PROCÈS-VERBAUX
FAISANT SUITE
A CEUX PUBLIÉS DANS LE TOME III, SECONDE SÉRIE
Séance du 5 février 1891,
au Musée industriel, à Lausanne.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
Une centaine de personnes assistent à la réunion. M. le président prend d’abord la parole pour rappeler à l’assemblée qu’en convoquant cette séance d’hiver il ne fait que ressusciter une institution précédemment établie par l’un de ses devanciers, M. le professeur Henri Carrard 1. Il espère que ces réunions extraordinaires de la Société, dont des circonstances peu favorables ont empêché la tenue depuis quelques années, reprendront désormais une nouvelle vie et obtiendront comme autrefois la faveur du public.
L’ordre du jour appelle ensuite un travail intéressant de M. MAX DE DIESBACH sur les pèlerins fribourgeois et vaudois, qui ont été en Terre-Sainte pendant le cours du moyen âge. D’après quelques relations contemporaines, écrites par des gens qui avaient fait eux-mêmes le pèlerinage de Jérusalem, tels que Bernard Musy de Romont, et Gachet, bourgeois de Payerne, il nous fait connaître toutes les péripéties qui accompagnaient ordinairement ce voyage lointain. Pour pouvoir effectuer ce dernier, il était nécessaire d’obtenir l’autorisation /132/ du pape ou d’un de ses légats. Les pèlerins se rendaient ensuite, par le Saint-Bernard ou par le Simplon, à Venise, où se trouvait le rendez-vous d’autres compagnons de route, venus de la Suisse, de l’Allemagne, de l’Autriche occidentale ainsi que du nord de l’Italie. Dans cette ville, des patrons de vaisseaux, véritables précurseurs des agences actuelles Cook ou Pierotti, se chargeaient, pour un prix fixé d’avance, de les rendre à destination, tout entretien compris. On revenait d’habitude en Europe par voie d’Alexandrie d’Egypte. La traversée souvent n’était pas sans danger. Soit à l’aller, soit au retour, on était attaqué par des pirates et maint convoi de pèlerins fut massacré par eux ou réduit en captivité. Les personnages les plus marquants qui visitaient la Palestine ne manquaient pas de se faire affilier dans la chevalerie du Saint-Sépulcre. Au nombre des Fribourgeois et des Vaudois, revêtus de cette distinction, on cite entre autres Guillaume d’Avenches, le banneret Falk, Antoine de Treytorrens, d’Estavayer, et Jacques de Rovéréaz, seigneur de Crest. M. de Diesbach fait circuler un ex-libris aux armes de la famille de Praroman, dont le cimier est surmonté d’une demi-roue, insigne de l’ordre de Sainte-Catherine, conféré aussi aux pèlerins.
M. ALOÏS DE MOLIN donne lecture du chapitre d’introduction de l’ouvrage substantiel et original qu’il prépare sur l’architecture militaire de la Suisse romande, au temps de la féodalité. Des historiens de beaucoup de mérite, tels que MM. de Gingins et L. Vulliemin ont fait erreur, selon lui, en attribuant à plusieurs châteaux de notre pays une antiquité trop reculée. Les types les plus anciens des travaux de défense, dont on voit les vestiges dans notre contrée, remontent à la fin du dixième siècle. Ce sont les châtillons et les châtelards, sorte de camps retranchés, fermés par des terrassements. La seule différence que l’on constate dans leur construction, c’est que le châtelard, qui est non seulement comme le châtillon un lieu de refuge, mais encore un poste d’observation, offre dans sa partie centrale une éminence fortifiée, appelée motte ou molard. Pour pouvoir dominer la contrée environnante, on édifia sur cette motte une tour de bois et plus tard de pierre. Ce fut l’origine du donjon, dont la forme, d’abord carrée, devint, dans la /133/ suite, cylindrique. A ce donjon, on adossa bientôt une habitation pour le seigneur. Le tout fut entouré d’un mur de circonvallation, pourvu à son sommet de créneaux. Les croisades firent faire des progrès très sensibles à la construction des châteaux. On en rapporta les « mâchicoulis », les « sapes », le « chemin de ronde » et la « lice ». Dans le cours du quatorzième et du quinzième siècle, le mode d’architecture continua à se modifier. Au lourd style savoyard et bourguignon, qui avait été jusqu’alors en vogue, on substitua peu à peu, grâce à la venue des maçons italiens, le type de ce dernier pays, d’une structure plus légère et fait avec des briques. Au seizième siècle, la Renaissance imposa aussi sur ce point son cachet à notre patrie.
M. AIGROZ, chef de service au Département des Cultes, communique la curieuse découverte qui vient d’être faite à Lausanne, dans la rue de la Cité-Derrière, au sous-sol de la maison Bonnet, maintenant démolie, d’une ancienne crypte ou chapelle souterraine dont on ignorait l’existence et qui paraît dater du treizième siècle. Il est d’avis que cette crypte pourrait bien avoir appartenu à l’antique chapelle Saint-Maire, laquelle devait exister dans ces parages et que l’on a vainement cherchée sur l’emplacement de la Caserne no 2. La crypte retrouvée, dans laquelle on descend par un escalier de vingt-trois marches, se compose de deux parties rectangulaires, disposées en forme de croix. Le rectangle opposé à l’entrée, remarquable par ses arceaux en ogive, est plus élevé que l’autre de trois marches. C’était sans doute le chœur de la crypte. Un buffet destiné à cacher des ornements d’église, encastré dans un des murs, donne de la vraisemblance à cette opinion. Comme cette crypte va incessamment être détruite, par suite de la reconstruction du quartier, M. Assinare, l’architecte cantonal, en a dressé un plan commémoratif, que M. Aigroz présente à son auditoire. /134/
Séance du 20 mai 1891,
dans la grande salle du Tribunal fédéral, à Montbenon.
Troisième journée des fêtes d’inauguration de l’Université de Lausanne.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
Plus de quatre-vingt personnes, membres ou amis de la Société, assistent à la réunion. Au nombre des invités étrangers on remarque surtout : M. Liard, directeur général de l’enseignement supérieur en France, MM. les recteurs des Universités de Berlin, de Copenhague, d’Utrecht, de Leipzig, de l’Académie de Chambéry, M. Monod, directeur de la Revue historique, de Paris, etc.
Après lecture du procès-verbal de la séance du 18 septembre 1890, qui est approuvé par MM. les membres effectifs de la Société, M. le président donne connaissance des motifs qui ont engagé le Comité à promettre le concours de notre compagnie aux présentes fêtes universitaires. Notre Comité a agi, dans cette circonstance, comme ceux de toutes les autres sociétés savantes dont le siège se trouve à Lausanne, et son but principal a été de mettre sous les yeux des illustres représentants de la science historique, venus de l’étranger pour les fêtes, nos productions dans ce domaine. C’est avec plaisir que M. le président constate que ces hôtes éminents ont répondu nombreux à son appel.
Dans un aperçu bien fait et substantiel, il passe ensuite en revue les origines des diverses sociétés d’histoire suisse. Pour augmenter l’intérêt et le sérieux des recherches individuelles, on a senti depuis longtemps, un peu partout en Europe, le besoin de fonder des associations, embrassant dans le cadre de leurs études, les unes la totalité, les autres certaines parties seulement de la science humaine. Dans les pays qui nous environnent, les plus célèbres et les plus anciennes de ces associations /135/ ont pris naissance sous les auspices de l’Etat et sont restées depuis lors à sa solde et sous son patronage, formant des corps fermés, limités à un certain nombre de membres. Il n’en a point été de même à cet égard en Suisse, où toutes nos sociétés, quelles qu’elles soient, — à une seule exception près, l’Institut national genevois, — sont libres de liens vis-à-vis de l’Etat, étant dues à l’initiative privée. Elles sont donc nécessairement multitudinistes, puisqu’elles ne subsistent régulièrement que par les seules contributions des personnes qui en font partie. Tel est en particulier le cas pour toutes nos sociétés historiques.
Au milieu du siècle passé, on trouve déjà dans notre pays des compagnies scientifiques qui s’occupent entre autres d’histoire. Les premières dont le but exclusif est l’étude de cette science datent du second quart de notre siècle. La plus ancienne est celle de la Suisse romande, fondée le 6 septembre 1837. Après elle virent le jour : la Société genevoise, en l’année 1838, celle de Bâle en 1839, celles de Fribourg et de Zurich en 1840. Enfin en 1841, la Société suisse d’histoire fut constituée pour servir de lien entre les sociétés déjà existantes et celles qui devaient naître à l’avenir. M. van Muyden rappelle la création de ces dernières jusqu’à l’Association Pro Aventico, qui ne remonte qu’à 1885. Et s’occupant en particulier de la Société d’histoire de la Suisse romande, il retrace en quelques mots son histoire et fait une rapide nomenclature du du contenu des trente-huit volumes, jusqu’ici publiés par elle. Puis il présente le trente-neuvième (tome III de la seconde série) dont la distribution aura lieu incessamment. Son intéressant discours terminé, M. le président annonce encore le décès récent de M. Xavier Kohler, membre effectif de la Société dès le 10 septembre 1845, et la démission de M. Ernest Chavannes, qui demande, pour cause de santé, à se retirer du Comité, où il siège depuis 1871. Par cette démission, acceptée avec regrets, trois places sont maintenant à repourvoir dans le Comité. Pour l’une de ces places, les assistants confirment la nomination de M. Aloïs de Molin, faite provisoirement par le Comité; pour les deux autres, ils nomment MM. Max de Diesbach, secrétaire de la Société fribourgeoise d’histoire, et Edouard /136/ Favre, président de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève. Ces messieurs acceptent avec reconnaissance.
Sont présentés comme membres nouveaux : M. Henri Erman, professeur à l’Université de Lausanne, M. Jules Mestral, ancien pasteur, à Préverenges, M. Aimé Bettex, instituteur à Yverdon, M. Gustave Schuckhardt, instituteur à Montreux,. M. Edouard Payot, directeur du collège de Lausanne, M. Paul Maillefer, professeur à Lausanne, M. Edmond Rossier, professeur à Lausanne.
M. l’abbé GREMAUD lit un travail très complet sur Othon Ier, de Grandson. Cet Othon n’était pas, comme l’avance M. de Charrière, fils d’Amédée, mais de Pierre Ier, de Grandson. Une légende qui, du reste, a couru sur divers autres membres de sa famille, rapporte qu’à sa naissance on prédit que sa vie serait intimément liée à l’existence d’un tison allumé, conservé dans sa maison, et qu’en effet, ce tison brûla jusqu’au jour où, fatigué de vivre, Othon l’éteignit pour mourir sitôt après. Ce seigneur de Grandson quitta assez vite le pays de Vaud pour se rendre en Angleterre, où un autre membre de sa famille, Gérard de Grandson, avait cherché fortune, à la suite de Pierre de Savoie, en l’année 1259. La première mention qui est faite d’Othon se rapporte à une expédition en Terre-Sainte. Le roi Edouard le chargea en 1271 du commandement des troupes anglaises qui formaient la garnison de Saint-Jean d’Acre. Plus tard, il lui confia le poste de gouverneur des Iles Normandes, mais le seigneur de Grandson, au lieu de les administrer en personne, remit le pouvoir à un vice-bailli, qui compromit la situation de son chef par des abus si criants que le roi dut révoquer Othon. Celui-ci, de retour en Syrie, subit dans Saint-Jean d’Acre, avec Jean de Grailly, un siège pendant lequel les deux commandants abandonnèrent lâchement leur troupe pour s’enfuir dans l’île de Chypre. Le seigneur de Grandson prit ensuite une part plus glorieuse à la guerre contre la France. Depuis la fin du treizième siècle, il paraît être venu, à plusieurs reprises, dans son pays natal, où on le voit assister à la lutte des seigneurs vaudois contre l’évêque de Lausanne, lutte qui Se termina, en 1300, par le traité d’Ouchy. Il fut présent au contrat de mariage entre son neveu Pierre II /137/ de Grandson et Blanche de Savoie. C’est quelques années plus, tard, en 1320, qu’il fonda la chartreuse de la Lance. Lorsqu’il mourut, au commencement d’avril de l’année 1328, il fut enseveli, suivant M. Gremaud, qui se fonde en ceci sur une clause de son testament, dans le chœur de la cathédrale de Lausanne. La tombe, qu’une charte de nécrologie de la Lance, indique comme se trouvant dans l’église de ce monastère, sous date du 23 janvier 1871, ne serait dans ce cas qu’un cénotaphe ?
M. VAN MUYDEN observe, à propos de la notice de M. Gremaud, que M. Adalbert de Gumoëns, dans son travail sur les origines de sa famille, dit que la branche anglaise des Grandson doit s’être éteinte dans la maison de Villiers, qui porte les mêmes armes que les sires de Gumoëns, issus notoirement des anciens Grandson.
M. Charles BUGNION déclare qu’il a fait en Angleterre de sérieuses recherches à ce sujet, mais que ces recherches l’ont convaincu que les Grandson et les Villiers n’avaient entre eux aucun lien de filiation.
Le sujet traité par M. Arthur PIAGET est l’étude de diverses chansons, composées au seizième siècle, sur la bataille de Marignan. Cette défaite porta une sérieuse atteinte au prestige dont les Suisses jouissaient à l’étranger depuis leurs victoires sur Charles le Téméraire. Comblés d’honneurs et flattés par les monarques de l’Europe, ils étaient devenus, à la suite de ces succès, d’une arrogance sans pareille. Aussi la joie fut-elle-grande lorsqu’on vit choir « ces dompteurs de princes et ces châtieurs de rois » comme ils s’appelaient, si l’on en croit Brantôme. Un certain nombre de chansons furent composées à ce propos en France et dans des villes d’Italie, dans un esprit hostile aux vaincus. La plupart de ces chansons sont inédites;, d’autres ont été publiées de notre temps. Plusieurs d’entre elles sont anonymes; aucune n’a de valeur poétique. La première qu’analyse M. Piaget a pour titre L’obstination des Suisses, par maistre Jehan, serviteur de Louis de Clèves. C’est un sanglant pamphlet contre les bandes suisses, que dépasse encore en violence une pièce de vers de Jean-Georges Alione, d’Asti, contenue dans ses Œuvres, éditées par Brunet, à vingt-cinq exemplaires. Parmi d’autres productions signées, se rapportant /138/ au même sujet, il faut accorder une mention particulière à des poésies de Jean Molinet et de Clément Jannequin. Celle que ce dernier composa fut célèbre de son temps, sans doute à cause de sa musique. Brantôme rapporte une anecdote qui prouve sa popularité. Les rédacteurs du catalogue La Vallière ont enfin attribué à Guillaume Budé une ballade anonyme sur la victoire de Marignan, parce que cette ballade se trouvait précédée, dans l’exemplaire qu’ils avaient sous les yeux, d’une introduction de la main de l’illustre helléniste. M. Piaget a vu à son tour cet exemplaire et a reconnu qu’introduction et ballade ne sont point faites pour aller ensemble.
M. Eugène SECRETAN dit quelques mots des fouilles entreprises tout récemment sur le coteau de Rivoire, près de Martigny. On a extrait du sol des morceaux de poterie, des bracelets en bronze, des médailles diverses, et, ce qui est le plus curieux, cinq petites colombes en terre cuite. Commes ces colombes ne se rencontrent jamais que dans les tombes chrétiennes, il serait important d’établir avec précision, si elles gisaient sous terre côte à côte avec les médailles, qui appartiennent au premier siècle. C’est ce que M. Secretan n’a pu jusqu’ici vérifier. Si cela devait être, il y aurait là raison majeure de supposer qu’il faut faire remonter à cette époque reculée l’introduction du christianisme dans le Valais.
Après levée de la séance, un joli banquet est servi au Cercle de l’Arc. Les savants étrangers, invités pour la séance, sont du nombre des convives. M. van Muyden porte au dessert un toast plein d’humour à ces hôtes de distinction. M. Gabriel Monod lui répond très aimablement au nom des professeurs français, puis, comme pour mieux prouver que la science n’a rien à démêler avec la rivalité politique des nations, il se charge, à l’invitation de MM. les recteurs allemands, d’exprimer en leur nom toute leur gratitude pour l’accueil qui leur est fait. /139/
Séance du 24 septembre 1891,
au château de Cheneau, à Estavayer.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
Une soixantaine de membres sont présents.
M. le secrétaire lit le procès-verbal qui est approuvé. Puis M. le caissier présente les comptes de l’année 1890, dont la production n’a pu être faite dans la séance d’été, MM. les vérificateurs ne les ayant point remis à temps pour cette séance. Ensuite des grosses dépenses d’impression que la Société a mises à sa charge par la publication de trop forts volumes, et encore dernièrement par le coût exceptionnel du catalogue des livres de sa bibliothèque, elle se voit actuellement obligée d’emprunter 1400 francs à son fonds de réserve, en vendant deux obligations, emprunt de la Broye, et une obligation de la Suisse Occidentale. Ceci afin de payer des sommes immédiatement exigibles. Vis-à-vis de cette situation embarrassée, l’assemblée générale autorise M. le caissier à la vente de ces titres.
M. le président annonce en quelques mots que la réunion de cet automne a dû être retardée, parce qu’il a été appelé à un service militaire. Il donne la bienvenue aux assistants et présente quatre membres nouveaux qui sont : MM. l’abbé Denis Imesch, professeur à Brigue; François Reichlen, à Fribourg; Hippolyte Aubert, à Genève et Jules Savary, pasteur à Ressudens. Tous quatre sont élus par acclamation.
M. Arthur PIAGET dépose sur le bureau un nombre assez considérable d’exemplaires de son intéressante brochure sur Othon de Grandson et ses poésies, pour en faire don aux membres présents de la Société.
La parole est donnée à M. A. de MONTET pour faire rapport sur la séance tenue le 7 septembre de cette année, dans le village de Travers, par la Société d’histoire du canton de Neuchâtel et où il a représenté la Société d’histoire de la Suisse romande. Dans ce rapport, il fait ressortir le caractère populaire de cette société et se loue de l’accueil hospitalier dont il a /140/ été l’objet. MM. Philippe Godet et Châtelain, membres du Comité de la Société neuchâteloise, ayant été à leur tour délégués par cette compagnie à la réunion d’Estavayer, il leur souhaite une cordiale bienvenue.
M. l’abbé GREMAUD entretient ensuite ses collègues des origines de la ville d’Estavayer, qu’une tradition dit avoir été fondée par Stavius, chef d’une horde de Vandales. On a trouvé à Estavayer une station lacustre, mais aucune trace d’établissement romain. Et, en dépit de la tradition, l’histoire ne fait remonter son antiquité qu’au commencement du douzième siècle. Elle se composa tout d’abord d’un seul quartier, le Vieux Bourg, auquel furent joints successivement dans la suite deux autres quartiers : le bourg appelé « Les Chavannes » et celui de la « Bâtiaz. » Ce fut en 1316, que Guillaume d’Estavayer, chanoine de Lausanne et archi-diacre de Lincoln, amena et établit à Estavayer les dominicaines d’Echissiez, près de Lausanne. Elles y eurent couvent et église.
Une seconde partie de l’instructif aperçu de M. l’abbé Gremaud est consacré à l’historique sommaire des églises de la ville; Saint-Laurent et celle dite des Jésuites qui paraissent avoir été toutes deux construites au quinzième siècle, ainsi qu’à la description des objets les plus précieux d’art ancien conservés dans leur trésor. Une généalogie de la maison d’Estavayer, rédigée par Clarembaut et ornées d’armoiries coloriées, circule parmi les assistants. Ce manuscrit est aujourd’hui possédé par M. Max de Diesbach.
M. DE MOLIN donne lecture d’une consciencieuse étude sur l’histoire architecturale du château de Cheneau (le principal des châteaux d’Estavayer, et celui dans lequel se trouvait alors réunie la Société d’histoire). Ce travail constituera un des chapitres de l’ouvrage que prépare son auteur sur les manoirs historiques du Pays de Vaud. La partie la plus ancienne du château de Cheneau est, sans contredit, son donjon, qui date, à ce que l’on croit, du onzième siècle. Quant aux autres bâtiments : tours, tourelles, corps de logis, ils sont de différentes époques. Les plus anciens sont très probablement du temps de Pierre de Savoie; les plus modernes portent le millésime de 1760. Les deux tours de briques, construites parallèlement au /141/ lac, à droite et à gauche du château, portent l’empreinte du quinzième siècle. Elles offrent ceci de remarquable, c’est que, bien qu’évidemment construites pour la défense du château, elles se trouvent isolées, en dehors de ses murailles.
