CINQUANTENAIRE DE LA SOCIÉTÉ D’HISTOIRE
DE LA SUISSE ROMANDE
Discours prononcé à la séance de la Société d’histoire de la Suisse romande, à Chillon, le 15 septembre 1887, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la fondation de la Société, par M. G. Favey.
Messieurs,
Notre Société vient d’achever les cinquante premières années de son existence; elle est parvenue à l’âge mûr; il ne sera pas sans intérêt de jeter un coup d’œil en arrière et de retracer en quelques mots ses débuts et le développement de son activité.
La première idée de la constitution d’une association s’occupant d’histoire nationale appartient à M. Fréd. de Gingins; le 13 avril 1836 M. de Gingins proposait à la Société vaudoise d’utilité publique de former dans son sein une section d’histoire nationale. Des questions règlementaires ne permirent pas de donner suite à cette idée; en revanche, sur une nouvelle motion de M. de Gingins, la Société d’utilité publique décidait, le 18 avril 1837, de provoquer la création d’une société d’histoire indépendante; elle chargeait en même temps MM. L. Vulliemin, Fr. Pidou et W. Espérandieu de prendre les mesures d’exécution nécessaires. /328/
Le 19 avril 1837 les trois commissaires de la Société d’utilité publique convoquaient quelques amis; MM. Fréd. de Gingins, le promoteur de la nouvelle association, Juste Olivier, Edouard Secretan, Auguste Rieux, Fréd. Espérandieu, Théodore Blanchet et Charles Guisan. Assurée du concours de plusieurs autres personnes, cette réunion préliminaire posa les bases de la société à créer et décida que les adhérents inscrits avant la première assemblée régulière seraient considérés comme membres fondateurs.
L’assemblée constitutive eut lieu à Lausanne le 6 septembre 1837; à l’appel adressé dans les cantons romands quarante-cinq personnes avaient répondu. L’assemblée vota ses statuts, constitua son bureau, appela à la présidence M. le professeur Vulliemin et décerna, en outre, le titre de président honoraire au vénérable doyen Bridel. Les assistants eurent le plaisir d’entendre une notice de M. Vulliemin sur l’historien Abraham Ruchat, et une étude de M. de Gingins sur la découverte de la pierre tumulaire de Henri de Sivirier, prieur de Romainmôtier.
Une décision importante signale également la première réunion de nos membres fondateurs. Sur la proposition de M. de Gingins, elle décida d’étudier la publication d’un regeste ou répertoire chronologique des documents publiés sur l’histoire du Pays de Vaud. Vous savez que le vœu de M. de Gingins a été rempli plus tard par notre ancien président, M. Forel.
Tels furent, Messieurs, les débuts modestes de notre Société. Cinq ans après sa fondation, elle comptait déjà plus de 100 membres; ce chiffre s’accrut peu à peu, mais il ne s’est jamais beaucoup élevé au-dessus de 300. Il est /329/ aujourd’hui de 286, sans compter les nouvelles recrues que vous allez admettre.
Le canton de Vaud, qui ne possède pas de société cantonale, est naturellement le plus fortement représenté par 181 sociétaires; Genève vient ensuite avec 41, puis Fribourg 20, Valais 17, Berne 3, Zurich 1, Bâle 1; 12 de nos collègues résident à l’étranger.
Sur les 802 sociétaires admis depuis 1837, la mort nous en a enlevé plus du tiers, soit 278. Le doyen de nos membres fondateurs était un homme qui avait joué dans l’histoire de son pays un rôle prépondérant, un de ceux qui ont le plus contribué à l’indépendance du canton de Vaud et à l’établissement du nouveau régime; né en 1754, âgé de plus de quatre-vingts ans lorsqu’il se joignait aux promoteurs de notre compagnie, M. le général Fréd.- César de la Harpe fut le premier que nous ayons eu la douleur de perdre, le 30 mars 1838, et il fut bientôt suivi dans la tombe par l’un des premiers magistrats du canton de Vaud, M. le landammann Secretan.
