L’ACQUISITION DU PAYS DE VAUD PAR LE COMTE VERT
(1359)
PAR
JEAN CORDEY
Licencié ès Lettres
Elève diplômé de l’Ecole des chartes.
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La domination savoyarde sur le Pays de Vaud a duré presque trois siècles, du comte Pierre II au duc Charles III. En 1285, le comte Amédée V forma des récentes possessions de sa famille au nord du Léman un apanage qu’il concéda à son frère Louis, premier baron de Vaud, tout comme les domaines piémontais étaient à la même époque attribués à Philippe de Savoie, fils de Thomas III. Cette situation exceptionnelle faite au Pays de Vaud prit fin en juin 1359. A cette date, le fameux comte Vert, Amédée VI, fit rentrer la contrée, par voie d’acquisition, sous l’autorité directe des comtes de Savoie. Nous désirons étudier ici les événements qui accompagnèrent ce changement de régime : les négociations qui le précédèrent, la chevauchée qui le suivit, et apporter, à cette occasion, quelques détails nouveaux sur l’histoire des rapports des Vaudois avec la maison de Savoie, histoire qui mériterait grandement d’être écrite. /66/
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Au milieu du XIVe siècle la baronnie de Vaud consistait essentiellement en dix châtellenies : Nyon, Rolle, Morges, Moudon, Estavayer, Romont, Rue, Yverdon, les Clées, Vaulruz 1 et en un certain nombre de fiefs dont les seigneurs rendaient hommage au baron de Vaud. Amédée V avait, en effet, cédé à son frère tous ses droits sur les fiefs et les hommages de ses vassaux nobles et non nobles entre l’Aubonne et la Veveyse, sauf cependant les fiefs et les féautés qui, selon les traités conclus par ses prédécesseurs, ne pouvaient être séparés du comté de Savoie; il exceptait aussi les seigneuries de Gruyère, de Châtel et de Cossonay 2. En 1294 Louis Ier arrondit son apanage par un échange, offrant à son frère les châteaux de Saillon, Conthey et Riddes contre ceux de Nyon, de Mont, etc. 3
Cependant le comte de Savoie conservait au nord du Léman de nombreux droits. Sans parler de son pouvoir /67/ seigneurial à Chillon et Vevey 1, son intervention comme justicier et arbitre était fréquente, notamment à Payerne où les luttes entre les Métraux et les Mallet troublaient la ville à tout instant 2. L’appui et la protection directe du comte Amédée VI furent même sollicités par les habitants de la ville de Saint-Prex, lorsque, le 14 août 1358, ils se mirent, par l’intermédiaire de leurs syndics et par mesure de sûreté, sous sa sauvegarde; ils déclaraient être bourgeois du comte, et jurèrent de participer à ses chevauchées en combattant sous la bannière d’Evian ou celle d’Aubonne 3.
A l’égard des évêques de Lausanne, la maison de Savoie était une puissance rivale et redoutable. Bien que les conflits violents et répétés qui se produisaient à Genève, semblent avoir été beaucoup plus rares, la situation était par moments fort tendue, car le sire de Vaud ou le comte de Savoie profitaient de toutes les occasions pour augmenter leur autorité dans le domaine temporel de l’évêque 4. Cependant, durant tout l’épiscopat de François de Montfaucon (1347-1354), les relations entre le comte Vert et l’Eglise de Lausanne furent pacifiques et /68/ même amicales. L’évêque François était conseiller et directeur du jeune comte de Savoie qui paraît avoir eu pour lui beaucoup d’estime et d’affection. C’est ainsi que nous voyons certaines difficultés provoquées par l’enchevêtrement des droits du comte et de l’évêque à Vevey, aplanies aisément par un accord (30 janvier 1348) 1. Le 1er octobre 1351, « les dames de Vaud », Isabelle de Châlons et Catherine de Savoie renouvelèrent une alliance conclue entre Louis II de Vaud et le chapitre de l’Eglise de Lausanne (1er octobre 1332). Elles promettaient de protéger celle-ci pendant dix ans, à condition d’en recevoir des hommes d’armes pour leurs chevauchées et une rente annuelle de cent livres de cire 2.
Mais, en mars 1355, à la mort de François de Montfaucon, Amédée VI chercha à faire concéder cet évêché à Thomas de Savoie, alors évêque de Turin. Il intrigua à cet effet à Avignon, sans succès il est vrai 3, car un membre de l’une des grandes familles du pays de Vaud, l’énergique Aimon de Cossonay, soutenu, comme bien l’on /69/ pense, par ses compatriotes, devint évêque de Lausanne. L’année suivante, en vertu d’un privilège impérial, qui l’autorisait à juger les causes adressées au tribunal de l’empire, le comte de Savoie installa à Lausanne un « juge des appellations 1 ». Aimon de Cossonay n’y consentit toutefois qu’à certaines conditions 2. Tels étaient les rapports du comte de Savoie avec l’évêque de Lausanne à la veille de l’acquisition du Pays de Vaud.
Entre ces mêmes comtes et les sires de Vaud, les rapports n’ont cessé d’être excellents. Louis Ier de Vaud (1285-1302) conduisit plus d’une fois dans les guerres du roi de France les armées savoyardes.
Son fils Louis II (1302-1350) régnait lorsqu’en 1334 naquit Amédée VI, à Chambéry. Accompagné de sa femme, Isabelle de Châlon, il alla en Savoie assister au baptême du petit prince, cérémonie qui rassembla autour du berceau du futur comte Vert les membres les plus illustres de la famille de Savoie 3, et neuf ans plus tard, /70/ le comte Aimon, dans son testament, le désigna comme tuteur de son fils, avec Amédée de Genevois. Le lendemain de l’avènement de son pupille, le 26 juin 1343, Louis reçut d’Amédée VI l’investiture des fiefs qu’il tenait de lui 1. Quelques années après seulement, en 1346, ce fut le tour des seigneurs et vassaux du Pays de Vaud, Aimon de Cossonay, et son neveu Jean 2, Rodolphe d’Oron, sire d’Attalens 3, Jean de Blonay, coseigneur de Vevey 4, Gauchet Ponters 5, Jean de la Tour de Vevey, écuyer 6, Gauchet, métral d’Ollon 7, Alise, veuve de Gérard d’Oron à Vevey 8, enfin Pierre, comte de Gruyère 9.