M. Eugène RITTER a traité encore à Estavayer son sujet de prédilection, Jean-Jacques Rousseau et ses ouvrages. Il recherche la chronologie que contient la Nouvelle Héloïse. Et prenant pour son point de départ la date de la mort de Julie, que Rousseau fixe lui-même d’une manière assez précise comme celle d’un événement survenu dans l’année qui précéda son passage à Clarens, c’est-à-dire en 1742, il suppute de cette date en arrière les trop rares et souvent trop vagues données de temps, qui accompagnent dans le volume les actions de ses héros. Or la suite des dates ainsi trouvées n’est pas concordante avec celle des faits. La conclusion que l’on en doit tirer c’est que, si l’on constate d’une part que Rousseau a voulu faire de Saint-Preux son contemporain, on doit reconnaître aussi d’autre part qu’il n’a point toujours usé, à son propos, d’exactitude chronologique. Sans doute pour ne pas imiter, dans son roman, ces rimeurs qui, selon Boileau,
En chantant d’un héros les progrès éclatants
Maigres historiens, suivent l’ordre des tems.
M. DE BUDÉ a lu la première partie d’une biographie assez étendue, qu’il consacre à la mémoire de Jacob Vernet, et qui va bientôt sortir de presse. Les plus intéressants matériaux de cette biographie ont été recueillis dans la correspondance de ce théologien genevois avec son compatriote et ami, le célèbre Jean-Alphonse Turrettini, surtout pour ce qui concerne ses voyages en France, en Italie, en Suisse, en Allemagne, en Hollande et en Angleterre. C’est dans le second (dernier) de ses voyages que Vernet noua des relations durables avec Montesquieu et Barbeyrac, et, qu’à Londres, il fut présenté à la reine d’Angleterre.
M. E. DE MURALT donne une interprétation nouvelle de diverses chartes contemporaines, que plusieurs historiens modernes ont opposées à la tradition de l’ancienne liberté des Schwytzois. Il conteste la portée attribuée par M. de Wyss au don fait du Zurichgau, par l’empereur Frédéric II au comte /142/ Albert de Habsbourg, de même qu’à la prétention, du reste injuste et mal fondée, que le roi Rodolphe, descendant d’Albert, s’arrogea plus tard en prenant le titre d’avoué et de protecteur des Schwytzois. Ces derniers étaient des hommes libres de temps immémorial. Au milieu du treizième siècle, on constate déjà documentairement à leur tête un landamman et des juges élus par eux.
Au banquet, dressé à l’hôtel du Cerf, eurent lieu de nombreux toasts et d’humoristiques productions.
Séance du 9 juin 1892,
à l’Hôtel de ville de Vevey.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
La séance a été précédée d’une charmante collation chez. M. Edouard Couvreu, au château de l’Aile.
Environ cinquante membres sont présents.
Après lecture du procès-verbal, qui est adopté, M. le caissier donne un résumé des comptes. En l’absence des vérificateurs désignés, M. Charles Bugnion les a revus et les a reconnus exacts. Ils bouclent, fin décembre 1891, par un solde créancier d’environ trois cents francs.
M. le président prend ensuite la parole pour annoncer la publication du premier fascicule du quatrième volume des Mémoires et documents, seconde série. Ce fascicule contient un travail intéressant de M. Victor van Berchem sur Jean de la Tour, condottière valaisan, et la jolie étude de M. Arthur Piaget sur les chansons relatives à la bataille de Marignan, lues l’année passée à Lausanne. M. van Muyden fait ensuite connaître qu’à la demande de notre Comité, le Conseil fédéral et le Conseil d’Etat du canton du Valais se sont l’un et l’autre, engagés à contribuer, par une subvention de trois mille francs, payables en trois annuités, aux frais de la publication des nouveaux volumes de chartes valaisannes, que M. Gremaud va faire paraître dans nos Mémoires et Documents. Grâce à cette libéralité, la Société d’histoire de la Suisse romande n’aura /143/ plus qu’un léger sacrifice à faire pour l’édition de ces volumes, qui complèteront utilement l’œuvre de bénédictin, entreprise par le savant abbé. L’assemblée apprend avec plaisir que les héritiers de M. Godefroy de Charrière ont généreusement fait don à la bibliothèque de notre société d’un nombre assez considérable de manuscrits, tant de lui-même que de son père, M. Louis de Charrière, et de M. Clavel de Ropraz. La presque totalité de ces manuscrits se trouvent être déjà publiés. A la demande de la Société d’histoire suisse, la Société d’histoire de la Suisse romande tiendra, au mois de septembre prochain, sa séance d’automne à Payerne. M. de Wyss, président de la Société d’histoire suisse, présidera la réunion des deux sociétés. Le cinquantième anniversaire de la fondation de la Société générale d’histoire suisse a donné à la nôtre l’agréable occasion de répondre à la bienveillante courtoisie qu’elle nous avait témoignée autrefois, lors de notre propre jubilé, en nous envoyant une adresse de félicitations confraternelles. Notre bureau lui en a fait parvenir une du même genre pour sa fête semi-séculaire des 14 et 15 septembre 1891. M. le président termine ses communications par des notices nécrologiques sur les membres de notre société décédés en 1891. Ce sont : MM. Adam Vulliet, Henri Lecoultre, Gustave de Bonstetten, Emile David, Victor Ceresole, Michel Chauvet, Louis Daflon, Louis Herminjat, enfin le cardinal Mermillod, et parmi nos membres honoraires, M. Alfred Maury, de l’Institut de France.
M. ALBERT DE MONTET fait lecture d’une notice historique sur l’Hôtel de ville de Vevey. Lorsque un octroi de seigneurs locaux eut institué dans cette cité des autorités communales, en l’année 1356, ces autorités installèrent leur résidence au centre de l’ancien bourg du Vieux-Mazel, dans une des maisons appartenant à l’hôpital bourgeois, qui avait été fondé un quart de siècle auparavant. C’est là qu’elles ont continué à habiter jusqu’à aujourd’hui, agrandissant toujours plus leur demeure aux dépens de leur complaisant voisin, de sorte que celui-ci fut finalement contraint, faute de place, de vider les lieux et de se construire un bâtiment neuf au bourg de la Villeneuve. Ensuite de ces rapports intimes et séculaires entre la maison de ville et l’hôpital du Vieux-Mazel, l’auteur se voit obligé de /144/ consacrer à l’hôpital une partie de son étude en traitant son histoire depuis sa fondation par Willerme et Mermet d’Aubonne, en 1327, jusqu’à son départ du Vieux-Mazel, en 1736. Quant à l’histoire de l’Hôtel de ville, M. de Montet la prend aussi à ses débuts pour suivre ce bâtiment dans ses agrandissements successifs de 1584 et de 1710, lequel dernier fut décidé après que le grand incendie, qui désola Vevey en 1688, eut permis d’ouvrir une place à l’occident de l’ancienne maison de ville. C’est le 30 juin 1710 que fut inauguré, sur une partie de cette place, un corps de logis neuf raccordé à l’ancien aussi bien que cela fut possible.
Après le transfert de l’hôpital à la Villeneuve, les deux maisons qui lui restaient au Vieux-Mazel, se trouvant ainsi vacantes, le Conseil destina la plus grande, située entre l’ancienne maison de ville et la chapelle de Saint-Jean, à des logements d’employés communaux. Sur le conseil de l’architecte Girard, chargé de la restauration de ces trois bâtiments, il les fit réunir en une seule construction, 1755. M. de Montet consacre quelques lignes aux trois tableaux anciens de la salle du Conseil : le premier, scène allégorique rappelant le baptême de Catherine-Emilie de Grool, donné par son auteur, Glaude de Villarzel, allié d’Erlach, et non pas, comme on l’a cru jusqu’ici, par Madame de Grool, née princesse de Portugal; le second, un portrait de Gustave-Adolphe, roi de Suède, donné en revanche par le colonel de Grool, mari de la dame ci-dessus, mais que différents indices font supposer n’avoir pas été peint d’après nature et ne point provenir du roi lui-même; le troisième, un portrait de M. le conseiller Ronjat, qui se trouve n’être qu’une copie commandée par le Conseil au peintre Guillebaud, en février 1787.
Une description historique de la tour Saint-Jean, qui a servi longtemps de chapelle à l’hôpital et à la maison de ville, termine la notice. Dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, lorsqu’on aggrandit l’Hôtel de ville, en y joignant l’ancien hôpital, on répara complètement cette vieille tour, que, depuis la Réformation, l’on employait comme entrepôt.
M. MAILLEFER présente enfin un travail très soigné sur l’origine de la révolution du Pays de Vaud en 1798. Cette révolution /145/ qui avait sa principale cause dans le despotisme et l’arbitraire de la plupart des fonctionnaires bernois, fut précédée pendant assez longtemps de manifestations simplement protestatoires. Ce ne fut qu’après l’arrêté du 8 nivôse (18 décembre 1797), lequel, en menaçant Fribourg et Berne d’une intervention de la France en faveur de leurs sujets, excita l’audace des patriotes, qu’elle commença à prendre un autre caractère. Encore ne fut-il alors question que de demander à LL. EE., par une pétition, de convoquer l’assemblée des Etats du Pays de Vaud. Des comités s’organisèrent pour faire signer cette pétition et pour stimuler les campagnes. Nyon, Lausanne et surtout Vevey furent à la tête du mouvement. Le gouvernement bernois, pour conjurer l’orage, décida de faire prêter par la milice le serment au souverain. Grâce aux intrigues suscitées en plusieurs lieux, ce serment se prêta mal. Le premier fait d’agitation révolutionnaire fut la prise du château de Chillon par les patriotes veveysans, le 11 janvier 1798. L’attitude irrésolue des conseils bernois, dans lesquelles la division s’était glissée, contribua à hâter la marche des événements, qui aboutirent, après l’apparition d’une circulaire du général Ménard annonçant l’arrivée de ses troupes à la frontière, à l’établissement de la République Lémanique, 24 janvier 1798. C’est cette date qui doit être considérée comme celle de l’indépendance du Pays de Vaud.
M. E. DE MURALT fait quelques observations au sujet du serment exigé par LL. EE. et dont vient de parler M. Maillefer. Il le croit exclusivement militaire et non point civil. Quant à la cause principale de l’entrée des Français dans le Pays de Vaud, elle réside dans de faux bruits, répandus à cette époque et dans le fatal événement de Thierrens.
M. l’abbé JEUNET signale l’existence, en janvier 1798, d’espions bernois dans la vieille tour de la Molière, près de Murist.
Enfin M. le président constate que M. Maillefer a clairement prouvé que la révolution vaudoise commença antérieurement à l’arrivée des troupes du général Ménard. Il ressort encore de son travail que ce ne sont point les campagnes qui ont organisé ce mouvement. Elles lui étaient plutôt hostiles. /146/ Ses auteurs, ce sont les villes, surtout les villes riveraines du Léman, ce qui peut s’expliquer par le fait que c’est là que s’étaient établis la plupart des réfugiés français de la Révocation de l’Edit de Nantes. Issues en partie de ces familles, les populations de ces villes étaient ainsi naturellement sympathiques à la France et aux manifestations libérales qui s’y faisaient jour depuis des années. De là des tendances politiques opposées au régime de LL. EE. et qui ne pouvaient manquer d’éclater tôt ou tard, comme cela arriva effectivement.
Un banquet, qui eut lieu à l’Hôtel d’Angleterre, fut suivi de nombreux toasts de MM. Bær-Monnet, syndic de Vevey, Berthold van Muyden, Clausen, juge fédéral, Eug. Ritter, Edouard de Muralt, Charles Perret, Adrien Perret, de Montet, Stræhlin, Bugnion, de Werra, etc. M. Kues, antiquaire à Aigle, chanta une chanson patoise, puis une partie de la société alla visiter l’église de Saint-Martin, tandis que d’autres membres se rendaient directement au Musée. M. E. Couvreu a bien voulu se charger de transmettre à l’Etat du Valais la somme de 197 fr. 50, produit d’une collecte faite parmi les assistants au profit des malheureux incendiés de Sous-Lalex.
Séances des 13 et 14 septembre 1892,
à Payerne.
Le récit de ces séances, tenues conjointement avec la Société-générale d’histoire suisse et avec la Société suisse des monuments historiques, sous la présidence de M. Georges de Wyss, figure dans les procès-verbaux de la Société suisse d’histoire. Les sujets qui concernaient particulièrement la Société d’histoire de la Suisse romande sont :
1o Un discours de M. van Muyden, président de la Société.
2o La nomination de quelques nouveaux membres, à savoir : MM. Auguste Malan, pasteur à Payerne; Philémon Ducommun, instituteur au dit lieu; Jules Joseph, pasteur à Avenches; G.-A. Bridel, éditeur-imprimeur à Lausanne; Edmond Maury, pasteur au Raincy, près Paris; Gérard Fornerod, notaire à Avenches; Eugène Lecoultre, syndic de cette ville. /147/
3o Un mémoire étendu, lu par M. ALOÏS DE MOLIN, sur les châteaux des évêques de Lausanne au douzième siècle.
4o Un autre mémoire de M. THÉOPHILE DUFOUR sur un rapport des visiteurs de Cluny, concernant l’état religieux et matériel des maisons dépendantes de ce monastère, en 1355.
5o Une notice de M. EUGÈNE DE BUDÉ sur sept volumes de notes, rédigées au jour le jour par son ancêtre Guillaume de Budé.
6o Une communication de M. GEORGES FAVEY sur la selle dite de la reine Berthe, et sur les mentions qu’en ont faites les voyageurs, aux dix-septième et dix-huitième siècles.
7o Enfin une savante étude de M. le professeur RAHN sur l’église abbatiale de Payerne, qui doit naturellement prendre place ici, puisque notre Comité unanime a décidé que la publication en sera faite aux frais de notre société, lorsque M. Cart l’aura traduite en français.
Séance du 9 juin 1893,
au Musée industriel, à Lausanne.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
Une trentaine de membres sont présents.
Après lecture du procès-verbal de la dernière séance et d’un résumé des comptes de 1892, qui sont l’un et l’autre adoptés, M. le président retrace dans un rapide, mais substantiel rapport, la marche de la société pendant les trois années qui viennent de s’écouler, soit au point de vue de ses séances et des productions qui y ont été lues, soit au point de vue des publications qui ont paru dans ses Mémoires et Documents. Il annonce finalement que les sociétaires qui ont déjà reçu tout récemment le quatrième volume des Documents relatifs à l’Histoire du Valais, de M. l’abbé Gremaud, seront encore prochainement gratifiés d’une étude de M. Rahn sur l’église abbatiale de Payerne et d’un album d’antiquités lacustres, publiés d’après des dessins exécutés jadis par M. Fayod aux frais de M. A. Morel-Fatio. Deux ouvrages, le huitième volume de la Correspondance des Réformateurs, œuvre de M. Herminjard /148/ et la Revue historique vaudoise, de M. P. Maillefer, offerts en don par leurs auteurs, sont présentés à l’assemblée. Cette dernière procède ensuite à la nomination du Comité, dont tous les membres sont réélus en deux tours de scrutin, le premier pour le président, le second pour les autres membres, comme suit : M. van Muyden, président; MM. de Montet, Gremaud, Dufour, de Molin, Favey, Cart, Favre, et de Diesbach.
Sont reçus membres de la Société : MM. Adrien Colomb, à Saint-Prex; Jules Mellet, à Lausanne; Du Bois de Dunillac, à Yverdon; Louis Dupraz, bibliothécaire à Lausanne; Emile Bonjour, rédacteur à Lausanne; Emile Chappuis, notaire, à Chexbres.
M. FAVEY a ensuite la parole pour lire, avec des explications préalables, un récit de l’échauffourée de Thierrens, dans la soirée du 25 janvier 1798, fait par un témoin oculaire, Daniel-Albert de Trey, député de Payerne à l’Assemblée provisoire du Pays de Vaud et frère du futur conseiller d’Etat de ce nom. L’auteur se trouvait dans la voiture de l’adjudant Autier et nous donne, dans son intéressante et malicieuse narration, la version française de ce fâcheux événement qui fut, comme on le sait, le principal prétexte de l’entrée des troupes du général Ménard en Suisse. D’après lui, ce serait la patrouille de Thierrens qui, sans provocation, aurait été l’agresseur.
M. A. DE MONTET présente un petit volume de sa bibliothèque, renfermant une relation inédite de la campagne de Flandre par l’armée française, dans les années 1746 et 1747. L’auteur de cette relation est anonyme, mais pourra sans doute être découvert par une étude plus approfondie de certaines indications du manuscrit. L’on sait déjà qu’il était, à l’époque de cette guerre, chirurgien des compagnies de Vattel et de Chollet, au régiment suisse de Bettens. Parmi les nombreuses pages de son journal qui méritent d’attirer l’attention, M. de Montet choisit, pour en donner lecture, des descriptions de la bataille de Rocoux, de l’investissement de la citadelle d’Anvers, enfin d’un banquet royal, très curieux, qui eut lieu à Aumale, au retour de la campagne.
M. EUGÈNE RITTER entretient l’auditoire de la vie de Didier /149/ Rousseau, le premier ancêtre de Jean-Jacques qui fut bourgeois de Genève. Fils d’Antoine Rousseau et libraire à Paris, il vint vers 1560 s’établir dans la ville de Calvin, pour cause de religion, et y exerça tout d’abord son ancienne profession, puis celle de vendeur de vin. Sa femme, Marie Miège, fille d’un paysan d’un des villages qui entourent le Salève, lui survécut et épousa en secondes noces un vieillard, puis en troisièmes un tout jeune homme. Les péripéties de ces deux derniers mariages sont racontées avec humour par M. Ritter, dont le travail doit bientôt être publié dans le bulletin de la Société d’histoire du Protestantisme français.
M. MAX DE DIESBACH renseigne la Société sur l’origine de deux drapeaux étrangers qui ornaient autrefois la voûte de la collégiale de Fribourg et qui ont sans doute été détruits à l’époque de la Révolution helvétique. On en a heurensement des dessins dans le précieux recueil, dit Fahnenbuch.
Le premier de ces drapeaux a la forme d’une bannière. Il est aux armes de Milan, avec la figure de Saint-Ambroise et date par conséquent de la république ambrosienne, qui exista de 1447 à 1450. Cette bannière milanaise devait avoir appartenu, d’après la tradition, aux bandes italiennes de Charles le Téméraire et provenir ainsi du butin de la guerre de Bourgogne. M. de Diesbach prouve en revanche qu’elle a été conquise dans les guerres milanaises par le célèbre avoyer Pierre Falk, au commencement du seizième siècle.
Le second drapeau est aux armes de France. Son origine est établie par un rapport de Pierre Falk au Conseil de Fribourg, dans lequel il déclare l’avoir pris à Pavie sur les troupes de cette nation.
M. l’abbé JEUNET termine l’ordre des lectures par un travail sur la fondation du couvent de Payerne avec description de la vie des moines dans les premiers temps de son existence. Il rappelle les signalés services que les monastères, et tout particulièrement celui de Payerne, ont rendus à notre pays.
A une heure, un banquet fort bien servi réunit une partie de la Société à l’Hôtel Beau-Rivage, à Ouchy. Ce banquet très animé a été agréablement clôturé par un toast éloquent « à la patrie, » porté par M. le président. /150/
Séance du 14 septembre 1893,
à l’église de Romainmôtier.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
Soixante-cinq membres de la Société et amis de l’histoire sont présents.
L’assemblée procède en premier lieu à la réception des nouveaux membres dont les noms suivent : MM. Philippe Godet, Henri Jaccard, Louis Decollogny, Simon-Alfred Peyron, Alfred Godet et Louis Bron.