La mort fait plus de vides parmi nous que les démissions; depuis cinquante ans, les retraites sont au nombre de 238, soit une moyenne annuelle inférieure à 5. Il est regrettable que les membres qui quittent le pays croient devoir se désintéresser de nos travaux; si l’absence les empêche de fréquenter nos réunions, leur maintien dans nos rangs serait un lien avec le pays, et c’est à l’étranger surtout qu’on sent le besoin d’entendre les échos de la patrie. Cet exemple n’est du reste pas général; nous avons à l’étranger des amis qui pensent à nous et tiennent à nous rester fidèles; l’un d’eux, M. Alfred Bovet, en même temps président de la Société d’émulation de Montbéliard, /330/ vient de nous envoyer l’édition de luxe du catalogue de sa magnifique collection d’autographes dans laquelle on voit figurer les noms de plusieurs de nos collègues.
Dès 1840, vous vous êtes associés des membres honoraires, dont le nombre est aujourd’hui de 22. La majorité est formée par des savants suisses et des représentants des sociétés de notre pays qui poursuivent le même but que nous.
Nos relations avec la France sont nombreuses, tout particulièrement avec la Franche-Comté; aussi avons-nous l’honneur de compter 8 représentants de la France parmi nos membres honoraires.
Le lieu où nous siégeons nous rappelle des souvenirs communs avec l’Italie; si nous voulons étudier la période brillante de la féodalité dans nos contrées, c’est aux archives de Turin que nous devons aller demander des renseignements; 4 associés dévoués nous rattachent à l’ancien duché de Savoie.
Enfin notre pays a fait partie de l’ancien empire d’Allemagne qui n’est plus représenté au milieu de nous que par un nom.
Dès les premières années de notre existence, nous avons lié des relations amicales avec les sociétés du même genre déjà fondées ou nouvellement créées, et nous avons établi un échange de nos publications. Nous avons ainsi formé une bibliothèque de valeur, trop peu consultée malheureusement, et qui mériterait d’être plus connue. A côté des échanges avec les sociétés correspondantes, la libéralité de certains gouvernements étrangers nous a permis de réunir quelques-unes des grandes collections historiques publiées aux frais de l’Etat. Au gouvernement de Sa Majesté le roi /331/ d’Italie nous devons les Monumenta Historiæ patriæ, et, en retour de nos modestes Mémoires, le gouvernement français veut bien nous envoyer la grande collection des Documents inédits. Enfin, notre bibliothèque s’est enrichie de quelques dons, entre autres de manuscrits précieux pour notre histoire nationale.
Comme je le disais il y a un instant, notre effectif ne varie guère depuis un certain nombre d’années, et, s’il ne diminue pas, il ne s’accroît pas dans la mesure nécessaire. Pour continuer sur le même pied les publications que nous avons entreprises, cet effectif est insuffisant et je ne saurais que vous engager vivement à faire des recrues dans les rangs de la jeunesse qui ne peut trouver de meilleurs enseignements pour l’avenir que dans la connaissance du passé.
Les sacrifices pécuniaires que nous demandons à nos membres ne nous paraissent pas lourds à supporter; je crois même qu’on trouverait difficilement une société qui offrît des avantages semblables à la nôtre. En 1837, la finance d’entrée et la cotisation annuelle avaient été fixées à 4 francs de Suisse, soit 6 francs actuels; malgré l’accroissement de nos charges, nous n’avons jamais augmenté cette contribution; et c’est uniquement avec ce modeste budget de 1500 à 1800 francs par an que nous vivons au jour le jour.
Jusqu’il y a une vingtaine d’années, la Confédération et le gouvernement vaudois nous allouaient un subside annuel. Au moment où nos finances fédérales et cantonales se resserrèrent, ces allocations nous furent retirées. On assure qu’aujourd’hui Confédération et cantons sont plus /332/ au large, que de nouvelles ressources ont rempli les caisses épuisées; j’ignore ce qui en est, mais en tout cas les subsides dont nous jouissions n’ont pas été rétablis.
