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Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande

Edition numérique

Godefroi DE CHARRIÈRE

Notice biographique sur Louis de Charrière

Dans MDR, 1879, tome XXXIV, pp. 281-349

© 2024 Société d’histoire de la Suisse romande

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AVANT - PROPOS

C’est, nous l’avouons, avec un peu d’hésitation que nous offrons ce travail au public. Un fils peut- il ainsi retracer la vie de son père sans être suspecté de partialité ? Nous réclamons l’indulgence de nos lecteurs. Puissent-ils comprendre que c’est le cœur qui nous a dicté ces pages. Ceci nous servira de justification.

L’Auteur.

Senarclens, juillet 1877.

 


 

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NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR LOUIS DE CHARRIÈRE

 

I

Pierre-Marc-Louis de Charrière naquit aux Chavannes, près de Cossonay, le 21 juillet 1795. Son père, Samuel de Charrière, avait servi en France pendant onze ans dans les régiments suisses d’Erlach, d’Aulbonne et Lullin de Châteauvieux. En 1789, il avait épousé Mlle Susanne-Louise, fille de M. Benjamin Gaulis, allié Féronce; ce dernier vivait à Lyon où il était à la tête d’une maison de commerce. Ce mariage semblait promettre à M. de Charrière, qui ne possédait qu’un domaine au village de Senarclens, une position de fortune avantageuse. Mais bientôt après la révolution française fit éprouver à M. Gaulis une perte de fortune sensible. Il dut quitter la France et se réfugier dans sa propriété des Chavannes. /284/

M. et Mme de Charrière qui s’y étaient établis auprès de lui virent, bientôt leur famille s’accroître et l’éducation de cinq enfants devint une lourde tâche pour un ménage dont les ressources se ressentaient de la dureté des temps. La plus parfaite union, néanmoins, régnait entre les époux et leur bonheur intérieur contrastait avec les agitations de notre révolution vaudoise et les inquiétudes qu’elle leur causait. Quoique fort attaché à l’ancien ordre de choses, M. Samuel de Charrière, qui, depuis son retour de France, occupait dans la milice le grade de capitaine de mousquetaires dans le régiment de Morges, jouissait d’une popularité que lui valait son caractère facile et bienveillant, ainsi que sa parfaite loyauté. Aussi, peu après la proclamation de notre indépendance nationale, fut-il nommé membre de la régie, soit conseil, de la ville de Cossonay. En 1802, lors de la tournée des Brûle-papiers, M. de Charrière, alors président de cette même régie, mit en lieu sûr les papiers importants contenus dans les archives de la ville, et lorsque ces forcenés vinrent, en le maltraitant, lui réclamer les titres féodaux, il leur livra des papiers sans valeur qu’ils brûlèrent en poussant des cris de joie. En sauvant ces documents, M. de Charrière ne se doutait pas qu’un jour son fils Louis en ferait une étude sérieuse et que ces mêmes archives lui fourniraient les matériaux pour plusieurs de ses meilleurs travaux historiques. Dans l’automne de cette même année, lors de l’échauffourée d’Orbe, les paysans de la contrée voulurent le mettre à leur tête pour marcher contre la troupe de Pillichody. Mais, ayant été informé de la chose, M. de Charrière fit semblant de partir pour la chasse et se réfugia chez son ami, M. de Gingins, au château d’Eclépens. Il s’y tint caché /285/ pendant quelques jours et ne revint chez lui qu’après le dénouement de cette triste équipée.

Si nous nous sommes quelque peu étendu sur ces détails préliminaires, c’est pour montrer dans quel milieu se passèrent les premières années de celui à la mémoire duquel nous consacrons ces lignes. Nous reviendrons à lui et nous dirons que, quoique vivement impressionnée par les scènes de notre révolution, son enfance fut heureuse. Mais laissons-lui la parole et voyons comment il nous la dépeint lui-même dans un petit mémoire autobiographique qu’il nous a laissé, et qui nous retrace sa vie jusqu’à l’âge de treize ans :

« A l’heure qu’il est », nous dit-il, « le temps de ma première jeunesse se présente à mon imagination sous l’image d’un beau jour sans nuages. Il me semble qu’à cette époque j’étais parfaitement heureux. Chéri, mais nullement gâté par ma tendre mère, mon excellent père, ma bonne grand’mère, l’union la plus intime, l’amitié la plus pure régnait entre mes sœurs Aline, Lucie et moi. Qu’aurait-il manqué à ma félicité ? Pendant l’hiver, dès qu’il commençait à faire un peu sombre et jusqu’au moment où l’on apportait les lumières, ma mère, parfaite musicienne, se mettait au piano, jouait quelques airs de danse dont nous profitions avec ardeur. Nous dansions à trois, mes sœurs et moi, une espèce de montférine qu’on avait la bonté de trouver jolie et qu’on nous faisait exécuter partout où nous allions. Pendant la belle saison, notre campagne offrait un vaste théâtre à nos jeux enfantins. Les époques des récoltes étaient des temps de réjouissance. La fin d’une moisson heureuse était célébrée par une fête. Le dernier chariot de blé, orné de fleurs et de rubans et portant la plupart /286/ des moissonneurs et moissonneuses, était conduit en triomphe et avec des chants à la grange. Un repas champêtre régalait les ouvriers, et mon père et ma mère ne dédaignaient pas de s’asseoir un moment à table pour contenter ces bonnes gens. Le bal suivait le festin et il était encore ouvert par mon père et ma mère qui se retiraient, à la vérité, incessamment. Le bonheur dont nous jouissions fut encore augmenté par la naissance d’un frère qui fut nommé Paul. A six ans, je commençai à apprendre à lire; ce fut ma mère qui eut la patience de me l’enseigner et à sept ans on me donna un maître d’écriture. »

Mais cet âge d’or ne pouvait toujours durer. Le jeune Louis venait d’atteindre ses huit ans et ses parents songeaient sérieusement à lui trouver une bonne pension dans laquelle il pût commencer ses études. Leur choix tomba sur le célèbre institut Pestalozzi qui se trouvait alors au château de Berthoud, dans le canton de Berne. M. et Mme de Charrière l’y conduisirent au mois d’octobre 1803. Le moment de la séparation fut pénible. Le pauvre enfant, tout en larmes, ne voulait pas quitter ses parents. Alors, M. de Charrière sortit de sa poche une petite montre et la mit dans la main de son fils. Aussitôt les pleurs de l’enfant cessèrent et pendant qu’il était perdu dans la contemplation de son nouveau bijou, ses parents s’éloignèrent.

Les premiers temps furent durs. Ignorant la langue allemande, le petit Louis se sentait terriblement isolé au milieu de ses camarades. En outre, la surveillance, pour ce qui concernait la propreté et l’hygiène, laissait fort à désirer et la santé de l’enfant s’en ressentit. Néanmoins, il s’acclimata et, suivi et choyé par sa marraine, Mme Tschiffély née de la Rue, veuve d’un sénateur bernois, qui le surveillait /287/ comme une mère et qui le faisait venir auprès d’elle à Berne pour y passer ses jours de vacances, il finit par se faire à son nouveau genre de vie. En vertu d’arrangements avec M. de Fellenberg, l’institut se transporta bientôt après pour un an au château de Munchenbuchsée, puis enfin à celui d’Yverdon, et c’est dans cette ville qu’il se trouvait, lorsque, après quatre ans de séjour dans l’institut, M. et Mme de Charrière se décidèrent à reprendre leur fils chez eux. Le jeune Louis revint donc au mois de septembre 1807 dans la maison paternelle, mais la joie du retour fut bientôt troublée par l’inquiétude qu’inspirait déjà la santé de son père. Grand amateur de chasse, M. de Charrière s’était livré, pendant qu’il était en garnison dans l’île de Corse, avec passion à cet exercice dans les marais. Une humeur goutteuse l’avait, dès lors, plus ou moins incommodé et cette humeur, qui s’était fixée sur la poitrine, inspirait maintenant les plus vives inquiétudes. Sa santé déclina rapidement et, au mois de décembre suivant, M. de Charrière fut enlevé, à l’âge de quarante-sept ans, à l’affection de sa famille.

« Il ne me serait guère possible d’exprimer quel fut mon désespoir et surtout celui de ma pauvre mère. Elle restait veuve, chargée d’une nombreuse famille et presque sans fortune pour l’élever. » Ces quelques mots, que nous empruntons encore à son autobiographie, en disent assez pour nous dispenser de tout commentaire. Mais aussi ce malheur fut pour le jeune Louis une source de bénédictions. Il comprit les devoirs que sa position de fils aîné lui imposait et il prit en main l’administration de la modeste fortune de sa mère. Il devint bientôt le bras droit de celle-ci et il avouait plus tard lui-même que, pénétré de /288/ la nécessité de vivre avec économie, il avait résisté à bien des tentations auxquelles d’autres jeunes gens eussent succombé. Mais n’anticipons pas.

Après la mort de son père, le jeune Louis resta auprès de sa mère, et ce fut M. Gleyre, suffragant du second pasteur de Cossonay, qui fut chargé de lui donner des leçons. Le latin avait été fort négligé à l’institut Pestalozzi. M. Gleyre l’appliqua sérieusement à l’étude de cette langue. En 1808, M. Gleyre obtint la cure de Collombier sur Morges et le jeune Louis fut alors s’installer chez lui pour l’hiver, lequel fut sérieusement consacré au travail. En 1809, dans l’automne, on le plaça à Lausanne chez M. Bridel, professeur en langue hébraïque, dont il devait recevoir des leçons et suivre en outre des cours académiques. M. de Charrière avouait souvent lui-même qu’il eût pu mieux employer, sous le rapport de l’étude, son séjour à Lausanne. Doué d’un caractère sociable, très développé d’esprit et de corps, quoiqu’il fût seulement dans sa quinzième année, le jeune étudiant se lança dans le monde. C’était beaucoup trop tôt et ses études en souffrirent. Il comptait réparer le temps perdu l’année suivante. Mais il reçut une autre destination. La santé de sa sœur Lucie, fort altérée, réclamait un séjour dans le Midi. Louis de Charrière accompagna donc sa mère et sa sœur à Hyères dans l’automne de 1810. L’issue de ce voyage fut fatale, car, au printemps suivant, lors de leur retour en Suisse, la jeune Lucie expira dans la voiture près du village de Saint-Marcellin, en Dauphiné. Au mois de septembre 1811, Louis de Charrière fut admis à la sainte Cène, puis, l’année suivante, il entra dans la milice où il ne tarda pas à devenir officier. Au commencement de l’année 1813, M. Benjamin Gaulis, son grand-père, /289/ mourut. Peu après, Mme de Charrière s’établit à Lausanne, qui lui offrait les ressources nécessaires pour l’éducation de sa famille. Louis de Charrière suivit alors les cours académiques de droit naturel et de droit romain.

Le moment était venu pour le jeune Louis de choisir une carrière; la position de fortune de sa mère lui en faisait un devoir. La restauration des Bourbons sur le trône de France, conséquence des événements politiques de l’année 1814, avait, il est vrai, ramené pour les Suisses la ressource du service militaire capitulé, mais la carrière des armes n’était pas de son goût, et sa mère, d’ailleurs, y répugnait. Il songea à se vouer au commerce, mais ne trouva pas de ce côté-là les facilités désirables. Alors il prit la grande résolution de se rendre en Russie, où les Suisses, alors bien vus et recherchés, obtenaient facilement des places de gouverneurs dans des familles haut placées. M. de Charrière quitta donc Lausanne au mois de mars 1816, s’arrêta quelques jours à Darmstadt, où son compatriote et intime ami, M. Auguste de Senarclens de Grancy occupait la place de gouverneur des petits-fils du grand-duc de Hesse régnant, puis il atteignit Leipzig où il séjourna six semaines environ chez M. et Mme Dufour-Féronce, parents de sa mère, qui occupaient une place éminente dans le haut commerce et qui l’accueillirent avec beaucoup d’amitié. Il consacra le temps qu’il passa dans cette ville à l’étude de la langue allemande, puis, vers le milieu de mai, ayant trouvé un compagnon de voyage, il continua sa route pour Saint-Pétersbourg. Un intéressant journal nous a conservé les détails de ce voyage, dont nous ne retracerons par conséquent pas les péripéties. Nous dirons seulement qu’il fut long, pénible et dispendieux, /290/ car c’est à peine s’il existait alors des routes là où la vapeur transporte aujourd’hui les voyageurs à grande vitesse. M. de Charrière et son compagnon passèrent par Berlin, Koenigsberg et Memel. Entre ces deux dernières villes, leur voiture versa, sans occasionner d’autre mal, du reste, que quelques contusions. Puis ils traversèrent Mittau, Riga, et atteignirent enfin, vers la fin du mois de mai (vieux style), la capitale de la Russie.

Lors de son passage à Darmstadt, la mère des élèves de M. de Grancy, la grande-duchesse héréditaire de Hesse, avait remis à M. de Charrière une lettre de recommandation pour sa sœur, l’impératrice Elisabeth Alexiewna, femme du czar Alexandre Ier. Ayant sollicité et obtenu une audience de cette souveraine, M. de Charrière, en lui remettant cette lettre, en fut accueilli avec bonté. Sans avoir des résultats positifs pour le but qu’il poursuivait, la bienveillance que S. M. l’impératrice voulut bien témoigner à M. de Charrière fut pour ce dernier un appui moral et une recommandation qui ne lui fut pas inutile auprès de la société russe. Il eut cependant quelque peine à trouver une place à sa convenance. L’été se passa en recherches. Enfin, par l’entremise de M. de la Saussaie, pasteur de l’église réformée française de St-Pétersbourg, il fut agréé à des conditions avantageuses par S. E. M. le conseiller actuel de Katakazy comme gouverneur de son fils, enfant de huit ans.