M. Jean-Rodolphe Rahn est nommé membre honoraire de la Société, en considération des services éminents qu’il a rendus dans plusieurs écrits à l’histoire de l’architecture romande, pendant la période du moyen âge.
Après la lecture du procès-verbal, qui est approuvé par les assistants, M. le président prend la parole pour faire l’historique et la description de l’église de Romainmôtier, ainsi que du couvent dont cette belle église a dépendu pendant tant de siècles. S’appuyant sur les diverses sources qui ont traité de la matière, il parcourt assez succinctement, mais avec beaucoup de clarté, l’histoire de la congrégation monacale qui y vivait. Le couvent paraît avoir été fondé par un roi mérovingien, Clodoveus. Restauré, peut-être même reconstruit, par la comtesse Adélaïde, sœur de Rodolphe Ier, roi de Bourgogne Transjurane, il fut soumis par cette princesse à l’obédience de l’abbaye de Cluny, avec le titre de prieuré, en l’année 929.
Depuis ce temps, sa situation se montra presque toujours florissante. Elle l’était particulièrement à l’époque où le duc Philibert de Savoie épousa dans ses murs la princesse Marguerite d’Autriche, 3 décembre 1501. Au lendemain de la conquête du Pays de Vaud, les Bernois supprimèrent le couvent de Romainmôtier et s’emparèrent de ses biens.
M. VAN MUYDEN passe ensuite à l’étude architecturale de l’église, remarquable monument mi-roman, mi-gothique, qui reste seul aujourd’hui debout. Il s’efforce d’assigner, conformément aux recherches publiées, il y a quelques années, par /151/ M. le professeur Rahn, une date certaine non seulement aux parties primitives de l’édifice, mais aussi aux adjonctions et reconstructions, exécutées depuis.
M. le pasteur GOLLIEZ bat en brèche la tradition qui attribue à Saint-Romain la fondation du premier couvent de Romainmôtier, nulle mention n’étant faite dans le récit de la vie du saint de son passage dans la contrée. D’autre part, les chartes du couvent se taisent à son sujet. Comme l’a déjà avancé M. Frédéric de Charrière, Romainmôtier tire son nom, non pas d’une dédicace à Saint-Romain, mais du fait que le pape Etienne II le mit directement sous la protection du Saint-Siège.
M. l’abbé GREMAUD croit que M. Golliez commet erreur en affirmant que la Vie de Saint-Romain est muette sur son séjour en deçà du Jura. Si elle ne parle pas explicitement de ce séjour, elle le donne pourtant à entendre.
M. THÉOPHILE DUFOUR présente une Bible manuscrite du treizième siècle, précédée d’une inscription de 1586, indiquant sa provenance de la bibliothèque conventuelle de Romainmôtier. Cette précieuse Bible, écrite avec beaucoup de soin sur un parchemin de toute finesse et très artistement enluminée, paraît avoir été écrite dans le monastère romain, sans doute par un moine de ce dernier.
M. le professeur P. MAILLEFER, directeur de la Revue historique vaudoise, dit d’abord quelques mots en faveur de cette publication périodique, que ses débuts recommandent déjà. Il communique ensuite un document inédit, renfermant le récit d’un témoin oculaire sur quelques-uns des événements qui ont précédé et accompagné l’entrée des Français à Berne, le 5 mars 1798. Ce témoin, un Vaudois établi dans la capitale, raconte les efforts et les intrigues de la basse-bourgeoisie de Berne, à la veille de la Révolution, pour arriver à siéger dans les conseils à côté des familles régnantes ou même à y supplanter entièrement ces dernières; l’optimisme qui régnait en même temps au sujet des forces du pays. Ces deux causes contribuèrent, d’après l’auteur, qui semble impartial et véridique, à amener les revers qui suivirent en créant : l’une, une profonde rivalité entre les classes de citoyens bernois; l’autre, une confiance exagérée en soi-même et par conséquent de la /152/ négligence dans les préparatifs de défense du pays. Un troisième facteur défavorable fut la mauvaise direction des troupes, tant à Fraubrunnen qu’à Neueneck, où des détachements entiers ne purent combattre par suite de fausses manœuvres. Ceci explique, d’après notre Vaudois, la fureur des paysans bernois qui assassinèrent plusieurs de leurs chefs et menacèrent d’en faire de même à chaque patricien qui serait tombé dans leurs mains.
Quelques nouvelles poésies d’Othon de Grandson ont été retrouvées par M. PIAGET dans des bibliothèques étrangères. Il produit dans cette séance un poème inédit de trois mille vers octosyllabiques rimant deux à deux et contenant le récit des aventures amoureuses du chevalier troubadour avec une dame dont il cache le nom et qui fut malheureusement pour lui « pleine de refus. » Ce poème, dont il existe deux manuscrits, l’un à la bibliothèque nationale de Paris, numéro 1727 (parmi les œuvres d’Alain Chartier), l’autre à la bibliothèque de Bruxelles (en deux parties cataloguées différemment), numéros 10964 et 10965, ne contient aucune donnée sur la biographie d’Othon de Grandson. Ce dernier y mentionne divers autres personnages en l’un desquels on reconnaît le sire Jean de Cornouailles.
M. PHILIPPE GODET consacre au botaniste Louis Favrat, décédé le 26 janvier 1893, une remarquable étude biographique et littéraire, qui doit paraître en tête du volume des Œuvres de Favrat, publié par son fils. Favrat méritait un hommage de la part de notre société, pour avoir contribué à ses travaux en publiant le Glossaire du doyen Bridel dans les Mémoires et Documents, tome xx. Il l’a obtenu, et des meilleurs, par l’entremise d’une bouche autorisée et tout particulièrement éloquente.
Enfin M. de Montet donne lecture de « Notes succinctes sur la juridiction de LL. EE. de Berne dans le Pays de Vaud », où il recherche les droits divers possédés par elles, dès la conquête, dans ce domaine, comme successeurs de l’évêque de Lausanne et du duc de Savoie, de même que ceux qu’elles acquirent pendant la durée de leur gouvernement par achat, par retrait féodal ou par commisse. Il y étudie les attributions des /153/ différents organes chargés d’exercer sous le régime bernois, au nom du souverain, la juridiction qui lui appartenait. Son travail se termine par un bref aperçu sur les codes de loi en usage dans la partie romande de la république de Berne 1.
Après la séance, un dîner en plein air réunissait la Société devant le stand de Romainmôtier. Au dessert eurent lieu les toasts de M. le président « à la Patrie » et de M. le conseiller d’Etat Ruffy « à la restauration de l’église de Romainmôtier, dont le gouvernement a décidé d’ores et déjà de s’occuper. »
Séance du 12 juin 1894,
au Musée industriel, à Lausanne.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN.
Une quarantaine de membres sont présents.
Lecture est faite du procès-verbal et du compte annuel des recettes et dépenses de la Société pendant l’année 1893. Ce compte a été soumis à l’examen de deux vérificateurs, MM. Eugène Secretan et Jean Bonnard, qui le trouvent parfaitement en régle. Procès-verbal et compte sont adoptés par l’assemblée.
M. le président fait ensuite rapport sur la situation de notre Société depuis la dernière séance. Les pertes que la mort lui a fait subir sont relativement considérables. Ce sont d’abord deux membres honoraires : le regretté Georges de Wyss, président de la Société générale d’histoire suisse et le professeur Alexandre Daguet. M. van Muyden retrace en traits vivants, quoique sobres, les principaux faits de leur carrière et spécialement les éminents services qu’ils ont rendus à l’histoire suisse. Il consacre aussi des notices nécrologiques plus ou moins longues aux membres effectifs récemment décédés, et qui sont: MM. Louis Ruchonnet, conseiller fédéral, Alfred Aigroz, Henri Jan, ancien conseiller d’Etat et Armand de Beausobre. Les vides causés par tous ces décès ainsi que par la retraite de M. l’avocat Louis Rambert, actuellement à Constantinople, et de M. Rogivue, directeur des écoles à Montreux, ne seront qu’en partie comblés par la nomination de quatre nouveaux /154/ membres : MM. Eugène de Lavallaz, avocat à Monthey; Guillermet, pharmacien à Martigny; Auguste Cornaz, juge fédéral, et Charles Ogiez.
Un nouveau volume de Documents relatifs à l’histoire du Valais, de M. l’abbé Gremaud, sera dans quelque temps envoyé à nos membres.
Après l’annonce d’un ouvrage en voie de publication sur l’Ancien bailliage d’Oron, écrit par notre collègue M. Charles Pasche, président du tribunal à Oron-la-Ville, M. van Muyden donne connaissance que M. Maurice de Pourtalès, propriétaire de l’antique chartreuse de la Lance, autorise la Société à y tenir, en septembre prochain, sa seconde séance annuelle. Cette nouvelle est accueillie avec plaisir et reconnaissance.
On passe ensuite à l’ordre des lectures.
M. EUGÈNE DE BUDÉ a réuni tous les souvenirs, tant inédits qu’imprimés, relatifs à la visite de l’impératrice Joséphine à Genève, au mois d’août 1810, sous le pseudonyme de comtesse d’Arberg. Enchantée de cette ville et de la réception qui lui fut faite, elle y laissa de son côté universellement la plus agréable impression. Cependant on fut content de la voir partir, à cause des changements que sa présence imposa aux habitudes de la société genevoise. Il en fut de même à Neuchâtel, à Berne et à Thoune, où cette princesse se rendit ensuite. Le 25 avril 1811, Joséphine fit acheter pour 190,000 francs, y compris les meubles, le château de Prégny, près Genève, mais elle n’y fit qu’un seul séjour pendant les mois de septembre et octobre 1812. Prégny fut possédé après elle par sa fille, la reine Hortense.
M. ARTHUR DE CLAPARÈDE ne sort point du sujet en lisant une lettre d’une jeune fille de dix-sept ans, Mademoiselle de Mulinen, fille de l’avoyer régnant de Berne, sur la visite de l’impératrice Joséphine à Thoune et plus spécialement sur sa venue au château de Hofstetten, où elle était invitée chez l’avoyer de Mulinen. Cette lettre, adressée à une amie dont on ignore le nom, est intéressante et bien écrite. On y relève le même sentiment qui animait, comme on l’a vu plus haut, les relations genevoises contemporaines : une admiration sans doute très sincère des manières affables et condescendantes de /155/ l’ex-souveraine, mais une satisfaction encore plus grande d’être libéré, par le départ de cette dernière, de la contrainte que l’étiquette occasionnait.
Par la complaisance de la famille de Lerber, à Romainmôtier, M. EUGÈNE MOTTAZ a pu avoir en mains de nombreux papiers de Maurice Glayre, directeur de la République helvétique, du 12 avril 1798 au 5 mai 1799. Il en donne la nomenclature et accorde une mention spéciale à quelques lettres du sénateur Louis Frossard, qu’Henri Polier, préfet du Léman, avait communiquées à Glayre. Dans ces lettres, Frossard manifeste une opinion défavorable sur plusieurs de ses collègues du sénat helvétique, qu’il accuse de travailler pour le maintien dans le pays d’une intervention étrangère. Il attaque violemment les mêmes tendances chez les directeurs de la Harpe, Oberlin et Secretan, dont il voudrait le remplacement par des hommes tels que Glayre. Ce dernier, estime-t-il, devrait rentrer dans les affaires publiques et se laisser porter de nouveau au Directoire. Dans sa réponse, Glayre s’excuse par des raisons de santé et déclare que, même bien portant, il ne consentirait pas à siéger dans ce dernier corps, vu son asservissement à la France. Il termine cette réponse par ces mots : « Tant qu’il y aura des Français en Helvétie, je garderai mes maux de reins. »
La séance étant terminée, une bonne partie des assistants se rend à l’Hôtel du château d’Ouchy, où un excellent banquet est servi dans la salle supérieure de la tour. Au dessert, M. le président porte le toast « à la patrie», M. Charles Bugnion, aux membres venus de Genève et de Fribourg, M. l’abbé Jeunet, au Comité. M. Mottaz lit un pamphlet du commencement de ce siècle, dirigé contre le sénateur Frossard par un partisan de F.-C. de la Harpe.
Séance du 20 septembre 1894,
au château de la Lance.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
Une soixantaine de membres sont présents.
Après lecture du procès-verbal de la dernière séance, M. le président remercie M. de Pourtalès et sa famille, au nom de /156/ notre Société, pour la gracieuse hospitalité qu’ils lui offrent. Il présente comme nouveaux membres MM. Godefroy de Blonay, Maurice de Pourtalès, Louis Deytard, ancien pasteur, Gustave-Jequier, Jules Terrisse, Auguste Monnerat, ancien pasteur, Albert Wellauer et Eugène Trachsel. Ces huit candidats sont admis à main levée.
M. VAN MUYDEN fait ensuite circuler la première partie de l’Album d’antiquités lacustres qui vient d’être expédiée, comme publication de l’année, aux membres de la Société. Il communique les ouvrages suivants donnés à cette dernière par leurs auteurs : 1o Docteur Gosse, Recherches sur quelques représentations du vase eucharistique et : St-Pierre, ancienne cathédrale de Genève. — 2o Edouard Favre, Les études orientales à la Société d’histoire et d’archéologie de Genève. Enfin il fait passer des représentations photographiques d’une ancienne vue de la Lance, retrouvée à Nuremberg par M. Maurice de Pourtalès, et du sceau de l’acte de fondation de cette ancienne chartreuse, sceau pris sur l’original de cet acte qui se trouve déposé aux archives de la Lance. L’acte lui-même sera montré à la fin de la séance par son propriétaire avec d’autres documents plus modernes, d’un intérêt local.
Une figurine en terre cuite de l’époque gallo-romaine, trouvée à Nyon par M. Paul Cordey, est soumise à l’appréciation des assistants archéologues.
M. l’abbé GREMAUD ouvre la série des mémoires à entendre par une notice historique sur la Lance, depuis la donation qu’Huon de Grandson fit de ce domaine aux religieux de Fontaine-André dans la seconde moitié du douzième siècle, jusqu’à la suppression du couvent de chartreux, qu’un autre membre de la famille de Grandson, Othon Ier, y avait construit de 1318 à 1320. Résumé intéressant de la préface du nécrologe de la Lance publié autrefois par M. Gremaud, dans le tome xxxiv de nos Mémoires et Documents, de même que de la description architecturale du couvent, due à la plume de M. Rahn, cette notice renfermait encore des données nouvelles sur le lieu de sépulture d’Othon Ier de Grandson, ainsi que sur la sécularisation de la chartreuse.
M. le colonel CAMILLE FAVRE fait, carte en mains, /157/ une représentation très vivante de la bataille de Grandson, livrée le 2 mars 1476 aux Suisses par Charles le Téméraire. Prenant pour base de ses recherches historiques un mémoire rédigé par M. Bonhôte, pour le bureau fédéral d’Etat-major, le colonel Favre a étudié très scrupuleusement sur place le théâtre de la bataille, d’après les descriptions de témoins oculaires ou tout au moins contemporains. Citons entre autres les dépêches de Panigarola et des autres ambassadeurs milanais, les Chroniques de Philippe de Commines, d’Etterlin, les deux Diebold Schilling, les chanoines de Pierre et Baillod. Les faits principaux à relever dans le travail présenté par M. Favre, sont : le récit d’une tentative infructueuse du duc Charles pour forcer le Val de Travers, défendu par les troupes du comte de Neuchâtel, avant l’entrée de l’armée bourguignonne dans le Pays de Vaud, par Jougne; la rencontre des avant-gardes ennemies entre Concise et Vaumarcus, au-dessous du chemin d’Etraz; le choc victorieux des Suisses qui poursuivirent, jusqu’à Montagny le Corboz, les Bourguignons fuyant en désordre, le duc et sa suite par Jougne, la plus grande partie de son armée par Pontarlier.
M. VICTOR VAN BERCHEM, traitant le même sujet, dit que depuis la publication de M. de Gingins, d’autres dépêches d’ambassadeurs milanais contemporaines de la guerre de Bourgogne, ont été imprimées et jettent aussi quelque jour sur elle. Il en lit une, datée d’Annecy, au lendemain de la bataille de Grandson et qui ne fait en somme que confirmer les faits connus.
M. le conseiller d’Etat DE SCHALLER communique un mémoire sur le régiment de Watteville, formé en 1801 à Villach, en Carinthie, des débris des deux régiments de Rovéréa et de Bachmann. Cette notice est destinée à paraître dans la Revue historique vaudoise.
A la séance succède un dîner en plein air, sous les beaux ombrages, au devant du château. Il est suivi d’une promenade à travers le domaine de la Lance, remarquable surtout par ses splendides forêts. /158/
Séance du 20 juin 1895,
au Casino de Morges.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN.
Après adoption du procès-verbal et des comptes de la Société, pour l’année 1894, qui viennent d’être vérifiés par MM. Albert de Haller et F. Næf, M. le président rappelle le souvenir des membres décédés dans le courant de l’année : MM. Ernest Chavannes, Kues, docteur Perret, le peintre Charles Menn et l’éminent professeur de philosophie, M. Charles Secrétan. Ensuite il propose l’acceptation, comme membres effectifs de la société, de MM. Alfred Ceresole, avocat, et Auguste Reymond. Sur le préavis du Comité, l’assemblée confère le titre de membre honoraire à M. Jacob Stammler, curé de Berne, auteur d’ouvrages justement appréciés sur les belles tapisseries du musée de cette ville, appelées à tort jusqu’ici tapisseries de Bourgogne et qui sont reconnues actuellement comme ayant appartenu, avant la conquête du Pays de Vaud par les Bernois, au trésor de la cathédrale de Lausanne (voir sur ce sujet Mém. et Doc., seconde série, tome iii. Communication de M. A. de Montet, du 7 juin 1883).
M. F.-A. Forel invite la Société à se rendre chez lui, dans sa propriété de l’Abbaye, cet après-midi, vers les quatre heures, pour y assister à une collation.
D’autre part, Madame Fäsch-de Senarclens, par l’entremise de M. le président, fait annoncer aux membres qui voudraient visiter le château de Vufflens, qu’elle a donné des ordres pour qu’il leur soit montré.
M. le professeur FOREL commence la série des communications historiques en donnant quelques détails explicatifs sur un petit ouvrage posthume de son père, le regretté président Forel. Cette notice, sur l’histoire de Morges, est en vente au profit de l’infirmerie de cette ville.
M. A. DE CLAPARÈDE, à propos d’un Recueil abrégé de remèdes choisis, compilation médicale de l’an 1775, qui est encore très en usage dans le val d’Illiez et dont un exemplaire /159/ lui a été donné par un garde de Champéry, donne de nombreux renseignements sur la méthode de droguer les gens contenue dans ce manuscrit. A côté de beaucoup d’empirisme, on y trouve certaines notions justes et saines sur la médecine et l’hygiène.
M. le président fait circuler deux brevets d’officier dans les troupes suisses au service de France accordés à M. Marc de Courten, vers le milieu du dix-huitième siècle. Ces deux brevets portent, l’un la signature du roi Louis XV, l’autre celle du duc du Maine, colonel général des Suisses. Ils sont aujourd’hui la propriété de M. Léon Chavannes. C’est aussi à M. Chavannes qu’appartiennent quatre papiers militaires concernant P.-A. Roy, soldat suisse au même service, en 1790 et 1791, à savoir : un ordre du jour, deux congés et une feuille de route. Ces pièces circulent parmi les assistants.
M. F.-A. FOREL présente deux pièces rares qu’il a l’intention de donner au Musée cantonal. Ce sont un statère des Sallasses et un demi-statère des Arvernes.
Grâce aux documents que lui a confiés la famille de Lerber, de Romainmôtier, M. MOTTAZ est parvenu à reconstituer, d’accord avec M. Strickler, les circonstances dans lesquelles a été élaboré la constitution helvétique, dite de la Malmaison. Glayre avait été chargé de conclure une nouvelle alliance avec le gouvernement français et en même temps de soumettre à l’approbation de Bonaparte un projet de constitution unitaire, rédigé par le Gouvernement provisoire helvétique. D’autre part, Hauterive, chef de division au ministère français des affaires étrangères, avait élaboré pour l’Helvétie un projet de constitution fédérative. Ces deux projets furent débattus dans une entrevue avec le Premier Consul, à la Malmaison.
