LES STALLES D’ÉGLISE DU XVe ET DU XVIe SIÈCLE EN SUISSE
PAR H.-O. WIRZ
La Suisse ne possède pas de nombreux monuments artistiques des siècles passés. Aussi l’histoire des beaux-arts dans notre pays est-elle une science assez récente. Il est cependant certain art pratiqué chez nous déjà très anciennement et porté à un degré de perfection assez avancé; c’est la sculpture sur bois, appliquée surtout aux meubles et autres objets en usage dans les églises, tels que tabernacles, reliquaires, chaires, stalles, etc. Ces dernières attirent tout particulièrement notre attention, car la Suisse romande offre, dans plusieurs de ses églises, de fort beaux exemples de ces monuments. Quelques-unes de ces séries de stalles sculptées ont déjà été décrites. Elles se trouvent mentionnées dans l’ouvrage du Dr R. Rahn, Geschichte der bildenden Künste in der Schweiz, pag. 750-756. D’autres, et c’est le plus grand nombre, sont restées inconnues au grand public. Les signaler, les décrire en détail, les comparer les unes avec les autres, tel est le but de notre étude. /286/
Les stalles proprement dites, telles que nous les voyons à l’époque gothique dans toutes les églises de quelque importance, ne paraissent pas avoir été en usage avant le milieu du XIIIe siècle. Dans les anciennes basiliques chrétiennes, le clergé prenait place sur les bancs de pierre adossés au rond de l’abside, à droite et à gauche du siège de l’évêque. Depuis le XIIIe siècle, les sièges du clergé ont été placés en avant du sanctuaire, des deux côtés de l’espace qu’on désigne sous le nom de chœur et qui occupe habituellement la partie de l’église entre le transept et les marches du sanctuaire montant à l’autel.
Dans les églises abbatiales, le chœur était placé à l’extrémité de la nef et dans le transept. Dans ce cas, qui paraît se présenter surtout dans les abbayes de Citeaux, les rangs des stalles s’étendaient même au delà du carré du transept et jusqu’au premier ou second pilier de la nef. L’abbé, avec une moitié des religieux, occupait le rang sud (chorus abbatis); le prieur, avec l’autre moitié, le rang nord (chorus prioris). Il existe généralement deux ou plusieurs rangs de stalles qui s’élèvent sur des degrés, les unes derrière les autres (altæ formæ, bassæ formæ). Les stalles basses sont d’habitude fermées du côté du chœur par une cloison en bois à hauteur d’appui servant de pupitre ou prie-Dieu. Leur dos sert au même usage pour le rang des stalles hautes qui est derrière elles. Le siège des unes et des autres est formé d’une tablette tournant sur charnières ou pivots et sous laquelle est fixée une console, appelée miséricorde ou patience, qui permet à l’assistant aux offices de s’asseoir tout en paraissant être debout. Des appuis-main et des accoudoirs séparent chaque stalle de sa voisine. Ce qui distingue surtout les stalles hautes des autres, /287/ c’est un dossier ou dorsal assez élevé et terminé à sa partie supérieure par une saillie en forme de dais. Ce dorsal est divisé en autant de larges panneaux qu’il y a de sièges. Des montants avec arcature et ornements sculptés encadrent les panneaux. A l’ordinaire, cinq, dix ou vingt stalles sont réunies en un seul corps de menuiserie; des parois latérales, ou jouées, terminent chacune de ces séries et une frise admirablement découpée court entre les deux montants sculptés eux-mêmes tantôt à jour, tantôt en bas-relief sur un fond plein.
Les artistes du moyen âge ont déployé un grand luxe d’ornementation dans la composition des stalles. Habiles à façonner le bois, ils nous ont laissé quelques spécimens très remarquables de ces æuvres de menuiserie.
Il y a des stalles qui datent du XIIIe siècle; de ce nombre sont celles actuellement conservées dans la chapelle du château de Chillon, après avoir fait l’un des ornements de la cathédrale de Lausanne.
Mais c’est surtout depuis cette époque que les différentes parties de ces boiseries prennent de l’importance. Peu à peu le plafond devient plus saillant; il est porté sur des corbeaux bien profilés, il s’arrondit en voussure, puis se dispose, à la fin du XVe siècle, en autant de petites voûtes qu’il y a de sièges; les dais se couvrent d’un fouillis d’ornements d’une exécution merveilleuse et d’un goût charmant.« On ne saurait trop étudier, dit M. Viollet-le-Duc, les assemblages de ces grands ouvrages de menuiserie du XVe et du commencement du XVIe siècle, alors que les traditions gothiques n’étaient pas encore perdues. Sous une apparence très compliquée, la structure est toujours /288/ simple et conçue en raison de la qualité de la matière. » Et plus loin il dit encore : « La série la plus complète des stalles du commencement du XVIe que nous possédions, garnit entièrement le chœur de la cathédrale d’Auch (département du Gers, Gascogne). Ces stalles sont de beaucoup les mieux conservées. Taillées dans un bois de chêne d’une qualité tout exceptionnelle, elles fournissent une série d’ornements de la Renaissance du plus charmant caractère. De grandes figures bas-reliefs décorent les dorsals, et des arabesques délicatement coupées couvrent les accoudoirs, les entrées, les montants. Les dais sont merveilleux de délicatesse et de combinaisons. »
Ce que nous venons de voir, c’est le côté architectural, le métier, l’art appliqué à l’industrie, et, quoiqu’il s’agisse dans les deux passages cités de cathédrales françaises, les mêmes termes, les mêmes expressions admiratives s’appliquent aussi bien à ce qui nous reste de ces ouvrages en Suisse et notamment dans la Suisse romande.