M. de Katakazy, homme aimable et spirituel, Grec d’origine, était le gendre du prince Ypsilanti, hospodar de Moldavie et de Valachie. Lorsque celui-ci s’était transporté en Russie, M. de Katakazy avait suivi la fortune de son beau-père. La famille Ypsilanti habitait alors Kiew en Ukraine /291/ et ce fut à la fin d’août (vieux style) que M. de Charrière partit avec le père de son élève pour cette ville. Ce voyage, dont un journal nous a aussi transmis les détails, fut marqué par des contrariétés de toute espèce, et jette un jour curieux sur l’état de la Russie à cette époque. Des routes détestables, la difficulté de se procurer des chevaux et l’obligation pour nos voyageurs de s’arrêter parfois des journées entières dans de petites localités dénuées de ressources et où les juifs polonais fournissaient, au poids de l’or, un maigre gîte, tels furent les désagréments de ce voyage qui fut encore compliqué par une circonstance accidentelle. L’empereur, qui suivait la même route qu’eux, avait fait retenir, pour lui et sa suite, les chevaux de poste. Il en résultait parfois des arrêts prolongés. Une fois cependant, traversant la ville de Tschernigow qui était en fête pour le passage du czar, on crut que nos voyageurs faisaient partie de la suite impériale. Ils furent entourés et comblés d’honneurs et ils eurent beaucoup de peine à se soustraire à ces démonstrations incommodes. Enfin, après douze jours de retards et d’ennuis de toute espèce, ils atteignirent Kiew. M. de Charrière commença aussitôt ses fonctions auprès de son élève. Mais bientôt M. de Katakazy reconnut la nécessité de placer ce dernier dans un établissement public d’éducation. Une nouvelle perspective s’offrit alors à M. de Charrière.

La famille Ypsilanti, nous l’avons déjà dit, habitait aussi Kiew. Au moment de l’arrivée de M. de Charrière, son chef, le prince Ypsilanti, homme éminent, venait d’être subitement enlevé à sa famille au retour d’un voyage à St-Pétersbourg, où M. de Charrière l’avait encore connu pendant ses négociations avec M. de Katakazy. En se /292/ jetant dans les bras de la Russie, l’ancien hospodar s’était attiré l’inimitié du gouvernement ottoman. Aussi l’opinion publique attribuait-elle au poison cette fin subite et prématurée. Le prince laissait plusieurs fils, dont un en bas âge, et M. de Charrière reçut, au printemps de l’année 1817, de Mme la princesse douairière Ypsilanti l’offre de se charger de l’éducation de ce dernier. M. de Charrière l’accepta avec plaisir. Son élève, le prince Grégoire, alors âgé de douze ans, avait un bon caractère. Il n’eut qu’à se louer des bons procédés de la famille Ypsilanti à son égard et soutint aussi d’agréables rapports avec les frères aînés de son élève. M. de Charrière a gardé toute sa vie un souvenir agréable de son séjour au milieu de cette famille respectable 1.

L’année suivante, en 1818, il accompagna Mme la princesse douairière, ainsi que son élève, à Odessa, où ils firent un séjour pour prendre les bains de mer. Après cette cure, ils se rendirent à Kischeneff en Bessarabie, où ils séjournèrent auprès de M. de Katakazy qui venait d’être nommé gouverneur de cette province. Ce pays, bien nouveau pour M. de Charrière, lui offrit un vif intérêt. Il n’existe malheureusement pas de journal de ce voyage, mais l’auteur de ces lignes en a recueilli, de la bouche même de M. de Charrière, quelques détails. Il ne fallait pas penser à trouver des auberges. Aussi, la voiture des voyageurs était-elle /293/ précédée d’un fourgon qui transportait, outre les bagages, des lits, une batterie de cuisine et un cuisinier. En arrivant à l’étape, les voyageurs trouvaient leur campement dressé, ordinairement chez des juifs, seuls industriels chez lesquels on pût trouver un abri, et encore quel abri ? Une nuit, M. de Charrière fut réveillé par un bruit étrange. Après avoir fait de la lumière, il vit que la partie inférieure de la porte ne touchait pas au seuil et c’était par cette ouverture qu’un troupeau d’oies avait fait irruption dans la chambre. Les chemins étaient affreux. Un jour, à une forte montée, postillons et laquais étaient descendus. Les postillons battaient les chevaux, et les laquais battaient les postillons … Nous citons ce fait comme un curieux spécimen des mœurs russes à cette époque.

L’année suivante, en 1819, M. de Charrière passa la belle saison avec la famille Ypsilanti å Kirillowka, terre que cette dernière possédait dans la Petite Russie. Il y eut une curieuse aventure. En se promenant un jour dans une grande forêt et comme il traversait une clairière semée d’avoine, il se trouva tout à coup vis-à-vis d’un ours occupé à manger cette graine. Inutile d’ajouter que M. de Charrière ne lia pas connaissance avec lui, mais qu’il rebroussa chemin au plus vite pour se mettre hors de la portée de cet hôte des bois, lequel, du reste, ne le poursuivit point.

Mais, pendant son séjour à Kirillowka, la santé de M. de Charrière s’altéra. Il ressentit des malaises, des insomnies, ainsi qu’une profonde tristesse. Le retour, au mois de septembre, à Kiew ne lui apporta aucun soulagement. Il attribuait son mal à un genre de vie trop sédentaire. Le médecin, au contraire, l’attribua au mal du pays, si fréquent chez les Suisses, et lui conseilla de retourner dans /294/ sa patrie. M. de Charrière s’y décida enfin. Il ne prit point un congé définitif de la famille Ypsilanti, mais l’on convint que si sa santé se rétablissait, il reviendrait reprendre ses fonctions auprès du prince Grégoire. Il s’associa pour ce voyage à une compatriote, Mme de Helfreich née Decombes, de Lausanne, veuve d’un gentilhomme livonien. Les voyageurs se rendirent d’abord à Vienne où ils séjournèrent quelques jours. M. de Charrière y fut accueilli avec amitié par un parent de sa mère, M. Féronce, banquier établi dans cette ville. Puis ils se dirigèrent sur Munich, et arrivèrent à Lausanne vers le milieu d’octobre 1819. Déjà pendant le voyage, la distraction et les soins obligeants de Mme de Helfreich, dont il eut beaucoup à se louer, avaient notablement amélioré sa santé. L’air natal et le bonheur de revoir sa famille firent le reste et il se trouva bientôt complétement rétabli.

M. de Charrière, cependant, ne retourna point en Russie; en revanche il se maria. Son choix était tombé sur Mlle Antoinette, fille de M. Benjamin Bègue soit Bégoz, allié Le Fort, ancien consul de la République Helvétique près la République Ligurienne. Des liaisons particulières existaient entre les deux familles depuis que M. Bègue Le Fort avait été l’associé, à Gênes, de MM. Gaulis, oncles maternels de M. de Charrière. M. Bègue, qui s’était retiré des affaires avec une belle fortune, vivait alors dans sa propriété de Perroy. Mais quoique, par son mariage, M. de Charrière pût attendre d’être un jour dans l’aisance, sa position actuelle lui faisait un devoir de chercher une source de gain. Ses regards se tournèrent alors vers l’Allemagne. Une bonne occasion s’offrit bientôt à lui. Le duc Guillaume de Wurtemberg, oncle du roi, avait passé à Lausanne /295/ l’hiver de 1820 à 1821. M. de Charrière avait formé avec lui de bonnes relations. Au mois de septembre suivant, ce dernier lui proposa de devenir son gentilhomme, de prendre la direction de sa maison et de l’accompagner en Italie où il devait passer l’hiver avec sa famille. M. de Charrière accepta cette offre et au mois d’octobre le duc se mit en route. Le début du voyage fut heureux, mais à Bologne la duchesse, dont la santé était déjà chancelante, tomba malade. On put cependant la transporter encore à Florence, où elle mourut au mois de février suivant. Sa dépouille mortelle fut transportée dans le Wurtemberg, et le duc, qui avait renoncé à poursuivre son voyage en Italie, revint en Suisse. Il passa l’hiver suivant à Lausanne et repartit au mois de mai 1823 pour Stuttgardt. M. de Charrière l’y suivit avec plaisir. Il espérait que le voisinage d’une cour serait favorable à la carrière qu’il voulait suivre et lui offrirait des chances d’avancement. Mais le duc vécut dans la retraite et se tint éloigné de la cour.

Mme de Charrière était venue dans l’intervalle rejoindre son mari à Stuttgardt. Bientôt après, celle-ci reçut l’offre d’entrer, en qualité de dame d’honneur, au service de Mme la princesse Paul de Wurtemberg, belle-sœur du roi, et l’on proposait en même temps à M. de Charrière de prendre la direction de la maison de cette dernière. La princesse Paul de Wurtemberg, née duchesse de Saxe-Hildburghausen, alors séparée de son mari, vivait à Hildburghausen auprès de son père, le duc régnant. M. et Mme de Charrière acceptèrent cette offre d’autant plus volontiers que le premier se sentait peu utile au duc Guillaume. Ils partirent donc au mois de novembre 1823 /296/ pour cette résidence et s’arrêtèrent en chemin quelques jours à Darmstadt. Un motif particulier le leur commandait. Afin de faciliter à M. de Charrière l’entrée de la carrière qu’il ambitionnait, S. A. R. le grand-duc de Hesse, qui lui voulait du bien, l’avait, peu de temps auparavant, créé chambellan, sous le titre de baron, de sa cour 1. Quoique purement honorifique, cette distinction était précieuse pour celui qui en avait été l’objet, car elle lui conférait désormais un rang dans les cours allemandes, et M. de Charrière tenait à témoigner sa reconnaissance au souverain qui lui avait accordé cette faveur.

Le séjour de M. et Mme de Charrière à Hildburghausen dura près de cinq années. Ils n’eurent qu’à se louer des procédés de la famille ducale de Saxe à leur égard. Un épisode agréable pour eux fut le séjour qu’ils firent, avec Mme la princesse Paul de Wurtemberg, au mois de juin 1825, au château de Würtzbourg, chez le beau-frère de celle-ci, le prince royal de Bavière, qui monta la même année sur le trône sous le nom de Louis Ier. La princesse royale, sa femme, sœur de Mme la princesse Paul, se distinguait par une grande bonté. Devenue reine, et pour reconnaître les services que Mme de Charrière rendait à sa sœur, elle obtint pour elle du roi son époux la croix honoraire du chapitre noble de Sainte-Anne de Munich.

En 1826, M. de Charrière fit un nouveau séjour à la cour de Darmstadt. Les jeunes princes Louis et Charles de Hesse, petits-fils du grand-duc régnant, devaient commencer prochainement, sous la direction de M. de Grancy, leur gouverneur, un voyage pour leur éducation, et l’on sollicita M. de Charrière de se joindre à ce dernier pour les /297/ accompagner. Il accepta cette offre, après s’être assuré du consentement de Mme la princesse de Wurtemberg. Les jeunes princes se mirent en route au mois de mars 1827. Un intéressant journal écrit par M. de Charrière nous a conservé les détails de ce voyage. Les princes débutèrent par la cour de Munich, puis ils se rendirent à celle de Vienne. Leur séjour dans cette capitale fut brillant et les six semaines qu’ils y passèrent furent une série continuelle de fêtes, de réceptions et de visites, et M. de Charrière put y voir de près la société autrichienne, qui, à cette époque, jouissait encore en plein de sa position élevée. De Vienne, les voyageurs princiers se rendirent à Trieste, et s’y embarquèrent pour Venise, où ils trouvèrent la cour de l’archiduc Régnier, vice-roi du ci-devant royaume Lombard-Vénitien. De Venise ils se rendirent à Milan, puis à Parme, Modène et Bologne. Mais ici se reproduisit une singulière coïncidence. De même que, lors du premier voyage en Italie de M. de Charrière, Mme la duchesse de Wurtemberg y avait ressenti les premiers symptômes du mal auquel elle devait succomber, ainsi l’aîné des jeunes princes de Hesse, le prince Louis, y tomba malade. On put cependant encore atteindre Florence, mais ici, son indisposition dégénéra bientôt en fièvre typhoïde.

L’état du prince était grave, cependant les soins et la force de sa constitution le sauvèrent. Mais la grande chaleur de l’été ne permettait guère de continuer le voyage et, pour la seconde fois, M. de Charrière dut renoncer à visiter Rome. Les voyageurs quittèrent donc Florence au mois de juillet et se rendirent à Paris par le Mont-Cenis et Lyon. Les jeunes princes y trouvèrent Mme la grande-duchesse héréditaire de Hesse, leur mère, qui les y attendait. /298/ Après avoir employé quinze jours à visiter cette capitale et avoir, entre autres, assisté à Versailles à une fort belle revue de la garde royale, ils partirent tous ensemble pour Dieppe.

Cette ville était alors, en été, le centre du high-life français. Mme la duchesse de Berry avait pris ce séjour à gré et venait y passer chaque année quelques semaines; c’était donc un bain de mer fort à la mode. Des relations de courtoisie s’établirent entre la famille grand-ducale de Hesse et Mme la duchesse de Berry, et M. de Charrière dut un jour danser un quadrille en vis-à-vis de cette dernière. Mais il ne pouvait prolonger trop longtemps son absence d’Hildburghausen, et il dut quitter Dieppe pour y revenir directement au commencement de l’automne. Quelques années plus tard, lorsque après la mort du vieux grand-duc Louis Ier de Hesse, son fils, Louis II, fut monté sur le trône, celui-ci, pour reconnaitre les services rendus par M. de Charrière aux jeunes princes ses fils, lui confèra la croix de commandeur de deuxième classe de son ordre de famille 1.

M. et Mme de Charrière ne prolongèrent pas leur séjour à la cour d’Hildburghausen, et revinrent en 1828 en Suisse s’établir à Senarclens, dans une campagne dont la mort récente d’un oncle les avait mis en possession. Différents motifs les avaient engagés à prendre cette détermination. En premier lieu, Mme de Charrière pouvait difficilement concilier ses devoirs de mère de famille avec ses fonctions de dame d’honneur. La cour d’Hildburghausen offrait peu de chances d’avancement à M. de Charrière, et le climat froid de la Thuringe ne convenait pas à sa santé. /299/ Il croyait en avoir fini pour toujours avec l’Allemagne lorsqu’une offre bien inattendue vint lui prouver qu’il n’y était pas oublié. Le prince Georges, frère de Mme la princesse Paul de Wurtemberg, lui fit proposer d’entrer au service de sa tante, la princesse douairière de la Tour et Taxis. M. de Charrière déclina cette offre mais elle lui fut renouvelée par Mme la princesse Paul et enfin par Mme la princesse de Taxis elle-même, qui écrivit à M. de Charrière pour l’inviter à se rendre auprès d’elle et voir les choses de ses propres yeux. Il se rendit donc au mois de mai 1829 au château de Taxis et la connaissance personnelle de cette princesse le décida bientôt à se consacrer à son service. Quoique veuve depuis deux ans, elle devait entrer en jouissance, le 1er juillet suivant, de son douaire. Il fut décidé que M. de Charrière entrerait en fonctions ce jour-là et qu’il porterait le titre de grand-maître de sa cour.