Dans une lettre de Stapfer, adressée au Conseil Exécutif, se trouvent d’intéressants détails sur les opinions de Bonaparte concernant les cantons suisses. Toutes ses sympathies se portent exclusivement sur les petits cantons; sur les autres, il se prononce d’une manière très défavorable. Il rejeta l’un et l’autre des projets qui lui étaient présentés et chargea Glayre et Stapfer de les refondre en un troisième qu’il accepta. C’est le projet que l’on a appelé depuis le pacte « de la Malmaison. » /160/
En se faisant l’interprète de notre Société pour remercier toutes les personnes qui ont prêté leur concours à l’œuvre de l’Album lacustre, M. A. DE MOLIN se livre à une rapide étude des antiquités lacustres et des peuples auxquels on les attribue. A ses yeux, les peuples qui ont vécu au temps de l’âge de pierre auraient été les prédécesseurs immédiats des Celtes, qui auraient eux-mêmes existé à l’époque de l’âge de bronze. Ainsi, en admettant que l’invasion des Celtes dans l’Europe occidentale ait eu lieu environ 2000 ans avant Jésus-Christ, c’est cette date qui serait celle de la démarcation entre les deux âges préhistoriques, premières étapes de notre civilisation. M. de Molin fait aussi ressortir les services que la linguistique comparée peut rendre à l’histoire des plus anciennes nations.
M. le docteur GOSSE se déclare d’accord avec quelques-unes des opinions archéologiques de M. de Molin; toutefois il ne se risque pas, comme lui, à fixer une date pour la séparation des âges lacustres. C’est sans doute peu à peu, par l’effet du commerce plutôt que par l’influence d’un peuple conquérant, que le passage de l’un dans l’autre a eu lieu. Dans chaque tribu, cette transition doit avoir été plus ou moins longue et doit avoir eu une autre date.
M. le professeur F.-A. FOREL appuie la manière de voir de M. le docteur Gosse et démontre que, si l’on n’a pas des données certaines sur l’histoire des populations lacustres et sur les dates des périodes pendant lesquelles elles ont vécu, l’histoire naturelle peut tout au moins fixer qu’elles remontent à une antiquité très reculée. C’est à elle plutôt qu’à l’histoire et à la linguistique qu’il faut s’adresser pour soulever autant que possible le voile de l’origine et de l’existence des âges de pierre et de bronze.
M. LOUIS DUFOUR-VERNES lit ensuite quelques passages intéressants d’un journal inédit, commencé en 1685 par un bourgeois de Morges, Isaac Blanchenay, et continué après lui par son fils François. C’est un recueil sommaire des principaux événements survenus dans leur famille et dans leur cité, à l’époque de sa rédaction.
La séance étant levée, un banquet réunit ses assistants à l’hôtel du Mont-Blanc. L’après-midi, vers les quatre heures, /161/ M. le professeur Forel et sa famille reçurent les membres de la Société, qui s’y étaient rendus nombreux, dans sa belle propriété de l’Abbaye, où une collation hospitalière fut offerte sous les grands arbres du jardin.
Séance du 19 septembre 1895,
dans l’ancienne abbaye de Hauterive.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
Une soixantaine de membres sont présents.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu par M. de Molin, en l’absence du secrétaire M. A. de Montet, en séjour à Rome.
Sont présentés comme membres : MM. Maurice Barbey, Albert Naef et le Révérend Père Berthier. Ces candidatures sont admises à main levée. M. le président adresse quelques mots de bienvenue aux nouveaux membres et félicite la Société de faire des recrues de cette valeur.
M. l’abbé GREMAUD fait l’historique de l’abbaye de Hauterive. L’histoire de cette vénérable fondation est facile à établir, grâce à la bonne conservation de ses archives. Elle fut fondée par Pierre de Glane, un seigneur du voisinage. Son château se trouvait sur l’éperon rocheux que forment en se réunissant la Glane et la Sarine, entre Fribourg et Hauterive. Il n’en reste que quelques ruines insignifiantes. Chose curieuse, dans les débris du mur de défense qui coupait la presqu’île, on a trouvé des pierres romaines et en particulier un chapiteau, aujourd’hui à Fribourg. La famille de Glane était originaire de Bourgogne et son nom se trouve mentionné plusieurs fois dans les chartes de Cluny. La seigneurie dans l’Œchtland n’était pas considérable; elle était limitée par les terres des sires d’Arconciel et de Montagny près Payerne. Ils avaient aussi des possessions dans le Pays de Vaud. Ulrich de Glane, le plus ancien que nous connaissons, vivait dans le dernier quart du onzième siècle. D’après le « Liber antiquarum donationum » du couvent de Hauterive, il eut deux enfants mâles, Pierre et Guillaume, tués à Payerne avec le comte de Bourgogne en /162/ 1126. Pierre eut quatre filles et deux fils : Emma, mariée au comte Rodolphe de Neuchâtel; Ita, qui épousa probablement le comte de Genevois; Juliane, épouse d’un seigneur de Montsalvens, et Agnès, mariée au comte de Gruyère, puis Hugues et Guillaume, ce dernier le fondateur du couvent.
La fondation de Hauterive eut lieu le 15 février 1138 en présence de Guido, évêque de Lausanne. Ce couvent se trouvait d’abord sur la terrasse supérieure. Vers 1162, on le reconstruisit sur l’emplacement actuel et on transporta les ossements du fondateur dans l’église, sur le côté gauche du chœur. Ulrich de Cherlieu fut le premier abbé.
Le couvent n’était pas très riche et plusieurs fois l’abbaye de Payerne dut venir à son aide pour le soulager dans sa pauvreté. Plus tard, la création de vignes, au-dessus de Saint-Saphorin (les Faverges), et diverses donations de Juliane de Glane, de Borcard mayor de Chexbres et des Blonay augmentèrent singulièrement ses ressources.
Guy de Cherlieu entoura de murs l’abbaye et la maison du moulin. Ce fut lui qui fit édifier la vieille porte, qui aujourd’hui encore sert d’entrée au couvent. La petite chapelle latérale de St-Nicolas est mentionnée pour la première fois en 1322 dans une donation de Mariona d’Affry, fille du fondateur. On y voit la pierre tombale de l’abbé Pierre d’Affry († 1418), qui est encastrée dans la muraille. Les peintures, dont il reste de nombreuses traces, furent exécutées en 1343 et restaurées en 1572 par l’avoyer de Fribourg, Louis d’Affry, artiste à ses heures. Les vitraux de l’église, datant du temps de l’abbé Pierre Dives, ont été transportés à St-Nicolas, à Fribourg. Deux incendies causèrent au couvent de grands dégâts. L’un en 1578, l’autre tout récent, en 1884. Depuis la sécularisation de 1848, ces magnifiques bâtiments sont devenus le siège de l’Ecole Normale du canton de Fribourg.
La liste des religieux de Hauterive compte 391 noms. Le nombre le plus fort que l’on constate à la fois est 27. Le plus faible 7. La moyenne était de 14 à 15.
La bibliothèque renfermait quelques précieux manuscrits, entre autres celui des homélies de St-Amédée, aujourd’hui déposé à la bibliothèque de Fribourg. /163/
M. M. DE DIESBACH lit ensuite une monographie très soignée sur les stalles de l’église de Hauterive. MM. Rahn et Wirz les placent au tout premier rang de l’art du quinzième siècle. Elles comprennent deux séries de seize formes hautes et de dix formes basses sur lesquelles se trouvent trente-quatre panneaux sculptés représentant des évêques, des prophètes et des apôtres. Deux de ces panneaux polychromes font voir, l’un la Vierge assise avec l’enfant Jésus sur ses genoux, l’autre l’évêque St-Nicolas. Plusieurs têtes sont d’un réalisme admirable et impressionnant. Les dais avec leurs arcatures ajourées, leur crête dentelée et fleuronée, sont une merveille. Quatre superbes lutrins complètent cet ensemble très bien reproduit dans le Fribourg artistique. Les miséricordes sont sobres; quelques-unes sont ornées d’armoiries. M. de Diesbach place l’exécution des stalles entre 1472 et 1486. Il croit y discerner l’influence de la sculpture bourguignonne (rapprochement avec l’abbaye de Cherlieu.)
M. DE BUDÉ nous fait assister aux douloureuses migrations de la reine Hortense, en Suisse, sous la Restauration. Elle séjourna d’abord à Prégny, mais les autorités genevoises, sur les instances de Talleyrand, l’invitèrent à quitter le canton. Son passage à travers le canton de Vaud, où elle eut des entrevues à Payerne avec des proscrits impérialistes, inquiétèrent vivement les ambassadeurs étrangers. Après diverses péripéties et malgré l’offre flatteuse du landamman de St-Gall qui lui proposa sa main et son cœur, la reine finit par aller s’établir en Thurgovie, à Arenenberg.
La séance est levée à une heure et demie et l’assistance se disperse sous les voûtes du cloître et de l’église. A deux heures, un banquet très bien servi, dans le réfectoire du couvent, réunit de nouveau la Société. Le vin historique des Faverges, gracieusement offert par le gouvernement de Fribourg et par son représentant M. le conseiller d’Etat de Schaller, arrose un excellent repas, égayé par différents discours. Ajoutons que M. Max de Diesbach offrit à chacun des convives, au nom de la Société des Beaux-Arts de Fribourg, une charmante photographie des bâtiments actuels de Hauterive. /164/
Séance extraordinaire du 10 mars 1896,
au Musée industriel, à Lausanne.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
Quatorze membres assistent à la séance.
Malgré le petit nombre des personnes présentes, l’assemblée se reconnaît, en vertu de l’article 9, deuxième alinéa, des statuts de la Société, plein droit de décider valablement sur le sujet à l’ordre du jour. Ce sujet est l’acceptation d’une demande faite par l’Association Pro Aventico, que la Société d’histoire de la Suisse romande veuille requérir de l’Etat en son lieu et place, puisque ses propres statuts rendent la chose difficile, le bénéfice de l’inscription au Registre du Commerce. Ceci en vue de pouvoir acheter la partie centrale du terrain sur lequel se trouvent les ruines du théâtre romain d’Avenches et de recevoir aussi en don, de la commune d’Avenches, une autre partie de l’enceinte de ce théâtre. En devenant légalement propriétaire du terrain ci-dessus mentionné, notre Société n’aurait à sa charge aucun frais d’achat et d’entretien, le tout étant supporté par le Pro Aventico, à la condition toutefois que cette Association sera libre d’organiser à son gré les fouilles et disposer de leur produit.
Mise aux voix, la demande de l’Association Pro Aventico est agréée à l’unanimité. Le Comité est chargé en conséquence de faire les démarches nécessaires : 1o pour obtenir à bref délai l’inscription de la Société au Registre du Commerce; 2o pour acquérir, en notre nom (en lieu et place ainsi qu’aux frais du Pro Aventico), pour le prix de deux mille et quatre-vingt-deux francs, la partie du théâtre romain d’Avenches, appartenant à M. le préfet Revelly, conformément aux clauses de la promesse de vente passée avec ce propriétaire par le président de la société « Pro Aventico », en date du 12 janvier 1896; 3o pour recevoir, à titre gratuit, de la commune d’Avenches, la partie du théâtre romain dont elle a aujourd’hui la possession, sous la réserve que les objets provenant des fouilles pratiquées sur ce terrain par le Pro Aventico, seront déposées au musée /165/ d’Avenches, conformément à l’article 3 des statuts de cette Association.
Pour pouvoir obtenir l’inscription des statuts de la Société au Registre du Commerce, l’assemblée doit introduire des dispositions nouvelles dans les articles 6 et 11 de ses statuts. Le Comité propose donc d’ajouter à l’article 6, second alinéa, la phrase suivante : « Les membres de la Société sont exonérés de toute responsabilité personnelle quant aux engagements de la Société, qui sont uniquement garantis par son fonds social. La qualité de membre se perd par mort et par démission. » A l’article 11 serait ajouté au cinquième alinéa la disposition ci-après : « La signature sociale est confiée au président ainsi qu’au trésorier, individuellement. Elle est inscrite au Registre du Commerce. »
Ces deux adjonctions aux statuts sont votées après discussion.
M. EMILE DUNANT, docteur en philosophie, présenté par MM. B. van Muyden et Edouard Favre, est reçu membre de la Société.
La séance est ensuite levée.
Séance du 23 juin 1896,
à l’Athénée, Genève.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
Environ septante membres et invités sont présents.
La séance est ouverte par la lecture du procès-verbal qui est adopté par l’assemblée, puis M. le président donne un aperçu sur l’activité de la Société pendant l’année écoulée. Tout en remerciant ses collègues genevois de leur cordiale réception, il les félicite d’avoir si bien triomphé des difficultés que présentait l’organisation de l’Exposition nationale et d’avoir su entre autres réunir une collection aussi considérable et aussi précieuse d’objets d’art ancien. Il annonce ensuite la prochaine apparition du second fascicule de l’Album lacustre et consacre finalement quelques paroles de regret aux membres décédés depuis la dernière séance : MM. Marc de Montet, Auguste /466/Cornaz, Louis de Castella, Garin, François Næf, Julien Dubochet, Ernest Decollogny, Ch. César Dénéréaz et Adolphe Gautier. Deux nouveaux membres sont reçus: M. le pasteur Auguste Rivier et M. Frédéric Dubois.
M. DE MOLIN rend compte du coût de l’Album d’antiquités lacustres que publie la Société, avec le concours de l’Etat et de la Société académique vaudoise. M. Jules Mellet, vérificateur de ce compte, déclare lé trouver parfaitement en règle.
Le Comité, sortant de charge, est réélu par acclamation sur la proposition de M. Charles Bugnion.
M. Charles Bugnion et M. Emile Dutoit sont nommés vérificateurs des comptes de la société pour l’année 1896-1897.
M. le président communique une invitation adressée par l’Académie chablaisienne aux membres de la Société d’histoire de la Suisse romande pour le prochain congrès des sociétés savantes de la Savoie qui se tiendra à Evian du 31 août au 3 septembre. Il fait aussi connaître que M. Magnin, auteur du plan-relief de Genève, exposé dans le parc de plaisance de l’Exposition, offre de nous le montrer aujourd’hui à moitié prix.
M. VICTOR VAN BERCHEM présente aux assistants le programme d’une société nouvelle : la Société suisse des traditions populaires.
M. le colonel FAVRE distribue le plan des salles du groupe 25 de l’Exposition, art ancien.
Au nom de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, son président, M. EDOUARD FAVRE, souhaite la bienvenue aux membres de la Société romande. Ne pouvant rendre par des paroles tous les sentiments qu’il éprouve, il dit s’en tenir à la devise : « Plus penser que dire », qu’il a trouvée sur une nef d’argent exposée dans le groupe art ancien.
M. le colonel CAMILLE FAVRE décrit ensuite, dans un discours plein d’intérêt, la marche suivie par le comité du groupe 25 de l’Exposition nationale de Genève, lorsqu’elle organisa ses collections d’art ancien. La première idée, dit-il, d’une exposition de ce genre, avec des collections empruntées aux musées et aux particuliers, a surgi à propos de l’Exposition de Zurich, mais les efforts pour la créer ont été faits trop tardivement /167/ et avec trop peu de publicité, de sorte que le résultat ne répondit pas à l’attente. C’était néanmoins un premier pas dans la voie. A Genève, on s’y prit plus à temps et en faisant appel à toutes les bonnes volontés, le succès devait être meilleur; il a dépassé toutes les prévisions, surtout pour ce qui concerne le nombre des objets envoyés par la Suisse romande. Et cependant, il faut avouer qu’on est bien loin d’avoir encore réuni tous les objets d’art ancien de la Suisse qui seraient dignes d’être exposés.
Ce n’est pas sans de grandes difficultés que le comité du groupe 25 est venu à bout de sa mission. Tout d’abord, il a eu pour tâche délicate, de choisir parmi les pièces diverses qui lui étaient présentées, celles qui seules méritaient de figurer à l’Exposition. On lui a reproché d’avoir quelquefois pris des œuvres médiocres; s’il l’a fait, c’est parce qu’elles présentaient un intérêt pour l’histoire de l’art. Ensuite a dû être résolue la question de l’espace à assigner à chacune des trois époques : Antiquité, Moyen âge et Temps modernes, dans lesquels les objets se trouvaient classés. On avait pris pour le groupe 25 un espace double de celui qu’il avait eu à Zurich. Cet espace se trouva suffisant, mais ses divisions se montrèrent tout autres dans la suite qu’on ne l’avait compté. Le catalogue du groupe 25 a donné aussi beaucoup de peine. Fait consciencieusement, sous la direction éclairée de M. Edouard Favre, il va paraître dans quelques semaines.
M. le colonel CAMILLE FAVRE termine sa conférence par quelques considérations générales sur l’art ancien. Il recherche s’il a existé un art suisse et en constate réellement l’existence dans la Suisse allemande; art local qui subit fréquemment les influences du dehors, mais qui présente néanmoins un caractère national.
La séance étant levée, la Société se rend à l’Exposition de l’Art ancien, où MM. Camille Favre et Théophile Dufour donnent successivement, avec beaucoup d’obligeance, des explications : le premier sur les tapisseries du groupe, le second sur les manuscrits exposés.
Après un déjeuner servi au pavillon des maîtres d’hôtel et qui fut égayé par des toasts de M. van Muyden et de M. Duplan, /168/ président de l’Académie chablaisienne, invité à notre fête, l’assemblée retourne visiter le groupe 25. Là, sous l’aimable direction de M. Victor van Berchem, elle voit, dans ses principaux détails la collection d’orfèvrerie et sous celle de M. Jacques Mayor la collection de vitraux. Puis la Société se sépare en gardant de cette journée le plus agréable souvenir.
Séance du 17 septembre 1896,
à la Maison de commune, au Landeron.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
Une quarantaine de membres sont présents.
La séance est ouverte par la lecture du procès-verbal précédent, puis les membres de la Société procèdent à la nomination de deux nouveaux collègues : MM. Edouard de Bavier et Henri Grenier.
M. PHILIPPE GODET ouvre la série des lectures en faisant l’historique du bourg du Landeron. Ce bourg, construit vers l’an 1315, par Rollin, comte de Neuchâtel, sur l’emplacement ainsi nommé, qu’il venait d’acheter de l’abbaye de Cerlier, fut peuplé entre autres par les habitants de l’ancienne ville de Nugérol. Il fut regardé, dès l’origine, de fort mauvais œil par l’évêque de Bâle, aux Etats duquel il touchait. Aussi lorsque dix ans après sa fondation, ce seigneur déclara la guerre au comte Rollin, il vint mettre le siège devant le Landeron, avec les Bernois, ses alliés. Mais le comte de Neuchâtel, à la tête des gens de la localité, le vainquit et le mit en fuite. Compris en 1343 dans le traité de combourgeoisie que le comte Louis, fils de Rollin, renouvela avec Soleure, le Landeron fut incendié cinq ans plus tard. Ses lettres de franchise, ayant été consumées dans ce désastre, le comte lui en accorda aussitôt de nouvelles, datées du 17 janvier 1349. Le nouveau bourg fut érigé en baronnie par Isabelle, comtesse de Neuchâtel, en faveur de sa sœur cadette Varenne. Son ancienne chapelle, sous le vocable de St-Maurice, fut reconstruite à la fin du quinzième siècle et l’on y adjoignit alors quelques salles pour lieu de réunion des conseils et pour servir aussi d’arsenal. C’est /169/ encore aujourd’hui la Maison de commune. La réforme fut prêchée au Landeron par Farel et y fît pendant un temps assez d’adeptes pour triompher sur le catholicisme. Mais l’influence de Soleure lui fit perdre bientôt du terrain, de sorte qu’après une conférence, tenue le 14 mai 1542, entre les deux confessions, la population retourna à l’ancienne foi. Depuis lors, les habitants du Landeron sont toujours restés catholiques. Ils se sont aussi fait remarquer par leur fidélité à la famille d’Orléans-Longueville. Leur attachement se signala en particulier vis-à-vis de la duchesse de Nemours. Lorsque la famille s’éteignit, ils appuyèrent la candidature du prince de Bourbon-Conti. La commune de Landeron ne peut guère revendiquer de personnages célèbres. Cependant elle compte parmi ses bourgeois Madame Marie d’Agoult, née de Flavigny (Daniel Stern). Son père, qui était fils d’une demoiselle Huguenin, du Landeron, avait acheté aussi la bourgeoisie de ce lieu. On ignore généralement cette particularité.