Pas plus que le comte de Genève, Louis II ne chercha à profiter de la situation avantageuse que lui faisait son rôle de tuteur. Il administra sagement la Savoie, sans cependant négliger les intérêts de sa baronnie et, comme son père, commanda les armées savoyardes au service du roi de France. Nous le trouvons en Flandre en 1340; à Montreuil, le lendemain de Crécy, défendant la place contre les Anglais, puis à Calais en 1347 10. Il mourut en 1350, laissant une veuve, Isabelle de Châlon, et une fille, Catherine. Dans la maison de Savoie, les femmes ne pouvant régner, la baronnie de Vaud aurait, dès cette époque, fait retour au comte Amédée, si, par un privilège spécial, /71/ Louis de Vaud n’avait obtenu du comte Aimon la permission de laisser son apanage à sa fille Catherine et à ses descendants 1.
Les « dames de Vaud », après la mort de Louis II, gouvernèrent donc la baronnie. Catherine épousa successivement Azzo Visconti, Raoul de Brienne et Guillaume Ier, comte de Namur. Le premier, seigneur de Milan de 1328 à 1339, obtint sa main en 1333 2, mais il mourut sans qu’aucun enfant fût né de leur mariage. Catherine devint quelque temps après 3 la femme de Raoul III de Brienne, comte de Guines et d’Eu, connétable de France (1345-1350). Ce fut lui qui, conjointement avec elle, reçut, le 13 mai 1349, les hommage et serment de fidélité de Rodolphe, comte de Neuchâtel, vassal du baron de Vaud pour divers fiefs, Champvent notamment 4. Raoul périt, comme on sait, d’une mort tragique, décapité sur l’ordre /72/ de Jean le Bon, à l’hôtel de Nesle, à Paris, le 18 novembre 1350 1. Guillaume Ier, dit le Riche, comte de Namur, (1337-1391), veuf lui aussi, épousa Catherine en 1352. De ce mariage naquirent deux fils, Guillaume, en 1353 et Jean, qui devinrent tous deux marquis de Namur, et une fille, Marie, qui épousa Gui de Châtillon, comte de Blois 2. Le Pays de Vaud, en vertu du privilège du comte Aimon, aurait donc passé entre les mains d’un de ces princes, si Catherine de Vaud et Guillaume de Namur ne s’étaient décidés à céder au comte Vert la baronnie de Vaud, avec toutes les terres qu’ils possédaient dans la même région, le Valromey, la seigneurie de Pierrechâtel notamment pour aller habiter leur comté de Namur. Le désir de concentrer sur un seul point leur autorité, et la difficulté qu’ils avaient à défendre leurs intérêts dans des contrées si éloignées l’une de l’autre suffiraient pour expliquer cette détermination, somme toute fort sage. D’autres considérations cependant entrèrent en ligne de compte, car si nous n’avons pas la preuve que le comte Vert soit intervenu dans leur projet, l’emploi que firent Guillaume et Catherine /73/ du prix de la baronnie nous révèle un fait important. Louis II de Vaud s’était fort endetté, et après sa mort, ses nombreux créanciers s’adressèrent à sa fille et à son gendre 1. Il fallut les payer, mais ce ne fut pas sans difficulté. La vente du Pays de Vaud facilitait d’une part leur dessein d’aller vivre à Namur, et leur fournissait en outre l’argent dont ils avaient besoin. Ils entrèrent donc en pourparlers avec le comte de Savoie.
Selon la Chronique de Savoie 2, Guillaume de Namur /74/ aurait songé à céder les terres de sa femme au duc Albert d’Autriche. Jusqu’ici nous n’avons pas retrouvé trace de semblable projet; il est certain toutefois que le comte Vert envoya le bailli de Vaud et plusieurs notables vaudois à une conférence avec des officiers du duc d’Autriche et le comte de Neuchâtel. Mais ce rendez-vous, auquel manqua d’ailleurs le duc d’Autriche, n’eut lieu que le 11 avril 1360 1, et il s’agissait non du pays de Vaud, mais d’une alliance entre ces trois princes contre les Bernois 2. Quoi qu’il en soit, par le traité de juin 1359, le pays cessa d’être un apanage et rentra sous l’autorité immédiate du comte de Savoie.
Les négociations pour la cession du Pays de Vaud commencèrent dès 1358; le bailli de Vaud, François de La Sarraz y prit une part active, envoyant de fréquentes ambassades, soit en Savoie, soit à Namur 3. Il semble /75/ qu’aucune difficulté sérieuse n’ait surgi, entravant la marche des affaires qui furent menées à bien en peu de temps, et dès le 30 janvier 1359, le mercredi avant la Chandeleur, une convention privée put être rédigée et scellée à Morges, établissant que le comte Guillaume de Namur et Catherine de Vaud, sa femme, vendaient au comte de Savoie le Pays de Vaud. Le prix en était fixé à 160 000 florins d’or payables en trois termes : 1o Avant la cinquième semaine qui suivait Pâques de la même année, la moitié de la somme, quatre-vingt mille florins, devait être livrée. 2o Le vingtième jour après Noël, quarante mille florins, et 3o à la Pentecôte suivante, le reste, quarante mille florins, devait être versé par les trésoriers de Savoie à ceux du comte de Namur à Viéville près Namur ou à Liège 1.
Le 17 juin, Guillaume de la Baume, conseiller du comte Vert, fit constater que la première moitié de cette somme avait été livrée par lui au premier terme 2, et des banquiers juifs, des Lombards, Aubert, Bertrand, Paumier /76/ Turk et Benoît de la Chaîne, leur cousin, furent chargés de payer les quarante mille florins dus au terme suivant 1.
