
(Côté sud-ouest.)

(Côté sud-est.)
LE BASSET
Demeure de Mme de Warens.(Démolie en mars 1889).
De Pury, phot.
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MADAME DE WARENS ET LE PAYS DE VAUD
CHAPITRE PREMIER
La jeunesse de Mlle de la Tour, ses fiançailles avec M. de Loys de Warens.
Françoise-Louise de la Tour, si connue de la postérité sous le nom de Mme de Warens, grâce aux confessions de Jean-Jacques Rousseau, appartenait par sa naissance à une famille noble de la baronnie du Châtelard, située dans cette partie du Vieux-Chablais qui fut sous la domination bernoise réunie au Pays de Vaud. C’est dans le riant village de Chailly, à une lieue environ de la ville de Vevey, qu’on retrouve le berceau de ses ancêtres 1. Fille de Jean-Baptiste de la Tour et de Jeanne-Louise Warnéry, elle naquit à Vevey le 31 mars 1699 et y fut baptisée le 5 avril suivant dans l’église de Sainte-Claire en présence de son père, figurant aussi comme parrain, et de sa tante Louise de la /2/ Tour, qui remplaçait en qualité de marraine la mère même de l’enfant 1. Elle ne connut que peu de temps l’amour et les soins maternels, car Mme de la Tour mourut en couches au printemps de l’année suivante après avoir donné le jour à une seconde fille qui ne devait pas lui survivre.
Demeuré seul avec deux enfants en bas âge, Jean-Etienne et Françoise-Louise, M. de la Tour comprit aussitôt qu’il ne pourrait les élever lui-même et qu’il ferait bien de confier leur première éducation à des mains féminines. Dans ce but il voulut se rapprocher de ses sœurs, Louise et Violente, qui habitaient toute l’année la campagne, et vint se fixer dans le petit domaine qu’il possédait à côté du leur, sur le territoire des Bassets, baronnie du Châtelard.
Les demoiselles de la Tour répondirent au désir de leur frère en venant chaque jour surveiller la tenue de son ménage et l’éducation de sa petite famille. Mlle Louise se chargea plus particulièrement de cette dernière mission. Son caractère lui concilia, paraît-il, l’affection des deux enfants. Elle leur témoigna de son côté une tendresse, une sollicitude vraiment maternelles, qu’elle reporta tout entières sur sa nièce après la mort de Jean-Etienne, survenue en 1704.
Quelques mois s’étaient à peine écoulés depuis ce deuil lorsqu’un nouvel événement de famille menaça les liens de douce intimité qui s’étaient établis entre la tante et la nièce. Monsieur de la Tour se remaria en janvier 1705 avec Mlle Marie Flavard, fille d’un protestant d’Anduze, un Languedocien réfugié dans le pays de Vaud pour cause de religion 2. Ce fut sans doute afin de satisfaire au désir de /3/ sa jeune femme, qui redoutait le séjour à la campagne durant la mauvaise saison, qu’il se décida à reprendre son domicile en ville pour ne revenir au Basset chaque année que pendant les mois d’été.
Vu la proximité de Vevey, ce départ ne constituait point, à proprement parler, une séparation d’avec les demoiselles de la Tour; néanmoins celles-ci tinrent à garder leur nièce auprès d’elles 1. Le père consentit à cet arrangement, et l’enfant quitta le foyer paternel pour venir demeurer avec ses tantes. Il était, du reste, dans sa destinée de passer aux Bassets la plus grande partie de son existence de jeune fille; après une absence de peu de durée, nous l’y verrons revenir une troisième fois sous la protection de sa belle-mère. Nous aurons occasion de constater aussi que Mme de Warens emporta en Savoie un souvenir vivant et frais de ces années de son enfance. Il se peut qu’elle ait confondu dans ce souvenir les trois séjours qu’elle fit au Basset; il se peut aussi qu’elle ait eu plutôt en vue un de ces séjours en particulier. Dans ce dernier cas nous serions tenté de croire que c’est du second qu’il s’agit; la suite de cette étude nous le désigne comme le plus heureux.
Au sommet de la colline qui s’élève en pente assez rapide à l’ouest de la baie 2 de Clarens s’étend un plateau ondulé, un peu affaissé derrière la crête du mont. Ce plateau, coupé par le chemin qui relie la Tour-de-Peilz à Chailly et à Baugy, s’élève pareil à une oasis de verdure au milieu des vignes qui l’entourent. Parsemé de riantes campagnes, couvert de vergers plantureux, où foisonnent les arbres de belle venue, il offre d’admirables échappées sur le lac Léman et sur /4/ l’immense cirque de montagnes qui entoure sa nappe limpide. Le plus beau de ces points de vue est sans contredit celui qu’à choisi M. Dubochet pour y bâtir, il y a quelque vingt ans, le château des Crêtes. Mais le spectacle grandiose dont on jouit de cet endroit privilégié ne constitue point l’unique attrait du lieu. Du sol même que l’on foule, se dressent encore au-dessus des noyers voisins quelques châtaigniers gigantesques, les plus vénérables de la contrée. Leurs cimes élevées, leurs ramures étendues, leurs troncs évidés, leurs branches tourmentées, étayées, cerclées de fer en maint endroit, arrêtent le regard et le retiennent comme malgré lui. Or, les plans cadastraux de la baronnie du Châtelard désignent ce plateau dès la fin du dix-septième siècle sous le nom de Basset dessus, par opposition au Basset dessous, situé entre le lac et le pied de la colline.
On y constate aussi que ces beaux châtaigniers, qui bornent ce plateau du côté de Clarens, ne sont que les restes deux fois séculaires d’un bouquet d’arbres plus vaste et plus touffu, appelé autrefois dans la contrée « le bosquet de Clarens. » Dès qu’eut paru la Nouvelle Héloïse, chacun reconnut ce bosquet pour celui que Jean-Jacques Rousseau célébrait dans son roman 1. L’opinion publique, une fois fixée, a substitué à l’ancien nom celui de « bosquet de Julie » qu’on lui donne encore parfois. Quelques sceptiques cependant ont contesté cette tradition, M. Eugène Rambert entre autres. Dans sa notice sur Montreux l’éminent écrivain combat la théorie d’après laquelle on s’est plu à rechercher dans des localités précises, aux environs de Clarens, la scène de la Nouvelle Héloïse. « Rien n’indique, dit- il, chez Jean-Jacques Rousseau une intention spéciale, /5/ la vue distincte d’un lieu plutôt que d’un autre. Ce qu’il lui fallait, c’était le lac, ses eaux et ses bords, c’était en particulier le golfe de Clarens au gracieux contour. Pour le reste, il n’y regardait pas de si près 1. »
Tout en reconnaissant avec M. Rambert qu’il n’y a pas lieu d’exiger du romancier une exactitude locale rigoureuse, pas plus au dix-huitième siècle qu’au nôtre, nous ne pouvons dans le cas donné souscrire à son appréciation. Car nous nous faisons fort de fournir la preuve qu’en écrivant la Nouvelle Héloïse, l’auteur avait non seulement en vue pour le théâtre de son roman un paysage déterminé, mais aussi, pour ses principaux rôles, des personnages véritables 2. La contrée natale de sa « pauvre maman » avait toujours pour lui, de son propre aveu, un attrait de prédilection. Il rappela tout particulièrement pour la peupler les souvenirs les plus doux de sa jeunesse. S’il n’a point, comme tout porte à le croire, visité lui-même les lieux qu’il décrit, lorsqu’il /6/ brûla Clarens à son retour de Venise, s’il n’a point connu individuellement tous les personnages qu’il met en scène, il rapporte sur les uns et sur les autres maint détail qui trahit l’intervention d’une personne bien instruite. Certains faits avancés dans les Confessions ou venus à notre connaissance par d’autres sources, se trouvent reproduits dans la Nouvelle Héloïse d’une façon impossible à méconnaître au milieu des fictions du roman. Cela posé, il y tout lieu d’admettre que, dans l’esprit de Rousseau, la figure de Julie d’Etange personnifiait Mme de Warens. Leurs caractères, leurs sentiments, leurs goûts sont peints par lui d’une même manière. L’amour que Jean-Jacques attribue à sa bienfaitrice pour M. de Tavel, son « maître de philosophie, » n’offre-t-il point une frappante analogie avec l’amour de Julie pour Saint-Preux ? Le moyen de séduction est dans les deux cas le même 1. Le romancier ne fait-il pas aussi jouer à M. de Wolmar le rôle de mari indifférent qu’on comprend, d’après les Confessions, avoir été celui de M. de Warens ? D’autres preuves continuent encore à établir le rapprochement. Serait-ce simple effet du hasard que le père de l’amant de Julie se soit distingué par une action d’éclat à la bataille de Wilmergen, en 1712 il est vrai 2, alors que l’aïeul paternel de M. de Tavel avait succombé en héros dans une première rencontre au même endroit en l’année 1656 3 ? Est-ce par une coïncidence fortuite que M. de Wolmar apparaît engagé dans une /7/ révolution contre la Russie et appelé à régler des affaires personnelles dans une cour du Nord, lorsqu’il est avéré que M. de Warens, ancien officier au service de la Suède, puissance ennemie des Russes, se trouvait attaché en Hollande à la personne d’un prince allemand à l’époque même du séjour de Rousseau chez sa femme, à Annecy 1. Et ces noms de familles vaudoises, notamment de Vevey, — Mme d’Herwart 2, M. Silvestre 3, M. Miol, M. de Vullierens 4, Fanchon Regard 5, le pasteur Perret 6, le médecin Du Bosson 7, tous ces noms affectés aux relations de Julie d’Etange, n’ont-ils point été ceux de quelques intimes de Mme de Warens ?
En résumé le peu que Jean-Jacques nous rapporte, évidemment d’après des récits de sa bienfaitrice, sur la vie de cette dernière avant son arrivée en Savoie, il l’attribue aussi en grande partie à son héroïne dans les pages de la /8/ Nouvelle Héloïse, en transposant les circonstances et les modifiant, il est vrai. Mais on trouve encore dans le roman d’autres traces de souvenirs venant d’elle. Ces descriptions de coutumes locales, d’usages domestiques, ces locutions de terroir, toutes ces données enfin qu’un séjour prolongé dans le vignoble vaudois pouvait seul faire connaître, Rousseau ne les avait point apprises sur place, vu la brièveté de son passage. Il les tenait sans doute aussi de Mme de Warens ? La présence de pareils souvenirs, émanant de cette femme, en a fait soupçonner d’autres plus personnels. Ceci explique pourquoi M. Doppet, dans sa pseudo-biographie de Mme de Warens, fait de larges emprunts à la Nouvelle Héloïse 1.