M. EUGÈNE MOTTAZ communique ensuite deux lettres du Directeur de la République Helvétique, Pierre Ochs, qui prouvent son asservissement à la France. Dans la première, qu’il écrit à un inconnu, il rapporte à son correspondant tout ce qu’il sait de ses collègues et leur manière de penser sur la France; dans la seconde, qu’il adresse au ministre Talleyrand, il lui décrit l’esprit général des conseils et du pays à l’égard du gouvernement français. Ces deux lettres étaient assurément les organes d’une haute trahison. Après le coup d’état de Brumaire, elles parvinrent entre les mains de Frédéric-César de la Harpe, alors président du Directoire. Celui-ci obligea Ochs, sous menace de procès, de donner immédiatement sa démission.
M. ALBERT DE MONTET présente un manuscrit intitulé : Copie de correspondances de Jean-François Cuénod, de Martignier, major du département de Vevey et Lavaux, avec LL. EE. du Conseil de guerre (de Berne), au sujet de leur marine sur le lac Léman, volume de 244 pages, in-quarto, orné de dessins et écrit de la main même du major. Ce dernier, qui commandait en dehors de son régiment les barques de guerre que LL. EE. avaient équipées, dans les ports du territoire entre /170/ Lutry et Villeneuve, s’acquittait de ses fonctions navales avec zèle et compétence et faisait tous ses efforts pour engager ses supérieurs à augmenter la marine bernoise du lac et à améliorer son matériel. M. de Montet donne connaissance des détails curieux contenus dans cet ouvrage sur les différentes flottilles que Genève, la Savoie, la France et surtout Berne entretenaient sur le Léman, sur l’armement et l’équipage des barques bernoises, enfin sur les mémoires que le major Guénod adressa fréquemment au Conseil de guerre pour l’engager à introduire sous tous ces points de vue des perfectionnements.
Deux documents, relatifs aux sires de la Tour et à leurs luttes avec les évêques du Valais, sont commentés par M. VICTOR VAN BERCHEM. Le premier, daté du 9 août 1375, est un ordre qu’Antoine de la Tour envoie à son châtelain de Châtillon de livrer ce château à ses délégués pour qu’ils le remettent au comte Amédée VI de Savoie. Cet acte contient la mention d’un curieux moyen de reconnaître le mandataire du seigneur, moyen qui consistait à briser une pierre en deux. Le vassal en recevait une moitié; si celle que lui apportait le délégué s’adaptait parfaitement à la sienne, il était alors certain que ce dernier était envoyé par son seigneur. Le second document, présenté par M. van Berchem, est du 2 février 1377 et concerne le paiement de la somme due à Antoine pour son château par le comte de Savoie. Par suite d’un retard apporté dans l’acquittement d’une dette que l’évêque de Sion avait envers lui, le comte n’avait pu, au temps fixé, remplir son propre engagement et ses chevaliers s’étaient déjà mis en route pour venir se constituer comme otages, ainsi qu’ils en avaient donné parole. Mais l’argent se trouva sur ces entrefaites et la comtesse de Savoie leur fit écrire pour les en aviser et pour les prier de rentrer chez eux. Cet acte est un exemple intéressant et instructif de la coutume des otages.
M. le docteur GROSS indique l’existence dans le voisinage du Landeron d’une station lacustre qui paraît être de l’époque de transition entre l’âge de la pierre et l’âge du bronze.
M. DE MOLIN raconte la découverte toute récente au Champ-d’Asile d’une inscription grecque composée d’un vers dont l’orthographe peut aussi être lue à rebours. Ce vers, qui n’a, du /171/ reste, aucun sens, est déjà connu par un graffito trouvé à Pompéi, il y a environ douze ans.
La séance étant levée, M. ALFRED GODET conduit avec beaucoup de complaisance les membres de la Société voir les antiquités du Landeron. Puis le dîner a lieu à l’hôtel de Nemours. Des toasts sont prononcés au dessert par MM. van Muyden (à la patrie); Philippe Godet (aux dames); l’abbé Gremaud (aux Neuchâtelois); Bonjour, député, (à la Société d’histoire de la Suisse romande); Gicot, président du Conseil général (aux différents cantons représentés); Henri Fazy (aux bienfaits du lien fédéraliste, qui fait la grandeur de la Suisse).
L’assemblée se rendit ensuite à Cressier où se trouvent diverses curiosités historiques.
Séance du 24 juin 1897,
à l’hôtel du Signal, à Chexbres.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
Une trentaine de membres sont présents.
L’assemblée procède à la réception des nouveaux membres suivants: MM. l’abbé Charles Holder, Frédéric de Mulinen, docteur Meylan et Adrien Taverney. Ces quatre nouveaux membres sont reçus par acclamation.
M. le président rappelle ensuite le souvenir des membres que la Société a perdus par décès. Ce sont : MM. Bippert, Ruppen, Dulon, de Quartéry, Maurice, Gaulis, Viret, Wiener, Aymon de Gingins et l’abbé Gremaud. M. de Gingins a légué son beau château de la Sarraz à sa sœur, Mlle Marie de Gingins, laquelle a donné de son côté l’ancienne chapelle St-Antoine à la commune de la Sarraz, sous la surveillance d’un comité, dont le président de la Société d’histoire de la Suisse romande fait partie. M. van Muyden propose donc à notre Société de remercier Mlle de Gingins de cette marque de confiance et d’intérêt. Il déplore ensuite la perte de l’abbé Gremaud, qui fut un des membres les plus actifs de notre association, un des plus aimables de nos collègues. Son huitième volume des /172/ Documents sur l’histoire du Valais va bientôt paraître. Il sera orné de son portrait et précédé d’une notice biographique. L’Université de Fribourg ayant l’intention de former un fonds-universitaire, qui, en souvenir du regretté défunt, portera le nom de fonds Gremaud, notre Comité s’y est intéressé pour une somme de deux cents francs.
M. le président annonce encore que par l’entremise du Département fédéral de l’Extérieur, notre Société a reçu du consul suisse de Barcelone, l’avis d’un concours ouvert dans cette ville pour la publication du meilleur ouvrage sur l’histoire espagnole, produit avant 1902. Ceux qui désirent concourir doivent envoyer leurs manuscrits au jury désigné pour les juger dans le cours de 1901.
M. DE MOLIN lit une étude humoristique, mais cependant appuyée sur des documents très sérieux, dans laquelle il donne la preuve que la pipe a existé de toute antiquité dans plusieurs pays d’Europe, entre autres chez nous. Nous avons déjà de son emploi une mention dans l’Histoire d’Hérodote et dans d’autres ouvrages presque aussi anciens. On a même retrouvé dans différentes stations celtiques ou sinon gallo-romaines, des pipes que l’on a cru tout d’abord avoir été apportées là par la malice de fumistes modernes, mais que l’on est maintenant obligé de reconnaître comme ayant été la propriété de fumeurs de ces temps antiques. Le musée cantonal vaudois en possède plusieurs spécimens, trouvés à Avenches, à Sembrancher, à Chevroux. M. de Molin en présente quelques-uns à ses auditeurs. Des pipes du même temps et de temps plus modernes ont été trouvées en Irlande. Au moyen âge, la pipe apparaît encore, non seulement en Europe, où on la voit figurer à la bouche d’une figure de pierre, sur le médaillon d’Hubertville, mais aussi en Asie, où la secte des Haschischins tira son nom de l’usage non pas de boire, mais bien de fumer le haschisch (douzième siècle). Comme le tabac n’était point encore connu en Europe, on y fumait d’autres feuilles sèches, telles que le chanvre, le noyer, les roses, le serpolet, etc. La plante importée par Jean Nicot ne fit que remplacer ces dernières.
M. Eug. SECRETAN se basant sur le fait que toutes les pipes antiques ont été retrouvées dans des lacs et dans des marais /173/ croit que chez les populations lacustres, elles servaient à conserver le feu.
Deux pierres milliaires romaines encastrées dans le porche de l’église de Prévessin, pays de Gex, portent des inscriptions: la première en l’honneur de l’empereur Elagabale, la seconde en l’honneur des empereurs Maxime et Maximin. Ces deux pierres milliaires sont expliquées par M. EMILE DUNANT. L’une date du second consulat et du second tribunat d’Elagabale, soit de l’année 219 après Jésus-Christ; l’autre est de l’an 237. Comme ces pierres ont été trouvées sur la même route, non loin l’une de l’autre, et indiquent toutes deux trois mille pas de Nyon (colonia equestris), on peut admettre que la plus ancienne a été posée lors de la construction de la route et la seconde environ dix-huit ans après, lors d’une restauration de celle-ci. M. Dunant produit en dehors du fac-similé et des photographies de ces deux inscriptions, ceux de trois autres inscriptions votives. La première se trouve maintenant au musée de Genève, mais provient évidemment de Nyon, où elle paraît avoir servi comme milliaire initial de la colonie. D’après les titres de l’empereur Elagabale, sa date serait de 218 après Jésus-Christ. La seconde inscription provient de la place Bel-Air à Genève, ainsi que la troisième. L’une est un ex-voto au dieu Mercure; l’autre est une pierre funéraire dressée par une mère à sa fille.
M. EUGÈNE SECRETAN a été curieux d’étudier comment Vinet considère l’histoire dans sa récension critique de l’histoire de France, de Michelet. Des passages qu’il relève de ce fragment, il tire la conclusion que Vinet avait le juste sens de l’historien et aurait pu, s’il l’avait voulu, se distinguer aussi comme tel. — M. van Muyden consacre, à cette occasion, quelques mots à la mémoire de Vinet.
M. ALBERT DE MONTET lit une notice biographique sur le colonel Jean-François-Charles Du Fresne, de Vevey, né le 2 avril 1773, † en 1858, ainsi que quatre rapports envoyés par cet officier supérieur au landamman de la Suisse Reinhardt, en revenant de la campagne de Russie. Ces rapports, déposés actuellement dans les Archives fédérales, concernent la conduite du premier régiment suisse au service de Napoléon Ier et /174/ sont datés : le premier de Marienburg, le 2 janvier 1813, le second de Magdebourg, le 3 février 1813, le troisième de Mayence, le 25 février 1813 et le quatrième de Wesen, le 24 octobre 1813. Ce dernier rapport renferme une intéressante relation de l’héroïque défense de Brême par le bataillon Du Fresne, les 13 et 14 octobre 1813.
Dans une lettre lue par M. le président, M. Charles Dufour, professeur à Morges, fait savoir qu’il existé, sur la muraille du temple d’Ollon, un cadran solaire qui porte la date de 1735 avec l’inscription suivante : « Le temps s’en vat, — plus ne revient, — mets le à proffi, — car la mort vient. »
M. THÉOPHILE DUFOUR rapporte enfin que, venant à la séance, il a lu en route dans le Figaro, un article sur le soixantième anniversaire du règne de la reine Victoria. Il a été très surpris d’y voir que le chant national anglais God save the Queen est d’origine genevoise et a été chanté par les vainqueurs de l’Escalade. Comme sans doute tous les autres Genevois, il ignorait jusqu’ici cette origine, mise au jour par les sérieuses recherches historiques du Figaro. Tous seront charmés d’apprendre la découverte du journal français !
Après la clôture de la séance, le dîner est servi sous les beaux ombrages de l’hôtel. Puis l’assemblée se divise par groupes pour aller voir la vue splendide que l’on a de divers points du Signal.
Séance du 23 septembre 1897,
à l’hôtel de ville de Vevey.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN.
Sont présents une soixantaine de membres.
Le procès-verbal et les comptes sont approuvés par l’assemblée. Les comptes avaient été préalablement reconnus exacts par MM. Eug. Delessert et Emile Dutoit.
Sont reçus membres les candidats suivants : MM. William Robert, Henri Couvreu, Emile Couvreu, Gustave Francillon, Fernand Chavannes, Maurice Wirz, Théodore Hottinger. /175/
La série des lectures est ouverte par un mémoire de M. EUG. DE BUDÉ sur les visites que divers membres de la famille Bonaparte ont faites en Suisse. M. de Budé avait déjà parlé des séjours de l’impératrice Joséphine et de sa fille, la reine Hortense. Aujourd’hui il nous fait connaître les deux passages de Napoléon à Genève, au mois de novembre 1797 et au mois de mai 1800. Le premier eut lieu lorsque Bonaparte se rendit au congrès de Rastadt. Il logea chez le résident de France. C’est à la veille de la traversée du Saint-Bernard que le premier consul s’arrêta pour la seconde fois à Genève, où il habita la maison de Saussure. M. de Budé donne des détails intéressants sur les différentes péripéties de ces séjours, sur les entretiens qu’il eut avec les personnalités les plus marquantes de la ville. Ce fut, paraît-il, pendant une soirée chez le banquier Haller qu’il ordonna les dernières dispositions pour le passage de l’armée française par le col du Saint-Bernard. Curieuse est l’appréciation que Necker formula sur Bonaparte. « Mon père, dit Mme de Staël, n’éprouva point en le voyant la même impression que moi; sa présence ne lui imposa point et il ne trouva rien de transcendant dans sa conversation. » Le mémoire de M. de Budé se termine par quelques mots sur la présence du roi Joseph à Prangins en 1814. Il venait d’acheter cette propriété et s’établit, pendant qu’on la mettait en état, au château d’Allaman, chez M. de Sellon. Il paraît qu’Allaman lui plut au point qu’il proposa à son propriétaire de le lui céder contre Morfontaine. De Prangins, Joseph voisinait souvent avec les Necker, à Coppet. Menacé d’une arrestation, demandée par le gouvernement français, il quitta le canton de Vaud le 19 mars 1815. A ce départ du roi Joseph se rattache un épisode que M. Louis Monnet a raconté d’une manière humoristique dans sa brochure nouvellement parue, Au bon vieux temps des diligences. Les commissaires vaudois chargés d’arrêter le prince auraient festoyé trop longtemps à l’auberge de Rolle et l’auraient ainsi laissé échapper. Obligés de justifier leur retard, ils prétextèrent un accident de voiture. M. van Muyden rappelle ici ce récit de M. Monnet en se demandant jusqu’à quel point il mérite d’être pris au sérieux.
M. MAURICE WIRZ entretient la société de l’organisation et /176/ de l’exposition d’objets anciens, actuellement ouverte à Vevey et dont le comité nous fera les honneurs après cette séance. Cette exposition, réunie dans une des salles du musée Jenisch, peut se diviser en deux groupes distincts : 1o celui des objets appartenant à des styles français; 2o celui des objets que l’on peut rattacher à un art exclusivement suisse. M. Wirz décrit succinctement les bases essentielles que lui et ses collègues ont suivies dans la classification de ces deux groupes. La seconde partie de son exposé est consacrée à une étude des éléments décoratifs particuliers au mobilier suisse du seizième et du dix-septième siècle. Ce sont certaines lignes brisées, certaines rosaces géométriques et certains festons qui rappellent l’art primitif. Pour mieux expliquer ce genre de décoration, M. Wirz produit divers tableaux graphiques, des modèles de chaises suisses, un couvert de psautier en bois sculpté, enfin un coffret marqueté à la fois bois sur bois et métal sur bois.
En remerciant M. Wirz de sa conférence, M. le président rappelle le souvenir de son père, M. Otto Wirz. Longtemps membre de notre société, il s’y est signalé par plusieurs mémoires intéressants sur la même branche qu’aborde maintenant avec succès son fils. Ses études sur la décoration des stalles de la cathédrale de Lausanne et d’autres églises du pays romand ont été publiées dans le volume XXXV de nos Mémoires et documents.
M. DE MOLIN lit une notice historique sur la manufacture de porcelaine de Nyon. Il commence par réfuter deux légendes; l’une qui attribue sa fondation à un peintre français, appelé Maubrée ou Daubrée, dont on ne trouve cependant aucune trace dans les registres de la manufacture et de la ville; l’autre d’après laquelle ce seraient des artistes de Sèvres qui auraient fait la renommée de la porcelaine de Nyon. Cette dernière assertion ne peut tenir debout, puisque les beaux temps de la manufacture de Nyon sont antérieurs à la Révolution, seule époque où des ouvriers auraient déserté Sèvres pour venir se fixer en Suisse et même à cette époque la fabrique de Sèvres ne fut jamais entièrement fermée. Après plusieurs alternatives de prospérité et d’adversité, la manufacture de Nyon fit faillite en l’année 1813. M. W. de Sévery possède aujourd’hui un tarif /177/ de la porcelaine de Nyon qui remonte à cette époque et qui donne un instructif aperçu des prix de cette porcelaine en monnaie bernoise du temps.
M. WILLIAM ROBERT fait part d’une étude sur l’Abbaye des vignerons de Vevey à l’exposition d’art ancien de cette ville. En s’appuyant sur les documents originaux conservés dans les archives de cette abbaye et sur la brochure de M. Eugène de Mellet, il passe en revue les origines et la marche chaque fois plus brillante de ses fêtes. Il décrit les attributs grotesques qui y étaient portés par des enfants, nommés marmouzets, les drapeaux qui y ont figuré et les costumes des principaux personnages. Un nombre assez grand de pièces diverses, telles qu’attributs, drapeaux, coupes, etc., ont été confiées par la Confrérie à l’exposition actuelle d’art ancien; c’est une occasion de les aller voir. M. Robert recommande cette visite et fait circuler différents dessins tirés des albums de fête de 1819 et de 1833.
M. EMILE DUNANT donne lecture du texte original de la pétition de Frédéric-César de la Harpe réclamant l’intervention française dans les affaires de l’Helvétie, en l’année 1797. Cette pétition, remise au Directoire français le 9 décembre de l’année ci-dessus, était signée, en dehors de son auteur, par dix-neuf signataires, dont quinze étaient Fribourgeois et quatre étaient Vaudois. Elle motivait l’intervention, non seulement par la situation du pays et le despotisme du gouvernement bernois, mais aussi par des droits acquis lors des traités, au seizième et au dix-septième siècle. Curieux sont les titres indiqués par chaque pétitionnaire. La Harpe se dit natif de Rolle, ci-devant-colonel en Russie, propriétaire, domicilié à Paris, rue Traversière-Honoré, no 850.
Après la séance, visite au musée Jenisch, puis dîner à l’hôtel du Lac. M. van Muyden annonce au dessert que la ville de Vevey offre généreusement du vin d’honneur. Il en remercie la Municipalité et saisit l’occasion de féliciter les créateurs de l’exposition de la bonne réussite de cette entreprise. M. Philippe Godet invité les membres de la société à assister l’an prochain aux fêtes que prépare Neuchâtel.
Dans l’après-midi, les assistants se rendent nombreux au château de La Tour de Peilz, invités par Mlle Sarasin, sa /178/ propriétaire. Sous l’aimable direction de cette dame, ils visitent la précieuse collection d’antiquités que M. le syndic Rigaud a réunie dans une des tours, il y a environ un demi-siècle.
Séance du 16 juin 1898,
au Musée industriel, à Lausanne.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
Quarante membres environ sont présents.
Après adoption du procès-verbal précédent, M. le Président annonce que le volume VIII des Documents sur l’histoire du Valais, de M. l’abbé Gremaud, va paraître au mois de novembre. Il est achevé par M. l’abbé Holder et précédé d’une notice biographique sur M. Gremaud, par M. Max de Diesbach. Comme parmi les membres de notre société, il y en a plusieurs qui n’apprécient guère ces recueils d’actes latins, le bureau s’est informé auprès d’eux s’ils ne préféreraient pas recevoir à la place de ce volume un autre plus ancien de nos Mémoires et documents. Quelques-uns de nos membres ont accepté l’échange, ce qui a eu pour effet de limiter le tirage du nouveau recueil. Néanmoins, pour que tous les membres puissent posséder la notice biographique sur M. Gremaud, il en sera fait un tirage à part. M. van Muyden rappelle ensuite le souvenir de trois membres que la société a perdus récemment : M. Benjamin Golliez, ancien pasteur et auteur de plusieurs mémoires historiques, lus dans nos séances; M. Henri Bouthiller de Beaumont, président de la Société de géographie de Genève; M. Pierre Vaucher, professeur ordinaire d’histoire à l’Université de cette ville. Quoique les deux derniers n’aient pas été des membres bien assidus de notre société, elle leur doit cependant un tribut d’hommage à cause des services éminents qu’ils ont rendus, l’un à l’étude de la géographie, science apparentée à l’histoire, l’autre à l’histoire de la nation suisse, particulièrement dans ses origines. M. van Muyden leur consacre à tous deux une notice nécrologique étendue et fort intéressante.