Le 19 juin, à Golzinne 2, Guillaume, comte de Namur, et Catherine de Vaud, certains de recevoir la somme qu’ils réclamaient, dressèrent le contrat officiel de la vente : Ils déclaraient céder au comte de Savoie les châteaux, terres, localités et juridictions des Clées, Yverdon, Moudon, Romont, Rue, Vaulruz, Cordon 3, Pierrechâtel 4, Rochefort 5, Virieu-le-Grand 6, et tous leurs droits sur les châteaux, villes et mandements d’Estavayer, de Pont 7, de Corbières-en-Ogoz 8, Morges, Prangins, Nyon, Châteauneuf en Valromey 9, Beaugé et outre-Saône, « ultra fluvium Sogane a parte comitatus Sabaudie et terre Waudi 10. » /77/
Entre temps (17, 18, 19 juin), les mêmes firent connaître officiellement à leurs vassaux et sujets la vente qu’ils venaient d’accomplir et leur ordonnèrent d’obéir aux sept commissaires désignés pour l’exécution du contrat. Ceux-ci, sauf Hugues Métral des Clées, un Vaudois, /78/ étaient tous étrangers au Pays de Vaud 1. De plus, Guillaume de Namur et sa femme envoyèrent le même jour, la veille ou le lendemain, dix-neuf ordres individuels à leurs vassaux du Pays de Vaud, les invitant à rendre hommage au comte de Savoie et à lui obéir comme à leur suzerain 2.
Entre autres lieux importants, le comte Vert acquit le château des Clées. Celui-ci, au bord de l’Orbe, dans une vallée extrêmement encaissée et sauvage, commandait la route, qui, au sortir du col de Jougne dans le Jura, débouche ensuite dans le Pays de Vaud. Le châtelain Jean, coseigneur d’Aubonne, fut averti spécialement d’avoir à remettre le château au comte de Savoie, sauf les meubles et les titres qui n’étaient pas dûment attachés à la châtellenie 3. /79/
Enfin des procureurs furent chargés par le comte de Namur de procéder aux formalités nécessaires de la transmission. Ceux-ci, Jean Ravais, docteur ès lois, Guillaume de Châtillon, prévôt de Genève, et Dominique d’André livrèrent au comte Vert les châteaux et les terres du pays de Vaud, dès le 9 juillet 1. Ce jour-là précisément, le comte Vert, suivi de plusieurs de ses vassaux, des officiers de son hôtel et d’employés subalternes, entreprit une grande chevauchée dans les pays qu’il venait d’acquérir. C’était une sorte de tournée d’inspection dans ses nouveaux domaines, au cours de laquelle il allait recevoir les hommages qui lui étaient dus.
Ce voyage commença par Belley, où le comte Vert se trouva du 8 au 10 juillet 1359 2. Les seigneurs du Valromey vinrent l’y trouver et il reçut leur hommage, le 9 3. Le comte Amédée se rapprocha ensuite de Genève par Seyssel, où il passa la nuit du 10 au 11 juillet 4, et arriva sur les bords du Léman. Son arrêt à Genève fut de courte durée, car il en repartit le 13 au matin 5, passa par Nyon, où sans doute il prit son repas du milieu du jour 6, et atteignit Morges le soir ou le lendemain /80/ matin 1. Morges, à côté de Lausanne, était la résidence habituelle des comtes de Savoie, qui y possédaient un château, puisque Lausanne appartenait à l’évêque. Amédée VI reçut là solennellement, entouré de sa suite et des plus importants de ses conseillers, les hommages des châtelains de Moudon, Rue, des Clées, d’Yverdon, d’Estavayer, de Romont, Nyon et Vaulruz, qui tous promirent de maintenir leurs châteaux en bon état et de payer au comte de Savoie les revenus auxquels il avait droit. Il donna ensuite l’investiture à un grand nombre de seigneurs accourus pour lui jurer fidélité 2.
Quant aux villes, le comte Vert, qui désormais ajouta à ses titres celui de seigneur de Vaud, « dominusque terre Vuaudi », n’attendit pas pour confirmer leurs franchises ou leur accorder de nouveaux privilèges. Il restait ainsi dans la tradition des comtes de Savoie qui montrèrent toujours la plus grande et la plus habile libéralité envers les communautés urbaines et rurales. En effet, tandis qu’il confirmait, ce même 14 juillet, les franchises de Romont, Moudon, Vaulruz, Rue et celles des Clées 3, il accordait aux villes de Gruyère et de Romont les /81/ franchises de Moudon 1 fort célèbres dans toute la région et octroyées à la plupart des villes du Pays de Vaud, pendant le cours du moyen âge : Au quinzième siècle on les demandait encore, bien qu’elles datassent du milieu du treiziéme.
Aussitôt après, le comte Vert quitta Morges et arriva le 15 juillet à Moudon, commençant par cette ville son voyage circulaire dans le Pays de Vaud. Dans les divers lieux où il s’arrêta, les dépenses de son hôtel furent remboursées largement par les habitants qui lui firent partout un accueil empressé, mais, quand la localité était très petite, les officiers du comte payaient les frais de séjour. Amédée VI ne resta pas deux jours à Moudon 2, où il reçut de nouveaux hommages liges 3 ; son escorte fut dès lors renforcée par le sire de Grandson et celui de La Tour qui le rejoignirent à Moudon, le 15 juillet, avec une suite de vingt-sept chevaux 4. De là, il se rendit jusqu’aux limites extrêmes du pays, vers l’est, pour visiter son château et la ville de Romont 5. Il passa par Rue, puis /82/ de Romont, où il était le 16 juillet, il regagna la vallée de la Broie et sans s’arrêter à Payerne, qui appartenait au prieur, arriva le 17 juillet vers midi à Estavayer, où il dîna 1. De grands préparatifs avaient été faits pour le recevoir, et une loggia devant la cour du château avait été aménagée à cette occasion par quatorze charpentiers et douze ouvriers 2. Amédée s’y trouvait à la frontière nord du Pays de Vaud, sur les bords du lac de Neuchâtel. Longeant ce lac, mais regagnant le sud, il fit un court arrêt dans son château d’Yverdon (18 juillet) où il reçut divers hommages 3, comme partout ailleurs, et le même jour vint loger avec sa suite dans le château des Clées 4.
L’épisode le plus saillant de ce voyage fut la cérémonie accomplie le 20 juillet dans la cathédrale de Lausanne, où il s’arrêta à son retour. Les comtes de Savoie, pour certains fiefs du Pays de Vaud, étaient vassaux de l’évêque /83/ de Lausanne. Le comte Vert accomplit donc son devoir féodal en venant demander à l’évêqne Aimon de Cossonay l’investiture des terres qu’il tenait de lui. Dans la cathédrale, au pied de l’autel de la chapelle de la Vierge et en face d’une image de la madone très vénérée au moyen âge, le comte Vert « manibus inter manus domini episcopi et osculo fidelitatis » jura fidélité à l’évêque et à l’Eglise de Lausanne, comme l’avaient fait ses prédécesseurs, et en reçut l’investiture 1.