Je me garde, Messieurs, de faire un reproche ou de me permettre une critique; je sais que l’Etat a des besoins plus urgents à satisfaire, des devoirs plus pressants à remplir. Nous applaudissons aux grandes publications historiques entreprises par la Confédération, nous la félicitons de l’achèvement de cette belle collection des Recès fédéraux, nous saluons l’entreprise nouvelle des Actes de l’Helvétique, et nous lui savons gré de toutes les recherches faites à ses frais dans les archives des pays voisins.
Si j’ai rappelé ces ressources qui nous font défaut aujourd’hui, c’est uniquement pour vous montrer qu’il n’est plus possible, avec l’accroissement des frais d’impression, de vous donner des publications aussi volumineuses et aussi fréquentes qu’autrefois. Nous n’en aurons que plus de mérite à ne compter que sur nous et à nous suffire à nous-mêmes.
Nos statuts prévoyaient en outre des dons volontaires; cette source de revenus ne nous a malheureusement pas fourni des sommes bien importantes, et je ne retrouve, à une époque déjà ancienne, qu’un don de M. le baron de Grenus.
Je suis heureux, d’autre part, de vous annoncer un acte de générosité tout récent. M. le professeur Forel, fils de notre regretté président, a bien voulu nous remettre, en souvenir de son père, une somme de 200 francs. Vous apprécierez, Messieurs, comme elle doit l’être, la libéralité qui nous est faite et la gracieuse attention de notre excellent collègue, M. le professeur Forel. /333/
Avec notre cinquantième année, nous avons fermé une première série de nos publications. Permettez-moi d’en tracer un résumé rapide.
On ne se doutait guère, en 1837, que bien avant l’apparition des Helvètes dans nos contrées, on retrouverait un jour toute une civilisation curieuse dont l’existence serait attestée par les antiquités enfouies sur les rives de nos lacs. Quelques découvertes isolées, remontant déjà au siècle dernier, avaient bien pu donner l’idée de peuplades disparues, mais on ne pouvait se figurer, il y a cinquante ans, l’importance que devait prendre l’étude de cette période préhistorique, objet de si nombreux travaux de nos jours. C’est à partir de 1854 seulement que nos lacs livrèrent aux chercheurs les premiers vestiges de cette civilisation jusqu’alors inconnue. M. Fréd. Troyon était depuis deux ans conservateur du musée archéologique de Lausanne, lorsqu’il se livra aux premières fouilles lacustres; il les poursuivit patiemment et nous donna, en 1860, le premier travail en langue française sur la civilisation des lacustres; vous savez le grand et légitime succès obtenu par cette publication aujourd’hui introuvable.
Après la mort de notre regretté collègue, vous avez tenu à honorer sa mémoire en publiant d’après les notes qui vous avaient été confiées, les Monuments de l’antiquité dans l’Europe barbare, résumé de différents cours publics donnés par le défunt; cette étude fut complétée par la Statistique des antiquités de la Suisse occidentale qui avait déjà paru de 1855-1856 dans l’Indicateur d’histoire et d’antiquités suisses.
On peut sans doute différer d’opinion avec M. Troyon et contester certaines de ses idées, les hypothèses émises /334/ par lui n’ont pas toujours été confirmées par les découvertes ultérieures, et lui-même aurait modifié ses appréciations. Son œuvre restera néanmoins comme l’un des premiers jalons plantés sur la route où se sont élancés après lui et avec tant de succès les archéologues de tous pays.
Aussi, Messieurs, aurions-nous accepté avec reconnaissance de publier le travail que préparait le successeur de Troyon au musée archéologique de Lausanne, notre regretté collègue M. Morel-Fatio; nous ignorons encore si les notes qu’il a laissées permettront de livrer cette étude à l’impression.
La période helvéto-romaine aurait dû attirer de nombreux investigateurs; elle n’a cependant pas dans nos Mémoires la place qu’elle mériterait.
En commun avec la Société des antiquaires de Zurich, et la Société vaudoise d’utilité publique, nous avons donné la Description des tombeaux de Bel-Air; la découverte du cimetière helvète de Cheseaux en 1838 décida de la carrière future de Fréd. Troyon, alors simple étudiant en théologie; il nous sera bien permis de rappeler aujourd’hui qu’en contribuant à la publication de ses premières découvertes, nous avons peut-être été pour quelque chose dans sa détermination.