En admettant qu’il existe en effet dans le roman, comme nous le croyons du reste, un certain nombre de réminiscences de récits de Mme de Warens, relatifs à sa jeunesse, un biographe sérieux ne saurait en tirer parti. Car il est impossible sous le voile d’imagination qui recouvre ces réminiscences de distinguer, avec quelque certitude, le vrai du faux, sans le contrôle de documents positifs.
L’étude critique des écrits de Rousseau donne la preuve qu’à l’exception de certains cas personnels où son amour-propre et sa vanité sont en jeu, le philosophe genevois reproduit dans ses ouvrages, d’une manière assez fidèle et assez complète, ce qui lui est arrivé, ce qu’il a vu ou entendu. Nous avons donc lieu de supposer qu’il nous a livré dans ses Confessions, où il se pose en confident de Mme de Warens, et dans son mémoire de 1742 au père Claude Boudet 2, inspiré assurément /9/ par cette femme, tout ce qu’il savait de son amie, comme il l’avait appris d’elle-même. Or ce qu’on trouve dans ces deux textes sur la vie de Mme de Warens, antérieurement à sa rencontre avec Jean-Jacques, se réduit, nous l’avons dit, à fort peu de chose, et encore résulte-t-il d’un examen attentif que ce peu est la plupart du temps inexact. L’impression que l’on emporte et que confirment les détails que nous donne le père Boudet 2, d’après ses conversations avec Mme de Warens, c’est que celle-ci a toujours caché à son entourage de Savoie, et aussi à son protégé, toutes les circonstances de son passé qui ne lui étaient pas favorables.
Rousseau eût-il connu, par exemple, les véritables motifs qui avaient engagé sa bienfaitrice à abandonner son pays et sa famille, ne se serait point borné à nous dire que « son mariage n’ayant pas trop réussi, elle avait passé le lac, poussée par quelque chagrin domestique 3. » Il eut d’autant moins usé là de réticence qu’il consacre dès la page suivante un paragraphe entier aux malheureuses entreprises industrielles que sa protectrice dirigea en Savoie.
Quant aux circonstances de famille et aux détails personnels que son amour-propre lui permit de divulguer, Mme de Warens les a ordinairement présentés en Savoie sous un jour exagéré ou même entièrement faux, par suite d’une vanité démesurée. Sous ce rapport, elle ressemblait singulièrement au petit 4. Non contente d’appartenir par sa naissance à une famille dont la noblesse /10/ remontait à un siècle environ, elle imagina de se rattacher à l’antique maison de la Tour de Peilz, alors éteinte depuis longtemps, mais dont le nom avait plus d’éclat que le sien 1. Elle prit de son propre chef le titre de baronne 2. Si Rousseau avait été au fait de sa situation financière au moment où elle quittait le Pays de Vaud, il n’aurait sans doute point osé écrire à Claude Boudet, qu’elle « avait abandonné de grands biens et un rang brillant dans sa patrie pour suivre la voix du Seigneur 3. » Parmi d’autres inexactitudes dont elle est vraisemblablement responsable, il faut ranger une assertion de Rousseau, dans cette même lettre, où il raconte qu’à son départ d’Evian pour Annecy, le roi Victor avait donné comme escorte à Mme de Warens quarante de ses gardes. Dans ses Confessions, rédigées plus de vingt ans après, Jean-Jacques comprend lui-même le ridicule d’une telle exagération; mais ne voulant point se contredire en indiquant un autre chiffre, il remplace « quarante gardes » par le mot « détachement. » M. de Conzié, qui parle de quatre gardes dans sa lettre au comte de Mellarède, est plus près de la vérité 4. /11/
M. de Warens connaissait bien sa femme, lorsque dans un écrit précieux qui la concerne et qui paraît digne de toute confiance, il la taxe d’exagération, de mensonge même 1. Un trait qui la dépeint éloquemment et qui donne la mesure de ce qu’on pouvait attendre d’elle à cet égard, c’est que dans la requête qu’elle adressa en 1732 au sénat de Savoie, au sujet des revendications pécuniaires qu’elle élevait contre son mari, elle estima la dot qu’elle lui avait apportée à trente mille patagons (écus de trois livres), tandis qu’il est officiellement établi par des documents irréfutables, que cette dot atteignait à peine trente mille livres, c’est-à-dire le tiers de la somme.
En admettant que Mme de Warens ait été pour Rousseau si ce n’est le modèle littéral, du moins la cause déterminante de la création de Julie, on ne saurait mettre en doute qu’il n’ait placé à bon escient la scène de la Nouvelle Héloïse dans le voisinage de Clarens. A ses yeux la maison des parents de Julie était sans contredit une image de celle que sa « jeune maman » lui avait autrefois décrite comme le séjour préféré de sa jeunesse. Le petit nombre d’écrivains qui se sont occupés de cette période de la vie de Mme de Warens ont bien compris qu’il devait en être ainsi. Car tous ils ont cherché dans le voisinage du bosquet de Julie cette demeure de la famille de la Tour dont le souvenir populaire avait depuis longtemps perdu la trace. Les uns ont prétendu la retrouver dans la vieille maison adossée à l’est du bosquet, vers l’entrée du domaine des Crêtes; d’autres la reconnaissent dans la maison appelée aujourd’hui « L’Empereur. »
La description qu’en fait Rousseau n’est ni précise ni /12/ complète. Il place cette demeure en dehors de Clarens, dans un endroit élevé, à peu près dépourvu d’eau, au milieu de vergers encadrés de vignes, dans le voisinage de bosquets, et à quelque distance du lac 1. Conditions également applicables à toutes les campagnes du plateau des Bassets : une seule circonstance est caractéristique; le manque d’eau, qui ne s’y rencontre que sur un tertre limité à l’est et au midi par la route de la Tour de Peilz à Chailly. Sur ce tertre était encore debout il n’y a guère qu’une année une ancienne habitation dont le site répondait point pour point à la description de Rousseau. Il est curieux de constater que cette maison était justement celle que les papiers terriers du commencement du XVIIIe siècle désignent comme étant à cette époque la propriété des demoiselles de la Tour. Si le plan cadastral du Châtelard, de la fin du XVIIe siècle, ainsi que le plan suivant, remontant à la seconde moitié du XVIIIe, tout en indiquant cette maison, lui donnent d’autres propriétaires, c’est qu’elle fut achetée et revendue par la famille de la Tour dans l’intervalle de la levée de ces deux plans 2.
En revanche, ils mentionnent l’un et l’autre un peu plus au sud, au bord de la route, la campagne adjacente de M. Jean-Baptiste de la Tour, père de Mme de Warens 3. Dans le premier de ces documents, cette campagne est encore désignée comme appartenant à l’aïeul de l’amie de Rousseau, noble Georges de la Tour; dans le second, elle /13/ avait passé depuis de longues années au capitaine Jean-François Hugonin, neveu par alliance et héritier ab intestat de Mme de Warens. La maison des demoiselles de la Tour n’existe plus aujourd’hui; elle a été détruite pour cause de vétusté par son propriétaire, au mois de mars 1889 1. Nous l’avons vue encore à la veille de sa démolition. Elle était vieille et délabrée, composée de deux corps de logis adossés dont les lignes de faîte se coupaient à angle droit. Sur toute la largeur du bâtiment sud régnait du côté du midi, au rez-de-chaussée comme à l’étage, une galerie en bois ouverte et soutenue par cinq petites colonnes. La galerie supérieure donnait accès à l’appartement, qui ne comptait qu’un petit nombre de pièces 2. Dans le bâtiment nord, un fenil, une écurie et un cellier. Au-devant de la maison, une petite esplanade dallée. Bien que son état de décrépitude ne permit pas de se faire une idée bien nette de ce qu’elle avait été autrefois, il est certain qu’il y avait loin de cette humble demeure aux villas élégantes et confortables, construites depuis dans son voisinage. Et pourtant telles étaient au commencement du siècle passé bon nombre d’habitations de la noblesse campagnarde du Pays de Vaud. /14/
Il est reconnu que les générations d’autrefois sacrifiaient plus que la nôtre à des motifs d’utilité pratique l’admiration de la nature. Cependant il ne faudrait point conclure de là qu’elles y aient été insensibles. Que de beaux sites, en effet, nos ancêtres n’ont-ils pas choisis, lorsque les circonstances s’y prêtaient, pour y édifier des églises, des châteaux, jusqu’à de simples chaumières. Ceux qui ont créé la maison de campagne, appelée autrefois le Basset des demoiselles de la Tour, possédaient sans aucun doute le sentiment du pittoresque; de ce coin du plateau le regard plane sur un horizon étendu, embrassant outre les montagnes, Blonay, Chailly, une notable partie du lac et les collines verdoyantes descendant de gradin en gradin jusqu’à Vevey, dont on n’aperçoit que le clocher de l’église de Saint-Martin.
Françoise-Louise trouva dans cette riante demeure un intérieur paisible et très hospitalier. Ses tantes cultivaient, à côté des relations intimes avec leurs frères et leur parenté, des rapports suivis de société avec les diverses familles qui habitaient, les unes pendant toute l’année, les autres en été seulement, les campagnes du voisinage. C’étaient entre autres les Hugonin, les Binet, les Dufour, les Puenzieux. Une communauté de croyances les avait aussi portées à nouer un commerce fréquent avec les principaux adeptes veveysans de la secte religieuse des piétistes, à laquelle se rattachaient dans le Pays de Vaud nombre de personnes influentes. Le directeur spirituel de ce groupe, le secrétaire du conseil de Vevey, François Magny, dont les connaissances théologiques et le renom de haute piété avaient déjà franchi les limites de sa patrie 1, était leur /15/ hôte le plus assidu. D’accord avec elles, il avait organisé au Basset des assemblées d’édification, qui par leurs tendances séparatistes attirèrent plus d’une fois l’attention de l’autorité et éveillèrent quelques velléités de persécution 1. Nous verrons plus tard l’influence prépondérante que ses leçons exercèrent sur les idées religieuses de Françoise-Louise.
Partagées entre leurs devoirs de société, leurs exercices de dévotion et les soins d’un ménage de campagne, les demoiselles de la Tour ne trouvèrent que très peu de temps à consacrer à l’éducation de leur jeune nièce. Elles ne négligèrent rien, il est vrai, pour faire pénétrer dans le cœur de l’enfant des sentiments de religion et de bienfaisance, mais certains indices nous portent à croire qu’elles ne firent aucun effort pour réprimer les défauts qui germaient en elle. Il semble qu’au contraire, charmées de son intelligence précoce, de son joli minois, de son esprit éveillé, elles lui prodiguèrent des éloges, des flatteries, qui contribuèrent pour une bonne part à augmenter sa vanité. Elles favorisèrent son penchant à l’indépendance en l’abandonnant souvent à elle-même 2.