Le 21 juillet, le comte de Savoie et sa suite étaient de retour à Morges, leur point de départ 2. Il ne s’y arrêta guère qu’un jour ou deux 3 et regagna la Savoie en passant par Nyon 4, par Genève, où il était le 23 juillet 5, et enfin Seyssel 6. /84/
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Les cent-soixante-mille florins d’or que coûta le Pays de Vaud au comte Vert furent ponctuellement acquittés; des conseillers de Savoie, à chaque terme fixé, portèrent à Namur le montant de la somme. Pour livrer une si forte somme sans retard ni difficulté le comte Vert dut, comme on l’a vu, s’adresser à de riches seigneurs et à des banquiers 1. Mais pour dédommager ces nouveaux créanciers Amédée VI recourut comme d’habitude à ses sujets. « Par grâce spéciale, » selon la formule consacrée, il obtint d’importants subsides des habitants de ses états, imposés exceptionnellement à raison d’un florin par feu. Les châtelains levèrent le montant des sommes ainsi obtenues, et les firent remettre aux trésoriers généraux du comte de Savoie. Dès le mois de septembre, les communautés /85/ urbaines qui avaient accordé le subside demandé reçurent du comte Vert des reversales en leur faveur, Genève 1, Saint-Maurice-en-Valais 2, par exemple. Dans les châtellenies, les nobles, bannerets, ecclésiastiques et couvents furent aussi mis à contribution 3, et les hauts prélats de la région, l’archevêque de Tarentaise, les évêques de Genève et de Maurienne, durent à leur tour, s’exécuter 4.
Telle est la manière par laquelle Amédée VI se procura la somme nécessaire. Voyons maintenant comment Guillaume de Namur et Catherine de Vaud l’employèrent. Nous avons déjà dit qu’elle servit à payer les dettes laissées par Louis II. En effet, dans un acte du 19 janvier 1368, Catherine, comtesse de Namur et dame de l’Ecluse, déclara que, des 160 000 florins, 5873 remboursèrent ses dettes personnelles et celles de son père 5. Ce remboursement avait commencé, le lendemain de la vente du Pays de Vaud, dès le printemps 1360. Le 19 mars, deux Piémontais, Antoine Malabayla d’Asti et Pierre Provana donnèrent à Hugonet Provana et à Pierre de Furne procuration pour recevoir 147 florins d’or, reste des 696 florins que leur devait Louis II 6. Le 18 juin, Pierre, Siméon et Saladin Bence et Johannin firent toucher de même 120 livres tournois 7. Le 24 juillet, Amédée Prévôt de Virieu-le-Grand, damoiseau, se mit en mesure /86/ de recevoir 100 florins d’or 1 ; enfin le 22 août, Jean Patrici de Chieri, bourgeois de Chambéry, délivra quittance à la comtesse de Namur, et se déclara satisfait 2. Cependant la plus grande partie de la somme, 122 556 florins furent convertis par Guillaume en terres et en rentes, tant dans le comté de Namur qu’aux environs 3. Guillaume compensa donc la perte de la baronnie de Vaud par l’agrandissement de ses domaines dans le nord de la France.
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Rien ne fut changé, après 1359, dans les bons rapports que le comte Vert entretenait avec les Vaudois. Nous le voyons souvent traverser le lac, s’installer à Chillon, à Lausanne, surtout à Morges, où il s’occupait sur place de l’administration du pays. Pour sa table, il faisait venir des poissons d’Yverdon, que le châtelain du lieu, Humbert de Colombier, lui expédiait 4. Ses vignes du Dézaley, de Montreux, de Vevey lui fournissaient le vin qu’il aimait à boire avec ses amis 5.
En 1378 6, à la fin du mois de mars, le comte Vert et /87/ sa famille, c’est-à-dire sa femme, Bonne de Bourbon, son fils, Amédée de Savoie le futur comte Rouge, le prince d’Achaïe et Louis, son frère, débarquèrent à Ouchy se rendant à Lausanne 1. Ils gagnèrent, le soir même, la ville épiscopale, où leur séjour n’est signalé que par les quelques achats nécessaires à l’entretien de leur hôtel 2. Ils quittèrent Lausanne le lendemain, 25 mars, traversant le lac dans une barque 3. Ce voyage semble avoir été accompli dans un but de dévotion. La comtesse, en effet, lava les pieds de pauvres gens, pauperes Christi, auxquels elle fit ensuite généreusement l’aumône 4.
Quelques années plus tard, en 1381, le lundi de Pâques (15 avril), nous retrouvons le comte Vert à Lausaune; /88/ cette fois encore, il traversa le lac. Son embarcation était commandée par le nommé Anglais de Thonon, et montée par dix-neuf matelots de la même ville 1. Ce ne sont certes pas les seules visites du comte Amédée VI au chef-lieu du diocèse; le dépouillement des comptes de ses trésoriers, conservés à Turin, révélerait sur ce point comme sur tant d’autres, bien des détails curieux, bien des faits intéressants, qui n’ont pas été relevés jusqu’ici. Le comte Vert et sa famille partageaient du reste pour la madone de Lausanne la vénération de tous leurs contemporains. La comtesse Bonne de Bourbon, un an après son mariage, qui avait eu lieu à Paris en septembre 1355, fit confectionner par un artiste une figurine de cire, qui reproduisait ses traits, et la fit placer dans la cathédrale de Lausanne, aux pieds de la Vierge 2. Elle espérait que son vœu de donner à son mari un fils et héritier, serait un jour exaucé. En 1382, un an avant sa mort, le comte Vert fonda dans la même cathédrale une messe quotidienne. Les chanoines /89/ devaient la célébrer à la pointe du jour et prier pour le salut et le repos de l’âme du comte Amédée, de la comtesse, de leur fils et de leurs ancêtres. Il accorda pour cela un capital de quatre cents florins d’or dont les revenus constituèrent la dotation de cette messe (29 janvier 1382) 1.
Mais cette dévotion pour la Vierge de Lausanne 2 n’empêcha pas Amédée VI, quand il obtint de Charles IV le titre de vicaire impérial, de reprendre en 1365 une lutte opiniâtre contre l’évêque; il établit un juge suprême à Lausanne, et il l’y maintint malgré les protestations des évêques Aimon de Cossonay et Guy de Prangins, et la révocation de l’empereur Charles IV 3.
