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Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande

Edition numérique

Frédéric DE MULINEN

Une inféodation du château de Lausanne

Dans MDR, Seconde série, 1891, tome III, pp. 245-254

© 2024 Société d’histoire de la Suisse romande

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UNE INFÉODATION DU CHATEAU DE LAUSANNE

PAR

F. DE MULINEN

 

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UNE INFÉODATION DU CHATEAU DE LAUSANNE

à la fin du XVe siècle.

 


 

Une communication faite l’hiver dernier à la Société d'histoire du canton de Berne avait rapport au palais impérial de Lausanne, dont un membre de la maison de Habsbourg disposa à la fin du quinzième siècle.

Ce palais paraît avoir été une résidence des rois de Bourgogne, habitée par les comtes qu’ils y avaient institués. Le comte Manassé y fait un riche don à l’église de la Sainte-Marie de Lausanne en 890 (Mém. et doc., VI, 283, 284). Quelques années plus tard, en 904, un nommé Frédarius suivit son pieux exemple, datant aussi sa donation de Lausanne Castro (Mém. et doc., VI, 87, 88). Ce Frédarius est sans doute le même qui dans un acte de 902 est qualifié de « comes palatinus missus a domino rege Ruodulfo. » (Mém. et doc., VI, 83). L’on se rappelle que les rois Conrad et Rodolphe III furent couronnés à Lausanne, où certes ils avaient un pied-à-terre digne de leur haut rang.

Il est vrai que le mot « castrum » signifie souvent une place forte et non un château proprement dit; mais ici ce ne peut être le cas. Que ferait-on du « comes palatinus » /248/ à Lausanne et du souvenir qu’ont gardé les empereurs de l’ancienne demeure de leurs prédécesseurs ?

Les empereurs du Saint-Empire succédèrent aux rois de Bourgogne.

Quels étaient à Lausanne les droits auxquels ils pouvaient prétendre ? Voici ce que le cartulaire nous apprend : « A rege tenet regalia dominus episcopus Lausannensis. Regalia vero sunt strate, pedagia, vende, nigre iurie, moneta, mercata, mensure, feneratores manifesti, banni veteres vel de communi consilio constituti, cursus aquarum, fures, raptores. Propter hoc est episcopus obnoxius regi in hoc : quod si propter negotia episcopii sive civitatis vocatus venerit, in sero et in mane debetur ei procuratio. Nihil amplius iuris vel exactionis habet rex in villa Lausanne. Cuius expensas solvere debent burgenses extra muros civitatis manentes et tres curtes episcopi. Canonici debent regi processiones et orationes tantum. » Les Regalia sont donc les droits de route, d’octroi, de vente, des montagnes couvertes de bois, de la monnaie, du marché, des bans, des cours d’eau, des peines de vol et de rapt. On doit au roi, lorsqu’il sera venu pour des affaires de l’évêque ou de la ville, un repas le soir et le matin; les frais sont à la charge des bourgeois hors la ville et des trois cours de l’évêque (Avenches, Curtilles, Bulle). Les chanoines ne doivent au roi que des processions et des prières. Le roi n’a aucun autre droit ni revenu dans la ville de Lausanne. (Mém. et doc., VII, 210; VI, 426.)

Lorsque l’empereur Frédéric I (Barberousse) remit à Bertold de Zæringen, IV du nom, le rectorat de la Bourgogne, charge qui se bornait en somme à l’avouerie /249/ des trois évêchés de Genève, Lausanne et Sion, le duc Bertold jura (1157) à l’évêque de Lausanne qu’il ne s’emparerait point des fiefs qui relevaient de l’évêque, qu’il l’aiderait à rentrer en possession de ce qui lui avait été aliéné, que ses gens n’iraient pas dans les villes de l’évêque pour s’approvisionner, qu’il n’y prendrait pas sa demeure, et non plus dans le palais de l’évêque, ni dans les maisons de son clergé, ni de ses chevaliers et qu’il n’y prendrait rien par force. (Mém. et doc., VII, 16.)

Si le duc n’osait s’établir dans aucune de ces maisons, devait-il coucher à la belle étoile ? Pour être seigneur à Lausanne, il devait pouvoir au moins se reposer sous un toit à lui appartenant.

Lorsque le pape Alexandre confirma les droits de l’évêché, il n’omit point le serment du duc Bertold et le menaça, lui et ses héritiers, de l’anathème, s’ils voulaient y contrevenir. (Mém. et doc., VII, 25, 26.)