Enfin, elles ne surent point cultiver les heureuses dispositions qu’elle manifestait pour l’étude, lorsque l’âge fut venu de commencer son instruction. A cette époque, il faut l’avouer, la plupart des dames qui habitaient les /16/ petites villes du pays de Vaud n’attachaient qu’une médiocre importance au développement littéraire de leur sexe, dans l’idée qu’il suffisait pleinement à la femme d’être initiée aux détails d’un ménage. Les demoiselles de la Tour étaient de leur temps; elles n’enseignèrent guère à leur nièce qu’à lire, à écrire, à compter tant bien que mal. Le peu que l’enfant apprit en dehors de ces éléments, elle le dut à son goût pour la lecture, qu’elle cherchait à satisfaire en dévorant tous les livres qui lui tombaient sous la main. Si ces livres avaient été tous bons, ses études faites à bâtons rompus auraient pu cependant porter d’excellents fruits. Mais soit indifférence, soit manque d’énergie, ses tantes ne se préoccupèrent nullement de faire un choix pour elle dans le fonds de bibliothèque, existant au Basset 1. Or ce fonds provenait presque en entier de leur aïeul, le docteur Gamaliel de la Tour, et consistait principalement en vieux traités de médecine, d’histoire naturelle et de philosophie. Ne trouve-t-on pas là l’explication du faible que Mme de Warens a toujours eu pour ces sciences, au dire de Jean-Jacques 2 ?
Conformément aux idées qui avaient cours à cette époque dans leur milieu, les demoiselles de la Tour donnèrent à leur nièce l’éducation que demandait Chrysale : /17/
Faire aller son ménage, avoir l’œil sur ses gens,
Et régler sa dépense avec économie.
Plût à Dieu que Mme de Warens eût appris à leur école à tenir sa maison, à nouer les deux bouts ! Malheureusement elle ne resta que quatre ans auprès de ses tantes; et sa belle-mère, à laquelle eût incombé le devoir de continuer cet apprentissage au moment où l’enfant était d’âge à en mieux profiter, ne lui fut pas d’un grand secours. Mme de la Tour était une de ces femmes douées d’une activité infatigable, qui veulent tout faire par elles-mêmes; elle ne sut point couronner l’éducation de sa belle-fille en lui confiant une part de responsabilité et d’initiative.
C’était cependant là ce qu’il eût fallu à ce caractère entreprenant et ambitieux pour lui apprendre à aimer ses occupations journalières. Contrainte de se mouvoir dans un cercle de devoirs domestiques qui n’avaient rien d’élevé, Françoise-Louise de la Tour considéra ces devoirs comme une corvée, et les prit en dégoût. Cette aversion persista même à l’époque où, mariée, elle eut la direction de son propre ménage. M. de Conzié ne la calomnie donc pas lorsqu’il constate qu’elle « n’avait nul goût pour les ouvrages auxquels l’éducation accoutume son sexe 1. »
Une des préoccupations des demoiselles de la Tour fut de procurer à Françoise-Louise la société d’enfants de son âge.
En été, la chose était facile, il s’en trouvait dans les familles du voisinage et il en venait aussi de Vevey. En hiver, impossible de songer à des fillettes de sa condition. Ses tantes furent contraintes de lui donner habituellement pour compagnes de petites paysannes de /18/ Chailly 1. Son caractère dominateur s’accommoda promptement de la suprématie que lui assurait sa naissance sur des filles de métayers et de vignerons, dont les parents étaient presque tous au service de sa famille. Habituée vis-à-vis d’elles à faire triompher sa volonté, elle finit par éprouver un véritable besoin de primer sur son entourage. C’est dans ce tour d’éducation qu’on trouve vraisemblablement la clef d’une des idiosyncrasies du caractère de Mme de Warens : à toutes les époques de sa vie elle aima à s’entourer d’inférieurs, dont les flatteries intéressées et les compliments obséquieux trouvaient grand crédit auprès d’elle.
Après le décès de Mlle Louise de la Tour, qui survint à la fin de 1708 ou au commencement de 1709, sa sœur Violente dut vendre à leur frère Jean-Baptiste leur campagne du Basset pour payer la part des cohéritiers de la défunte 2. Elle se retira ensuite, selon toute apparence, à Yverdon, près de la sœur qui lui restait, Mme Madeleine d’Yvonand. Françoise 3 rentra dans la maison paternelle. De nouveaux chagrins l’y attendaient. Son père, M. Jean-Baptiste de la Tour fut enlevé à la fleur de l’âge par une hydropisie, au mois d’octobre 1709. /19/
Outre Françoise qui était, comme nous l’avons dit, issue d’un premier mariage, il laissait de son second lit deux garçons, Jean-Joseph et Jacob. De plus sa femme était enceinte. C’est à ses trois enfants vivants, et éventuellement à l’enfant qui devait naître, que, dans son testament homologué le jour de sa mort en cour de justice du Châtelard, le défunt légua par parts égales la totalité de sa fortune. Mais il grevait une partie de cette fortune d’un usufruit en faveur de sa veuve. Et le testament contenait la clause suivante à propos des biens qui constituaient cet usufruit : « Au cas que ses dits enfants vinssent à mourir sans héritiers directs et ab intestat il leur substituera la dite dame, estant survivante, sous cette expresse condition qu’elle ne pourra en disposer sinon en faveur d’un ou de plusieurs des proches parents du testateur 1. »
Ces biens étaient assujettis par là à une double substitution, Mme de la Tour devant dans un cas déterminé succéder aux héritiers directs de son mari à charge de laisser elle-même après sa mort cet héritage à la parenté de ce dernier. On fit valoir plus tard cette clause du testament, qui trouva son application quand Mme de Warens, devenue seule héritière par la mort de ses frères et sœurs, se trouva elle-même frappée de mort civile par suite de son abjuration. Une autre clause des dernières volontés de M. de la Tour établit pour sa fille Françoise deux tuteurs testamentaires, son frère Jean Gamaliel et son beau-frère David Ancel, seigneur d’Yvonand. Sa veuve devait rester tutrice de ses propres enfants, assistée suivant l’usage de deux conseillers de tutelle. Après la mort de son père, Françoise-Louise continua de vivre auprès de sa /20/ belle-mère qui alla se fixer au Basset, cette campagne faisant partie de son douaire.
Les Notices d’utilité publique de l’année 1807 1 contiennent une statistique du district de Vevey. Un des collaborateurs de cette statistique rapporte qu’il avait personnellement connu dans sa jeunesse une dame respectable, liée jadis avec Mlle de la Tour, dont elle était voisine de campagne. Souvent il l’avait entendue raconter, en parlant de son amie d’enfance, que cette jeune fille faisait avant son mariage les délices de la contrée par son esprit, par sa gaieté et par les fêtes qu’elle donnait. « Sa maison, ajoutait-elle, était dans les beaux jours de dimanche le rendez-vous de tout ce qu’il y avait de plus aimable et de meilleure société. Une musique champêtre, des danses, des jeux, des promenades, des goûters où on offrait des fruits, de la crème, des gâteaux, etc., y étaient fréquemment répétés. »
En reproduisant ce témoignage flatteur nous nous demandons toutefois s’il mérite une entière confiance ? Certaines erreurs qui s’y sont glissées permettent sérieusement d’en douter.
Peut-on parler d’une jeune fille de onze à douze ans, comme faisant par son esprit les délices de la société ? Or Françoise-Louise avait cet âge lorsqu’elle quitta le Basset pour n’y revenir dès lors qu’à de rares intervalles et n’y faire que de courtes apparitions. En outre, « la dame respectable », dont il est question dans la chronique, fait preuve d’un manque de mémoire pour le moins singulier, lorsqu’elle parle de danses le dimanche 2. Pouvait-elle /21/ ignorer qu’au dix-huitième siècle, dans les Etats de LL. EE. de Berne 1, la danse était proscrite en ce jour consacré, et que les tribunaux ecclésiastiques (consistoires) poursuivaient les transgresseurs avec un zèle qui ne ménageait personne ? La famille de la Tour était d’ailleurs moins bien placée que toute autre pour violer l’ordonnance souveraine, puisque son chef Gamaliel, le châtelain du Châtelard, présidait alors le consistoire de cette baronnie. Aussi le nom des de la Tour ne figure-t-il nulle part dans les registres de ce corps, où se consignaient de pareilles infractions. Un seul cas, qui touche indirectement à cette famille, concerne le fermier du domaine de Burier, appartenant alors au fils du châtelain Gamaliel, noble Jean-Baptiste de la Tour. Ce fermier fut accusé en 1714 d’avoir fait danser un dimanche à Burier quelques habitants de Vevey. Son procès se termina, faute de preuves, par un arrêt de nonlieu 2.
Il n’était besoin d’ailleurs ni de l’ordonnance du consistoire, ni de l’opportunité de l’exemple à donner dans la contrée, pour empêcher les danses au Basset de la Tour /22/ en tant que contraires à la sanctification du dimanche. Mme Marie de la Tour, née Flavard, appartenait depuis longtemps, comme autrefois ses belles-sœurs, à la secte des piétistes. Tout récemment encore la perte de son mari et d’une petite fille, née après la mort de celui-ci, l’avaient plongée dans le deuil et avaient augmenté l’austérité de sa vie. Dès ce moment, fuyant toute mondanité elle s’était plus que jamais consacrée à la piété et aux bonnes œuvres. Le Basset redevint le centre d’assemblées religieuses, tenues généralement le dimanche après-midi et qui étaient présidées comme autrefois par le secrétaire Magny. Dans les fréquentes visites qu’il faisait au Basset, il rencontrait toujours Françoise-Louise. Chacun l’écoutait comme un oracle et Mme de la Tour ne pouvait voir qu’avec satisfaction sa belle-fille suivre avec intérêt ses entretiens.
Quelques notes de M. de Warens nous font connaitre que Magny exerça sur cette enfant précoce une influence décisive 1. La tendance de sa théologie rencontra dans cette jeune âme une sympathie illimitée. En donnant son adhésion aux doctrines d’une secte mystique qui cherchait à s’élever au-dessus des barrières d’église par une extrême tolérance, et qui admettait certaines vues étrangères au système protestant, Françoise-Louise de la Tour se trouvait entraînée à son insu du côté du catholicisme. Sa future conversion lui devenait ainsi plus aisée et se préparait de loin. Des préoccupations matérielles et un amour-propre exagéré l’aidèrent, plus tard, à franchir le pas décisif.
Il est à regretter que nous n’ayons pas sur ce nouveau séjour au Basset d’autres détails à relever. Mais nous /23/ savons que ce séjour prit fin au bout de deux ans, Gamaliel de la Tour ayant mis sa nièce en pension à Lausanne chez une dame Crespin, vers la fin de 1711 1. Le peu de sympathie qui régnait entre Mme de la Tour et sa belle-fille ne fut probablement pas étranger à cette détermination. Faut-il chercher la cause de cette froideur réciproque dans le système d’éducation assez sévère que paraît avoir suivi Mme de la Tour ? L’austérité de sa religion effraya-t-elle la jeune fille, c’est ce qu’il est difficile de décider.