Mais l’architecture n’est pas le seul côté que nous ayons à envisager ici. Ces grandes figures qui décorent les panneaux du dorsal ne sont pas de simples ornements, de pures inventions. Elles expriment une idée, et cette idée doit être en rapport avec le lieu où elles sont placées. C’est une idée religieuse, plutôt dogmatique qu’historique, quoique l’histoire sainte et la légende y trouvent aussi leur place. Ces bas-reliefs représentent les douze apôtres accompagnés habituellement de douze prophètes et quelquefois d’autres personnages bibliques. C’est un ensemble symbolique et systématique ayant pour base, dirait-on, ce que saint Paul écrit aux Ephésiens (II, 19 et 20) : « Vous êtes devenus les concitoyens des saints, faisant partie de la /289/ maison de Dieu, édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes; Jésus-Christ lui-même étant la principale pierre de l’angle. »
Ces figures bas-reliefs ont en général un mètre de hauteur, quelquefois plus, et ce qui les rend surtout intéressantes et significatives, c’est un large ruban déroulé, ou artistement entortillé, sur lequel se lit un texte latin en caractères gothiques. Chacune des vingt-quatre figures mentionnées comme systématiques porte un de ces phylactères, les autres personnages, quand il y en a, n’en portent point. Le nom des prophètes est indiqué dans la plupart des cas; les versets de leurs écrits qui se trouvent sur leurs phylactères les feraient du reste facilement reconnaître. Les apôtres sont anonymes partout, excepté à Lausanne. Peut être comptait-on, pour les faire connaître, sur les attributs qui les accompagnent, la clef pour saint Pierre, la croix en forme d’X pour André, le calice pour Jean. Mais ce moyen ne suffit pas pour tous, car les attributs des autres apôtres sont bien moins fixes, moins certains et manquent souvent tout à fait. Les apôtres sont nécessairement toujours les mêmes; se suivent-ils toujours dans le même ordre, par exemple comme l’évangile de saint Matthieu ou les Actes des apôtres les indiquent ? Il n’en est rien; les quatre listes qui nous sont conservées dans le Nouveau Testament différent même dans l’arrangement des noms. Cependant l’Eglise ne doit-elle pas avoir un ordre traditionnel et invariable ? Oui, cet ordre existe dans les litanies des saints, et il a été suivi, ou on a eu tout au moins l’intention de le suivre, dans la galerie des Apôtres à la cathédrale de Lausanne. Qu’est-ce qui prouve qu’ailleurs il n’ait pas été observé ? Ce sont les attributs légendaires dont /290/ les figures sont accompagnées et qui sont, pour plusieurs, en contradiction ouverte avec cet arrangement. Il faudra donc, en présence de ces difficultés, se résigner bon gré mal gré à n’avoir pas une certitude absolue quant à l’identité de chaque bas-relief d’apôtre. Ce qui, au contraire, est hors de doute, c’est l’ordre d’après lequel les différents panneaux doivent être placés; car cet ordre est donné par le texte des phylactères des apôtres qui reproduit les douze articles du Credo, et ces articles, naturellement, ne peuvent pas être intervertis. Ceci détermine en même temps la place de chaque prophète, car les versets prophétiques doivent servir de preuve et d’appui aux dogmes du symbole des apôtres et établir ainsi la concordance de l’ancienne et de la nouvelle Alliance. Les numéros impairs seront donc occupés par les prophètes, les numéros pairs par les apôtres.
Si je me suis arrêté si longtemps à cet agencement, c’est que souvent ces bas-reliefs ne sont pas à leur place. Sculptés sur des morceaux de bois avant la pose, les ouvriers ne suivaient pas toujours l’ordre dans lequel les panneaux devaient être placés, mais il nous sera facile de rétablir l’ordre normal d’après les indications qui précèdent.
Disons encore, pour en finir avec les généralités, que les prophètes représentés et cités comme témoins sont :
a) Les quatre grands prophètes : Esaïe, Jérémie, Ezéchiel et Daniel;
b) David, le roi prophète;
c) Sept des petits prophètes, savoir : Osée, Joël, Amos, Michée, Nahum, Aggée et Zacharie. (Zacharie et Joël sont remplacés quelquefois par Jonas et Malachie.) /291/
La division du symbole des apôtres n’est pas identiquement la même partout.
On voit qu’il y a là, dans un cadre tracé d’après une règle uniforme, beaucoup de liberté pour l’exécution des détails.
En effet, chacune des sept églises de la Suisse romande qui possèdent des stalles symboliques a son cachet particulier, un point spécial qui la distingue des autres. Le nombre des stalles, leurs dimensions, leur âge, leur arrangement, sont autant de caractères distinctifs qui méritent d’être signalés.
Nous visiterons successivement l’ancienne abbaye de Hauterive, près Fribourg, la collégiale de Saint-Nicolas, les églises de Romont, de Moudon et d’Estavayer, ensuite la cathédrale de Lausanne, sans oublier les stalles déposées à Chillon, la cathédrale de Saint-Pierre à Genève, et enfin nous jetterons un coup d’ail dans le temple de Saint-Gervais, qui possède aussi des stalles, quoique d’un genre un peu différent.
Nous commençons par les stalles de Hauterive, par la raison qu’elles forment la collection la plus complète que nous ayons et qui nous servira de type du genre. En procédant ainsi, nous pourrons, pour les autres séries, nous borner à indiquer les particularités de chacune. /292/
HAUTERIVE
ancienne abbaye de l’ordre de Citeaux, fondée en 1137.