L’organisation administrative du Pays de Vaud fut maintenue. Bien souvent les châtelains conduisirent à l’armée du comte Vert les troupes levées dans les communes vaudoises. Ils arrivaient au lieu de rassemblement en même temps que les seigneurs de la contrée, vassaux du comte, à la tête de leurs sujets. Nous trouvons ainsi des Vaudois dans les expéditions en Italie, à la croisade de 1367 et dans les combats de la guerre de Cent ans, chaque fois que le comte Vert allait au secours du roi de France. De même, lorsque les grandes compagnies se répandirent, dès 1360, dans la plaine du Rhône, les Vaudois furent appelés à l’aide des provinces menacées, la Bresse /90/ et le Bugey. Le Pays de Vaud fut lui-même inquiété à deux reprises, en 1365 et 1375, mais les préparatifs considérables qui furent aussitôt entrepris, la surveillance active qui fut organisée partout suffirent pour écarter le danger. En 1365, les bandes qu’Arnaud de Cervoles, l’Archiprêtre, conduisait en Hongrie, rebroussèrent chemin dès Bâle et Strasbourg, devant le mauvais accueil qui leur était fait. Craignant qu’elles ne se répandissent dans le Pays de Vaud, le comte Vert envoya le châtelain de Gex en mission pour organiser un service d’éclairage et d’information, tandis que Guillaume de Grandson, de son côté, faisait une tournée d’inspection des châteaux et places fortifiées 1.
Pendant l’hiver 1374-1375, vers Noël, des bandes de /91/ pillards apparurent en deçà du Jura, prêts à se jeter sur une contrée riche et fertile que la guerre n’avait pas atteinte. Elles s’étaient concentrées en pays allemands, dans le comté de Nidau, et s’étaient avancées jusque vers Morat. Les châtelains se tinrent sur leurs gardes 1, et des lieutenants du comte Vert inspectèrent tous les châteaux vaudois, de la Cluse à Chillon, fortifièrent Gex, Versoix et les autres bourgs, réunirent des troupes 2. Les compagnies ne poussèrent pas plus avant; aucun combat en effet n’est signalé â cette époque de ce côté du comté de Savoie.
Bien qu’elle n’ait amené aucun changement dans les rapports des Vaudois avec les comtes de Savoie, l’acquisition du Pays de Vaud est un événement d’une très grande importance. Sans elle, la baronnie de Vaud se serait trouvée au bout de peu d’années, à la mort de /92/ Catherine de Vaud 1, entre les mains de princes étrangers à la maison de Savoie, les fils de Guillaume de Namur, et détachée des domaines des comtes de Savoie. Le privilège imprudemment concédé à Louis II par Aimon, n’eut, grâce au comte Vert, aucune des suites fâcheuses qu’il aurait pu avoir pour la maison de Savoie. Amédée VI se rendit bien compte de l’importance de la transaction de 1359; la preuve en est l’exactitude, la promptitude avec laquelle il paya le prix qu’on exigeait de lui. Il avait hâte, semble-t-il, de se voir le seul possesseur de cette province. Si nous en croyons la Chronique de Savoie, l’initiative de la transaction aurait été prise par Guillaume de Namur et Catherine. Je ne serais pas éloigné de penser, cependant, que son véritable instigateur fut le comte Vert, et de voir ici un témoignage de plus de l’habileté heureuse qui le caractérise.
Jean Cordey.
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Pièces Justificatives
I
1358, 14 avril. — Aubonne.
Les habitants de Saint-Prex se déclarent bourgeois du comte de Savoie et promettent de le servir sous la bannière d’Evian ou celle d’Aubonne.
In nomine Domini, Amen. Anno ejusdem MoCCCoLVIIIo, indictione XIa, die XIIII aprilis, apud Albonam, in domo Nycaudi Bonet, constituti Mermetus de Costello, Mermetus Monerii, de Sainprez, sindici et sindicatus nomine totius ville, communis et universitatis de Seinprez, et Johannes Rapares, Jacquerius de Vullierein et Perretus Ramus, burgenses dicti loci, suo nomine et dicte universitatis, scienter et spontaneo, utilitate et securitate dicte ville et communis considerata in hac parte, cum melius possint et securius vivere sua negocia peragere, et a vi et violentia custodiri, ad instantiam mei notarii tamquam publice persone stipulantis vice, nomine et ad opus illustris principis domini Amedei comitis Sabaudie et suorum heredum et omnium aliorum quorum interest vel poterit interesse, intraverunt fidelitatem et burgesiam ipsius domini comitis et suorum et se constituerunt burgenses et fideles ipsius domini, precunctis aliis dominis exceptis capitulo Lausannense, et convenerunt per pactum et etiam promiserunt nomine quibus supra, ire ad cavelcatas dicti domini comitis sub bandietam Aquiani vel sub bandieram Albone, /94/ videlicet sub illa bandiera dictorum locorum Aquiani et Albone de qua primitus fuerint requisiti, taliter quod quando essent et quociens essent et irent cum una dictarum bandierarum a sequtione alia sint immunes. Item quod ravagium et vendicionem victualium in dicto loco de Sainprez, dicto domino comiti et suis et etiam domino de Albona non impedient vel turbabunt, sed super hiis dictos dominum comitem et dominum de Albona generose et favorabiliter pertractabunt. Cavalcatas autem predictas sequentur pro ut supra, videlicet octo diebus, in quibus dies qua partibunt et dies qua regredientur ad locum de Sainpre in ipsis octo diebus non includentur, suis sumptibus et expensis, et ipsis diebus lapsis, dominus stipendia eisdem ministrabit. Et promiserunt suis juramentis quibus supra nominibus, tactis evangeliis sacrosanctis, mihi notario stipulanti pro ut supra, fideles esse dicto domino comiti, suis, et eidem reverentie et fîdelitatis debitam impendere, ipsiusque utilitatem et honorem suis viribus procurere et contrarium possetenus evittare, et alla facere que incombere poterunt et debebunt in premissis, remittere, etc. Actum ut supra, presentibus viris nobilibus Perreto de Monz, Jaqueto Darnay et Mermeto, mistralis de Albona, domicellis, et etiam in presencia viri nobilis et potentis domini Guillelmi de Balma, domini Albergamenti et Albone.