Chez Mme Crespin rien ne fut négligé pour donner à Françoise-Louise une éducation distinguée. Son tuteur payait pour elle une pension de deux cents livres de Suisse, indépendamment de ses leçons. On lui enseignait aussi les arts d’agrément, car M. de Warens produisit à l’occasion de son divorce une liste de dettes payées pour sa femme au lendemain de son mariage et parmi les comptes figure celui d’une maîtresse de musique et de chant 2.
C’est pendant son séjour dans cette pension que Françoise-Louise se vit rechercher en mariage par noble Sébastien-Isaac de Loys, fils de Jean de Loys, seigneur de Villardin 3. Ce jeune homme était né à Lausanne le 28 juillet 1688. S’étant voué à la carrière militaire, il avait fait ses premières armes au service du Piémont de 1704 à 1705 comme enseigne au régiment suisse de Portes. De là il avait passé en 1706, avec le grade de lieutenant, dans un bataillon levé en Suisse pour le compte du roi de Suède, et avait guerroyé contre les Russes. Rentré dans sa ville /24/ natale en l’année 1708, il y exerçait depuis 1712 la charge de capitaine d’une compagnie d’élection au service de LL. EE. de Berne 1.
Dans un factum important rédigé par son avocat à l’occasion d’un procès que S.-I. de Loys soutint en 1721 contre son père, factum qui a été lu par M. Eug. Gaulis à la séance de la Société d’histoire de la Suisse romande, le 9 juin 1884, se trouvent quelques détails intéressants sur les premières démarches faites en vue de ce mariage et sur les difficultés qui en retardèrent la conclusion.
L’avocat, rédacteur de l’acte, rapporte, évidemment d’après les indications de son client, « qu’au commencement de 1713, M. de Villardin fit connoître à son fils, M. de Loys, qu’il souhaitoit le voir rechercher en mariage Mlle de la Tour » et il ajoute que « bien que M. de Loys ne songea pas beaucoup à changer d’état, il regarda ce conseil comme un ordre et fit connoissance avec la demoiselle qu’il n’avoit pas vue auparavant. S’étant épris d’elle d’une violente passion, il se montra résolu, de sorte que son père, M. de Villardin, se rendit à la Tour de Peilz pour la demander à M. Gamaliel de la Tour. »
Celui-ci après avoir consulté la jeune fille s’empressa de répondre affirmativement. On se demande pourquoi M. de la Tour a donné avec tant de hâte son consentement à un mariage aussi précoce, sa nièce n’ayant point encore atteint l’âge légal. Il faut considérer cependant qu’il souffrait déjà de la maladie qui devait l’emporter, maladie qu’il savait incurable. Dans ces circonstances, on comprend qu’en bon parent et en tuteur soucieux, il lui importait d’assurer à sa nièce, par un mariage convenable, l’appui dont elle /25/ aurait besoin, lorsqu’il viendrait à lui manquer. Or cette union avec M. de Loys lui semblait présenter toutes les garanties désirables, honorabilité du prétendant, hautes relations de famille, position de fortune acceptable.
Le 22 mars 1713, un projet de contrat fut rédigé, par lequel Françoise-Louise de la Tour devait apporter à son futur époux tous les biens qu’elle possédait à cette époque, soit une trentaine de mille livres 1.
En vue de rapprocher de la dot de la fiancée l’apport pécuniaire du fiancé, M. de Villardin s’engagea à faire à celui-ci une libéralité, qui éleva cet apport au chiffre de vingt mille livres, à la condition toutefois qu’il serait inscrit au contrat que son fils renonçait en sa faveur à toute prétention sur les biens maternels, auxquels il avait encore droit 2. C’était lui faire payer chèrement cette libéralité. M. de Loys essaya vainement quelques objections; la condition était péremptoire. Il préféra finalement y souscrire, de peur d’une rupture de ses négociations matrimoniales.
Mais une autre personne avait été frappée du manque d’équité qui avait présidé à cet arrangement entre le père et le fils.
Le second tuteur de Mlle de la Tour, M. d’Yvonand, s’était montré dès l’abord fort opposé à l’union que l’on avait en vue pour elle, à cause de sa trop grande jeunesse. Aussi n’avait-il point pris part à la rédaction du contrat. Ce projet, une fois rédigé, lui fut soumis. Il estima que la renonciation imposée était antilégale et aussi préjudiciable à l’épouse qu’à l’époux. Il renvoya le contrat sans avoir /26/ consenti à le signer. Gamaliel de la Tour, qui se regardait comme engagé par sa parole vis-à-vis de M. de Villardin et qui tenait particulièrement, pour les raisons que l’on sait, à hâter la conclusion du contrat, s’efforça d’amener à composition son cotuteur. A cet effet il engagea le père du fiancé à renoncer à la clause en litige, en même temps qu’il laissait entendre aux divers membres de la famille de la Tour que la célébration du mariage pourrait être retardée sur leur demande de plusieurs mois après le contrat. M. d’Yvonand avait assurément d’autres motifs de ne point vouloir de ce mariage, car il persista malgré tout dans son opposition.
Peut- être se méfiait-il des moyens diplomatiques auxquels M. de Villardin pouvait avoir recours ? Et il s’en fût méfié à juste titre, car tout en consentant ostensiblement à voir supprimer dans le contrat l’article qui obligeait son fils à lui abandonner ses biens maternels, M. de Villardin appelait M. de Loys dans son cabinet le jour fixé pour la signature de l’acte et le contraignait par des menaces à lui faire un billet contenant cette renonciation.
Ces négociations laborieuses aboutirent enfin. Malgré l’opposition résolue de M. d’Yvonand, Jean-Gamaliel de la Tour, encouragé par l’inclination de sa nièce pour M. de Loys, et fort de l’approbation d’une partie de la parenté, s’était décidé à aller de l’avant dans l’espoir que son cotuteur finirait par accepter le fait accompli. Le contrat fut signé à Lausanne le 18 avril 1713 1. Mais retenu au lit par la maladie, M. de la Tour ne put se trouver en personne à la signature de l’acte. Il se fit représenter par son fils Jean-Baptiste, qu’assistaient du côté de l’épouse /27/ quelques parents éloignés. L’époux était accompagné de son père, de ses frères et de plusieurs cousins. Ce contrat fut soumis le 29 avril à la ratification de Gamaliel de la Tour, ainsi qu’en fait foi un post-scriptum daté, signé du notaire qui avait passé l’acte 1. On présenta ensuite la pièce à M. d’Yvonand, qui refusa encore d’en reconnaître la validité, bien que l’on eût sur ces entrefaites, afin de lui donner plus de garanties que le mariage serait retardé, fait rentrer Mlle de la Tour dans la pension Crespin. Bien plus, il s’empressa d’intenter à M. de la Tour une action judiciaire en nullité de contrat. Dans une situation aussi tendue, il était évident que la justice de Vevey ne pouvait laisser ces messieurs côte à côte dans l’exercice de la tutelle. Elle les déchargea tous deux de leurs fonctions jusqu’à la fin de leur différend, et nomma provisoirement un tuteur neutre en la personne du fidèle ami de la famille de la Tour, du vénérable secrétaire Magny. Jean-Gamaliel de la Tour était toujours gravement malade. Le chagrin qu’il éprouva de ces démêlés empira son état de santé au point qu’il mourut peu de temps après.
Au nombre des papiers que produisit treize ans plus tard, lors de son procès en divorce, M. de Vuarens (c’est le nom qu’avait pris désormais M. de Loys 2 ), se trouvent plusieurs listes de dettes, payées autrefois par lui pour le compte de sa femme. Ces documents nous donnent des détails intéressants sur la vie de Mme de Warens avant et /28/ après son mariage. Une de ces listes nous laisse entrevoir que pendant les trois mois que dura la tutelle de M. Magny, ce dernier ne fut pas chargé de gérer les revenus de sa pupille; il n’eut pas même entre les mains l’argent nécessaire pour faire face à ses dépenses courantes. Ce fut par conséquent M. de Warens qui dut se charger, dans les premiers temps de son mariage, d’acquitter les comptes arriérés 1.
Une autre remarque qui accentue ce que nous connaissons déjà des rapports tendus entre belle-mère et belle-fille, c’est que pendant ces trois mois Mlle de la Tour vint passer régulièrement ses dimanches, non pas au Basset, mais à Vevey, dans la famille de M. Magny.
Les démarches conciliantes de ce nouveau tuteur et l’autorité morale que chacun lui reconnaissait amenèrent M. d’Yvonand à abandonner entièrement le procès entamé et à déclarer par convention du 14 août 1713, qu’il souscrivait au contrat du 18 avril, auquel il fut apporté sur sa demande de légères modifications.
Tout obstacle se trouvant ainsi levé, le mariage fut célébré à Lausanne le 22 septembre suivant 2. Mme de Warens venait d’entrer depuis peu de mois dans sa quinzième année. /29/
CHAPITRE II
Le mariage de Mme de Warens.
En dehors de quelques notes éparses que nous rencontrons dans les papiers de M. de Warens, nous n’avons point de renseignements sur la vie privée des deux époux pendant les premières années de leur mariage. Les manuaux des conseils et des cours de justice de Vevey et du Châtelard nous font connaître en revanche quelques circonstances de leur vie extérieure.
Ainsi qu’il s’y était engagé dans son contrat de mariage, M. de Warens donna aux parents de sa femme toutes les garanties exigées par la loi quant à la sécurité des biens qu’elle lui avait apportés.
Un inventaire de ces biens avait été dressé après le décès de M. de la Tour, on jugea inutile d’en faire un nouveau. M. de Warens se borna à remettre à la famille une décharge pour les biens qu’il avait reçus d’elle. Cette circonstance, insignifiante en apparence, mérite d’être signalée, car Mme de Warens prétendit dans une supplique, adressée en 1732 au sénat de Chambéry, que son mari n’avait jamais livré cette décharge 1. Le jeune couple s’établit à Vevey où la société fit bon accueil à M. de Warens, tant à cause de la position distinguée que la parenté de son épouse y occupait /30/ d’ancienne date qu’à cause de la considération dont sa propre famille jouissait dans le pays. Le cercle d’intimes qui se réunissait dans leur salon n’était pas composé exclusivement de l’ancienne bourgeoisie de la ville, on y comptait aussi des familles réfugiées, venues à Vevey à la révocation de l’édit de Nantes, entre autres les de Rochegude, les d’Herwart, les Silvestre, les de Quervain, les Danjau de la Bélie. Dans les premiers temps de leur mariage, on les voit présenter au baptême, en qualité de parrain et de marraine, un enfant de cette dernière famille 1. Leurs noms se retrouvent plusieurs fois par la suite dans les registres baptistaires comme parrain et marraine d’enfants de réfugiés.
