques points, les pilotis des environs de Genève ne sont baignés que par 3 à 4 pieds d’eau en hiver. Il est difficile de dire si ces constructions étaient continues; dans tous les cas, elles ont dû s’élever en grand nombre à partir de l’île de Rousseau ou de la Tour de l’Ile, d’une part jusqu’à Sécheron, et de l’autre jusqu’à Cologny, cette partie du lac étant particulièrement propre à des constructions lacustres. Il est fort possible aussi qu’un pont ait été jeté d’une rive à l’autre, la profondeur des eaux n’y mettant point obstacle, toutefois on ne saurait affirmer que ces pilotis remontent tous à l’âge du bronze. Malgré l’étendue de cet emplacement, je n’ai trouvé que des fragments de poterie et je n’ai pas appris que M. Hyp. Gosse, qui a beaucoup exploré les environs de Genève, y ait découvert des objets en métal, mais il est à présumer /125/ que la vase recouvre encore de nombreux débris d’industrie. Une lame en bronze, trouvée récemment dans le port de Genève, provient sans doute de ces habitations.

Les pierres à Niton, que la tradition envisage comme des autels païens, étaient sans doute l’objet d’un culte de la part des habitants de la partie inférieure du lac. Ces autels consistent en deux grands blocs erratiques, formant deux îlots, situés entre les Eaux-Vives et la ville. L’un est à 50 toises, et l’autre à 90 environ de la rive orientale. Au pied du plus grand de ces blocs, on trouva, vers le milieu du XVIIe siècle, des celts ou hachettes avec un couteau en bronze 1 , conservés dans le musée de Genève 2 . (Pl. X, 17, Pl. XI, 5.) Les pierres à Niton, entourées d’eau, devaient être choisies de préférence comme autels par une population qui avait l’habitude de vivre sur les eaux et qui paraît même avoir consacré des maisons ou temples lacustres à ses dieux topiques 3 .

Entre Genève et Hermance, on trouve des pilotis près de /126/ La Belotte, où l’on a découvert la châtaigne d’eau (trapa natans) 1 , au Creux de la Gabioule et près de Bassy.

Au-dessus d’Hermance, il existe quatre emplacements. Le premier est sous le Moulin, nom donné à une source qui sort de la colline des Forches, sur laquelle on a découvert, en 1854, une grande urne d’une poterie pareille à celle des lacs. Le second point se trouve vis-à-vis de la Fabrique Canton, le troisième est au Creux de la Tougue, et le quatrième, peu considérable, en face du château de Beau-Regard.

Le plus important est celui du Creux de la Tougue, où les pilotis, fort nombreux, mais diversement conservés, dépassent la vase de deux pieds en moyenne. La poterie est particulièrement riche sur ce point; elle recouvre entièrement certaines places, et les vases intacts ne sont point rares. Leurs dimensions sont très variées ainsi que leurs formes. (Pl. XIII, 4, 5, 7, 8, 9, 15.) Une tasse, de 14 lignes de hauteur seulement, sur 19 lignes de diamètre, munie d’une petite oreillette, paraît avoir été un joujou d’enfant (Pl. XIII, 8), ainsi qu’un anneau-support en argile du diamètre de 22 lignes. De petites soucoupes accompagnaient ces pièces (Pl. XIII, 9); l’une, sans pied et percée au fond, peut avoir servi d’entonnoir 2 . Plusieurs fragments proviennent de vases de 2 à 3 pieds de diamètre. La forme de soupière est fréquente. Deux grandes tasses sont ovales. (Pl. XIII, 4.) D’autres vases, terminés en pointe à leur base, se rétrécissent à la naissance d’un col allongé, cylindrique ou légèrement évasé. /127/ (Pl. XIII, 15.) Cette forme reparaît fréquemment, mais avec un pied, dans les tombeaux helvéto-burgondes 1 . Ces poteries ont été parfois vernies en noir avec le graphite ou ornées de fines stries.

Les anneaux circulaires d’argile, employés comme supports, sont tout pareils à ceux de Morges. Deux fragments, distants d’environ 3 pieds, appartenaient à la même pièce; les cassures parfaitement anguleuses, laissant à peine un léger joint quand on les rapproche, montrent que ces deux morceaux sont restés dans une immobilité parfaite depuis qu’ils sont tombés à l’eau. Mentionnons en outre un peson de fuseau verni en noir (Pl. XII, 33), des pierres à broyer et 3 pierres discoïdes avec rainure.

Les objets en métal découverts dans le Creux de la Tougue sont tous en bronze: ce sont 4 celts, 3 couteaux gracieusement arqués et munis d’une douille pour recevoir le manche, dont une partie du bois subsiste encore (Pl. XI, 7), 4 faucilles (Pl. X, 2), une épingle à cheveux de 72 lignes de longueur, et 3 bracelets en bronze, dont l’un porte de fines gravures. (Pl. XI, 26.)

En côtoyant la rive de Savoie, on rencontre un nouvel établissement près de Messeri, où se trouvent plusieurs fragments de poterie au milieu de nombreux pilotis de 2 à 5 pieds de longueur, sous 12 pieds d’eau en hiver. Un des /128/ pieux arrachés de la vase portait des entailles évidemment faites avec la hache de bronze, et leur degré de conservation répond à cette période.

Les pilotis de Nernier ont déjà été mentionnés dans la description des habitations lacustres de l’âge de la pierre. Un autre établissement existait près de la pointe d’Yvoire, à en juger par les pieux qu’on y voit encore.

Il est à remarquer que, dans la contrée d’Yvoire à Hermance, les riverains attribuent les pilotis du lac à d’anciennes habitations construites au-dessus de l’eau, dans le but de se mettre à l’abri des bêtes fauves dont le pays était couvert. Quand on s’informe de l’origine de cette explication qui pourrait avoir été popularisée par des publications récentes, la réponse constante est que « les anciens disaient déjà cela. » Etait-ce une supposition qui devançait les inductions scientifiques, ou bien la tradition est-elle réellement antique? c’est ce qu’il serait difficile de décider. Cette tradition serait d’autant plus surprenante que toutes ces habitations paraissent avoir été détruites pendant l’âge du bronze. Je n’ai encore trouvé nulle part ailleurs, dans la Suisse occidentale, cette opinion répandue chez les riverains des lacs, qui voient plutôt dans les pilotis des restes de forêts submergées ou des digues qui auraient été recouvertes par un exhaussement des eaux.

La rade profonde, située entre Yvoire et Anthy, a sans doute été occupée, mais il n’est pas facile de retrouver les débris des constructions sous les alluvions que charrient constamment les torrents.

Une bourgade lacustre assez considérable existait autrefois en face de Thonon. Les pilotis, dont plusieurs ont encore quelques pieds de longueur, sont disposés parallèlement à la /129/ rive et s’étendent à droite et à gauche de la ville actuelle. On y retrouve la poterie des lacs et les anneaux-supports en argile. M. Forel a pêché sur ce point 3 bracelets ornés de stries et un fort beau couteau en bronze, d’un pied de longueur, y compris les 38 lignes du manche, qui n’est pas sans élégance. Celui-ci est d’un bronze plus rouge que la lame, dans laquelle l’étain est en proportions plus fortes.

On voit aussi plusieurs pilotis près d’Amphion, d’après le rapport d’un pêcheur de la contrée, mais je n’ai pas encore pu m’assurer de l’exactitude de ces renseignements. En se rapprochant de la tête du lac, les débris d’habitations lacustres deviennent beaucoup plus rares, ce qui s’explique par le petit nombre des blancs-fonds et par les rives rocheuses sur lesquelles on ne pouvait pas planter des pieux. D’autre part les alluvions du Rhône et des torrents alpestres ont dû recouvrir les restes des demeures qui auraient été construites vers l’embouchure des cours d’eau, car les rives ont été sensiblement modifiées sur différents points, depuis l’apparition de l’homme dans ces contrées, comme on peut s’en convaincre par les découvertes faites à Villeneuve et à Vevey, ainsi qu’on l’a vu plus haut.

Dans le nombre des emplacements qui viennent d’être énumérés, il en est plusieurs où l’on n’a pas encore découvert d’objets caractéristiques quant à l’époque de leur occupation, mais il suffît de rappeler que l’état de conservation des pilotis permet de les grouper dans la même période. C’est en partant de ce moyen de détermination que plusieurs points du lac de Neuchâtel seront mentionnés comme appartenant à l’âge du bronze, en attendant que de nouvelles recherches complètent ces premières données.

D’après l’ensemble des observations faites sur les bourgades /130/ lacustres du Léman, on voit qu’elles étaient en général à plusieurs centaines de pieds de la rive, et que les pilotis sont baignés en hiver par 8 à 12 pieds d’eau en moyenne. Il est évident que ces habitations se sont toujours élevées au-dessus de l’eau; s’il en eût été autrement, les débris tombés à leur pied auraient été dispersés par les vagues et soumis à l’action du roulis, de même que les galets de la rive; or rien de pareil ne s’est passé, les fragments de la même pièce gisent souvent les uns à côté des autres, et les cassures de la poterie sont tellement anguleuses qu’on ne saurait admettre le moindre frottement. Cependant le niveau moyen des eaux a-t-il toujours été ce qu’il est actuellement?

Sans aborder la question des barrages du Rhône à Genève, on peut dire que depuis plusieurs milliers d’années la variation n’a pas été très sensible, car, autrement, les pilotis auraient été sur le sec, ce qu’on ne saurait admettre, ou bien ils se seraient trouvés à une profondeur qui aurait exigé des bois de construction de dimensions plus considérables que ceux qui existent encore dans le limon. Dans ce dernier cas, on trouverait un cordon littoral au-dessus de la grève actuelle, ce qu’on n’a observé nulle part, pour autant qu’on s’en tient à l’époque humaine. Les registres du Conseil d’Etat de Genève et un mémoire de Fatio de Duillier, du commencement du siècle passé, mentionnent bien des baisses extraordinaires qui rendaient difficile la navigation sur le banc naturel qui traverse le lac à une demi-lieue de Genève, mais cette baisse n’aurait pas été consignée si elle eût répondu à l’état normal du niveau des eaux.

On cite en outre l’existence de plusieurs carrières de molasse, recouvertes actuellement par 3 à 4 pieds d’eau en hiver. Ces carrières se trouvent au couchant de la jetée /131/ d’Ouchy, près de Fraidaigues, au levant de Saint-Prex, vers la campagne du Rivage, près de Genève, et en-dessous de Nernier, sur la rive de Savoie. Ces exploitations faites à des profondeurs diverses sembleraient exiger en effet un niveau du lac moins élevé qu’il ne l’est de nos jours, mais cette baisse n’aurait plus permis à Genève d’être un port, ce que les chroniques n’auraient pas manqué de mentionner. On sait d’ailleurs que l’usage des batardeaux est fort ancien, en sorte qu’il est infiniment probable que c’est à l’aide de ces digues ou cloisons qu’on a fait ces exploitations de molasse, et non point à la suite d’un niveau sensiblement moins élevé qu’il ne l’est actuellement.

Depuis 1854, 26 emplacements à pilotis ont été constatés sur les bords du Léman, sans compter les points indéterminés de la tête du lac. Plusieurs de ces bourgades étaient fort considérables, et, en général, la durée de leur existence paraît avoir été fort longue, à en juger par les dépôts et la différence d’usure des pieux sur le même emplacement. Si l’âge de la pierre n’est pas encore constaté par quelques-unes de ces découvertes caractéristiques qui se multiplient chaque année, celui du bronze est en revanche largement représenté. On ne peut dire quels nouveaux éléments seront mis au jour par des fouilles ultérieures, mais, dans l’état actuel des recherches, on ne connaît aucun point qui ait été occupé après l’introduction du fer. Tandis que la plupart des habitations lacustres de la Suisse orientale ont été détruites pendant la première période, celles du Léman ont cessé d’exister dans l’âge du bronze. Avant de rechercher quelles peuvent être les raisons de l’abandon des bourgades lacustres à ces moments divers, il faut compléter la liste de ces découvertes /132/ pour s’entourer de tous les faits propres à jeter quelque lumière sur ces questions historiques.

 

Lac du Luissel,

dans le canton de Vaud.

Entre Bex et Lavey, est un contrefort des Alpes sur lequel prospèrent les forêts de châtaigniers. Dans un vallon mystérieux, situé sur la hauteur du côté de Bex, se trouve le petit lac du Luissel, desséché à la fin du siècle passé pour faciliter l’exploitation de la tourbe. L’ancienne rive était entourée d’un double cercle de chênes séculaires dont quelques-uns subsistent encore. Le 24 mars 1791, on découvrit en creusant le canal de desséchement, au nord du bassin et à une profondeur d’environ 6 pieds, divers débris de constructions lacustres. La tourbe recouvrait de nombreuses pièces de bois, entre autres deux fortes poutres, des grains de froment assez abondants, des ossements humains et beaucoup d’ossements d’animaux qu’on a pris pour ceux du cheval. Avec ces débris se trouvaient, en outre, plusieurs petits anneaux, une espèce de garniture de hampe (Pl. IX, 13, 14), 3 pointes de lance et 3 épées en bronze longues de 2 pieds à 23 pouces 1 . /133/ (Pl. IX, 7, 9.) Ces épées, remarquables par leurs poignées, sont surmontées d’une espèce de pommeau orné de deux élégantes volutes, entre lesquelles se prolonge la soie de la lame. La croisière, très rare à cette époque, est nettement accusée sur la figure 7. Bien que cette forme de poignée ne soit point commune, on en retrouve cependant quelques-unes de ce genre, en Italie, en France, en Allemagne et dans le Danemark.

On prétend dans la contrée que le Luissel s’appelait au trefois le lac du Désert. La tradition rapporte qu’il existait au milieu du lac un château opulent, habité par des maîtres inhospitaliers. Un mendiant, « qui savait beaucoup, » disent les habitants du voisinage, apparut un soir et demanda qu’on lui mît au four un petit cressin ou gâteau, qui prit de telles proportions qu’on l’échangea contre un plus petit. Le mendiant frustré se retira en prononçant une malédiction, puis le château s’abîma dans les eaux, dont la profondeur est réputée insondable 1 . Cette tradition ne saurait cependant être envisagée comme conservant le souvenir confus d’habitations lacustres. Le petit lac de Versvex, entre Aigle et Villeneuve, est l’objet du même récit. On raconte aussi que le lac de Bret, sur les hauteurs de Lavaux, retrace les contours d’une ville, affaissée sur elle-même pour avoir refusé l’hospitalité au Sauveur du monde, transformé en mendiant. Dans les Alpes, on cite plus d’un chalet inhospitalier recouvert par les glaciers ou emporté par les éboulements. La plupart des pays possèdent les mêmes traditions, qui étaient déjà répandues dans l’antiquité. /134/

Il ne reste du Luissel qu’une flaque entourée de roseaux et d’un sol fangeux. Aucune source ne se jette dans ce bassin, d’où l’eau surgit depuis la profondeur, mais sans mouvement sensible, et s’écoule du côté de Bex par le canal de dessèchement. L’ancien bassin, de forme ovale, s’élève au midi en pente douce et régulière, mais, au nord, il est accidenté par des chaînes de collines onduleuses, qui étaient submergées avant le dessèchement du lac. Le fond primitif est un schiste feuilleté, généralement recouvert d’une couche de tourbe ou d’un terreau noirâtre sur quelques-uns des points les moins profonds. J’ai fait creuser 11 tranchées, dans le mois de juillet, en 1859, sans retrouver l’emplacement dont parle M. Wild. Bien que les fouilles n’aient pas amené de riches découvertes, elles confirment cependant les données précédentes.

Une tranchée de 75 pieds de longueur, ouverte perpendiculairement sur la droite du canal, à 53 pieds du point où celui-ci commence à être couvert, descendait de 6 à 9 pieds dans la tourbe, qui contenait des faînes, beaucoup de feuilles de hêtre et une grande branche de chêne. A 11 pieds du canal et à 3 pieds de profondeur, se trouvait un manche de hache, formé d’une branche écorcée, qui avait été coupée sur la plante de manière à ménager un bout de tige transversal, entaillé pour recevoir la hache qui devait être fixée avec des ligatures. (Pl. III, 9.) Ce manche avait conservé dans la tourbe la couleur blanchâtre du bois, qui n’a pas tardé à se brunir, et toutes les entailles, d’un genre très primitif, ressortaient avec une netteté surprenante. L’instrument adapté à ce manche devait avoir la forme d’un coin, et il est assez probable que celui-ci était en pierre. Un peu plus loin, un copeau, à 6 pieds de profondeur dans la tourbe, /135/ portait aussi les entailles distinctes de deux coups de hache.

Quatre tranchées faites au nord du bassin, des deux côtés du canal, à partir du point où il est couvert, ont mis à jour des noisettes, des faînes et de nombreuses pièces de bois essentiellement en chêne, dont l’une mesurait 1 12 pied de diamètre. A 140 pieds au nord de la première tranchée, des branches de chêne se croisaient en tout sens dans une couche de tourbe sèche, épaisse de 4 pieds, au fond de laquelle étaient de nombreux charbons de bois. Un pieu pointu indiquait aussi l’industrie de l’homme, ainsi qu’une pièce de bois, revêtue de son écorce, et percée d’un trou de 5 lignes de diamètre.

Des sondes pratiquées sur divers points, vers l’ancienne rive ou au sommet des collines autrefois submergées, montrent partout la couche schisteuse du fond primitif, recouverte de tourbe ou d’un terreau noirâtre fort peu épais sur les monticules, dont le plus élevé devait former un bas-fond ou peut-être même un îlot, mais on ne retrouve à sa surface aucune trace de l’industrie humaine. Il n’en est pas de même en descendant vers la profondeur du bassin, entre la colline la plus élevée, le canal et la flaque d’eau, c’est-à-dire à peu près au centre de l’ancien lac. Une couche de tourbe de 6 pieds d’épaisseur recouvre de nombreuses pièces de bois et des charbons déposés sur le fond schisteux. Non loin de là, à 45 pieds au nord de la flaque, des ossements d’animaux et des vertèbres de cheval étaient pris sous 2 pieds de tourbe. Un pied plus bas, venait une couche limoneuse, blanche comme de la chaux, pleine de coquillages microscopiques et qui contenait divers débris de grands poissons. Sous ce limon, se trouvaient des bois carbonisés par le feu, gisant /136/ à 4 pieds de profondeur sur les couches feuilletées d’une mousse fine et jaunâtre.

La partie méridionale du bassin contient aussi des pièces de bois et des débris de roche exploités en partie par les habitants du voisinage, qui les considèrent à tort comme des restes de constructions.

La tourbe recouvre d’une manière générale le fond primitif du lac, en couches de 1 à 9 pieds d’épaisseur dans les parties fouillées, qui n’ont cependant pas atteint la plus grande profondeur. Les tranchées ouvertes près du canal descendaient de 5 à 8 pieds au-dessous du niveau actuel des eaux, sans être envahies par celles-ci; mais, dès qu’on arrivait sur le fond schisteux, l’eau jaillissait dans les tranchées, qui ne tardaient pas à se remplir. On voit ainsi qu’une nappe d’eau est répandue entre la tourbe et le schiste dans toutes les parties plus basses que le canal.

Des coléoptères nombreux ont péri dans le lac pendant la formation des tourbes qui contiennent beaucoup d’élitres de grandeurs diverses et d’un vert châtoyant, pareil à celui de la cantharide; mais, après avoir été exposées à l’air, elles prennent une couleur brune ou noirâtre. Les faines se trouvent plus fréquemment que les noisettes, et d’innombrables feuilles de hêtre montrent que les rives du lac ont été entourées de ces arbres pendant plusieurs siècles; cependant les branches et les tiges de chêne, prises sur plusieurs points dans la tourbe, ne venaient certainement pas d’une bien grande distance.

Quand on examine attentivement la tourbe des environs du canal, on voit que les feuilles de hêtre ont été généralement déposées par couches régulières. Sur plusieurs points, j’en ai compté 6 sur un pouce d’épaisseur, séparées les unes /137/ des autres par des lits noirâtres. Le nombre de ces couches doit indiquer celui des années pendant lesquelles a eu lieu la formation tourbeuse. Chaque automne, le petit lac était couvert de la dépouille des hêtres de la rive. Les feuilles, après s’être affaissées dans l’eau, se chargeaient du dépôt noirâtre sur lequel l’automne suivant jetait un nouveau lit de feuilles. Il aurait ainsi fallu 6 ans pour la formation d’un pouce de tourbe et 60 ans pour une couche d’un pied. Il ne serait pas sans intérêt d’appliquer ces observations dans d’autres localités, mais encore faut-il distinguer la tourbe soulacustre des autres, et ne pas oublier qu’il peut y avoir des temps d’arrêt, comme on l’a vu à Moosseedorf.

La découverte faite à la fin du siècle passé ne permet pas de douter que des constructions lacustres n’aient existé sur le Luissel pendant l’âge de bronze. Le manche trouvé l’année dernière peut même appartenir à l’âge de la pierre. Quoi qu’il en soit, les solives, les armes, le blé et les ossements enfouis dans la tourbe reproduisent les traits caractéristiques des dépôts constatés en grand nombre ces dernières années. Les traces de l’industrie humaine ont subsisté sur divers points du Luissel. Les charbons et les pièces de bois carbonisées se retrouvent au nord et au centre de l’ancien bassin. Le manche de hache et le copeau entaillé sont aussi tombés dans la profondeur des eaux. Si ces débris n’étaient pas auprès de pilotis plantés verticalement, ils peuvent avoir flotté un certain temps loin des demeures avant de descendre sur la tourbe. On doit cependant remarquer que les ossements enfouis près de la flaque actuelle n’ont pu ni surnager, ni avoir été poussés par les vagues sur le point où ils gisaient, en sorte qu’ils doivent être tombés à l’eau depuis le milieu du bassin. C’est au-dessous de ces ossements que se trouvaient /13 8/ aussi des pièces de bois carbonisées, dont quelques-unes, reposant sur la couche schisteuse, sont antérieures à la formation de la tourbe dans cette partie du bassin. Cet ensemble de débris provenant nécessairement du séjour de l’homme sur ce lac, il en résulte qu’il a dû résider sur ce point à une époque où l’absence de tourbe n’aurait point permis d’y planter des pieux, vu que la couche schisteuse aurait présenté trop de résistance. D’autre part, la profondeur du lac sur cet emplacement était trop considérable pour atteindre le fond avec des pilotis. Il est donc probable que les cabanes étaient construites sur des radeaux, comme c’est encore le cas chez quelques peuples. Les nombreuses pièces de bois retrouvées ça et là dans la tourbe en sont peut-être les débris. Toutefois l’existence de radeaux n’exclut point celle de constructions sur pilotis dans telle partie du bassin où la couche de tourbe était suffisante pour y planter des pieux, sans être à une trop grande profondeur dans les eaux.

M. Wild, frappé de l’aspect de ce vallon et de la double rangée de chênes qui ombrageaient la rive, d’où l’on ne voit que les cimes majestueuses des Alpes environnantes, croyait retrouver dans le Luissel l’un de ces lacs sacrés dans lesquels les Celtes jetaient, comme offrandes à leurs dieux, des armes, des produits des récoltes et les corps des victimes. On doit rapprocher de l’opinion de M. Wild l’explication que M. Ad. Pictet donne de deux inscriptions en langue gauloise qui mentionnent la consécration de maisons lacustres à des dieux topiques 1 . D’après ce savant philologue, on aurait eu l’usage d’élever sur les eaux des constructions religieuses. Le culte rendu aux sources et à certains lacs rend cette interprétation /139/ fort plausible et la découverte des habitations lacustres ajoute à cette vraisemblance. Celui qui vivait sur les eaux devait aussi adorer ses dieux sur les eaux. Les pierres à Niton de Genève nous apparaissent comme des autels lacustres, et l’on ne saurait méconnaître que le Luissel convenait, par sa situation pittoresque, aux cérémonies d’un culte empreint de mystères.

On ne peut cependant affirmer avec certitude que les constructions qui s’élevaient sur ce lac aient été consacrées à quelque divinité. Les ossements d’animaux découverts ne désignent pas nécessairement un sacrifice; les épées, les javelots et les squelettes humains peuvent provenir des mœurs guerrières de l’époque; la présence du froment dans la tourbe s’explique par un simple approvisionnement; mais il est aussi permis d’évoquer les traditions qui parlent de sacrifices humains, de l’immolation d’animaux nombreux et de l’usage de jeter, comme offrandes dans les eaux, des produits des récoltes, des armes, des vêtements et des trésors.

Le Luissel est l’un des plus petits lacs de ceux de la Suisse dans lesquels on ait retrouvé les restes de constructions lacustres, et l’on doit s’attendre à découvrir sur bien des étangs naturels des débris du même genre. Il serait donc fort possible que les rives beaucoup plus étendues du lac de Bret, situé sur les hauteurs de Lavaux, eussent aussi été occupées. On n’y a cependant rien trouvé de pareil jusqu’à ce jour, mais nous ignorons ce que peut recouvrir la tourbe du rivage. Les lacs de la Vallée, dans le Jura vaudois, ne présentent pas d’indices suffisamment positifs d’habitations sur les eaux. Leurs rives rocheuses ne se prêtaient guère à ces constructions. Il existe cependant dans le lac de Joux une dizaine /140/ de collines soulacustres, connues sous le nom de Monts. Trois portent des pieux et s’appellent Mont-Rond, Mont-chez-Grosjean et Mont-la-Capite. Le premier, situé près de la rive droite, en face du lac Ter, est couvert en été de 6 à 7 pieds d’eau, tandis que tout à l’entour la sonde descend jusqu’à 200 pieds. Sur son sommet marneux, sont groupés une cinquantaine de pieux au moins, d’un diamètre d’environ 3 pouces et saillants d’un à 5 pieds. Les uns sont droits, d’autres inclinés, quelques-uns conservent des traces d’écorce; le bois devenu noir est entouré d’une incrustation blanchâtre de calcaire. On voit, en outre, sur le Mont-Rond deux perches plantées récemment pour la pêche, ce qui pourrait faire croire que les autres pieux ont servi au même usage, aucun objet d’industrie n’ayant encore été découvert 1 . Le nom du troisième mont, La Capite, est assez curieux, cette expression désignant en patois une petite maison ou espèce de cabane qui, si elle a existé sur ce point, est sans doute d’une origine relativement récente 2 .

 

Lac de Neuchâtel.

De nombreuses habitations lacustres se sont élevées sur les deux rives du lac de Neuchâtel, dont les blancs fonds favorisaient ce genre de construction. La population du premier âge y possédait déjà d’importantes bourgades, mais, dans la période suivante, elles se multiplient et prennent un nouveau développement; quelques-unes subsistent même à /141/ une époque postérieure, caractérisée par l’introduction du fer; toutefois c’est dans l’âge du bronze qu’elles ont occupé le plus grand nombre de points.

L’emplacement de Corcellettes, situé à une demi-lieue en dessous de Grandson, est couvert de nombreux pilotis qui s’étendent surtout en face de la campagne de M. le colonel Bourgeois; quelques-uns s’approchent de la rive sous 2 à 3 pieds d’eau seulement, tandis que les autres s’en éloignent jusqu’à une profondeur de 10 à 12 pieds. La conservation des pieux est très inégale; les uns, fort usés, sortent à peine de la vase, mais le plus grand nombre mesurent d’un à 3 pieds au-dessus du limon. Clair-semés sur quelques points, ils sont beaucoup plus serrés sur d’autres. Ici, comme ailleurs, on trouve des pièces de bois carbonisées de grandeurs diverses.

Les objets en bronze découverts jusqu’à présent sont peu nombreux; il faut cependant mentionner un petit anneau du genre de ceux du Luissel, un grand bracelet et un celt. En revanche la poterie est très abondante. Plusieurs vases ont été retirés parfaitement intacts. Leurs formes et leurs dimensions présentent une grande variété. (Pl. XIII, 2, 17.) Les uns paraissent avoir été de vrais joujoux d’enfants, d’autres n’ont pas moins de 2 pieds de diamètre. Un fort petit gobelet, terminé en pointe dans sa partie inférieure, a la forme d’un cône renversé. (Pl. XIII, 6.) Des soucoupes, ornées sur le rebord comme la pièce précédente, ont été travaillées soit à la main, soit à l’aide du tour. Plusieurs vases ressemblent à des gamelles, d’autres à des soupières ou bien à des urnes. Le vernis noir est quelquefois produit par le graphite. Les ornements, parfois d’une grande finesse, consistent en chevrons, en zigzags, en stries et en pointillages /142/ semblables à ceux des bracelets. Les anneaux-supports sont les mêmes que ceux des habitations du Léman et les ossements d’animaux ont été découverts en assez grand nombre 1 .