Le nombre des stalles hautes à panneaux sculptés est de trente-quatre, divisées en deux séries égales des deux côtés du chœur. Hauteur, 4m 30; hauteur des figures, 1m 38.
La première série commence du côté sud et se dirige depuis le chœur vers la nef, où elle s’arrête au premier pilier. Le premier article du symbole est prononcé (comme toujours) par saint Pierre. (Ici en costume papal, portant la couronne et un voile tombant sur la nuque, gants rouges avec l’anneau du pêcheur à l’index de la main gauche; les pieds chaussés de mules marquées d’une croix.) Il dit : Credo in Deum, patrem omnipotentem, creatorem celi et terre. Il est précédé du prophète Jérémie, coiffé d’un chapeau pointu, couvre-chef ordinaire des Juifs au moyen âge; sa barbe est divisée avec soin. Il dit : Patrem vocabis me et post me ingredi non cessabis. (III, 19.) On voit que la concordance est dans le mot patrem.
Le second apôtre est André, avec l’instrument de son martyre, représenté de profil et tourné à gauche, la main droite levée pour bénir et les pieds nus. Il dit : Et in Jesum Christum, filium ejus unicum, dominum nostrum. Il est précédé du roi David couronné et disant : Dominus dixit ad me : filius meus es tu, ego hodie genui te. (Ps. II, 7.) /293/
Le troisième apôtre est saint Jacques, le majeur, fils de Zébédée; il porte le bourdon traditionnel de pèlerin et dit : Qui conceptus est de spiritu sancto, natus ex Maria virgine. Il est précédé du prophète Esaïe, figure juive très caractérisée, avec le verset : Ecce virgo concipiet et pariet filium. (VII, 14.)
Le quatrièine apôtre est saint Jean, la tête entourée d’un nimbe rayonnant, tandis que les autres apôtres n’ont qu’un nimbe uni; il porte un calice à la main et dit : Passus sub Pontio Pilato, crucifixus, mortuus et sepultus. Il est précédé du prophète Nahum avec le verset : Omnes qui audiverunt auditionem tuam, qui ne donne guère de sens à moins qu’on ne le complète par ce qui précède et ce qui suit, savoir : Non est obscura contritio tua, pessima est plaga tua : omnes qui audiverunt auditionem tuam compresserunt manum super te. Ce qu’on traduit ordinairement ainsi : « Il n’y a point de remède à ta blessure, ta plaie est douloureuse; tous ceux qui entendront parler de toi, battront des mains sur toi. »
Le cinquième apôtre est saint Philippe, représenté de profil et tourné à droite, avec un voile flottant, vêtu d’une robe de moine admirablement drapée, des souliers aux pieds et une croix à la main; son article est : Descendit ad inferna. Il s’appuie sur Osée (XIII, 14) : Ero mors tua, o mors, morsus tuus ero inferne. Ici, comme dans le verset cité de Nahum, la concordance est plutôt dans les mots qui manquent que dans ceux qui sont donnés (inferna, inferne), car le passage finit sur le ruban après morsus. Au reste, il y a là une transposition de deux panneaux, Osée étant placé après Philippe, ce qui détruit l’alternance.
Le sixième apôtre est Thomas portant une lance et /294/ disant : Tercia die resurrexit a mortuis, s’appuyant sur Zacharie (II, 13) : Consurrexit dominus de habitaculo suo. Zacharie et Osée portent des bonnets ronds à oreilles.
Ces douze premiers numéros trouveront leur complément vis-à-vis, du côté nord, où le dernier apôtre termine la série près du chœur. Mais pour le moment la suite est interrompue par dix autres représentations qui forment les coins S.-O. et N.-O. de la galerie et que nous tâcherons d’expliquer plus tard.
Le septième apôtre est saint Barthélemy, portant à la main un grand couteau; la légende dit qu’il fut écorché vif. Il dit : Ascendit ad celos, sedet ad dexteram Dei, patris omnipotentis et s’appuie sur Amos (IX, 6) : Qui edificat in celo ascensionem suam. Amos et Barthélemy sont remarquables par la coupe assyrienne ou égyptienne de leur barbe et de leurs cheveux.
Le huitième apôtre est probablement saint Simon, dessiné de profil et tourné à gauche; barbe ordinaire; il tient un instrument singulier, qui ressemble fort à un archet de contre-basse, tandis que son attribut ordinaire est une scie; car la légende raconte qu’il fut scié en deux par les prêtres du Soleil en Perse. Son passage est : Inde venturus est judicare vivos et mortuos. Il s’appuie sur la prophétie de Joël (III, 2) : Congregabo omnes gentes et deducam illas in vallem Josaphat et disceptabo cum eis super populo meo.
Le neuvième apôtre dit : Credo in spiritum sanctum. Il est placé de profil à gauche, sa robe couvre entièrement ses pieds, mais il ne porte aucun attribut. C’est peut-être Jacques le mineur, fils d’Alphée. Il est précédé du prophète Aggée qui dit : Spiritus meus erit in medio vestrum. (II, 6.) /295/
Le dixième apôtre a pour attribut un long bâton terminé par une croix ornée de feuilles de trèfle. Ce pourrait être saint Matthieu, quoique son attribut soit habituellement une pique. Son article du symbole est : Sanctam ecclesiam catholicam; sanctorum communionem, remissionem peccatorum. Sa concordance est tirée du prophète Michée (VII, 19) : Deponet Dominus iniquitates nostras et projiciet in profundum maris omnia peccata nostra.