Jo. de Marbio.
Arch. Turin. Protocole 119 (Série Camérale), fol. R.
/95/
II
1339, 30 janvier. — Morges.
Traité et accord conclu entre Amédée VI et Guillaume Ier, comte de Namur au sujet de la vente du Pays de Vaud.
Traictiet et accordet est entre monsingneur le conte de Savoye d’une part, et monsingneur le conte de Namur, singneur de Waud d’autre, sur le fait du vendaige des terres et pays de Waud, de Beugis et de Verromes en la fourme, maniere et condicion qui chi apres s’ensiewent et sont declarées. Premierement li dessusdit messires li contes de Namur, sires de Waud, dessus dit pour li, madame Katerine de Savoie, contesse et dame des dis lieus, sa femme, leurs hoirs et successeurs, vent par loyaul et agreable vendaige a monsingneur le conte de Savoie dessus dit tout le droit, action et singnourie quelconques qu’il a eu, puet avoir a cause de madame Katerine de Savoie, sa femme, es terres de Waud, de Beugis et de Veromes dessus dicts a tout leur querque et aussi qui esqueus li sont par hoirie et succession de messire Loey de Savoie, pere a li madame Katerine dessus dicte, singneur de Waud, de Beugis et de Veromes et de madame Ysabiaul de Chalon, sa mere, dame des dis lieus, aussi tout ce entirement sanz y riens retenir qui esquei a la dite madame Katerine par le succession de ses dis pere et mere en []ons et maniere que ce fust par decha la riviere de la Sone ne qu’il y tient ad present. A celi cause le quel vendaige traictiet en la maniere dessus devisee li dis messires li contes de Namur doit faire [greer] et confermer et /96/ quittier par madame Katerine, sa femme dessus dicte, pour li, ses hoirs et successeurs entirement sanz maul enghien pour tenir ferme et estauble a tous jours heritaulement. Assavoir est que pour le vendaige des dites terres fait en la maniere dessus devisee li dis messires li contes de Savoye doit rendre et paiier il, si hoir et successeur a monsingneur le conte de Namur, singneur de Waud dessus dit, a ses hoirs et successeurs la somme de cent et sexante mille petis florins de fort pois, bons et souffisans d’or, de cueng et d’aloy ou le value des dis florins, en autre monoie d’or bonne et souffisante d’or de cueng et d’aloy revenant a le value dou marc as termes et en la maniere qui chi apres s’ensuit. Premièrement dedens le terme de chienq sepmaines accomplies apres le jour de grandes Pasques prochainnes venant, la somme de quatre vins mille florins dessus dites ou le value en la maniere que dit est, la quelle somme li dis messire li contes de Savoie doit rendre et paiier entirement et franchement au dit monsingneur le conte de Namur, singneur de Waud, dedens le dit terme a sa mission et peril de li monsingneur le conte de Savoie dessus dit en le ville de Namur ou ou chastiau de Viesville, sans mal enghien. La quelle chose s’il ne pooit faire, il le doit delivrer et paiier dedens la citey de Liege, ensi sans mal enghien dedens le dit terme. Item de la somme de quarante mille florins tels comme dit sont ou le value dessus devisee doit faire finer li dis messires li contes de Savoie au dit monsingneur le conte de Namur par marchans ou lombars souffisament de paiier en l’un des lieus de Namur ou de Viesville dessusdis ou de Liege s’il convenoit, comme dessus est déclareit, /97/ dedens le vintime jour apres Noel continuelment en suivant la dite feste de Pasques. Et adonc seroit [entenus messires li] contes de Namur dessus dis de accorder, greer, quitter et confermer le dit vendaige entirement come dessus, il et madame Katerine de Savoye, sa feme dessus dite, pour yaus, leurs hoirs et successeurs et de donner en mandement as hommes feables et tous autres subgis des dis pays, du faire aveuc ce de envoyer es dis pays un ou deux de leur consel au peril de monsingneur le conte de Savoye dessus dit et donner en mandement as hommes feables et tous autres subgis des dis pays que a monsingneur le conte de Savoie dessus dit il obeissent comme a leur singneur et que de leurs [foys], homaiges et sairemens messires li conte de Namur et madame Katerine de Savoie, sa feme, dessus dis, les quittoient du tout entirement. Parmi la quelle chose des autres quarante mille florins tels que dit sont ou le value dessus devises qui a paiier demoroient de la toute somme du dit vendaige, messires li contes de Savoie dessus dis aveuc li Galois de la Balme, messires Guillaumes de la Balme, ses fis, li sires de la Chambre, messires Aymard de Vyanneiz, li sire d’Ays, messires Loeys Roaire( ?) et messires Hombers, bastars de Savoie, se doient obligier par le foy de leurs corps et par leurs lettres de rendre et paiier a leurs perils et missions en l’un des dis lieus de Namur ou de Viesville dessus dit ou de Liege, s’il convenoit, comme dessus dedens le jour de la Pentecouste continuelment ensuit le dit XVe jour du Noel. De la quelle chose s’il estoient en deffaicte en tout ou en partie, li dessus dit messires li contes de Savoie et li autre obligiet pour li deveroient tout en /98/ leurs propres personnes venir tenir convent dedens le ville de Namur, qu’il y fuissent le jour de la dite feste de Pentecouste; du quel lieu il ne se poroient ne deveroient partir sur leur foit jusques atant que messires li contes de Namur dessus dis seroit entier et a plain paiiez de la somme des quarante mille florins dessus dis. Aveuc les quelles choses dessus dites messires li conte de Savoie dessus dis doit acquiter le dit monsingneur le conte de Namur envers les chastellains et autres officiers ou pays de Waud jusques a le somme de