A cette époque, S. A. R. Thérèse, princesse douairière de la Tour et Taxis, veuve, depuis 1827, du prince Charles-Alexandre, était âgée de cinquante-sept ans. Elle était née duchesse de Mecklembourg-Strélitz et sœur de la belle reine Louise de Prusse, mère de l’empereur actuel d’Allemagne. De sa précédente beauté elle avait conservé une taille remarquable. Son esprit, très supérieur et cultivé, répondait à la bonté ingénieuse, active et délicate de son cœur. On peut trouver dans la volumineuse correspondance que M. de Charrière entretenait avec elle lorsqu’il était dans le cas de s’en éloigner, la preuve de l’agrément des rapports qu’il a soutenus avec cette femme distinguée. On connaît l’opulence de la maison de Taxis 1 et Mme la princesse faisait /300/ le plus noble usage du beau douaire dont elle jouissait.

M. de Charrière prit donc possession de sa nouvelle charge le 1er juillet 1829. Après avoir réglé le nouvel ordre de la maison, prêté, suivant l’usage établi, le serment de fidélité sur les mains de Mme la princesse et reçu de même le serment d’obéissance des nombreux serviteurs de la maison, il repartit pour la Suisse, où des affaires particulières réclamaient sa présence; puis il revint avec sa famille, au mois de novembre suivant, s’établir définitivement au château de Taxis. Ce dernier, qui avait été assigné à Mme la princesse comme l’une des résidences attachées à son douaire, est situé au nord d’Ulm, près du village de Dischingen et domine la verte petite vallée de l’Egge ou Egau, affluent du Danube. C’est une vaste demeure, où tout ce qui peut contribuer à l’agrément d’un séjour de campagne se trouve réuni. Les dix années que M. de Charrière a passées dans cette résidence au service de Mme la princesse de la Tour et Taxis ont été, il l’avouait souvent lui-même, les plus belles de sa vie. De nombreux voyages ont marqué cette période de son existence. Essayons de l’esquisser rapidement.

En 1830, M. de Charrière accompagna Mme la princesse /301/ à Altenbourg où de grandes fêtes furent célébrées à l’occasion du jubilé de cinquante ans de règne du duc, beau-frère de Mme la princesse, et précédemment souverain du duché de Saxe-Hildburghausen. Par suite de l’extinction de la branche ducale de Saxe-Gotha, un remaniement territorial s’était effectué entre les souverains de la branche aînée soit Ernestine. Le duc de Saxe-Hildburghausen avait échangé son duché contre celui d’Altenbourg, et le duché d’Hildburghausen, réuni à celui de Meiningen, passa sous la domination d’une autre branche et forma dès lors un état spécial. Le duc avait, à l’occasion de ce jubilé, réuni autour de lui toute sa famille et M. de Charrière retrouva ainsi à Altenbourg la cour qu’il avait connue à Hildburghausen. Ce voyage fut suivi d’un séjour à Ratisbonne où Mme la princesse avait conservé la jouissance d’une partie du palais de Saint-Emmeran, résidence du prince régnant, son fils. Durant ce séjour la cour de Bavière vint passer quelques jours à Ratisbonne. C’était la première fois que le roi Louis Ier y venait depuis son avénement au trône. Aussi fut-il brillamment fêté par la ville et par la maison de Taxis. Un superbe bal lui fut offert par Mme la princesse au palais de Saint-Emmeran. Ce fut pendant ce séjour que le roi posa avec solennité la première pierre de la célèbre Walhalla, temple élevé à la mémoire des grands hommes allemands. La Walhalla s’élève, non loin de Ratisbonne, sur les bords du Danube, près de Donaustauff, vaste propriété appartenant aussi au prince de Taxis. Un grand déjeuner fut offert, après la cérémonie, à la cour de Bavière par le possesseur de cette belle demeure. En 1831, M. de Charrière obtint un congé, dont il profita pour venir en Suisse voir sa mère. Il y revint l’année suivante pour /302/ rétablir sa santé, gravement atteinte par une fluxion de poitrine qu’il avait eue au mois de mars. Le même motif l’y ramena encore en 1833. Il dut faire une cure à Gaïss, dans le canton d’Appenzell, puis il vint encore passer quelques semaines auprès de sa mère. Vers la fin de cette même année il assista, à Munich, au mariage du prince Louis, grand-duc héréditaire de Hesse-Darmstadt, l’aîné des jeunes princes qu’il avait accompagnés en 1827 dans leurs voyages. Ce dernier épousait une fille du roi Louis Ier de Bavière et dans les fêtes qui eurent lieu à l’occasion de ce mariage M. de Charrière fit, comme chambellan hessois, partie de la suite de l’époux. Après cette cérémonie, M. de Charrière partit pour Ratisbonne, où Mme la princesse de Taxis passait l’hiver.

L’été suivant fut très rempli. Mme la princesse se rendit à Neu-Strélitz pour y passer l’été auprès de son frère, le grand-duc de Meklembourg. Elle devait, en outre, passer quelques semaines à Berlin. Outre les relations étroites de parenté qui l’unissaient au feu roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III, Mme la princesse avait été chargée par le prince son fils d’une mission délicate. Le gouvernement prussien entravait et molestait de différentes manières l’administration des postes de ce dernier et il avait chargé sa mère d’obtenir du roi, son beau-frère, la cessation de cet état de choses. Mme la princesse partit donc au mois de mai 1834, accompagnée de son grand-maître et de ses deux dames d’honneur. A la dernière station de poste avant Berlin, elle trouva les chevaux de la cour qui l’attendaient. Le roi la reçut avec amitié et distinction; il est inutile de dire que pendant les quelques semaines qu’elle passa à Berlin, elle habita le château royal. /303/

M. de Charrière vit ainsi de près la cour de Prusse. A la demande de sa belle-sœur, S. M. le roi lui avait déjà conféré, en 1831, la croix de chevalier de l’ordre nobiliaire de Saint-Jean de Jérusalem de Prusse 1 et M. de Charrière sut par sa manière d’être justifier cette faveur. L’usage voulait, à la cour de Berlin, que la suite des hôtes princiers de la cour fût placée, à table, vis-à-vis d’eux. Mme la princesse de Taxis étant placée à côté du roi, M. de Charrière se trouvait ainsi presque vis-à-vis de ce dernier. Le monarque lui adressait chaque fois quelques paroles obligeantes, mais malheureusement sa parole brève, saccadée et inintelligible le rendait incompréhensible et les dîners de la cour eussent été une véritable croix pour M. de Charrière si la bonté ingénieuse de Mme la princesse de Taxis n’y eût suppléé. Lorsque celle-ci voyait que M. de Charrière n’avait pas saisi les paroles royales, elle savait toujours ajouter avec un tact parfait quelques mots qui le mettaient sur la voie et lui permettaient de répondre.

Après quelques semaines passées à Berlin, Mme la princesse partit avec sa suite pour Neu-Strélitz, résidence du grand-duc Georges de Mecklembourg, son frère. Elle y passa l’été, puis revint à Berlin où sa nièce, l’impératrice de Russie, était alors en séjour auprès du roi son père. Sa présence avait attiré dans cette ville un grand nombre d’hôtes illustres. M. de Charrière dut encore assister à de nombreuses fêtes, revues et réceptions, aussi fut-ce avec un vrai bonheur qu’il put, au mois d’octobre, retourner au château de Taxis et y retrouver sa famille ainsi que le repos de la campagne. En 1835, M. de Charrière vint en Suisse voir sa mère, puis, en automne, il accompagna /304/ Mme la princesse à Munich, et il y assista à l’inauguration de la statue du roi Maximilien Ier, érigée sur la place du château royal. Mme la princesse devant passer l’hiver suivant à Ratisbonne chez le prince son fils. M. de Charrière eut la permission de disposer de son temps et il revint passer, à titre privé, l’hiver à Munich avec sa famille et il y suivit le train du monde. L’été suivant se passa au château de Taxis. En 1837, au mois de mars, il se trouvait en visite à Lausanne auprès de sa mère lorsqu’il eut la douleur de la perdre. Fils tendre et respectueux, Louis de Charrière avait, on peut le dire, embelli les dernières années de cette femme respectable. Combien sa position actuelle contrastait avec celle de sa mère lorsque, trente ans auparavant, celle-ci, veuve et sans fortune, envisageait avec crainte l’avenir de sa famille ?

L’été suivant, M. de Charrière accompagna Mme la princesse aux bains de Carlsbad, en Bohême. Elle s’y rencontra avec son beau-frère et sa sœur, le roi et la reine de Hanovre. Le souverain donna bientôt après un témoignage de sa bienveillance à M. de Charrière en lui conférant la croix de commandeur de l’ordre des Guelfes 1. En 1838, Mme la princesse de Taxis se rendit avec sa suite à Ratisbonne, pour y recevoir sa nièce, l’impératrice de Russie, qui voyageait en Allemagne. Mais ici se termina sa carrière active. Souffrante depuis longtemps, elle fut, à la fin de la bonne saison, chercher du soulagement aux bains de Wildbad dans la Forêt-noire. Mais cette cure ne fit qu’activer son mal, et l’hiver de 1838 à 1839 fut pour elle un temps de souffrance et d’épreuve. Sa force d’âme cependant ne se démentit point. Après cinq années de veuvage, son fils, /305/ le prince Maximilien de la Tour et Taxis, se remariait avec la princesse Mathilde d’Œttingen-Spielberg. Ce mariage comblait sa mère de joie et, quoique déjà aux portes de la mort, elle exigea que les nouveaux époux vinssent, après la célébration du mariage, au château de Taxis pour y être fêtés. Mais ceci était le chant du cygne et peu de temps après, le 12 février, Dieu retirait à Lui cette âme d’élite en la rappelant dans un monde meilleur.

La mort de Mme la princesse de la Tour et Taxis fut pour M. de Charrière une grande perte. Outre l’attachement personnel qu’il lui portait, il perdait en elle une protectrice bienveillante. Une longue liquidation le retint encore au château de Taxis pour remettre ce dernier, dont Mme la princesse n’était qu’usufruitière, à l’administration du prince son fils. Enfin, le 29 mai suivant, une lettre du prince Maximilien remerciait M. de Charrière des loyaux services rendus par lui à sa mère. Cette lettre était accompagnée du brevet d’une pension viagère. M. de Charrière était libre désormais. La mort de Mme la princesse terminait, il est vrai, une période brillante de sa vie, mais ni les plaisirs, ni les grandeurs ne lui avaient fait oublier son pays et son choix ne pouvait être douteux. Il affectionnait d’ailleurs vivement la campagne et il avait toujours pensé revenir un jour, lorsque les circonstances le lui permettraient, en Suisse et s’établir dans son domaine de Senarclens. « Toutes les fois que je vois une jolie campagne, » nous dit-il dans la relation de l’un de ses voyages, « j’envie le sort de celui à qui elle appartient et je me propose tous les jours davantage de passer ma vie aux champs, une fois que je serai de retour dans ma chère et bonne patrie. » Ce vœu, il pouvait maintenant le réaliser et le /306/ 24 juin il quittait avec sa famille le château de Taxis et s’installait huit jours après définitivement à Senarclens.

 

II

M. de Charrière était ainsi maître de ses actions et pouvait se consacrer entièrement à l’étude de l’histoire, pour laquelle il avait toujours manifesté une prédilection particulière. Une circonstance fortuite avait, de bonne heure déjà, fait naître en lui ce goût. Un jour, encore adolescent, il s’amusait à parcourir le château de La-Sarra avec son ami et contemporain, le jeune Charles de Gingins. Ce dernier lui offrit de lui montrer les archives, et l’arbre généalogique, sorti de son étui, captiva vivement l’attention du jeune Louis qui l’étudia avec soin. Un goût déterminé lui fit rechercher dès lors tout ce qui se rattachait à la féodalité et il se plut à consacrer à ce genre d’études ses rares instants de loisir. Bien jeune encore, il rechercha l’amitié de l’avoyer Frédéric de Mulinen, à Berne, et plus tard celle de Jacques-Augustin Galiffe, à Genève, qui lui donnèrent, tous les deux, plus d’une preuve de leur bienveillance. Puis, lorsque, habitant l’Allemagne, il vint à plusieurs reprises en Suisse auprès de sa mère, il se lia particulièrement avec M. Frédéric de Gingins La-Sarra. Quoique celui-ci, plus âgé que M. de Charrière, ne fût pas précisément un ami d’enfance, tout contribua par la suite à rapprocher ces deux hommes qui devaient marcher un jour côte à côte dans la science. A la conformité de leurs goûts historiques se joignait l’accueil plein de grâce de Mme Hydeline de Gingins née de Seigneux. Celle-ci, qui comprenait la valeur /307/ des travaux scientifiques de son mari, offrait aux amis de ce dernier un centre attrayant. C’était avec une grâce parfaite qu’elle faisait les honneurs du château de La-Sarra, lorsqu’elle venait, avec M. de Gingins, pendant la belle saison habiter pour quelques mois cette demeure féodale et séjourner dans cette contrée qu’elle nommait, en faisant allusion aux souvenirs du passé, si spirituellement nos vieux côtés. M. de Charrière trouvait un vrai plaisir à visiter ces excellents voisins de campagne et à passer quelques instants dans ce milieu qui lui était si sympathique. En 1837, il se trouvait en Suisse et put ainsi s’associer à M. de Gingins ainsi qu’aux amis de l’histoire qui fondèrent la Société d’histoire de la Suisse romande. Deux ans après, nouvellement établi dans sa patrie, il commençait à prêter à cette même société le concours de son activité en acceptant de remplir, dans le bureau de celle-ci, les fonctions de secrétaire-caissier. Mais il voulait faire mieux encore, il voulait travailler lui-même et contribuer ainsi à faire progresser la science historique.