Le onzième apôtre a la tête entourée d’un voile qui retombe des deux côtés, et comme attribut il porte une hache d’armes. Ce peut être saint Jude, appelé aussi Thaddée ou Lebbée, dont les insignes ne sont pas bien déterminés. Il a pour passage : Carnis resurrectionem, et pour témoin prophétique Ezéchiel (XXX, 4 et suiv.) : Ossa arida, audite verbum Domini. Ego intromittam in vos spiritum, et vivetis.
Enfin le douzième et dernier apôtre est Matthias qui, avec une expression de bienheureuse extase, prononce ces mots : Vitam eternam. Amen. C’est le prophète Daniel, habillé en page de la cour de Babylone, qui lui sert de témoin, disant : Evigilabunt alii in vitam sempiternam, ulii in opprobrium. (XII, 2.)
Voilà la liste des apôtres et des prophètes achevée. Il nous reste à trouver Jésus-Christ lui-même comme principale pierre de l’angle. Et en effet, à l’angle S.-O. nous trouvons la naissance de Jésus-Christ représentée en quatre tableaux et à l’angle N.-O. sa mort en un tableau. Ce dernier est très riche de symbolisme. Le Père éternel, représenté comme Roi des cieux, tient sur ses genoux le corps inanimé de Jésus, dont les pieds reposent sur le globe; derrière sa tête se montre une croix symbolique et une /296/ hostie; à côté de la tête couronnée du Père, la colombe du Saint-Esprit. Voilà donc réunis en un seul panneau la Trinité personnifiée et la mort expiatoire du Sauveur. Des deux côtés de ce tableau se tiennent deux personnages, dont l’un est saint Jean-Baptiste avec l’agneau, l’autre probablement saint Paul, tenant une épée à la main, la pointe en l’air et non pas renversée comme à l’ordinaire. Les numéros 18 et 22 représentent deux abbés, l’un vieux, l’autre d’âge moyen. M. le professeur Rahn suppose que l’un est saint Bernard, † 1153, et l’autre saint Benoît, † en 543. De l’autre côté (No 13) se trouve de même un abbé, qui pourrait être l’abbé Gérard, mort en 1159 en odeur de sainteté. Le No 15 représente Marie avec l’enfant; le No 14, le roi d’Ophir lui offrant une cassette pleine d’or; le No 16, le roi de Tarsis, à barbe assyrienne et au teint rouge-brun; apportant de l’encens dans un vase et de la main gauche soulevant sa couronne pour saluer le divin enfant; le No 17, un roi nègre, probablement celui de Saba, offrant la myrrhe dans une coupe élégante 1 .
Les jouées et les dais arqués qui servent d’encadrement à cette galerie d’images sont d’un travail exquis. Les jouées, hautes de 4m 30 se divisent, pour ainsi dire, en trois étages d’ornements gothiques, les uns découpés à jour, les autres sculptés en relief. La netteté des contours et la variété des dessins sont vraiment surprenantes; la grandeur des figures, qui ont 1m68 de hauteur, a permis à l’artiste de leur donner plus de vie et d’individualité, aussi bien dans les poses que dans les traits, et la teinte brun foncé de ce vieus chêne mat donne au tout un aspect imposant et solennel. /297/ Que devait être ce chœur de l’église de Hauterive lorsqu’il était encore orné de ses magnifiques vitraux ! (1322-1855.)
Les stalles datent des années 1472 à 1486. Les noms des prophètes sont en majuscules, le texte des phylactères en minuscules gothiques, dorées sur fond rouge, et comme les passages sont quelquefois assez longs, les abréviations et contractions sont fréquentes. Le coloris est employé rarement et seulement pour certaines parties des chairs et quelques ornements accessoires. /298/
FRIBOURG
STALLES DE L’ÉGLISE COLLÉGIALE DE SAINT-NICOLAS
fondée en 1178, rebatie en 1314, achevée vers le milieu du XVe siècle.
Elles sont au nombre de trente, fabriquées de 1459 à 1464 par Antoine du Peney, Vaudois.
Les noms des prophètes et les passages cités sont en minuscules gothiques, les phylactères peints en bleu, les lettres dorées. Cette dernière restauration et le vernissage des stalles paraissent dater de 1654. (Gaz. de Lausinne, 17 novembre 1876.) Les figures ont 1 m. de hauteur.
Ici la série des apôtres et prophètes est précédée de six panneaux figurant la création et la chute de l’homme.
No 1. Dieu créateur : In principio creavit Deus celum et terram. (Gen. I, 1.)
No 2. Création de la femme : Ad imaginem Dei creavit eum; masculum et feminam creavit eos. (1, 27.)
No 3. Eve mange du fruit défendu : Tulit mulier de fructu illius et comedit, deditque viro suo.
No 4. Adam en mange aussi : Qui comedit, et aperti sunt oculi eorum. (III, 6, 7.)
No 5. Adam et Eve s’excusent : Mulier quam dedisti mihi sociam dedit mihi de ligno et comedi. (v. 12.) Serpens decepit me et comedi. (v. 13.) /299/
No 6. L’ange gardien du paradis : In sudore vultus tui vesceris pane tuo. (III, 19.)
Voilà l’ordre voulu; mais les ouvriers l’ont dérangé, en plaçant le No 4 avant le No 3 et le No 6 avant le No 5.
Cette erreur n’est pas la seule; nous en trouvons de bien plus singulières qui feraient presque supposer que les passages ont été cités de mémoire. Par exemple, le passage de Jérémie : Patrem vocabis me (III, 19) est changé en : Patrem invocabitis, avec l’adjonction : qui terram fecit et condidit celos; passage qui ne se trouve nulle part. La seconde partie appartient évidemment à l’article 1er du Credo et remplace le texte véritable : creatorem celi et terre qui manque à saint Pierre, l’apôtre qui suit dans l’ordre régulier. Un passage de Malachie (No 21) est attribué à Sophonie; un autre de Michée (No 25) à Malachie; un d’Ezéchiel à Daniel, et vice versa.