L’assemblée procède ensuite à la nomination des membres ci-après, qui sont élus par acclamation. Ce Sont : MM. Charles /179/ Robert, élève de l’école des chartes, à Paris; Vermeil, pasteur à Oron; Bérenger, pasteur à Mézières; Alfred Millioud; Jules Simon; Victor Bergier.
M. EUGÈNE MOTTAZ lit une lettre intéressante adressée par Maurice Glayre au célèbre historien Zschokke, le 24 mars 1804. Glayre expose dans cette lettre, dont l’original, déjà publié, diffère sur certains points du brouillon retrouvé par M. Mottaz, le point de vue où il s’est placé lorsqu’il s’est agi pour lui de servir la Révolution. Tout en convenant des défauts de l’ancien régime, il lui reconnaît beaucoup de qualités. Il chercha à prévenir les abus du nouveau en proposant au gouvernement bernois plusieurs mesures de modération, entre autres la convocation des Etats de Vaud. C’est par dévouement et surtout pour résister aux excès des agents français et aux tendances extrêmes des clubs qu’il finit par accepter une place dans le gouvernement de son pays. Ceci est en contradiction formelle avec le témoignage d’un contemporain, lequel nous apprend que ce n’est pas à son corps défendant et seulement par intérêt pour sa patrie que Maurice Glayre aurait accepté des charges publiques sous le régime révolutionnaire, mais par ambition personnelle et avec brigue de sa part.
Une discussion suit cette lecture. M. VAN MUYDEN relève le fait que Glayre voit les choses dans sa lettre comme on les verrait à présent. Vers la fin de la domination bernoise, le Pays de Vaud était prospère et la main de Leurs Excellences assez douce vis-à-vis de leurs sujets. Ce que la lettre toutefois ne dit pas, c’est qu’il n’en avait pas été de même jusqu’au commencement du dix-huitième siècle. Il avait fallu la conspiration du major Davel et les signes manifestes du mécontentement des Vaudois pour amener l’aristocratie bernoise à cesser une exploitation du pays, égoïste et ruineuse. M. Eugène Secretan fait ressortir que Glayre se berçait d’illusions en admettant que la révolution aurait pu être obtenue sans le concours d’éléments violents et étrangers. Si elle a eu lieu, c’est grâce à l’appui des Français. L’entrée des troupes du général Ménard détermina les comités à rompre tout lien avec Berne. Les circonstances dans lesquelles se fit la révolution n’ont donc rien de particulièrement méritoire pour les Vaudois. /180/
M. F.-A. FOREL, professeur, lit en lieu et place de M. Alfred Millioud, qui n’a pas pu venir à la séance, la nomenclature des recherches historiques que ce dernier vient de faire pour l’Etat de Vaud et la ville de Lausanne, dans les archives royales de Turin. Les documents qu’il y a trouvés ont trait : 1o A la fondation de la ville de Morges. Cette fondation étant, dans une enquête, attribuée à Louis de Savoie, baron de Vaud, doit être placée entre le 17 août 1285, date où Louis reçut en apanage ses premiers fiefs vaudois, et le 7 novembre 1287 où Ulric de Porta lui rend hommage; 2o Aux comptes des châtelains de Morges depuis 1359; 3o A des listes d’habitants de cette ville, dont la plus ancienne est de l’an 1350; 4o A des études sur plusieurs bâtiments historiques de Lausanne (le château de Menthon, la maison de Billens); 5o A des comptes de châtelains du pays de Vaud à l’époque de la guerre de Bourgogne; 6o A la monnaie de Nyon de 1390 à 1429; 7o A la noblesse vaudoise et à la population du pays sous la domination de Savoie.
A propos des actes sur Morges contenus dans cette nomenclature, M. Forel ajoute que son père avait connu l’existence de Morges en 1287, mais que jusqu’ici on n’avait pas trouvé la date de sa fondation. Il signale ensuite la découverte faite récemment, au milieu de la grande rue, d’une longue suite de pilotis. Comme aucun objet d’industrie humaine ne se trouvait à l’entour de ces derniers, on ne peut savoir quel était leur but. D’après l’empreinte des haches qui les ont taillés, ils doivent appartenir à l’âge du fer, mais les caractères du bois prouvent qu’ils sont fort anciens.
Des opinions variées sont émises sur la destination de ces pilotis. M. le président suppose qu’ils servaient à soutenir le terrain sur lequel sont construites les maisons voisines du lac. M. de Diesbach pense qu’ils avaient été placés pour supporter la route dans un éndroit marécageux. M. de Montet, sans se prononcer sur ces pilotis, dont il ne connaît ni la forme, ni la position dans le sol, rappelle qu’on a trouvé à Vevey le printemps passé, en creusant des égoûts dans la rue du Centre, une suite de poutres verticales, coupées presque à fleur de terre et réunies l’une à l’autre à quatre pieds de profondeur par une forte traverse, munie d’une rainure. C’étaient, on a lieu de le croire, /181/ des restes de l’encadrement d’une ancienne enceinte de la ville, en bois, et dont les fortes planches intermédiaires ont été enlevées. Plutôt que de déterrer cet encadrement, on l’a rasé jadis sous le niveau du sol.
M. DE MONTET fait ensuite le résumé d’un certain nombre de papiers inédits relatifs à Mme de Warens, dans ses rapports avec sa famille. Ces papiers font partie de la collection, dite Hugonin, du nom de la famille qui la possédait. M. Eugène Couvreu en est actuellement le propriétaire et a bien voulu en autoriser la prochaine publication. Elle se compose tout d’abord d’une correspondance importante, puis de nombreux documents officiels concernant les litiges successifs qu’amena la confiscation de ses biens après qu’elle eût passé au catholicisme. Toutes ces pièces confirment en général la notice biographique que M. de Montet a fait paraître en 1891 dans nos Mémoires et Documents, elles la complètent et la corrigent sur quelques points.
Après un rapide exposé de la situation financière de la Société, l’assemblée se rendit à Ouchy, à l’hôtel Beau-Rivage, où eut lieu un excellent banquet. M. de Molin fait circuler à table une petite statue d’Hercule qui paraît avoir pour auteur un artiste celte ou germain, si toutefois elle est authentique, ce dont on croit pouvoir douter. La Société, répondant à une aimable invitation de M. le Dr Gross, qui la fait prier de tenir sa séance d’automne à la Neuveville, charge le comité de faire des démarches en vue de cette réunion.
Séance du 21 septembre 1898
au théâtre de la Neuveville.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN.
Une soixantaine de membres et d’invités assistent à cette séance, qui s’ouvre après une collation gracieusement offerte à notre Société par la Société d’émulation de la Neuveville et après une visite au musée de cette ville.
Le dernier procès-verbal est lu et approuvé, puis M. le président remercie par quelques paroles cordiales la Société d’émulation /182/ et son président, M. le Dr Gross, de l’hospitalière invitation qu’ils nous ont faite et que nous nous sommes empressés d’accepter.
Deux nouveaux membres sont ensuite reçus : M. François Ducret, et M. Krieg, pasteur. Puis M. DE MÜLINEN donne connaissance de deux extraits de lettres relatives à un procès dirigé contre les Juifs à Chillon, vers le milieu du quatorzième siècle et qui ont été publiées récemment dans un recueil de chartes strasbourgeoises. L’une de ces lettres est du bailli de Lausanne, Rodolphe d’Oron, seigneur d’Attalens; l’autre du châtelain de Chillon, dont le nom n’est pas désigné. Elles sont adressées à l’autorité communale de Strasbourg et rapportent toutes les mesures de rigueur qui ont été prises vis-à-vis des Juifs, accusés par la voix publique d’avoir empoisonné les fontaines des environs de Montreux et de Villeneuve. A la suite des aveux d’un de leurs coreligionnaires, appelé Balavini, tous ceux dont on put s’emparer furent pendus, brûlés, écartelés et même écorchés vifs. La date que l’éditeur moderne assigne à cette persécution est l’année 1348; elle n’est toutefois pas du tout certaine. M. de Mülinen espère pouvoir bientôt l’établir irréfutablement à l’aide des données contenues dans le texte.
M. le professeur MOTTAZ est chargé par M. Paul Maillefer, absent, de lire une correspondance échangée entre Voltaire et le pasteur vaudois François-Louis Allamand. Cette correspondance inédite se compose d’une vingtaine de lettres de ce dernier et de quelques lettres du premier. Elle s’ouvrit dans l’année 1755, pendant que Voltaire était aux Délices, et se continua longtemps avant que les deux correspondants aient fait connaissance personnelle. Allamand y manifeste une admiration respectueuse pour le grand écrivain, qui l’honore de son côté de sa condescendance aimable. Dans un style affecté et visant à l’esprit, Allamand parle à Voltaire de ses ouvrages, des siens propres, de ses occupations, de sa paroisse et lui demande aussi des conseils. Le philosophe lui répond par des lettres très intéressantes, tout à fait à la hauteur de celles qu’on connaît déjà de lui. Il fait part à Allamand de ses impressions sur le pays et sur les gens qui l’habitent, de ses projets d’achat de propriétés dans la contrée, etc. Curieuse est l’idée que Voltaire se /183/ fait de Bex, première paroisse de son correspondant. Il considère cette localité comme un trou sauvage et inaccessible. M. van Muyden ajoute à propos de la communication de M. Mottaz que Voltaire dut quitter Lausanne à la suite de la publication qu’il fit d’une notice sur Saurin, pasteur peu honorable du Pays de Vaud. On a prétendu qu’il demanda à être reçu bourgeois d’Echallens, mais de récentes recherches dans cette localité prouvent que cette assertion est dénuée de fondement.
La parole est donnée à M. le Dr GROSS pour lire une relation des députés de la Neuveville à l’élection du prince-évêque de Bâle, Frédéric de Wangen de Geroldsegg, en l’année 1776, rédigée par un de ces députés, le secrétaire de ville Krieg. Ses deux collègues, Jean-Jacques Chiffele, Samuel Imer et lui se mirent en route pour Porrentruy le 8 janvier de cette année. L’évêque les reçut solennellement, accompagné de son chapitre, de quelques dames et de seigneurs des environs. La députation remit au prince, avec ses lettres de créance, un fort beau gobelet en argent doré. Elle fut invitée plusieurs fois à sa cour et défrayée par lui pendant tout le temps de son séjour à l’auberge. Après avoir prêté l’hommage dû par leur ville à chaque mutation de souverain, les députés rentrèrent chez eux par Tavannes et Bienne. Le principal intérêt de la relation de M. Gross réside dans l’énumération détaillée de toutes les formalités en usage à la cour du prince-évêque de Bâle, comme aussi de l’étiquette sévère qui y était alors observée.
M. ALBERT NAEF fournit ensuite des renseignements instructifs sur diverses découvertes faites par lui dans les sépultures gallo-helvètes de Vevey, ainsi qu’à Valère près de Sion. A Vevey il a trouvé sur deux des squelettes de femmes les chaînes de bronze qui serraient leur taille et a pu déterminer comment elles étaient crochées. Il a trouvé aussi dans ces tombes antiques des vestiges certains de cercueils de bois. Une monnaie massaliote était placée dans la main d’un des corps, sans doute comme une sorte de tribut à la divinité de la mort. A Valère, M. Naef a découvert sous les constructions faites par Pierre d’Oron des murs d’enceinte de provenance romaine. Des fouilles entreprises prochainement établiront les véritables limites de ces murs. /184/
La séance étant finie, notre Société va dîner à l’hôtel du Faucon. Ce repas bien servi et fort gai est agrémenté par plusieurs toasts. D’abord M. Gross à la patrie, puis successivement MM. van Muyden, Quinche, Imer, Jacques Mayor, Alb. de Montet, Ph. Godet et Fréd. de Mülinen. L’après-midi est consacré à la visite de la ville, ainsi qu’à une charmante course en bateau à vapeur à Gléresse et à l’île de Saint-Pierre, gracieusement offerte par nos hôtes neuvevillois.
Séance du 22 juin 1899
au Musée industriel, à Lausanne.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
Sont présents quarante membres environ.
Après approbation du procès-verbal de la précédente séance, M. le président rappelle avec regret le souvenir des membres que la Société a perdus depuis celle-ci. Ce sont MM. Charles Châtelain, pasteur à Saint-Blaise, secrétaire de la Société d’histoire de Neuchâtel; Léon Roten, conseiller d’Etat du Valais, un des présidents de la Société d’histoire de son canton, connu, aussi par des œuvres poétiques; Alphonse Rivier, professeur à l’Université libre de Bruxelles, l’excellent secrétaire de l’Institut de droit international; Deytard, ancien pasteur; Dulex-Ansermoz, d’Aigle, rédacteur du Messager des Alpes. Trois-nouveaux membres sont ensuite admis : M. Marc-Antoine Bretagne, à Aubonne; l’abbé Bouchardy, curé de Villars-le-Terroir, et Charles Gilliard, à Fiez.
M. VAN MUYDEN annonce la publication du huitième et dernier volume des Documents relatifs à l’histoire da Valais, de feu l’abbé Gremaud. C’est M. l’abbé Holder, bibliothécaire à Fribourg, qui a achevé ce volume. La Société vote à son adresse de sincères remerciements et il lui sera envoyé prochainement les exemplaires auxquels il a droit pour la part prise à ce travail. Sur la proposition de M. Arthur de Claparède et après une discussion pour et contre le renvoi de l’affaire à une autre séance, que paraît exiger l’art. 13 de nos statuts, la Société vote tout de suite l’adjonction suivante à apporter à ces /185/ derniers, art. 6, 1er alinéa : « La cotisation annuelle pourra être rachetée en tout temps par un versement unique de 126 francs, lequel donne la qualité de membre à vie aux sociétaires qui l’effectuent. »
M. le président donne aussi connaissance de deux travaux écrits, qui pourraient être publiés bientôt dans le recueil de nos Mémoires et Documents. C’est d’abord un dictionnaire du patois de Blonay, rédigé par Mme Odin, puis des extraits des manuaux de Lausanne, copiés par feu M. Ernest Chavannes, et qui seront annotés et munis d’une table par M. le président Dumur. Il lit enfin une lettre de Mlle Sophie Cornaz demandant à la Société d’histoire de la Suisse romande de protester contre les modifications fâcheuses que l’on fait subir actuellement à la Tour de Duyn, où l’on installe un café-restaurant. Réponse lui a été faite que le comité ne peut faire plus que de s’associer à ses regrets. C’est à la commission des Monuments historiques qu’incombe la surveillance de ces derniers.
M. l’avocat EMILE DUTOIT présente le rapport des vérificateurs des comptes pour l’année 1898. Ces comptes sont reconnus exacts et sont approuvés.
M. P. CORDEY propose de réélire par acclamation les anciens membres du comité dont les fonctions triennales touchent à leur fin. Cela a lieu. Quant aux deux vacances, existant dans son sein, par la mort de M. l’abbé Gremaud et la démission de M. W. Cart, qui décline toute réélection, on y remédie en élisant au scrutin secret M. Jean Grellet, de Neuchâtel, et M. Victor van Berchem, de Crans. L’ordre du jour appelle ensuite la série des lectures :
M. ALOÏS DE MOLIN, arrière-petit-fils de François Huber, le célèbre observateur des abeilles, lit des lettres fort intéressantes que Joseph de Maistre, alors ministre plénipotentiaire de Sardaigne à Saint-Pétersbourg, écrivit à ce savant, retiré dans la campagne de Beau-Regard, sous Lausanne. Le principal charme de ces lettres, pétillantes d’esprit et de verve, est dans l’appréciation de faits contemporains et de personnages marquants. Elles seront fort probablement publiées sous peu par les soins de M. Descostes, le biographe de Joseph de Maistre.
M. EUGÈNE RITTER a fait des recherches sur un voyage /186/ d’André Chénier en Suisse. A cette époque, les étrangers nombreux qui venaient voir Voltaire à Ferney ne poussaient guère loin dans les montagnes de notre pays, retenus qu’ils étaient par l’opinion peu favorable que le grand philosophe manifestait de leurs habitants. A. Chénier fut un des premiers Français de marque qui traversa la Suisse d’une extrémité à l’autre. De ses œuvres poétiques, on peut conclure qu’il y entra par Schaffouse, traversa l’Appenzel et Zurich, visita le Grütli, puis continuant sa route par Engelberg, le Hasli, la grotte de Saint-Béat et Thoune, termina son voyage par le Valais et Chamounix. M. Théophile Dufour constate qu’avant André Chénier d’autres Français distingués ont voyagé en Suisse et à Chamounix et que leurs relations de voyage ont été publiées. Il cite entre autre celle d’un duc de la Rochefoucauld.
M. F.-A. FOREL fait circuler un projet de pétition des vassaux de LL. EE., daté du 8 janvier 1720. L’intérêt de cette pétition réside avant tout en ce qu’elle est signée par les membres des principales familles du Pays de Vaud. Plusieurs d’entre eux ont joué un rôle notable dans le pays ou à l’étranger, par exemple Esaïe de Chandieu, Louis de Saussure de Bercher, etc., etc.
M. DE BUDÉ lit une lettre de Mme W. Barbey, de Valleyres, concernant Naundorf. Pour cette dame, Naundorf est réellement Louis XVII. Elle rappelle en quelques mots la déposition catégorique de Brémond, l’ancien secrétaire de Louis XVI, déposition qui a disparu mystérieusement il y a quelques années des archives de Vevey (tribunal), où elle était conservée. Puis elle fait mention de toutes les recherches que le gouvernement français ordonna après le 8 juin 1795 et qui prouveraient que le Dauphin n’était pas mort, mais s’était évadé du Temple. Par divers témoignages contemporains, Mme Barbey cherche à démontrer que vers cette époque un jeune homme inconnu, dont l’extérieur ressemblait à celui de Louis XVII, séjourna quelque temps à Genève, puis à la Neuveville. C’était en effet le Prince, qui dut prendre plus tard par ordre de l’autorité prussienne le nom de Naundorf. Sous l’Empire, ce même personnage passa une seconde fois en Suisse, où il fut arrêté par la police à Berne et détenu pendant plusieurs jours. En 1836, ayant appris /187/ que M. Brémond reconnaissait en lui le Dauphin de France, il vint le voir à Semsales et laissa sous sa garde sa famille, tandis que lui-même retournait en Angleterre. Brémond loua pour la famille de Naundorf le château du Grand-Clos, à Roche, où elle resta environ deux ans.
Après avoir décidé que la réunion d’automne se tiendra à Sion, la séance est levée et les assistants descendent à Ouchy, à l’hôtel du Château, où a lieu le banquet.
Séance du 5 octobre 1899,
à l’hôtel de ville de Sion.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
Présents : Quarante-deux membres.
Le procès-verbal est d’abord lu et adopté, puis M. le président présente pour membres les sept candidats suivants : MM. Louis Coquoz, instituteur à Salvan, Joseph Reymondenlaz, notaire à Chamoson, Auguste Burnand, pasteur à Montet-Cudrefin, Dulex, rédacteur à Aigle, Octave Chamby, instituteur à Serix, Alfred Tissières, préfet de Martigny, Arthur Couchepin, à Martigny. Ces candidatures appuyées dans la forme prescrite par les statuts, sont admises sans opposition.