M. de Charrière avait toujours pris un intérêt spécial à l’histoire des grandes familles féodales, de ces hauts-barons dont notre gracieux historien national, M. Louis Vulliemin, nous décrit, en peu de mots, si bien l’origine. « La faiblesse de Charles le Chauve, nous dit-il, laissa les comtés devenir héréditaires. C’était signer leur indépendance. Les seigneurs, à leur tour, s’affranchirent de la domination des comtes. Ce fut alors à qui construirait, en haut lieu, son château aux larges murailles, sans portes et munies de créneaux. Autant de tours, autant d’empires. » Ce fut donc à la recherche de ce que les documents nous ont conservé sur ces potentats au petit pied que M. de Charrière /308/ résolut de consacrer ses travaux. Il comprenait d’ailleurs l’utilité des monographies qui élucident l’histoire dans ses détails. « Il est du devoir de chacun de ceux qui peuvent le faire, » nous dit-il lui-même dans la préface de l’un de ses ouvrages, « d’apporter sa pierre pour la construction de l’édifice de notre histoire nationale. »

Un champ d’investigations s’offrait tout naturellement à lui. La ville de Cossonay avait été jadis la résidence de puissants barons, et leur histoire, peu connue, demandait à être éclaircie. M. de Charrière se mit à l’œuvre; il explora les archives de Cossonay puis, appuyé sur les documents, il retraça l’histoire de cette ancienne race depuis Uldric, qu’une charte de 1096 nous montre « possédant son alleu en paix depuis son aïeul et son bisaïeul jusques au présent jour. » Or, cet alleu, c’était la belle baronnie de Cossonay, dans laquelle se trouvaient de nombreux vassaux nobles astreints à suivre la bannière du seigneur. Poursuivant, les chartes à la main, son récit, M. de Charrière nous montre le fils d’Uldric, Humbert Ier, possédant, outre la baronnie de Cossonay, les seigneuries de Prangins, de Nyon et de Mont (le Vieux) dans le territoire de l’ancien comté équestre, de Bellerive et de Grandcour dans le Vully et enfin celles de Berchier et de Surpierre. Pendant deux générations encore, les superbes possessions de la maison de Cossonay-Prangins restèrent réunies dans une seule et même main, puis elles furent démembrées. Cossonay, propriété allodiale et l’une des plus anciennes terres de la patrie de Vaud, forma, avec Berchier et Surpierre, la part du fils aîné, Humbert II, lequel fut l’auteur de la maison de Cossonay proprement dite. A Guillaume, son frère cadet et l’auteur de la branche de Prangins, /309/ advinrent, avec les terres du Vully, les vastes propriétés que sa famille possédait dans le comté équestre et que défendaient quatre châteaux forts, ceux de Prangins, de Nyon, de Bioley et de Mont. Les barons de Cossonay, tout comme les seigneurs de Prangins, durent plier devant la maison de Savoie. Humbert II, prêta, en 1244, à Evian, hommage lige au comte Pierre de Savoie. Il descendait ainsi d’un degré dans la hiérarchie féodale. Après six générations, sa descendance s’éteignit, au commencement du XVe siècle, dans la personne de Jeanne, l’épouse du chevalier Jean de Rougemont, qui fut la dernière dame de Cossonay. Sa belle baronnie, après bien des contestations, finit par entrer dans le domaine du duc Amédée VIII de Savoie. Moins heureuse, la branche cadette ne posséda que pendant deux générations ses seigneuries du comté équestre. Aymon, fils de Guillaume de Prangins, en fut dépouillé, par la force des armes, en 1293, par le comte Amédée V de Savoie et son frère, le baron Louis Ier de Vaud. Après cette spoliation, sa descendance put encore atteindre la première moitié du XVe siècle. Une branche illégitime de la maison de Cossonay s’éteignit dans le milieu du XVIe siècle. Il existait en outre des milites du nom de Cossonay, sur lesquels, du reste, l’on n’a que peu de renseignements.

Nous sommes malheureusement privés de lumières sur la position des barons de Cossonay sous les rois rodolphiens. Tout concourt cependant à nous la faire croire fort ancienne et une supposition de M. de Charrière, et sur laquelle nous reviendrons, qui croit pouvoir les rattacher aux anciens comtes équestres, nous paraît avoir des chances en sa faveur. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils furent /310/ illustres par leur position, par leurs alliances et qu’ils peuvent être mis, quant à l’importance, sur le même pied que leurs éminements voisins, les sires de Grandson, qui doivent aux événements dramatiques de leur histoire une célébrité à laquelle ceux de Cossonay purent échapper. Ces derniers suivirent les usages de la haute noblesse de leur époque. On les voit subissant avec impatience le joug des Zaehringen et Humbert Ier fut à Rome déposer aux pieds du pape Lucius un hommage qu’il lui répugnait sans doute de prêter au recteur de la Transjurane. Deux membres de cette famille furent évêques de Lausanne. L’épiscopat de Jean, frère d’Humbert II, se lie aux luttes qu’une partie de la noblesse vaudoise, qui représentait le parti national, soutint contre la maison de Savoie qui cherchait à prendre pied dans le Pays de Vaud. L’élection de Jean de Cossonay, à laquelle le parti savoisien opposait celle de Philippe de Savoie, fut la cause des scènes sanglantes qui désolèrent la ville de Lausanne le jour de Pâques de l’année 1240. Enfin, et comme il arrive souvent, la domination de la maison de Savoie une fois établie dans la patrie de Vaud, les sires de Cossonay comptèrent au nombre de ses serviteurs les plus dévoués et Louis III, le dernier survivant mâle de cette ancienne race, jouit auprès d’elle d’une haute faveur. Il fut lieutenant général en deçà des monts, gouverneur de la Savoie et remplit auprès du comte Amédée VII les fonctions de conseiller.

Ce fut au milieu des orages de notre révolution politique de 1845 que M. de Charrière publia cette intéressante monographie sous le titre de Recherches sur les sires de Cossonay et sur ceux de Prangins, issus de leur famille. Elle forme la première partie du tome V des Mémoires et documents /311/ publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande. Elle est accompagnée de cinquante-quatre pièces justificatives, de planches, de sceaux et de trois tableaux généalogiques, dont les deux premiers nous donnent la filiation des barons de Cossonay et des seigneurs de Prangins et le troisième celle de la branche illégitime de cette famille.

C

e premier travail achevé, M. de Charrière en entreprit aussitôt un autre qui en formait pour ainsi dire le complément. Le moyen âge ne possédait pas, comme notre époque, une presse avide de recueillir et de conserver le souvenir des événements de quelque intérêt. Ceci était alors la tâche de quelques rares chroniqueurs et, dans les communes d’une certaine importance, c’était dans les registres des conseils que l’on consignait, et les notant fidèlement, les différents détails de la vie locale. En explorant les archives de Cossonay, M. de Charrière avait relevé avec soin, dans les anciens registres du conseil de cette ville, tous les faits capables de jeter du jour sur le développement de sa vie communale. Le travail qui en résulta nous montre la ville de Cossonay, d’abord dans ses rapports avec les seigneurs de ce nom, à la générosité desquels elle devait un code étendu de franchises, puis sous la domination de la maison de Savoie, période pendant laquelle elle fut l’une des villes qui envoyèrent des députés aux états de Vaud, puis enfin sous celle de Berne. Ce curieux spécimen, que M. de Charrière publia en 1847 et par lequel on peut se convaincre combien l’existence communale, cette base de toute bonne organisation politique, était ancienne et respectée dans notre pays, forme la seconde partie du tome V des Mémoires et documents de notre Société d’histoire et porte le titre de Chronique de la /312/ ville de Cossonay. L’auteur y conduit son lecteur jusqu’à la révolution politique de 1798. Ce livre, rempli de détails de mœurs piquants et auquel M. de Charrière a donné une rédaction qui rappelle, par sa simplicité, la naïveté des temps anciens, est la reproduction fidèle, la photographie pourrions nous presque dire, de l’esprit de cette époque. De même que le précédent, ce travail est suivi de quarante-deux pièces justificatives, parmi lesquelles se trouve la charte des libertés et franchises concédées, le 14 avril 1398, par Jeanne, dernière dame de Cossonay, à la ville et châtellenie de ce nom.

Cossonay possédait un prieuré de bénédictins. Fondation présumée, mais non certaine, du sire Humbert Ier, dans la première moitié du XIIe siècle, le prieuré de Saint-Pierre et de Saint-Paul dépendait de celui de Lutry, lequel était, à son tour, soumis au célèbre monastère de Savigny en Lyonnais. Retracer la vie de cette maison religieuse depuis sa première mention dans les documents jusqu’à sa sécularisation par l’état de Berne rentrait tout naturellement dans le cadre des études que M. de Charrière s’était proposé de faire sur sa ville natale. Ce troisième travail, moins considérable que les deux précédents, parut en 1849 dans le tome VIII de nos Mémoires et documents, sous le titre de Recherches sur le prieuré de Saint-Pierre et de Saint-Paul de Cossonay.

Vers la même époque, M. de Charrière eut un grand chagrin. Son frère cadet, Frédéric, fut enlevé, au mois d’avril 1849, dans la fleur de son âge, par la petite vérole. Frédéric de Charrière partageait les goûts historiques de son frère Louis. Dans une correspondance suivie, les deux frères se communiquaient leurs idées, leurs recherches, /313/ leurs découvertes. Déjà avantageusement connu par ses Recherches sur le couvent de Romainmôtier et ses possessions, M. Frédéric de Charrière se proposait de traiter de la même manière la fondation de la reine Berthe, la célèbre abbaye de Payerne. Un cartulaire, actuellement encore inédit, avait été réuni par lui dans ce but. En attendant de commencer ce travail, il voulait publier quelques pages sur le prieuré de Baulmes, dépendance de celui de Payerne. Les matériaux étaient réunis et le travail commencé lorsque la mort vint arrêter dans sa carrière le gracieux écrivain, si plein d’avenir. M. Louis de Charrière recueillit la succession intellectuelle de son frère. Le prieuré et la commune de Baulmes nous donnent quelques détails intéressants sur le beau village de ce nom, ainsi que sur l’ancienne maison religieuse qu’il renfermait. Celle- ci, fondée dans le VIIe siècle par Ermentrude, veuve de Rammelène, patrice de la Bourgogne Transjurane, finit par tomber en décadence et fut d’abord placée sous le patronage de l’abbaye de Payerne par Berthe, la fondatrice de cette dernière, et lui fut ensuite définitivement incorporée, en 1294, par l’abbé de Cluny.

Depuis la publication des premiers travaux de M. de Charrière, plusieurs communications diverses étaient venues compléter ses données premières. Fidèle à son système de répandre la vérité, il se hâta d’en faire part au public. Dans un petit mémoire intitulé : Quelques éclaircissements sur l’histoire des sires de Cossonay et de Prangins, il put offrir quelques détails complémentaires sur ce sujet. Ce travail est sans valeur aujourd’hui, car une nouvelle publication, dont nous parlerons bientôt, a réuni dès lors le résultat complet de ses investigations sur cette matière. /314/ Une autre du même genre : Eclaircissements relatifs à la situation de celui des châteaux de Mont qui appartenait aux sires de Prangins, précise l’emplacement du château dit des Dudes de Mont, siége de la seigneurie de Mont-le-Vieux. Ce sujet a aussi trouvé son développement complet dans deux publications ultérieures. Un troisième travail, L’église de Cossonay et ses chapelles à l’époque de la visite pastorale sous l’épiscopat de Georges de Saluce, nous donne quelques détails complémentaires sur l’église paroissiale de Cossonay et sur ses six chapelles, puisés dans le verbal de cette visite, qui eut lieu le 1er novembre 1453. De même que le Prieuré et la commune de Baulmes, ces trois derniers opuscules ont trouvé leur place dans le tome XIII des Mémoires et documents de notre Société d’histoire, publié en 1853.

Nous arrivons maintenant à l’un des travaux les plus originaux de M. de Charrière. Nous voulons parler du volumineux ouvrage publié par lui sous le titre de : Les fiefs nobles de la baronnie de Cossonay. Tout feudataire soit vassal noble était, on le sait, tenu, lorsqu’il en était requis, de spécifier son fief, de le reconnaître et d’en faire hommage à son suzerain, lequel, en retour, lui en accordait l’investiture. Cette spécification, que le suzerain exigeait de temps à autre et à laquelle il faisait procéder, de même que cela se pratique aujourd’hui pour la révision de nos cadastres, par des commissaires spéciaux, constituait ce qu’on appelait la rénovation des fiefs et le détail des biens reconnus était conservé dans un registre dit : grosse de reconnaissance féodale. C’est par l’étude de ces grosses que l’on se rend compte des différentes catégories de biens féodaux dont, en échange de son hommage, le vassal noble /315/ recevait l’investiture, ainsi que des obligations qui incombaient à ce dernier envers son suzerain. C’est en comparant entre elles les différentes rénovations qu’on peut suivre les mutations ou changements de mains subis par ces mêmes biens féodaux.

Les barons de Cossonay possédaient de nombreux feudataires soit vassaux nobles qui étaient astreints à suivre leur bannière. La plus ancienne rénovation des biens féodaux que ces derniers tenaient en vertu de l’hommage, la plus ancienne du moins qui soit parvenue jusqu’à nous, est celle qui fut faite en 1377 sur l’ordre de Louis II, seigneur de Cossonay et de Surpierre, par Martin Quartier de Loës, notaire et juré de la cour épiscopale de Lausanne. Puis, lorsque la maison de Savoie se fut appropriée la baronnie de Cossonay, le notaire Pipin, de Morges, commença en sa faveur une seconde rénovation qui fut continuée par Pierre d’Etoy, son fils et par Etienne Grillion, tous les deux de Morges, sous le règne du duc Amédée VIII et de son fils, le duc Louis. La troisième rénovation des fiefs nobles du château de Cossonay fut faite entre les années 1493 et 1500 par Michel Quisard, de Massongier, notaire à Nyon, puis, sous le régime bernois, Amé Mandrot, Claude Gaudin, Etienne Favre et Jean Pastor rénovèrent successivement en faveur de LL. EE. de Berne les fiefs nobles de la baronnie. A l’instance de Jean-Frédéric Steck, premier commissaire et rénovateur des fiefs nobles dans les bailliages de Morges, Nyon et Romainmôtier, de nouvelles rénovations furent encore faites, dans le courant du XVII siècle, par Nicolas Bulet et Claude Rolaz.