C’est M. Troyon encore qui nous a fourni une Notice sur les antiquités romaines du canton de Vaud. Cette courte étude a été publiée après la mort de l’auteur qui l’aurait certainement remaniée sur bien des points s’il avait pu se douter qu’elle dût être publiée un jour.
Nyon a fait l’objet des recherches de M. de Gingins; mais il faut y voir plutôt une introduction à son étude sur /335/ le comté des Equestres qu’une étude détaillée de la colonie julienne.
Nous devons à la plume de M. Ch. Morel une Notice sur le miliaire de Vich, retrouvé après une longue disparition.
Enfin, le mémoire le plus important sur l’époque romaine est l’étude consacrée par M. Ch. Morel aux associations de citoyens romains et aux Curatores civium romanorum conventus helvetici, et dans laquelle l’auteur établit la condition respective des Helvètes et des Romains.
Ce sommaire de nos travaux est singulièrement bref, et on pourrait se demander la cause de notre indifférence apparente. Vaincus boudeurs, aurions-nous par hasard voulu nous venger par le silence de la défaite de Bibracte, affirmer notre descendance helvète et nier l’influence de la Rome impériale ? Serions-nous incapables de comprendre l’antiquité classique ? Pour une association qui se prétend romande, ces hypothèses sont inadmissibles; j’aime mieux croire qu’une modestie exagérée a empêché nos collègues de nous faire part du fruit de leurs recherches.
Deux colonies romaines étaient établies dans la contrée qui forma plus tard le Pays de Vaud. Si nous voulons avoir une fidèle image de ces deux centres de la civilisation romaine dans notre pays, n’est-il pas quelque peu humiliant pour nous d’aller la chercher dans les Mémoires d’autres sociétés ? A Zurich revient l’honneur de nous avoir donné, par la plume de Bursian la description d’Aventicum; c’est à M. Muller que nous recourons pour connaître la cité des Equestres. C’est dans les écrits de Mommsen, d’Orelli, de Hagen, que nous cherchons nos monuments épigraphiques.
Je sais bien qu’en dehors de nos publications officielles, /336/ plusieurs de nos collègues ont publié des notices plus ou moins détaillées, relatives à la période romaine; mais une étude d’ensemble, qui rentrerait certainement dans le cadre de nos Mémoires, fait encore défaut.
Nous avons, il est vrai, cherché à combler cette lacune. Sur notre initiative, s’est fondée l’association Pro Aventico; vous connaissez le résultat de ses travaux, et vous ferez avec moi des vœux pour qu’un jour ou l’autre, nous puissions consacrer à Aventicum une étude complète et digne de la capitale des Helvètes.
L’époque du haut moyen âge, qui s’étend de l’invasion burgonde à la réunion de la Bourgogne à l’empire est particulièrement obscure et ne nous a laissé que de rares monuments littéraires. La chronique de l’évêque Marius n’était point inédite; elle avait déjà été imprimée dans la collection de dom Bouquet; vous avez tenu néanmoins à donner de notre plus ancien chroniqueur une édition abordable pour tous. Je ne parle pas de Frédégaire; un de nos membres honoraires vous a démontré que notre pays n’avait pas eu l’honneur de lui donner le jour, et qu’il fallait le restituer à la Cisjurane.
M. Ed. Secretan nous a donné l’Histoire du premier royaume de Bourgogne, qui conservera sa place à côté des travaux plus développés à certains égards, de Binding et et de Jahn. Sur cette période plus récente du second royaume de Bourgogne, nos Mémoires renferment toute une série d’études spéciales : à M. Fréd. de Gingins nous devons les recherches sur le comté des Equestres et son démembrement, sur un nouveau comté de la Bourgogne allémanique, un essai sur la souveraineté du Lyonnais, /337/ auquel il faut rattacher une note sur la division et l’administration politique de la même contrée au dixième siècle, et une seconde note sur les trois Burchard, archevêques de Lyon. De M. de Gingins encore, nous avons publié une note sur l’année de la mort de Rodolphe Ier.