Je ne sais si l’on doit rattacher à ces débris les pilotis qu’on voit sous 3 à 4 pieds d’eau, vis-à-vis du village de Corcellettes. Ils sont plantés sur 2 ou 3 rangs qui forment un carré avec une ouverture sur l’un des angles. Des cailloux roulés remplissent l’intervalle entre les rangées de pieux, tandis que l’espace intérieur est couvert d’un fin limon, dans lequel je n’ai trouvé aucun objet d’industrie.

Peu au delà de Corcellettes, est une rade, désignée dans la localité sous le nom de Chaudron. Des pieux nombreux, baignés par 8 à 10 pieds d’eau, proviennent d’habitations lacustres.

Concise était déjà connu par ses pilotis de l’époque du bronze, longtemps avant la découverte faite en 1859. Les pieux peu nombreux, mais saillants au-dessus de la vase, ont été souvent arrachés comme bois à brûler; j’en ai vu un en chêne, de plus de 5 pieds de longueur, devenu complétement noir, fort dur et d’une certaine élasticité. Ceux de l’emplacement voisin, entièrement couverts de limon, étaient en revanche mous et sans consistance, ce qui montre assurément une grande différence d’antiquité. C’est au milieu des pilotis les mieux conservés que j’ai recueilli, en 1854, divers débris de poterie, et c’est aussi là que M. le capitaine Pillichody avait découvert, auprès d’un canot submergé, il y a environ trente ans, 2 épées en bronze dont l’une a été perdue. L’autre (Pl. IX, 11), conservée dans le musée /143/ de Neuchâtel, rappelle celles du Luissel par les volutes de son pommeau. De même que le manche du couteau de Thonon, la poignée de l’épée de Concise est d’un bronze plus rouge que celui de la lame dans lequel l’étain entrait en proportions plus fortes, afin de rendre le métal plus dur.

M. le Dr Clément m’a montré, près de St. Aubin, plusieurs lignes de pilotis usés jusqu’à la surface de la grève et disposés en doubles rangées qui pénètrent dans le rivage sous d’anciennes alluvions.

On découvre vis-à-vis du Moulin de Bevaiz, au milieu de pilotis d’un à 3 pieds de longueur, des celts avec d’autres pièces en bronze, des anneaux-supports et plusieurs vases intacts. L’un, de grandes dimensions, était brisé en deux morceaux qui gisaient sur le limon l’un à côté de l’autre et qu’il m’a été facile de remonter.

La poterie est moins abondante sur l’emplacement caillouteux, situé en face de l’Abbaye de Bevaix, d’où proviennent divers objets en bronze: un bracelet, 3 faucilles (Pl. X, 5), 2 celts (Pl. X, 16), qui conservent encore des restes du manche en bois, et une espèce d’ornement de la forme d’un entonnoir (Pl. XI, 12), haut de 26 lignes sur 24 seulement de diamètre. Cette pièce, surmontée d’une pointe cylindrique et tubulaire, épaisse de 3 lignes, conserve à l’intérieur les bavures du moule dans lequel elle a été coulée.

Quelques toises au delà du Grain, à une cinquantaine de pieds du bord, est un emplacement dont les pieux peu nombreux, saillants d’environ un pied, sont à une profondeur de 3 pieds par les basses eaux. Une traînée de cailloux, allant obliquement de ce point à la rive, forme une espèce de /144/ jetée qui tenait sans doute lieu du pont sur pilotis, comme c’est parfois le cas en Irlande.

L’une des bourgades lacustres les plus importantes du lac de Neuchâtel s’élevait devant les Rives, sous Cortaillod 1 . Elle existait déjà vers la fin de l’âge de la pierre et elle a encore été occupée après l’introduction du fer. La période du bronze y est représentée par des celts, des pointes de lance, des couteaux, des faucilles, des épingles à cheveux, des boucles d’oreille formées d’un fil délié (Pl. XI, 22), des bracelets fort nombreux et des anneaux de dimensions assez grandes pour les passer aux jambes. L’un ne mesure pas moins de 4 12 pouces de diamètre. (Pl. XI, 28.) Quelques bracelets ont été brisés anciennement. La plupart sont formés de larges lamelles bombées, produites par le moulage (Pl. XI, 18, 23) et ornées de torsades ou de stries parallèles, tracées en losanges dont les angles aboutissent à des cercles concentriques. Une épingle, de 19 pouces de longueur, est munie d’une tige, accidentellement recourbée, qui a été torsée en-dessous de la tête, de forme sphérique. Celle-ci (Pl. XII, 1), du diamètre de 16 lignes, consiste en une mince feuille de bronze, ornée de lignes pointillées et de petits disques repoussés. Une plaque circulaire en bronze, de 21 lignes de diamètre, bombée comme un couvercle de vase et munie d’un anneau mobile sur la face concave, était sans doute un ornement. (Pl. XI, 17.) Elle a été découverte /145/ par M. le Dr Otz, dans un vase d’argile avec 2 faucilles et 5 bracelets. — Une feuille circulaire (Pl. X, 12), des mêmes dimensions que la pièce précédente, porte sur le bord extérieur une tige de 5 lignes de longueur, terminée en forme d’anneau; le centre de cette feuille est percé d’un trou de 9 lignes de diamètre. — Un cylindre creux, renflé sur le milieu de sa longueur, est muni à ses deux extrémités d’un rebord évasé pareil à celui d’une bobèche (Pl. XI, 11); la hauteur totale de cet instrument est de 14 lignes, et son plus grand diamètre, de 2 pouces.

On découvre au milieu des pilotis de Cortaillod, distants de quelques centaines de pieds de la rive, de nombreux débris de poterie, quelques vases entiers (Pl. XIII, 16), des anneaux-supports, des pesons de fuseau, des pierres discoïdes avec rainure, des marteaux en pierre, des broyons, des meules, des pièces de bois carbonisées, des noisettes, des noyaux de prunelles et des quartiers de pommes sauvages de la même espèce que celles de Wangen.

Des fragments d’argile cuite, restes du revêtement des cabanes, méritent une mention particulière. Les auteurs anciens parlent des demeures des Gaulois comme étant construites de pieux plantés en cercle entre lesquels on croisait des branchages qu’on garnissait ensuite intérieurement avec de l’argile. Les maisons lacustres ne paraissent pas avoir été construites autrement. Lors de l’incendie, cette argile a souvent été cuite de manière à pouvoir se conserver dans l’eau. Ces fragments portent en creux l’empreinte des branchages entrelacés (Pl. XII, 37) et parfois des montants. Plusieurs de ces morceaux, passant de l’action du feu à un refroidissement subit, se sont déformés en tombant dans l’eau, mais d’autres sont restés parfaitement /146/ intacts, ce dont il est facile de se convaincre quand l’une des faces de la pièce de revêtement reproduit un arc de cercle régulier; on en peut même conclure que les cabanes étaient circulaires, et, d’après quelques fragments, elles doivent avoir mesuré intérieurement de 10 à 15 pieds de diamètre.

Les ossements d’animaux ne sont point rares, de même que sur les emplacements précédents. Faute de déterminations suffisantes, je ne puis encore indiquer que le cerf, le bœuf et le mouton. Une forte tête de fémur, taillée en gobelet, remonte peut-être à l’âge de la pierre, tandis que d’autres pièces, qui seront mentionnées plus loin, appartiennent à la période du fer.

Un second emplacement, qu’on peut rattacher au Petit Cortaillod, n’est séparé de celui qui vient d’être décrit que par une zone de limon sans pilotis. La profondeur à laquelle il se trouve rend les recherches difficiles, en sorte qu’on ne saurait dire s’il a été occupé simultanément avec le précédent ou à une autre époque.

Vers le Bied, entre la Reuse et Colombier, une double rangée de pieux assez serrés part de la rive et s’étend sous les eaux en arc de cercle; l’autre extrémité, actuellement ensablée, retombait sur le rivage. Une pierre triangulaire, percée d’un trou vers le sommet, se trouvait à l’est des pieux. D’autres objets appartiennent à une époque postérieure. La disposition exceptionnelle de ces pilotis ne se prêtait pas à la construction de cabanes, mais leur antiquité ressort de la manière dont ils ont été usés par les eaux et des objets qui les accompagnaient. C’est du reste en face de ce point qu’on a découvert les pilotis du Grand-Verger, envahis par les alluvions de la Reuse, et il est probable qu’ils /147/ ont occupé peu à peu l’espace intermédiaire, à mesure que la plaine s’avançait dans les eaux.

Vis-à-vis des avenues du château de Colombier, on aperçoit, à une assez grande distance du bord, sous 15 à 20 pieds d’eau, de nombreux pilotis, dont plusieurs se perdent vers la profondeur. Deux rangées, formées chacune d’une double ligne de pieux, se détachent de cet emplacement, l’une se dirigeant à gauche vers le bord et disparaissant sous le limon, l’autre allant à droite et aboutissant sur le port de Colombier. L’espace entre ces deux lignes de pieux parallèles mesure de 4 à 5 pieds et donne approximativement la largeur du pont qui conduisait au rivage.

Une autre rangée de pilotis, semblable aux précédentes, part du port de Colombier et met en communication avec la rive un second emplacement, situé près d’Auvernier. Des pièces de bois carbonisées témoignent d’une destruction par le feu, plusieurs sont recouvertes par le limon; l’une, de grandes dimensions, est peut-être un canot tourné sens dessus dessous. Non loin de cet emplacement, on voit, au milieu des galets de la rive, vers les premières maisons d’Auvernier, des pilotis disposés en carré, comme ceux de Corcellettes, et qui sont en partie à sec par les basses eaux.

Le groupe le plus important est celui d’Auvernier, d’où proviennent un bracelet et un beau celt en bronze. La poterie y est tout particulièrement abondante. Beaucoup de vases, pris en partie dans le limon, sont intacts ou à peu près et contiennent parfois des noisettes 1 . La variété des /148/ formes et des dimensions n’est pas moins grande qu’au Creux de la Tougue et à Corcellettes. Un vase, pareil à ceux de l’âge de la pierre dans les pays du Nord, est muni de trois petites oreillettes dans lesquelles on ne peut passer qu’une ficelle; d’autres vases sont ornés de proéminences comme on en voit fréquemment sur la poterie des Wendes répandus dans le nord de la Germanie. Quelques-uns portent une ou 2 anses. (Pl. XIII, 3, 14.) Plusieurs ont conservé leur vernis noir, produit quelquefois par le graphite. Les ornements consistent aussi en cordons saillants, adaptés sur les flancs du vase, ou en stries d’une grande finesse (Pl. XIII, 1, 10), disposées en lignes parallèles, en chevrons, en triangles ou bien en lignes ondulées. Divers fragments déformés par la cuite indiquent que la fabrique de poterie n’était pas éloignée. De nombreux anneaux en argile, servant de support, de 2 12 à 5 pouces de diamètre (Pl. XIII, 12). accompagnent ces vases dont plusieurs, faute de pied, devaient être posés sur ces anneaux.

Une pointe de lance en fer très effilée, provenant de cette localité, montre que la bourgade d’Auvernier a dû subsister au moins jusqu’à l’introduction de ce métal. On est loin du reste de pouvoir encore se faire une idée exacte de tout ce que recouvre le limon du lac sur ce point. Les pilotis sortent d’une vase qui est très propre à la conservation de la poterie, mais dans laquelle les objets lourds et de moindre volume ont naturellement disparu.

Il faut ajouter que, malgré ce fond limoneux, il existe, au milieu des pilotis, plusieurs monticules de pierres et de gravier, hauts d’environ 2 à 3 pieds sur 5 à 10 de longueur et 4 à 6 de largeur. Je ne puis dire s’ils sont de formation naturelle ou non. Il ne sera pas sans intérêt d’en fouiller /149/ quelques-uns pour s’assurer s’ils ne recouvrent point des objets d’industrie ou même des sépultures. On attribue à quelques Indiens de l’Amérique l’usage de descendre dans les eaux le corps du défunt, qu’on recouvre ensuite de pierres ou de gravier. Toutefois il serait assez surprenant qu’un mode funéraire de ce genre eût été limité à Auvernier, s’il a jamais existé en Suisse, car je n’ai encore observé nulle part ailleurs ces monticules. Il est probable aussi que les sépultures étaient moins rapprochées des habitations. Quoi qu’il en soit, il suffira de faire quelques tranchées pour élucider cette question.

On trouve encore, sur la rive neuchâteloise du lac, des emplacements à pilotis, au Crêt près Neuchâtel, vis-à-vis de Hauterive et à La Tène, non loin de Préfargier. L’emplacement de Hauterive, occupé par les pieux, mesure à peu près 120 000 pieds carrés de surface, sous 4 à 6 pieds d’eau 1 . Celui de la Tène, éloigné d’environ 300 pieds de la rive et profond de 4 à 15 pieds, a près de 80 000 pieds carrés de surface. Quoique moins grand que le précédent, il est infiniment riche en débris d’industrie dont la plupart, appartenant à la période du fer, seront décrits plus loin.

La rive droite du lac n’a pas été moins habitée que celle qui vient d’être parcourue. En passant vers le pied du Vully, on trouve, à la Sauge, non loin de l’embouchure de la Broie, des pilotis distants d’environ 1000 pieds de la rive et recouverts seulement par 7 pieds d’eau. Bien qu’on y découvre des objets de l’époque romaine, il est à présumer que l’occupation de ce point remonte à un âge plus reculé. /150/

D’autres pilotis existent près de Cudrefin et de Champmartin. Ce dernier emplacement, de 80 000 pieds carrés de surface, est éloigné de 4 à 500 pieds de la rive et recouvert de 4 à 5 pieds d’eau. On y a pêché des pesons de fuseau en argile.

Les pilotis de Chabrey, du milieu desquels provient un peson de fuseau en pierre, sont à la même profondeur et à la même distance de la rive que les précédents. Ils occupent un espace de 160 000 pieds carrés.

Des habitations lacustres s’élevaient aussi près de Port-Alban et de Gletterens. Elles étaient à 600 pieds de la rive, au-dessus de 7 à 8 pieds d’eau. Les dernières, qui paraissent avoir encore subsisté pendant l’époque romaine, recouvraient un espace d’environ 80 000 pieds carrés.

Il n’existait pas moins de trois bourgades ou villages près de Chevroux, où se trouvaient déjà des constructions sur pilotis dans l’âge de la pierre. Le premier emplacement, éloigné d’à peu près 600 pieds du rivage et baigné par 5 à 8 pieds d’eau, avait une étendue d’environ 60 000 pieds carrés. On y a découvert des bracelets, des épingles à cheveux, des faucilles, des couteaux, deux épées en bronze et quelques objets en fer. — Le second établissement, situé à 400 pieds du bord, sur un fond couvert de 3 à 4 pieds d’eau, occupait une surface de 160 000 pieds carrés et doit avoir été uni au précédent. Les objets découverts sont essentiellement des pesons de fuseau. — Le troisième emplacement, à la même distance de la rive et à la même profondeur que le précédent, est recouvert de sable.

Vers les pilotis de Forel, distants de 900 pieds du rivage, on voit, à une profondeur de 5 à 7 pieds, des tuiles romaines et des pieux peu nombreux. /151/

Il existe près de Corbière deux emplacements à pilotis. Le premier, appelé Ténevières de la Craza, remonte à l’âge de la pierre; le second, celui de la Craza, est à environ 700 pieds du bord, et mesure, sous 8 à 9 pieds d’eau, près de 60 000 pieds carrés de surface. On y découvre des débris de poterie romaine, mais MM. de Vevey et Rey y ont aussi trouvé des objets de l’âge du bronze, tels que couteau, épingles et petits anneaux de la grandeur de bagues. Une double rangée de pieux qui se dirigent sur la rive indique les restes d’un ancien pont. La côte rocheuse, sur laquelle on voit plusieurs cavités, porte le nom de La Creuse.

Estavayer possède, de même que Corbière, deux emplacements, l’un, de l’âge de la pierre, et l’autre de la période suivante. Ce dernier, situé en face de la ville, à environ 400 pieds du rivage, et baigné par 6 à 7 pieds d’eau, ne mesure guère que 8000 pieds carrés de surface. Malgré son peu d’étendue, les objets d’industrie y sont nombreux. La riche collection de M. le colonel Schwab renferme des meules, des broyons, des vases, des anneaux-supports et des pesons de fuseau en argile, ainsi que des bracelets, des épingles à cheveux, des faucilles et des couteaux en bronze, qui proviennent de ce point que MM. de Vevey et Rey, d’Estavayer, ont particulièrement exploré 1 . Outre des poteries et de nombreux ossements, ils y ont recueilli plus de 200 objets en bronze. Les épingles, au nombre de 129, présentent d’assez grandes variétés. L’une, de 76 lignes de longueur, est ornée d’une tête sphérique de 11 lignes de diamètre, percée de 8 trous circulaires et couverte de gravures en cercles concentriques, en lignes droites et en pointillages. /152/ (Pl. XII, 6.) Dans le nombre des ornements, sont 14 bracelets, les uns richement gravés, une bague de la forme d’une feuille de saule cannelée sur sa longueur (Pl. XI, 19), 2 boutons bombés, pareils à celui de Concise (Pl. VIII, 12), 6 petites spirales en tire-bouchon (Pl. XII, 35) qui ont été passées dans le fil d’un collier 1 , et 25 petits anneaux de 3 à 4 lignes de diamètre; 2 sont encore unis par une lamelle de bronze, repliée de manière à servir de lien, en sorte qu’on peut envisager ces petits anneaux comme les débris de chaînettes (Pl. XI, 9) dont on retrouve les analogues dans les sépultures 2 . — Les armes ne consistent encore qu’en une pointe de javelot et une charmante tête de flèche en bronze avec douille. (Pl. IX, 4.) — Dans le nombre des objets d’usage domestique se trouvent: un celt avec douille et oreillette, un petit ciseau, long de près de 3 pouces, dont le tranchant n’a que 3 lignes de largeur (Pl. X, 3), 24 couteaux, 5 faucilles, 2 hameçons, l’un double (Pl. XII, 25) et l’autre simple, d’une forme pareille aux hameçons de nos jours. Une petite barre d’étain, longue de 4 pouces, et du poids d’environ demi-once, était sans doute destinée à être travaillée sur place 3 . Le moule découvert à Morges et les /153/ emplacements de fonderie constatés en Suisse ont déjà fait voir que la population de l’Helvétie connaissait l’art de travailler et d’allier les métaux, mais il n’en est pas moins fort intéressant de retrouver l’une de ces barres d’étain qui devaient être un article important du commerce de l’antiquité.

Un canot gît encore au fond du lac près de l’emplacement d’Estavayer. Des pêcheurs en ont sorti un autre, ces derniers temps, qui mesurait environ 10 pieds de longueur sur 2 de largeur, et dont l’extrémité conservée est taillée en pointe légèrement relevée.

En amont d’Estavayer, près de l’embouchure du ruisseau des Etangs, des pilotis sont en partie recouverts de sable. /154/

Un peu au delà, du côté de Font, on voit, à peu de distance du rivage, sous 2 à 3 pieds d’eau seulement, quelques restes de pieux du milieu desquels MM. de Vevey et Rey ont sorti une navette à filocher, consistant en une longue aiguille de bronze, fendue à ses deux extrémités de manière à recevoir le fil. Près de cet emplacement, se trouvent le Port des Sarrazins et un bloc erratique connu sous le nom de Pierre du mariage. Les traditions qui se rapportent aux Sarrazins sont très répandues dans la Suisse occidentale, où il existe aussi des autels païens vers lesquels des fiancés ont continué, jusque dans le siècle passé, à se jurer fidélité réciproque.

Il reste à mentionner deux emplacements à pilotis, ceux de Cheire et de Clendy. Ce dernier, à peu de distance d’Yverdon, est couvert de cailloux au milieu desquels j’ai trouvé des marteaux en pierre de la forme de cubes aux angles émoussés.

Si l’on ajoute à ces différents emplacements ceux de l’âge de la pierre, y compris Chamblon et le pont de la Thièle, on voit que le lac de Neuchâtel ne compte pas moins de 37 bourgades ou villages lacustres, mais encore ce chiffre est-il un minimum, vu qu’il est à présumer que plus d’un point a été recouvert par les formations tourbeuses des deux extrémités du lac et par les alluvions des nombreux torrents qui se jettent dans ce bassin 1 . Sept de ces emplacements ont /155/ été abandonnés pendant l’âge de la pierre. Cinq de l’âge du bronze paraissent, d’après les instruments en pierre découverts, remonter à la période primitive, et la plupart ont été détruits avant l’introduction du fer. On retrouve cependant des poteries romaines sur 7 à 8 localités, comme on le verra plus tard; mais les restes de beaucoup les plus nombreux, découverts jusqu’à présent, remontent à la période du bronze pendant laquelle les habitations lacustres de l’Helvétie occidentale ont eu le plus haut degré de prospérité.

 

Lac de Morat.

Le lac de Morat, voisin de celui de Neuchâtel avec lequel il formait autrefois un seul bassin, n’en est séparé que par des marécages et par le mont Vully, qui s’avançait comme un cap au milieu des eaux. La proximité de ces deux lacs ne permet pas de douter que celui de Morat n’ait eu aussi ses habitations lacustres, mais ses bords n’ont pas encore été suffisamment explorés, et il est probable que la tourbe recouvre les restes de plus d’une ancienne construction.

On voit, sur la rive voisine d’Avenches, du côté de Faoug, des rangées d’anciens pilotis qui s’avancent dans les eaux, jusqu’à une profondeur de 7 à 8 pieds, où ils se groupent en grand nombre 1 . Ce point ne tardera pas à être examiné de plus près.

 

Lac de Bienne.

Le lac de Bienne est particulièrement riche en antiquités /156/ provenant des constructions lacustres 1 . Avant qu’on se rendît compte de la présence de ces débris dans les eaux, M. Albert Jahn avait déjà recueilli plusieurs objets intéressants. En 1854, M. le notaire Muller, de Nidau, commença à se former une précieuse collection, devenue plus tard la propriété de M. le colonel Schwab, qui, par ses nombreuses explorations, a créé le plus beau cabinet d’antiquités lacustres qui existe en Suisse.

L’emplacement à pilotis le plus important du lac de Bienne est celui de Steinberg, près de Nidau. Comme son nom l’indique, il consiste en un mont recouvert de pierres, mais c’est un mont submergé dont le sommet est baigné par 7 à 8 pieds d’eau. La surface, d’une étendue d’environ 3 arpents, est chargée de cailloux roulés, jetés en grande abondance par la main de l’homme sur ce point, pareil au bas-fond de Rolle, et qui n’est pas sans rapport avec les crannoges de l’Irlande. Il est cependant à présumer que le Steinberg ne s’est jamais élevé au-dessus de l’eau d’une manière permanente, car rien n’autorise à admettre un exhaussement de 7 à 8 pieds du niveau moyen; les nombreux pilotis qui sortent encore de 2 à 3 pieds de la surface du mont, et non pas de son pourtour seulement, montrent, dans tous les cas, que le plancher des cabanes ne reposait pas sur le sol 2 . /157/ Le chêne, le hêtre et le sapin ont été employés pour ces pilotis de 3 pouces à un pied de diamètre. Plantés sans ordre, ils sont clair-semés sur quelques points et groupés ailleurs, de manière à n’être distants les uns des autres que d’un à 3 pieds. Un canot et plusieurs pièces de bois, restes des constructions, gisent au milieu de ces pieux, avec des massues en chêne et de nombreux débris d’industrie, dont quelques-uns remontent, comme on l’a vu, à l’âge primitif; tandis que d’autres sont postérieurs à la deuxième période. Des lances de chêne, longues de 6 à 8 pieds, ne paraissent pas avoir été armées de pointes en métal, et des massues du même bois, semblables à celles de Wangen, ont pu être employées à des époques diverses.

Les pierres discoïdes à rainure, pareilles à celles du Léman, n’étaient point rares sur le Steinberg. La plupart sont en pierre quartzeuse et quelques-unes seulement, en calcaire jurassique. Que leurs faces soient plates, concaves ou convexes, elles ont toujours sur le centre un petit creux, mais ces disques ne sont jamais percés de part en part. Le plus remarquable a été taillé de manière à présenter sur chacune de ses faces 4 degrés circulaires dont le diamètre va en se rétrécissant. (Pl. XII, 42.)

Sur d’autres pierres, de la forme des galets de rivière, on a taillé une rainure, non point sur le pourtour, mais en travers (Pl. XII, 38), de manière à pouvoir y adapter solidement un manche fendu ou y attacher une corde. Dans le premier cas, la destination pouvait être celle des casse-tête, et l’on sait d’autre part que les peuples du Nord ont longtemps /158/ utilisé dans la guerre des cordes à l’extrémité desquelles était fixée une pierre qui, lancée avec dextérité, faisait enrouler la corde autour des membres de l’ennemi qu’on enveloppait ainsi de cette espèce de lacs.

Des pierres percées, de 5 à 6 livres de pesanteur, ont eu sans doute des destinations diverses.

Les marteaux en pierre, de la forme d’un cube aux angles émoussés, sont nombreux. — Des cailloux plats, avec des creux irréguliers, mais artificiels, paraissent avoir été de véritables enclumes.

Les pierres à aiguiser, les broyons, les moulins ou meules avec une surface parfaitement plane rappellent les occupations inhérentes à la vie domestique. — D’autres pierres portent de petits bassins, de 2 à 3 pouces de diamètre sur 5 à 8 lignes de profondeur, destinés sans doute à broyer des grains, mais dont l’usage a pu être fort varié. Ces bassins sont pareils à ceux qu’on voit sur les autels appelés dans divers pays, Pierres aux Ecuelles 1 . Des mortiers d’un genre analogue ont été employés par les anciens habitants de l’Amérique /159/ du Nord et sont encore en usage chez quelques Indiens 1 .

La poterie du Steinberg présente la même variété et les mêmes caractères que celle des autres emplacements de l’âge du bronze. Plusieurs fragments de vases, ornés d’un vernis rouge et noir, me paraissent appartenir à la période suivante, dans laquelle il en sera plus particulièrement fait mention, ainsi que de l’emploi de la pierre ollaire. — Les anneaux-supports sont nombreux, de même que les débris de revêtement en argile, qui, comme ceux de Cortaillod, conservent en creux l’empreinte des branchages entrelacés, dont on formait les parois des cabanes. — Les pesons de fuseau d’argile, souvent colorés en noir avec le graphite, mais quelquefois aussi en pierre, se distinguent des grains de collier en ce qu’ils sont aplatis d’un côté, tandis que l’autre est convexe et fréquemment orné. (Pl. XII, 32, 39.)

Entre les instruments en bronze, découverts sur le Steinberg, plusieurs sont remarquables par leurs ornements ou l’originalité de leurs formes. — Les pointes de lance et de javelot (Pl. IX, 15) mesurent de 3 à 11 pouces. L’une (Pl. IX, 6), ornée sur sa douille de lignes ondulées et de pointillages, peut prendre place à côté des plus belles pièces Scandinaves de ce genre. Des têtes de flèche avec ailerons prolongés en pointe le long de la hampe, à la manière des harpons (Pl. IX, 1, 2, 3), sont intéressantes à cause de leur rareté dans l’âge du bronze 2 . — Les celts portent /160/ généralement une oreillette sur le côté. — De véritables ciseaux en bronze, de 3 à 5 pouces de longueur (Pl. X, 1), sont munis d’une douille opposée au tranchant, et n’ont pu être employés que comme le ciseau du charpentier. — Un autre genre d’instrument que je n’ai encore vu qu’à Bienne, est une espèce de marteau formé d’une pièce de bronze à 6 faces, longue d’environ 2 pouces sur un diamètre de 12 lignes en moyenne (Pl. X, 4); il recevait un manche en bois, qui, fixé à l’une des extrémités, devait être coudé. — On peut envisager comme des limes, d’un genre primitif sans doute, des pièces de bronze, longues de 22 à 46 lignes, dont l’une des faces ou les deux faces opposées sont couvertes de cannelures transversales et parallèles. (Pl. X, 9.) Elles pouvaient servir à donner un certain fini à des objets d’une matière peu dure. — Les faucilles, fortifiées par deux ou trois nervures, ressemblent à celles des autres emplacements lacustres. — Les couteaux ont une lame gracieusement arquée, parfois avec un manche en bronze de forme élégante (Pl. XI, 1), d’autrefois le manche se fixait dans une douille, ou bien enfin la soie de la lame pénétrait dans le bois. (Pl. XI, 2.) — La variété des pièces qu’on peut envisager comme des tranchets est assez grande. Ce sont des lamelles de bronze arquées, dont le tranchant est sur le bord convexe; les unes manquent de poignée et d’autres sont munies d’un petit anneau à l’une de leurs extrémités. (Pl. X, 7, 11, 13, 14.) Quelques-unes de ces pièces doivent être rapprochées des tranchets Scandinaves, nombreux entre auTres dans le musée d’antiquités de Copenhague. — Les poinçons /161/ ont été formés de fils de bronze, le plus souvent carrés, longs de 3 à 4 pouces, dont une extrémité est pointue, tandis que l’autre s’élargit et se termine en forme de petit ciseau. (Pl. XII, 14.) D’autres pièces d’un genre pareil, mais plates aux deux extrémités (Pl. XII, 8), servaient peut-être de perçoir en les fixant à un instrument qui permît de les mettre en rotation. — Des fils de bronze, bifurqués sur les deux bouts, ont pu être employés comme navettes pour la maille du filet (Pl. XII, 11); d’autres, munis de cette petite fourchette à un bout seulement (Pl. XII, 19), se rapprochent de l’aiguille. — La variété des aiguilles ou aiguillettes est remarquable. Elles mesurent de 15 lignes à 6 pouces de longueur. Quand l’œil se trouve sur le milieu de l’instrument, les deux extrémités de celui-ci sont pointues (Pl. XII, 22), comme on a déjà pu le remarquer sur les aiguillettes en os de Concise; mais le plus souvent l’œil circulaire, carré ou en losange, est sur le bout opposé à la pointe. (Pl. XII, 15, 16, 17, 18, 21.) — De petits crochets sont pareils à ceux que les dames emploient de nos jours pour crocheter. (Pl. XII, 20.) — Cette dernière forme conduit assez naturellement à l’hameçon, en recourbant la tige de bronze, et il est possible que ces crochets aient été destinés à cet autre genre d’objets. Les nombreux hameçons découverts sont le plus souvent formés de fils de bronze carrés, terminés en pointe comme une aiguille (Pl. XII, 23, 28) ou munis d’une petite barbe. (Pl. XII, 24, 26, 27.) L’extrémité où se fixait le fil de la ligne est entaillée ou repliée en anneau. D’autres fils de bronze forment l’hameçon double. (Pl. XII, 29.) Ces diverses variétés nous montrent combien les formes encore usitées de nos jours remontent à une haute antiquité.