Lorsque M. de Charrière entreprit son œuvre, les grosses des reconnaissances de Mermet Pipin, celles de /316/ Pierre d’Etoy, d’Etienne Grillion et de Claude Rolaz ne se retrouvèrent pas. D’autres étaient incomplètes, mais chaque reconnaissance contenant une énumération sommaire des biens féodaux reconnus dans la précédente rénovation, il put, en partie, du moins, combler cette lacune. Son plan était d’extraire de chaque grosse les faits de nature à jeter un jour sur l’état féodal de l’ancienne baronnie de Cossonay et d’offrir ainsi, par ordre chronologique, successivement un abrégé de chaque rénovation. Il avait déjà achevé une partie de ce travail lorsqu’il reconnut que la lecture de son mémoire présenterait plus de lucidité s’il réunissait, dans un même article, tout ce qui concernait une seule localité. Un nouveau travail en fut la conséquence. Chaque endroit forme ainsi une espèce de monographie spéciale. L’auteur commence par nous donner l’histoire de l’ancienne châtellenie, qui comprenait, outre la ville de Cossonay, douze villages placés sous la jurisdiction immédiate du château. Il traite ensuite celle des lieux mixtes, ainsi nommés parce qu’une partie seulement de la jurisdiction appartenait au domaine du seigneur, puis il passe à ceux formant le ressort de la ville, qui contribuaient à sa fortification et qui marchaient sous sa bannière, mais dont la jurisdiction se trouvait dans des mains étrangères. Il aborde ensuite la seigneurie de l’Isle, mouvante de celle de Cossonay, mais possédant son propre ressort puis ceux des lieux démembrés de la baronnie qui formèrent plus tard les possessions de la maison de Collombier. Il termine par l’énumération des fiefs mouvants du château, mais situés en dehors de la baronnie. Le mémoire est accompagné de dix-neuf pièces justificatives et se termine par un répertoire des vassaux connus qui ont prêté /317/ hommage soit passé reconnaissance pour leurs biens dans les différentes rénovations.

Ce volumineux recueil de 890 pages fut publié en 1858 et forme le tome XV des Mémoires et documents de notre Société d’histoire. C’est un travail unique dans son genre, auquel nous ne connaissons aucun précédent et qui, selon toute apparence, ne sera point imité. Il nous retrace l’histoire de chaque seigneurie, depuis la famille de chevanciers qui portait originairement le nom du lieu jusqu’au boulversement politique de 1798. Aucun ouvrage, à notre connaissance du moins, ne fait mieux connaître dans ses différents détails les rapports hiérarchiques du moyen âge, ainsi que le mécanisme administratif du régime féodal en apparence si compliqué, mais en réalité si simple pour celui qui en possède la clef.

M. de Charrière semblait avoir ainsi épuisé la tâche qu’il s’était imposée d’élucider l’état féodal de l’ancienne baronnie de Cossonay. Mais une publication en appelle une autre et l’attention une fois éveillée sur un sujet historique, des découvertes nouvelles, des communications de toute espèce viennent se greffer, si nous osons employer ce terme, sur le sujet primitif. Il en avait été ainsi pour les premiers ouvrages de M. de Charrière, et il était maintenant à même de fournir quelque chose de beaucoup plus complet tant sur l’histoire des seigneurs que sur celle de la ville et du prieuré de Cossonay. Un motif particulier, d’ailleurs, justifiait sa prédilection pour l’histoire de cet endroit, et ce motif, il nous l’indique lui-même dans la préface d’un nouveau travail, dont nous allons parler, sur les seigneurs de ce lieu. « Cossonay, nous dit-il, est notre berceau et la ville de nos pères et il résultait de /318/ cette circonstance un intérêt spécial, une sorte de piété, dirons-nous, à sauver de l’oubli les faits et gestes des anciens seigneurs de cette ville, peu connus jusqu’alors. » Mais la Société d’histoire ne pouvait accueillir dans ses Mémoires de nouveaux travaux sur ces mêmes sujets. Alors M. de Charrière, après avoir composé, pour les garder en manuscrit, une nouvelle édition, infiniment plus complète, de sa Chronique de la ville de Cossonay et de ses Recherches sur le prieuré de Saint-Pierre et de Saint-Paul, se décida à publier, à ses propres frais, une nouvelle édition de ses Recherches sur les sires de Cossonay. Sous le titre quelque peu varié de : Recherches sur les dynastes de Cossonay et les diverses branches de leur famille, il fit paraître, en 1865, une monographie détaillée. Outre l’élucidation d’un certain nombre de points restés obscurs ou tout au moins douteux dans son premier travail et qu’il pouvait définir maintenant les chartes à la main, M. de Charrière y traite les relations politiques des barons de Cossonay, leurs rapports avec les recteurs de la Bourgogne Transjurane, leurs luttes contre la maison de Savoie, ainsi que leur amoindrissement par cette dernière, avec un développement que ne comportait pas la première édition. Ce travail contient de curieux détails sur la chevauchée, sur la primauté de certaines terres à bannière, sur la valeur de certains emblèmes héraldiques. M. de Charrière y maintient, en l’accentuant même davantage, la supposition déjà émise par lui dans son premier mémoire, d’après laquelle les barons de Cossonay seraient issus des comtes qui avaient gouverné l’ancien pays équestre, lequel, démembré lui-même du grand comté de Genève, comprenait le territoire situé entre le Jura, le Rhône, le Léman et l’Aubonne. /319/ La belle seigneurie de Cossonay, propriété allodiale, était, il est vrai, restée lors de la bifurcation des branches, la propriété du fils aîné, tandis que Prangins, qui relevait du sire de Gex et Nyon, qui mouvait de l’église de Besançon, étaient, de même que la terre de Mont-le-Vieux, devenus l’apanage du frère cadet. Cossonay, en outre, situé en dehors des limites du comté équestre, séparé de celui de Vaud par la rivière de l’Aubonne, n’avait donc rien de commun avec ce dernier. Mais si l’on considère que, jusqu’à l’établissement de la maison de Savoie dans le Pays de Vaud les seigneurs de Cossonay-Prangins usèrent du sceau équestre, attribut des maisons comtales, qu’Humbert Ier de Cossonay, premier seigneur de Prangins connu, de même que son fils et son petit-fils, prirent, sur leurs sceaux équestres cette dernière qualité seulement, ce qui paraîtrait donner à la terre de Prangins une supériorité sur les autres et si l’on rapproche ces faits des vastes propriétés contiguës des Cossonay-Prangins dans le territoire du comté équestre, l’on doit avouer que cette supposition a des chances en sa faveur. Un volumineux recueil de pièces justificatives formé de soixante-onze chartes inédites, un regeste soit inventaire des sources auxquelles l’auteur a puisé en dehors de ces chartes, un répertoire alphabétique des noms de lieux et de personnes mentionnés dans les documents, des tableaux généalogiques et des planches de sceaux accompagnent ce beau travail, pour lequel M. de Charrière avait adopté le format in-quarto et dont l’exécution typographique fait le plus grand honneur aux presses de M. Georges Bridel, son éditeur.

Cette publication eut le succès que méritaient les savantes et consciencieuses investigations de son auteur. /320/ Un témoignage flatteur ne tarda pas à le lui prouver. Sur la demande du comte Louis Cibrario, l’éminent auteur de l’Histoire de la monarchie de Savoie, S. M. le roi d’Italie lui conféra la croix de chevalier de l’ordre des SS. Maurice et Lazare 1. C’était la première récompense de ce genre que M. de Charrière obtenait comme prix de ses études bénédictines; aussi fut-il sensible au motif qui avait engagé le roi d’Italie à lui octroyer cette faveur. Bientôt après il reçut son diplôme de membre correspondant de l’Institut national genevois, section des sciences morales et politiques, d’archéologie et d’histoire, qualité que ce corps lui avait déjà conférée précédemment 2. Cette même distinction lui avait été accordée, quatre ans auparavant, par la Société d’histoire et d’archéologie de Genève 3.

M. de Charrière ayant ainsi définitivement terminé ses investigations sur l’ancienne baronnie de Cossonay entreprit aussitôt une nouvelle étude. L’origine de l’illustre famille de Grandson n’avait jamais été approfondie par un historien capable de soumettre à l’épreuve d’une saine critique les rares et obscurs documents qui nous donnent quelques détails sur ses premiers degrés. C’eût été, nous semble-t-il, au baron Frédéric de Gingins-La-Sarra, en sa double qualité d’éminent historien et de descendant de la maison de Grandson, qu’eût dû revenir l’honneur de ce travail. Pourquoi n’a-t-il jamais traité ce sujet qui semblait s’offrir naturellement à sa plume ? Nous l’ignorons. Un travail sur les dynastes de Grandson présentait bien des difficultés. Leur origine se perd dans l’obscurité du Xe siècle. On les trouve, sous les /321/ Rodolphiens, siégeant aux plaids royaux parmi les primats de la Transjurane. Les rares chartes qu’on possède sur eux et qui devancent de plus d’un siècle le premier document connu sur la maison de Cossonay, sont obscures. Souvent elles ne sont pas datées. Parfois, le même prénom y est donné à plusieurs individus appartenant à une même famille; d’autres fois, c’est un seul et même individu qui y est revêtu de qualifications différentes. Dynastes, ministériaux et bâtards y portent souvent le même nom. Le baron d’Estavayé, qui avait déjà tenté d’établir leur filiation, avait une connaissance trop imparfaite du régime féodal pour pouvoir suppléer au laconisme des chartes et son travail prêtait le flanc à de nombreuses critiques.

M. de Charrière se mit donc à l’oeuvre. Interprétant, à son tour, ces mêmes documents, il nous a tracé l’histoire de cette maison depuis Lambert, comte, et Adalbert, marquis, son frère cadet, mentionnés l’un et l’autre dans des chartes des années 981 et 982, fils d’Ilderude et probablement d’Hirchimbert, le premier mari de cette dernière et qu’on peut ainsi supposer avoir été l’ancêtre de nos dynastes, jusqu’à Ebal IV, mort en 1235, et qui fit le partage de ses vastes propriétés entre ses trois fils laïques lesquels formèrent les branches de La-Sarra, Champvent et Grandson-Grandson. Deux autres rameaux, ceux de Montricher et de Belmont, s’étaient déjà détachés précédemment. M. de Charrière ne pousse pas au delà d’Ebal IV cette monographie, la filiation de cette ancienne race, alliée de la maison de Savoie, qui avait placé plusieurs de ses membres sur les siéges épiscopaux de Lausanne, Genève, Bâle, Toul, Verdun, Laon et même Exeter en Angleterre, qui avait fondé l’abbaye du Lac de Joux et la /322/ chartreuse de la Lance, et dont on trouve même, paraît-il, un représentant parmi les guerriers qui aidèrent Guillaume de Normandie à conquérir l’Angleterre 1, ne présentant dès lors plus d’obscurité. Mais, dans les tableaux généalogiques qui accompagnent l’ouvrage et dont le premier résume le contenu du travail jusqu’aux enfants d’Ebal IV, il nous donne un résumé des destinées ultérieures de cette maison. La branche aînée, celle de La-Sarra, s’éteignit dans le XIIIe siècle déjà, et ses propriétés passèrent, par un mariage, dans la maison de Montferrand du comté de Bourgogne. Celle de Champvent atteignit le XIVe siècle et ses biens furent hérités par les Neuchâtel, puis par les Vergy. La branche de Belmont s’éteignit, il est vrai, de même dans le XIVe siècle, mais un rameau de cette famille, investi de la mestralie d’Yverdon, aurait, paraîtil, subsisté jusqu’à des temps relativement récents et se serait éteint vers la fin du siècle dernier dans la personne du littérateur d’Eyverdun, l’ami de Gibbon. La branche de Montricher finit dans ses rejetons légitimes au XVe siècle. Enfin la branche cadette, celle de Grandson, eut de hautes destinées et aussi de grands revers. Elle joua un rôle prépondérant dans la patrie de Vaud, où elle /323/ posseda, outre Grandson, les terres de Sainte-Croix, Cudrefin, Grandcourt, Bellerive et Aubonne. Un rameau de cette branche suivit Pierre de Savoie en Angleterre et y fit souche. Son nom et son titre, portés successivement par plusieurs familles, subsiste encore de nos jours. Après deux grandes catastrophes, la condamnation à mort, en 1339, de Hugues, sire de Grandson, accusé d’avoir fabriqué de faux titres, et le duel judiciaire bien connu d’Othon de Grandson, seigneur de Sainte-Croix et d’Aubonne, qui eut lieu à Bourg en Bresse en 1397, événements qui furent suivis l’un et l’autre de confiscation de biens, la maison de Grandson-Grandson put encore subsister avec éclat en Bourgogne, où un mariage l’avait mise, dans la seconde moitié du XIVe siècle, en possession de la belle terre de Pesmes. Son existence en Bourgogne fut aussi marquée par un événement tragique, la mort violente, en 1455, de Jean II de Grandson, sire de Pesmes, accusé de rébellion envers le duc Philippe le Bon. Cette branche s’éteignit la dernière dans le milieu du XVIe siècle.

Les dynastes de Grandson jusqu’au XIIIe siècle, titre sous lequel M. de Charrière fit paraître, en 1866, son travail, sont évidemment son œuvre magistrale. C’est ici qu’il révèle sa profonde connaissance du moyen âge, qui lui permet, au moyen d’une critique sévère, de redresser quelques allégations hasardées émises par d’autres historiens. Le texte de l’ouvrage est suivi de cinquante-deux chartes, dont plusieurs inédites. La plus ancienne est de 981, la plus moderne de 1238. Les documents non inédits ont été soigneusement collationnés sur les originaux, et un bon répertoire alphabétique accompagne l’ouvrage /324/ qui, de même que les Dynastes de Cossonay a été imprimé dans les ateliers de M. Georges Bridel, aux frais de son auteur, sous le format in-quarto.

Aux Dynastes de Grandson succéda bientôt un travail d’un nouveau genre. On connaît l’esprit remuant du peuple vallaisan dont l’histoire, au moyen âge, fut une longue guerre civile. Les luttes entre les évêques d’une part, et les nobles du Haut-Vallais d’autre part, auxquelles s’ajoutaient encore les mouvements des patriotes, prêtent aux événements des XIIIe et XIVe siècles un intérêt dramatique.