Quoique ces articles ne laissassent au duc que peu d’importance, les évêques trouvèrent que c’était encore de trop et ils en voulurent à l’empereur. L’évêque Roger se plaignit amèrement de Barberousse, qui avait amoindri, du temps de l’évêque Amédée (1144-1159), la dignité épiscopale en faveur du duc Bertold, et il lui fit spécialement un grief d’avoir donné au duc le droit de conférer les Regalia. (Mém. et doc., VII, 23.) Mais le duc-recteur ne voulut pas se départir de son droit et le transmit à son fils. On connaît le caractère peu pacifique du dernier duc de Zæringen. A en croire l’évêque, sa vie aurait été bien tourmentée; rapts, incendies, meurtres commis envers des laïques et des prêtres, il n’y /250/ a rien qu’il ne reprochât au duc. Il saisit avec empressement l’occasion de s’adjuger l’avouerie, lorsque Bertold V mourut en 1218. (Mém. et doc., VII, 31.)

Dans la suite, il y eut nombre de changements dans les biens attachés au palais. L’évêque et les comtes de Savoie en eurent la plus grande part. M. de Liebenau en parle dans son travail : Ueber die Reichspfalzen in der Schweiz récemment paru dans les Katholische Schweizerblätter, et je me borne à renvoyer à son article. Je désire cependant attirer l’attention sur un point.

M. de Liebenau suppose que l’empereur Rodolphe de Habsbourg habitait à Lausanne, lors de son entrevue avec le pape Grégoire, l’ancien palais royal. Ce palais joua un rôle encore deux siècles plus tard.

On sait que la maison d’Autriche, dépouillée de son fertile pays d’Argovie, ne perdit pas l’espoir de rentrer en sa possession. Elle ne renonça pas aux droits qu’elle revendiquait et continua à en inféoder les vassaux qui lui étaient restés fidèles. Depuis qu’elle possédait la couronne impériale, ses aspirations tendaient plus haut encore. Les droits prétendus pouvaient lui être utiles dans sa politique bourguignonne. Mais le dénouement des guerres contre Charles-le-Téméraire avait détruit le rêve d’un royaume dont l’empereur avait désiré investir son fils Maximilien. Il voulut cependant connaître ses droits aux pays welches et en Italie, qui étaient devenus très imaginaires. D’une manière ou de l’autre il croyait pouvoir en tirer profit. Il autorisa l’évêque Matthieu de Seckau, son orateur, à inféoder tous les sujets du Saint-Empire, ainsi que ceux d’Italie et de France (1488, janvier 27), /251/ et quelques mois plus tard il fit savoir à ses sujets dans la Lombardie et dans les provinces gauloises que le dit évêque était autorisé à inféoder des fiefs de l’empire (1488, octobre 25. — Böhmer, Regesta Imperii, Nos 8221, 8323).

Il aurait eu de la peine à rentrer en possession de ces biens, depuis longtemps aliénés. Mais ses droits subsistaient quand même, et, s’il ne pouvait lui-même les faire valoir dans ces pays lointains, il restait encore le moyen de les vendre. Pour le moment il n’en parlait pas encore, il voulait maintenir ses droits et choisit des hommes en état de tenir sa place.

Nous sommes au courant de ce que le commissaire impérial fit pour Lausanne. Il donna en fief à Jean de Hallwyl et à ses frères Gauthier et Thierry le château, manoir ou maison de l’empereur située dans la ville de Lausanne avec toute justice, haute et basse, fiefs, dîmes, rentes, droits et toutes leurs appartenances qui relèvent du Saint-Empire et y sont dévolus par l’écoulement du temps sans qu’on l’ait su.

Ce qui nous étonne de plus dans cet acte étonnant, c’est qu’il n’y est pas question du tout des Regalia, qui ne pouvaient être oubliés, puisque le Plaît général les connaît encore fort bien. (Mém. et doc., VII, 210.)