M. B. VAN MUYDEN lit un travail sur l’église de Valère, à Sion. Le nom de cette église doit sans doute provenir de Valériana, mère du préfet romain Campanus, dont une inscription, encore existante, nous apprend qu’elle avait fait ensevelir ce fils dans le castrum de Valère. Vraisemblablement, il existait déjà dans ce castrum un temple sous le règne de l’empereur Gratien, lorsque Pontius Asclépiodotus, prêteur de la province, fit restaurer les sanctuaires chrétiens, ruinés par ordre de l’empereur Maximin. La construction de l’église actuelle date du douzième au quatorzième siècle, comme le prouvera par l’examen de ses styles l’architecte qui la répare aujourd’hui, M. Théophile van Muyden. Dès cette époque, on la voit appartenir, avec les maisons qui l’entouraient et qui constituaient une véritable forteresse, aux chanoines du chapitre /188/ épiscopal. Ceux-ci y eurent leur résidence jusqu’à la fin du siècle dernier. L’évêque habitait par contre le château de Tourbillon, situé sur la colline voisine. Au-dessous de Tourbillon, qui est en ruine depuis l’année 1788, se trouve encore une vieille tour appartenant au château de la Majorie, détruit par le même incendie que celui de Tourbillon. M. van Muyden suit à travers le cours des siècles l’histoire de Valère, de Tourbillon et de la Majorie, si attachante par ses péripéties au milieu de temps agités.
M. THÉOPHILE VAN MUYDEN prend aussi pour sujet l’église de Valère. Se basant sur le fait que les colonnes de cette église présentent des caractères très semblables à celles de l’église de Payerne, qui sont de la fin du onzième siècle, tandis que les voûtes elles-mêmes sont d’un style roman plus nouveau, c’est-à-dire de la fin du douzième, contemporaines de l’abbaye de Bonmont, et que d’autres parties de l’église sont d’architecture gothique, il établit l’existence de trois périodes de construction ou de reconstruction, comprises entre l’an 1050 et l’an 1300 environ. Chargé de restaurer dans ce moment l’église, aux frais de la Confédération et du gouvernement du Valais, il décrit non seulement l’état du monument, mais aussi les travaux qu’il y a fait et doit y faire encore. A ce propos, il prend occasion de réfuter la légende courante par laquelle l’autel principal de cette église de Valère aurait été à la Réformation transporté là de la cathédrale de Lausanne.
M. A. DE MONTET présente à la Société l’Atlas de géographie historique, dont la seconde édition vient d’étre publiée à Berne, par M. Poirier-Delay, instituteur au collège de Montreux. Cette édition, très supérieure à la première, renferme seize cartes bien exécutées et documentairement assez exactes, comprenant les périodes les plus importantes de l’histoire du pays. L’ouvrage sera incontestablement utile à tous ceux qui s’occupent de celle-ci. Sans entrer dans de grands détails, il explique suffisamment les données de nos manuels scolaires.
M. MAX DE DIESBACH lit le résumé d’un cahier-manuscrit d’une trentaine de pages dans lequel Joseph Hörttner, d’Innsbruck, raconte en vers allemands les fêtes du mariage de Philippe d’Estavayer, seigneur de Molondin, avec Elisabeth /189/ Valier, fille d’un patricien soleurois, gouverneur du comté de Neuchâtel. Cette noce eut lieu le 15 novembre 1599, et fut entourée de réjouissances qui durèrent huit jours. Après avoir parlé des noces d’Adam et d’Eve, puis de celles de Cana, l’auteur aborde, avec amples détails, tout ce qui se passa dans celles d’Estavayer. Il nous dépeint successivement la réception des invités par la bourgeoisie de la ville d’Estavayer en armes, les repas plantureux qui précédèrent et suivirent la cérémonie nuptiale, les tournois, les jeux équestres et les danses qui eurent lieu à cette occasion. La liste qu’il donne des invités montre qu’ils appartenaient aux familles les plus nobles des cantons de Fribourg et de Soleure, du comté de Neuchâtel et du Pays de Vaud.
M. le président annonce pour finir que M. le comte Amédée de Foras vient de faire don aux archives de notre société d’un inventaire des droitures de l’Evêché de Lausanne, daté de l’époque où l’évêque Sébastien de Montfalcon s’enfuit de Lausanne en Savoie. On y trouve une nomenclature des documents qu’il emporta avec lui. Confiés au sire de Montvagnard, neveu de l’évêque, ces pièces furent plus tard remises à Monseigneur Allardet, successeur de ce dernier.
Après la séance, un dîner substantiel, accompagné de vin d’honneur, offert par l’Etat du Valais, réunit trente-six membres et amis de la société. M. Chappaz, conseiller d’Etat et M. Ribordy, président de la ville de Sion, représentent officiellement les autorités cantonale et municipale. Un échange de toasts a lieu au dessert entre M. B. van Muyden et M. Chappaz. Dans l’après-midi, visite à la maison de la Vallaz, à Tourbillon, à Valère, où M. Théophile van Muyden veut bien servir de guide, au musée, etc.
Séance du 30 novembre 1899,
à l’Ecole Vinet, à Lausanne.
La date fixée pour cette séance a donné lieu à un malentendu. Monsieur le président et la plupart des membres ont compris que pour qu’elle soit tenue il était nécessaire d’un /190/ nouvel avis de convocation, qui n’a pas été envoyé. Un certain nombre de membres par contre ont pensé que la convocation pour le 30 novembre était définitive et s’y sont rendus. Quelques-uns d’entre eux, venus avant l’heure d’ouverture, et voyant qu’aucune séance n’était préparée, s’en sont retournés tout de suite. Sept autres décident de tenir la réunion en l’absence des membres du comité. Cette réunion est ouverte à 2 heures 45 minutes, sous la présidence de M. le professeur F.-A. Forel, désigné par acclamation. M. Dunant remplace le secrétaire.
M. EMILE DUNANT expose le résultat des travaux qu’il a entrepris sur les collections du musée d’Avenches, en vue de la publication du guide du musée. La collection lapidaire, qui comprend les inscriptions et les fragments de sculpture et d’architecture, est la plus précieuse au point de vue de l’histoire d’Aventicum et des institutions du pays des Helvètes. Les inscriptions peuvent être divisées en quatre catégories différentes : 1o Celles concernant les divinités, parmi lesquelles se trouvent des ex-voto aux dieux du Panthéon romain, aux divinités orientales, dont le culte fut introduit dans l’empire à la fin du premier siècle, et aux divinités locales, telles que la déesse Aventia, patronne de la ville, le génie des habitants du pagus Tigurinus, enfin les Lugoves, dont M. Dunant parle plus longuement. Suivant lui le terme Lugoves est le nom d’une divinité collective, dérivé de Lug; or Lug est considéré comme le Mercure celtique et son nom se retrouve dans des noms de lieux, par exemple Lugdunum. Les Lugoves seraient par analogie avec Lug des divinités protectrices du commerce. Une seconde catégorie d’inscriptions est formée par celles qui se rapportent aux empereurs et aux personnages ayant exercé des fonctions publiques, des dignités sacerdotales et des charges militaires. On trouve à Avenches des épitaphes et des dédicaces relatives à des duumvirs, des membres du conseil municipal (décurions), des sévirs augustaux, des curateurs des citoyens romains du conventus helvétique. M. Dunant rappelle à ce sujet les recherches de MM. Mommsen et Morel, qui ont établi que les Helvètes n’avaient point reçu le droit de cité romaine lors de l’érection de leur cité en colonie, mais bien le droit latin.
Les deux dernières catégories comprennent d’une part les /191/ inscriptions funéraires intéressantes, surtout pour l’onomastique, et donnent aussi une liste des professions exercées, puis d’autre part les bornes miliaires. Ces dernières ne sont pas représentées à Avenches même, mais on en connaît beaucoup dans la Suisse romande sur lesquelles les distances sont comptées à partir d’Avenches. L’étude des inscriptions fournit aussi la confirmation du fait que le territoire helvète fut compris dans le district douanier des Gaules. Les fragments d’architecture attestent que les habitants d’Aventicum ont donné la préférence aux ordres dorique, toscan et corinthien et aux représentations tirées de la nature animale. L’étude des corniches, chapiteaux, colonnes et bas-reliefs en donne la preuve. La sculpture est mal représentée et porte généralement un caractère architectonique. Le relief de la Louve en forme le morceau le plus intéressant. Au cours de cette première partie de son exposé, M. Dunant répond à plusieurs questions posées par les assistants et fait circuler des planches destinées à illustrer son volume.
Dans la seconde partie de son exposé le conférencier caractérise les antiquités qui formaient les autres séries archéologiques du musée d’Avenches : poteries, numismatique, marbres sculptés, fers, verreries, ivoires, bronzes, etc. Il signale particulièrement les pièces suivantes : un grand vase d’albâtre et plusieurs autres vases décorés avec relief, certains numéros du catalogue du médailler, tels que les deniers d’or et les grands bronzes; des instruments en fer, caractéristiques de l’industrie des populations du nord des Alpes, comme les sandales de fer entourant les pieds des chevaux; puis des verres dont deux portent des inscriptions chrétiennes. Parmi les bronzes les plus connus sont la main votive, dont M. Dunant donne la description et rappelle la destination, puis les statuettes de Bacchus, de l’Acteur tragique, du Gladiateur, de la Faunesse et de Silène. A cette série se rattachent les jolis bronzes de la collection Graffenried, à Villars-les-Moines, laquelle comprend le groupe du Lion de Némée, une Victoire, un Hercule, etc. M. Dunant termine sa communication par quelques considérations générales sur l’intérêt des collections d’Avenches et sur le préjudice que cause aux habitants de la Broie le manque de trains /192/ rapides, les étrangers renonçant souvent pour cette raison à visiter Avenches.
M. FOREL remercie M. Dunant de sa conférence et demande quelques explications sur certains points qu’il a touchés. Puis prenant lui-même la parole, il présente une note anonyme adressée à l’historien Ruchat et commentant une histoire manuscrite sur la dédicace de la cathédrale de Lausanne, dite le manuscrit d’Evian. Cette dédicace fut faite par le pape Grégoire X en 1275. L’ami de Ruchat, avec une sagacité digne de l’école critique contemporaine, discute toutes les assertions de l’auteur du manuscrit et y relève bon nombre d’erreurs et d’inexactitudes. M. Forel montre ensuite un recueil, également manuscrit, de notes personnelles de Ruchat, qui est remarquable surtout par un système de répertoire aussi ingénieux que simple. Les premières rubriques y sont établies au moyen des lettres de l’alphabet, mais des rubriques secondaires ont été créées par l’adjonction à la lettre majuscule, correspondant à l’initiale de chaque mot, de lettres minuscules correspondant aux voyelles des différentes syllabes. On obtient ainsi des séries Pa...(papa) Pa..e(parent) Pa..i(Paris) Pa..u(Palud), etc.
Séance du 1er février 1900
à l’Ecole Vinet, à Lausanne.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
Une cinquantaine de membres assistent à la séance.
Celle-ci s’ouvre par la lecture du procès-verbal de la dernière séance, qui est adopté, puis M. le président annonce la candidature de M. Poirier-Delay, instituteur au collège de Montreux. Sa nomination a lieu, puis M. VAN BERCHEM lit ensuite un mémoire consacré à l’évêque de Lausanne, Godefroy, que tous les historiens, sur le témoignage de Ruchat, ont cru appartenir à la famille savoisienne de Lucinge. Ce sont les catalogues d’évêques, faits en vue d’établir la taxe, perçue à chacune de leurs mutations, taxe connue sous le nom de « servitium commune, » qui lui donnent la preuve que cet évêque n’était pas un Lucinge, mais tirait son origine du Quercy et s’appelait /193/ Godefroy de Veyrolles. M. van Berchem explique tout d’abord que ces dits catalogues, publiés récemment sous le titre de Hierarchia catholica, d’après les manuscrits du Vatican, commencent au treizième siècle. Ils sont divisés en trois colonnes, dont la première contient la cause de la vacance du siège épiscopal; la seconde le prénom de l’évêque, qui est nommé de ses titres exacts; la troisième la date de sa consécration. Sur la liste qui concerne l’église de Lausanne il est dit que Godefroy, élu par le pape le 20 novembre 1342, à la place de Jean de Bertrand, devenu archevêque de Tarentaise, était avant cette élection chancelier de l’évêché de Cahors. Les listes des diocèses de Carpentras et de Carcassonne, au lieu de le faire mourir, comme on le croyait jusqu’ici, en 1346, montrent que depuis cette date il fut successivement évêque de ces villes. Il fut même élevé le 10 mars 1361 à l’archevêché de Toulouse, où il finit ses jours le 10 mars 1376. Ruchat l’a évidemment confondu avec un fils d’Etienne de Lucinge, son contemporain, qui avait le même prénom que lui, mais qui ne fut que chantre et chanoine de Lausanne.
La notice lue par M. MOTTAZ est le récit des événements qui précédèrent la Consulte helvétique, convoquée à Paris par ordre du premier-consul à la suite de son offre de médiation, particulièrement de la diète vaudoise tenue les 1er et 2 novembre 1802. C’est dans cette diète que furent élus, comme députés officiels du canton de Vaud à cette consulte, Henri Monod, Jules Muret et Louis Secretan. Avec Auguste Pidou, qui avait été nommé par le Sénat helvétique, Antoine Pellis, Jean-Jacques Cart et Louis Bégoz, qui s'y rendirent de leur propre chef, il se trouva donc à cette consulte sept représentants de notre canton. Il paraît que ce n’est pas de très bon œil que certains d’entre eux virent arriver les autres à Paris; cependant ce manque de sympathie ne les empêcha pas de travailler ensemble avec zèle à la nouvelle constitution, mise en activité le 15 avril 1803, par l’Acte de Médiation.
M. MAX DE DIESBACH fait l’histoire du château de Greng, près Morat. Sur son emplacement on a trouvé une station lacustre. Ses seigneurs possédèrent depuis des temps reculés la juridiction sur les cours d’eau du voisinage. Dans la seconde /194/ moitié du quatorzième siècle, la seigneurie de Greng appartenait à Isabelle, comtesse de Neuchâtel. En 1550, il s’y trouvait un village, qui fut érigé en commune. Son château fut possédé depuis lors par la famille de Herrenschand, entre autres par Jean-Antoine, médecin d’un grand renom. Le fermier général Gigot de Genville, père d’une dame d’Affry, en fit l’acquisition et vint l’habiter en 1778. C’était un gentilhomme très prodigue, qui par son faste et la mauvaise administration du domaine fut promptement au bout de ses ressources. Il fit faillite en 1803 et Greng fut vendu à l’hôpital de l’Ile, de Berne, puis par celui-ci à un sieur Desmolands en 1810. Ce nouveau propriétaire parut d’abord être un homme d’une grande richesse, dont le commerce était agréable. Mais sa femme, une Prussienne, qu’il traitait des plus durement, laissa échapper quelques secrets propres à inspirer le soupçon. Ce ne fut toutefois que plus tard, lorsqu’ils eurent pris tous deux la fuite, qu’on apprit qu’on avait eu affaire à un aventurier, ancien corsaire, qui avait fait un séjour au bagne pour avoir fabriqué un quaterne de 800 000 francs de la loterie d’Angers. Le comte Frédéric de Pourtalès, ancien officier au service de France et inspecteur général des milices du canton de Neuchâtel, acheta le domaine de Greng le 1er septembre 1815. Quoique protestant, il y donna asile en 1847 aux jésuites chassés de Fribourg, sans doute pour faire plaisir à sa femme, née de Castellane. Le domaine de Greng, qui a plus de six cents poses, appartient aujourd’hui à M. Louis Roussy, de Vevey.
La communication de M. MAURICE BARBEY est relative à un tableau qui doit avoir été peint par Albert van der Cruys et qui représente un paysan français en conversation avec une autre personne. Rien dans cette dernière ne nous signale l’archange Raphaël et cependant c’est lui que la peinture doit figurer, apparaissant au visionnaire Martin du village de Gallardon, diocèse de Versailles, pour l’obliger à rappeler au roi Louis XVIII l’existence de Louis XVII. A la suite de fréquentes apparitions, qui chaque fois épouvantaient Martin, celui-ci se décida, non pas à se rendre auprès du roi, mais à prendre conseil du curé de Gallardon, qui fit part de ces visions à l’évêque de Versailles. Interné bientôt après à Charenton, Martin y /195/ reçut les soins du docteur Royer-Collard, lequel, frappé de la précision lucide de ses récits, crut devoir faire à leur sujet un rapport au ministre de la justice. Ce haut magistrat désira voir le visionnaire et l’on prétend qu’au sortir de son audience ce dernier fut conduit chez le roi. Martin s’acquitta-t-il en cette circonstance de la commission que l’archange l’avait chargé de faire au monarque, c’est ce qu’on n’a jamais pu savoir, car, quoiqu’il rentrât bientôt après à la maison, il n’en dit mot, ce qui fait supposer qu’il avait promis solennellement de ne pas parler de cette entrevue.
M. l’abbé DUCREST présente à l’assemblée un parchemin, qui a été utilisé comme fourre d’un livre appartenant à la famille de Montenach et sur lequel se trouve stipulé un compromis entre les seigneurs du Haut-Valais représentés par une vingtaine des leurs et ceux de la vallée de Domo-d’Ossola, dont trente environ figurent sur l’acte. Par ce compromis, fait le 2 août 1284, au village du Simplon, ces seigneurs décident de remettre tous les différends, qui existaient entre les deux pays, à trois arbitres qu’ils ont choisi. L’importance du traité consiste surtout en ce qu’il montre que beaucoup des seigneurs laïques du Valais étaient déjà indépendants de l’évêque.
M. JULES MELLET donne ensuite d’intéressants détails sur l’église de la Madelaine, retrouvée lors de la démolition de la maison Pellis. Les fouilles qui ont été faites permettent d’en établir le plan. Elle avait pour clocher le bâtiment carré, que l’on a appelé depuis « la Brazière », parce qu’il contenait un dépôt de charbon, et qui a subsisté jusque vers le milieu de ce siècle. Sur l’emplacement de cette église, on a trouvé dans ces derniers temps des antiquités de diverses époques : outre la chapelle de la famille Gaudard, il y avait une tombe burgonde. Dans les murs étaient encastrés des fragments de chapiteaux, des catelles, des pierres avec vestiges de peinture. M. Mellet fait circuler plusieurs objets découverts sur les lieux, tels qu’une hache de serpentine, que les ouvriers ont malheureusement brisée, une plaque de ceinturon en bronze, avec une figure représentant peut-être le Seigneur bénissant, un fragment de plateau en terre cuite colorée, portant quelques lettres gothiques. /196/
M. ALBERT DE MONTET commence la lecture d’un travail étendu sur divers points obscurs de l’histoire de la domination romaine en Helvétie. Parlant d’abord de l’origine des Helvètes, il se base sur le témoignage de César, Tacite et Tite-Live pour établir qu’ils sont de nationalité gauloise. Cependant, il est incontestable que pendant le cours de leurs guerres avec les Germains, ils ont établi au-delà du Rhin, entre ce fleuve, la forêt Hercynienne et le Main, une colonie qui existait encore au temps de Tacite et que Ptolémée nomme « Eremus Helvetiorum ». Cette colonie se germanisa peu à peu et perdit finalement sa nationalité et son nom. César nous apprend que l’Helvétie était divisée en quatre « Pagi », dont trois seulement sont connus : le pagus Tigorinus, le pagus Tugenus et le pagus Urbigenus. Les historiens ont longtemps admis que le premier était situé autour de Zurich, le second autour de Zug et le troisième autour d’Orbe, par conséquent d’Avenches. Comme toutefois on a trouvé dans cette ville une inscription consacrée au génie du pagus Tigorinus, des novateurs en ont conclu que ce pagus devait être transporté près d’Avenches. Ce déplacement a été cause d’un bouleversement complet, surtout après qu’on a découvert à Kloten une inscription identique à celle d’Avenches, car ces deux localités ne peuvent en aucun cas être renfermées dans le même pagus. M. de Montet étudie la question et penche à croire que si, comme cela lui paraît vraisemblable, l’inscription de Kloten est authentique, c’est autour de cette localité qu’existait le pagus Tigorinus. En effet, à Aventicum, où se trouvaient des ressortissants de tous les pagi helvètes, il n’y a rien qui puisse étonner que des Tigorins, venus du nord-est de l’Helvétie, y aient exercé leur culte local. Dans un petit vicus comme Kloten, par contre, l’élément étranger faisant à peu près défaut, il paraît moins naturel de rencontrer une divinité d’un autre pagus. /197/
Séance du 5 avril 1900,
à l’Ecole Vinet, à Lausanne.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
Vingt-huit membres sont présents.