troys mille florins seulement, se tant leur devoit li dis messires li contes de Namur par quelconques maniere que ce fust. Et se mains leur devoit plus ne en deveroit paiier messires li contes de Savoie dessus dis que ce en quoy li dis messires de Namur seroit ayans tenus. Encores tout debtes que on deveroit es dis pays de Waud, de Beugis, et de Verromez a monsingneur le conte de Namur dessus dis par quelconques maniere que ce fust, messires de Savoie seroit entenus de ycelles faire venir ens et paiier au dit monsingneur le conte de Namur ou a celi que de par li yl y volroit commettre. Si est assavoir que s’il advenoit par aucune maniere que persone quelconques, une ou pluiseurs, debatissent ou volsissent aler a l’encontre du dit vendaige, se ce n’estoit messires li contez de Namur, madame Katerine de Savoie, sa femme dessus dite, leurs hoirs ou successeurs, qui d[ed]ans auroient cause ou li uns d’iaus ou li dessus dit pays ou partie d’icheuls volsissent par aucune fourme contrester les convenenches dessus ditez ou aucune d’elles, pour ce ne en deveroient riens poursievre li dis messires li contes de Savoie, les /99/ dessus dis monsingneur de Namur, madame Katerine de Savoie, sa femme, leurs hoirs et successeurs, ne de riens arierer ou detenir les dis paiemens [dessus] devisés qu’il ne les accomplesist comme dit est par chi deseure. Encore est assavoir que pour debtes ou demandez quelconques de quoy on poroit poursievre le dit monsingneur de Namur ne [madame] Katerine de Savoie, sa femme dessus dite, par quelconques maniere que ce fust, tant a cause de monsingneur Loey de Savoie, pere a la dite madame Katerine, madame Ysabiaul de Chalon, sa mere, comme pour le dit monsingneur de Namur ne madame Katerine, sa femme, messires li contes de Savoye dessus dis, ne autre de par li ne peuent ne doient en riens enfreindre, detenir ou arierer les d[itez sommes] en tout ou en partie qu’il ne les paie entirement et sanz empecement aucun as termes, es lieus et en la maniere que dit est. Et nous Ameys, contes de Savoie, et Guillaumes, contes de Namur dessus dis, avons en convenent ce present traictiet et accord tenir ferme et agreable pour nous, nos hoirs et successeurs, et en tesmoingnaige de verité, nous Guillaumez, contes de Namur, dessus dis, y avons mis nostre sayal, et jou Guillaumes de la Balme, sire de l’Emberghement et d’Aubonne, qui toutes les choses dessus dites ay traictiez pour et ou nom de monsingneur le conte de Savoie dessus dis, y ay aussi mis mon saiel aveuc celi de monsingneur le conte de Namur dessus dis et ay en covenent que mes tres chers sires messires li conte de Savoie dessus dis tenra toutes les choses dessus dites et quascune d’elles fermes et agreables. Che fu fait, traictiet et accordet a Morges, le merquedi devant le jour de la /100/ Chandelouze, l’an pris a la Nativite Nostres Singneur, mille trois cens chienquante et noef.
Au dos : « Tractatus vendicionis fiende comiti Sabaudie de terra Vuaudi. »
Arch. Turin. Baronnie de Vaud, II, No 9.
III
1359,18 juin. — Golzinne.
Guillaume, comte de Namur, et Catherine de Savoie notifient à leurs sujets des pays de Vaud, de Bugey et de Valromey la vente de ces diverses contrées au comte de Savoie, et leur mandent d’obéir à leur nouveau seigneur.
Guilliermus, comes, et Katerina de Sabaudia, comitissa Namurcensis … dilectis fidelibus, subditis, nobilibus, burgensibus, communitatibus et hominibus nostris terrarum nostrarum Vuaudi, Beugesii et Veromesii salutem et dilectionem sinceram. Noveritis nos, certis ex causis honorem et utilitatem nostros tangentibus, terras nostras Vuaudi, Beugesii et Veromesii in illustrem principem dominum Amedeum, comitem Sabaudie, legitime transtulisse. Pro cujus exequtione negocii ad partes terrarum predictarum dilectos fideles et consiliarios nostros dominos Arnaldum d’Agimont, Rasum de Gimeppam, Colaum Gravier et Jaquemardum de Seilg, Johannem de Bonignies, prepositum Sancti Albani Namurcensis, magistrum Philippum Valerani ac dominum Hugonem Mistralis de Cletis exhibitores presencium specialiter destinamus, eisdem et cuilibet /101/ ipsorum in solidum committentes predictum negotium exequendi et realem possessionem predictorum expediendi prefato domino comiti Sabaudie vel ipsius mandato, aliaque omnia et singula explicandi nostra parte, vice et nomine, que ad premissa necessaria fuerint vel eciam oportuna et que prefato domino Sabaudie comiti viderint expedire. Mandamus igitur vobis et vestrum cuilibet quatinus in premissis et circa premissa et ea tangencia, omni excusacione et excepcione cessantibus, supra dictorum commissariorum nostrorum et cujuslibet eorumdem, tanquam nobis si presencialiter adessemus, obediatis effectualiter et intendatis jussionibus et mandatis. Nos insuper de hiis que ad mandatum dictorum commissariorum vel alterius eorumdem feceritis et predicto domino comiti Sabaudie responderitis, vos et vestrum quemlibet tenore presencium quittamus et penitus liberamus. Prenominatis aut commissariis nostris et cuilibet eorumdem in solidum quatinus omnia et singula supradicta ad requisicionem et mandatum prefati domini comitis Sabaudie effectualiter exequantur, precipimus tenore presencium, committimus et mandamus. Datum sub sigillis nostris in testimonium premissorum, apud Goulesines, die XVIIIa mensis junii, anno Domini millesimo CCCLIXo.
Arch. Turin. Baronnie de Vaud, II, no 10.
/102/
IV
1359, 20 juillet. — Lausanne.
Aimon de Cossonay, évêque de Lausanne, donne l’investiture au comte Vert, qui lui fait hommage.