La période du rectorat de Bourgogne nous conduit jusqu’à l’établissement définitif de la maison de Savoie dans le Pays de Vaud. Encore ici, M. de Gingins tient la première place; son grand travail sur le rectorat de Bourgogne a été en 1837 notre publication de début, et ouvre dignement la série des Mémoires et Documents.
A la même période se rattachent les études du même écrivain sur la trève de Dieu dans la Transjurane, sur Guy de Faucigny, évêque de Genève, sur les alliances matrimoniales de quelques comtes de Genève.
La période brillante du moyen âge s’ouvre pour nous avec l’établissement de la maison de Savoie; au point de vue de la diplomatique, cette époque présente un contraste frappant avec les périodes précédentes, qui ne nous fournissent qu’un nombre relativement restreint de monuments écrits. A partir du treizième siècle, au contraire, les chartes se multiplient et s’accumulent; les détails abondent et nous permettent de nous faire un tableau suffisamment exact de la féodalité.
Mais il est malaisé de se reconnaître au milieu de la foule énorme de documents que renferment nos archives; un travail préliminaire de classement et de critique est nécessaire. Dès la première réunion de la Société d’histoire, M. Fréd. de Gingins, dont le nom se retrouve toujours /338/ au premier rang, proposait la publication d’un regeste ou répertoire chronologique de tous les documents historiques relatifs à l’histoire du Pays de Vaud. Un moment, il fut question d’inventorier les pièces inédites aussi bien que les documents publiés; on s’aperçut bien vite que ce travail était impossible; on se restreignit aux pièces déjà publiées, et encore fixa-t-on comme point terminal du regeste le commencement du quatorzième siècle. Cet immense travail est l’œuvre de M. Forel; on nous permettra d’associer à son nom celui de M. l’abbé Gremaud qui, en même temps que M. Forel, avait préparé un travail semblable sur l’histoire ecclésiastique du diocèse de Lausanne. J’ai eu récemment l’occasion de vous entretenir de la valeur de cette publication; je n’y reviens pas, et je signalerai seulement en passant l’importante introduction placée par M. Forel en tête du regeste, qui reste la meilleure histoire du Pays de Vaud pour les temps antérieurs à l’établissement à demeure des princes de la maison de Savoie dans nos contrées.
Nos travaux les plus considérables ont été consacrés à l’époque féodale, et nous pouvons les ranger dans différentes catégories. En effet, à côté de l’histoire générale et de l’histoire des maisons féodales, qui se rattachent au développement politique, il faut étudier deux grandes manifestations de la civilisation du moyen âge; je veux parler d’une part de l’Eglise et des établissements religieux et d’autre part de l’établissement des communes.
Dans nos publications ayant trait à l’histoire générale, il faut faire une place à part aux Documents relatifs à l’histoire du Vallais recueillis et publiés par notre éminent collègue, M. l’abbé Gremaud. Cette immense collection, de /339/ plus de 2000 chartes, et qui s’arrête à l’année 1375, est tout aussi importante pour le Valais que le sont les Fontes rerum bernensium pour le canton de Berne; elle constitue une œuvre bien délimitée qui permet d’embrasser l’histoire de cette intéressante contrée avec bien plus d’unité que pour le diocèse de Lausanne, par exemple, qui n’a pas été l’objet d’une étude unique. Rappelons également que M. Gremaud nous avait déjà donné auparavant une série de chartes sédunoises.
Sur le Pays de Vaud proprement dit, nous avons donné, il y a quarante ans déjà, le recueil de chartes et documents concernant l’ancien évêché de Lausanne, dû à la collaboration de MM. de Gingins et Forel.
Quelques points spéciaux ont été étudiés plus particulièrement. De M. de Gingins nos Mémoires ont conservé une Note sur l’origine de la maison de Savoie, un travail sur l’avouerie et la vicomté de Vevey, et une œuvre plus considérable, les Episodes des guerres de Bourgogne dans lesquels, vous le savez, le patriotisme de l’auteur ne l’a pas empêché de prendre la défense des vaincus.