M. Chavannes a déjà remarqué dans son Histoire des réfugiés français dans le Pays de Vaud 2, que Mme de Warens portait alors à ces familles françaises, victimes de leur attachement aux doctrines protestantes, un intérêt sincère; « ce qui ne l’a pas empêchée, ajoute-t-il, d’entrer elle-même plus tard dans l’église persécutrice et de renier ainsi d’une manière éclatante les sympathies religieuses que son cœur avait partagées avec grand nombre de ses compatriotes. »
Chaque année dans le cours de l’automne les deux époux allaient passer quelques semaines à Chailly, au centre du domaine de vignoble que Mme de Warens avait apporté en dot à son mari. Ils s’y étaient aménagés un petit appartement dans la maison même où se trouvait logé leur /31/ vigneron 1. Là ils présidaient aux vendanges. Les premiers froids les ramenaient à Vevey. Plus tard, lorsque M. de Villardin eut mis son fils en possession définitive de la seigneurie de Vuarens, celui-ci s’y rendit chaque été pendant les moissons afin d’y percevoir la dîme et les autres redevances féodales. Pour l’ordinaire, Mme de Warens n’était pas du voyage.
Le rapprochement est frappant entre les faits que nous venons d’indiquer et le récit de la Nouvelle Héloïse. La baronnie d’Etange, « composée de champs, de prés, de bois 2 », répond évidemment à la seigneurie de Vuarens, quoiqu’il y ait loin de la modeste réalité à la brillante description que fait Rousseau. De même le domaine de Clarens, « dont le produit consiste exclusivement en vignes 3 » est, proportions gardées, le petit domaine de Chailly, réuni pendant la jeunesse de Mme de Warens avec celui du Basset, situé tout auprès. A Vuarens comme à Etange, le mari allait fréquemment seul; à Chailly comme à Clarens les époux étaient toujours réunis.
Le principal produit du domaine de Chailly était, nous venons de le voir, celui de ses vignes. Cette source de revenu eût été certainement plus lucrative pour M. de Warens s’il eût possédé la bourgeoisie de la ville la plus voisine, c’est-à-dire celle de Vevey. Car il eût trouvé dans ce cas avantage à vendre sa récolte, non plus sur place comme il le faisait généralement, mais dans cette ville où /32/ les vins se vendaient à cette époque fort au-dessus des prix courants de la campagne. En effet, les bourgeois d’une cité jouissaient seuls alors de la faculté, ou comme on le disait « de la franchise », d’introduire dans son enceinte le vin de leur cru sans payer une taxe d’octroi (l’omguelt), et de faire ensuite détailler ce vin dans des établissements publics 1. Double privilège qui leur assurait, malgré les transports, un notable bénéfice et qui les protégeait contre la concurrence des vendeurs non bourgeois. M. de Warens, domicilié passagèrement à Vevey, n’avait aucune raison de prétendre dans cette ville à la franchise d’octroi. Il aurait pu en revanche user de pareil droit à Lausanne, dont il avait la bourgeoisie, mais Lausanne était trop distant de Chailly pour qu’il trouvât intérêt à le faire; les frais d’expédition eussent certainement absorbé, si ce n’est dépassé tous les gains à attendre. De son côté Mme de Warens, dans le fait la véritable propriétaire du vin qu’il s’agissait de vendre, avait perdu par suite de son mariage avec un étranger à la ville, tous les droits qu’elle possédait auparavant comme bourgeoise de Vevey. Il est piquant de constater ici que cette dame, qui ne tira aucun profit de la confirmation de bourgeoisie accordée autrefois à son père, se vit contrainte de remplir dans la suite une partie des engagements pécuniaires que la famille de la Tour avait pris à propos de cette confirmation.
A l’époque où le Conseil de Vevey 2 reconnut leur qualité /33/ d’anciens bourgeois de cette ville, MM. de la Tour, père et oncles de Mme de Warens, avaient promis de donner en témoignage de leur gratitude, une contribution de quinze pistoles pour la reconstruction de la maison de ville. Cette somme devait être versée en plusieurs acomptes, au fur et à mesure de l’avancement des travaux. On n’en exigea que deux cents florins pendant la vie de M. Jean-Baptiste de la Tour, qui, à la suite d’un arrangement avec ses frères, s’était seul chargé du paiement de la dette 1.
Le nouveau bâtiment de la maison de ville était depuis longtemps achevé que le solde de cette contribution restait dû, vraisemblablement par suite d’un oubli du secrétaire du Conseil 2. Ce ne fut que dans le cours de l’année 1715, qu’un conseiller revisant les comptes de cette bâtisse, s’aperçut que ce solde n’était point encore acquitté et en fit rapport à ses collègues 3. Ceux-ci déléguérent aussitôt un des leurs auprès de la veuve de M. Jean-Baptiste de la Tour, laquelle se déclara en principe disposée à payer la somme due, avec un don, fait à l’hôpital en souvenir de son mari 4. Cependant comme elle n’était qu’usufruitière d’une partie de la fortune de ce dernier, elle se réservait de s’entendre préalablement avec les héritiers naturels.
Mis au courant par elle de la réclamation du Conseil, /34/ M. et Mme de Warens firent à cette dernière un fort mauvais accueil 1.
Ils répondirent au délégué qu’ils avaient effectivement le souvenir d’une somme de deux cents florins 2, donnée jadis dans le but indiqué par MM. de la Tour, mais qu’ils n’avaient jamais ouï parler d’un engagement ultérieur; que si cet engagement existait il devait être nécessairement consigné dans un écrit, que le Conseil était tenu de leur produire; qu’ils étaient du reste fort surpris de ce qu’on s’adressât plutôt dans cette circonstance à une branche de la famille de la Tour, qui devait être considérée comme éteinte, puisqu’elle n’était plus représentée que par une femme, privée depuis son mariage des privilèges de la ville, tandis qu’il existait une autre branche de cette même famille, dont les droits de bourgeoisie étaient encore assurés pour longtemps, vu qu’elle comptait à l’époque présente plusieurs membres masculins.
La promesse de MM. de la Tour avait été faite spontanément et sans un écrit spécial. Il n’en existait pas d’autre preuve que son inscription dans les registres municipaux. Le Conseil manquait donc de moyens légaux pour contraindre les héritiers à reconnaître la légitimité de la dette. Il lui répugnait, du reste, d’encourir les chances d’un procès. Néanmoins, fort de son droit, il persista dans ses démarches auprès de M. de Warens, se réservant dans le cas où il ne pourrait rien tirer de lui, d’appeler aussi en garantie l’hoirie de Jean-Gamaliel de la Tour, celui-ci ayant été en quelque sorte caution solidaire de l’engagement contracté, puisque c’était de l’aveu et au nom de ses /35/ autres frères que M. Jean-Baptiste de la Tour avait promis la somme en litige 1. M. de Warens fit longue résistance à la demande du Conseil. Plus tard, sur l’avis, paraît-il, de sa femme, qui crut pouvoir tirer de là quelque avantage personnel, il se ravisa et déclara que, sans être convaincu de l’engagement de M. de la Tour, il voulait transiger et mettre fin à la présente difficulté, en payant ce qu’on exigeait de lui, à la condition toutefois que le Conseil, tenant compte de ce que son beau-père avait peu profité de son agrégation à la bourgeoisie, accorderait à Mme de Warens la faveur de participer aux droits des bourgeois pour ce qui concernait l’entrée et la vente en ville du vin de son propre vignoble. Mme de Warens, impatiente, ne sut pas attendre la réponse du Conseil. Pensant sans doute que son mari, lié d’intimité avec plusieurs membres de ce corps, était assuré d’avance d’une décision favorable; espérant aussi peut-être influencer cette décision par le fait accompli, elle se permit de prévenir l’autorisation demandée en faisant ouvrir une pinte pour le débit de son vin. Fit-elle la chose avec ou sans le consentement de son mari, c’est ce qu’on ignore ! Toujours est-il que le Conseil n’était pas encore nanti de la requête de M. de Warens, qu’il apprenait cette violation des règlements de la ville par un rapport du commandeur 2.
Son devoir était de réprimer instantanément et avec sévérité une infraction de ce genre. Il le fit par un blâme officiel, qu’il chargea ceux de ses membres, qui étaient en rapport avec M. de Warens, de transmettre verbalement à ce dernier, l’avertissant une fois pour toutes « que s’il /36/ continue à vendre son vin et à demeurer dans le silence sans faire aucune démarche de déférence, comme il le doit, on prendra des nouvelles mesures contre luy qui ne luy seront pas agréables 1. » Sur ces entrefaites cependant les démarches de déférence, que l’autorité municipale exigeait, avaient été effectuées par l’envoi de la lettre de M. de Warens dont il a été question plus haut. Mais le Conseil, qui avait semblé tout d’abord réclamer ces démarches afin d’y accéder, blessé probablement par la lenteur que Mme de Warens mettait à obtempérer à ses ordres, refusa la faveur qui y était sollicitée et fit savoir aux deux époux qu’il ne pouvait tenir compte de leur demande, surtout à cause du précédent qu’elle ne manquerait pas de créer en ville 2. Contraint de s’incliner devant une décision exprimée en des termes si formels, M. de Warens l’accepta de bonne grâce. Sa femme en revanche ne comprit pas qu’elle avait fait fausse route et qu’elle devait s’en prendre à elle-même de cette détermination du Conseil. Vivement humiliée et froissée dans son amour-propre par le refus qu’elle avait subi, elle vit dans ce refus une grave atteinte à la considération dont son mari et elle-même jouissaient à Vevey. Dès lors, dégoûtée de cette ville, elle ne fit plus opposition au désir que M. de Warens manifestait depuis longtemps de retourner à Lausanne. Mais elle voulut qu’il acquît préalablement la bourgeoisie de Vevey, seul moyen, d’après elle, de reconquérir les égards et l’influence qu’elle croyait leur être échappés. Pressé comme il l’était par sa femme et reconnaissant lui-même que cette bourgeoisie ne serait pas /37/ pour lui sans utilité, M. de Warens présenta dans ce sens une pétition au Conseil. Sa demande fut aussitôt accordée et il fut admis à prêter serment le 7 mai 1716 1.