La séance est ouverte par la lecture du dernier procès-verbal, qui est approuvé. Sont ensuite nommés membres de la société : MM. Edouard Kohler, André Kohler, Eugène Corthésy et Maurice Auberjonois.
M. le président souhaite la bienvenue aux assistants. Comme deux mémoires seulement lui ont été annoncés pour lecture avant la séance, bien qu’il en soit survenu depuis lors deux autres, il demande, pour être fixé d’avance s’il y a matière à à une réunion, qu’on lui fasse connaître les mémoires à lire plus tôt, de sorte qu’il puisse les inscrire à l’ordre du jour.
M. A. DE MOLIN présente ensuite un manuscrit enluminé provenant d’un château situé entre Chambéry et le lac du Bourget, ce manuscrit sera très probablement acheté par l’Etat de Vaud, avec le concours de quelques particuliers, pour la Bibliothèque cantonale. Ce manuscrit a une valeur spéciale pour nos amateurs, car il contient des poèmes écrits par un habitant de Lausanne, Antitus, sommelier et chapelain d’Aymon de Montfalcon, avant-dernier évêque de cette ville, y résidant. Dédié par l’auteur à ce prélat, qui était un lettré et qui encouragea dans son diocèse la vulgarisation des lettres par la presse, en faisant venir à Lausanne un imprimeur, Jean Bedot, le manuscrit comprend trois poèmes, intitulés : le premier, « Les quatre âges d’Ovide »; le deuxième, « La Satyre Mégère » et le troisième « Portique du temple de Boccace. » Ces poèmes sont ornés, en tête de pages, d’un certain nombre de miniatures, dont l’une desquelles assez grivoise, a été cancelée, avant de circuler, entre deux feuillets réunis par des crochets.
La communication de M. J. MELLET est relative à des almanachs, édités par des habitants du pays de Vaud, du seizième au dix-neuvième siècle. Le premier d’entre eux a été édité à Lyon, en 1574, par Jean Martin, le second date de 1606 /198/ et a pour auteur spectable Elie de Moleri, qui le fit paraître sous le titre de « Diaire astronomique », calculé et accommodé au méridien de la cité chevalière de Lausanne. Deux autres, de l’an 1613 et de l’an 1644 sont publiés chez Jean Lepreux, à Berne, par Pierre Janin de Jametz, un autre encore à Lyon vers la fin du seizième siècle, par Gervais de la Cour, professeur de mathématiques à Académie de Lausanne. Les deux derniers présentés sont modernes et n’offrent pas un intérêt spécial. A propos de l’Almanach d’Elie de Moleri, M. Mellet lit un travail de M. BENJAMIN DUMUR sur ce dit personnage, lequel était fils de Moïse de Moleri, pasteur et professeur. Consacré lui-même au saint ministère, Elie fut successivement pasteur à Payerne et diacre à Ressudens. Dans ses loisirs, il s’occupait d’astronomie et de la confection de ses « diaires », pour lesquels il reçut en 1589, 1590, 1594, 1605 et 1606 une récompense des magistrats de Lausanne. Mais, négligent dans ses fonctions ecclésiastiques, chicaneur et même ivrogne, il fut puni par le consistoire et suspendu du ministère. Elie de Moleri mourut en 1627.
M. FOREL a été curieux de comparer la table des poissons du lac, publiée d’après un ancien acte de Villeneuve, par le doyen Bridel, dans le Conservateur suisse, année 1827, p. 312. Après avoir retrouvé la copie, que le doyen avait utilisée, en un acte français du notaire Jean Piccard, il a eu l’heureuse chance de découvrir l’original latin. C’est une taxe régulière, très complète des poissons vendus, en diverses saisons de l’année, sur le marché du bourg de Villeneuve, faite le 20 avril 1376, par ordre du comte Amédée VI. La truite, le brochet, l’omble, la féra, la besole, la perche, la carpe, la tanche, l’ombre, la chevaine et le vengeron y sont cités, mais on n’y trouve pas la lotte. Une planche dessinée par le syndic Duvillard, de Genève, en l’année 1581, n’en fait pas non plus mention, quoique elle renferme dix-neuf espèces de poissons du lac Léman. On devrait croire en conséquence que la lotte n’existait dans ses eaux ni au quatorzième siècle, ni au seizième. Mais cependant, M. John-Barthélémy Galiffe contredit formellement cette hypothèse, en rapportant une ordonnance en faveur de l’église d’Aoste, où figure une redevance en lottes, pour l’année 1150. /199/ Les recherches de M. F.-A. Forel établissent que M. Galiffe a mal traduit, car le poisson objet de cette redevance est appelé en latin « palata. » C’est donc non de la lotte mais de la palée qu’il s’agit. L’évêque anglais, Gilbert Burnet, est le premier auteur connu qui parle de la lotte ou mutèle, introduite d’après lui dans le lac à peine six ans auparavant, c’est-à-dire vers 1680.
M. le président, résumant les conclusions savantes de M. Forel, constate que les conseils urbains du quatorzième siècle mettaient non seulement tout autant de soin à réglementer sur chaque sujet que les municipalités du dix-neuvième, mais pouvaient entrer en ce cas dans des détails qui seraient mal accueillis par les administrés du présent. Après lui, M. Eugène Secretan prend la parole pour rappeler la guerre des Besoles, entre les Savoyards et les Genevois. Le nom de cette guerre doit sans doute dériver de celui de ce poisson, qui tire son étymologie du mot latin « pisciolus », mauvais petit poisson. Sans combattre entièrement cette étymologie, M. Forel réplique que la besole n’est pas dans la dernière catégorie de taxe, n’est donc par conséquent pas un mauvais poisson. C’est à ses yeux une variété de la féra, très vraisemblablement celle que l’on appelle la gravanche ou petite féra.
M. EUGÈNE SECRETAN, en sa qualité de président de l’association Pro Aventico, fait hommage à la société du nouveau guide illustré du musée d’Avenches, rédigé avec talent et succès par M. Emile Dunant. Ce dernier, après avoir remercié ses collègues de la faveur qu’ils témoignent à cette œuvre laborieuse, fait une recension intéressante d’une notice sur les Helvètes publiée en langue italienne, à Catane, par M. le professeur Garofalo, et dont il termine la traduction française. M. Francesco Garofalo rattache nos ancêtres à des tribus gauloises, qui occupèrent d’abord la Germanie et qui franchirent le Rhin au quatrième siècle avant Jésus-Christ pour s’établir dans le pays auquel ils donnèrent leur nom. Un chapitre savamment documenté est consacré par lui à leur condition politique pendant l’époque préromaine. Il admet l’existence de quatre pagi, mais ne croit pas que les Toygènes aient fait partie de ceux-ci. Ils sont à ses yeux des Teutons dont Strabon ne parle /200/ jamais. L’autonomie des pagi helvètes lui paraît plus complète que celle des autres pagi gaulois. Il constate enfin un parallélisme frappant avec les institutions des Gallo-grecs.
M. A. DE MOLIN donne quelques détails sur la trouvaille faite l’année dernière à Mossel d’une vieille chane contenant environ trois cents pièces d’or et deux cents pièces d’argent. Comme plusieurs de ces pièces sont de Lucques, il suppose qu’il peut y avoir quelque rapport entre ce trésor et une action en indemnité ouverte par l’évêque Aymon de Montfalcon en l’an 1516 contre Fribourg et Soleure, dont des bourgeois avaient pillé des marchands lucquois. Ces pièces ont été offertes tout d’abord au musée cantonal vaudois, mais celui-ci ne voulut pas atteindre le chiffre de dix mille francs demandé par le propriétaire, de sorte que M. Strœhlin, à Genève, l’acheta. Le gouvernement fribourgeois se disposa alors à mettre le séquestre sur ces pièces, qui étaient confiées à la garde de M. Charles Pasche, syndic d’Oron, sous le prétexte que le canton où elles avaient été trouvées avait le droit d’être favorisé. Mais l’Etat de Vaud s’y opposa. De là surgit un procès aujourd’hui pendant devant le Tribunal fédéral.
Séance du 20 juin 1900,
Ecole des filles d’Yverdon.
PRÉSIDENCE DE M. B. VAN MUYDEN
Vingt-six membres sont présents.
M. le président présente tout d’abord comme candidats : MM. Georges Wagnière, vice-chancelier de la Confédération, et Henri Bergier. Ces deux candidatures, appuyées par deux membres, sont agréées. M. van Muyden consacre ensuite des paroles de regret aux membres que la Société a récemment perdus : ce sont M. le colonel Muret, auteur apprécié de plusieurs ouvrages d’histoire militaire; M. Henri de Schaller, président du Conseil des Etats suisse et du Conseil d’Etat de Fribourg, aussi président de la Société fribourgeoise d’histoire, un des membres zélés et aimés de notre Société, à laquelle il a fait quelquefois des communications intéressantes; /201/ M. Jean-Louis Galliard, fondateur et directeur du collège de ce nom; M. Albert de Mandrot; M. Henri Chatelanat-Bonnard; enfin M. Alexandre Greyloz, président du tribunal d’Aigle et membre de la commission vaudoise pour la conservation des monuments historiques. M. le président donne enfin connaissance des mémoires que les membres de notre Société préparent pour la publication. Il y en a plusieurs, mais aucun d’eux n’est assez avancé pour pouvoir être mis sous presse prochainement. M. van Muyden ajoute que les séances extraordinaires tenues l’hiver dernier ayant été assez fréquentées, il se propose d’en organiser de nouvelles pendant l’hiver prochain; finalement, il fait circuler un livre donné par MM. Bridel, éditeurs, et qui est intitulé Le collectionneur de monnaies, par M. Stückelberg, traduit par le Dr A. Mercier.M. DE MOLIN donne lecture du bilan et des comptes.
Le sujet de la communication de M. MOTTAZ est pris dans une notice publiée en langue polonaise par M. Alex. Kraushaar sur Marc Reverdil et ses mémoires. Ce Marc Reverdil était un frère de Salomon Reverdil, conseiller d’Etat du roi de Danemark Christian VII. Marc fut lui-même lecteur à la cour de Stanislas-Auguste, roi de Pologne. Il dut sa nomination à ce poste à son compatriote Armand de Mestral de Saint-Saphorin, ministre du Danemark à Varsovie, auquel son frère l’avait recommandé. Il arriva en Pologne en 1766 avec les médecins Böckler et Herrenschwand, qui devaient y faire une carrière avantageuse. Stanislas-Auguste le reçut bien, mais dans la suite eut avec lui de fréquentes brouilles, dues autant à son caractère entier, susceptible et mécontent, qu’à la versatilité du roi. Ce dernier le nomma son bibliothécaire, mais lui enleva bientôt sa place pour la donner à Maurice Glayre, autre Vaudois agréé à la cour de Pologne. Des services peu honorables maintinrent néanmoins pendant longtemps encore la situation de Reverdil. Il épousa à deux reprises, à la demande expresse du roi, des anciennes maîtresses de ce dernier, de sorte que le souverain lui continua à divers titres une pension, trop modeste au gré de celui qui la recevait. Reverdil se plaint beaucoup dans les mémoires qu’il a laissés de la parcimonie du roi à son égard. La désillusion qu’il éprouva de ce chef et de la perte de /202/ l’estime de la cour, ainsi que ses déboires de mariages, lui donnèrent beaucoup de noir. Ses mémoires finissent en 1787, mais on voit qu’en 1793 encore il se trouvait inscrit sur les comptes de la cour, ce qui prouve qu’il vivait alors.
M. J. MELLET lit une lettre de M. Etienne Delessert, banquier à Paris, adressée à Mme Isabelle de Montolieu, l’auteur de l’ouvrage Les châteaux suisses, et dans laquelle il se dit obligé de lui renvoyer son certificat de vie (exigé pour une pension qu’elle tirait depuis la mort de son mari) parce que son nom de fille, Polier de Bottens, portait indûment ce qualificatif de Bottens. Mme de Montolieu écrivit à ce sujet à M. Pahud, employé de la maison de ville à Lausanne, quelques jours après réception de cette lettre, le 1er juillet 1814. Elle voit dans la contestation de ce nom un pur prétexte pour retarder le paiement qui doit être fait et s’étonne que ce nom de Bottens, qu’elle tient de son père et qui doit être inscrit sur son état-civil, puisse lui être disputé. M. Pahud est prié de s’assurer de la chose et de la faire savoir ensuite à M. Delessert. En outre des deux lettres ci-dessus, M. Mellet a présenté une patente de cafetier, accordée à François Morand le 23 octobre 1821, pour le terme de dix ans. C’est l’acte de fondation du café Morand, établi à Lausanne rue de Bourg et qui a eu dans notre canton une grande notoriété.
La communication de M. A. DE MONTET a pour objet une étude sur l’état des terres en Helvétie sous la domination romaine, avant la fondation de la colonie d’Aventicum. Après avoir constaté que les codes romains considèrent comme « prœdium populi romani, » c’est-à-dire comme propriété légale du peuple romain, tous les territoires qu’il a conquis (on fait erreur en comptant parmi ces derniers ceux des nations confédérées), il admet que le gouvernement laissait aux habitants des lots suffisants pour l’entretien de leurs familles, à titre de concession emphytéotique. Toutes les terres qui restaient ou devenaient dans la suite vacantes, de même que tous les esclaves du pays, formaient la part du fisc, qui se partagea sous l’empire avec celle du domaine privé de l’empereur. M. de Montet examine les différentes formes sous lesquelles étaient cultivées ces terres : 1o La donation ou vente de grands domaines à titre de /203/ précaire (præcaria) à des sénateurs et autres personnages puissants; 2o La régie directe au nom de l’Etat ou du prince par le ministère de surveillants (villici); là où les esclaves faisaient défaut la remise du sol à des colons hommes libres venus si cela se montrait nécessaire d’autres lieux. Les premières colonies importées furent civiles et datent déjà du temps des rois. Elles comprenaient tantôt des peuplades entières, forcées par le vainqueur à s’expatrier, tantôt des immigrés volontaires, venus de contrées très diverses. A mesure que le recrutement des colons devint plus difficile, le gouvernement dut augmenter la grandeur de leurs lots et les privilèges spéciaux qui leur étaient destinés. Ce fut Sylla qui créa les premières colonies de vétérans, en remplaçant la somme due à ses soldats, lors de leur démission, par la cession de parcelles de terre. Chaque soldat eut droit à en recevoir lors de sa sortie du service actif. Le plus souvent une colonie recevait les vétérans de la même légion, c’est ce qui explique que dans cette colonie une même tribu prédomine. La colonisation avait lieu, pour ce qui concerne les colonies civiles, en un seul convoi, mais ce mode était rare lorsqu’il s’agissait d’une colonie militaire. Celle-ci n’était peuplée que successivement par l’expédition annuelle des soldats de la légion choisie, qui avaient fini leur service sous les drapeaux. La colonisation se continuait jusqu’à ce que la volonté de celui qui l’avait fondée, ou aussi de ses successeurs, parfois encore l’épuisement des lots mît fin à son essor. M. de Montet établit que les colonies de vétérans n’étant composées que d’anciens légionnaires, qui avaient droit de par la loi à l’issue du service au rang de citoyen romain, n’avaient pas de colons latini juniani ou fœderati. Beaucoup d’entre elles sont néanmoins appelées latines, parce que cette dénomination ne concerne pas les colons proprement dits (coloni), mais tous les habitants de la circonscription accordée à la colonie (incolæ), lesquels ne possédaient souvent que la qualité de latin. Ces habitants ne pouvaient par contre pas continuer à rester fœderati dans une colonie organisée et régie d’après les lois romaines. Si celle d’Avenches reçoit dans quelques-unes de ses inscriptions les plus anciennes le surnom de fœderata, c’est probablement parce qu’elle a gardé, en devenant une colonie romaine, /204/ cet état pendant une période de transition nécessaire, à cause de la langue surtout. Les noms des colonies civiles dérivent d’habitude d’un de ceux de leur fondateur, joint si elle était caput gentis, au nom du peuple dont elle était le centre. Quant aux colonies militaires elles présentent un nombre très varié de surnoms. Très souvent celui du prince qui a ordonné sa création, ou bien celui de la légion qui a fourni ses vétérans, avec les qualificatifs qui la distinguent, enfin, cas échéant, le nom de la nation qu’elle régit et, comme nous venons de le constater, la mention d’un état exceptionnel de cette dernière. Une étude assez détaillée des circonstances dans lesquelles était fondée une colonie, ainsi que des préparatifs qui étaient faits pour installer les colons, termine le travail de M. de Montet.
M. ALOÏS DE MOLIN présente un ouvrage publié par son ancêtre Christophe de Molin ou du Moulin, dit Myleus, seigneur de Treytorrens, qui vivait à Estavayer au milieu du seizième siècle. Son ouvrage intitulé Consilium Historiae universalis scribendae est une sorte d’abrégé de l’histoire universelle enrichie de commentaires. Mylaeus a écrit d’autres ouvrages d’après M. Alph. Rivier, qui lui a consacré une petite notice dans l’Indicateur d’histoire suisse. Ce sont : De prisca Gallorum lingua et De imitatione Ciceroniana, ainsi qu’une grande histoire, dont le livre présenté est un résumé. Il fut, paraît-il, l’éducateur de deux fils de Charles-Quint et mourut le 18 octobre 1570, comme on le voit dans un partage de ses biens, fait le 3 novembre de cette année entre ses frères Humbert et Théophile.
M. VICTOR VAN BERCHEM attire l’attention de la Société sur des documents concernant l’abbaye de Payerne, publiés dans un regeste de chartes de Colmar, par M. Mossmann, archiviste de cette ville. On n’ignore pas que le prieuré de Saint-Pierre à Colmar dépendait de cette abbaye. Parmi les documents cités, un de ceux qui ont le plus d’intérêt est un mandement d’Henri de Thun, évêque de Bâle, adressé à son diocèse pour l’engager à contribuer à la reconstruction de l’église de Payerne, récemment incendiée. Ce mandement est de l’an 1236. Mais on ne connaît par aucun acte de cette époque d’incendie de l’église de Payerne et son style architectural n’est pas de ce temps. C’est /205/ pourquoi on a lieu de croire, puisque l’indication de la pièce est précise, que l’évêque, en ordonnant sa rédaction, se sera trompé et aura confondu l’église de Payerne avec celle de Lausanne (la cathédrale) qui fut effectivement incendiée en l’année 1235. M. van Berchem parle ensuite d’un ouvrage de M. Duckett sur les visites des maisons de l’ordre de Cluny, qui a paru récemment à Londres. Il s’y trouve cité les visites de plusieurs couvents de notre pays, entre autres de celui de Payerne. Il était intéressant d’y rechercher s’il était fait mention d’un incendie en 1236, mais cette recherche n’a donné aucun résultat, car la première visite de Payerne ne remonte qu’à l’an 1269, c’est-à-dire trente-trois ans après ce prétendu incendie.
En lieu et place de sa réunion d’automne, notre Société a pris part, les 11 et 12 septembre 1900, à Neuchâtel, à celle de la Société générale d’histoire suisse. Elle n’a dans cette réunion pas tenu de séance particulière, mais trois de ses membres ont fait des lectures dans les séances générales. Ce sont : MM. William Wavre, sur les monnaies du comté de Neuchâtel, appartenant au musée de Neuchâtel; Jean Grellet, sur l’histoire anecdotique de Neuchâtel au temps du premier empire, d’après un journal écrit par son grand-père et sur deux volumes de Commentaires de César, provenant de la bibliothèque de Napoléon Ier; Arthur Piaget, sur les tentatives infructueuses de Jacqueline de Rohan, duchesse de Longueville, pour gagner à la réforme le Landeron, qui seul dans le comté de Neuchâtel avait conservé la foi catholique.
A. M.