Les ornements en bronze du Steinberg méritent aussi une /162/ mention spéciale. Les épingles, de dimensions et de formes très diverses, sont souvent ornées avec beaucoup de goût. Une partie de la tige est parfois torsée ou couverte de fines gravures et se termine par un anneau, par un renflement du métal, ou par un bouton plat ou de forme ovoïde, à moins qu’elle n’entre dans une tête sphérique finement striée, percée de jours circulaires et quelquefois incrustée de pierres rouges ou d’autres matières. (Pl. XII, 3, 4, 5, 7, 9, 10, 12.) — Les anneaux sont représentés par des pièces de toutes formes et de toutes dimensions. Quelques-uns sont assez grands pour avoir été des ornements de jambe. Les bracelets, souvent larges et bombés, portent les gravures propres à ce genre d’ornement. On peut prendre pour des boucles d’oreille, de simples fils de bronze, repliés en cercles d’un à 2 pouces de diamètre. Des anneaux, de la même simplicité, ont la grandeur de nos bagues. Les dimensions de plusieurs autres, beaucoup plus petits, laissent leur destination incertaine, à moins qu’ils n’aient fait partie de chaînettes semblables à celle d’Estavayer. Quelques-uns, surmontés d’une tige en forme de T (Pl. XI, 13), ont peut-être été employés comme agrafes, en passant la tige transversale dans le cuir de la ceinture, de manière que l’anneau pût recevoir l’extrémité recourbée d’un crochet. — Des disques à jours, munis sur leur pourtour extérieur d’une à 5 ou 6 bouclettes circulaires (Pl. XI, 4, 8), rappellent les pièces analogues en usage chez les Lapons pour suspendre à la ceinture un trousseau d’instruments divers. Des disques fort petits (Pl. XI, 24) et des anneaux dans lesquels on en a passé d’autres de dimensions moindres (Pl. XI, 10) étaient sans doute portés comme ornements. — Les pendeloques triangulaires, carrées ou formées d’un épais fil de bronze, arqué /163/ dans la partie inférieure (Pl. XI, 14, 15), sont les mêmes que celles qu’on voit à l’extrémité de chaînettes déposées dans les anciens tombeaux. — Des boutons, doubles ou simples, bombés et munis d’une queue droite ou d’un petit anneau (Pl. XI, 25, 30), ont pu être fixés aux vêtements, aux ceintures ou sur des courroies de cuir. On paraît avoir utilisé comme objets de parure des cristaux et des pétrifications, entre autres des térébratules et de petites ammonites. Il est possible aussi qu’on ait attaché à ces pièces quelque idée superstitieuse, d’après les préjugés populaires qu’on retrouve plus tard. — Une ou deux lamelles cannelées, en or, et une fort petite spirale en tire-bouchon (Pl. XII, 30), sont les seuls objets de ce métal découverts jusqu’à présent dans les lacs de la Suisse. La rareté de l’or, pendant la période du bronze, contraste avec son extrême abondance dans les pays du Nord, à la même époque. — Des lamelles en bronze, d’environ demi-ligne de largeur, enroulées en tire-bouchon comme la pièce précédente, ont été des ornements de collier, ainsi qu’on l’a vu à Estavayer. Une perle cylindrique, en serpentine, a eu la même destination. Enfin des grains de collier, en verre et en jais, peuvent appartenir à cette période. J’en ai trouvé en pâte vitreuse dans une tombe de l’âge du bronze, près d’Aigle, et M. le Dr Lisch a découvert, dans le Mecklembourg, des grains en verre bleu, transparent, dans des tumulus contemporains. Toutefois il se peut que ces verroteries lacustres, dans tous les cas fort rares à cette époque, appartiennent à l’âge suivant.

Un genre de pièce particulièrement intéressant est le croissant, auquel se rattachaient des idées religieuses particulières; mais il est vraisemblable que ce symbole ne /164/ remmonte, chez les Lacustres, qu’au premier âge du fer, dans lequel il en sera fait une mention spéciale.

Les ossements d’animaux retrouvés sur le Steinberg sont fort nombreux. Les animaux domestiques paraissent avoir été l’un des moyens importants de subsistance, et il est à remarquer que le cheval n’est point rare dans l’âge du bronze.

Il existe près de Vingelz, sur la rive gauche du lac de Bienne, à peu près en face de Nidau, un emplacement à pilotis de 40 000 pieds carrés de surface, recouvert par 15 pieds d’eau. On y trouve des débris de poterie, des meules, des broyons et des disques en pierre avec rainure.

Vers Ligerz, vis-à-vis de l’île de Saint-Pierre, on voit des pieux épars sur un espace d’environ 4000 pieds carrés, distant de 40 à 50 pieds du rivage, et à une profondeur de 8 pieds en moyenne.

En redescendant la rive droite du lac, on rencontre, à une demi-lieue de Nidau, les pilotis de Sutz, éloignés de 100 à 150 pieds de la côte, sous 6 pieds d’eau environ. Quelques poteries, un celt et une belle lame d’épée en bronze proviennent de ce lieu, recouvert de nombreuses traces d’incendie.

Lattringen possède deux emplacements. Le premier, d’une étendue de 3 à 4 arpents, est baigné par 6 à 8 pieds d’eau. Les pieux, disposés irrégulièrement, saillants de quelques pouces seulement au-dessus de la vase, s’étendent jusqu’à 20 pieds de la rive. On y a découvert des broyons, quelques spirales en bronze, un celt et une large lame de poignard, légèrement ondulée, qui s’adaptait à la poignée au moyen de 6 clous rivés. (Pl. IX, 16.) — Sur le second emplacement, où plusieurs pieux s’élèvent de 10 à 15 pouces /165/ au-dessus du sol, la vase n’a guère permis de pêcher autre chose que de la poterie.

Les pilotis de Mœringen occupent une petite élévation, située au milieu d’une anse du lac et baignée par 6 pieds d’eau. Cette élévation, couverte de pierres entassées par la main de l’homme, à environ 300 pieds du rivage, porte aussi le nom de Steinberg. De grandes pièces de bois gisent au milieu des pieux. De nombreux débris carbonisés sont évidemment des restes d’incendie. Avant qu’on connût les habitations lacustres, M. le notaire Muller, de Nidau, avait déjà retrouvé sur ce lieu plusieurs objets intéressants, entre autres des bracelets, des celts en bronze, des anneaux-supports en argile, des pesons, des vases, des plats et des coupes, une foule d’ossements et 3 canots, formés chacun d’un tronc de chêne, taillé dans le genre des pirogues.

L’emplacement de Hagneck, exploré par M. le professeur Desor, remonte à l’âge de la pierre et possède aussi des débris de la période suivante.

Plusieurs celts en bronze, découverts dans un terrain tourbeux, près de Cerlier, paraissent, d’après les renseignements que je dois à M. Desor, provenir d’habitations lacustres, dont l’emplacement aurait été envahi par la tourbe. Une étude plus complète de ce point pourra fournir des données intéressantes sur l’accroissement de cette formation.

Deux îles d’inégale grandeur, séparées par un bas fond, s’élèvent sur le lac de Bienne. Leur exposition a dû attirer de bonne heure les habitants de la contrée, aussi la population lacustre a-t-elle laissé quelques traces de son séjour vers la petite île des Lapins, où d’anciens pilotis, fort usés par les eaux, sortent encore de la vase.

A l’orient de l’Ile de Saint-Pierre, des rangées de pilotis /166/ s’étendent parallèlement à la rive, a une distance de 30 à 40 pieds de celle-ci et sur une largeur à peu près pareille, la profondeur des eaux n’ayant pas permis de les planter plus en avant. Les pieux, très rapprochés les uns des autres, sortent encore d’un à 2 pieds du limon et recouvrent un espace d’environ 2 arpents. A l’angle septentrional de l’île, est un canot de chêne d’une seule pièce, de grandes dimensions, qui ne mesure guère moins de 50 pieds de longueur sur une largeur de 3 12 à 4 pieds. Ce canot, pris dans la vase, est en outre rempli de cailloux.

 

Lac de Sempach,

canton de Lucerne.

Les explorations faites ces dernières années dans la Suisse de langue allemande, montrent que la plupart des habitations lacustres y ont été détruites pendant l’âge de la pierre ou à la fin de cette période. Il est à présumer cependant qu’après avoir été répandues en si grand nombre, plusieurs ont subsisté plus tard. C’est en effet ce qui a eu lieu sur le lac de Sempach et vraisemblablement ailleurs.

Le 4 décembre 1806, une partie de la route de Sursée à Lucerne s’abîma dans le lac de Sempach, sur une longueur de 900 pieds, accident qui hâta l’exécution du projet consistant à abaisser de 6 à 8 pieds le niveau des eaux. Cet abaissement amena une découverte dont M. le Dr Ferd. Keller fait mention dans son premier rapport, d’après une communication de M. le pasteur Jos. Boelsterli. Sur un point où le bas-fond avait environ 200 pieds de largeur, des pilotis, précédemment recouverts d’une faible couche d’eau, /167/ furent mis à sec. Les pieux arrachés du sol doivent avoir eu un pied de diamètre sur 12 de longueur. On a trouvé sur cet emplacement des armes celtiques, des épingles et divers objets en bronze, décrits dans le VIIe volume du Geschichtsfreund.

 

SAVOIE.

Lac d’Annecy.

Dans la réunion de la Société savoisienne d’histoire et d’archéologie, qui eut lieu à Annecy en 1856, je fus invité à parler des découvertes lacustres de la Suisse. MM. Replat et Seran se souvinrent que des restes de pilotis existaient dans le lac d’Annecy, et l’assemblée décida de visiter l’un de ces points le lendemain, 31 août. Après une course au château de Menthon et aux bains romains, découverts par M. Ruphy, les membres de la société, dans le nombre desquels se trouvaient MM. Forel, père et fils, montèrent sur une barque qui fit voile dans la direction de Dhuing. Entre cette localité et l’Abbaye, nous aperçûmes, à peu près au milieu du lac, la ligne jaunâtre d’un bas-fond qui se dessinait sous les eaux transparentes. C’était le point nommé Roseley, où l’on ne tarda pas à distinguer de nombreux pilotis qui, par leur disposition et leur aspect de vétusté, présentaient les mêmes caractères que ceux des lacs suisses. Quelques objets d’industrie apparaissaient sur les cailloux et le limon, mais il ne se trouvait sous la main aucun instrument propre à les retirer; alors M. Hyp. Gosse, /168/ de Genève, se jeta à l’eau et revint à bord avec des fragments de poterie dont le genre primitif ne permit plus aucun doute sur l’antique occupation de ce point 1 .

Dès lors, M. Seran s’est assuré que des pilotis de la même époque existent aussi en face de Sevrier 2 . Le nombre de ces emplacements ne tardera pas à se multiplier.

En décrivant les habitations du Léman, on a vu combien elles sont répandues sur la rive savoisienne; mais on ne peut encore dire, d’après les recherches d’antiquités, si elles ont subsisté plus longtemps sur les bassins de l’intérieur du pays. Il existe bien dans Suidas un passage d’après lequel les Allobriges avaient l’habitude de se construire pour l’été des espèces d’îles que les Romains entourèrent de contrevallations du même genre, afin de s’en emparer 3 , mais ces Allobriges sont-ils les mêmes que les Allobroges, c’est ce que ne pense pas M. Delacroix, architecte de la ville de Besançon, qui a eu l’obligeance de me communiquer ce passage, en l’accompagnant des réflexions suivantes: « Il s’agit ici, vous le remarquerez, des Allobriges et non des Allobroges. C’est peut-être primitivement le même peuple, mais rien ne me l’a encore prouvé. Et d’ailleurs C. César n’a pas eu de /169/ guerre avec les Allobroges. — Arioviste est considéré par César, dans Dion Cassius, comme un Allobrige. On a toujours traduit ce passage de Dion Cassius par le mot Allobroge et on en déduisait une erreur de Dion. Or je prétends, dans un travail qui paraîtra prochainement, qu’Arioviste était bien Allobrige et non Allobroge. Les Allobriges sont ce qui répond à l’injure de Welsch. Ce sont les Gaulois du dialecte allemand, comme les Welsch sont les Gaulois du dialecte français. On suit la limite du pays allobrige par la ligne des villages qui échangent les deux injures. L’Alsace, le Rhin, etc., sont Allobriges. »

 

FRANCE.

Le passage de Suidas, qui vient d’être cité, montre que des bourgades lacustres existaient encore dans les Gaules, lors de la conquête par les Romains, et qu’on utilisait aussi ces constructions pour la défense.

On a vu qu’une partie des découvertes faites le long du lit de la Somme et surtout dans les environs d’Abbeville, paraissent se rattacher à ce genre d’habitation, mais on ne peut affirmer si l’usage de vivre sur les bassins d’eau de la Picardie s’est poursuivi dans la deuxième période.

M. Delacroix m’écrit qu’il se trouve des pilotis dans les lacs du département du Jura. Celui de St. Point, près de Pontarlier, baigne des lignes de pieux qui portent, dans la légende du pays, le nom de Ville Danvauthier. Or, il est probable que ces pilotis, encore visibles par les eaux transparentes, sont quelque peu postérieurs à ceux du premier âge. /170/

 

PAYS DU NORD DE L’EUROPE.

Les crannoges de l’Irlande subsistent, comme on l’a vu, depuis l’âge de la pierre jusque dans les temps modernes.

L’Ecosse a eu des crannoges tout pareils à ceux de l’Irlande. Bien qu’il soit difficile de fixer l’époque de leur premier établissement, faute de renseignements suffisants sur les antiquités qui les accompagnent, il est à présumer qu’ils remontent à l’âge de la pierre, pendant lequel les rives des lacs de l’Ecosse ont déjà été habitées, ainsi que le montrent les objets des deux premières périodes, sortis des bassins d’eau et des tourbières.

Une découverte de l’an 1780 mérite une mention particulière. On retira avec la drague, du fond du lac Duddingstone, près d’Edimbourg, diverses armes en bronze, des épées, des pointes de lance de formes variées et des anneaux avec des crânes et des ossements humains, mêlés à des bois de daim et d’élan. Le musée de la Société des antiquaires d’Ecosse conserve plus d’une cinquantaine de ces objets en bronze, qui étaient pris dans un lit de marne coquillière, et dont la plupart avaient été plus ou moins endommagés par l’action du feu 1 .

Il ne manque à cette découverte que la mention de pilotis pour pouvoir l’assimiler dans tous ses détails à celles qu’on fait dans les lacs de la Suisse occidentale. Les bois de daim et d’élan, trophées de la chasse, sont mêlés aux débris de /171/ l’industrie accumulés au fond du bassin. Les ossements humains et les traces d’un feu assez intense pour déformer les armes en bronze indiquent un incendie au-dessus de l’eau et une destruction soudaine qui ne laissa pas le temps de fuir ou qui résulta d’une lutte dans laquelle succombèrent plusieurs combattants. La profondeur de ce lit de marne étant accessible à la drague, des pieux ont pu être plantés sur ce point, où s’élevait sans doute une bourgade lacustre.

Les îlots artificiels de l’Ecosse, mentionnés par les chroniqueurs comme ayant encore existé dans les derniers siècles de notre ère, seront décrits plus en détail dans le chapitre consacré aux habitations lacustres des temps modernes.

Les tourbières de la Hollande, du Hanovre, du Mecklembourg, du Danemark et de la Suède recouvrent fréquemment le bronze. C’est dans les marécages du Danemark qu’on a découvert les grands cors de guerre et les boucliers circulaires en bronze massif qui sont l’un des plus précieux ornements du musée d’antiquités de Copenhague. D’après les renseignements que je reçois de M. le professeur Petersen, ces objets sont le plus souvent à une moins grande profondeur que ceux de l’âge précédent, mais on n’a pas remarqué s’ils se trouvent avec des restes de constructions.

On ne saurait donc affirmer si les habitations sur pilotis ont été généralement en usage dans ces pays, pendant la deuxième période, comme en Irlande et sur les deux versants du Jura, ou si c’est essentiellement à l’âge de la pierre que remontent ces constructions, de même que dans la Suisse orientale. Les nombreuses découvertes de l’époque du bronze et aussi de celle du fer, faites dans les tourbières du Nord, permettent de supposer qu’elles proviennent dans bien des /172/ cas de demeures élevées sur la surface d’anciens bassins, envahis plus tard par la tourbe; mais on manque d’observations suffisamment précises pour pouvoir substituer à cette hypothèse des faits nettement constatés. Les savants du Nord, dont les recherches jettent beaucoup de jour sur les antiquités d’autres pays, ne tarderont pas à s’assurer de leur côté si les radeaux flottants n’ont point remplacé, dans quelques cas, les esplanades sur pilotis.


 

/173/

CHAPITRE IV.

AGE DE TRANSITION DU BRONZE AU FER.


D’après l’étude des antiquités et les traditions historiques, le travail du fer a été postérieur en Europe à celui du bronze. De même que ce dernier métal remplaça la pierre employée primitivement pour les instruments tranchants, il vint aussi un moment où le fer prit la place du bronze. Il va sans dire qu’une matière nouvelle acquise à l’industrie ne fait point disparaître les matières utilisées auparavant, mais leur application se restreint naturellement, sinon dans la quantité mise en œuvre, du moins dans l’universalité de leur emploi. Plus les matières se multiplient, plus les produits de l’art sont nombreux et variés. Le fer, en particulier, devait amener toute une révolution industrielle; mais, dans quelques pays, son introduction a été tardive et son application générale assez lente. Il devait en être ainsi, aussi longtemps qu’on ne possédait pas l’acier, sans lequel le fer /174/ n’a pas de supériorité, pour les instruments tranchants, sur le bronze de l’antiquité. La transition de la pierre au bronze s’effectua d’abord par le cuivre, dont on retrouve des armes et des ustensiles en Asie et en Amérique; celle du bronze au fer dut se prolonger jusqu’au moment où l’on sut produire l’acier. L’étain allié au cuivre ouvrit une période nouvelle; le fer combiné avec le carbone fut l’une des plus grandes conquêtes de l’industrie. Il est à remarquer cependant qu’on obtint l’acier longtemps avant de se rendre compte de ses éléments constitutifs, mais il suffisait qu’on parvînt à le reproduire pour être au bénéfice de ce métal, le plus précieux de tous 1 .

D’après l’observation qui précède, le passage d’un métal à l’autre ne saurait être limité par l’apparition de l’acier, mais bien plutôt par une extension suffisante du fer pour devenir d’un usage général. Plusieurs découvertes récentes reproduisent cette transition, en présentant sur le même point un mélange d’instruments tranchants en bronze et en fer, où l’on voit, d’une part, l’introduction du nouveau métal, et de l’autre, la continuité de l’ancienne industrie, caractérisée par les formes et l’ornementation de l’âge précédent. L’art de travailler le bronze a été importé en Europe par l’invasion d’un nouveau peuple, mais on ne peut dire qu’il en ait été de même pour le fer, du moins d’une manière générale. C’est bien de l’Orient que cet art paraît s’être répandu de proche en proche. Plus d’un peuple se l’est /175/ approprié, mettant parfois plusieurs siècles à conquérir cette industrie, dont l’importation n’est pas étrangère à toute invasion.

La tradition grecque, qui attribuait la découverte du fer aux Dactyles idéens, a fait confondre le mont Ida de la Phrygie avec celui de l’île de Crête. La date de l’an 1432 avant notre ère, à laquelle les marbres de Paros font remonter cette découverte, montre que les Grecs l’envisageaient comme très ancienne, bien que ce chiffre, par trop précis, soit certainement fort au-dessous de la réalité, pour autant qu’il se rapporte à l’Orient. Quoi qu’il en soit, Homère décrit la guerre de Troie comme une époque de transition, car, malgré les armes en bronze de ses héros, il ne mentionne pas moins de trente-deux fois le fer dans ses poëmes, qui ont été certainement composés dans un siècle postérieur à la deuxième période. Hésiode parle de l’emploi général du bronze comme d’un usage ancien et il déplore d’être né dans l’âge de fer. Aristote cherche à expliquer comment on obtient l’acier, connu certainement avant lui; aussi, dans les beaux temps de la Grèce, le bronze n’était-il plus employé pour les armes offensives.

En Italie, les anciens Etrusques ont laissé de leur industrie des instruments tranchants en bronze, bien que le fer paraisse ne pas leur avoir été entièrement inconnu. L’âge du bronze était une tradition déjà antique chez les Romains, devenus maîtres du monde. Leur littérature, où l’on retrouve si fréquemment l’expression de mourir par le fer, détruire par le fer, dirait assez, en l’absence d’autres documents, quelle était la matière des armes romaines.

L’Espagne, dont les mines abondantes ont été exploitées successivement par les Phéniciens, les Grecs, les Carthaginois et les Romains, a été au bénéfice des connaissances /176/ métallurgiques de ceux qui l’exploraient. Les Romains reconnaissaient eux-mêmes la supériorité des glaives celtibériens, et ces glaives n’étaient point en bronze.

D’après César, les Gaulois et les Bretons connaissaient le fer; mais ces derniers l’employaient pour des anneaux et des ornements personnels, ce qui a fait supposer qu’il devait être encore rare. Cette conclusion est moins rigoureuse qu’on ne l’a supposé, ce dont il est facile de se convaincre quand on examine de près quelques découvertes où l’on découvre, avec des armes et de nombreux ustensiles en fer, des ornements divers et même des broches du même métal. L’époque à laquelle les Gaulois commencèrent à travailler le fer n’est pas facile à déterminer, cependant les Phocéens qui vinrent s’établir à l’embouchure du Rhône, six siècles avant notre ère, possédaient depuis longtemps ce métal, aussi durent-ils contribuer à le répandre, au moins dans le midi des Gaules, à supposer que ces contrées fussent restées tout à fait étrangères aux arts métallurgiques des Celtibériens. D’autre part, c’était vers la même époque que les Kimris, qui déterminèrent les émigrations de Ségovèse et de Bellovèse, entraient dans les Gaules, et, comme ils venaient des rives du Pont-Euxin, on ne peut admettre que leurs armes fussent encore en bronze. Dans tous les cas, d’après le rapport de Plutarque, on voyait au milieu des Cimbres, défaits par Marius, des cavaliers qui portaient la cuirasse d’acier.

Lorsque Tacite mentionne le fer comme étant rare chez les Estyes, peuple du nord-est de la Germanie, c’est que sans doute il n’en était pas de même chez la plupart des Germains.

Les Suèves, en s’établissant en Suède, sur les rives du /177/ lac Mélar, apportèrent avec eux l’art de travailler le fer, mais encore n’est-il point certain que ce métal n’ait pas été connu dans les pays Scandinaves avant leur arrivée.

Hérodote rapporte que les Scythes rendaient un culte à un glaive en fer. Cet usage était sans doute déjà ancien du temps de l’historien grec. On sait combien la matière consacrée aux instruments du culte reste longtemps la même, malgré les progrès de l’industrie. C’est ainsi que chez les Romains, les féciales avaient conservé l’usage d’immoler les victimes avec une pierre siliceuse. — Le pays des Scythes, en nous reportant vers l’Asie, nous rapproche des contrées où les arts métallurgiques prirent naissance.

Il n’est guère possible d’indiquer par des chiffres précis, pour chacun des pays de l’Europe, le moment où le fer devint d’un usage général; mais il y a lieu d’être surpris combien longtemps on a attribué aux Romains les épées de l’âge du bronze. Ces armes sont aussi plus anciennes chez les Gaulois que plusieurs savants ne le pensent. On voit chaque année se multiplier des découvertes qui prennent nécessairement place avant les conquêtes de César, et reculent d’autant les périodes antérieures. L’examen des faits justifiera ces indications préliminaires, qui feront cependant comprendre comment l’âge du fer peut remonter, en Suisse, avant la domination romaine.

Ce troisième âge n’a point commencé à la même époque dans les divers pays de l’Europe, ainsi qu’on vient de le voir. En Grèce, le fer est antérieur à Hésiode; dans quelques contrées du Nord, il était encore rare du temps de Tacite. La durée de cette transition a nécessairement varié d’après le développement des peuples et selon que l’art de travailler le fer était introduit par une invasion ou conquis /178/ peu à peu par l’industrie nationale. Dans le même pays, telle contrée peu ouverte aux communications devait présenter la même disparate qu’à la fin de l’âge de la pierre, et, lorsque le fer fut généralement en usage, l’épée en bronze put encore se trouver dans la main de plus d’un guerrier. Dans le moyen Age, on vit même sur des champs de bataille le casse-tête armé d’une pierre et la pointe de lance en bronze, d’où l’on ne saurait conclure qu’on en était alors à une époque de transition. Enfin, dans les cérémonies religieuses, la matière consacrée par l’usage prend un caractère sacré, en sorte que les instruments du culte furent longtemps encore en pierre ou en bronze, après l’introduction générale du fer.

Si ces faits exceptionnels doivent rendre circonspect quand il s’agit de la classification des antiquités, on peut cependant procéder avec une assez grande certitude dès qu’on découvre un ensemble d’objets qui fournit des données positives sur la matière prédominante dans l’industrie, et lorsque les formes, les ornements et le genre de travail caractérisent une manière de faire propre à tel peuple ou à telle période. Les données historiques, qui, d’une manière générale, commencent avec l’âge du fer, viennent compléter ces déterminations, dont l’importance ressortira mieux après la description des découvertes qui restent à mentionner.


/179/

CHAPITRE V.

PREMIER AGE DU FER.


Le travail du fer caractérise une nouvelle époque qui présente des degrés de développement très divers et embrasse des siècles nombreux. Pour classer les produits de cette industrie, il faut nécessairement établir des subdivisions, mais encore celles-ci ne peuvent-elles pas être les mêmes pour tous les pays.

Les antiquaires danois distinguent le premier et le second âge du fer 1 , qui, d’après leurs appréciations, comprennent à peu près les dix premiers siècles de notre ère. La limite de ces deux âges répond ainsi à l’introduction du christianisme dans les pays du Nord. En Suisse, le premier âge du fer, déterminé par les tumulus helvétiens et par les antiquités lacustres, est antérieur /180/ à notre ère. Les quatre siècles de la domination romaine constituent une nouvelle période, pendant laquelle on voit, à côté des restes remarquables de l’art du Midi, les traces non équivoques d’une industrie nationale qui reproduit les principaux types de l’âge précédent. Plusieurs de ces types reparaissent dans la période helvéto-burgonde ou helvéto-allémanique, qui s’étend de la chute de Rome à Charlemagne, et s’associent aux divers éléments qu’on trouve à la base des origines du monde moderne. Les antiquités de cette dernière époque présentent une grande analogie dans la plupart des pays qui ont fait partie de l’empire romain 1 , et, malgré l’influence incontestable du christianisme 2 , elles ne sont pas sans quelque rapport avec celles des derniers temps païens chez les Scandinaves 3 .