M. L. de Charrière nous a donné en quelques pages les attributions du vidomnat de Morges; M. C.-L. de Bons avait écrit une courte notice sur Chillon, et M. Le Fort a étudié un traité d’alliance du quatorzième siècle.
Enfin, dans le volume qui vient de vous être distribué, vous trouverez une étude critique sur la date à laquelle il faut placer le combat de Chillon, qui avait excité auparavant déjà la sagacité de nos historiens. Votre ancien président, M. H. Carrard, a repris la question et, s’écartant des opinions précédemment émises, il a cherché à montrer /340/ qu’il fallait enlever ce fait d’armes au Petit Charlemagne et en restituer la gloire au comte Thomas.
J’ose exprimer l’espoir que M. Carrard voudra bien continuer ses recherches sur les premiers temps de la domination de Savoie et nous parler un jour des Etats de Vaud, auxquels, croyons-nous, il a spécialement voué son attention.
Nous sommes sortis des limites du Pays de Vaud : nous ne pouvions rester indifférent aux origines de la Confédération suisse; M. Hisely a publié dans nos Mémoires deux études sur le développement des libertés des Waldstætten, suivies de recherches critiques sur l’histoire de Guillaume Tell. L’an dernier, et désireux de témoigner de votre intérêt pour la grande fête célébrée à Sempach, vous avez accueilli la brochure : Sempach et Winkelried, due à la plume de M. Eug. Secretan.
La plupart des grandes seigneuries féodales ont été l’objet d’études détaillées.
La plus importante de nos familles féodales est sans contredit celle des comtes de Gruyère. Notre première livraison de 1838 renferme déjà une notice de M. le doyen Bridel sur les premiers comtes de Gruyère. L’histoire de cet empire pastoral a été reprise dès lors par M. Hisely, et trois volumes de notre collection ont été consacrés à cet important travail, complété plus tard par la publication de chartes originales relatives au comté de Gruyère, que nous devons à M. Gremaud et qui comprend plus de 1000 documents.
M. de Gingins nous a fait connaître l’histoire des acquisitions des maisons de Montfaucon et de Châlons dans le Pays de Vaud, et nous a donné aussi une note sur l’origine de la maison de Blonay, une histoire des comtes de Biandrate et un mémoire sur les sires de Gex. /341/
M. L. de Charrière est celui de nos collègues qui s’est le plus spécialement adonné à ces recherches généalogiques; nous lui devons l’histoire des sires de Cossonay et de la baronnie de ce nom, des sires de Prangins, des dynastes d’Aubonne, des seigneurs de Mont, des dynastes de La Sarraz, de la baronnie de Rolle et Mont-le-Vieux, des premiers représentants de la famille de Goumœns, et enfin des sires de la Tour-Châtillon en Valais. En dehors de nos Mémoires, M. de Charrière a également consacré une importante étude à la maison de Grandson et à celle de Cossonay.
L’Eglise et les établissements religieux de nos contrées ont donné lieu à de nombreuses publications. La plus considérable est celle du Cartulaire du chapitre de Lausanne, rédigé au treizième siècle par le prévôt Cono d’Estavayer, et qui est encore une source inépuisable de renseignements de tous genres.
La plupart des établissements monastiques ont trouvé leur historien. Romainmôtier est le plus ancien des monastères du Pays de Vaud, et l’origine de cette maison religieuse est encore obscure; M. Fréd. de Charrière a consacré une étude détaillée à cet illustre prieuré de Cluny.
Non loin de Romainmôtier, dans une vallée solitaire du Jura, les sires de La Sarraz avaient fondé l’abbaye de Prémontrés du lac de Joux. M. de Gingins nous a donné l’histoire de cet établissement et vous lui avez joint le recueil historique de la Vallée de Joux dû au juge Nicole.
Les abbayes cisterciennes de Haut-Crêt et de Montherond, cachées au milieu des forêts du Jorat, ont fait l’objet des études de MM. Hisely et de Gingins; ce dernier nous a donné aussi le cartulaire de la chartreuse d’Oujon, M. L. /342/ de Charrière un travail sur le prieuré de Baulmes et sur celui de Cossonay, et M. E. Chavannes une notice sur l’abbaye de femmes de Bellevaux.