Il n’était guère probable que les nouveaux hommagers eussent pu jouer un grand rôle, l’appui leur aurait fait défaut. Si donc Lausanne ne devenait dans la Suisse occidentale un point de ralliement pour les intérêts de l’empereur, celui-ci pouvait changer ses droits en monnaie. Son commissaire, et les trois frères de Hallwyl tombèrent d’accord sur le point suivant : Si les Hallwyl /252/ vendaient ou se défaisaient en quelque manière que ce fût du château de Lausanne avec les dépendances citées moyennant argent comptant, ils seraient obligés d’en remettre la moitié au commissaire agissant au nom du Saint-Empire. Cet acte fut passé et fait en double le 24 janvier 1489. L’un des doubles, dont mon arrière-grand-père a pris copie, se trouve encore à Hallwyl.

Les Lausannois n’ont probablement jamais appris cette transaction qui les aurait beaucoup surpris. L’acte resta en effet nul. Les Hallwyl n’ont, à ce que je sais, jamais exercé le moindre droit de justice dans ce pays-ci. Mais le fait est que, d’après la lettre, le vainqueur de Morat fut le seigneur feudataire du château de Lausanne. La vente paraît n’avoir jamais eu lieu, et l’empereur gardait ses droits, ainsi que le prouve la bulle d’investiture de l’empereur Maximilien en faveur de l’évêque Aymon de Montfaucon de l’an 1510.

L’empereur y confère et confirme les Regalia necnon temporalia, c’est-à-dire le fief de sa dite église de Lausanne avec la ville de Lausanne, juridictions, domaines, châteaux, castels, bourgs et villages, hommagers, exercice de la juridiction temporelle et le vicariat de la ville et du territoire de Lausanne, et il renonce à tout droit et à toute exception par lesquels les Regalia et le vicariat lui seraient dévolus. (Mém. et doc., VII, 681-683.)

Nous voilà devant une troisième liste de droits impériaux à Lausanne, différente des deux que nous connaissons déjà.

En 1525 encore, à l’occasion du traité de bourgeoisie avec Berne et Fribourg, il est question des droits de l’empereur. Les Lausannois ne voulurent point admettre /253/ qu’ils fussent sujets du duc de Savoie en sa qualité de vicaire du Saint-Empire, et ne reconnurent que l’obligation d’offrir les deux repas à l’empereur. (Recès, IV, 1. a. 805.)

J’ignore si plus tard un acte rappelle encore ces vestiges du Saint-Empire. La largition de 1536 n’en parle pas du tout. N’étant depuis longtemps rien qu’une formalité, ils pouvaient disparaître sans faire de mal à qui que ce soit. La ville de Lausanne en a cependant gardé un souvenir, c’est l’aigle impériale qui protège son écusson.

Voici en termes modernes le document en question (1489, janvier 24) :

« Nous Matthieu par la grâce de Dieu évêque de Seckau d’une part et Jean de Hallwyl chevalier tant en mon nom qu’en celui de Gauthier et Thierry de Hallwyl, mes chers frères, et de nos héritiers naturels et successeurs féodaux d’autre part, faisons savoir par cette lettre : Après que nous Matthieu évêque de Seckau, en qualité de commissaire impérial et par la vertu de la commission à nous donnée par l’empereur, avons donné au dit seigneur Jean de Hallwyl en son nom et en celui des prénommés le château, manoir ou maison impériale située en la ville de Lausanne avec toutes juridictions, hautes et basses, fiefs, droit d’inféoder, ressorts, dîmes, rentes, censes, droits et appartenances qui dérivent du Saint-Empire et lui sont dévolus sans qu’on en ait connaissance, les deux parts ont fait la convention suivante : S’il arrivait que ce château, manoir ou maison à Lausanne avec toutes ses appartenances ou une partie fût, par moi Jean de Hallwyl, mes frères ou nos /254/ héritiers, vendus en quelque manière que ce soit contre de l’argent comptant, nous les dits de Hallwyl ou nos héritiers devons remettre à notre gracieux seigneur de Seckau agissant au nom du Saint-Empire, la moitié de cette somme. Par contre, nous Matthieu de Seckau, nous nous obligeons, au nom du Saint-Empire, à aider les dits de Hallwyl en cette question de vente ainsi que dans tout ce qui regarde ce fief, selon notre pouvoir. Nous avons promis d’exécuter ce qui a été convenu et de le maintenir, et en foi de quoi avons mis nos sceaux à cette lettre dont deux sont faites de la même teneur et données à chaque part une, le samedi avant la conversion de Saint-Paul, en l’an que l’on comptait depuis la naissance de notre Seigneur Christ mil quatre cent huitante et neuf ans. »

 


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