Les habitations lacustres se retrouvent dans plusieurs pays de l’Europe, pendant le premier âge du fer; toutefois elles sont loin d’avoir été d’un usage aussi général que précédemment, à en juger, du moins, parce qui s’est passé dans /181/ l’ancienne Helvétie. Durant l’âge de la pierre, elles étaient répandues sur tout le pays. Dans celui du bronze, elles ne s’élevaient guère que sur les bassins de la Suisse occidentale; mais, après l’introduction du fer, ces constructions paraissent n’avoir subsisté qu’en fort petit nombre sur les lacs de Bienne et de Neuchâtel seulement, car c’est à peine si l’on peut rattacher aux découvertes qui nous occupent quelques objets en fer provenant de l’îlot du petit lac d’Inkwyl 1 .

A moins de connaître tout ce que la vase recouvre sur chacun des emplacements de pilotis, on ne saurait indiquer rigoureusement la durée de leur occupation et distinguer avec certitude ceux qui ont été abandonnés dans le second âge de transition ou plus tard seulement; cependant on peut envisager comme ayant cessé d’exister avant l’emploi général du nouveau métal, les habitations dont les débris ne renferment que peu d’objets en fer, surtout quand ils sont accompagnés d’un plus grand nombre d’instruments de la période précédente.

 

SUISSE.

Lac de Bienne.

L’emplacement de Mœringen, riche en objets de la seconde période, a subsisté quelque temps encore après l’introduction /182/ du fer. M. le notaire Muller y a découvert une fourche en fer, de 8 12 pouces de longueur (Pl. XIV, 23), avec une épée du même métal, longue de 3 pieds 2 pouces, d’une conservation admirable. (Pl. XV, 5, a, b.) La lame, à deux tranchants, large, fort peu épaisse et arrondie à son extrémité inférieure, porte les restes d’un fourreau en fer. La soie de la poignée, autrefois revêtue de bois ou de quelque autre matière décomposable, est surmontée d’un petit pommeau circulaire. Ce genre d’épée, tout à fait distinct par sa forme de l’épée de bronze, ayant été découvert sur divers points, fera plus tard l’objet d’une étude spéciale. Une autre pièce en fer des pilotis de Möringen (Pl. XIV, 19) est une lame longue de 7 à 8 pouces, large de 12 lignes, dentelée comme une étrille et munie, sur le milieu de sa longueur, d’une pointe recourbée à angle droit, qui devait entrer dans une poignée 1 .

M. Muller a aussi recueilli, avec les objets en bronze de Sutz, diverses pièces en fer. Une espèce de crochet, long de 6 pouces, est armé de 3 dents, comme quelques clefs antiques. (Pl. XV, 10.) Un poignard et un petit coutelas sont peut-être d’une époque postérieure. Deux pointes de pique sans ailerons, de forme conique et d’un travail fort primitif, ressemblent à celles trouvées vers le Bied, dans le lac de Neuchâtel. (Pl. XV, 14, 18.)

Au milieu des pilotis de Graseren, découverts récemment par M. le colonel Schwab, à environ 220 pieds du rivage, se trouvaient des meules de moulin, des broyons, des pierres discoïdes avec rainure, un poignard, un couteau, des faucilles et d’autres instruments en fer. /183/

Le Steinberg, près Nidau, dont l’importance a déjà été constatée, possède plusieurs objets de la troisième période, parmi lesquels on peut citer une fourche, pareille à celle de Möringen, et des fers de pique, comme les pointes coniques de Sutz. Des pierres brutes ont été entourées d’une tige de fer, munie d’un anneau, de manière à pouvoir être suspendues; elles ont peut-être servi à ancrer les canots, toutefois leur destination est encore problématique.

Des grains de collier, en verre coloré, cylindriques, elliptiques, cannelés ou torsés (Pl. XIV, 13, 14), rappellent la fabrication du verre, dans laquelle, d’après Pline l’Ancien 1 , les Gaulois avait acquis une certaine habileté. Ces grains sont les mêmes que ceux qu’on trouve dans les tumulus helvétiens, dans quelques ruines romaines et dans les tombeaux helvéto-burgondes. Un fragment d’anneau en verre a fait partie de l’un de ces bracelets fragiles, découverts plus d’une fois en Suisse avec des monnaies gauloises 2 . D’autres grains de collier, en jais, sont d’une matière qui a souvent été utilisée à l’époque helvétienne pour des bracelets de grandes dimensions.

C’est au premier âge du fer qu’il faut attribuer des vases d’argile de la forme de grands plats, ornés à l’intérieur de /184/ peintures rouges et noires, disposées avec assez de goût, en triangles, en carrés et en bandes horizontales. (Pl. XVI, 1, 5, 5 a) 1 . Les cannelures prennent une plus grande place que précédemment, et l’ensemble des figures géométriques offre un caractère sensiblement différent. Les triangles, les carrés et les losanges présentent de nouvelles combinaisons (Pl. XVI, 4, 6, 7, 9, 10), que reproduisent les lamelles en bronze, bosselées ou à jours, découvertes dans plusieurs tombeaux de la même époque. La collection de la Société des antiquaires de Zurich renferme des poteries du même genre, trouvées avec divers objets en fer dans les tumulus de Dörflingen et de Treilikon 2 . L’apparition de ces nouveaux, éléments de l’art est importante à constater; mais, d’autre part, on ne doit pas oublier qu’un grand nombre de vases, identiquement les mêmes que ceux de la période précédente, sont encore d’un usage fréquent.

La pierre ollaire, employée pour de petits ornements, a aussi été utilisée pour des vases qu’on fabriquait à l’aide du tour. Leur forme est généralement celle d’un cône tronqué. Il n’est pas rare de les trouver dans les ruines romaines de la Suisse et dans les tombeaux helvéto-burgondes ou allémaniques.

M. le colonel Schwab a découvert, sur le Steinberg, plus d’une vingtaine de croissants en argile grossière, pétrie avec /185/ des grains quartzeux, à l’exception d’un seul, qui est en pierre. Les cornes sont peu déliées. Le côté convexe du croissant est applati dans le bas ou muni d’un pied. Ces pièces (Pl. XVI, 2, 3, 8), larges de 8 à 12 pouces d’une pointe à l’autre, sur une hauteur de 6 à 8 pouces de la base au sommet, présentent deux surfaces planes et ne portent que d’un côté des ornements en lignes disposées comme dans les gravures de l’âge du bronze. La figure 8 se rapproche cependant davantage du genre de dessin qui caractérise la poterie de la troisième période.

Cette dernière circonstance serait insuffisante pour classer ces croissants dans le premier âge du fer, et cela d’autant plus que la bourgade du Steinberg, ayant été occupée dès les temps les plus reculés, il n’est pas toujours facile de distinguer à quelle période appartiennent les objets tombés à l’eau. Toutefois, si ce symbole religieux avait été d’un usage général chez les peuplades lacustres de la Suisse, antérieurement à l’introduction du fer, on devrait le retrouver quelque part sur les nombreux emplacements où sont accumulés les débris de l’industrie de la pierre et du bronze, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent, du moins à ma connaissance.

Il est vrai qu’on peut appliquer la même observation aux emplacements du troisième âge, puisque le Steinberg est le seul sur lequel on ait observé le croissant; mais le nombre des établissements de cette dernière époque, qui ont laissé les traces d’une occupation de quelque durée, ne s’élève guère au delà de deux ou trois; tandis que, durant l’âge du bronze, on peut en compter plus de soixante dans la Suisse occidentale. Il semble donc que si le croissant avait été l’objet d’un culte général chez les Lacustres, on aurait dû le retrouver sur d’autres points. /186/

Une découverte faite, en 1851, sur l’Ebersberg, non loin de Berg, dans le canton de Zurich, paraît, au premier abord, renverser les observations qui précèdent. M. G. von Escher a en effet constaté sur ce mont les traces de constructions primitives, dont il a retiré de nombreux fragments de poterie, des coins en pierre, des instruments en bronze, une pierre de jeu et les fragments de 3 croissants en pierre, semblables à ceux du Steinberg 1 . D’après l’ensemble des objets découverts sur l’Ebersberg, le culte de cette image est ainsi plus ancien, en Suisse, que la troisième période; mais on verra plus tard que la population de l’âge du bronze, groupée dans les bourgades lacustres de l’Helvétie occidentale, était autre que celle qui, à la même époque, construisait ses habitations sur terre ferme, à l’orient du même pays; on verra en outre que l’une et l’autre sont antérieures à l’invasion des Helvétiens. Le culte du croissant a donc pu exister, dans la Suisse orientale, avant de se répandre chez les Lacustres du pied du Jura, c’est du moins ce qui me paraît résulter de l’examen des découvertes faites jusqu’à ce jour.

M. le Dr Ferd. Keller donne, dans son rapport de 1858, les explications suivantes sur ce symbole religieux: « Si nous recherchons la destination de ces croissants, on voit qu’ils n’ont eu aucun emploi pratique, mais qu’ils ont dû être placés, comme ornement ou comme objet de culte, soit à l’intérieur, soit au dehors des demeures. On se demande si les anciens ont parlé du culte de la lune chez les Celtes, auxquels nous attribuons les constructions sur pilotis. Il n’existe rien de positif à ce sujet en fait de témoignage écrit. Bien que le culte de la lune chez les Germains soit /187/ nettement exprimé, César ne le mentionne point en parlant de la religion des Celtes. Quant aux monuments représentant les druides avec le croissant, on a depuis longtemps prouvé leur fausseté, et les inscriptions des temps gallo-romains ne fournissent pas de données auxquelles on puisse se fier. Il existe cependant des preuves suffisantes du grand rôle qu’a joué la lune dans les mystères des druides, qui l’envisageaient comme sacrée et lui rendaient un culte. Le croissant apparaît distinctement à côté d’autres symboles sur les monnaies gauloises et surtout sur celle que nous regardons comme helvétienne 1 . Le passage de Pline, XVI, 95, décrivant les fêtes religieuses dans le nombre desquelles le gui de chêne était cueilli, est le plus significatif. Voici ce passage rétabli par Sillig: Est autem id (viscum) rarum admodum inventu et repertum magna religione petitur et ante omnia sexta luna, quæ principia mensum annorum que his facit, et sæculi post tricesimum annum, quia jam virium abunde habeat nec sit sui dimidia, omnia sanantem appelantes suo vocabulo. — Le gui se trouve très rarement, mais, quand on le découvre, l’action de le cueillir est une grande fêle religieuse, qui a lieu, avant tout, le sixième jour de la lune, époque à laquelle commencent chez eux les mois, les années et les divisions du temps en 30 ans, parce qu’alors a elle déjà assez de force et n’est cependant pas encore au milieu de son cours; ils nomment la lune celle qui guérit tout.— Cette indication, d’après laquelle les Gaulois attribuaient à la lune des vertus médicinales mystérieuses et lui rendaient un culte sous le nom de celle qui guérit tout, explique bien clairement la signification des images du croissant, découvertes /188/ sur le Steinberg et l’Ebersberg. Ce sont des symboles sacrés, au moyen desquels cette nation, particulièrement adonnée aux choses religieuses, gens admodum religiunibus addita, croyait pouvoir, comme avec la branche de gui, détourner et guérir les maladies. On plaçait cette panacée en un lieu découvert, peut-être au-dessus des portes des maisons, de manière à ce que le côté orné s’offrit aux regards. Nous pouvons conclure de la circonstance qu’on en a trouvé trois sur le petit espace de l’Ebersberg, et un si grand nombre sur le Steinberg, qu’on en découvrira sur les villages gaulois, et qu’aucune maison n’était privée de cette amulette importante. »

« La collection de M. le colonel Schwab renferme un objet en bronze de la forme d’un croissant, muni, sur le côté convexe, d’une large poignée à jours. (Pl. X, 8.) L’une des faces est plate, et l’autre porte des nervures de même que les faucilles. Quoique cet instrument ait été coulé, il est très mince et incapable de résister à une pression. Il serait difficile de dire s’il a pu servir comme instrument tranchant, mais il peut, de même que les images du croissant, avoir été employé comme une sorte d’amulette ou comme instrument de guérison. »

Les habitations de Vingelz, voisines de celles du Steinberg, paraissent avoir subsisté dans la troisième période. Bien que cet emplacement soit peu riche, on y a découvert une pierre brute, cerclée sur le milieu de sa longueur avec une tige en fer ménageant un anneau auquel pouvait se fixer une corde. /189/

 

Lac de Neuchâtel.

L’un des groupes de pilotis qu’on voit près de Chevroux, sur la rive droite du lac, a été occupé postérieurement à l’âge du bronze. Un trident en fer, provenant de cette localité, est muni de fortes barbes sur ses pointes (Pl. XV, 4) et peut avoir servi de harpon.

En face de Chevroux, sur l’autre rive du lac, la population lacustre de Cortaillod a laissé, comme débris de l’âge du fer, des pointes de traits, un poignard, une lame de couteau et des faucilles. La faucille de cette époque est sensiblement différente de celle de l’âge précédent; la lame, quoique moins large, est beaucoup plus grande, la corde de l’arc qu’elle décrit mesure en moyenne un pied de longueur. (Pl. XIV, 22.) C’est bien la véritable faucille, telle qu’on la retrouve dans les ruines romaines et même de nos jours. Des pièces pareilles ont le tranchant dentelé comme une scie (Pl. XIV, 20); elles reproduisent exactement la forme d’ustensiles du même genre qu’on découvre fréquemment dans les tumulus de la Norvége, et qui sont encore en usage en Islande.

M. le colonel Schwab possède une ancre d’une forme très curieuse, trouvée au milieu des pilotis de Cortaillod, mais dont l’antiquité est difficile à constater. Elle consiste en un bloc de calcaire jurassique, taillé à 4 pans, avec les angles abattus, ce qui lui donne l’aspect d’un prisme à 8 faces; sa longueur est d’environ 11 pouces sur 4 à 5 de diamètre. Ce bloc était armé, vers le quart de sa hauteur, de 4 fortes pointes en fer, forgées en feuilles de saule, longues de 7 à 8 pouces et adaptées obliquement au prisme, de manière à former un angle d’environ 50 degrés avec la partie /190/ supérieure du bloc; sur son sommet est un trou, dans lequel devait être scellé un anneau. Cette ancre a perdu deux de ses pointes et pèse 30 12 livres dans son état actuel.

Vers le Bied, entre Cortaillod et Colombier, est une double rangée de pilotis, disposés en arc de cercle, dont les extrémités se dirigent sur la rive. Deux pointes de pique en fer (Pl. XV, 14, 15), fabriquées avec peu de soin, proviennent de cette localité et sont pareilles à celles qu’on a recueillies sur d’autres emplacements. Ce point, peu à peu envahi par les dépôts de la Reuse, a été occupé dès une haute antiquité; des pilotis se trouvent, ainsi qu’on l’a vu, sous les alluvions de la plaine, à une distance assez considérable de la rive actuelle du lac.

L’emplacement d’Auvernier, remarquable par la richesse de la poterie, a dû subsister jusqu’à l’introduction du fer, une pointe de lance de ce métal, effilée et d’un caractère antique, ayant été découverte au milieu des pilotis.

Deux pointes de pique en fer et des débris de poterie proviennent de la station située près de Hauterive, au delà de Neuchâtel. Les pieux, sous 4 à 6 pieds d’eau, recouvrent un espace d’enviran 120 000 pieds carrés.

La plupart des emplacements précédents, n’ayant conservé qu’un fort petit nombre d’objets en fer, paraissent avoir été abandonnés avant que ce métal ait été d’un usage général. Plusieurs habitations de l’âge de la pierre avaient pareillement cessé d’exister au moment de l’introduction du bronze, mais les bourgades lacustres prirent un grand développement dans la Suisse occidentale pendant le deuxième âge, et leur déclin général n’arriva qu’à la fin de cette période. On peut cependant s’assurer, d’après la découverte faite à la Tène, non loin de Préfargiet, que l’antique usage de construire sur /191/ les eaux ne disparut pas tout à fait, et peut-être trouvera-t-on quelques nouvelles localités qui serviront à caractériser plus complétement le premier âge du fer, dont les sépultures offrent déjà d’importants spécimens.

Les pilotis de La Tène, au milieu desquels on voit de grandes traverses en bois, restes des constructions, occupent une surface d’environ 80 000 pieds carrés, sur un sol incliné, recouvert d’un à 14 pieds d’eau. Les objets en fer recueillis sur cet emplacement sont très nombreux 1 et diffèrent en général des antiquités de l’âge précédent, ainsi que de celles qu’on trouve dans les ruines romaines, tandis qu’ils présentent des rapports frappants avec les pièces qui proviennent d’un certain nombre de tumulus de la Suisse.

Quelques haches en fer reproduisent les contours et les dimensions du celt en bronze muni d’une douille (Pl. XIV, 18); d’autres, dont le tranchant mesure de 3 à 4 pouces, ont une ouverture carrée et longitudinale qui exigeait l’emploi d’un manche coudé. Deux de ces dernières pièces sont unies l’une à l’autre par l’oxydation. (Pl. XIV, 11, 12.) Bien que ce genre de celt ne soit pas commun, on le retrouve quelquefois dans les pays du Nord 2 . Une hache, de forme moderne, pourrait être envisagée comme ayant été perdue récemment dans les eaux, si l’on n’en découvrait pas de pareilles dans les ruines romaines. La forme réputée moderne existait déjà dans l’âge du bronze, au nord et au midi de l’Italie, ainsi qu’en Suède et en Sibérie.

Les couteaux se distinguent de ceux de la période précédente /192/ par leur lame droite. (Pl. XV, 8.) — Les ciseaux à tiges élastiques (Pl. XV, 13), conservés jusqu’à nos jours pour la tonsure des moutons, étaient déjà connus. Cette forme, qui n’est point étrangère à l’époque romaine, appartient aussi aux anciennes populations du Nord, chez les quelles ces ciseaux sont parfois en bronze.

Les faucilles, à tranchant uni ou dentelé comme une scie, sont semblables à celles de Cortaillod, mentionnées plus haut. — Entre les instruments aratoires, la pièce la plus remarquable est une faulx en fer, légèrement arquée. (Pl. XIV, 15.) Le talon, de 4 pouces de longueur, n’est point disposé comme dans nos faulx modernes. Plat et muni d’un crochet sur sa partie inférieure, évidemment pour le fixer à un manche en bois, il forme un angle très obtus avec le tranchant. Celui-ci, mesuré en ligne droite, a 14 pouces de longueur, et la largeur moyenne de la faulx est d’environ 13 lignes. Pour lui donner de la consistance, elle a été fortifiée par une nervure sur le bord opposé au tranchant. Une seconde nervure, qui rappelle la faucille de bronze, part du talon et s’arrête sur le milieu de la longueur de la lame. On pourra, sans doute, constater un jour à quelle époque cet instrument a reçu le degré de perfection qui le caractérise maintenant; j’ajouterai seulement que la faulx du XVIe siècle était déjà, en Suisse, ce qu’elle est de nos jours 1 . Quel que faibles que puissent paraître les dimensions de celle de La Tène, il ne faut pas oublier qu’elle est 3 à 4 fois plus grande que les faucilles du deuxième âge, qui devaient suppléer à ce genre d’instrument. /193/

La moitié d’un mors de cheval en fer reproduit nettement la forme de ceux qui ont été découverts sur le champ de bataille helvétien de la Tiefenau, 1 , près de Berne, avec de nombreuses armes et une faulx semblable à celle du lac de Neuchâtel.

Des chaînes étaient composées de gros anneaux circulaires en fer, de 3 pouces de diamètre, reliés par d’autres anneaux plats, cannelés, longs et larges d’un pouce. (Pl. XV, 3.) Ce genre de chaîne se retrouve déjà sur quelques emplacements de l’âge du bronze, bien qu’avec des dimensions beaucoup moins fortes, et dans les sépultures non moins anciennes de Charpigny, près d’Aigle 2 . Quelques anneaux épars, de forme ovale ou resserrés sur le milieu de leur longueur (Pl. XV, 7), ont aussi dû faire partie de chaînes, et être réunis par des liens, au lieu d’avoir été passés les uns dans les autres, avant d’être fermés et soudés. Un anneau granulé en fer, de 2 pouces de diamètre à peine, orné sur l’une des faces seulement et non point sur le bord extérieur, était sans doute une boucle fixée sur une courroie de cuir. (Pl. XV, 12.)

Le fer a aussi été employé pour des fibules formées d’un fil dont une extrémité est disposée en aiguille, au-dessus de laquelle il s’enroule en spirale et trace ensuite un arc de cercle terminé par un tenon, qui reçoit la pointe de l’épingle. (Pl. XV, 9.) Ce type, susceptible d’une grande /194/ variété de formes par l’ornementation de l’arc de cercle, est reproduit fort imparfaitement dans nos imperdables modernes. Il a été très répandu dès le premier âge du fer et pendant la période romaine, mais le plus souvent ce genre de broche est en bronze; cependant les fibules de la Tiefenau sont du même métal et de la même forme que celles de La Tène.

Des fragments de vases, présentant les caractères de la poterie de l’âge précédent, appartiennent, sans doute, en partie du moins, à la période qui nous occupe. Un couvercle en argile rappelle la forme des vases ovoïdes, employés dans le Nord pendant l’âge de la pierre. J’ignore si l’on a trouvé des poteries comme celles du Steinberg.

Les armes, toutes en fer, consistent essentiellement en armes de jet et en épées. Dès que le fer commence à se répandre, il remplace le bronze pour les instruments tranchants, et plusieurs ustensiles reçoivent des dimensions plus grandes. Il en est généralement de même pour les armes. On retrouve à La Tène les pointes de pique, lourdes et coniques, mentionnées précédemment, des pointes de trait et de pique, à 4 pans, de 3 pouces à 1 pied et plus, de longueur (Pl. XV, 2, 11), et des fers de lance, longs de 8 à 15 pouces. (Pl. XV, 1, 5, 6, 15, 16, 17.) Ceux-ci diffèrent des lances de l’âge du bronze, non-seulement par leurs dimensions, mais aussi par leurs formes variées. Parfois la douille, qui ne mesure guère à son ouverture que 6 à 7 lignes de diamètre, est très allongée, comme celle de la figure 5. Sur quelques pièces, les ailerons sont tellement développés qu’ils n’ont pas moins de 25 lignes de largeur sur une épaisseur d’une ligne environ. (Fig. 15 et 16.) Plusieurs se distinguent par les arêtes vives du prolongement de la douille, qui, au lieu de /195/ conserver sa forme conique entre les ailerons, présente, dans sa coupe, celle d’un losange dont les côtés seraient concaves. (Fig. 15, 16 et 17.) On peut observer les mêmes particularités sur les pointes de lance du premier âge du fer, découvertes dans les pays Scandinaves, entre autres dans les tourbières du Danemark 1 .

Les pièces les plus importantes de La Tène sont les épées qui diffèrent entièrement de celles en bronze par leur forme et leur fabrication. Elles sont le produit d’un genre d’art tout à fait nouveau, et l’état de conservation de plusieurs d’entre elles, encore revêtues de leur fourreau en fer, permet d’apprécier le degré d’habileté des forgerons de cette époque. M. le colonel Schwab en a recueilli huit (Pl. XIV, 1, 4, 8, 9, 10), et M. le professeur Desor, une. (Pl. XIV, 6.) L’épée découverte précédemment par M. Muller, à Möringen, est identiquement du même genre. (Pl. XIV, 5,) Il ne sera pas sans intérêt de reproduire les principaux détails de l’excellente description que M. le docteur Keller a donnée de ces pièces. « La longueur des épées varie de 28 à 35 pouces. Il ne reste de la poignée que la soie, d’une longueur moyenne de 45 lignes, passablement large à sa naissance et terminée par un bouton rond, sphérique ou plat. La lame, plate et d’une ligne d’épaisseur seulement, mesure de 15 à 25 lignes de largeur vers la poignée; ses deux tranchants sont en ligne droite et sa largeur va en diminuant jusqu’à la pointe arrondie de l’épée. La lame de Möringen fait seule exception, étant évidée de chaque côté de l’arête, qui court sur toute sa longueur, et pointillée en creux dans les deux rainures. Ces épées n’ont pas de croisière, mais la poignée est séparée de /196/ la lame par une petite tige en fer, arquée de manière à imiter la coupe d’une cloche, figure reproduite par la partie supérieure du fourreau. Celui-ci s’adapte étroitement à la forme de la lame et consiste en deux feuilles de fer, dont l’une dépasse l’autre d’une demi-ligne et se replie sur le bord. Les bords de la partie inférieure sont protégés par deux étroites bandes de fer, reliées à leur naissance au moyen d’une traverse ornée et fortifiée vers la pointe par de petits renflements et un bourrelet. La partie supérieure du fourreau est aussi consolidée, soit par des bandes sur les bords, soit par des brides ou bracelets. Le côté tourné contre le guerrier porte une boucle ou espèce de tenon fixé par deux clous et destiné à suspendre l’épée au ceinturon. Le plus souvent des agrafes ou des brides fortifient cette partie du fourreau. La face opposée a été ornée avec un art et un soin surprenants. Des traits en creux ou en relief, gravés ou ciselés, tracent sur la partie supérieure des lignes ondulées tout à fait étrangères à la période précédente. Au-dessus, la surface entière du fourreau présente un autre genre d’ornementation qui varie presque avec chaque pièce: ce sont de petits cercles parsemés ou frappés, ou bien le fer a tout à fait l’aspect d’une peau de chagrin; parfois il est surchargé d’une myriade de fort petits anneaux en relief, ou finement granulé en lignes obliques, ou bien enfin orné de lignes entrelacées imitant quelque peu les arabesques. D’après l’opinion de plusieurs personnes de la partie, les ornements des figures 8 et 10 ont été faits à la main, à l’aide d’un corrosif, tandis que ceux de la figure 4 ont été obtenus par la pression. On ne peut cependant pas déterminer avec certitude les moyens employés sur une partie de ces pièces; toutefois plusieurs des ornements en relief ont été faits avec le ciseau. » /197/

M. le docteur Keller, tout en suspendant son jugement sur l’origine de ces épées, fait observer avec justesse que leur ornementation n’est pas moins étrangère à l’art celtique qu’à celui des Romains, et il les rapproche des nombreuses épées découvertes sur le champ de bataille de la Tiefenau (Pl. XIV, 17) et de 3 autres épées: l’une, trouvée à Ingelheim, portant les lettres romaines C. S. et publiée par M. Lindenschmidt, l’autre provenant du pied de l’Alp souabe, et la dernière, de la forêt de Basadingen, en Thurgovie. Il ajoute que des parcelles de charbon étant prises dans la rouille d’une paire des épées de La Tène, elles doivent être tombées à l’eau à la suite de l’incendie des habitations. Il est vraisemblable que c’est à cette circonstance qu’il faut attribuer le grand nombre des objets découverts sur ce point.

Je ne puis dire si les lames sont aciérées, mais, dans tous les cas, la ciselure du fourreau permet de supposer l’emploi de quelque instrument en acier. J’aurai à revenir plus tard sur ces épées et sur celles du canton de Vaud (Pl. XIV, 16, 21), en recherchant les divers éléments qui constituent ce premier âge du fer.

 

FRANCE.

D’après le passage de Suidas, rapporté plus haut 1 , on voit que les Allobriges avaient encore des cités lacustres, lorsqu’ils furent soumis par les Romains; or, à cette époque, la Gaule en était au premier âge du fer. Suivant l’opinion de M. Delacroix, de Besançon, ce serait dans la /198/ Franche-Comté, et non point en Savoie, qu’il faudrait chercher les restes des Allobriges.

Les maisons lacustres, consacrées à des dieux topiques, dont M. Adolphe Pictet retrouve la mention dans deux inscriptions d’Autun et de Volnay, près de Baune 1 , remontent à une époque où les Gaulois connaissaient l’écriture, et celle-ci, d’une manière générale, ne pénètre pas chez un peuple avant la connaissance du fer. On ne saurait conclure de là que l’origine de ces constructions religieuses ne soit pas antérieure à cette époque; mais, dans tous les cas, les inscriptions qui ont conservé le souvenir des maisons lacustres, consacrées au culte, sont contemporaines de l’âge du fer dans les Gaules. Il est possible qu’il s’agisse de constructions élevées sur des étangs naturels ou le long de cours d’eau, et non pas nécessairement sur des lacs proprement dits.

