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Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande

Edition numérique

Arnold MOREL-FATIO

Histoire monétaire de Lausanne
(1355 à 1375)
Fragment

Dans MDR, 1881, tome XXXV, pp. 244-252

© 2024 Société d’histoire de la Suisse romande

/244/

HISTOIRE MONÉTAIRE DE LAUSANNE

(1355 à 1375)

FRAGMENT

PAR A. MOREL-FATIO

 

/245/

AIMON DE COSSONAY

1355-1375

 


 

Le denier dont nous donnons ici les deux principales variétés est anonyme, mais il offre des détails assez caractéristiques pour qu’il soit aisé d’en déterminer l’attribution.

En premier lieu, ces divers indices permettent de lui attribuer comme date d’émission la seconde moitié du XIVe siècle, c’est-à-dire la période remplie en presque totalité par l’épiscopat d’Aimon de Cossonay (1355-1375) et par celui de Gui de Prangins (1375-1394).

Ajoutons qu’on ne saurait descendre plus bas que cette dernière date, car nous avons montré qu’à ce moment la vieille légende CIVITAS EQVESTRI (um) faisait désormais place aux mots CIVITAS LAVSANNE.

Mais auquel de ces deux évêques convient-il de donner la préférence ? Nous allons le dire.

On peut invoquer en faveur de Gui la supposition que ce prélat ne s’est pas borné uniquement à l’émission connue de 1375 et que, pendant les vingt années de son épiscopat, /246/ il a dû, malgré l’insuccès notoire de cette première tentative, faire frapper d’autres monnaies et retourner peut-être au denier anonyme traditionnel à Lausanne jusqu’à son avènement.

La similitude du type de notre denier anonyme avec celui qui porte l’aigle de Prangins semble autoriser cette supposition, qui prend plus de force encore si l’on rapproche les légendes gothiques de la première de ces monnaies de celles du Sesen de la collection Im-Hoof de Winterthur. (Conf. Gui de Prangins, Pl. N o 2.)

Ce Sesen et notre denier offrent tous deux le T lunaire; or cette forme toute nouvelle sur la monnaie de Lausanne était aussi d’un emploi récent au dehors 1 . On serait donc tenté par ce rapprochement de considérer notre denier anonyme comme appartenant à une émission particulière de Gui de Prangins, émission postérieure à celle de 1375 et dont le Sesen de la collection Im-Hoof aurait fait partie.

Ces raisons, toutes spécieuses qu’elles apparaissent au premier abord, ne sauraient prévaloir contre celles que nous allons exposer et qui, ce nous semble, mililent victorieusement en faveur d’Aimon de Cossonay.

Le type des deux variétés de notre denier anonyme se retrouve, il est vrai, sur le denier et l’obole armoriés de Gui de Prangins, mais celui-ci, loin d’en être l’inventeur, l’a seulement reçu de son prédécesseur, cela est incontestable; /247/ ne le voyons-nous pas déjà figuré sur les monnaies du comte de Neuchâtel, Louis Ier, qui mourut en 1373, c’est-à dire deux ans avant l’avènement de Gui et qui, copiant la monnaie de Lausanne, ne put prendre pour modèle que les deniers de son contemporain Aimon de Cossonay ?

Le poids et le titre du denier que nous étudions s’opposent d’ailleurs à ce qu’on l’attribue à Gui de Prangins. De nombreuses pesées et des essais répétés ont donné comme moyenne un poids qui excède un gramme et un titre approximatif de 300 millièmes de fin, tandis que l’ordonnance monétaire de 1375 spécifie des deniers à 260 millièmes et pesant à peine 0 gr. 80.

On remarquera que cette relation de 260 à 300 est exactement celle dont parle Ruchat quand il dit :

« L’an 1375, Gui … affaiblit encore sa monnoie dans la proportion de 14 à 12. » (Essai histor. sur les monn. des évêq. de Lausanne, chap. II, § 3.)

Si cet évêque a fait d’autres émissions que celle-ci, nous savons que dans tous les cas elles n’ont présenté aucune amélioration dans le titre, car en 1390 Fribourg en maintenait la prohibition, et des comptes officiels contemporains relatent que de 1375 à 1390 le denier lausannois conserva sa même valeur; il y est invariablement taxé à 12 pour un gros tournois.

On ne sait rien de ce qui concerne les années 1391 à 1394, mais est-il vraisemblable que pendant cet intervalle Gui ait songé à relever le titre de ses deniers, alors que nous voyons son successeur Guillaume de Menthonay abaisser les siens à 175 millièmes ?

La série des deniers anonymes au T lunaire se divise en deux classes principales. /248/

 

PREMIÈRE CLASSE

Pièce d'un denier

† SEDES LAVSANE. Temple surmonté d’une boule et placé sur trois besants.

Rev. † CIVITAS EQ’STRI. Croix cantonnée au 1 d’un besant et au 4 d’une espèce de pointe barbelée.

Denier. Poids, 1 gr. 10. Musée cantonal.

Sur la plupart des exemplaires appartenant à cette classe on remarque un petit trait qui relie l’un des besants à la base du temple; il est placé tantôt sur le besant de droite, tantôt sur celui du milieu. Jamais jusqu’ici nous ne l’avons constaté sur celui de gauche.

Il y a tout lieu de croire que ce signe est destiné à fonctionner comme différent monétaire et qu’il témoigne, soit par son absence, soit par ses deux positions variées, de l’existence de trois émissions distinctes.

Le poids de tous les exemplaires de ce denier paraît avoir, à l’état normal, dépassé un gramme; l’un d’eux, conservé au Musée de Lausanne, atteint le chiffre de 1 gr. 22.