La formule qui lui fut imposée renfermait entre autres la clause suivante : « Qu’il ne pourroit jouir des privilèges de la ville sans demeurer dans icelle. » Cette clause lui échappa tout d’abord. Ce ne fut qu’après sa réception, lorsqu’il avait déjà quitté la salle des séances, qu’il lui vint tout à coup à l’esprit qu’elle aurait inévitablement pour résultat de rendre ses droits de bourgeoisie illusoires et inutiles, s’il s’établissait à Lausanne, comme il en avait l’intention. Il se hâta donc de rentrer pour demander explication sur ce point : « S’il ne luy seroit pas loisible qu’en tenant quelques domestiques à l’ordinaire dans sa maison, demeurant partie du tems à Vevey, à Lausanne et autre part, il ne pourroit pas également jouir des privilèges de ditte ville ? Le Conseil lui répondit qu’il ne trouvait pas lieu d’introduire une modification dans les termes de son serment 2. M. de Warens ne se tint pas pour battu, car déjà le 11 mai, il revint à la charge en faisant remettre à l’autorité municipale, par l’entremise d’un de ses membres, une pétition contenant la même requête. Mais cette autorité ne voulut point en prendre connaissance et fit savoir au pétitionnaire que s’il avait des réclamations à lui présenter, il devait le faire en personne 3. /38/
M. de Warens comparut, en effet, devant le Conseil à la séance suivante. Il lui exposa qu’en se faisant agréger à la bourgeoisie de Vevey, il n’avait nullement entendu porter préjudice aux droits de même nature dont il jouissait dans d’autres villes, surtout à Lausanne, où sa qualité d’ancien bourgeois lui permettait de parvenir à des emplois auxquels il ne pouvait aspirer à Vevey; que la clause du serment dont il sollicitait la suppression lui faisait le plus grand tort, puisqu’en exigeant sa présence continuelle dans ce lieu pour y faire valoir ses droits, elle l’empêchait entièrement de faire usage de ceux qu’il possédait ailleurs; qu’il savait, du reste, qu’il n’était pas le premier qui s’était trouvé en pareil cas, et pour lequel on aurait fait exception à la règle; que si l’on persistait à restreindre ainsi sa liberté, il préférait renoncer à cette agrégation, étant encore en pouvoir de le faire puisqu’il n’avait pas payé jusqu’ici la finance de réception 1.
Le Conseil fit des difficultés pour reconnaître le bien-fondé de ces arguments. Huit mois environ s’écoulèrent dans des pourparlers sans résultat. On finit cependant par s’entendre. Il fut convenu que la lettre de M. de Warens serait d’une même teneur que celles qu’on avait, d’après les anciens manuaux, accordées par exception à d’autres candidats qui avaient plusieurs bourgeoisies. Arrangement qui lui donnait ainsi d’une manière détournée pleine et entière satisfaction. Néanmoins, pris de méfiance, il ne voulut s’acquitter de ce qu’il devait pour son agrégation que lorsqu’il aurait reçu le document qui en /39/ faisait foi, rédigé en bonne forme. A cet effet il demanda pour ce payement un sursis de deux mois, « pendant lesquels il prioit qu’on luy dressât sa lettre de bourgeoisie d’une manière qui pût luy être satisfaisante. » Ce qu’on lui accorda 1.
Cependant sur ces entrefaites une autre condition qui devait être insérée dans la lettre en question excita le déplaisir de M. de Warens. Pour combattre la tendance qu’avaient à cette époque certaines familles à fonder en dehors de l’hôpital, soit de la bourse des pauvres de la ville, des institutions privées de bienfaisance qui causaient à cette bourse un préjudice notable, en accaparant à leur profit nombre de dons et de legs, le Conseil venait de prendre la mesure extrême de défendre aux nouveaux bourgeois de s’affilier à ces institutions. Le hasard voulut que M. de Warens fût le premier qui fut atteint par cette mesure. Mais il protesta énergiquement contre celle-ci, non point qu’il eût l’intention, disait-il, de refuser en quoi que ce soit un secours à l’hôpital, mais parce qu’il ne lui convenait pas que sa lettre de bourgeoisie fût la première qui contînt semblable restriction. Il profita du retard que le secrétaire municipal mettait dans l’expédition de cette lettre pour demander avec insistance le retranchement du paragraphe. Cette fois encore le Conseil dut faire retraite devant sa ténacité 2. Tout étant finalement réglé et enregistré suivant ses désirs, M. de Warens livra les quatre cents livres fixées pour le prix de son agrégation, le 9 septembre 1717 3. /40/ Quant aux prétentions pécuniaires qu’on élevait relativement à la bourgeoisie de son beau-père, il crut, paraît-il, les avoir éteintes par sa propre réception, car il recommença à en contester la validité lorsque après un délai de quelques mois le Conseil le poursuivit à ce sujet jusqu’à Lausanne 1. En même temps l’autorité veveysanne prit à partie, en qualité de caution, la veuve de M. Jean-Baptiste de la Tour, le cousin de Mme de Warens. Mais quoique ses démarches auprès de Mme de la Tour n’eussent de prime abord aucun succès, elle n’osa finalement exécuter vis-à-vis de cette dame la menace de priver ses enfants de la franchise d’octroi 2. Ce ne fut que le 20 avril 1722 que M. de Warens se décida à terminer la contestation en payant quatre-vingt-huit livres et quinze sols, formant le reliquat des quinze pistoles promises par MM. de la Tour. Il ajouta volontairement à cette somme le don d’un louis d’or 3.
L’inclination de M. de Warens le portait, nous l’avons dit, depuis longtemps à retourner s’établir à Lausanne, où l’attiraient ses relations de famille, les sympathies de sa jeunesse et l’attrait d’une plus grande ville. L’influence toute-puissante que sa femme exerçait sur son esprit avait seule pu le retenir jusqu’à cette époque à Vevey. Maintenant que Mme de Warens consentait au départ, il s’empressa de donner suite à ce projet aussitôt qu’il eut mis ordre à ses affaires de bourgeoisie. /41/
Au commencement de 1718, les deux époux s’installèrent dans leur nouvelle résidence. Grâce à l’influence de sa famille et de ses amis, grâce surtout aux rapports constants qu’en dépit de l’éloignement il avait toujours entretenus avec ses combourgeois, M. de Warens était assuré dans sa ville natale d’une réception bienveillante. L’accueil qui lui fut fait dépassa en cordialité tout ce qu’il attendait. Bientôt après son arrivée, le 7 mai 1718, la noble abbaye des fusiliers lui conféra le grade de capitaine de cette Société. Le 30 septembre de la même année, il fut élu par la bannière de Saint-Laurent aux Soixante d’appellations de la ville, place qu’il occupa trois ans plus tard avec une autre, vacante aux Soixante de police 1. Mais des discussions d’intérêt avec M. de Villardin assombrirent son séjour à Lausanne.
Depuis les premiers temps de son mariage, M. de Warens réclamait vainement de son père la seigneurie dont il portait le nom et que celui-ci lui avait promise à compte de la dot de vingt mille livres, qu’il s’était engagé à lui faire lors de la signature de son contrat. M. de Villardin avait à cette occasion transféré ostensiblement cette seigneurie à son fils dans les registres cadastraux, mais ne la lui avait en réalité pas remise. Jusqu’à ce jour il en avait gardé lui-même la propriété effective; il en percevait les revenus et ne donnait, en leur lieu et place, au légitime propriétaire, que la rente annuelle du capital que le fonds représentait. M. de Warens apparaissait ainsi aux yeux du public comme seigneur d’une terre dont il n’avait point la jouissance. De plus M. de Villardin faisait usage de la contre-lettre qu’il /42/ avait forcé son fils de signer le jour de la rédaction du contrat et détenait certains biens qui eussent dû revenir à ce dernier du fait de l’héritage de sa mère. Tant que M. de Warens avait habité Vevey il n’avait que faiblement protesté contre cet état de choses. Il s’était borné à adresser à son père quelques représentations, faites avec déférence et qui n’eurent aucun résultat. A Lausanne, où la vie devint plus difficile, plus coûteuse pour les jeunes époux, ils avaient besoin d’un surcroît de ressources. M. de Warens songea à se les procurer en insistant avec énergie pour être mis en possession de ce qui lui était encore dû. Il paraîtrait d’après la lettre qu’il écrivit à son beau-frère, M. de Middes, le 22 septembre 1732, au sujet de la fuite de sa femme, et dans laquelle il touche à diverses circonstances de son passé, que Mme de Warens avait été la principale instigatrice de cette revendication. M. de Villardin s’obstinant à ne pas vouloir faire droit à cette demande, son fils se vit forcé d’entamer contre lui un procès dont il nous reste, entre autres pièces, le factum intéressant du 2 juin 1721, rédigé par l’avocat de M. de Warens, factum auquel nous avons emprunté les plus curieux détails sur les négociations du mariage de celui-ci avec Mlle de la Tour. Un jugement qui adjugeait au fils la possession effective de la terre de Warens et qui annulait aussi la contre-lettre, que, contraint, il avait faite à son père, intervint encore en 1718. Mais M. de Villardin interjeta appel de cette sentence et ce ne fut qu’après de longs débats que la famille de Loys, désireuse de terminer une dissension qui lui était désagréable, put le convaincre d’accepter l’arbitrage amiable de M. de Middes, lequel réussit à obtenir de part et /43/ d’autre des concessions suffisantes pour arriver à un accord, le 2 août 1723 1. M. de Warens fut alors investi définitivement de la seigneurie de ce nom. L’intimité des rapports entre le père et le fils ne fut pas sans recevoir une grave atteinte de cette querelle de famille. Dégoûté qu’il était de sa ville natale par la situation pénible que cette querelle lui avait créée, M. de Warens prit le parti de transporter de nouveau sa demeure à Vevey au milieu de 1724. Mme de Warens, de son côté, l’y poussait vivement, ne se plaisant guère à Lausanne, peut-être parce qu’elle n’avait pas réussi à y prendre le rôle qu’elle s’était proposée d’y jouer.