« On sait d’une manière générale, dit M. Pictet, que le culte des eaux, des sources, des lacs, était commun aux Gaulois, aux Germains et à d’autres peuples; mais les détails manquent à cet égard chez les auteurs anciens. Ce n’est que dans le moyen âge que nous trouvons, ici et là, quelques indications sur le culte des eaux chez les populations de la Gaule. Grimm les a réunies dans son bel ouvrage sur la mythologie allemande. En voici quelques-unes:

« Grégoire de Tours (De glor. confes., chap. II, dans la Bibl. patrum., pag. XI, 872), raconte que, sur le mont Helanus, dans le Gévaudan, il y avait un lac qui était l’objet d’un culte populaire. Chaque année les habitants d’alentour y /199/ apportaient en offrande des vêtements, des peaux de mouton, des fromages, des gâteaux de cire, des pains, etc. Ils apportaient des vivres avec eux, immolaient des animaux, et passaient trois jours en fête. Au quatrième jour, il s’élevait un ouragan furieux, accompagné d’une pluie torrentielle d’eau et de pierres, qui les forçait à se retirer précipitamment. Ce phénomène ne cessa que lorsqu’un prêtre chrétien eut construit une église près du lac, et que le peuple fut converti.

» Dans la vie de St. Sulpice de Bourges (Acta Bened., sect. 2, pag. 172), il est dit qu’il y avait à Vierzon, chez les Bituriges, un gouffre rempli d’eau et consacré aux démons. Si quelqu’un s’avisait d’y entrer, il était saisi subitement par des cordes démoniaques et périssait misérablement.

» Gervasius Tilberiensis (Leibniz, I, 982) rapporte aussi que, dans la Catalogne, sur le mont Cavagum, il se trouvait un lac sans fond, avec un édifice ou palais des démons, invisible toutefois pour les yeux vulgaires. Si l’on y jetait une pierre ou tout autre corps solide, il s’élevait à l’instant même une horrible tempête par la colère des démons 1 .

» Il faut ajouter que Grégoire de Tours (Miracul., II) fait mention d’une source sacrée et d’un lac à Brioude sur l’Allier, dans les eaux duquel lac on jeta les idoles après la conversion au christianisme.

» On voit que dans ces divers lieux, les lacs étaient censés habités par des puissances supérieures et redoutables que l’on devait chercher à se concilier; et dès lors l’établissement /200/ d’édifices consacrés sur les bords des lacs et des étangs s’explique naturellement.

» On peut croire aussi que la coutume des établissements lacustres, dont on a retrouvé de si curieux débris dans plusieurs lacs de la Suisse, et qui paraissent remonter aux premiers temps de l’arrivée des Celtes, a contribué à faire naître et à propager ce culte des eaux, sur lequel nous savons trop peu de chose. Les indications fournies par nos deux inscriptions ont bien quelque importance sous ce rapport et pourront conduire à de nouvelles découvertes. »

 

IRLANDE.

Les rapports de M. Wilde et d’autres savants irlandais montrent que les crannoges de l’Irlande ont été occupés dès les âges les plus reculés jusque dans les temps modernes, en sorte que l’époque de l’introduction du fer doit y être nécessairement représentée.

M. Mac Adam décrit un de ces îlots artificiels qui s’élevait sur un lac, actuellement desséché, connu autrefois sous le nom de Lough-Ravel 1 Il était situé dans la contrée de Derryullagh, à environ 3 milles de Randalstown. L’îlot avait été entouré de pilotis en chêne, reliés par des traverses munies de mortaises. On a trouvé, sur cette île et dans son voisinage immédiat, un bateau, des moulins à bras, quelques celts, plusieurs plats en bois, d’autres en cuivre, des fibules en bronze, des poignards et des lances en bronze et en fer, une /201/ épingle en bronze ornée de deux têtes humaines, 2 monnaies, l’une de Charles II, et 3 vases en cuivre martelé. L’un de ces vases, de forme cylindrique, mesurant 22 pouces de diamètre sur 8 pouces de profondeur, n’en est pas moins, malgré ses dimensions, formé d’une feuille de cuivre très mince.

Les objets recueillis appartiennent, on le voit, à des âges très divers, en sorte que la longue occupation de ce crannoge ne peut être mise en doute. Les vases cylindriques, formés de minces feuilles de cuivre ou de bronze, peuvent remonter à des époques différentes, mais on les retrouve assez fréquemment dans les sépultures du premier âge du fer. Ils sont, en Suisse, l’un des ornements caractéristiques des tombeaux helvétiens.

On ne possède encore que fort peu de renseignements sur les habitations lacustres de l’Angleterre, aussi ne m’est-il pas possible de dire s’il en existait dans la troisième période. Le limon de la Tamise renferme de nombreux débris d’industrie, dont plusieurs sont fort anciens. Parmi ceux que M. Roach Smidt a recueillis, il se touve des antiquités romaines et des pointes de lance en fer d’une admirable conservation, grâce au limon du fleuve, sur lesquelles ont été gravés les mêmes dessins que sur les objets de l’âge du bronze. Ces fines rayures montrent un art différent de celui des épées de La Tène et se rattachant plus directement à la période précédente, mais on ne peut conclure de ces pièces, à elles seules, que des habitations sur pilotis aient jamais occupé le lit de la Tamise. /202/

 

ÉCOSSE.

La mention des antiquités lacustres de l’Ecosse, durant l’âge du bronze, et des crannoges du même pays, dans les temps modernes, ne permet guère de douter de leur existence pendant le premier âge du fer.

C’est sans doute à cette dernière époque qu’on doit attribuer la découverte de quelques-unes des armes en fer trouvées dans les marécages, et d’un chaudron en bronze, formé de feuilles martelées, assemblées avec des clous rivés du même métal. Ce vase, de 25 pouces de diamètre sur 16 de hauteur, rétréci à son ouverture, arrondi à sa base privée de pied, et muni de deux anses, a été sorti, en 1768, du fond d’un marécage tourbeux de Kincardine, à quelques milles à l’ouest de Stirling, où il reposait sur une couche d’argile, recouverte en moyenne de 7 à 12 pieds de tourbe 1 .

La présence de ce vase sur le fond primitif du bassin n’est assurément pas à elle seule un indice suffisant de constructions lacustres dans ce lieu, elle montre toutefois que ce chaudron est tombé à l’eau avant la formation de la tourbe, dans laquelle il n’aurait pu pénétrer, par son propre poids, à une aussi grande profondeur.

 

DANEMARK.

On a déjà vu que les tourbières du Danemark et du nord de l’Allemagne renferment des antiquités nombreuses, mais /203/ les explorations ne permettent pas encore de constater avec certitude si elles proviennent d’habitations lacustres. Quoi qu’il en soit, on retrouve fréquemment, dans les marécages, des objets de l’âge du fer et même du moyen âge. Quelquefois ces dépôts sont d’une telle richesse que l’accumulation des débris doit provenir, semble-t-il, d’une occupation prolongée, plutôt que d’un simple passage sur les eaux. Il suffira d’en donner un ou deux exemples.

Le musée de Copenhague possède plusieurs pièces qui proviennent de la tourbière d’Allesö, dans l’île danoise de Fionie. Parmi les objets en fer, on remarque, entre autres, des épées à deux tranchants, un coutelas, des pointes de pique de forme conique ou à quatre pans, des fers de lance, dont quelques-uns, de même que ceux de la Tamise, sont ornés de fines rayures qui reproduisent des chevrons, des cercles concentriques, en un mot, les ornements de l’âge du bronze. D’autre part, le prolongement de la douille est relevé en arête vive entre les ailerons, exactement comme sur les lances de La Tène. On retrouve aussi dans la tourbière d’Allesö le celt et la hache en fer, des umbons de bouclier du même métal, des pointes de trait et des ornements en os, avec divers objets, dont l’un, en laiton, représente la tête fantastique d’un oiseau de proie 1 .

Cette découverte n’est pas sans rapport avec celle de La Tène, mais quelques-unes des pièces danoises portent le cachet d’une antiquité un peu moins reculée. Une partie des armes enfouies dans la tourbière d’Allesö conservent les marques d’un violent combat, ce dont on peut se convaincre /204/ en voyant les fers de lance recourbés et les armes entaillées par les coups d’épée ou de hache.

La tourbière de Brarup, de 6 à 7 arpents d’étendue, est à 4 lieues de Flensborg, dans le Schleswig, et présente les trois couches de végétations successives que les savants du Nord ont constatées dans le Danemark. La plus profonde, qui descend jusqu’à 24 pieds au-dessous de la surface du sol, contient des sapins et des trembles, au-dessus viennent des chênes, et, plus haut, des bouleaux. C’est dans la couche supérieure que M. A. Engelhardt a découvert un grand nombre d’objets, dont plusieurs sont incomplets: ainsi, des garnitures en bronze de fourreaux d’épée, des hampes et des manches privés de leur fer, avec le bois de poignées et de pommeaux d’épée, souvent surmontés d’un bouton en argent. Ces pommeaux en bois, de 2 pouces et plus de diamètre, ont été parfois revêtus de cuir et garnis de clous à tête d’argent, disposés en cercle ou réunis en triangle. Un arc porte divers ornements. Deux cottes de mailles sont en fer. La propriété conservatrice de la tourbe a permis de retirer une cuirasse en cuir, une espèce de plaid en laine, orné de franges, et un pantalon, de même étoffe, avec des agrafes sur la ceinture. Des boucliers circulaires en bois étaient munis d’une poignée en bronze et garnis sur leur pourtour d’un léger rebord, aussi en bronze. Les umbons sont du même métal, ainsi que des fibules, des chaînes et des mors de chevaux. Le bois a été employé pour la fabrication de plusieurs vases. On a trouvé, avec ces divers objets, une pièce circulaire en argent, revêtue d’une lamelle en or, sur laquelle sont représentées différentes figures, un diadème en argent orné de dorures, un fragment de casque romain, un bouclier portant en caractères latins les trois premières lettres du /205/ nom d’ÆLianus, et une douzaine de monnaies romaines, de Trajan à Commode 1 .

Il est difficile de se faire une idée quelque peu nette de cette réunion d’objets d’origines diverses et de leur enfouissement, qui paraît dater de la fin du deuxième siècle de notre ère, sans les rattacher à la destruction d’habitations lacustres. Un combat en rase campagne expliquerait bien la présence d’armes mutilées, mais pourquoi toutes ces poignées d’épée et ces hampes de lance privées de leurs fers? Si l’on eût pris les lames dans le butin, on n’aurait pas laissé les poignées ornées de métaux précieux. D’autre part, un sol assez mou pour enfouir des étoffes pouvait-il servir de champ de bataille et permettre aux cavaliers d’y perdre les mors de leurs chevaux? Plus d’une fois des groupes de fuyards ont été précipités, il est vrai, dans des lacs ou dans des fondrières. En pareil cas, les cuirasses et les vêtements devraient recouvrir des squelettes humains, et les os du cheval, accompagner les restes de son harnachement.

La réunion des objets divers qui s’accumulent dans une maison rendrait mieux compte de ce pêle-mêle de vases, d’ornements, de vêtements, de métaux précieux, de monnaies, de mors de chevaux 2 et d’armes intactes, brisées, incomplètes ou inachevées, ce qui n’exclut pas l’idée d’une lutte armée, à la suite de laquelle tous ces débris auraient été perdus; mais encore, pour qu’ils aient pu disparaître dans la tourbe, il faudrait que les habitations détruites eussent été élevées sur des pilotis ou sur des radeaux, au-dessus /206/ d’un marécage inondé, ce qui serait, du reste, parfaitement conforme aux usages des peuplades lacustres.

Peut-être ne tardera-t-on pas à constater l’existence de restes de pieux qui permettraient de résoudre cette question encore indécise, et de faire rentrer ces découvertes dans la catégorie de celles qui sont déjà propres à plusieurs pays. Les pilotis des tourbières du Hanovre se retrouveront sur bien d’autres points, et les nombreux bassins du Nord offriront sans doute, après de nouvelles explorations, bien des richesses inattendues.

 

TURQUIE D’EUROPE.

Le lac Prasias, situé dans l’ancienne Pæonie, soit dans la Roumélie moderne 1 , n’a pas encore été l’objet de recherches archéologiques; mais tous ceux qui s’occupent des antiquités lacustres connaissent le passage d’Hérodote (Liv. V, chap. XVI), d’après lequel on voit que les Pæoniens construisaient leurs demeures sur les eaux, de la même manière que les anciens habitants de l’Helvétie. Voici ce que l’historien grec raconte à ce sujet:

« Les Pæoniens des environs du mont Pangée, les Dobères, les Agrianes, les Odomantes et les Pæoniens du lac Prasias ne purent point être subjugués par Mégabyze. Il tenta cependant de soumettre ceux-ci, dont les demeures étaient /207/ construites sur le lac de la manière suivante: Ils fixent sur des pieux élevés, enfoncés dans le lac, un échaffaudage bien lié, qui n’a d’autre communication avec la rive qu’un seul pont étroit. Autrefois les habitants plantaient à frais communs les pieux sur lesquels repose l’échafaudage ou la plate-forme; mais, dans la suite, ils firent une loi d’après laquelle on planterait trois pieux, apportés du mont Orbelus, à chaque femme qu’on épouserait, la polygamie étant en usage chez eux. Voici quel est leur genre d’habitation. Chacun, sur cette plate-forme, a sa cabane, où se trouve une trappe qui donne sur le lac, et, de peur que leurs petits enfants ne tombent à l’eau, ils les attachent par le pied avec une corde. Ils nourrissent leurs chevaux et leurs bêtes de somme avec du poisson en place de foin. Le lac est si poissonneux qu’en y descendant un panier par la trappe, on le retire peu après plein de poissons. »

Cette description, malgré son laconisme, indique tous les principaux éléments des constructions lacustres. Le village ou la bourgade s’élevait au-dessus de la surface des eaux à une distance de la rive qui n’est pas indiquée, mais qui variait sans doute d’après l’étendue du blanc fond, car c’est bien sur celui-ci que les demeures étaient construites, puisqu’un pont, certainement supporté par des pieux, conduisait des habitations à la rive. Les pilotis sur lesquels reposait l’esplanade devaient être aussi fort nombreux, chaque homme étant tenu d’en fournir trois à chaque femme qu’il épousait, et cela dans une contrée où existait la polygamie. L’esplanade reposait sur des pieux élevés, afin que, lors des tempêtes par les hautes eaux, les vagues ne vinssent pas heurter et inonder les habitations. Hérodote nous apprend que chaque Pæonien avait sa cabane, dont les dimensions devaient /208/ être d’une certaine étendue pour pouvoir loger une famille, souvent assez nombreuse, vu la pluralité des femmes. Rien ne dit si ces demeures étaient de forme carrée ou circulaire. Quant à la trappe dont parle l’historien, il est à peine nécessaire d’ajouter que son usage n’était pas limité à la pêche. Enfin, la manière de nourrir les chevaux et les bêtes de somme peut surprendre, à cause de leur répugnance naturelle pour l’odeur du poisson, mais que ne peut l’empire de l’usage, et, s’il faut en croire quelques voyageurs, il est encore des peuplades qui nourrissent leurs chevaux de la même manière 1

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Si les habitations sur le lac Prasias favorisaient la pêche, elle ne présentaient pas des avantages moins réels pour la défense. C’est bien par leur position sur les eaux que les Pæoniens échappèrent aux armes de Mégabyze et à la domination de Darius, mais l’histoire ne nous dit pas jusqu’à quelle époque subsistèrent ces bourgades lacustres, ni depuis quand elles existaient, ni enfin si elles se retrouvaient sur d’autres lacs de la Thrace ou de la Macédoine. Des explorations pourront fournir plus tard une réponse à ces questions. Dans tous les cas, il est probable que ce genre de construction n’était pas moins ancien au pied du mont Orbelus qu’au pied des Alpes et du Jura, et nous voyons qu’il était encore en usage pendant l’âge du fer, soit du temps de Darius.

Les habitations lacustres des Pæoniens présentent plus de rapports avec celles de la Suisse qu’avec les crannoges de /209/ l’Irlande. Ceux-ci n’avaient le plus souvent que des canots pour atteindre la rive, parce que la profondeur des eaux ne permettait pas toujours de jeter un pont. L’îlot remplaçant la plateforme ne laissait pas circuler les eaux sous l’habitation, dans laquelle il ne pouvait y avoir de trappe pour la pêche. Les pieux, moins nombreux, entouraient ces constructions, bien plus qu’ils ne les supportaient. On comprend du reste que la différence de configuration du sol et des bassins d’eau devait apporter des modifications dans la manière de satisfaire à des besoins analogues. Il était naturel qu’on utilisât les îlots, submergés ou non, des petits lacs de l’Irlande, et la difficulté de les aborder rendait leur position préférable pour la défense à celle des habitations construites plus près de la rive. Il est possible aussi que le peu d’étendue des blancs-fonds n’offrît pas d’emplacements convenables. D’autre part, le manque d’ilots dans la plupart des lacs de la Suisse conduisait naturellement à adopter le genre de construction usité chez les Pæoniens.

 

CAUCASE.

Il n’est pas sans intérêt de retrouver des habitations lacustres au delà de la mer Noire, au pied de la chaîne du Caucase. M. Ch. Petersen, professeur à Hambourg, a eu l’obligeance de m’indiquer un passage d’Hippocrate, d’après lequel une population des bords du Phase construisait aussi ses demeures au milieu des eaux.

« Les habitants du Phase, dit le père de la médecine, /210/ occupent une contrée marécageuse, chaude, humide et boisée; les pluies y sont, dans toutes les saisons, aussi fortes que fréquentes. Ils passent leur vie dans les marais; leurs habitations de bois et de roseaux sont construites au milieu des eaux; ils ne marchent que dans la ville et dans le marché ouvert aux étrangers; mais ils se transportent dans des pirogues faites d’un seul tronc d’arbre, montant et descendant les canaux qui sont nombreux. Les fruits que la contrée produit viennent tous mal et sont de qualité imparfaite, sans saveur, à cause de l’abondance de l’eau, qui les empêche de mûrir complétement et qui, en outre, répand sur le pays des brumes continuelles. C’est pour cela que les habitants du Phase diffèrent des autres hommes; ils sont, en effet, d’une haute taille et d’un embonpoint si excessif qu’on ne leur voit ni articulation ni veine; leur coloration est aussi jaune que celle des ictériques; leur voix est plus rude que partout ailleurs, attendu que l’air qu’ils respirent, loin d’être pur, est chargé d’humidité et de brouillard; ils sont peu propres à supporter les fatigues corporelles 1 . »

Bien que ce passage ne donne pas des détails aussi complets que ceux qui nous ont été conservés par Hérodote, il y est cependant dit expressément que les habitations de bois et de roseaux étaient construites au milieu des eaux. Ces demeures n’étaient point temporaires pour se soustraire aux inondations, ni disséminées pour la pêche, puisqu’elles formaient une ville qui avait un marché ouvert aux étrangers; les pirogues faites d’un seul tronc d’arbre reproduisent exactement les canots de la Suisse et des pays du nord /211/ de l’Europe; en outre, les habitations de bois et de roseaux n’indiquent pas un degré de civilisation supérieur à celui des peuplades lacustres en général. Quant aux caractères physiques des habitants du Phase, il résulte de l’ensemble de la description d’Hippocrate qu’ils provenaient bien plus du climat et de l’atmosphère brumeuse que du séjour sur les eaux, puisque tous les fruits mûrissaient mal, étant sans saveur et de qualité imparfaite. On ne saurait donc attribuer aux autres peuplades lacustres l’extérieur qui était propre aux habitants du Phase.

 

ASIE.

On ne peut dire encore jusqu’à quel point les anciennes populations de l’Asie, riveraines des lacs et des cours d’eau, avaient l’habitude de construire leurs demeures sur pilotis; cependant il existe quelques indices d’après lesquels il est facile de s’assurer que ce genre d’habitation ne leur était pas tout à fait étranger.

M. W. Wylie, dans son mémoire sur les habitations lacustres des temps primitifs, fait observer qu’il existe une série de bas-reliefs, découverts à Kouyunjik, dans le palais de Sennacherib, qui représentent les conquêtes des Assyriens sur une tribu habitant une contrée marécageuse. L’une de ces dalles, gravée dans les Monuments de Ninive, seconde série, pl. 25, reproduit plusieurs petites îles artificielles, apparemment formées en entrelaçant les grands roseaux qui croissaient dans ces marais, et l’on voit 5 ou 6 /212/ personnes réfugiées sur la plateforme de l’île. M. Layard a conjecturé que ces dalles représentent les conquêtes sur les habitants de la partie inférieure de l’Euphrate.

L’interprétation de ces bas-reliefs me paraît suffisamment confirmée par les détails que donne Hippocrate sur les constructions des habitants du Phase. On utilisait en Asie, de même qu’en Europe, les marécages pour la défense, et l’un des lacs de la Syrie a aussi été occupé par des cabanes sur pilotis qui ont même subsisté jusque dans les temps modernes 1 .

Ces îlots artificiels des bords de l’Euphrate s’élevaient à une époque où les Assyriens ne gravaient point leurs exploits sur la pierre sans le secours du fer; mais il ne faut pas oublier que ce métal a été connu, dans plusieurs parties de l’Asie, beaucoup plus anciennement qu’en Occident.


/213/

CHAPITRE VI.

PÉRIODE ROMAINE EN HELVÉTIE.


César nous apprend que les Helvétiens, au moment de mettre à exécution leur projet d’émigration, brûlèrent leurs villes au nombre de 12, leurs bourgades au nombre de 400, toutes les autres constructions particulières et le blé qu’ils ne devaient point emporter. Le petit nombre d’emplacements lacustres du premier âge du fer ne permet pas de supposer que toutes ces villes et ces bourgades fussent construites sur les eaux; dans tous les cas, lorsque les Helvétiens rentrèrent dans leur pays, après la bataille de Bibracte, ils eurent tout à reconstruire, et l’Helvétie ne tarda pas à prendre un nouvel aspect. Des bourgs et d’importantes cités s’élevèrent sur plusieurs points. De riches villas occupaient les contrées les mieux exposées. On peut se faire une idée du grand nombre de ces établissements, si l’on tient compte, que dans le canton de Vaud, à lui seul, il existe plus de 200 localités où /214/ l’on retrouve des ruines romaines. Plusieurs Helvétiens participèrent au bien-être et au luxe des Romains; mais il y en eut certainement un plus grand nombre qui conservèrent, sinon leur indépendance, du moins leurs anciens usages. Bien que les dieux du vaincu eussent été associés à ceux du vainqueur, les autels bruts, dans les forêts ou dans les lieux écartés, étaient toujours l’objet d’un culte. Plusieurs sépultures helvétiennes ne trahissent l’époque romaine que par quelque monnaie ou par des poteries, produit d’une nouvelle industrie, tandis que les ornements du défunt rappellent la période précédente. On doit se représenter aussi, à côté des riches édifices de l’étranger, l’ancienne cabane nationale, construite de pieux et d’argile, avec un toit de chaume. Quant aux habitations lacustres, elles n’étaient plus pour la population une sauvegarde de son indépendance. A supposer que les Helvétiens eussent conservé, pendant le premier âge du fer, l’usage de se fortifier en construisant leurs bourgades sur les eaux, la domination romaine aurait rendu inutile ce moyen de défense. Toutefois le pêcheur pouvait encore trouver quelque avantage à ce genre d’habitation, et c’est sans doute à lui qu’il faut attribuer les débris d’origine romaine qu’on retrouve auprès de quelques pilotis.

 

Lacs de Bienne et de Neuchâtel.

La plupart des emplacements du lac de Bienne paraissent avoir été abandonnés avant l’époque de la domination des Romains sur l’Helvétie. On voit cependant de nombreux fragments de tuiles et de poteries romaines vers les pilotis de la petite île des Lapins, mais ces débris peuvent avoir été /215/ jetés là depuis la terre ferme, et l’on ne saurait en conclure qu’ils proviennent d’habitations sur les eaux. Il est aussi un ou deux autres points, sur les bords du même lac où l’on trouve des restes romains à peu de distance d’emplacements de pilotis, auxquels ils sont vraisemblablement tout à fait étrangers 1 . Peut-être en est-il de même des fragments de tuiles et de vases qu’on voit vers le Pont de la Thièle, auprès des débris de l’industrie du premier âge.

Lorsque ces poteries se rencontrent au milieu de pieux trop avancés dans les lacs pour qu’elles aient pu être jetées depuis la rive, il faut alors rechercher quelle est la raison de leur présence sur ces points. Plusieurs emplacements du lac de Neuchâtel offrent cette particularité, qui ne doit pas être passée sous silence.

On a recueilli, sur la station de la Sauge, une anse d’amphore avec des fragments de tuiles et de vases romains.— De grandes briques ou des tuiles romaines se trouvent à Gletterens, à Chevroux, à Forel, à Corcelettes, au Grain, au Bied, à Colombier et à Hauterive. — Un vase romain accompagnait les pilotis sous Corbière, ainsi que des tuiles et des monnaies impériales, ceux de Font. Enfin, les fragments d’une bouteille en verre bleu, quelques tuiles et une meule de moulin romain ont été découverts sur l’emplacement de La Tène.

Les objets qui représentent la période romaine consistent à peu près exclusivement en poterie, en tuiles et en briques. /216/ La présence de ces débris, à 300, 600 et même 900 pieds de la rive, sur 12 emplacements de pilotis, ne saurait être fortuite. D’autre part, les tuiles sont trop peu nombreuses sur les points où on les trouve, pour admettre qu’elles aient servi de couverture, ce que leur pesanteur eût d’ailleurs rendu difficile sur des huttes construites avec des branchages. Il est à présumer qu’elles étaient plutôt utilisées à l’intérieur des cabanes, ainsi que les grandes briques qui mesurent jusques à 4 pieds carrés, et qu’elles tenaient lieu des pierres plates indispensables pour les foyers sur des planchers en bois.

La poterie est généralement grossière, et ces débris de l’époque romaine trahissent, sur ces points, une indigence bien plus grande que dans les âges antérieurs. Rien ne révèle une occupation de quelque importance; plus de traces d’industrie exercée sur les eaux; plus de ces dépôts indiquant une population quelque peu considérable. Tout conduit à supposer que ces emplacements n’étaient guère occupés que par des familles de pêcheurs.

Il n’est pas hors de propos de rappeler que les pilotis de Font, vers lesquels on trouve des monnaies romaines, sont dans le voisinage de la Pierre du mariage, nom donné à plus d’un autel païen. On sait combien souvent on jetait des monnaies, comme offrandes, dans les eaux consacrées à quel que dieu, et il est possible qu’un fanum lacustre ait existé à Font, pendant la période romaine.

Plusieurs de ces emplacements ont déjà été habités pendant l’âge du bronze, durant lequel ils ont atteint leur plus haut degré de développement, à l’exception toutefois de celui de La Tène; mais il paraît, d’après l’ensemble des objets recueillis, qu’on les a généralement abandonnés dans le /217/ premier âge du fer. Les derniers débris, qui viennent d’être mentionnés, montrent assez que la bourgade lacustre proprement dite ne s’est point relevée sous la domination des Romains.

Quelques rares objets en fer du moyen âge, découverts auprès des pilotis des lacs de Bienne et de Neuchâtel, ne permettent pas de conclure avec certitude à la continuation des anciens usages, car on retrouve aussi, sur les blancs-fonds, des armes du moyen âge et même du siècle passé, en dehors des emplacements lacustres. Si l’on attribuait à des naufrages, il y a quelques années, tous les débris d’industrie enfouis dans la vase des lacs, il ne faut pas non plus voir dans tout débris d’industrie un indice certain d’habitation sur les eaux. Toutefois la hutte du pêcheur peut avoir subsisté après l’époque romaine, mais, dans tous les cas, la dernière bourgade de quelque importance, connue jusqu’à présent sur les lacs de la Suisse, est celle de La Tène, qui remonte à l’époque helvétienne, antérieure à César.


/218/

CHAPITRE VII.

TEMPS MODERNES.


La manière de construire est intimement liée à la vie des peuples. Elle répond aux habitudes et aux besoins qui demandent à être satisfaits, et n’échappe point à l’influence du climat et de la configuration du sol. L’habitation lacustre cesse d’exister quand elle ne remplit plus le but pour lequel elle a été élevée ou lorsqu’un peuple s’introduit avec des usages différents. En Suisse, elle ne subsiste plus, sous la domination romaine, que comme cabane de pêcheur; mais il est d’autres contrées dans lesquelles elle a conservé beaucoup plus tard sa raison d’être.

 

IRLANDE.

L’Irlande ayant échappé au joug de Rome, le crannoge ne perdit point son importance pendant cette période. /219/ Longtemps après, il servit encore de refuge ou de château fort aux chefs de l’île, et parfois aussi de repaire à des chefs de bande qui venaient y déposer leur butin ou y chercher l’impunité.