Comme parallèles, on a choisi plusieurs fois d’autres versets des prophètes, qui s’accordent, du reste, fort bien avec les passages du credo; par exemple, saint Jean : Passus, crucifixus, etc., s’appuie sur Zacharie XII, 10 : Aspicient ad me quem confixerunt. L’apôtre qui dit : Tercia die resurr. a pour concordance : Scio enim quia tu Deus clemens et misericors es. (Jon. IV, 2.) Saint Simon qui porte ici une scie véritable (de la forme de celles que les menuisiers de nos jours appellent scies anglaises) et qui dit : Inde venturus, s’appuie sur Malachie (III, 5) : Accedam ad vos in judicio et ero testis velox. Saint Barthélemy qui dit : Credo in spir. sanct., cite Joël (II, 28) : Effundam spiritum meum super omnem carnem. Enfin la résurrection de la chair est appuyée du témoignage d’Ezéchiel (XXXVII, 12) : Educam vos de sepulcris vestris, populus meus. /300/
Les jouées du côté de l’autel sont décorées, l’une de l’image de la sainte Vierge avec l’enfant, l’autre de la légende de saint Nicolas et des trois enfants ressuscités d’un baquet.
Quant à l’exécution, tout en étant fort belle et riche, elle ne vaut pas celle de Hauterive.
/301/
ROMONT
STALLES DE L’ÉGLISE COLLÉGIALE,
achevée une première fois en 1296, puis, après un incendie, en 1447.
Elles sont de la fin du XVe siècle ou du commencement du XVIe siècle. Le presbytère, stalle en trois parties pour l’officiant et ses aides, porte la date de 1515.
Leur nombre est de vingt-quatre, la série des apôtres et prophètes, sans autre adjonction; elles ne diffèrent de celles de Hauterive que par leur moindre dimension. Le travail est d’une grande délicatesse. Toutes les figures sont anonymes. Les caractères blancs sur fond noir sont des minuscules gothiques.
/302/
ESTAVAYER
ÉGLISE DE SAINT-LAURENT
achevée vers la fin du XVe siècle.
Les stalles se divisent en deux parties : le presbyterium dans le sanctuaire, et les stalles du chœur.
Le presbyterium se compose de trois stalles hautes, dont la première représente saint Sébastien percé de flèches de droite et de gauche. Au-dessus du saint se trouvent les armes de Sébastien de Montfaucon, évêque de Lausanne.
Le second dorsal nous montre un évêque mitré et crossé, sans doute saint Claude, évêque de Besançon au VIIe siècle. Au-dessus, nous voyons les armes de Claude d’Estavayer, évêque de Bellay, mort en 1534 au couvent de Romainmotier dont il était prieur depuis 1521.
La troisième stalle porte saint Laurent, patron de l’église, avec son gril traditionnel.
Après ces trois stalles, destinées au prêtre officiant et à ses diacres, commence la série systématique des stalles hautes à prophètes et apôtres. Nous les mentionnerons dans l’ordre qu’ils occupent en réalité dans l’église d’Estavayer, tout en indiquant, depuis le No 13, une certaine perturbation qui s’est introduite dans leur placement. Voici donc ces panneaux; les numéros impairs sont les prophètes, les numéros pairs, les apôtres /303/ :
1. Joël. Son phylactère porte les mots : Effundam de spiritu meo super omnem carnem.
2. Saint Pierre : Credo in Deum patrem omnipotentem, etc.
3. David : Dns dixit ad me : filius meus es tu.
4. Saint André : Et in Jesum Chr. filium eius, d. n.
5. Esaïe : Ecce virgo concipiet et pariet filium.
6. Saint Jacques le majeur : Qui conceptus est de spiritu sancto, etc.
7. Nahum : Omnes qui audiverunt auditionem tuam, etc. Sur cette stalle se trouve la date de leur confection, 1524.
8. Saint Jean : Passus sub Pontio Pilato, etc.
9. Osée : Ero mors tua, o mors, morsus tuus, inferne.
10. Saint Philippe : Et sepultus. Descendit ad inferna.
11. David : Propter hoc letatum est cor meum et exultavit lingua mea. (Ps. XV.)
12. Saint Jude (Thaddée) : Tertia die resurrexit a mortuis.
13. Joël : Congregabo omnes gentes et deducam illas in vallem Josaphat.
14. Saint Barthélemy : Ascendit ad celos, sedet ad, etc.
15. Amos propheta (le seul qui soit nommé, comme aussi à Moudon) : Qui edificat in celo ascensionem suam.
16. Porte de la sacristie. Elle représente de nouveau saint Laurent.
17. Ezéchiel : Ossa arida, audite verbum dni.
18. Saint Matthieu : Inde venturus est judicare, etc.
19. Aggée : Spiritus meus erit in medio vestrum, nolite timere.
20. Saint Jacques le min. : Credo in spiritum sanctum.
21. Michée : Deponet dns iniquitates nostras, etc. /304/
22. Saint Thomas : Carnis resurrectionem.
23. Daniel : Evigilabunt alii in vitam eternam, etc.
24. Saint Simon : Vitam eternam. Amen.
Qu’on me permette maintenant quelques observations sur ce tableau.