Parmi les nobles du Haut-Vallais, les Rarogne, les Naters, les Viége et d’autres encore, qui se signalaient par une haine ardente contre les évêques, les sires de la Tour, seigneurs de Châtillon, se distinguaient particulièrement par la violence de leurs passions et leur activité. Mayors héréditaires de Sion, fonction qu’ils tenaient en fief des évêques, cette qualité ne portait aucun préjudice à l’animosité héréditaire qu’ils portaient à ces prélats. Prenant selon toute apparence leur nom de la Tour, soit maison de la mayorie à Sion, les nobles de la Tour paraissent au milieu du XIIe siècle, tenant, en outre, en fief de l’abbaye de Saint-Maurice, les vidamies d’Ollon et de Vouvry. Dans une monographie publiée en 1867 dans le tome XXIV des Mémoires et documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande, M. de Charrière nous donne sous le titre de Les sires de la Tour, mayors de Sion, seigneurs de Châtillon en Vallais et leur maison, l’histoire de cette famille depuis Guillaume Ier de la Tour, qu’un document de l’année 1177 qualifie de baron soit feudataire du comte Humbert de Savoie. Il ressort d’un traité fait entre lui et l’évêque Conon que ses prédécesseurs avaient déjà possédé /325/ les offices de la mayorie de Sion, ainsi que la vidamie d’Ollon et de Vouvry. Guillaume Ier est donc la souche, de la maison de la Tour, quoique certaines présomptions puissent le faire supposer être fils d’un Raymond de la Tour, apparaissant en 1143. De Pierre, fils aîné de Guillaume, est issue une branche qui, peu illustre, s’éteignit au milieu du XIVe siècle. Aymon, second fils de Guillaume, fut l’auteur de celle dite de Châtillon. Cette branche eut de l’illustration. Les sires de Châtillon, mayors héréditaires de Sion et vidomnes de Conthey, s’allièrent aux Grandson, aux Greysier, aux Compeys, aux Rarogne, aux Biandrate. Pierre IV, bailli de Vaud, descendant d’Aymon Ier de la Tour au quatrième degré, est connu par ses interminables démêlés avec l’évêque Boniface de Challant. Il fit alliance avec les barons de l’Oberland bernois pour combattre la ville de Berne, alliée de l’évêque. Jean de la Tour, chevalier, l’aîné des fils de Pierre IV, fut coseigneur de Frutigen, gouverneur de Milan et seigneur engagiste de Laupen. Son épouse, Elisabeth de Waediswyl, apporta la seigneurie de Frutigen dans sa famille qui fut ainsi que celle de Muhlenen possédée par son fils Pierre V. Celui- ci, recteur du Vallais épiscopal, possesseur des vallées de Chouson soit Saint-Nicolas, de Praborgne ou Zermatt et de Loetschen, eut de nombreuses querelles avec l’évêque Guichard Tavelli, lesquelles furent continuées par son fils Antoine, le dernier rejeton de cette race belliqueuse. Expulsé du Vallais après la fin dramatique de l’évêque qui fut, on le sait, précipité par les serviteurs d’Antoine de la Tour du haut du rocher sur lequel était le château de la Soie, il devint seigneur d’Arconciel, d’Illens et d’Attalens, châtelain de Romont et seigneur engagiste de Corbières, et finit ses jours auprès de sa fille et héritière, /326/ Jeanne, épouse de Jean de la Baume, seigneur de Vallufin et de l’Abergement.

De Chabert soit Chalbert dela Tour, second fils d’Aymon Ier et de Marguerite de Morestel, son épouse, était issue une branche dont la destinée, plus modeste fut cependant honorable. Quittant le nom de la Tour pour celui de Morestel elle posséda la coseigneurie de Granges et la vidamie de Bagnes et s’éteignit en 1366 dans la personne de Perrod II, époux d’Antonie de Sarriou. Enfin une famille de la Tour, à laquelle M. de Charrière consacre quelques pages et qu’il croit avoir été des milites des premiers, vivait à Saint-Maurice. Les rares documents qui la concernent ne permettent d’établir aucune liaison entre elle et les seigneurs de Châtillon.

Le travail de M. de Charrière sur la famille de la Tour offre beaucoup d’intérêt. Quittant son champ d’investigation ordinaire, la patrie de Vaud, il nous transporte au milieu de ce peuple vallaisan dont, nous dit-il dans sa préface, « le caractère au moyen âge s’harmonisait avec la nature âpre et sauvage du pays qu’il habitait. » Pour la première fois aussi il passe, historiquement parlant, les monts pour nous transporter dans l’Oberland bernois, où les sires de la Tour ainsi que les autres nobles du Haut-Vallais trouvaient, parmi les seigneurs de cette contrée, des alliés pour les soutenir dans leurs luttes contre les évêques en appuyant de leur côté les querelles de ces mêmes seigneurs avec la ville de Berne. Un recueil de soixante-onze chartes, dues, pour la plupart, à l’obligeance de M. l’abbé Gremaud, de Fribourg, l’auteur des beaux cartulaires sur le Vallais que la Société d’histoire publie dans ce moment, et qui fut toujours pour M. de Charrière un /327/ collègue complaisant ainsi qu’un excellent ami, accompagne ce mémoire. Il se termine par un répertoire alphabétique des noms contenus dans les pièces justificatives, par une planche représentant le sceau de Pierre V de la Tour et par trois tableaux généalogiques, dont les deux premiers résument la filiation des seigneurs de Châtillon et le troisième celle de la descendance de Chalbert, l’auteur de la branche dite de Morestel.

Le tome XXIV des Mémoires et documents contient encore un opuscule de M. de Charrière : Le vidomnat de Morges et ses attributions. Après avoir énuméré les attributions de cet office, que son possesseur tenait en fief, sous hommage lige, du souverain et dont la première mention se trouve dans un projet de paix, probablement de l’année 1297, entre Louis de Savoie, sire de Vaud, et Jean III de Cossonay, l’auteur nous donne une rapide esquisse de ses destinées. Le vidomnat de Morges fut possédé d’abord par la famille de Chantonnay. En 1384, il appartenait aux nobles du Solier ou du Soleil (aujourd’hui Solar de la Marguerite, en Piémont). Un siècle plus tard on le trouve dans les mains de la famille Marval de Gex, d’où il passa aux nobles de Menthon qui le vendirent, en 1552, au gouvernement bernois. Tombé dans le domaine de l’Etat, l’office du vidomnat ne fut plus exercé dès lors.

Le tome XXVI de nos Mémoires et documents, publié en 1870, contient une nouvelle et intéressante série d’ouvrages de M. de Charrière. Quatre nouveaux travaux y trouvèrent place : 1o Les fiefs nobles de la baronnie de Cossonay, supplément au tome XV des Mémoires et documents; 2o Observations relatives au mémoire intitulé : Les sires de la /328/ Tour, mayors de Sion; 3o Les dynastes d’Aubonne et 4o Les premiers seigneurs de Mont.

Ainsi que son titre l’indique, le premier de ces travaux est un supplément, soit complément, de celui publié, en 1858, sur cette matière. M. de Charrière, nous l’avons déjà dit, n’avait pu retrouver la rénovation faite, à l’instance du commissaire Steck, dans le XVIIe siècle, par Claude Rolaz. Depuis lors, la nomination d’un nouvel archiviste d’Etat, M. Aymon de Crousaz, ainsi qu’un meilleur ordre apporté par ce dernier dans la classification des documents, avaient fait retrouver ce titre. M. de Charrière était à même de combler, en partie du moins, les lacunes de son précédent mémoire. Son nouveau travail, pour lequel il a adopté le même ordre que pour le premier, se termine par la reconnaissance que Jeanne, dernière dame de Cossonay, dut faire en 1404 de sa baronnie en faveur du comte Amédée VIII de Savoie. Ce document avait été trouvé récemment dans les archives de l’état de Fribourg. Ce supplément est accompagné de six pièces justificatives dont la première, une antique charte de la vingt-troisième année du règne du roi Conrad, soit environ de l’année 958, stipule une donation de biens à Disy et prouve ainsi l’ancienneté de ce village.

Les Observations relatives au mémoire sur les sires de la Tour sont un opuscule d’une dixaine de pages dans lequel M. de Charrière rectifie d’une part et complète de l’autre quelques données émises par lui dans son premier travail.

Les Dynastes d’Aubonne sont l’histoire de la baronnie de ce nom. Nous ne connaissons, dans la patrie de Vaud, aucune terre qui ait subi d’aussi nombreux changements de mains, et de nombreuses familles se sont succédé dans /329/ la possession de cette belle seigneurie depuis l’ancienne race féodale qui en portait le nom, jusqu’à la vente qui en fut faite dans le XVIIIe siècle à l’état de Berne. Turumbert, le premier propriétaire connu de cette terre allodiale, apparaît avec Dodon d’Aubonne, son frère, ainsi qu’on peut l’admettre avec quelque certitude, parmi les primats du royaume qui siégèrent au plaid d’Eysins dans la neuvième année du règne du roi Rodolphe III, soit en 1002. Turumbert fut donc l’ancêtre de la maison d’Aubonne qui conserva cette propriété pendant six générations jusqu’à Guerric, chevalier, lequel, en cédant en 1259 sa seigneurie au comte Pierre de Savoie, devint ainsi l’une des victimes de la politique spoliatrice de ce dernier. La descendance du chevalier Guerric ne survécut pas longtemps à cette cession forcée, mais une branche issue de Jacques II, frère de Guerric d’Aubonne, posséda la coseigneurie du lieu jusqu’à l’extinction de cette famille, en 1458, dans la personne de Marguerite soit Margot, fille d’Antoine, coseigneur d’Aubonne. Une autre branche, établie à Lausanne où elle avait acquis droit de cité, s’y était déjà éteinte en 1398.

Depuis l’abandon que le chevalier Guerric avait dû faire de sa baronnie, celle-ci subit de nombreuses péripéties. Cédée par Béatrice, comtesse du Viennois et dame de Faucigny, fille du comte Pierre de Savoie, à sa tante maternelle, Béatrice de Faucigny, dame de Thoire et Villars, cette terre devint successivement la propriété des Alamandi, des Grandson, des Gruyère et d’autres encore. Confisquée après la fin tragique du chevalier Othon de Grandson, puis subhastée au comte Michel de Gruyère, la seigneurie d’Aubonne tomba encore deux fois en commise ensuite d’une accusation de haute trahison envers LL. EE. de Berne, /330/ formulée contre deux de ses seigneurs, le baron François Vilain, en 1583, et le baron François de Lettes, en 1615. En 1701, elle fut vendue par Henri du Quesne, dernier baron d’Aubonne et fils du célèbre amiral de ce nom, à l’état de Berne, qui en fit un bailliage.

La coseigneurie, nous l’avons déjà dit, fut l’apanage d’une branche collatérale. De Marguerite ou Margot d’Aubonne, déjà citée et veuve de Henri, seigneur de Montricher, elle passa aux parents maternels de celle-ci, les nobles de Menthon. Ces derniers la possédèrent jusque dans la seconde moitié du XVIe siècle. Fractionnée à cette époque, une partie, celle située dans la ville même, passa, à titre de réintégrande, dans les mains du baron d’Aubonne et resta dès lors réunie à la seigneurie. L’autre partie qui se trouvait en dehors de la ville et qu’on désignait sous le nom de coseigneurie en dehors des franchises, devint la propriété du seigneur de Lavigny. Elle fit, dès lors, partie de la châtellenie de ce lieu avec lequel elle devint, en 1691, la propriété des nobles de Mestral qui la revendirent, en 1754, à l’état de Berne.

Tel est, en résumé, le mémoire de M. de Charrière sur les dynastes d’Aubonne. Il est accompagné de quatre tableaux généalogiques, dont le premier résume la descendance des seigneurs, le second celle des coseigneurs d’Aubonne et le troisième celle des nobles de ce nom qui furent citoyens de Lausanne. Le quatrième tableau donne la filiation de la branche de la famille de Menthon qui posséda la coseigneurie de l’endroit. Trois planches de sceaux, quarante-deux pièces justificatives et quelques chartes supplémentaires, ainsi qu’un répertoire alphabétique, accompagnent ce travail. /331/

La belle seigneurie de Mont (le Grand) soit des Monts, voisine de celle d’Aubonne, était aussi la propriété d’une famille féodale qui remontait au sire Louis de Mont, le fondateur, au XIIe siècle, de la chartreuse d’Oujon. Etait-il le descendant de ces autres seigneurs de Mont que l’on voit apparaitre déjà vers la fin du Xe siècle et dans le siècle suivant ? Telle est la question que M. de Charrière se pose et c’est pour la résoudre qu’il nous donne, sous le titre Les premiers seigneurs de Mont, le résultat de ses recherches sur ce sujet.

Amalric 1er est l’auteur de ces anciens seigneurs. Dans une charte de 996 datée du bourg de Sainte-Marie, dit le châtel de Mont, et dans laquelle le prêtre Marin fait au couvent de Romainmôtier une donation de biens à Bougel, dans le comté équestre, Amalric est qualifié de sénieur. Ce titre, comme le fait observer M. de Charrière, dénote un rang élevé, puisqu’il est aussi celui attribué à Adalbert, primat du château de Grandson et fils du comte Lambert. Amalric Ier de Mont était-il le même personnage que ce comte Amalric, apparaissant, avec son fils Adalgaud soit Adalgold, six ans plus tard, dans la neuvième année du règne du roi Rodolphe, au plaid d’Eysins parmi les primats du royaume et que M. Frédéric de Gingins, dans son Histoire de la cité et du canton des équestres, nous indique comme ayant été le quatrième des comtes connus qui gouvernèrent le canton soit comté équestre ? M. de Gingins voit dans ce dernier l’auteur des seigneurs de Mont, tandis que M. de Charrière, sans repousser absolument cette opinion, estime cependant que la qualité de comte, attribuée par M. de Gingins au sire Amalric de Mont, n’est pas suffisamment établie par le texte même de l’instrument de /332/ donation du prêtre Marin. A l’objection qu’Amalric de Mont aurait pu être investi de cette dignité dans l’intervalle compris entre cette donation et le plaid d’Eysins, M. de Charrière répond qu’une charte de 1002, l’année même du plaid d’Eysins, nous montre un Amalric qui devrait être celui auquel M. de Gingins attribue la qualité de comte (puisqu’il est, comme celui-ci, accompagné d’un frère nommé Adalgold), mais cette fois non titré. Bien des obscurités planent ainsi, tant sur Amalric, le comte équestre, que sur son homonyme, le seigneur de Mont, et ils sont tous les deux enveloppés de ce voile épais qui dérobe aux yeux de la postérité tout ce qui concerne le comté équestre. Quoi qu’il en soit, les premiers seigneurs de Mont étaient gens haut placés. Quelques rares transactions, principalement avec le couvent de Romainmôtier, sont, ainsi que le prouvent les cinq pièces justificatives qui accompagnent le mémoire, tout ce que les documents nous révèlent sur eux. Un essai d’un tableau généalogique qui accompagne le travail et dont seuls les trois premiers degrés sont prouvés, nous conduit jusqu’aux trois fils d’Alwide de Mont. Celle-ci qui vivait en 1097 et dont le mari est inconnu, mais qui paraît avoir été un noble d’origine germanique, serait, selon M. de Charrière, le chaînon qui pourrait relier la première maison de Mont à la seconde. Il estime que Louis de Mont, l’ancêtre de celle-ci, serait issu de l’un des fils d’Alwide et cela d’autant plus que des deux fils du sire Louis, l’un se nommait Conon et l’autre Amalric, prénoms qu’on retrouve chez les seigneurs de Mont de la première race.