MM. Wilde, Mac Adam et d’autres savants irlandais ont publié les extraits d’annales qui mentionnent l’existence des crannoges dans les temps modernes, à partir du IXe siècle jusqu’à l’an 1610. Bien que ces données soient en général fort laconiques, elles n’en sont pas moins précieuses à recueillir 1 .

L’an 848, Cinaedh, seigneur du Cianachta-Breagh, à la tête d’une bande de mercenaires, saccagea et brûla le crannoge de Lagore, dans le comté de Meath, et, en 933, cet îlot fut démoli par Aulaiv O’Hivair, pendant les incursions des Scandinaves. — L’an 991, un coup de vent jeta soudainement, sous 30 pieds d’eau, l’île de Lough-Cimbe avec ses fossés et ses retranchements. — Turlough s’échappa du crannoge de Lough-Leisi, en 1246, après avoir noyé ses gardiens. — En 1368, Teige fut fait prisonnier par trahison, dans son crannoge de Ard-an-choillin, situé, avec trois autres, sur le lac Cairgin. On a sorti, en 1850, un millier de quintaux d’ossements de l’une de ces îles. — Le crannoge de Loch-Laoghaire fut pris en 1436, par les fils de Brian O’Neill, qui construisirent des bateaux propres à l’abordage. Les fils de Brian Oge, défenseurs de l’île, livrèrent leur crannoge à la vue de ces préparatifs et firent la paix.— D’autres mentions du même genre se rapportent aux années 1455, 1495, 1512, 1524, 1540, 1541 et 1560. Dans l’automne de cette /220/ dernière année, Teige O’Rourke périt dans les eaux, en traversant le lac pour se rendre dans le crannoge de Muintir-Eolais, dans le comté de Leitrim. — O’Donnel prit, en 1544, l’île de Innis-an-Lochain, où Mac-Quillin avait un château en bois et une forteresse réputée imprenable. Il s’empara aussi, dans cette expédition, du crannoge de Baile-an-Locha et fit un grand butin en armes, en cuivre, en fer, en beurre et en provisions diverses. Innis-an-Lochain est située dans la rivière de Bann, sur un point où elle s’élargit en petit lac, et où l’on voit encore des traces de fortifications en terre. Les petits chefs des rives opposées combattaient avec acharnement pour la possession de cette île, à cause de son importance pour la pêche. Elle fut souvent le théâtre de scènes violentes; c’est ainsi que les fils de Mac Donnell s’en emparèrent avec une bande d’Ecossais et détruisirent la garnison, par le feu, avec tout ce qu’elle possédait. — En 1586, O’Neill construisit une demeure dans un marais et s’y renferma avec tous ses gens et son bétail.

L’an 1591, Francis Jobson fit, sur la demande du gouvernement, la carte du comté de Monaghan, sur laquelle il trace, en grossières esquisses, les demeures des petits chefs. Elles se trouvent toutes sur des îles. Chaque baronie a la sienne, et la demeure est toujours indiquée sous le nom d’île.

En 1603, Hugh Boy O’Donnell se retira dans un crannoge de Nan-Duini pour se guérir d’une blessure. — Il est encore fait mention, en 1610, d’un crannoge situé dans le comté de Galway.

Shirley, qui écrivait en 1567, rapporte que les crannoges avaient été les défenses proprement dites du nord de l’Irlande et qu’on avait d’autant plus de confiance en ce genre /221/ de fort sur les eaux douces qu’on ne pouvait y arriver en bateau depuis la mer, raison pour laquelle on y mettait en sûreté la vaisselle d’or et d’argent, les provisions de guerre et le butin.

Les avantages que présentaient ces forts ressortent suffisamment de leur situation. Pendant les incursions des pirates, les crannoges tenaient lieu de tours de refuge. Ces luttes intérieures rappellent les guerres de château à château, qui, pour avoir eu un théâtre limité, n’en étaient pas moins sanguinaires. M. Mac Adam cite la découverte d’un bateau dans lequel était un crâne humain, perce d’un trou, et qui portait les marques de 20 coups d’épée, d’où l’on peut se faire une idée de l’acharnement de l’attaque et de la défense. Tout auprès, gisait un collier en fer auquel était fixée une chaîne de 20 pieds de longueur, digne des cachots du moyen- âge 1 .

 

ÉCOSSE.

Des crannoges, pareils à ceux de l’Irlande, s’élevaient sur plusieurs lacs de l’Ecosse. Les chroniqueurs nous apprennent que quelques-uns ont même subsisté jusqu’au commence ment du XVIIIe siècle. Quant à leur origine, il est probable, comme on l’a vu, qu’elle remonte à la plus haute antiquité 2 . M. Joseph Robertson a communiqué à la Société des antiquaires d’Ecosse la description de ces îles artificielles, au sujet desquelles il suffira de reproduire les détails suivants. /222/

En faisant écouler les eaux du lac Banchory, dans le comté de Kincardine, on vit que l’île de ce lac était entourée de pieux en chêne et avait été construite en jetant de la terre et des pierres sur des couches alternatives de chênes et de bouleaux. Auprès de l’île, se trouvaient deux canots, creusés chacun sur une seule pièce de chêne.

Lors du desséchement du lac Forfar, l’an 1770, on s’assura que la petite île de Sainte-Marguerite était formée de grands pieux en chêne et de pierres rapportées, recouvertes d’une couche de terre.

Le crannoge de Clunie, dans le comté de Perth, et celui de Clyne, dans le Sutherland, sont tous les deux entourés d’une muraille de pierres sèches, de même que quelques îlots irlandais.

Parfois des jetées reliaient à la rive les îlots artificiels de l’Ecosse, ainsi dans les lacs de North-Uist, île des Hébrides, où se trouvent quelques crannoges. Des jetées conduisaient aussi à l’île fortifiée de Loch-an-Eilen, dans la contrée de Strathspey, et à celle du lac Yotholm, qui peut être considérée comme le prototype du château d’Avenel décrit par Walter Scott.

On arrivait également par une jetée au crannoge du lac Canmore, mentionné dans l’histoire, en 1335, et détruit, en 1648, par ordre du parlement écossais. Une petite île artificielle de ce lac passe pour avoir servi de prison, de même qu’un autre îlot du lac Moy.

Deux crannoges subsistèrent encore, d’après le rapport de manuscrits contemporains, l’un en 1680, sur le lac Lochy, dans la contrée de Lochaber, et l’autre, sur le lac Lomond, en 1715. La tradition populaire attribue la fondation de ce dernier fort aux mêmes mains qui élevèrent la remarquable /223/ construction cyclopéenne qu’on voit sur le promontoire voisin.

 

DÉTROIT DE CONSTANTINOPLE.

L’habitude de construire des huttes sur les eaux s’est conservée jusqu’à nos jours dans les petites anses du Bosphore. Ces huttes diffèrent des crannoges et des cités lacustres en ce qu’elles n’ont pour but ni la défense, ni la réunion de la population riveraine. Habitées par des pêcheurs, elles témoignent cependant d’un goût incontestable pour la vie sur les eaux. Leur construction présente aussi un caractère particulier. Les pieux, d’une longueur considérable, au lieu d’étre plantés verticalement, sont inclinés et se croisent en sens divers. La confusion qu’ils offrent à l’œil est plus apparente que réelle, étant assemblés de manière à présenter aux cabanes un appui dont la solidité consiste surtout dans l’écartement des jambages à leur base. Ces pieux, de longueur inégale et dont la partie supérieure est fort élevée au-dessus de la surface des eaux, ne supportent pas d’esplanade. Les huttes, de forme carrée, placées sur les points où se croisent les pièces de bois, se trouvent à des hauteurs diverses, non par étages réguliers, mais comme des nids entre les rameaux d’un arbre. On y arrive par des échelles formées de bâtons fixés horizontalement contre les pieux, et l’on communique avec la rive à l’aide de bateaux. Ces groupes pittoresques de huttes primitives frappent d’autant plus le voyageur qu’ils s’élèvent parfois en face d’habitations élégantes, construites, dans le style moderne, sur les bords de la mer, ainsi à Babec et à Soraglio 1 . /224/

 

RUSSIE.

Larcher rapporte dans son commentaire sur Hérodote, à propos des habitations des Pæoniens, sur le lac Prasias, que Tcherkask, ancienne capitale des Cosaques du Don, est bâtie de la même manière, toutefois avec cette différence que, le Don étant un fleuve très rapide, la construction de cette dernière ville est encore plus surprenante.

On pourrait citer bien des villes en Europe, dans lesquelles s’élèvent, au-dessus des eaux, des bâtiments supportés par des pilotis; mais leur caractère général diffère trop de celui des habitations lacustres pour insister davantage sur ce rapprochement.

Les Kamtchadales, dans la Sibérie orientale, ont encore l’habitude de construire une partie de leurs demeures sur des pieux. Chaque famille a deux maisons, l’une d’hiver et l’autre d’été; « celle d’hiver est une espèce de tanière creusée à plusieurs pieds sous terre, et dont le toit, porté par quatre piliers, est recouvert de branches d’arbres et de terre; on y pratique deux ouvertures, l’une pour servir d’entrée et en même temps de fenêtre, l’autre pour laisser échapper la fumée. La maison d’été est construite en bois; elle est polygone et quelquefois ronde; élevée fort haut sur des pilotis dont les extrémités supérieures sont inclinées l’une vers l’autre, ce qui donne la forme d’une quille à ces bâtiments assez semblables à des colombiers. Comme ces maisonnettes sont construites sur une petite dimension, ils en mettent quelquefois plusieurs à côté l’une de l’autre, /225/ et y passent sur une planche, qu’ils jettent comme un pont-levis; elles sont peu solides et souvent ébranlées par le vent; ils attachent toujours leurs chiens dessous. Les armes de ces habitants de la partie méridionale du Kamtchatka consistent en massues, en flèches et en lances, au bout desquelles ils mettent des os aiguisés. Leurs meubles sont des nattes de joncs qui servent de lit, quelques escabeaux et des écuelles de bois. Un bateau, des traîneaux menés par des chiens et des patins à raquettes, voilà toutes leurs richesses 1

La description de ces demeures d’été convient tout à fait à celle des huttes de pêcheurs du Bosphore, avec cette différence, toutefois, que les Kamtchadales construisent sur le sol, puisqu’ils attachent leurs chiens sous les habitations. On retrouve, du reste, des cabanes élevées sur pilotis au-dessus de la terre ferme chez plusieurs peuplades des îles de l’Océanie, où ce genre de construction, contracté par l’habitude de vivre sur les eaux, a été transporté à l’intérieur des îles.

Une partie des Coriaks occupent, dans le gouvernement d’Irkoutsk, une contrée montagneuse, remplie de lacs et de marécages. Ils habitent des espèces de villages dont les constructions sont pareilles à celles des Kamtchadales, auxquels ils ressemblent beaucoup par le langage, le genre de vie et la malpropreté 2 .

 

SYRIE.

M. le Dr Ferd. Keller cite, dans son second rapport sur les habitations lacustres de la Suisse, un passage d’Aboul-Féda, /226/ écrivain du XIVe siècle, d’après lequel l’un des lacs de la Syrie, alimenté par l’Oronte, portait communément le nom de Lac des chrétiens, parce qu’il était habité par des pêcheurs chrétiens qui demeuraient sur ce bassin dans des cabanes en bois, au-dessus de pilotis 1 .

Ces quelques mots ne laissent aucun doute sur l’analogie de ces constructions avec celles qui ont été répandues en Occident. Si elles ne sont mentionnées dans le moyen âge que comme la demeure de pêcheurs, on comprend que la bourgade lacustre, telle qu’elle existait autrefois sur les lacs de la Suisse et de la Thrace, ait perdu son caractère primitif dès que les petits états perdirent leur indépendance. Peut-être les marbres de Ninive conservent-ils le souvenir de quelqu’une /227/ de ces huttes sur les lacs de la Syrie, couverts de plantes aquatiques 1 .

Quoi qu’il en soit, plusieurs habitants de ce pays ont conservé, jusque dans les temps modernes, l’habitude de vivre sur les eaux, et il n’est pas impossible qu’une partie des chrétiens syriens, persécutés par les musulmans, n’aient cherché une retraite, au milieu des roseaux, sur des lacs assez poissonneux pour y trouver leur subsistance.

 

CHINE.

De nombreux habitants de l’Empire Chinois passent leur vie au-dessus des lacs et des fleuves, sans avoir d’habitations sur terre ferme. Les constructions qui leur servent de demeure ne sont point supportées par des pilotis; elles consistent en îles flottantes ou en espèces de bateaux amarrés le long des cours d’eau. La description suivante de M. Hue, missionnaire apostolique en Chine, donne une idée fort exacte de ce genre d’habitations.

« Nous ne tardâmes pas à apercevoir le lac de Ping-hou.... Trois bateaux préparés à l’avance nous attendaient au rivage. Le convoi s’embarqua promptement; on hissa de longues voiles en bambou, plissées comme des éventails, et nous partîmes.... Nous passâmes à côté de plusieurs îles flottantes, produits bizarres et ingénieux de l’industrie chinoise, et dont jamais, peut-être, aucun peuple ne s’est avisé. Ces îles flottantes sont des radeaux énormes, construits en /228/ général avec de gros bambous, dont le bois résiste longtemps à l’action dissolvante de l’eau. On a transporté sur ces radeaux une couche assez épaisse de bonne terre végétale, et, grâce au patient labeur de quelques familles d’agriculteurs aquatiques, l’œil émerveillé voit s’élever à la surface des eaux des habitations riantes, des champs, des jardins et des plantations d’une grande variété. Les colons de ces fermes flottantes paraissent vivre dans une heureuse abondance. Durant les moments de repos que leur laisse la culture des rizières, la pêche devient pour eux un passe-temps à la fois lucratif et agréable. Souvent, après avoir fait leur récolte au-dessus du lac, ils jettent leur filet et le ramènent sur le bord de leur île, chargé de poissons; car la Providence, dans sa bonté infinie, fait encore germer au fond des eaux une abondante moisson d’êtres vivants pour les besoins de l’homme. Plusieurs oiseaux, et notamment les pigeons et les passereaux, se fixent volontiers dans ces campagnes flottantes, pour partager la paisible et solitaire félicité de ces poétiques insulaires.

» Vers le milieu du lac, nous rencontrâmes une de ces fermes qui essayait de faire de la navigation. Elle s’en allait avec une extrême lenteur, quoiqu’elle eut cependant vent arrière. Ce n’est pas que les voiles manquassent: d’abord il y en avait une très large au-dessus de la maison, et puis plusieurs autres aux angles de l’île; de plus, tous les insulaires, hommes, femmes et enfants, armés de longs avirons, travaillaient de tout leur pouvoir, sans imprimer pour cela une grande vitesse à leur métairie. Mais il est probable que la crainte des retards tourmente peu ces mariniers agricoles, qui sont toujours sûrs d’arriver à temps pour coucher à terre. On doit souvent les voir changer de place sans motif, /229/ comme font les Mongols au milieu de leurs vastes prairies; plus heureux que ces derniers, ils ont su se faire, en quel que sorte, un désert au milieu de la civilisation, et allier les charmes et les douceurs de la vie nomade aux avantages de la vie sédentaire.

» Il existe de ces îles flottantes à la surface de tous les grands lacs de la Chine. Au premier abord, on s’arrête avec enchantement devant ces poétiques tableaux; on aime à contempler cette abondance pittoresque, on admire le travail ingénieux de cette race chinoise, qui est toujours étonnante dans tout ce qu’elle fait. Mais, quand on cherche à pénétrer le motif pour lequel ont été créées ces terres factices, quand on calcule tout ce qu’il a fallu de patience et de sueurs à quelques familles déshéritées, et qui, pour ainsi dire, n’avaient pu trouver en ce monde une place au soleil, alors le tableau, naguère si riant, prend insensiblement de sombres couleurs, et l’on se demande, l’âme accablée de tristesse, quel sera l’avenir de cette immense agglomération d’habitants que la terre ne peut plus contenir, et qui est forcée, pour vivre, de se répandre sur la surface des eaux 1 . »

Si l’auteur de cette description avait connu la haute antiquité des constructions lacustres, il aurait sans doute attribué à une autre cause l’origine des îles flottantes de la Chine, qui n’en sont pas moins une ressource de nos jours dans un pays couvert d’une nombreuse population, mais qui se retrouvent aussi dans des contrées beaucoup moins peuplées, étrangères à l’Asie. /230/

 

OCÉANIE.

On retrouve, dans les îles de l’Océanie, la plupart des divers genres de constructions sur pilotis qui existaient autrefois en Europe. Bien des bourgades s’élèvent au-dessus des eaux, des marécages et même de la terre ferme, afin, dit-on, d’éviter le contact immédiat du sol brûlant et pour se mettre à l’abri des bêtes fauves, des reptiles et des insectes. M. Guterloh, du canton de Thurgovie, après un séjour de vingt-quatre ans à Batavia, rapporte que toutes les maisons de l’île de Sumatra sont construites sur pilotis, et qu’elles sont souvent situées dans des marais, les indigènes ayant précisément pour but celui qui vient d’être indiqué 1 .

« C’est un fait constant et habituel, m’écrit M. Alfred Maury, membre de l’Institut, que les Malais et les Chinois établis dans l’Archipel indien élèvent leurs maisons sur des pieux qu’ils enfoncent sur le rivage, et qui atteignent, au-dessus du sol, une hauteur de 3 à 4 mètres. Une échelle ou escalier extérieur permet de monter dans la maison, qui n’a généralement qu’un étage, et qui est construite en bois, comme vos chalets suisses. Ce mode de construction a pour objet de mettre à couvert les habitations de l’attaque des pirates si communs dans ces parages, et aussi des fortes marées qui pourraient submerger ces frêles demeures. Enfin il semble que les besoins de la pêche ou l’utilité d’avoir sous sa demeure les animaux domestiques aient maintenu cet usage. /231/ J’ai feuilleté à votre intention divers voyages sans rien trouver de bien précis, seulement, ces jours-ci, je suis tombé sur des documents publiés en hollandais par l’Institut des Indes orientales, à la Haye, et j’ai vu, dans le volume qui traite de Bornéo, beaucoup de représentations de maisons de ce genre. Il est aussi vraisemblable que les Malais se trouvent plus à l’abri, dans des maisons ainsi exhaussées, de l’attaque des animaux féroces. Toutefois ce système adopté par les Chinois émigrés, vient des Malais et caractérise en général la race Malayo-Tongale. »

Dumont d’Urville donne, dans ses voyages, divers détails sur les habitations de plusieurs îles de l’Océanie 1 . Il décrit une case de Bornéo, bâtie sur des pieux plantés au milieu de l’eau. « Cette case, solidement construite en planches et en bambous, me rappela, dit-il, la maison du lac Ontario de Cooper. Elle en était la reproduction exacte et avait sans doute été élevée dans le même but, c’est-à-dire pour se mettre à l’abri des ennemis et des bêtes féroces. »

Sur l’île Solo, le célèbre voyageur vit des cases perchées sur de forts pilotis de 10 à 12 pieds de hauteur, séparées entre elles par une lagune assez large, et formant un groupe à part, joint à la ville par un pont. Toutes les maisons de la ville de Solo, située à l’embouchure d’une rivière, sont bâ ties au-dessus de l’eau et reposent sur des pilotis. Elles communiquent entre elles par des ponts en planches souvent étroites et flexibles. Telle maison de l’île, de forme carrée, est supportée par 4 poteaux de 5 pieds de hauteur, et l’on y pénètre à l’aide d’un escalier mobile. Des cases, édifiées sur /232/ 15 ou 20 gros pilotis, ont des claies pour plancher et pour parois; ces dernières sont en joncs ou roseaux bien serrés, tandis que le plancher, construit avec des branches d’arbre entrelacées, laisse des jours. Les groupes d’habitations sont parfois entourés d’une plate-forme.

Les maisons de l’île Mindinao, à l’exception d’un petit nombre construites à l’européenne, sont d’assez misérables cases, élevées sur des pieux, à quelques pieds au-dessus du sol, fabriquées avec des bambous et couvertes en chaume; la partie inférieure sert de parc aux bestiaux et aux volailles.

Celles des Iles Carolines sont toutes construites en planches sur des poteaux élevés de plusieurs pieds au-dessus du sol, et les grandes cages en bambous des Macassars, dans l’Ile de Célèbes, présentent la même particularité.

Toutes les habitations de l’île Céram sont érigées sur des pilotis, souvent au-dessus d’un marais, auprès du rivage de la mer ou sur du sable. On y voit un groupe d’une soixantaine de maisons, toutes à deux étages, bâties à la mode malaise. L’étage supérieur est destiné aux femmes, et le plancher du premier ou du rez-de-chaussée se trouve à un mètre environ au-dessus du sol.

Les villages des Papous de la Nouvelle Guinée reproduisent d’une manière frappante les constructions du lac Prasias, décrites par Hérodote, et permettent de se faire une idée exacte de ce qu’étaient les habitations lacustres de la Suisse. Des pieux très nombreux, plantés verticalement dans les eaux à une certaine distance de la rive et parallèlement à celle-ci, supportent, à 8 ou 10 pieds au-dessus du niveau de la mer, un plancher formé de pièces de bois rondes. C’est sur ce plancher que s’élèvent les cabanes circulaires ou /233/ carrées, recouvertes d’un toit conique ou à deux pans. Les parois sont formées de pieux rapprochés et de joncs entrelacés. Un ou plusieurs ponts étroits conduisent à la rive, ainsi que des canots taillés sur un tronc d’arbre.

« Les habitants de Doréï sont distribués en quatre villages situés au bord de l’eau; deux sont sur la rive septentrionale du hâvre, et les deux autres sur les îles Mana-Souari et Masmapi. Chaque village renferme huit à quinze maisons établies sur des pieux; mais chaque maison se compose d’une rangée de cellules distinctes, et reçoit plusieurs familles ... Toute la population de Doreï ne doit pas monter à plus de 1500 âmes. »

« J’entrai dans une de ces cases, dit Dumont d’Urville. C’était un vrai château branlant, percé à jours de tous côtés; un couloir long et étroit, pratiqué dans le milieu, séparait une double rangée de cellules, chacune habitée par un ménage. Ces cellules n’avaient pour tout meuble qu’une natte ou deux, un pot de terre, un vase ou deux en faïence, et des sacs de farine de sagou. Les appartements des chefs, mieux montés que les autres, avaient aussi de plus quelques caisses ou corbeilles en feuilles de bananier ou de pandanus, où ils déposent leurs marchandises et leurs richesses. Dans une autre cabane qui semblait une sorte de harem ou de gynécée, je vis plusieurs femmes rassemblées dans une salle commune, et travaillant à divers ouvrages. Les unes tissaient des nattes, les autres pétrissaient de l’argile et en fabriquaient des vases de diverses grandeurs. Une d’elles chantait, tandis que les autres semblaient prendre plaisir à cette mélodie.

« Au milieu de toutes ces maisons alignées le long de la plage, il en est une qui frappa le plus vivement ma curiosité. /234/ Elle se composait d’une seule pièce avec un toit triangulaire, ayant pour plancher six grosses poutres transversales, soutenues chacune sur quatre pieux solides; il en résultait une sorte de colonnade de quatre rangs, dont chacun se composait de six poteaux. Tous ces pieux étaient sculptés en figures humaines, d’un travail grossier, si l’on veut, mais fort reconnaissables. Dans ces figures toutes nues, la moitié, celles du rang extérieur, étaient du sexe masculin; les autres, du rang inférieur, étaient du sexe féminin. Elles étaient toutes surmontées d’un turban ou d’un shako formant chapiteau; de sorte que leur assemblage avec les poutres supérieures présentait un ensemble d’architecture régulière. Tout ce que nous pûmes savoir de nos guides au sujet de cet édifice, c’est qu’il avait une destination religieuse. Du reste, aucune perche entaillée ne semblait y donner accès 1

Le dessin qui accompagne cette description, (Pl. II, 5), montre que ce curieux édifice, consacré au culte, est isolé des habitations, et que le plancher supporté par les pieux sculptés en cariatides est assez élevé au-dessus des eaux. Le toit repose sur le plancher, dont il n’est point séparé par /235/ des parois. Un trou pratiqué sur l’un des côtés de la couverture en chaume paraît être l’entrée de cette espèce de sanctuaire. Les Papous ont donc, ainsi que les anciens Gaulois, des maisons lacustres, consacrées à leurs dieux.

L’usage de sculpter les pilotis ne se rapporte pas exclusivement aux constructions religieuses; on le retrouve sur l’île de Célèbes, employé dans les habitations particulières. « Quelquefois les pieux qui soutiennent les maisons sont ornés de sculptures fort curieuses, représentant diverses effigies d’hommes, d’animaux ou de reptiles. A Tondano, j’en remarquai quelques-unes qui portaient des figures européennes, coiffées les unes d’un bonnet, les autres d’un chapeau monté. Quelques-unes de ces sculptures accusaient dans leurs contours un certain degré de goût et d’habileté déjà bien supérieur à celui des nations polynésiennes, où cet art ne se montre que dans son enfance. »

« Jadis toute la ville de Tondano était construite sur le lac, et l’on ne communiquait d’une maison à une autre qu’en bateau. Forts de cette position, en 1810, les habitants eurent des démêlés avec les Hollandais et voulurent secouer leur joug; ils s’armèrent et furent battus. Ce ne fut pas sans peine qu’on en vint à bout; il fallut y porter de l’artillerie et construire des bateaux canonniers. Depuis ce temps, et pour éviter cet inconvénient, on a défendu aux indigènes de construire leurs habitations sur le lac. En effet, la ville s’agrandit sur la terre ferme, et, dans une promenade sur l’eau, je vis les ruines de leurs anciennes demeures. J’en vis aussi d’habitées, tellement vieillies qu’elles croulaient de toutes parts et menaçaient de tomber dans l’eau. M. Pieterman m’apprit qu’ils tiennent singulièrement à ces vieux édifices pourris, et qu’on a beaucoup de peine à les leur faire /236/ abandonner pour en construire de plus solides: il se rattache à ce goût quelques idées religieuses. — Le nom de Tondano est un mot composé qui signifie hommes de l’eau ou qui habitent l’eau. »

« Rien ne ressemble plus aux habitations paludiennes du pays dans lequel je suis né, que traverse et que forme la Sèvre niortaise avant de se jeter dans la mer; et, sur une montagne placée presque sous l’équateur, je retrouvai, pour ainsi dire, les huttes, les roseaux et les eaux marécageuses du département de la Vendée. »

Dumont d’Urville dit aussi, en parlant des Arfakis, voisins des Papous de la plage du Hâvre-Doréï, que leur tribu tout entière, composée d’environ 150 personnes, habitait deux immenses cabanes en bois, perchées sur des pieux de 30 ou 40 pieds de hauteur, dans lesquelles on montait par une pièce de bois entaillée. Cette pièce de bois se retirait durant la nuit et aux approches de l’ennemi. Chaque famille avait une cellule particulière, et chacune des cabanes ou hangars contenait une vingtaine de cellules ... Plus tard, les Arfakis se sont logés dans 5 ou 6 édifices plus petits, construits dans le même genre, mais moins élevés.

Les Papous, d’après le même auteur, ont pour parure des anneaux, des pendants en coquillages, en écaille ou en argent, et des peignes en bois à 3, 5 ou 7 dents. Leurs armes sont des arcs, des flèches et des frondes avec des boucliers étroits et longs pour la défensive. Leurs lignes, faites de chanvre, sont artistement tressées. Ils fabriquent des ustensiles, de la poterie, des nattes et divers petits coffrets, avec art et solidité. Ils ont un couperet d’acier employé à différents usages domestiques, et ils allument promptement le feu par le frottement d’un morceau de bois sur du bambou. /237/ Leur forge se compose d’une pierre qui sert d’enclume et d’un soufflet consistant en deux cylindres de gros bambous disposés verticalement et munis chacun d’un piston pour refouler l’air. Ils ont des idoles en bois reproduisant l’attitude assise, dont la tête est parfois remplacée par un crâne humain.

On a prétendu que l’habitude de construire sur la mer ou dans les marécages répond à la nonchalence des indigènes, qui n’ont qu’une planche à lever pour se débarrasser des immondices ou des débris du ménage. Cette raison, à elle seule, serait insuffisante pour expliquer le choix de ces emplacements et ce genre de bâtiments d’un accès peu facile. Leur construction, loin de favoriser la paresse, demande bien plus de travail que celle d’une simple hutte sur terre ferme. D’autre part, il est évident que des cabanes perchées jusqu’à 30 et 40 pieds au-dessus du sol, et dont on retire après soi l’escalier mobile, a pour but de pourvoir à la sûreté de ses habitants. Ces huttes, malgré leur légèreté, rappellent les tours de refuge du moyen âge, dont l’entrée n’était accessible qu’à l’aide d’une échelle. La défense des habitants de Tondano contre les Hollandais, qui ne les soumirent pas sans peine, montre assez que les bourgades lacustres pouvaient résister avec avantage contre des peuples peu habiles dans l’art de la guerre. Toutefois, si le besoin de pourvoir à la sûreté personnelle paraît avoir été le but dominant, on ne saurait méconnaître d’autres raisons tenant au climat et à la force de l’usage, qui fait encore préférer ces huttes délabrées à des habitations plus confortables. On a même vu que les idées religieuses ne sont pas étrangères à cette prédilection pour les demeures sur les eaux. /238/

 

AMÉRIQUE.