Le titre est en général de 290 à 300 millièmes.

 

† SEDS’ LAVS’

Rev. † CIVIT EQ’STRI.

Mêmes types. Maille. Musée cantonal.

 

Pièce d'une maille

† SEDES LAVSANE.

Rev. † CIVITAS EQ’SETRI.

Mêmes types. Maille. Musée cantonal. /249/

 

 

† CIVITAS EQ’STRI, des deux côtés de la pièce.

Maille. Musée cantonal.

Ces trois monnaies sont trop usées pour que leur poids mérite d’être consigné.

 

DEUXIÈME CLASSE

Pièce d'un denier

† SEDES LAVSANE. Temple surmonté d’une boule et placé sur un annelet entre deux besants.

Rev. † CIVITAS EQ’STRI. Croix cantonnée au 2 d’un annelet et au 3 de la pointe barbelée.

Denier. Poids, 1 gr. 06. Musée cantonal.

 

 

Pièce d'une maille

† SEDS’ LA …

Rev. † CIVIT … TRI.

Même types. Maille. Poids, 0 gr. 67. Musée cantonal.

 

 

† SEDES LAVS’

Rev. † CIVIT …

Mêmes types. Maille. Poids, 0 gr. 33. Muséc cantonal.

Ce que nous avons dit des mailles de la première classe s’applique également à celles-ci. Ces deux exemplaires sont fort usés; on comprend dès lors le plus faible de ces deux poids, mais il n’en est pas de même pour l’autre qui semblerait déjà trop élevé pour un exemplaire fleur de coin.

La condition des deniers et mailles des deux classes nous paraît à peu près identique; toutefois nous ne serions pas surpris si l’on arrivait à constater dans la seconde, la plus récente selon nous, une légère infériorité de titre. /250/

En décrivant ces deux variétés principales des deniers et mailles au T lunaire nous avons accordé la priorité à celle qui montre le temple placé sur trois besants; ce n’est pas sans motif. Ce type, consacré par une longue durée à Lausanne, s’y est maintenu jusqu’à l’épiscopat d’Aimon de Cossonay; nous savons même, par les imitations neuchâteloises, que cet évêque aussi l’a employé. Nous sommes certain qu’il n’était pas tombé en désuétude en 1359 et peut-être même en 1364. Cette fois encore, c’est un atelier voisin qui nous en donnera la preuve.

Amédée VI de Savoie ayant acheté en 1359 la baronnie de Vaud de Catherine, fille et héritière de Louis II, remit en activité l’atelier de Nyon, qu’on suppose avoir chômé au moins depuis la mort de ce dernier.

Les premières opérations paraissent avoir consisté dans la contrefaçon des deniers des évêchés de Genève et de Lausanne en se modelant, comme toujours en pareil cas, sur la monnaie contemporaine; or l’imitation du denier lausannois fabriqué par Amédée VI à Nyon nous montre le temple placé sur trois besants. On est d’après cela autorisé à considérer ce type comme étant encore en vigueur à Lausanne à ce moment. Mais quel est ce moment, quelle en est la date précise ?

Ce renseignement nous fait défaut; nous savons par les réclamations de l’évêché de Genève que la contrefaçon de ses deniers avait lieu en 1364. Il est permis de croire, sans pouvoir cependant l’affirmer, que celle de la monnaie de Lausanne avait lieu à la même époque.

Le musée de Lausanne possède bon nombre de deniers et mailles au T lunaire, une centaine environ; quelques uns ont été trouvés isolément et n’apportent aucune lumière /251/ sur l’époque de leur émission, mais pour la plupart ils appartiennent aux grandes trouvailles d’Arzier, Meillerie et Rumilly. Cette dernière, dans laquelle se trouvaient près de quatre cents monnaies épiscopales de Lausanne, ne renfermait que des deniers de la première classe, ce qui est encore un argument en faveur de la priorité de celle-ci.

Il se peut qu’Aimon de Cossonay ait fabriqué d’autres deniers et mailles que ceux dont nous venons de donner la description; nous n’avons pas su jusqu’ici les discerner dans la masse considérable des pièces anonymes qui nous sont parvenues. Il en est une cependant que nous lui attribuerions assez volontiers, mais sans preuve à l’appui et par instinct seulement, c’est le denier suivant :

Pièce d'un denier

† SEDES LAVSANE (N et E sont liés.) Temple sur trois besants, et surmonté d’un annelet.

Rev. † CIVITAS EQ’STRI. Croix cantonnée au 1 et 4 d’un besant et d’une pointe barbelée.

Denier. Poids, 1 gramme. Musée cantonal.

L’essai de ce denier a donné 330 millièmes.

La belle trouvaille de Meillerie nous a conservé une maille qui présente les mêmes types et légendes. Elle ne pèse que 0 gr. 29; légèrement fragmentée, elle est évidemment inférieure à son poids normal.

La présence de l’annelet sur le temple, type nouveau à la fin du XIVe siècle et qui semble le précurseur des deniers à l’annelet entre deux besants, nous porte à attribuer cette variété à Aimon de Cossonay; mais, nous le répétons, c’est une hypothèse qui demande confirmation.

 


 

Notes :

Note 1, page 246 : Le T lunaire se rencontre à une époque antérieure dans divers pays, en Catalogne, Aragon, etc.; mais dans l'Italie du nord, qui a fourni la plupart des maîtres et graveurs de la monnaie de Lausanne, nous ne trouvons pas de traces de cette lettre ainsi figurée avant Théodore II de Montferrat (1381-1418), Charles d'Orléans à Asti (1406-1408), etc. [retour]

 


 

 

 

 

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