Noverint universi presentes litteras inspecturi quod anno Domini millesimo CCCmo quinquagesimo nono, die vicesima mensis julii, indictione duodecima, in ecclesia cathedrali Lausanne ante altare capelle beate Marie Virginis, in ipsius beate Marie conspectu, in mei Johannis Jaceti, presbiteri, notarii publici et curie Lausannensis jurisperiti ac testium subscriptorum presentia personaliter propter infrascripta constitutis reverendo in Christo patre et domino, domino Aymone de Cossonay, Dei et sedis apostolice gratia Lausannensi episcopo, ab una parte, et illustri ac magnifico principe domino Amedeo, comite Sabaudie et domino Wuaudi, ab altera, idem dominus Amedeus comes, sciens, prudens, spontaneus et de jure suo ad plenum certificatus, requisivit et rogavit prefatum dominum Aymonem episcopum ut ipsum vellet investire de feudis que per se vel per alium tenet aut tenere debet ab eodem domino episcopo et ab ecclesia sua Lausannensi, per modum per quem predecessores ipsius domini comitis fuerunt per predecessores dicti domini episcopi revestiti. Qui quidem dominus episcopus prefatus dictum dominum Amedeum comitem presentem, recipientem et solempniter pro se et suis heredibus sive ab ipso causam habentibus stipulantem, revestivit per traditionem unius libri Sacras continentis Scripturas. Postmodum vero prefatus dominus /103/ Amedeus, comes Sabaudie et dominus Waudi, immissis manibus suis inter manus dicti domini episcopi, osculo fidei, ut in talibus fieri solet, interveniente, fecit et intravit homagium dicti domini episcopi presentis et recipientis pro se et successoribus suis in ecclesia Lausannensi predicta, videlicet tale homagium, quale predecessores ipsius domini comitis in comitatu et terra Waudi et etiam ipsemet dominus Amedeus comes predictus fecerunt predecessoribus ipsius domini episcopi in dicta ecclesia Lausannensi. Et promisit dictus Amedeus comes, juramento suo ad sancta Dei evangelia corporaliter prestito, pro se et suis quibuscunque, esse fidelis dicto domino episcopo et ecclesie sue Lausannensi predicte, et eidem novam et antiquam fidelitatis formam bene et fideliter deservire, et facere quicquid vasallus domino suo facere debet et tenetur de jure vel de consuetudine, et non contrafacere vel venire pro se vel per alium aliqualiter in futurum. Et ut predicta omnia et singula majoris obtinerent roboris firmitatem, ipsa voluit dominus Amedeus comes prefatus sibi manifesta ad opus dicti domini episcopi et ecclesie sue Lausannensis ac successorum suorum in eadem, voluit quidem et rogavit apponi presentibus licteris sigillum curie officialatus Lausannensis. Presentibus ibidem testibus ad premissa vocatis specialiter et rogatis nobilibus viris et dominis Johanne de Camera, Eymaro de Saissello, domino de Aquis, Johanne, domino de Cossonay, Girardo de Cossonay, Johanne Ravasii, legum doctore, cancellario dicti domini comitis, domino Sancti Mauricii, militibus, Aymone de Pontevitreo, domino Acrimontis et venerabilibus viris dominis Philippe Ravoyri, cantore Lausannensi, Galtero de Assy, priore Sancti /104/ Marii Lausannensis, Johanne Briveti, thesaurario ecclesie Lansannensis, et P. de Werone, sacrista dicte ecclesie. In quorum omnium premissorum robur et testimonium nos officialis curie Lausannensis de precepto et ad requisitionem dicti domini Amedei comitis nobis oblatas et fidelitatis relacionem per predictum dominum Johannem Jaceti, dicte curie jurisperitum, cui super hoc commissimus totaliter vices nostras et eidem fidem plenariam adhibemus, sigillum dicte curie licteris presentibus duximus apponendum. De cujus domini Johannis protocollis manu sua propria scriptis in quadam cedula papirea, post obitum ipsius domini Johannis presens instrumentum levari et grossari fecimus per Perronetum Lombardi, Lausannensem, notarium dicte curie jurisperitum, juxta formam et substanciam receptam in dicta cedula cui super hoc vices nostras commisimus et eidem fidem plenariam adhibemus. Datum et actum ut supra.
Levata est presens littera per me Perronetum Lombardi predictum, virtute commissionis ut prefertur michi facte.
Idem P. Lombardi.
Arch. Turin. Baronnie de Vaud, III, no 18.
/105/
V
1368, 19 janvier.
Catherine de Savoie, comtesse de Namur et dame de l’Ecluse, donne quittance à son mari, Guillaume Ier de Namur, de 128 429 florins, qui servirent à acheter des terres au comté de Namur et pays voisins (122 556 fl.), et à payer les dettes de Louis II de Vaud, son père (5873 fl.).
Katherine de Savoye, contesse de Namur et dame de le Escluse. Faisons savoir a tous que comme par nostre bon gre, ottroy et volente pour le vendage de nos terres de Waud, de Beugis et de Werromes, nos tres chiers sires et maris messires li contes de Namur ait receu la somme de cent sexante mille florins fors petis, de sexante diis sur le mark de troies, les quelz il devoit et estoit tenus et obligies de convertir et remettre en heritage au proufit de nous et de nos hoirs, ainsi qu’il appert es lettres que nous en avons de li, nous cognissons que de le dite somme de florins, par bon, juste et meur conseil et avis, nos dis tres chiers sires a achaté plusieurs terres et rentes estans en le contey de Namur et es paiis voisins a heritage, les quelles apperent et sont exprimes en deux paires de lettres que nous en avons de li, montans les sommes que paiiet en a cent vint deux mille chienc cens chienquante siis florins dessus dis. Encore en avons nous fait prendre et lever de le dite somme du vendage pour acquitter debtes ou nous estiens tenue pour nostre tres chier singneur et pere, dont Dieux ait l’ame, et pour nous, parmi trois /106/ mille des dis florins donnés en courtoisies au conseil le conte de Savoye pour cause et au traitiet du dit vendage, chienc mille wyt cens sexante treze florins dessus dis, somme de ces parties, cent vint wyt mille quatre cens vint noef florins, telz que dit sont. Desquelz nos dis tres chiers sires s’est bien acquittés envers nous par le maniere que il nous promist apres le dit vendage fait si comme il appert par ses lettres et les a tournés au profit de nous et de nos hoirs ainsi que obligiés en estoit et faire devoit. Pourquoy d’yceli somme de cent vint wyt mille quatre cens vint noef florins dessus dis, nous nos tenons pour solté et bien paiié en rabat et descompt des cent sexante mille florins dessus dis et de tant quittons nous et clamons quitte nostre dit tres chier singneur et tous autres a cui il puet ou porroit appartenir et les obligances que faites en a par devers nous, salvez a nous et a nos hoirs les heritages achattés dont mention est faite par dessus. En tesmoing de ce, nous avons ces lettres saiellées de nostre saiel. Fait et donné le diisnoevisme jour de Janvier, l’an mil CCC sexante et wyt, solont l’usage de le dyocese de Liege.
Au dos : Quittance de Katerine de Savoye, contesse de Namur, au proffit du singneur conte, son mary.
Arch. Bruxelles. Chartes de Namur, No 993.