Après avoir constaté l’existence d’habitations lacustres en Europe, en Asie, et dans les îles de l’Océanie, il est naturel de se demander si les nombreux bassins du vaste continent américain n’ont pas été utilisés de la même manière. Il serait surprenant qu’il n’en eût jamais été ainsi, mais je manque de renseignements suffisamment précis pour oser affirmer avec certitude que ce genre de construction ait été répandu chez les anciens habitants de l’Amérique. On possède cependant quelques indices qu’il ne sera pas hors de propos de rappeler.

Chacun connaît la description que donne Cooper d’une construction lacustre sur le lac Ontario. Dumont d’Urville vit avec surprise une habitation toute pareille sur l’île Bornéo, mais la question est de savoir si le récit de l’illustre romancier est dû à l’imagination, ou s’il a transporté sur les bords du lac Ontario des usages empruntés aux Malais ou peut-être même à quelques Indiens de l’Amérique. C’est ce que les savants explorateurs du nouveau monde ne tarderont pas à nous apprendre.

L’histoire de la conquête du Mexique offre des données qui, bien qu’insuffisantes, touchent à notre sujet 1 . A l’époque de Cortez, la moitié de Tezcuco se trouvait dans le lac du même nom, et, à deux lieues de Mexico, environ 2000 /239/ maisons étaient fondées dans l’eau. Elles ne reposaient assurément pas sur des pieux, mais cet usage de construire dans l’eau peut remonter à une époque où le bois, n’étant pas remplacé par la pierre, exigeait l’emploi de pilotis.

L’emplacement de Mexico était un groupe d’îles basses et marécageuses que les Aztèques choisirent pour s’y fortifier contre leurs ennemis. Ils commencèrent par enfoncer des pièces de bois sur lesquelles ils élevèrent leurs demeures, qui consistaient en une légère charpente couverte de chaume, et dont les côtés étaient garnis de joncs et de roseaux. Telles furent, d’après les traditions, les origines de cette grande cité, qui commença par revêtir le double aspect du crannoge et de la bourgade lacustre. Dans la suite, les îlots voisins furent réunis par des digues palissadées, et, lorsque la ville eut pris toute son extension, elle était traversée de canaux et ne tenait à la terre ferme que par trois grandes chaussés coupées par des ponts-levis. On prétend même qu’elle avait plusieurs milliers de barques et de bateaux, sans compter les petits canots faits de troncs creusés qui sillonnaient l’intérieur de la cité. Mexico, au milieu des eaux, n’était pas sans rapport avec Venise, et ces villes sont à plus d’un égard, pour les temps modernes, ce que furent les cités lacustres pour les âges primitifs.

La tradition mexicaine ajoute que les Aztèques, après avoir trouvé une retraite sûre, n’osaient cultiver les contrées voisines occupées par leurs ennemis, et que l’abondance du poisson ne leur suffisant pas, vu qu’ils manquaient de pain et de légumes, ils imaginèrent de construire de grands radeaux qu’ils couvrirent de terre et ensemencèrent. Sans accorder trop de valeur à ces récits populaires, on doit cependant reconnaître qu’ils ont conservé le souvenir de /240/ domaines artificiels tout pareils à ceux des Chinois, domaines qui, du temps de Cortez, avaient pris l’aspect de jardins. Les chroniqueurs espagnols décrivent en effet les jardins flottants du Mexique, formés de radeaux faits avec des branches d’arbres, des broussailles, des roseaux et des joncs enlacés les uns aux autres. On recouvrait ensuite ces radeaux d’un terreau noirâtre, dans lequel on semait des légumes. Des fleurs brillantes étaient cultivées avec soin, et, du milieu de la plus riche végétation, s’élevaient des cabanes entourées de magnifiques dahlias. Tels étaient les jardins flottants qui excitèrent l’admiration des Espagnols au jour de la conquête. Il en existe encore de pareils sur le lac Chalco.

Il est difficile de dire si ces radeaux eurent jamais le caractère de bourgades, dans tous les cas ils pouvaient présenter des avantages réels sur des bassins dont l’exhaussement irrégulier des eaux amenait de temps à autre l’inondation de Mexico.

 

AFRIQUE.

Il est intéressant, malgré les renseignements incomplets dont nous disposons, de pouvoir mentionner l’existence de constructions sur pilotis dans l’intérieur et dans le sud de l’Afrique. Le Dr Baikie, naturaliste qui a fait partie de l’expédition du navire Pleiad sur le Niger, donne la description suivante d’une race d’hommes fort singulière, qui habite les bords de la rivière Tsadda, vers le centre de l’Afrique.

« Nous nous enfonçâmes, dit le docteur Baikie 1 , dans une /241/ crique qui s’étendait parallèlement à la rivière, et nous ne tardâmes pas à voir surgir un village. A notre grand étonnement, une hutte contre laquelle heurta la proue de notre embarcation fut le premier obstacle qui arrêta notre marche. Nous regardâmes autour de nous; le lieu où nous nous trouvions était complétement inondé. Nous avançâmes dans le milieu du village, il n’y avait pas un pouce de terre à sec; les eaux couvraient tout à droite et à gauche, derrière et devant nous. Les habitants sortirent de leurs huttes à notre apparition et se tinrent debout sur le seuil de leurs portes. Ils avaient, sans exagérer, de l’eau jusqu’aux genoux; je re marquai même un enfant qui en avait jusqu’à la ceinture. Je ne saurais décrire l’intérieur des cabanes de ces amphibies; mais nous en observâmes qui, si elles sont habitées, obligent leurs habitants de plonger comme des castors pour sortir.

« Nous traversâmes en silence la cité aquatique, nous demandant à nous-mêmes comment des êtres humains pouvaient exister ainsi. Nous avions entendu parler de tribus sauvages qui vivent dans des cavernes et dans le creux des rochers; nous connaissons les mœurs étranges de certains Indous qui perchent sur les arbres, et des nombreuses familles qui passent leur vie, en Chine, sur des radeaux ou sur des barques; nous savions également que les Touaricks et les Shanbah errent sans cesse au milieu des déserts de sable, et que les Esquimaux se creusent un asile dans la neige; mais nous n’avions jamais contemplé ni même imaginé des créatures raisonnables formant par goût comme une colonie de castors, ayant les mœurs des hippopotames et des crocodiles qui infestent les marais voisins. »

Il est à regretter que cette description ne fournisse pas des /242/ détails plus précis, mais il n’en est pas moins certain que ce village, peut-être inondé momentanément et traversé par une embarcation, reproduit, dans l’intérieur de l’Afrique, des usages propres aux habitants du Phase et aux peuplades lacustres de l’Occident.

M. Maury, membre de l’Institut, mentionne des habitations sur pilotis, en décrivant le cours du Zambési. Un district fertile, situé entre Inbasuja et Mazaro, est tellement exposé à l’élévation soudaine des eaux, à la suite de l’abondance des pluies, que « les indigènes, pour s’en garantir, sont obligés de construire, ainsi que le font les Malais, leurs demeures sur des pieux hauts de 6 mètres; alors ils bravent impunément l’inondation, et on les voit quelquefois pêcher tranquillement dans les eaux sur lesquelles semblent flotter leurs demeures; car le poisson abonde dans le pays, et les requins remontent même les rivières assez avant dans les terres 1 . »

L’antique usage de construire sur pilotis, pour vivre au-dessus des eaux ou pour éviter les inondations, se retrouve ainsi sur les diverses parties du globe depuis les temps les plus anciens jusqu’à l’époque actuelle. Après avoir constaté l’extension de ce genre d’habitations, il importe de rechercher quel parti l’histoire peut tirer des divers faits exposés dans la première partie de cet ouvrage.

 


 

Notes:

Note 1, page 11: Voir l'Introduction. [retour]

Note 2, page 11: Antiquités celtiques et antédiluviennes, par M. Boucher de Perthes, 1849 et 1857. [retour]

Note 1, page 12: J'ai vu à Lausanne, chez M. Charles Gaudin, quelques-unes de ces haches en silex qui ne peuvent laisser aucun doute sur leur fabrication par la main de l'homme. [retour]

Note 2, page 12: Ueber die Landwirthschaft der Ureinwohner unseres Landes, von professor O. Herr. — Landwirthschaftliches Wochenblatt, Zurich, 28 januar 1860. — On avait découvert plus d'une fois dans des grottes de l'Europe et même de l'Amérique, ainsi que sous les couches de lave du volcan éteint de Denise, en France, des traces de l'homme avec des espèces animales éteintes, mais il existait encore sur leur contemporanéité quelques doutes que viennent dissiper les découvertes du nord de la France. — Traité de paléontologie, par F. G. Pictet, tom. I, pag. 149. [retour]

Note 3, page 12: Principes de géologie, par Charles Lyell, vol. III, pag. 409. [retour]

Note 4, page 12: Sur les preuves d'une élévation graduelle du sol dans certaines parties de la Suède, par Ch. Lyell. — Mémoires de la société des sciences naturelles de Neuchâtel, tom. I. [retour]

Note 1, page 13: Ammien Marcellin, lib. XV, cap. 9. [retour]

Note 1, page 15: La notice suivante, écrite en 1856, a paru dans les Archives de la Bibliothèque universelle de Genève, en mai 1857. — Voir aussi Die Pfahlbau-Alterthümer von Moosseedorf, in Kanton Bern, von Alb. Jahn und Joh. Uhlmann, 1857. [retour]

Note 1, page 18: Nordisk Tidskrift for Adkyndighed, 1e binds, 2 hœfte, tab. III, fig. 33. — Samlingar för Nordens Foraälskare af Sjöborg, tom. II, pl. XXXIX, fig. 129. — The Primeval Antiquities of Denmark, by Worsaee, pag. 17. [retour]

Note 2, page 18: Histoire de la conquête de Mexico, par Antoine de Salis; traduction inédite de M. Louis Gebhardt de Chambrier. [retour]

Note 1, page 19: Aboriginal monuments of the state of New-York, by E. G. Squier, 1849, pag. 79. [retour]

Note 2, page 19: Die Gräber der Liven, von J. K. Bähr. Dresden 1850. [retour]

Note 1, page 21: J'avais communiqué un dessin de cet atlas à M. le professeur Vrolik, secrétaire général de l'Académie des sciences d'Amsterdam, et à M. A. Retzius, professeur d'anatomie à Stockholm, qui, l'un et l'autre, pensaient que cette vertèbre provenait de l'urus. Dès lors, M. S. J. Muller, professeur à Berlin, m'a adressé à ce sujet la lettre suivante:

« Je vous remercie de la communication des modèles d'ossements trouvés dans le lac de Moosseedorf, et vous fais parvenir les résultats de l'examen comparatif qui vient confirmer l'opinion à laquelle je m'étais arrêté à la vue de vos dessins. On pouvait s'attendre à ce que M. Pictet et moi nous arriverions à fort peu de distance l'un de l'autre, puisque la mâchoire et l'atlas devaient avoir appartenu à l'un de nos plus gros ruminants. Dans la comparaison des figures avec les pièces de nos collections, j'avais déjà pensé au Cervus megaceros; mais je dus me déterminer pour le genre Bos et me fixer sur le B. urus.
« Les pièces qui ont servi à l'étude comparative et que nous possédons ici se composent de plusieurs crânes de Bos urus et du squelette entier du mâle et de la femelle, de plusieurs crânes appartenant au Bos urus fossilis ou Bos priscus, d'autres provenant du Bos primigenius, de plusieurs crânes de Cervus megaceros qui existent soit dans le musée anatomique, soit dans les collections géologiques. Les crânes de Cervus megaceros avec leur mâchoire inférieure proviennent d'individus adultes et leurs dimensions ont beaucoup de rapport avec celles du crâne et du squelette dont Cuvier a donné les proproportions. Votre mâchoire inférieure est beaucoup plus grande et plus forte que celle du Cervus megaceros. La distance qui sépare l'extrémité antérieure de la première molaire est de 121 mill., ou peu au delà, chez ce dernier animal; sur votre pièce elle est de 165 mill. Pour la force, la mâchoire que vous m'avez adressée se rapporte complètement au Bos urus et aux autres grandes espèces de bœuf; elle est même plus forte que la mâchoire inférieure du mâle de Bos urus que nous possédons, sur laquelle la distance dont j'ai parlé ci-devant n'est que de 134 mill., et même plus forte que sur un crâne fossile (c'est-à-dire retiré de terre) de Bos urus, provenant de Russie (sans mâchoire inférieure), dont la distance, depuis l'extrémité antérieure jusqu'à la première molaire, devait être, d'après les proportions du crâne, de 152 mill. Je n'ai pas pu comparer la mâchoire inférieure du Bos primigenius, qui, sans contredit, eût donné les plus fortes dimensions. La mâchoire inférieure du Cervus megaceros ne saurait être, en aucun cas, rapprochée de celle que vous me présentez à cause de ses proportions grêles: celle-ci ne peut appartenir qu'à une espèce du genre Bos, et, dans ce genre, qu'au Bos urus ou au Bos primigenius.
« Votre atlas fossile est, il est vrai, aussi large que celui du Cervus megaceros du squelette de Cuvier, dont les dimensions nous sont connues; il ne peut cependant provenir de cet animal, parce que la partie de cet os qui s'articule avec le crâne est beaucoup plus développée. On peut déduire aisément la largeur de cette partie de celle de l'articulation cranienne, puisque l'une est toujours égale à l'autre. Je mesure cette largeur, sur le crâne, par la distance qui sépare les bords externes de chacun des condyles occipitaux et sur l'atlas par l'espace qui existe entre les bords externes des faces articulaires qui s'articulent avec le crâne. La première distance est pour le Cervus megaceros de 102 à 107 mill., et pour le Bos urus mâle, de 130 mill.; ces dimensions sont les mêmes pour l'atlas. Le plus gros des crânes de Bos urus fossile, ou Bos priscus, provenant du Rheinthal, offre une largeur, ainsi mesurée, de 145 mill.; celui du Bos primigenius donne 137 mill., et celui de Moosseedorf 136 mill.
« L'atlas de Bos urus mâle que possède notre musée a une largeur totale de 230 mill.; sur le crâne fossile du même animal provenant de Russie la largeur totale de l'atlas doit être de 264 mill.; sur le vôtre elle est de 263 mill.
« La forme de votre atlas est singulièrement semblable à celle du Bos urus. Je ne pouvais pas le comparer avec celui du Bos primigenius.
« Le modèle de l'apophyse frontale d'un petit animal portant des cornes que vous m'avez adressé ne peut être rapporté qu'au mouton. » [retour]

Note 1, page 23: D'après Durand, dans sa Statistique de la Suisse, tom. IV, pag. 411, le castor habitait encore, dans le siècle passé, sur les bords de la Reuss, de la Thièle et de la Byrse. [retour]

Note 1, page 24: On ne peut supposer que les objets se soient affaissés dans la tourbe, de manière à admettre l'existence d'une couche plus forte de 4 à 5 pouces à l'époque de la construction de ces habitations. Si cet affaissement avait eu lieu d'une manière sensible, les objets les plus lourds seraient au fond de la tourbe, et les plus légers au-dessus, tandis que, comme on l'a vu, ils ne sont point étagés d'après leur pesanteur, ni d'après leur volume. [retour]

Note 1, page 25: Lyell. Principes de géologie, tom. II, pag. 363. [retour]

Note 1, page 27: Les détails suivants sur Wauwyl sont extraits du mémoire de M. le professeur O. Heer, Ueber die Landwirthschaft der Ureinwohner unseres Landes. Landwirththaftliches Wochenblatt, Zurich, 17 décembre 1859. [retour]

Note 1, page 30: Cette découverte a été décrite en détail par M. le Dr Ferd. Keler dans les Mitth. der Antiq. Gesell. in Zurich, IXe Band. Die keltischen Pfahlbauten in den Schweizerseen, 1851. [retour]

Note 1, page 34: Pfahlbauten, zweiter Bericht von Dr Ferd. Keller, Zurich, 1858 [retour]

Note 1, page 35: César, V, 43. — Indicateur d'histoire et d'antiquités suisses, Zurich, 1855, p. 52. [retour]

Note 1, page 38: Pfahlbauten, zweiter Bericht von Dr Ferd. Keller, Zurich, 1858. [retour]

Note 1, page 39: Zeitschrift des Vereins zur Erforschung der rheinischen Geschichte und Alterthümer in Mainz, 1859, S. 47. [retour]

Note 1, page 40: Les bassins formés par les ruisseaux ou les torrents sont appelés, dans la Suisse française, go ou gau. [retour]

Note 1, page 50: Indicateur d'histoire et d'antiquités suisses, Zurich, pag. 65, note 1, 1859. — Habitations lacustres de la Suisse, par F. T. 1857. [retour]

Note 1, page 51: Les pièces déposées dans la bibliothèque d'Yverdon ont été réunies par les soins de M. L. Rochat. [retour]

Note 1, page 53: Catalogue of the antiquities in the Museum of the royal irish Academy, by W. Wilde, p. 46. — The primeval antiquities, by J. J. Worsaae, p. 12. — On the classification of bronze celts, by G. Du Noyer, p. 3. [retour]

Note 1, page 61: Voir plus haut, pag. 20, note 1. [retour]

Note 1, page 64: Cette pièce, que j'avais déposée sur la drague avec plusieurs autres objets destinés au musée de Lausanne, a disparu malgré des recommandations à ce sujet. [retour]

Note 1, page 69: Propriété de M. Charles Bovet de Muralt, qni a eu l'obligeance de me communiquer ces renseignements. [retour]

Note 1, page 70: La tradition relative à des anneaux scellés dans les rochers pour le même but se retrouve dans plusieurs vallées alluviennes de la Suisse et d'autres pays; mais, en réalité, ces anneaux n'existent nulle part, bien que le peuple croie en reconnaître les traces dans les taches ferrugineuses naturelles, propres à certaines roches. Toutefois, il se rattache ordinairement à cette tradition le souvenir d'un ancien séjour des eaux ou de quelque inondation momentanée. [retour]

Note 1, page 71: Notices de M. H. Buttin dans le Journal de la Société d'utilité publique du canton de Vaud, 1838, pag. 54, et 1854, pag. 113.— Mémoire sur le dessèchement des marais de l'Orbe, par M. L. Gonin, dans le Bulletin de la Société vaudoise des sciences naturelles, tom. VI, N° 45, pag. 247. [retour]

Note 2, page 71: M. Simon a fait don de ces pièces à la bibliothèque d'Yverdon. On doit avoir trouvé un bracelet en bronze dans cette localité ou sur un point voisin, mais cet anneau a été perdu. [retour]

Note 1, page 72: En creusant près d'Yverdon, en 1857, le canal du Buron, on a découvert près du pont des Quatre Marronniers des pieux en chêne plantés dans la tourbe sous 11 pieds 4 pouces de limon et de gravier. Dans la couche de limon, prise entre celles de tourbe et de gravier, se trouvaient, en amont du pont, des meules de moulin, des briques et des poteries romaines avec des fers de chevaux. Ces pieux, recouverts de limon et de débris romains, sont probablement antérieurs à notre ère. Dans ce cas, ils doivent avoir fait partie d'habitations lacustres, mais il est vraisemblable que celles-ci dateraient de l'âge du bronze. [retour]

Note 1, page 73: On a fait beaucoup d'hypothèses sur l'étymologie de ce nom, dont personne ne contestera la terminaison celtique. Je ferai seulement observer que le ruisseau appelé Buron traversait la cité d'Eburodunum, et que ses ruines reposent sur une véritable dune. C'est par erreur que quelques auteurs mentionnent cette cité sous le nom d'Ebrodunum. On lit toujours, sur les inscriptions romaines trouvées à Yverdon, Eburodunum. [retour]

Note 2, page 73: Cette dune, sur laquelle est le cimetière d'Yverdon situé sur l'ancien castrum, part des Quatre Marronniers (point de bifurcation de la route qui conduit d'un côté à Lausanne et de l'autre à Payerne), passe vers les moulins de la ville et se dirige, au delà de la Thièle, du côté de Montagny, en traçant un grand arc de cercle qui dessine une ancienne rive du lac. On voit encore dans le lit de la Thièle quelques traces du pont qui conduisait dans la cité romaine. Sur la rive gauche de la rivière se trouvent d'autres dunes, entre la précédente et le mont de Chamblon. Les travaux de l'agriculture font disparaître peu à peu ces formations naturelles que M. l'avocat Jayet a eu l'obligeance de m'indiquer sur les lieux. [retour]

Note 1, page 75: J'ai publié quelques-uns de ces détails avec une esquisse de la vallée de l'Orbe dans la Revue archéologique, livraison du 15 avril 1855, pag. 51. [retour]

Note 1, page 76: On a trouvé en 1854, dans le lit de la Thièle, vers le Pfeidwald, à une demi-lieue en aval de Nidau, des restes de pilotis plantés au travers de la rivière, sur un point d'où les eaux peuvent refluer, d'après M. Bessard, instituteur à Moudon, de 8 à 10 pieds au-dessus du niveau actuel, hauteur suffisante pour inonder l'emplacement d'Eburodunum. [retour]

Note 2, page 76: On voyait, en 1854, sur une propriété de M. l'avocat Jayet, aux Jordils, une tranchée qui avait mis à découvert une forte couche de charbons mêlée à des poteries romaines sous 1 à 2 pieds d'alluvions stratifiées. Au-dessus de celles-ci se trouve une couche de terreau végétal qui contient de nombreux débris romains. Sur un point de la tranchée, on voyait également deux voies romaines, immédiatement superposées et séparées par les traces d'inondation. Les Jordils occupent la partie de la dune comprise entre le Buron et la Thièle. Le castrum a été construit avec les débris d'édifices plus anciens. [retour]

Note 3, page 76: Des antiquités romaines ont été découvertes sur plusieurs points de la vallée de la Broie, lors des travaux de canalisation, en 1855. Les débris romains, en-dessous de Missy, consistaient en nombreuses briques et en quelques objets en fer, recouverts de 3 pieds de terrains stratifiés. Je ne puis cependant affirmer que le barrage du Pfeidwald ait fait refluer les eaux du lac de Morat jusque sur ce point. — J'ai donné quelques détails sur cette inondation dans le Bulletin de la Société vaudoise de sciences naturelles, tom. VI, N° 43, pag. 69 [retour]

Note 1, page 77: Voir sur cette invasion la Notice sur quelques passages de Frédègaire, par M. F. Forel, dans l'Indicateur d'histoire et d'antiquités suisses, 1859, pag. 57. — M. Culmann, dans son article sur la correction des eaux du Jura (Schw. polyt. Zeitschrift, 1858. H. 1, u. 2), dit que le barrage de Pfeidwald doit dater de la fin de l'époque romaine, et avoir causé l'inondation de toute la contrée des lacs. [retour]

Note 1, page 79: Dictionnaire géographique et historique du canton de Vaud, par le Dr Levade. Cet ouvrage renferme des indications nombreuses sur les antiquités. Si les appréciations sont quelquefois contestables, j'ai pu m'assurer, dans des cas fort nombreux, que les faits sont rapportés avec beaucoup d'exactitude. [retour]

Note 1, page 80: Cet derniers détails sont extraits d'une note de M. Morlot sur un morceau de ces pilotis, déposé au musée cantonal. Voir sur le cône de déjection de la Tinière les notices de MM. Morlot et Ch. Dufour, dans le Bulletin de la Société vaudoise des sciences naturelles, tom. V et VI, Nos 40 et 43. — Le 20 janvier 1860, en fouillant la tranchée de la Tinière au profil 227 a) et à la côte de 3 mèt. 50, les ouvriers ont trouvé un squelette humain entier couché entre des pierres dont quelques-unes sont calcinées.— L'emplacement de Pennilucus était situé, du temps des Romains, sur la hauteur occupée par le vignoble au sud de l'hôtel Byron. [retour]

Note 1, page 82: Description des tombeaux de Bel-Air, pag. 11, 1841. [retour]

Note 1, page 83: Note de M. Morlot. Die Pfahlbau-Alterthümer von Moosseedorf, von A. Jahn und J. Uhlmann, S. 40. [retour]

Note 1, page 85: Antiquités celtiques et antédiluviennes, par M. Boucher de Perthes, 1849, chap. X et XI. [retour]

Note 1, page 89: Les détails précédents sur les crannoges sont tirés du 2e rapport sur les emplacements à pilotis, publié par M. le Dr Ferd. Keller, qui les a extraits de l'ouvrage de M. Wilde. — Voir aussi, On lake-dwellings of the early periods, by W. M. Wylie.— The Ulster Journal of Archeology, july 1859, N° 27. pag. 179. [retour]

Note 1, page 91: Communication de M. Ch. Gaudin. [retour]

Note 1, page 93: Revue det Deux-Mondes, tom. XII, livraison du 15 décembre 1855. [retour]

Note 1, page 96: M. le professeur Petersen pense, contrairement à l'opinion des savants danois, que ces dépôts ont été formés dans les eaux, de même que dans les lacs de la Suisse, et que l'action du soulèvement, propre à plusieurs points du sol Scandinave, les a élevés au-dessus du niveau de la mer. [retour]

Note 1, page 98: Voir le compte-rendu de ces recherches dans les Etudes géologico-archéologiques en Danemark et en Suisse, par Ad. Morlot; dans le Bulletin de la Société vaudoise des sciences naturelles. 1860. [retour]

Note 1, page 101: Voir plus haut, pag. 45, 65 et sq. [retour]

Note 1, page 103: Cette observation, qui a été faite plus d'une fois, s'applique plus particulièrement encore aux métaux à l'état natif. D'après Alex. de Humboldt, l'or des monts Ourals était primitivement répandu en grande abondance à la surface du sol, ce qui explique la profusion avec laquelle il a été employé dans les pays du Nord pour les ornements de l'âge du bronze. [retour]

Note 1, page 105: Une campagne de la commune du Mont, sur Lausanne, porte depuis plusieurs siècles le nom d'Etavez. [retour]

Note 2, page 105: Le musée d'antiquités de Copenhague possède deux de ces pièces.— Voir dans les Mémoires de la Société des antiquaires du Nord le rapport du 31 janvier 1839, écrit à ce sujet par M. C.-C. Rafn. [retour]

Note 3, page 105: Fils et successeurs d'Attila, par Amédée Thierry. — Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1854. [retour]

Note 4, page 105: Ces instruments de cuivre natif n'ont pas été produits par la fusion, mais simplement par le martelage. — Ancient monuments of the Mississipi Valley, by E. G. Squier and E. H. Davis, 1847, chap. XI. [retour]

Note 1, page 107: Cet emplacement, situé au nord-ouest de l'Arabie, m'a été indiqué par H. D. Doret. L'élévation des eaux et leur peu de transparence ne m'ont pas permis, lorsque je me suis rendu sur ce point, de l'explorer de manière à ajouter de nouvelles observations. [retour]

Note 2, page 107: L'époque des basses eaux, sur le Léman, a lieu en hiver. La hausse de 6 pieds, en moyenne, est essentiellement due a la fonte des glaciers des Alpes et se fait surtout sentir en été. [retour]

Note 1, page 108: C'est à l'obligeance de MM. Ch. Gaudin et de Rumine que je dois ces détails sur les deux emplacements de Cour, dont les mesures ont été prises par la trigonométrie. — Voir en tête du volume la planche consacrée à cet emplacement. [retour]

Note 1, page 109: Voir sur cette découverte la note 2 de la page 3. [retour]

Note 1, page 110: Les archéologues anglais ont donné à cet instrument le nom du peuple auquel on l'attribue. Les Français l'appellent hache gauloise. C'est le streitmeissel ou streitkeil des Allemands. Les Danois ont adopté la dénomination de celt pour celles de ces pièces qui sont munies d'une douille, et ils appellent les autres, adaptées à un manche fendu, du nom de Paalstave. Ce genre de hachette, répandu dans tous les pays de l'Europe, y compris la Russie, a bien été employé par les Celtes, mais n'est pas exclusivement propre à ce peuple. On retrouve ces mêmes formes en Mongolie, en Chine et en Amérique. Cette espèce d'instrument répond plutôt à un certain degré du développement humain qu'aux usages d'un peuple en particulier. [retour]