Et d’abord le No 1 n’est point à sa place devant saint Pierre et devrait se trouver, comme par exemple à Saint Nicolas de Fribourg, devant l’article du symbole : Credo in spiritum sanctum; ici, il devrait être remplacé par le passage de Jérémie : Patrem vocabis me, qui se trouve par exemple à Hauterive et à Romont.
Au No 9, le prophète Osée a pour attribut une croix penchée qui appartient plutôt à l’apôtre Philippe qui le suit.
Au sujet du No 11, second passage tiré des Psaumes, nous ferons remarquer qu’il n’est pas d’usage de citer deux fois le même prophète. Hauterive et Romont donnent ici un passage de Zacharie.
Depuis le No 13 la confusion commence. Le No 13 de vrait changer de place avec le No 15; nous aurions alors : Qui edificat… Ascendit… Congregabo.
Le premier après la porte devrait être l’apôtre qui dit : Inde venturus (18); puis les stalles 19, 20, 21, suivies de la stalle actuellement No 17, et enfin les trois dernières, qui sont bien placées.
/305/
MOUDON
ÉGLISE PAROISSIALE DU XIIIe SIÈCLE
Les stalles sont au nombre de 22 et datent de la fin du XVe siècle. Hauteur des panneaux, 1m 93; hauteur des figures, 1m à 1m 10; hauteur du plafond, 3m 47.
Il y a des formes hautes et des formes basses, garnissant le chœur en son entier et formant trois séries dont la première commence à l’angle N.-E., sous la grande fe nêtre, et comprend dix stalles hautes. La seconde part du côté de la nef, au sud; la troisième enfin prend naissance au fond du chœur et se termine du côté de la nef, au nord. Cet arrangement est assez irrégulier; cependant l’état actuel de ces ouvrages, à part d’assez nombreuses mutilations de détail, est tel qu’il ne laisse pas supposer un déplacement considérable. Les apôtres et les prophètes se suivent comme à l’ordinaire, à l’exception d’une paire qui fait défaut; c’est la sixième, composée du prophète Zacharie (Consurrexit) et de l’apôtre qui dit : Tercia die resurrexit.
Parmi les attributs, nous trouvons ici, comme à Estavayer, la harpe du roi David dans un étui de cuir; le calice de saint Jean avec un crapaud au bord, mais accompagné cette fois d’un aspic ou petit serpent qui s’échappe aussi de la coupe. La légende dit à cet égard qu’étant à Rome les ennemis de la foi chrétienne tentèrent d’empoisonner /306/ Jean à l’aide du vin consacré; mais les breuvages vénéneux qu’il but et administra aux communiants ne produisirent aucun effet pernicieux, le poison étant sorti de la coupe sous la forme de cet aspic.
L’écriture est la minuscule gothique. Le prophète Amos et l’apôtre Simon sont les seuls dont les noms soient inscrits sur leurs phylactères. A l’extrémité de la galerie nous trouvons le patron de l’église, saint Etienne, reconnaissable à la pierre qui repose sur sa tête. Il fut lapidé, comme chacun sait. Sa figure se trouve sur le pan coupé nord est, tandis que vis-à-vis, en diagonale, le Christ montre les marques des clous à ses mains et à ses pieds.
Les patiences ou miséricordes sous les sièges sont très variées; il y en a aux stalles hautes et aux stalles basses; elles représentent des animaux ou des têtes d’animaux en grand nombre (17), des têtes humaines (8), des ustensiles (9), des fleurs, feuilles et autres ornements (5). Quelques-unes sont fort bien réussies. Toutes ces sculptures, en ronde bosse, sont prises sur l’épaisseur du bois de la tablette, et ont de 10 à 11 cm. de saillie. Comme couronnement des stalles hautes, il existe ici deux espèces de dais, tous deux d’une grande élégance.
Avec Moudon finissent les galeries complètes des prophètes et des apôtres. Là même nous avons rencontré une lacune et plusieurs mutilations.
A Lausanne et à Genève, nous ne trouvons plus que des fragments, très beaux, il est vrai, d’un ameublement plus riche, souvenirs d’une splendeur évanouie. Genève n’a conservé que cinq apôtres avec les prophètes correspondants. Lausanne a perdu toute la série des prophètes, si tant est qu’elle ait jamais existé. /307/
GENÈVE
CATHÉDRALE DE SAINT-PIERRE, XIIIe AU XVe SIECLES
(Voir Indicateur d’antiquités suisses, vol. II, pag. 370.)
Les stalles hautes, au nombre de onze, se trouvent actuellement placées (comme à Lausanne) dans le bas côté sud et doivent avoir été fabriquées vers la fin du XVe siècle. Elles forment un seul corps de menuiserie; chaque stalle est couronnée d’un charmant baldaquin en accolade (dos d’âne) et le tout est surmonté d’une petite galerie ajourée d’un modèle gothique fort simple. La hauteur des figures est de 1m 20, la largeur des panneaux, sans le cadre, de 50 cm. Le caractère des inscriptions est la minuscule gothique du plus beau style; les noms des prophètes un peu plus petits. Les apôtres sont anonymes. Aux deux parois latérales nous trouvons un écusson écartelé des armes de Genève et de Florence soutenu par deux cerfs.