Les nécrologes sont une source importante de renseignements; vous avez publié ceux des églises cathédrales de Lausanne et de Sion, celui de l’église de Granges, et celui de la chartreuse de la Lance; toutes ces publications sont dues à notre collègue M. Gremaud.
Le tableau du développement communal est aussi important au point de vue de l’histoire générale qu’à celui de l’histoire du droit et des institutions. Notre publication capitale dans ce domaine est celle des chartes communales du Pays de Vaud dont s’était chargé M. Forel, et que M. Ch. Le Fort a fait précéder d’observations comparatives intéressantes.
Quelques-unes de nos villes ont fait l’objet de monographies plus ou moins complètes, c’est d’abord la chronique de Cossonay, de M. de Charrière, puis les extraits des Manuaux du Conseil de Lausanne, soigneusement annotés par M. E. Chavannes; ce travail a été poursuivi jusqu’à l’année 1564, date du traité de Lausanne; pour une période postérieure, les faits historiques sont moins importants; vous n’en désirerez pas moins la continuation d’une œuvre qui renferme tant de traits de mœurs intéressants, tant de détails caractéristiques sur la vie municipale. A ces études se rattache la publication des comptes de la ville inférieure de Lausanne, dans la période des guerres de Bourgogne.
Les annales d’autres localités ont été publiées par quelques-uns de nos collègues de leur propre initiative : /343/ M. Crottet a fait une histoire d’Yverdon; M. de Gingins s’est occupé d’Orbe; M. Martignier de Vevey; cette dernière ville a également fait l’objet d’un travail important de M. de Montet, publié dans les Miscellanea de Turin, comme l’étude de M. Carrard sur l’origine de la charte de Moudon.
Les franchises municipales nous amènent tout naturellement à l’histoire des droits en général. M. Ed. Secretan a publié un Essai sur la féodalité, qui devait servir d’introduction au droit féodal du Pays de Vaud. Nous avons donné aussi dans le premier volume de nos Mémoires les statuts de Pierre de Savoie; le document original n’existe plus, et la copie ancienne d’après laquelle notre publication a été faite a été égarée dès lors; le texte que nous avons donné reste ainsi la seule source où puisent les auteurs contemporains.
Vous n’êtes pas restés étrangers à l’histoire littéraire; le curieux manuscrit du Mireour du monde trouvé aux archives de La Sarraz, a été mis au jour par M. Félix Chavannes; vous avez édité le dictionnaire patois du doyen Bridel. Dès lors, vous avez provoqué la formation d’une société du patois vaudois, qui ne paraît pas avoir été bien active. D’autre part, M. Morel-Fatio avait travaillé de son côté à recueillir des mots de notre ancien langage; il avait réuni des documents nombreux qui pourront être utilisés pour un dictionnaire d’un caractère plus scientifique que celui qui figure dans nos Mémoires.
Parmi les sciences auxiliaires de l’histoire, la numismatique n’a pas été oubliée dans nos publications. A une époque déjà ancienne, vous avez donné un mémoire de M. Blanchet sur les monnaies des pays voisins du Léman. /344/ Mais c’est à M. Morel-Fatio que nous devons l’œuvre la plus importante, l’Histoire monétaire de Lausanne. Nos Mémoires renferment la série épiscopale dès Guillaume de Champvent à Sébastien de Montfaucon, à l’exception de l’épiscopat de Guy de Prangins, qui avait paru antérieurement dans un autre recueil. Le volume qui sort de presse contient la dernière étude de notre regretté secrétaire.
Il nous sera bien permis de rappeler en passant que vous avez contribué autrefois à la formation de notre cabinet des médailles en engageant l’Etat à acquérir la médaille Levade, et en fournissant des contributions pour cet achat.
L’histoire de l’art n’est que faiblement représentée par une notice de M. Wirz sur les stalles d’églises au quatorzième et au quinzième siècles, et par la belle publication de M. Rahn sur la rose de la cathédrale, traduite en français par notre collègue M. W. Cart.