Note 1, page 111: Ces deux pièces, qui gisaient sans doute l'une auprès de l'autre, n'ont pas été retrouvées en même temps. M. Forel a découvert celle qui porte le cordon saillant le 23 février 1855, et c'est seulement le 18 octobre 1859 que son fils a eu le bonheur de repêcher l'autre partie qui s'adapte parfaitement à la première. [retour]

Note 1, page 112: On n'employait pas toujours des moules en métal pour couler le bronze. Dans quelques fonderies, ils étaient en argile et ne servaient, à ce qu'il paraît, que pour une seule opération. Il est en effet extrêmement rare de retrouver, même dans les fonderies, deux pièces de formes identiques sortant du même moule. [retour]

Note 2, page 112: Une fonderie de l'âge du bronze existait aussi sur les bords du Léman, à Dovaine, près de Thonon, où l'on a trouvé, en 1838, un grand nombre d'instruments divers: tronçons d'épées, faucilles et couteaux brisés, destinés au creuset. Deux enfouissements du même genre ont été découverts dans le canton de Vaud, l'un à Burtigny et l'autre sous la cour du château d'Echallens. L'antique fonderie de Wulflingen, près de Winterthour, est de la même époque. On en a pareillement constaté plusieurs en France, en Angleterre, en Allemagne, en Danemark et en Suède. Ces découvertes suffiraient, à elles seules, pour montrer que les instruments de l'âge du brome n'ont point été répandus depuis le midi de l'Europe dans les autres pays, comme on l'a affirmé plusieurs fois. [retour]

Note 1, page 113: Les culots découverts a Echallens sont en cuivre rouge, tandis que les celts trouvés auprès et qui portent encore les bavures du moule sont en bronze. [retour]

Note 1, page 118: Roma, 1816, fol. 15. — (Pl. XII, 40, 41, disques pareils à ceux de Morges.) [retour]

Note 1, page 119: Ancient monuments of the Mississipi Valley, by E.-G. Squier and E.-H. Davis, chap. XIII. [retour]

Note 1, page 120: On ne peut envisager comme provenant de ces habitations un éperon en fer damasquiné et un coutelas du moyen âge. Ce dernier était, du reste, en dehors de l'emplacement des pilotis. [retour]

Note 1, page 122: Ces pièces ont eu la même destination que celles de Morges. [retour]

Note 2, page 122: En aval de Rolle, entre Choisi et les Châtaigniers, deux rangées doubles de dalles brutes, posées de champ et perpendiculaires à la rive, forment une espèce d'avenue dont on ignore la destination. [retour]

Note 1, page 124: Ces registres rapportent, sous la date du 1er au 5 février de l'an 1683, que la baisse des eaux fut extraordinaire. « Le lac gela à tel point que la glace reposant sur la terre, le Rhône fut arrêté, et qu'on traversait à pied sec de puis Cologny jusqu'à Sécheron, et qu'on fut obligé d'augmenter la garde du port, vu la facilité d'entrer dans la ville par le côté du lac. » — Communication de M. le Dr Marin. [retour]

Note 2, page 124: M. Turettini m'a fait observer que cette expression de Travers reproduit exactement la prononciation de l'expression gaëlique Treabhair, qui signifie maisons. Le savant linguiste, M. Ad. Pictet, m'écrit à ce sujet: « L'irlandais erse treabh signifie en effet maison, famille, et je le crois de même origine que le gothique thaurp, allemand dorf, etc., ainsi que le sanscrit trapâ, famille, race. Le dérivé irlandais treabhur a aussi le sens de race, et en erse, treabhair est un pluriel collectif pour maisons, demeures. (Le bh se prononce comme v.) Malgré tout cela, j'ai quelque peine à croire à la conservation d'un ancien mot celtique, et, comme le Travers traverse le lac en partie, il peut y avoir ici un de ces jeux de hasard qui jouent un si grand rôle dans l'étymologie. [retour]

Note 1, page 125: Un couteau identiquement pareil à celui qui provient de la Pierre à Niton, trouvé dans les environs de Genève, fait partie de la collection de M. Ernest Griolet. [retour]

Note 2, page 125: Description de quelques monuments celtiques situés dans les environs de Genève, par Blavignac, architecte. — On a vu dans l'expression de Niton le nom du Neith des Gaulois, mais Niton est aussi l'un des noms du démon, et l'on sait que les premiers chrétiens appelèrent souvent pierres du diable les autels consacrés aux faux dieux, et qu'ils les surmontèrent parfois de la croix pour amener à l'adoration de ce symbole chrétien les adhérents de l'ancien culte. Le sommet de la petite pierre à Niton porte un creux carré qui peut avoir été taillé pour l'érection d'une croix. Il mesure 12 pouces de profondeur et 1 pied sur chaque côté. Sur l'autre bloc, est aussi un creux à peu près circulaire de 4 pouces de diamètre sur 5 12 de profondeur. [retour]

Note 3, page 125: Essai sur quelques inscriptions en langue gauloise, par Adolphe Pictet. Genève, 1859. [retour]

Note 1, page 126: Communication de M. de Candolle à la Société vaudoise des sciences naturelles, réunie à Nyon en 1859. [retour]

Note 2, page 126: Le trou, de forme régulière et circulaire, n'est point accidentel et a été évidemment fait avec intention. [retour]

Note 1, page 127: Description des tombeaux de Bel-Air, pl. II, fig. 11. La forme de la coupe en verre, fig. 14, est aussi reproduite dans les poteries lacustres. Elle n'est point rare, de même que la précédente, en France et en Angleterre, du Ve au IXe siècle de notre ère.— Sépultures gauloises, romaines, franques et normandes, par M. l'abbé Cochet, pag. 190, 293. Paris, 1857. — Remains of pagan Saxondom, of J.-Y. Akerman, pl. XVII, 1. London, 1855. — Inventorium sepulchrale, by the Rev. Bryan Fausset, edited by C. Roach Smith, pl. XIX, 1, 2. London, 1856. [retour]

Note 1, page 132: Deux de ces épées sont dans le musée de Berne, et la troisième, pl. IX, 7, est dans celui de Lausanne. La garniture de hampe et le petit anneau en bronze, pl. XI, 13, 14, conservés dans le musée de Genève, sont étiquetes comme ayant été trouvés « dans une place où était autrefois un petit lac, près du Bévieux, vers Bex. » L'étiquette doit être rectifiée, vu qu'il n'y a de lac, près de Bex, que celui du Luissel, dont on a exploité la tourbe pour les salines du Bévieux.— M. C. Wild a laissé une description de cette découverte dans le Nouvelliste vaudois du 21 octobre 1803. J'ai pu compléter les renseignements que renferme cette notice par ceux que m'a donnés, il y a plusieurs années, l'un des ouvriers qui a trouvé ces objets, et par les fouilles que j'ai faites récemment dans cette localité. [retour]

Note 1, page 133: Des enfants qui assistaient aux dernières fouilles disaient entre eux: « On cherche les restes du château. » [retour]

Note 1, page 138: Essai sur quelques inscriptions en langue gauloise. Genève, 1859. [retour]

Note 1, page 140: Communication de M. Th. Zollikofer. [retour]

Note 2, page 140: On appelle, entre autres, capites les petites constructions faites dans les vignes pour réduire les outils ou s'abriter momentanément. [retour]

Note 1, page 142: M. L. Rochat a déposé dans la bibliothèque d'Yverdon de nombreuses poteries et le bracelet qu'il a trouvés à Corcelettes. Ma collection renferme aussi plusieurs objets de cette localité. [retour]

Note 1, page 144: J'ai constaté l'existence de cet emplacement dans le mois de janvier 1858 et je l'ai exploré à diverses reprises, ainsi que plusieurs points, depuis le Moulin de Bevaix jusqu'à Auvernier, avec MM. L. Vouga-Vouga et Ch. Fauguel. Beaucoup d'objets ont été recueillis dans ces explorations. Dès lors les recherches ont été poursuivies avec succès à Cortaillod par MM. Otz, père et fils, Burki, Schwab, Desor, etc. [retour]

Note 1, page 147: MM. L. Vouga-Vouga et Ch. Fauguel ont repêché, en un jour, une centaine de ces vases avec un grand nombre d'anneaux-supports. Quelques-uns ont été déposés dans le musée de Neuchâtel, les autres sont dans ma collection. [retour]

Note 1, page 149: Ces dimensions et celles des emplacements suivants, prises par M. le colonel Schwab, ont été publiées par M. le Dr Ferdinand Keller: Pfahlbauten IIer Bericht, 1858. [retour]

Note 1, page 151: C'est à leur obligeance que je dois les renseignements suivants sur les emplacements d'Estavayer, des Etangs et de Font. [retour]

Note 1, page 152: Un tombeau de l'âge du bronze que j'ai fouillé au Plan d'Essert, près d'Aigle, renfermait les restes d'un collier au milieu desquels était un grain formé d'un fil de bronze enroulé de la même manière. Ce genre d'ornement est resté en usage pendant des siècles nombreux. J'en ai retrouvé de tout pareils dans les tumulus des Suèves, que j'ai ouverts en Suède, dans l'île de Munsön, sur le lac Mélar. [retour]

Note 2, page 152: Une chaîne du même genre a été trouvée dans le cimetière de Charpigny, près d'Aigle, avec des poignards et des celts en bronze. [retour]

Note 3, page 152: M. Bischoff, professeur de chimie à Lausanne, m'écrit à ce sujet:
« Le métal que vous m'avez envoyé est, d'après mes analyses, un alliage d'étain et d'antimoine avec des traces de plomb et de cuivre très faibles. J'aurais voulu vous donner les proportions, mais l'essai de dosage que j'ai fait n'a pas réussi: c'est une des séparations de métaux les plus difficiles.
» Il peut y avoir approximativement 10 pour 100 d'antimoine. Un alliage dans ces proportions, que j'ai préparé, m'a donné un métal très ressemblant au vôtre. On utilise des alliages de ce genre dans l'industrie.
» Vous m'avez posé une autre question: Cet alliage est-il naturel ou bien a-t-il été fabriqué? Je ne pourrai vous fournir à cet égard que des conjectures.
» Les anciens ont dû exploiter surtout les minerais d'étain d'alluvion, comme ceux de Cornouailles et des Indes, qui donnent un métal sans antimoine; le minerai en filon, comme celui de la Saxe, fournit un métal allié d'antimoine, mais dans des proportions bien plus faibles que 10 pour 100, et l'extraction du métal exige des traitements très longs, ce qui pourrait faire penser que les anciens n'exploitaient pas les minerais analogues. Cependant il n'est pas impossible qu'on ait exploité quelque part un minerai fournissant un alliage d'étain et d'antimoine. Je n'ai pas la prétention de vouloir prononcer sur ce point, mais je pencherais à croire que votre métal est un alliage fait intentionnellement. »
Il est à remarquer que l'antimoine ne se retrouve pas dans le bronze du celt de Morges analysé par M. le professeur Bischoff. Je ne le vois mentionné sur aucune des tables d'analyse chimique des bronzes de l'antiquité que j'ai sous la main. [retour]

Note 1, page 154: L'exploitation de la tourbe et l'assainissement des contrées marécageuses donneront lieu, sur bien des points, à des observations intéressantes. — Les marais des Ponts et de La Sagne, dans le canton de Neuchâtel, renferment une si grande quantité de pièces de bois qu'on en fait un objet d'exploitation. Les habitants de la contrée y voient les restes d'un pont jeté par les Sarrazins, de même que ceux du Hanovre attribuent à des ponts construits par les Romains du temps de Drusus les pilotis de leurs habitations lacustres. [retour]

Note 1, page 155: Communication de M. Ch. Renaud, concierge du musée d'Avenches. [retour]

Note 1, page 156: Les découvertes faites de 1854 à 1858 ont été publiées dans les deux mémoires déjà cités de M. le Dr Ferd. Keller. Outre les faits extraits de ces mémoires, je dois à M. Schwab plusieurs communications intéressantes. [retour]

Note 2, page 156: Dans les temps de grande sécheresse, le niveau moyen des eaux descend de plusieurs pieds. Ces abaissements momentanés ont dû avoir lieu dans tous les âges de la période humaine. Malgré l'opinion populaire que le niveau des bassins du pied du Jura tend à s'élever, diverses observations conduisent à reconnaître que ces modifications sont peu sensibles, si toutefois elles existent. Il suffit de rappeler que l'ancienne rive découverte au pied du mont de Chamblon répond à la hauteur de la rive actuelle. Quant à l'exhaussement qui a eu lieu dans les premiers siècles de notre ère, on verra plus loin qu'il a été produit par un barrage fait de main d'homme. [retour]

Note 1, page 158: Le premier autel de ce genre que j'ai découvert dans le canton de Vaud, en 1849, est la Pierre-aux-Ecuelles de Mont-la-Ville, au pied du Jura. Elle porte une trentaine de bassins, dont le plus grand mesure 9 pouces de diamètre sur 4 12 de profondeur; les plus petits n'ont que 2 à 3 pouces de diamètre; disposés sans ordre sur la surface plane du bloc, quelques-uns sont réunis par des rigoles ou rainures. Il existe des autels pareils dans les forêts de Vernand près Lausanne, à Burtigny et ailleurs. D'autres ont été constatés, ces dernières années, dans les cantons de Berne et de Zurich. On les retrouve en Savoie, en France, en Angleterre, en Ecosse, en Suède et en Allemagne, entre autres sur les bords de la mer Baltique. Dans la plupart des pays, ces autels sont l'objet de superstitions populaires qui consistent à répandre de l'huile dans les bassins, à y déposer des offrandes diverses, et même de petites poupées, représentation d'enfants malades dont on attend la guérison. C'étaient ces pratiques que condamnaient déjà les canons des premiers conciles chrétiens, comme la continuité d'usages païens. [retour]

Note 1, page 159: Ces mortiers, d'une contenance d'un demi-boisseau, sont parfois taillés sur de grands blocs faisant saillie sur le sol. Ancient monuments of Ihe Mississipi Valley, by E.-G. Squier and E.-H. Davis, chap. IV. [retour]

Note 2, page 159: On découvre bien en Crimée, surtout dans les environs de Kertsch, de nombreuses pointes de flèches en bronze, mais qui proviennent de tombeaux du 3me âge, le bronze ayant été conservé dans quelques contrées pour les armes de jet, longtemps après l'introduction du fer. [retour]

Note 1, page 168: Bulletin de l'Association florimontane d'Annecy, N° 5, pag. 201, 1856. [retour]

Note 2, page 168: Voir la carte du lac d'Annecy, avec l'indication de ces deux emplacements à pilotis, dans le Voyage au long cours sur le lac d'Annecy, par M. J. Replat, 1859. [retour]

Note 3, page 168: Allobriges (Ἀλλὀβριγες), Gallorum gens. Urbes illorum erant expugnatu difficiles, quod propter æstus reciprocationem quotidiè nunc in continentis, nunc in insulæ formam mutarentur. Illi navibus bellum gerebant. Cum autem C. Cæsar excelsos vallos circum illorum urbes fixisset, et vallis pontes imposuisset, fluctus quidem per medium vallum sub pontibus transibat: Romani vero tuto et absque irruptione opus continuabant. Suidas, tom. II, pag. 64. — Dom Bouquet, tom. Ier, pag. 821. [retour]

Note 1, page 170: Synopsis of the Museum of the Society of Antiquaries of Scotland. 1849. — Case V, 1. — Case VII, 1-50. — Case VIII, 1. — Case IX, 16-17, B. — Des celts en bronze et d'autres instruments, trouvés dans divers lacs de l'Ecosse, pourront mettre sur la voie de nouvelles découvertes. [retour]

Note 1, page 174: Le fer produit par les fonderies catalanes, dont les procédés primitifs remontent à une haute antiquité, présente souvent dans la même masse une partie aciérée et l'autre de fer doux, sans qu'il soit facile de se rendre compte de cette double transformation du minerai. [retour]

Note 1, page 179: Afbildninger fra det Kongelige Museum for Nordiske Oldsager i Kjöbenhavn, ordnede og forklarede af J.-J.-A. Worsaae, 1854. [retour]

Note 1, page 180: Les agrafes en fer, damasquinées d'argent, particulièrement riches dans l'ancienne Bourgogne, se retrouvent en Italie. On peut comparer à ce sujet les découvertes de Bel-Air sur Lausanne; d'Augst près de Bâle, par M. Schmidt; de Nordendorf, près d'Augsbourg, par M. de Raiser; de Selzen, près Mayence, par MM. W. et L. Lindenschmidt; de Xanten, par M. Houben; de Dijon, par M. H. Baudot; de la Normandie, par M. l'abbé Cochet, et de l'Angleterre, par MM. Akerman, Wright, Wylie, Néville, Fausset, Roach-Smith, etc. [retour]

Note 2, page 180: Voir ma description des Bracelets et agrafes antiques du canton de Vaud. Zurich, 1842. [retour]

Note 3, page 180: Le Musée britannique possède une fort belle fibule, trouvée en Toscane, étrangère à l'art romain et d'un genre identique à celles des Anglo-Saxons et des Scandinaves. — Remains of pagan saxondom, by J.-Y. Akerman, pl. XXXVII, 1855. — Fairford graves, by W.-M. Wylie, pl. III, 2, 1852. — Afbildninger fra det Kongelige Museum, af J.-J.-A. Worsaae, Jernalderen II, N° 325, 1854. — Ces fibules se retrouvent aussi en France et en Allemagne, quoique en moins grand nombre que dans le Nord. [retour]

Note 1, page 181: Ces objets, dont je n'ai vu ni les originaux ni les dessins, sont attribués, par M. le Dr Ferd. Keller, à l'époque romaine. L'îlot d'Inkwyl a dû être visité dans tous les âges, en sorte qu'on peut y avoir laissé des débris épars, desquels on ne saurait conclure à une occupation permanente. [retour]

Note 1, page 182: Une étrille du même genre, conservée dans ma collection, provient de la colline de sacrifices de Chavannes-sur-le-Veyron. [retour]

Note 1, page 183: Pline. Lib. XXXIV, C. 12. [retour]

Note 2, page 183: Voir ma description de quelques Bracelets et agrafes antiques du canton de Vaud, Pl. II, fig. 7 et 8, Zurich, 1842. — Beschreibung der helvetischen Heidengräber und Todtenhügel, von Dr Ferd. Keller, Taf. I, fig. A, B, H. Zurich, 1845.— Der Kanton Bern, von Alb. Jahn. Berne, 1850. — Ces bracelets en verre se retrouvent parfois, en France et en Angleterre dans des ruines romaines. M. l'abbé Cochet m'écrit qu'on en découvre en Normandie, avec les antiquités mérovingiennes. Ils sont encore en usage, de nos jours, dans l'île de Pathmos, sur quelques points des bords de la mer Noire et en Palestine, surtout à Jéricho. Il est assez remarquable de voir ces anneaux modernes reproduire les principaux types de ceux de l'antiquité. [retour]

Note 1, page 184: On peut se faire une idée exacte de la distribution de ces couleurs, sur les figures 1, 5 et 5 a, en plaçant la couleur rouge sur les parties laissées en blanc. [retour]

Note 2, page 184: Mittheilungen der antiquarischen Gesellschaft in Zurich, IIIer Band, Ies Heft, Taf. I, g, h, Taf. II, 4. — IIes Heft. Taf. IV, V, VI. La planche VI présente, sur des feuilles de bronze, des dessins repoussés de ce nouveau style. — Ves Heft. Taf. IV, V. — M. Alb. Jahn a aussi découvert, dans le canton de Berne, des vases du premier âge du fer, ornés de carrés disposés en damier. [retour]

Note 1, page 186: Keltische Ansiedlung am Ebersberge, unweit Berg am Irchel. — Mitth. der ant. Ges. in Zurich. VIIer Band, 1853. [retour]

Note 1, page 187: Mitth. der Ant. Ges. in Zurich. Band III, Heft. 4. [retour]

Note 1, page 191: Ces objets se trouvent dans les collections de MM. Schwab et Desor, chez lesquels j'ai pu les examiner en détail. [retour]

Note 2, page 191: Afbildninger fra det Kongelige Museum for Nordiske Oldsager i Kjöbenhavn, af J.-J.-A. Worsaae. Fig. 260. 1854. [retour]

Note 1, page 192: Je possède une de ces faulx avec divers instruments domestiques et aratoires, découverts dans les ruines d'une maison de Corbeyrier, prise sous les débris de l'éboulement qui détruisit, en 1584, une partie du village d'Yvorne. [retour]

Note 1, page 193: Notice sur des armes et chariots de guerre découverts à Tiefenau, près de Berne, en 1851, par G. de Bonstetten. — Der Kanton Bern, von Alb. Jahn. — Abhandlungen des hist. Ver. des Kant. Bern, II Heft, 2, S. 350-356. [retour]

Note 2, page 193: La chaîne de Charpigny a été trouvée avec de nombreux bracelets, des celts et des poignards en bronze. Elle se compose de six anneaux circulaires de 8 à 9 lignes de diamètre, réunis par 5 liens plats, striés, de 4 lignes de longueur sur 2 à 3 de largeur. [retour]

Note 1, page 195: Afbildninger, af J.-J.-A. Worsaae, Fig. 269. [retour]

Note 1, page 197: Pag. 168, note 3. [retour]

Note 1, page 198: Voici l'inscription d'Autun, avec la traduction qu'en donne M. Pictet, dans son Essai, pag. 35, sq.:

LICNOS CONTEXTOS IEURU ANVALONNACU CANECOSEDLON.
Licnos contextos vovit Anvalonnaco domum lacustrem. [retour]

Note 1, page 199: « Grimm observe que la tempête excitée par le jet d'une pierre dans un lac, se retrouve dans les traditions germaniques et finlandaises. » (Deutsche Mithol. 338, 1re édition.) [retour]

Note 1, page 200: The Ulster Journal of archæology, N° 27, pag. 193. July, 1859. [retour]

Note 1, page 202: Synopsis of the Museum of the Society of Antiquaries of Scotland. 1849, pag. 40, IB. [retour]

Note 1, page 203: les dessins de plusieurs de ces pièces se trouvent dans les Afbildninger, af J.-J.-A. Worsaae, de 1854, pag. 66-69. [retour]

Note 1, page 205: Communication de MM. N. G. Bruzelius et Ch. Petersen. [retour]

Note 2, page 205: Il ne faut pas oublier qu'un mors de cheval a été retrouvé dans le lac de Neuchâtel, au milieu des pilotis de la Tène, avec des instruments aratoires. [retour]

Note 1, page 206: D'après Hérodote (V, 17), ce lac était voisin de la Macédoine: « Du lac Prasias en Macédoine il n'y a pas loin. En effet la mine qui rapporta dans la suite à Alexandre un talent par jour, touche à ce lac. Après cette mine est le mont Dysorum; lorsqu'on l'a passé, on est en Macédoine. » [retour]

Note 1, page 208: Wesseling ajoute à ce sujet: « Athénée parle d'un certain peuple de Thrace qui nourrissait ses bœufs de poissons. Il l'appelle ceux qui habitent auprès de Mosyne de Thrace. Comme on ne connaît point, en Thrace, d'endroit de ce nom, je soupçonne que c'est le même peuple dont parle Hérodote, et qu'Athénée donne à leur ville le nom de Mosyne à cause de leurs maisons de bois. Thorm. Torffæus assure, dans son histoire de Norwége, que, dans les pays froids et maritimes de l'Europe, on nourrit le bétail avec du poissson. [retour]

Note 1, page 210: Traité des Airs, des Eaux et des Lieux, § 15, dans les Oeuvres complètes d'Hippocrate, par E. Littré, tom. II, pag. 61, 1840, et dans l'édition de M. le professeur Ch. Petersen, § 83. [retour]

Note 1, page 212: Voir dans le chapitre VII, sur les habitations lacustres des temps modernes, le paragraphe consacré à la Syrie. [retour]

Note 1, page 215: On pourrait indiquer comme se rattachant aux pilotis du lac de Bienne, pendant l'époque romaine, ceux qui ont été trouvés, en 1854, dans le lit de la Thièle, vers le Pfeidwald, à une demi-lieue en aval de Nidau. Toutefois ces pieux ne proviennent point d'habitations, mais d'un simple barrage. Voir plus haut la pag. 76, notes 1, 2 et 3. [retour]

Note 1, page 219: Extrait de l'ouvrage de M. Wilde, dans le IIme rapport de M. le Dr Keller. - The Ulster Journal, N° 27, July, 1859. [retour]

Note 1, page 221: The Ulster Journal of Archæology. July, 1859, pag. 194. [retour]

Note 2, page 221: Voir plus haut pag. 170. [retour]

Note 1, page 223: L'Empire ottoman, illustré par Thomas Allom; 1re série. [retour]

Note 1, page 225: Dictionnaire géographique-historique de l'empire de Russie, par N. S. Vsévolojsky. 2e édition, Moscou, 1823. [retour]

Note 2, page 225: Voir le dictionnaire cité ci-dessus. [retour]

Note 1, page 226: Supplementa tabulæ Siriæ (Abulfedæ), Cap. II. De lacubus Syriæ. Lacus Apameensis constat numero lacuum innumerabilium, et arundinetorum. At magnitudine tamen excellunt duo, australis alter, alter borealis. Huc infunditur aqua Orontis a parte australi; quo e fluvio illi lacus exsistunt; qui quidem rursus ex iis in fine boreali exit. Horum duorum lacuum itaque alter ille, priore loco dictus, australis, est lacus Apameensis, latus dimidiam pene parasangam; profundus est nondum integram hominis staturam ferme. Solum tamen cœnosum, ut insistere vestigio nemo queat; ambitur arundinibus et salicibus undique, in medio item lacu sunt acervi arundinum et papyri; quo fit ut oculus uno adspectu totum lacum emetiri nequeat, arundinibus illis partem quandam lacus intercipientibus. Stabulantur in hoc lacu et reliquis avium plura genera ut.... et aucæ, et aves piscibus victitantes ut..... et aliæ aquaticæ, tanta copia, ut nullo in alio lacu, cujus quidem ad nos notitia pervenerit, tanta reperiatur. Crescit item ibi tempore verno nymphæa flava, tam copiosa, ut aquam tegat totam suis foliis et floribus, et navigiis illum lacum transmittentibus inter silvam nymphæa concretam sit transeundum. Interest hunc australem lacum et alterum borealem silva arundinea, freto quodam intercisa, per quod navigia e lacu australi transeunt in borealem, Posterior hic lacus accensetur agro Hesn Borzajjah, et usurpatur vulgo lacus Christianorum, quia incolitur a piscatoribus Christianis, qui in lacu isto boreali in tabernis ligno compactis super sublicis degunt. [retour]

Note 1, page 227: Voir plus haut la page 211. [retour]

Note 1, page 229: L'Empire Chinois, par M. Huc, ancien missionnaire apostolique en Chine, 2e édition, tom. II, chap. III, pag. 114 à 116, 1854. [retour]

Note 1, page 230: Communication de M. Zeerleder de Steinegg. [retour]

Note 1, page 231: Les détails suivants sont extraits du Voyage de découvertes autour du monde, par M. S. Dumont d'Urville, et de l'Univers, Histoire et description de tout les peuples. Océanie, tome I à III, 1836. [retour]

Note 1, page 234: « Ces naturels ont une religion dont les hommages aux restes des morts semblent faire essentiellement partie. Ils prennent le plus grand soin de l'entretien des tombeaux, et déposent sur le tertre des offrandes et des statuettes bizarres. Quelques-uns de ces tombeaux, construits de roche dure de corail, ont des formes compliquées et symétriques. Ils ont des coussinets en bois, ornés d'espèces de têtes de sphinx, et présentent une analogie extraordinaire avec ceux qu'on trouve sous la tête des momies dans les nécropoles de l'Egypte. Les naturels ont aussi des fêtes funèbres, à la lueur des torches, sur la plate-forme de leurs cabanes. Là, après avoir présenté aux conviés des fétiches disposés autour d'une table à manger, et auxquels chacun d'eux adresse une harangue, les membres de la famille du défunt témoignent leur douleur en savourant des cochons grillés, des bananes, des ignames et des taros rangés sur des plats. » [retour]

Note 1, page 238: Les détails suivants sont extraits de L'Univers: Mexique et Guatemala, par de Larenaudière, et de l'Histoire de la conquête de Mexico, par Antoine de Solis, traduction française inédite de M. Louis Guebhardt. [retour]

Note 1, page 240: Musée des sciences, par Lecouturier, N° 25, 1856. — Communication de M. E. Solomiac. [retour]

Note 1, page 242: Rapport fait le 16 décembre 1859, a la seconde assemblée générale annuelle de la Société de géographie, par Alfred Maury. [retour]


 

 

 

 

 

 


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