C’est dans le tome XXVIII des Mémoires et documents de notre Société d’histoire que se trouve consigné ce que les /333/ chartes nous ont révélé sur la descendance de Louis de Mont. Les dynastes de Mont, soit des Monts, seconde maison, nous donnent l’histoire de cette famille, ainsi que celle de leur seigneurie, qu’il ne faut pas confondre avec sa voisine, celle de Mont-le-Vieux, à laquelle, à ce que M. de Charrière suppose, elle aurait été réunie jadis, mais dont elle aurait été démembrée à une époque reculée et dont les documents ne font pas mention. La seigneurie des Monts, connue plus tard sous le nom de Mont-le-Grand, était l’une des grandes terres immédiates de la patrie de Vaud qui portèrent avec le temps le titre de baronnie. Elle fut possédée par les nobles de ce nom de la deuxième race depuis Louis, le petit-fils présumé d’Alwide de Mont, déjà cité, et qui fonda, dans le XIIe siècle, la chartreuse d’Oujon, jusqu’à l’extinction de leur branche principale dans la personne d’Artaud, soit Altaud, sire des Monts, qui mourut, jeune encore, vers la fin du XIVe ou le commencement du XVe siècle. Des trois branches collatérales de la famille de Mont l’une, qui possédait la seigneurie de Genollier, ne dépassa pas le XIIIe siècle. Une autre, qui prit le nom de Mollens, finit dans le XVe siècle. Enfin, par suite d’une alliance avec la riche famille Conon de Cossonay, une troisième branche, qui avait trouvé dans cette dernière ville, ainsi qu’à Aubonne, une existence honorable, put atteindre le XVIIe siècle. Quant à la seigneurie de Mont, elle passa, après la mort d’Altaud, successivement dans les familles de La-Sarra-Montferrand, de Saint-Trivier et de Bellegarde; cette dernière la possédait lors de la conquête bernoise. Acquise et possédée momentanément par le comte Michel de Gruyère, aventurier bien connu dont la main malheureuse se retrouve dans presque toutes les affaires litigieuses de /334/ cette époque, la terre de Mont devint, après des péripéties diverses et d’interminables difficultés, la propriété définitive, en 1555 et 1556, du trésorier Jean Steiger, plus tard avoyer de Berne, lequel, ainsi que nous le verrons bientôt, acquit aussi, peu après, la seigneurie voisine de Rolle et Mont-le-Vieux. Elle était, en 1798, dans les mains de la famille Kirchberger, de Berne. M. de Charrière termine son mémoire par quelques détails complémentaires sur la coseigneurie d’Aubonne, par vingt-quatre pièces justificatives, par cinq chartes supplémentaires sur les seigneurs de Mont et par deux sur ceux d’Aubonne, enfin par un répertoire alphabétique et deux planches de sceaux.

Les dynastes de La-Sarra et la baronnie de ce nom, publiés dans le même tome XXVIII des Mémoires et documents à la suite des Dynastes de Mont, forment, sous quelques rapports, la continuation des travaux de M. de Charrière sur la maison de Grandson. Ebal IV, ce seigneur auquel une curieuse légende attribue une longévité exceptionnelle avait, nous l’avons déjà rapporté, fait entre ses fils le partage de ses belles seigneuries. A Gérard, l’aîné, était advenue celle de La-Sarra que sa petite-fille, Henriette, fit bientôt passer dans la maison de Montferrand. Entée sur la maison de Grandson-La-Sarra, celle de Montferrand posséda cette baronnie jusqu’à Barthélemy, seigneur remuant et obstiné, qui mourut sans postérité légitime aux environs de l’année 1505. Antoinette, sœur de Barthélemy de La-Sarra, ayant épousé Michel Mangerot, seigneur de la Bruyère en Bourgogne, la terre de La-Sarra devint la propriété du fils de ce dernier, nommé Michel comme son père. Mais elle lui fut disputée par plusieurs compétiteurs et Michel Mangerot, qui s’était signalé comme l’un des /335/ chefs les plus zélés de la ligue de la Cuiller, vit sa baronnie de La-Sarra confisquée par les Bernois et fut se réfugier en Bourgogne. Claude de Gilliers, son épouse, en obtint cependant pour elle-même la restitution. Devenue veuve, elle se remaria avec François de Gingins. La baronnie de La-Sarra fut dès lors la propriété de cette dernière famille, dont M. de Charrière nous donne aussi l’histoire. Revenant en arrière, il nous la décrit depuis Etienne, le frère présumé de Vaucher de Divonne, le fondateur, dans le XIIe siècle, de l’abbaye de Bonmont. Il nous dépeint la position éminente de la maison de Gingins à la cour de Savoie, les charges qu’elle y remplissait, ses nombreuses seigneuries, celle de Gingins, son patrimoine, qui était un franc-alleu; celle du Châtelard, qu’elle avait fondée et qu’elle dut aliéner ensuite; celle de Divonne, qu’un procédé déloyal lui fit perdre. Puis il nous donne l’histoire de la baronnie de La-Sarra sous sa domination, ses rapports avec l’état de Berne qui cherchait, en les fractionnant, à amoindrir les grandes seigneuries du pays. L’ouvrage se termine à la révolution politique de 1798. Il est accompagné de six tableaux généalogiques. Les deux premiers résument la maison de Montferrand, depuis Humbert, l’époux de Henriette de La-Sarra, jusqu’à Michel Mangerot. Le troisième nous donne la filiation d’une branche collatérale de cette maison, celle des seigneurs de Bossonens et de Cheseaux. Les quatre tableaux suivants nous montrent la descendance de Jean II de Gingins, la neuvième génération connue de sa famille, vivant dans XVe siècle, l’époux de Marguerite de La-Sarra, et qui avait, tant en France qu’en Bourgogne, fourni une brillante carrière militaire. Il était seigneur de Gingins, Divonne, Belmont en Sémine et autres lieux, et /336/ avait fondé la seigneurie et construit le château du Châtelard. Ces tableaux nous conduisent jusqu’aux membres actuellement existants de cette famille historique. Enfin, un tableau supplémentaire, destiné à faciliter l’intelligence des premières pages du travail, est en quelque sorte la reproduction de celui qui accompagne les Dynastes de Grandson et donne leur filiation depuis Adalbert II, sénieur et primat du château de Grandson, fils du comte Lambert I, jusqu’à Henriette, l’épouse d’Humbert de Montferrand. Cinq planches, dues au crayon de M. Charles Bugnion fils, à l’obligeance duquel M. de Charrière devait déjà plusieurs des dessins qui ornent ses précédents travaux, nous donnent la reproduction de monuments, d’écussons, de cachets et d’autres souvenirs historiques intéressants que l’on conserve au château de La-Sarra.

Le travail sur la baronnie de La-Sarra est le dernier dont M. de Charrière ait pu diriger lui-même la publication. Trois opuscules posthumes de lui viennent de paraître dans le tome XXXIV des Mémoires de notre Société d’histoire. Le premier, La baronnie de Rolle et Mont-le-Vieux, est l’histoire de celle des seigneuries de Mont, déjà citée par nous à plusieurs reprises, qu’on désignait sous le nom de Vieux, pour la distinguer de celle de Mont-le-Grand, soit des Monts, sa voisine. Elle faisait, nous l’avons déjà rapporté, partie, dans le principe, des vastes propriétés de la maison de Cossonay-Prangins dans l’ancien comté équestre. Son siége, le château dit des Dudes de Mont, auquel une châtellenie était attachée et dont l’emplacement est encore marqué de nos jours par une ferme de ce nom, se trouvait à l’occident de Bugnoux, non loin de ce village. Après la guerre que le comte Aniédée V de Savoie et son /337/ frère Louis soutinrent, en 1293, contre le sire Aymon de Prangins et qui entraîna, pour ce dernier, la perte de ses propriétés dans le comté équestre, ce fut Louis Ier, baron de Vaud, qui paraît comme seigneur de Mont, et l’ancien château des Dudes, que M. de Charrière croit avoir été pris et peut-être détruit dans cette guerre, avait fait place à un autre manoir situé à l’orient du premier, au-dessus de Bugnoux. Catherine, fille de Louis II de Vaud, inféoda, en 1359, la terre de Mont à Guillaume de la Baume, et la famille de ce dernier l’apporta bientôt après dans celle de Viry.

Une autre seigneurie, celle de Rolle, s’était formée dans le voisinage. C’était sur un terrain dépendant de la seigneurie de Mont-le-Grand qu’avait été construit, l’on ignore par qui, le château de Rolle qu’Aymon de Salenove tenait, en 1294, en fief du comte Amédée de Savoie. Le château et le mandement de Rolle passèrent bientôt après, sans doute par acquisition, à la famille de Greilly, celle qui, plus tard, porta le nom de Foix, et furent revendus, en 1455, au seigneur de Mont-le-Vieux, Amédée de Viry. Rolle et Mont-le-Vieux formèrent bientôt une seule et même seigneurie, dont le château de Rolle devint le siége, celui de Mont ayant été détruit, en 1475, par les Suisses. La seigneurie fut ensuite possédée par la famille de Beaufort, et même pendant quelque temps par le comte Michel de Gruyère. Enfin, ainsi que nous l’avons rapporté à propos de celle de Mont-le-Grand, ce fut le trésorier Jean Steiger, possesseur de cette dernière, qui acheta, en 1558, des hoirs de Jean Amey de Beaufort, la terre de Rolle et Mont-le-Vieux. La descendance du trésorier Steiger posséda les deux seigneuries de Mont, tantôt réunies, tantôt séparées. En 1798, /338/ elles étaient l’une et l’autre la propriété de la famille Kirchberger de Berne. Ce travail, qui a pour sources les différentes rénovations de la seigneurie de Rolle et Mont-le-Vieux, soit avant, soit depuis leur réunion, se termine par d’intéressants détails sur la spoliation, par les Brûle-papiers, des riches archives de cette terre, ainsi que sur le dommage matériel considérable que l’abolition des droits féodaux fit éprouver à la famille Kirchberger.

Le second des ouvrages posthumes de M. de Charrière a pour titre : De l’origine de la famille de Goumoëns. C’est un exposé de ce que quelques rares documents nous ont conservé sur les premiers degrés de cette famille, sans contredit l’une des plus anciennes de notre noblesse indigène. Létalde de Goumoëns apparaît comme témoin d’une donation au couvent de Romainmôtier, dans un document non daté, mais qui paraît être de la seconde moitié du XIe siècle. Un autre document, à peu près de la même époque, nous fait connaître Anna de Goumoëns, la sœur de Létalde, puis un troisième, de l’année 1096, nous révèle l’existence de Burchard de Goumoëns, titré dominus, et vidomne du bourg d’Orbe. Les neveux de Létalde soit Littold de Goumoëns prirent un vol élevé : Conon Ier, dans une donation au couvent de Romainmôtier, entre les années 1097 et 1108, y est titré dominus. Son frère Albert est témoin 1, en 1090, de la fondation du prieuré de Chamounix par le comte Aymon de Genève. Widon, un troisième neveu de Littold, connu sous le nom de Guy Barata, fut l’un des principaux bienfaiteurs, on peut même presque dire le fondateur de /339/ l’abbaye de Théla, soit de Montheron. Guy II, dit le Roux, chevalier, petit-fils de Guy Barata, tint en fief de l’évêque de Lausanne la foresterie du Jorat et fut l’auteur des nobles de Goumoëns, seigneurs de Goumoëns-le-Jux, avoués de l’abbaye de Montheron et forestiers du Jorat. Cette branche, qui était sans doute l’aînée de celles issues de Guy Barata, s’est éteinte dans le XVe siècle. M. de Charrière croit aussi pouvoir relier à Guy Barata la branche des nobles de Goumoëns-le-Châtel. Quant à celle des seigneurs de Goumoëns-la-Ville, la seule qui existe encore aujourd’hui, il estime pouvoir la rattacher à l’aîné des neveux de Létalde, Conon Ier de Goumoëns, titré dominus dans l’acte de donation au couvent de Romainmôtier. Trois tableaux généalogiques accompagnent cet opuscule. Le premier est un essai de filiation de la descendance de Conon Ier. Le second nous donne celle de Guy Barata, neveu de Létalde, jusqu’à Guy II, dit le Roux, chevalier et forestier du Jorat en 1254. Enfin, le troisième rapporte ce que les documents nous ont conservé sur la descendance de ce dernier jusque dans le XVe siècle.

Le troisième et dernier ouvrage posthume de M. de Charrière, celui auquel il travailla pendant les instants de répit que sa dernière maladie lui laissa, est un opuscule qui forme un nouveau complément de ses précédents travaux sur le Vallais. Sous le titre : Supplément au mémoire intitulé : Les sires de la Tour, mayors de Sion, il nous y donne encore quelques détails sur Pierre IV, Pierre V et Antoine, les membres les plus remuants de la famille de la Tour-Châtillon, auxquels il ajoute quelques rectifications sur la branche qui porta le nom de Morestel. La principale modification concerne Pierre III de la Tour, soit Pierre Ier de Morestel. /340/ D’après les deux dates extrêmes de 1233 et 1297, sous lesquelles il apparaît dans les documents, on pourrait supposer qu’il aurait atteint un âge fort avancé, tandis que la teneur d’un titre de 1281 permettrait d’admettre maintenant l’existence de deux Pierre de la Tour dont le second aurait été le neveu et l’héritier du premier. Quoique appuyée sur d’assez faibles preuves, cette opinion, que M. de Charrière eût peut-être encore modifiée s’il lui eût été donné de poursuivre ses recherches sur ce sujet, a cependant quelque valeur comme étant le point de vue auquel il se plaçait au moment où, près de terminer sa carrière historique, il consacrait ses dernières forces à la composition de ce mémoire. Un tableau généalogique qui l’accompagne est une reproduction corrigée du tableau III de l’ouvrage principal.