Tel est, Messieurs, le tableau sommaire de vos publications.
Sans doute, notre œuvre est moins considérable que celle de telle autre société historique; étant données la position effacée de notre pays et nos ressources modestes, nous pouvons néanmoins en être fiers.
Mais notre tâche n’est point achevée; nos archives renferment encore nombre de documents inédits; des tâches tout indiquées attendent les travailleurs. Si nous connaissons les trésors artistiques de Saint-Maurice, le trésor des archives de la Royale Abbaye est encore peu connu; ce serait un honneur pour nous de mettre au jour ces documents. L’histoire du droit n’est qu’ébauchée : M. Ch. Le Fort nous donnera prochainement une étude approfondie des institutions féodales dans les trois évêchés romands; /345/ nous avons laissé à d’autres la gloire de publier le commentaire de Quisard; pourquoi ne publierions-nous pas nos coutumiers manuscrits ?
A part une courte notice de M. Vulliemin sur la retraite du capitaine Sterchi en 1792, l’époque de la révolution a été complètement laissée de côté. On comprend qu’en 1837 on ait voulu garder une certaine réserve; mais ces considérations n’ont plus de valeur actuellement; cette période est aujourd’hui l’objet de recherches nombreuses; la famille qui a été l’héritière des mémoires de F.-C. de la Harpe ne nous autoriserait-elle pas à publier ces mémoires qui jetteront un jour nouveau sur les premiers temps de notre indépendance ?
Je n’ai fait qu’effleurer, Messieurs, la tâche qui nous incombe; le passé nous garantit que vous saurez l’accomplir.
Messieurs les représentants du Conseil fédéral, des gouvernements cantonaux et des autorités locales, Messieurs nos invités, nous ne vous avons point conviés à une grande solennité; nous avons conservé à cette réunion le caractère d’une fête de famille, comme le sont toutes nos réunions. L’empressement avec lequel vous avez répondu à notre appel nous prouve l’intérêt avec lequel vous suivez nos travaux; nous vous en remercions et je vous souhaite. la bienvenue au milieu de nous.
Je n’ai pas à justifier le choix que nous avons fait de Chillon pour cette fête anniversaire. C’est d’ici que le Petit Charlemagne a assuré la domination de la maison de Savoie dans nos contrées; nous pouvons voir d’ici la petite ville de Villeneuve où les princes de Savoie avaient établi l’un des premiers établissements hospitaliers de la contrée : la charité s’allie bien avec la puissance. /346/
Non loin d’ici, le vieux château du Châtelard nous rappelle la défense énergique de Pierre de Gingins et plus loin nous apercevons le manoir de l’une de nos plus anciennes familles féodales, encore propriétaire de ce château de Blonay, pris d’assaut en 1204. Enfin à quelques pas d’ici a vécu ce vénérable doyen Bridel, l’homme qui a le plus contribué dans notre pays à populariser l’étude de l’histoire nationale.
Nous sommes sur une terre historique propre à rappeler le souvenir de tous les âges.
La salle où nous vous recevons est bien nue, mais une nouvelle ère semble s’ouvrir. Une association nouvelle a pris pour tâche de restaurer la citadelle de Pierre de Savoie, de lui rendre sa splendeur passée et d’y placer un musée historiqne. Faisons nos vœux pour que cette œuvre généreuse puisse s’accomplir et que dans notre prochaine réunion en ces lieux-ci, cette salle soit bien la sala di parament ou d’apparat, comme l’appellent certains documents. Dans cette œuvre de restauration, l’histoire doit donner la main à l’archéologie; elle seule permettra de rétablir la topographie ancienne du château; elle dira à l’archéologue ce qu’était la tour du bailli, la chambre de la marquise, la chambre du comte de Genève, appellations inconnues de nos jours.
Messieurs, aujourd’hui s’ouvre une nouvelle période dans notre vie; mon vœu, en terminant, est que nous continuions à marcher sur la trace de nos membres fondateurs, et que nos travaux aient toujours pour but et pour mobile la gloire et l’amour de la patrie.