La considération dont était entourée la famille de Loys, jointe au mérite personnel de M. de Warens, favorisèrent puissamment à son retour sa nomination, par LL. EE. de Berne, à une place d’assesseur justement vacante, auprès du Tribunal baillival de Vevey 2. Tout le désignait pour occuper dans cette ville des fonctions municipales élevées. Lui-même avait pris à Lausanne le goût des affaires publiques. Le fait qu’il n’était pas bourgeois par droit d’hérédité, mais seulement en vertu d’une récente acquisition personnelle, qu’il n’était, en un mot, qu’un nouveau bourgeois 3, s’opposait toutefois à son entrée aux conseils. Dans ces circonstances, on le comprendra, ce fut avec empressement qu’il accueillit l’heureuse nouvelle que lui transmit son parent M. de Bochat, lieutenant baillival à Lausanne 4. Celui-ci lui fit savoir qu’il venait de trouver /44/ la preuve, dans d’anciens manuaux veveysans, qu’Artauld Loys, leur ancêtre direct, avait contribué en qualité de bourgeois de Vevey à des impositions de cette ville. Une seule inscription attestait la bourgeoisie d’Artauld, mais elle n’en était pas moins incontestable et devait sans doute pleinement suffire pour justifier, de la part de ses descendants, la demande d’une confirmation de leur ancienne bourgeoisie. Accompagné de M. de Bochat, M. de Warens se présenta devant le Conseil, le 7 décembre 1724, afin de solliciter pour lui et pour ses frères Georges-Louis et Paul de Loys, la reconnaissance en question 1. Dans sa réponse, qui témoigne de la haute déférence et des égards particuliers qu’il avait pour les requérants, comme aussi pour leur famille, le Conseil se déclara prêt à satisfaire à leur prétention, aussitôt qu’ils lui en auraient démontré le bien-fondé. M. de Warens fut admis à prouver, acte en main, la bourgeoisie d’Artauld Loys et les liens de parenté directe qui l’unissaient lui-même à Artauld. Pour l’examen des documents qu’il fournit et des anciens registres de la ville, le Conseil choisit dans son sein une commission de six membres, qui se mit à l’œuvre le jour même. Cette commission donnait déjà le lendemain un préavis favorable que l’on décida encore de contrôler par de nouvelles recherches 2. Mais le Conseil était évidemment disposé à passer outre sur leur résultat, puisque dans sa séance du 18 décembre 1724, il répondait déjà à la requête de M. de Warens en l’agrégeant, lui et ses frères, à l’ancienne bourgeoisie de la ville « sans s’arrêter à diverses exceptions qu’il auroit pu apporter sur les raisons du dit /45/ noble requérant, comme l’insuffisance de la nature de son titre et la prescription de son droit par le long espace de tems qui s’est écoulé dès la cotisation du dit Artauld Loys sans que dès lors ses descendants ayent en rien suffragé personnellement ni réellement. » Il donna du reste à entendre que cette bourgeoisie devait plutôt être considérée comme un témoignage d’estime, comme une faveur qu’il accordait « au mérite personnel du dit noble requérant » et aux « bénéficences tant de lui que de noble et vertueuse Françoise-Louise De la Tour, son épouse, ancienne bourgeoise de Vevey, envers les pauvres de cette ville 1. »
Et pour manifester encore plus hautement le cas qu’il faisait de M. de Warens, le Conseil l’appela déjà deux jours après, le 20 décembre, d’accord avec celui des Trente, au Conseil des Soixante de la ville, sans qu’il eût passé par la filière habituelle, par le Conseil des Cent vingt 2. C’était une distinction dont on ne connaît dans l’histoire de Vevey qu’un nombre de cas très limité. Trois mois seulement après sa réception, le 25 mars 1729, il fut nommé membre du Conseil des Douze, autorité dirigeante de la cité. On le chargea aussitôt dans ce corps des fonctions de vice-commandeur 3.
La seconde raison que le Conseil avait invoquée pour justifier l’exception qu’il venait de faire à l’égard de M. de Warens, c’est la bienfaisance que lui-même et sa femme déployaient envers l’hôpital 4. Le commencement du dix-huitième siècle est certainement une des époques où l’administration /46/ municipale de Vevey, qui, en sa qualité de commission directrice de cette institution charitable, s’arrogeait seule la distribution des secours faits aux pauvres, eut le plus grand besoin et obtint aussi le plus ferme appui de la fortune privée. Les nécessités des familles, réfugiées pour cause de religion, stimulaient toujours à nouveau le zèle généreux des habitants. Accoutumé à ces efforts, à ces largesses, le Conseil ne leur prodiguait guère ses éloges, comme on le voit par les manuaux.
La mention qu’il en fait ici n’en est donc que plus honorable. — La bienfaisance est très certainement la vertu dominante de Mme de Warens; nous l’avons constatée dans sa jeunesse, nous la retrouverons en Savoie.
L’estime toute particulière que le Conseil professait dans cet acte pour Mme de Warens, estime qui se manifeste encore dans d’autres pièces officielles, peu de mois avant son départ pour la Savoie, a lieu de surprendre lorsqu’on la rapproche des récits que Rousseau nous a laissés sur la conduite de cette dame dans le pays de Vaud. Elle nous prouve en tout cas que les liaisons que cet écrivain lui reproche n’étaient point connues de l’autorité veveysanne. Si cette dernière eût su ou seulement soupçonné la moindre chose de ces liaisons, elle se fût certainement abstenue de protestations honorables. Car elle devait être à cette époque d’autant plus difficile au sujet de la pureté des mœurs qu’à ses côtés le Consistoire régnait en maître, exerçant une inquisition impitoyable sur la vie privée de chaque citoyen. Ce que nous savons de la rigueur avec laquelle ce dernier corps exécutait son mandat, même vis-à-vis des familles les plus influentes, donne sérieuse raison d’admettre que s’il eût été instruit des écarts dont parle /47/ l’auteur des Confessions, il n’eût pas manqué d’appeler Mme de Warens à sa barre. Et il eût été impossible, à notre avis, qu’il n’en fût pas instruit, si ces écarts avaient transpiré dans le public, étant donné l’esprit de délation qui existait dans ce temps-là.
M. de Warens semble aussi avoir ignoré les infidélités que les Confessions attribuent à sa femme. Les documents qu’il présenta en 1727 au Consistoire suprême en vue d’obtenir son divorce, comme aussi sa lettre du 22 septembre 1732 à son beau-frère, M. de Middes, si explicite pourtant au sujet des événements qui ont amené ce divorce 1, ne font aucune allusion à ce sujet. A la rigueur, on peut admettre que M. de Warens, peu soucieux de répandre la nouvelle de son déshonneur, n’ait point voulu ébruiter celui-ci en s’en faisant un grief pour se séparer de sa femme, lorsqu’il avait d’autres raisons moins compromettantes à faire valoir auprès de LL. EE. Il ne semble pas naturel, en revanche, qu’il ait de parti pris caché la chose à sa parenté la plus proche et qu’il n’en ait point touché un mot à son beau-frère, avec lequel il était très lié. Et cependant il affirme dans sa lettre, destinée uniquement à sa famille, « qu’aucun nuage n’avait jusqu’au jour de la fuite de Mme de Warens, troublé l’union des deux époux, » assertion qui est en manifeste contradiction avec le témoignage de J.-J. Rousseau, lorsque celui-ci nous assure que « son mariage n’avait pas trop réussi 2. » Les seuls reproches, déjà bien assez graves, que M. de Warens fait à sa femme, ce sont son goût pour les entreprises industrielles et sa générosité par trop prodigue, /48/ causes incontestables de sa ruine; sa prodigieuse vanité, qui la portait à l’exagération et au mensonge; sa haute opinion d’elle-même et son indépendance, qui l’empêchaient d’écouter les conseils de gens plus sages; son penchant pour les doctrines piétistes, qu’il n’avait jamais combattu par respect pour la liberté de conscience, mais qu’il réprouvait absolument; la facilité avec laquelle Mme de Warens faisait accueil aux nouvelles connaissances, qui la circonvenaient par la flatterie; enfin cette absence de délicatesse, qui découlait d’autres défauts, et que l’on peut jusqu’à un certain point excuser par ses circonstances malheureuses. Nous verrons que dans une situation analogue M. de Warens ne céda en rien sur ce point à sa femme 1.
Du reste, la connaissance qu’il avait des défauts de cette dernière, ne lui fit pas fermer les yeux sur ses réelles qualités. Il appréciait chez elle un caractère enjoué, la vivacité de son esprit, le charme de sa conversation, la puissance de sa volonté à laquelle il était soumis. S’il n’a pu contenir cette volonté dans les limites raisonnables, c’est lui seul qui en est la cause et qui doit en être blâmé. Sa faiblesse laissa prendre dès les premiers temps de son mariage trop d’empire à sa jeune compagne 2. Ame altière et mal équilibrée, Mme de Warens abusa de ses avantages de /49/ manière à amener, par sa légèreté et son impéritie, des malheurs qu’une plus grande énergie de la part de son mari aurait pu conjurer. A cela près, les conjoints étaient bien assortis; leurs caractères, différents, se complétaient l’un l’autre. Mme de Warens a, sans doute, gardé de celui de son époux le souvenir le plus heureux. C’est toujours, on a lieu de le croire, d’après les récits qu’elle lui fit elle-même, que Jean-Jacques attribue à M. de Wolmar les facultés morales que les documents contemporains font pressentir chez M. de Warens. Tous deux ils ont de l’expérience et de la sagesse, de l’ordre et de l’économie, des manières plus honnêtes qu’empressées, un jugement juste et impartial, une grande déférence pour les volontés de leurs femmes 1. Mais cette déférence, chez M. de Warens, est poussée jusqu’à la faiblesse; chez M. de Wolmar, idéalisée, elle ne va pas au delà d’une condescendance permise.
Si M. de Warens n’a jamais soupçonné les relations adultères de sa femme, si le public ne les a point connues, est-ce une raison pour les mettre en doute ? Rousseau a prévenu toute objection de ce genre dans les lignes qu’il leur consacre. « M. de Tavel 2, dit-il, son premier amant, fut son maître de philosophie et les principes qu’il lui donna furent ceux dont il avait besoin pour la séduire. La trouvant /50/ attachée à son mari, à ses devoirs, toujours froide, raisonnante, inattaquable par les sens, il l’attaqua par des sophismes et parvint à lui montrer ses devoirs, auxquels elle était si attachée, comme un bavardage de catéchisme fait uniquement pour amuser les enfants; l’union des sexes, comme l’acte le plus indifférent en soi; la fidélité conjugale, comme une apparence obligatoire dont toute la moralité regardait l’opinion; le repos des maris comme la seule règle du devoir des femmes, ensorte que des infidélités ignorées, nulles pour celui qu’elles offensaient, l’étaient aussi pour la conscience : enfin il lui persuada que la chose en elle-même n’était rien, qu’elle ne prenait d’existence que par le scandale, et que toute femme qui paraissait sage, par cela seul l’était en effet. C’est ainsi que le malheureux parvint à son but, en corrompant la raison d’une enfant dont il n’avait pu corrompre le cœur. Il en fut puni par la plus dévorante jalousie, persuadé qu’elle le traitait lui-même comme il lui avait appris à traiter son mari. Je ne sais s’il se trompait sur ce point ? Le ministre Perret 1 passa pour son successeur. »
Comme on le voit, le secret avait été bien gardé à Vevey. Infidélités ignorées de ses contemporains, les relations intimes de Mme de Warens avec MM. de Tavel et Perret resteront à jamais mystérieuses. Car leur existence est basée sur le seul témoignage de Rousseau. Les Confessions ont paru après la mort des intéressés 2, Jean-Jacques /51/ avait par conséquent beau jeu pour attaquer leur mémoire par des imputations qu’eux seuls auraient été peut-être en état de réfuter victorieusement. En agissant ainsi à l’égard de sa bienfaitrice il lui a fait, à tort ou à raison, un mal irréparable. La situation de Mme de Warens s’y prêtait, cette femme ne laissant après elle aucun parent pour la défendre. Vérités ou calomnies, les assertions de Rousseau n’ont donné lieu à aucune version contradictoire. La renommée de l’écrivain leur assura dès l’abord un retentissement universel. Ce n’est point aujourd’hui, cent cinquante ans après les événements qu’il raconte, qu’on ose songer à les contredire. Encore des documents écrits, les seuls qu’on pourrait découvrir, suffiraient à la rigueur pour confirmer l’accusation, non pas pour la mettre à néant 1.