Telle est, en résumé, l’œuvre historique de M. de Charrière. On peut dire qu’il nous a appris à connaître le moyen âge dans son esprit, dans ses tendances, dans sa vie intime. Ses écrits sont comme un miroir fidèle de cette époque. Personne, mieux que lui, ne savait saisir l’esprit des chartes. D’une exactitude scrupuleuse, il ne caressait point, comme le font quelques historiens, certains systèmes favoris auxquels ils rapportent les événements, mais il prenait les documents comme son guide unique, n’avançant aucun fait qui ne fût rigoureusement prouvé. Et s’il lui arrivait parfois de commettre certaines erreurs dans lesquelles l’historien le plus consciencieux peut tomber, il ne manquait jamais, dans une publication suivante, de les rectifier. Aussi n’a-t-il jamais été dans le cas de soutenir, contre d’autres savants, certaines polémiques passionnées qui, tout en déshonorant la science, sont peu conformes au but élevé qu’elle doit poursuivre. /341/

M. de Charrière s’est surtout attaché à nous décrire l’état féodal de la partie occidentale de notre pays. M. de Gingins avait, il est vrai, déjà fourni d’excellents travaux sur Orbe, sur les possessions de la maison de Montfaucon et sur l’abbaye du lac de Joux. Il s’était associé de même aux recherches de M. Frédéric de Charrière sur le couvent de Romainmôtier. M. le professeur Hisely avait aussi donné une intéressante monographie sur la chartreuse d’Oujon. Quelques autres travaux partiels, moins importants, étaient venus s’ajouter à ceux-ci, mais c’est, on peut le dire, à M. de Charrière que revient le mérite d’avoir fait le reste et d’avoir élucidé le passé de cette belle contrée de la patrie de Vaud, si riche en souvenirs féodaux et qui s’élève depuis la Venoge en gradins successifs jusqu’aux pentes boisées du Jura.

Nous avons, pour ne pas interrompre cet examen de son œuvre historique, quelque peu négligé les détails de sa vie privée. Nous y reviendrons en nous reportant au temps où, arrivant d’Allemagne, il s’établissait dans sa propriété de Senarclens. Ce fut dans cette campagne que M. de Charrière passa dès lors la belle saison, se transportant avec sa famille à Lausanne pour l’hiver. Après notre révolution de 1845, il fut séjourner pour quelque temps à Neuchâtel, qui était, à cette époque, sous le régime de la Prusse et qui jouissait encore d’une tranquillité qui contrastait avec les agitations de notre malheureuse patrie. Les excellents établissements d’éducation de cette ville lui offraient d’ailleurs des ressources pour les études de son fils. M. de Charrière passa ensuite l’hiver de 1846 à 1847 à Montpellier, dans le midi de la France, pour la santé de Mme de Charrière qui n’avait jamais pu se remettre complétement de l’émotion que lui avaient fait éprouver certaines scènes de /342/ violence de notre révolution vaudoise. Le climat de Montpellier ne convint pas à M. de Charrière. Il revint en Suisse assez souffrant, mais ne tarda pas à se remettre sous l’influence de l’air natal. L’automne suivant, il dut se rendre subitement à Stuttgardt, où son fils était tombé malade. Il y passa le reste de l’hiver, ayant la mauvaise chance d’assister aux orages de la révolution allemande après avoir déjà traversé toutes les phases de nos révolutions suisses. En 1849, M. de Charrière eut, nous l’avons déjà dit, la douleur de perdre son frère Frédéric, puis, en 1858, son frère Paul. En 1863, il eut encore le grand chagrin de voir la tombe se fermer sur son ami, M. Frédéric de Gingins. Depuis la perte que ce dernier avait faite, douze ans auparavant, de sa spirituelle épouse dont la grâce et le dévouement avaient, on peut le dire, embelli son existence, il était devenu pour ses amis et pour M. de Charrière en particulier l’objet d’une sollicitude affectueuse, conforme à leur ancienne amitié, ainsi qu’à la communauté de leurs goûts historiques. En 1864, à la réunion d’automne, tenue à Neuchâtel, de notre Société d’histoire, ce dernier donna sa démission de la place de secrétaire-caissier qu’il avait occupée pendant vingt-cinq ans. En 1866, un nouveau vide se produisit parmi ses amis dans la personne de l’excellent professeur Hisely, dont l’amitié et la complaisance pour lui ne s’étaient jamais démenties. En 1867, M. de Charrière fut gravement atteint dans ses affections par la mort de son épouse qu’il eut la douleur de perdre, au mois de mai, d’une maladie de langueur.

Devenu veuf, M. de Charrière se livra, plus que jamais, aux études historiques dans lesquelles il trouvait une puissante diversion à son chagrin. Amateur passionné de la /343/ belle nature, il chercha de même quelques distractions dans celles de nos montagnes que l’on pouvait atteindre sans trop de fatigue. Les Grisons, dont les beautés venaient d’être rendues plus accessibles par l’établissement de nouvelles routes alpestres, lui offrirent de vives jouissances et l’auteur de ces lignes gardera toujours le souvenir des charmantes excursions entreprises avec lui et dans lesquelles ils visitèrent ensemble, à plusieurs reprises, les vallées du Rhin supérieur, l’Engadine, la Valteline, le Stelvio, Davos, le Prættigau et d’autres encore. M. de Charrière aimait à se retremper dans ces grandes scènes de la nature. En les contemplant, l’homme éprouve, il est vrai, un vif sentiment de sa faiblesse, mais son âme s’élève en même temps vers Celui qui seul fut assez puissant pour les sortir du néant.

Quoique souffrant parfois, sa santé se soutenait passablement. De grandes promenades qu’il faisait journellement en été dans les environs de Senarclens, séjour qu’il affectionnait particulièrement, contribuaient au maintien de ses forces et il éprouvait une véritable jouissance à parcourir ainsi cette ancienne baronnie de Cossonay dont il avait éclairci l’histoire et dont chaque village, chaque hameau lui offrait un souvenir historique. Mais au printemps de l’année 1873, peu après son installation d’été à la campagne, il tomba sérieusement malade. Une grave opération devint nécessaire. M. de Charrière la subit courageusement. La force de sa constitution lui permit de surmonter cette crise. Un séjour à la montagne acheva sa guérison et il semblait avoir retrouvé son ancienne vigueur lorsque, dans les derniers jours de l’année, la maladie le reprit. L’hiver se passa dans une alternative de crainte et /344/ d’espoir et l’on pensait que le retour de la bonne saison lui rendrait quelques forces. Mais un âge avancé et une constitution affaiblie par de fréquentes rechutes ne lui permettaient plus de lutter contre le mal. Il put encore, dans ses bons moments, achever la rédaction de son supplément sur les sires de la Tour, mais un essai de publier, réunis sous le titre d’Opuscules historiques, ses travaux sur la seigneurie de Rolle et Mont-le-Vieux et sur l’origine de la famille de Goumoëns dut être abandonné. Après avoir langui tout l’été, il put encore se transporter à Lausanne, mais dès lors son état ne fit qu’empirer et le 25 décembre 1874 M. de Charrière rendait son âme dans les mains de son Sauveur.

Que dirons-nous encore sur celui dont nous venons de retracer la vie, sinon que sa perte a laissé de légitimes regrets parmi tous ceux qui l’ont connu. D’un caractère affable et conciliant, la société de Louis de Charrière offrait un charme que rehaussait sa vaste érudition. Une volumineuse correspondance, qui se rattache aux différentes phases de sa vie, prouve les excellents rapports qu’il a soutenus jadis avec l’avoyer Frédéric de Mulinen, M. Jacques-Augustin Galiffe père, Mme la princesse de la Tour et Taxis et l’éminent frère de celle-ci, le grand-duc de Mecklembourg-Strélitz, la spirituelle Mlle Charlotte de Bonstetten, qui dirigeait l’éducation de la fille aînée du prince Maximilien de la Tour et Taxis, M. Frédéric de Gingins, les professeurs Matile, à Neuchâtel, Duvernois, à Besançon, Hisely, à Lausanne, le colonel Wurstemberger, à Berne, M. d’Effinger-Jenner, le président de la bourgeoisie de Berne. Puis, dans des temps plus récents, avec M. le professeur John Galiffe fils, l’abbé Gremaud, M. Aymon de Crousaz, /345/ le comte Amédée de Foras, M. le professeur Charles Le Fort. De cette correspondance, une partie est historique, et l’autre de nature purement amicale et privée, mais elle témoigne tout entière de l’amitié qu’il avait su inspirer à ses amis. Chrétien convaincu, Louis de Charrière était ennemi d’une certaine phraséologie religieuse malheureusement trop à la mode aujourd’hui, mais il ne négligeait aucune occasion d’affirmer sa foi en Jésus-Christ, le Sauveur du monde. Lecteur assidu de l’Ecriture Sainte, il affectionnait particulièrement l’étude des Psaumes, et trouvait dans les chants du roi-prophète des accents qui répondaient à son besoin de rendre hommage au Dieu tout-puissant. Gentilhomme sans vanité, homme du monde sans frivolité, savant sans pédanterie, tel était Louis de Charrière. Que ceux qui se rappellent son sourire bienveillant, son accueil plein de courtoisie et de grâce, sa bonhomie fine et spirituelle, veuillent nous pardonner si nous avons quelque peu prolongé ces pages au delà des limites que nous nous étions tracées dans le principe.


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LISTE DES OUVRAGES DE M. LOUIS DE CHARRIÈRE

 

Travaux insérés dans les Mémoires et documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande.

Recherches sur les sires de Cossonay et sur ceux de Prangins, issus de leur famille. Tome V, 1re livraison, 1845.

Chronique de la ville de Cossonay. 2e livraison, 1847.

Recherches sur le prieuré de Saint-Pierre et de Saint-Paul de Cossonay. Tome VIII, 1849, pag. 23 à 112.

Le prieuré et la commune de Baulmes. Tome XIII, 1853, pag. 57 à 143.

Trois opuscules : 1o Quelques éclaircissements sur l’histoire des sires de Cossonay et de Prangins. - 2o Eclaircissements sur celui des châteaux de Mont appartenant aux sires de Prangins. - 3o L’église de Cossonay et ses chapelles à l’époque de la visite pastorale sous l’épiscopat de Georges de Saluces. Pag. 145 à 170.

Les fiefs nobles de la baronnie de Cossonay. Etude féodale. Tome XV, 1858.

Les sires de la Tour, mayors de Sion, seigneurs de Châtillon en Vallais, et leur maison. Tome XXIV, 1868, pag. 177 à 424. /348/

Le vidomnat de Morges et ses attributions. Pag. 425 à 432.

Les fiefs nobles de la baronnie de Cossonay. Supplément au tome XV des Mémoires et documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande. Tome XXVI, 1870, pag. 1 à 125.

Observations relatives au mémoire intitulé : Les sires de la Tour, mayors de Sion, etc. Pag. 127 à 136.

Les dynastes d’Aubonne. Pag. 137 à 456.

Les premiers seigneurs de Mont. Pag. 457 à 474.

Les dynastes de Mont soit des Monts, seconde maison. Tome XXVIII, 1873, pag. 1 à 228.

Les dynastes de La-Sarra et la baronnie de ce nom. Pag. 343 à 524.

La baronnie de Rolle et Mont-le-Vieux. Tome XXXIV, 1877, pag. 33 à 122.

De l’origine de la famille de Goumoëns. Pag. 123 à 139.

Supplément au mémoire intitulé : Les sires de la Tour, mayors de Sion, etc. Pag. 141 à 177.

Tous ceux de ces travaux qui ne remplissent pas un volume entier des Mémoires et documents ont été tirés à part, avec une pagination spéciale et à un nombre limité d’exemplaires, pour l’usage particulier de l’auteur. Les deux mémoires sur Rolle et Mont-le-Vieux et sur l’origine de la famille de Goumoëns ont été ainsi réunis sous le titre d’Opuscules historiques.

 

AUTRES OUVRAGES

Chronique de la ville de Cossonay, 2e édition, 1860. (Manuscrit.)

Recherches sur le prieuré de Saint-Pierre et de Saint-Paul de Cossonay, 2e édition, 1861. (Manuscrit.) /349/

Recherches sur les dynastes de Cossonay et les diverses branches de leur famille, avec pièces justificatives, répertoire, tableaux généalogiques et planches de sceaux. Lausanne, 1865, 1 vol. in-4.

Les dynastes de Grandson jusqu’au XIIIe siècle, avec pièces justificatives, répertoire et tableaux généalogiques. Lausanne, 1866, 1 vol. in-4.

 


 

 

Notes :

Note 1, page 292 : La famille Ypsilanti a joué dès lors un rôle actif dans l’insurrection qui a précédé l’émancipation de la Grèce et quatre des fils de l’ancien hospodar ont payé de leur vie leur dévouement à cette cause. Quant au prince Grégoire, l’élève de M. de Charrière, il est mort en 1835, laissant un fils, nommé Grégoire comme lui, et qui est aujourd’hui envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire du roi des Hellènes près la cour de Vienne. Son épouse est une fille du baron Sina. [retour]

Note 1, page 296 : Diplôme du 21 mars 1823. [retour]

Note 1, page 298 : L’ordre de Louis. Diplôme du 11 janvier 1832. [retour]

Note 1, page 299 : La maison princière de la Tour et Taxis, originaire du duché de Milan, avait été médiatisée lors de la dissolution de l’Empire Germanique. C’était elle qui avait établi, sous l’empereur Maximilien Ier, les premières postes, d’abord entre Vienne et Bruxelles, puis dans le reste de l’Allemagne. La direction des postes, érigée en fief de l’empire avec le titre de prince, lui avait été concédée dans toute l’étendue de l’empire et c’est par cette administration qu’elle est parvenue à l’opulence qui la distingue aujourd’hui. Sous la Confédération Germanique, qui a cessé d’exister en 1866, la maison de Taxis avait encore la direction des postes dans une partie de l’Allemagne. Le siége de cette administration était à Francfort sur le Mein. [retour]

Note 1, page 303 : Diplôme du 10 mars 1831. [retour]

Note 1, page 304 : Lettre du vice-chancelier de l’ordre du 16 septembre 1837. [retour]

Note 1, page 320 : Diplôme du 24 mars 1865. [retour]

Note 2, page 320 : Séance du 16 janvier 1863 et diplôme du 19 juin 1865. [retour]

Note 3, page 320 : Séance et diplôme du 28 mars 1861. [retour]

Note 1, page 322 : M. de Charrière ignorait ce détail. Le nom de Granson est mentionné dans une ancienne charte anglaise déposée au monastère de la Bataille et qui donne la liste des principales familles d’Angleterre issues des compagnons de Guillaume le Conquérant. Ce fait est curieux à noter car il paraît nous révéler l’existence d’une première branche de la famille de Grandson dont l’établissement en Angleterre aurait ainsi précédé de deux siècles celle qui s’y transporta depuis à la suite de Pierre de Savoie. Voy. Augustin Thierry : Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands, 1826, tom. II, notes et pièces justificatives, No I, bis. [retour]

Note 1, page 338 : Le nom d’Albert de Goumoëns, illisible dans la charte originale de fondation du prieuré de Chamounix, n’a pu être déchiffré qu’à la suite d’une reproduction photographique de ce document. [retour]

 


 

 

 

 

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