La série commence à la droite du spectateur par le roi David et l’apôtre saint André. On voit qu’il manque donc la première paire, saint Pierre avec Jérémie, et il est à regretter que saint Pierre soit absent, puisqu’il est le patron de l’église. Quant à Jérémie, il est remplacé par une sybille, la sybille Erythrée, qui prononce son oracle : Unde Deum servient incredulus atque fidelis, où le mot Deum doit évidemment rappeler le même mot dans le passage /308/ Credo in Deum omnip., etc. Nous rencontrons là aussi quelques fautes d’orthographe, par exemple 𝔰𝔦𝔟𝔦𝔩𝔩𝔦𝔞 𝔢𝔯𝔦𝔱𝔢𝔞 et 𝔡𝔞𝔲𝔦𝔱. Quelques-uns des attributs sont assez curieux, par exemple saint André a, à côté de lui, un filet rempli de poissons (Math. IV, 18); Esaïe (Isayas) porte un poignard à la ceinture; saint Jacques le majeur, vêtu en pèlerin, a un livre sous le bras; Zacharie a un sabre et un bonnet pointu; saint Jean a un livre sur le bras gauche et point de calice.
Ces stalles ont été restaurées avec beaucoup de goût et d’habileté en 1845, sous la direction de M. Blavignac, de telle façon qu’il est difficile de distinguer ce qui est moderne de ce qui est ancien. Les phylactères sont d’azur, les passages en lettres d’or. Des auréoles pourprées entourent la tête des apôtres; les chairs sont peintes au naturel. Le nom de M. Blavignac, avec la date de la restauration, se trouve sur l’une des jouées, tout en haut, dans un écusson tenu par un ange.
Quant au rapport que ces stalles de Saint-Pierre peuvent avoir avec celles du temple de Saint-Gervais, j’avoue n’a voir pas lu tout ce qu’on a écrit à ce sujet 1 ; mais un examen attentif m’a fourni la conviction que jamais ces deux séries de stalles n’ont formé un ensemble. Sans doute les onze stalles de Saint-Pierre ne sont qu’un reste d’une série plus nombreuse; mais ce ne sont certainement pas les stalles de Saint-Gervais qui les complètent. Les dimensions sont bien à peu près les mêmes, mais les figures ont un tout autre caractère et ne rentrent nullement dans le système symbolique dont les stalles de Saint-Pierre offrent un beau fragment. /309/
Les stalles de Saint-Gervais sont peu nombreuses, il est vrai, mais il n’y manque rien, elles forment un tout complet. Séparées en deux corps par une fenêtre sous laquelle se trouvent trois stalles basses, elles présentent l’aspect que voici :
A sa gauche, le spectateur voit un corps de quatre stalles. Le premier et le troisième panneau représentent saint Jean-Baptiste couvert d’une peau velue et portant d’une main un agneau, de l’autre un étendard à la fleur de lis de Florence, dont il est le protecteur. La légende est écrite de haut en bas, comme sur quelques monnaies italiennes du moyen âge, en majuscules gothiques : EC · CE · AG · HVS · DEI.
Le second et le quatrième panneau nous montrent un ange à grandes ailes, de face, tenant une hampe surmontée d’un séraphin à six ailes. Ce séraphin est remplacé au quatrième panneau par un écusson aux armes de Florence.
Les quatre stalles à droite reproduisent dans l’ordre inverse les mêmes figures, en variant un peu les attitudes et en introduisant quelques fautes de lettres dans la légende qui est toujours la même; le No 5 écrit ASHVS; le No 7 AHHVS au lieu de agnus. Les anges n’ont point de légende; cependant le dernier porte sur son vêtement le monogramme de Jésus en minuscules gothiques d’un dessin très élégant.
Les parois aux deux bouts sont en bois plein et nous montrent les armes de la ville de Florence avec deux lions comme supports; les jouées du côté de la fenêtre sont ajourées et présentent le même écusson soutenu par un lion. Ces armes continuellement répétées rendent très probable /310/ la supposition que ces stalles, actuellement à Saint-Gervais, auraient autrefois appartenu à la chapelle dite N.-D. des Florentins ou N.-D. du pont, démolie en 1831. Elles n’ont elles-mêmes besoin d’aucun complément, et ne peuvent pas servir de complément à celles de Saint-Pierre.
/311/
LAUSANNE
LES STALLES DU XVIe SIÈCLE
La cathédrale actuelle date du XIIIe siècle. Après le grand incendie de 1235, l’évêque Boniface commença à la réparer et quarante ans après, la deuxième année de l’épiscopat de Guillaume de Champvent, le pape Grégoire X vint la dédier à la Vierge.
Dans un travail inséré dans les Annales de Didron (vol. XVI, 1856) M. Ramé dit :
« La cathédrale de Lausanne possédait, il paraît, deux suites de stalles : l’une placée dans la nef, l’autre dans le chœur. Je ne comprends pas l’usage de cette double série de sièges; il est certain cependant qu’elle a subsisté jusqu’à une époque très rapprochée de nous. »
Nous sommes heureux de pouvoir éclaircir ce point au moyen d’une note que M. l’abbé Gremaud a bien voulu nous communiquer et dont voici la teneur :
« Les stalles qui se trouvent actuellement dans la nef de la cathédrale de Lausanne étaient placées autrefois dans la chapelle qui existe à l’entrée de cette église dans le côté gauche en entrant, chapelle fondée par l’évêque Aymon de Montfaucon en l’honneur des martyrs de la légion thébéenne, saint Maurice et ses compagnons. /312/
Ce fait est prouvé par la Visite des chapelles de la cathédrale, en 1529, dont le registre original est conservé dans les archives cantonales de Lausanne. On y lit à l’article : Capellania sanctorum Thebeorum Mauricii sociorumque ejus per D. Aymonem de Montefalcone episcopum Lausan. fundata :
« Ibi sunt forme alte et basse de ligno nucis honorifice minusiate. — Sunt ibi alie parve forme minusiate prope januam capelle cum tribus sedibus ad sedendum pro dicendo missam dyacono et subdiacono. »
D’autres détails montrent que cette chapelle avait été ornée avec beaucoup de luxe. »
Le 25 septembre 1504, l’évêque Aymon fut autorisé par le chapitre à édifier et fonder une chapelle « in fine ecclesie sub novo simballatorio quod nondum est finitum. » Les travaux durèrent longtemps, car l’acte de fondation ne fut rédigé qu’au commencement du mois d’août 1517, et approuvé définitivement par le chapitre le 1er septembre 1518. »
Si l’on considère que les stalles déposées dans la nef datent de 1509, portent les armes des Montfaucon et contiennent des sujets empruntés au martyre de la légion thébéenne, on est amené tout naturellement à admettre que ce sont celles qui ont dû orner la chapelle de Saint-Maurice, fondée par l’évêque Aymon de Montfaucon, « forme alte et basse de ligno nucis honorifice minusiate. »
Les stalles hautes, au nombre de dix-sept, représentent les douze apôtres, la sainte vierge, sainte Catherine et deux fois l’évêque Aymon de Montfaucon, premièrement entouré /313/ de martyrs de la légion thébéenne, savoir : saint Maurice qui est qualifié de primicerius, commandant; saint Secundus de dux, officier, Candidus, Victor, Innocentius et Exuperius.
La seconde fois, l’évêque Aymon est assisté de saint Benoît et de saint Jean-Baptiste.
Sainte Catherine a à ses pieds le buste de l’empereur Maximinus (305-313) ou Maxentius (306-312), qui furent impuissants pour la faire renoncer au christianisme.
La vierge Marie est placée sur trois roses.
Les cloisons ou jouées sont ornées de sujets tels que Adam et Eve au paradis, l’adoration des bergers, les rois Mages, et des armoiries de Montfaucon avec la devise bien connue et partout répétée : Si qua fata sinant, qui se rapporte sans doute à l’achèvement ou du moins à la restauration de la cathédrale.
Les inscriptions sur les phylactères des apôtres sont en majuscules gothiques de 5 cm. de haut; les noms qui se trouvent ici, par exception, inscrits sur une petite console aux pieds de chaque figure, sont en minuscules, de 3 cm. Il y a dans ces inscriptions, comme presque toujours, plusieurs fautes d’orthographe. De plus, saint Jacques n’est pas à sa place, qui serait après André et non avant Pierre.
Le travail des baldaquins est tout ce qu’il y a de plus fin et de plus soigné, le reste a subi des mutilations nombreuses.
La description de ces stalles se trouve dans une brochure de F. N. Le Roy intitulée : Une visite à la cathédrale de Lausanne. Genève, s. d. – Nous y renvoyons pour le reste. /314/
LES ANCIENNES STALLES
(Suite de la note de M. l’abbé Gremaud.)
« La Notice historique et descriptive de la cathédrale de Lausanne (par Recordon), publiée en 1823, nous apprend qu’à cette date il y avait dans la cathédrale, outre les stalles de la nef (pag. 36), 56 stalles dans le chœur. (Pag. 35.) »
Ces stalles ont été enlevées, probablement en même temps que le jubé, en 1830. (Voy. Blanchet, Lausanne dès les temps anciens, pag. 119.) 14 seulement ont été conservées (aujourd’hui à Chillon); ce sont celles qui ont été décrites et en partie dessinées par Ramé, Notes d’un voyage en Suisse, dans les Annales de Didron, Paris 1856. »
La place qu’elles occupaient est indiquée dans le plan de Ritter de 1763 par deux larges lignes noires entre les quatre piliers de la coupole. »
La description de Ramé étant très détaillée et très exacte, nous y renvoyons le lecteur d’autant plus volontiers que leur date (entre 1250 et 1270) les met en dehors du cadre que nous nous sommes tracé.
Ces stalles, dans leur rudesse primitive, nous offrent, par quelques-uns des sujets représentés, un exemple du mélange fréquent des traditions païennes 1 avec les histoires bibliques 2 . La caricature et le grotesque n’étaient point dédaignés par les sculpteurs des monuments religieux. La scène du Lay d’Aristote, notamment, se trouve fréquemment représentée, dans les églises en France, aux XIVe, XVe et XVIe siècles. /315/
Comme elle paraît être un peu moins connue en Suisse, nous nous permettons de la rapporter brièvement.
Alexandre, que son précepteur Aristote a réussi à détourner d’une jolie maîtresse indienne,
…n’a pas le souvenir
Laissié ensanble avec la voie (vue)
Qu’amors li ramembre et ravoie
Son cher vis, sa bele façon,
Où il a nul retraçon (trace)
De vilonie ne de mal,
Front poli plus der que cristal.
Beau cors, bele bouche, blond chief.
Celle-ci jure de se venger d’une manière éclatante du vieux philosophe et l’ensorcelle en chantant :
Or la voi, la voi, la voi,
La fontaine i sort série (sereine),
Or la voi, la voi, ma mie
El glaiolai desous l’aunoi.
Or la voi, la voi, la bele
Blonde, or la voi.
Puis, elle se fait promener par lui, montée sur son dos. Et la chanson finit par ces deux vers :
Ainsi va qui amors maine
Et ainsi qui le maintient.
Nous apprenons qu’un nouvel ouvrage, accompagné de planches et ayant pour objet l’étude des stalles actuelles de la cathédrale de Lausanne, se prépare en ce moment. Nous saluons ce travail avec bonheur, d’autant plus que, dans un sujet de ce genre, les dessins en disent bien plus que toutes les descriptions.