S’il est impossible de contester irréfutablement aujourd’hui les liaisons adultères de Mme de Warens, dans le pays de Vaud, il existe cependant à leur sujet quelques motifs de doute. Pourquoi Mme de Warens, qui connaissait évidemment le peu de confiance qu’elle pouvait avoir dans la discrétion de son protégé, puisqu’elle lui a caché ou dénaturé toutes les circonstances un peu importantes de son passé 2, aurait-elle de gaieté de cœur et sans nullement y être contrainte, rapporté, dans tous ses détails, ce qu’il y avait de plus grave dans sa vie, ses infidélités à son mari avec le nom de ses amants ? Car c’est elle-même, /52/ assure-t-il, qui l’en avait instruit. Comment sa vanité, d’ordinaire si prudente, a-t-elle consenti à lui laisser entrevoir qu’elle avait été trompée, abusée par des sophismes, qui faisaient peu d’honneur à son intelligence ? Et ce passage relatif à la jalousie de M. de Tavel est-ce bien d’elle que Rousseau le tient ? Dans ce cas elle lui aurait aussi certainement donné réponse à cette demande : « Je ne sais s’il se trompait sur ce point ? » A cela on peut ajouter qu’obligé par son service d’habiter la partie allemande du canton de Berne, M. de Tavel ne venait que rarement à Vevey. Ce ne fut qu’en 1734, donc huit ans après la fuite de Mme de Warens, qu’il y établit sa demeure d’une manière continue, ayant été nommé à cette date, par LL. EE., bailli de cette ville.
Pour ce qui concerne la liaison de Mme de Warens avec M. Perret, Rousseau est moins affirmatif que pour celle de M. de Tavel. Il dit simplement à son sujet « le ministre Perret passa pour son successeur. » Pourquoi Jean-Jacques exprime-t-il un doute s’il connaissait cette liaison de la bouche de Mme de Warens ? — Dans cette circonstance, quoi qu’il en dise, il paraît évident qu’il se fait l’écho non plus de cette dame elle-même, mais d’un potin entendu je ne sais où. C’est ce qui donne lieu de penser, avec M. Bayle-Saint-John, que l’anecdote du ministre Perret pourrait bien n’être qu’une calomnie 1.
De vingt-cinq ans environ plus âgé que Mme de Warens, M. Perret était déjà pasteur à Vevey lorsqu’elle n’était encore qu’une enfant. Uni jadis à ses parents par des liens d’ancienne affection, il conserva toujours avec elle et avec son mari les relations les plus cordiales. Grande était la popularité dont il jouissait dans la contrée, grande aussi /53/ la considération qu’il s’était acquise auprès de ses ouailles. Marié 1 et père de plusieurs enfants, il possédait l’entière confiance des principales familles de Vevey, qui le choisirent fréquemment pour leur conseiller et pour leur guide. Il garda dans cette haute société un prestige absolu jusqu’à sa mort, ce qui aurait été, ce nous semble, impossible, si le moindre soupçon avait couru sur son compte 2. Vice-président du Consistoire de Vevey il déploya dans ce tribunal, sans distinction de rang et de caste, une rigueur telle qu’il eût couru gros risque en pareil cas. Dans le cours de sa longue carrière il ne lui arriva qu’une fois d’être en butte à de malignes insinuations. C’était en 1734. Un justicier, nommé Michel, condamné par le Consistoire pour une liaison illicite, essaya de se venger de M. Perret, qui l’avait dénoncé, en répandant le bruit que, lors de l’enquête, ce pasteur avait gardé sa maîtresse pendant plusieurs heures dans son cabinet, non pas pour l’interroger, mais pour forniquer avec elle. Le Consistoire, averti de ce méchant propos, prit fait et cause pour le pasteur Perret, en déclarant que ce digne ecclésiastique était à ses yeux au-dessus d’une suspicion de ce genre. Sans attendre qu’une plainte fût portée, il cita Michel /54/ devant sa barre et le convainquit de faux témoignage. Il lui aurait sans doute infligé un sévère châtiment sans l’intercession de M. Perret lui-même, qui voulut bien se contenter d’une simple rétractation publique 1.
On comprend plus aisément qu’au contact de la société relâchée qu’elle fréquentait en Savoie, Mme de Warens se considérant comme libre, « morte », à l’égard de son mari, sinon par le divorce, qu’elle ne reconnaissait plus depuis qu’elle était catholique, du moins par une séparation volontaire et éternelle 2, se soit donnée à Claude Anet, son serviteur, il est vrai, mais cependant la personne qui lui était alors la plus proche, par son affection, son appui et ses conseils. Croyant que rien n’attachait tant à un homme que la possession, elle employa ce moyen pour se l’attacher plus fortement 3. Ce faux principe une fois mis en pratique elle le suivit à l’égard de Rousseau et plus tard de Wintzenried 4. Encore sa liaison avec Jean-Jacques ne survint-elle point aussi inopinément, aussi brutalement qu’il veut le faire croire. Lui-même avoue dans ses Confessions, comme aussi dans sa dizième Rêverie, que longtemps avant de posséder Mme de Warens, il ne vivait que pour elle et par elle. Si pour se donner le beau rôle il lui fait faire toutes les avances, on voit pourtant, d’après son livre, qu’il fit tout ce qu’il put pour l’amener au point /55/ où il désirait arriver, surtout depuis qu’il eut appris que quelqu’un pouvait vivre avec elle dans une plus grande intimité que lui 1. Après un siège fort habile, qui se trahit en maint endroit 2, les œillades de Mme Lard, les prévenances de Mme de Menthon devaient nécessairement faire effet. Si ce n’est pas la jalousie, c’est l’amour-propre de Mme de Warens qui la jeta dans les bras de Rousseau. Elle ne put souffrir qu’une rivale lui enlevât son protégé 3. /56/
CHAPITRE III
Les spéculations et la fuite de Mme de Warens.
Arrivons maintenant à une période de la vie de Mme de Warens qui a exercé, sans aucun doute, l’influence la plus fatale sur tout le reste de son existence. Nous voulons parler de sa première entreprise industrielle. Des notes de M. de Warens, complétées par des extraits d’archives, nous donnent une lumière satisfaisante sur cette affaire si grosse de conséquences fâcheuses. C’est en grande partie, si ce n’est entièrement, à la ruine de son crédit qu’on doit attribuer la fuite de Mme de Warens et son passage au catholicisme. Nous avons à ce sujet l’aveu formel qu’elle fit à son mari lorsqu’il lui rendit visite en Savoie. « Elle me dit, racontet-il, que le dérangement de nos affaires l’avait en partie portée à faire le coup 1. » C’était bien là aussi l’idée des Suisses qui se trouvaient à Evian à son arrivée. « Ils soutenaient, dit M. de Conzié, que son repentir n’était que simulé et que le vrai motif de la fuite de la baronne était le dérangement qu’elle avait mis dans les affaires de son mari par une prodigalité inconsidérée 2. »
Douée du caractère ambitieux et entreprenant qu’on lui connaît et que nous avons dépeint plus haut, Mme de Warens /57/ ne pouvait manquer de profiter de la prédominance qu’elle exerçait sur son mari pour l’associer, tout au moins indirectement, à ses projets aventureux et pour tirer tout le parti possible de son passage dans les charges publiques. Il n’y avait que deux mois environ qu’il siégeait au Conseil, qu’elle recourait déjà à lui pour obtenir par son intermédiaire, en faveur de ses entreprises, un privilège de ce corps. Voici en quelles circonstances.
Vers la fin de 1724 un jeune français, Elie Laffon 1, fils d’un ministre réfugié et frère d’une demoiselle Laffon qui avait donné autrefois des leçons à Mme de Warens, dans le pensionnat de Mme Crespin 2, était venu se fixer à Vevey, avec l’intention d’y fonder une manufacture de bas de soie et de galette. Il demanda au Conseil le 1er février 1725 de pouvoir établir son industrie en ville et sollicita à cet effet quelques conditions favorables. Le conseil lui accorda sur-le-champ l’autorisation demandée, dans l’idée qu’il pourrait résulter de l’introduction de ce nouvel art professionnel un avantage sérieux pour le bien-être public. Il chargea une commission de trois de ses membres d’accompagner le sieur Laffon à la recherche d’un logement, /58/ après quoi il déterminerait les autres facilités qu’il y aurait lieu de lui faire 1. Installé, grâce à cet appui, dans la maison de M. Fatio, au Bourgfranc, le jeune industriel demanda le 5 février, que le Conseil voulût bien, par essai, lui faire don pour l’année courante du prix de location de cette maison, qui était de cent-dix livres 2. La réponse fut affirmative. On fit écrire à M. Fatio, par l’entremise du commandeur, que la ville se chargeait dorénavant du loyer. Mais l’argent nécessaire à la bonne marche de l’entreprise faisait défaut au sieur Laffon : il s’agissait pour lui de trouver des commanditaires. Il frappa, paraît-il, dans ce but à différentes portes. Adressé sans doute par sa sœur à Mme de Warens, il réussit à exciter son intérêt et à capter sa confiance. Cette dame vit dans le projet d’association qu’il lui offrait, une occasion propice de suivre son entraînement pour les affaires industrielles. « Ces entreprises de richesse ne lui étaient point inspirées par la cupidité d’en jouir, mais bien plus sûrement pour en procurer des jouissances à ses associés, car la générosité et la libéralité étaient au nombre des autres qualités de son cœur », écrit M. de Conzié au comte de Mellarède. Sans nous inscrire en faux contre ce témoignage d’un contemporain, qui avait bien connu Mme de Warens, nous ne partageons pas entièrement son avis sur ce point. Avant de vouloir faire jouir les autres, Mme de Warens désirait jouir elle-même. Elle comprenait parfaitement que l’industrie, en cas de succès, conduit à la fortune, et la fortune aux honneurs du monde. Et se croyant, dans sa vanité, /59/ exceptionnellement douée pour l’industrie, elle était certaine du succès. Nul doute, qu’une fois riche et puissante, elle n’eût fait jouir les autres.
Sans demander conseil à son mari, Mme de Warens s’empressa de prendre à son compte la nouvelle manufacture 1. Laffon, qui apportait à la société ses connaissances professionnelles, eut un traitement fixe et l’assurance d’une part dans les bénéfices à réaliser. Tout en désapprouvant l’entrée de sa femme dans une association, à laquelle il déclara ne pas vouloir participer lui-même, M. de Warens n’osa lui refuser les fonds qu’elle demandait pour l’entreprise. Comme les sommes dont il pouvait alors disposer ne suffisaient pas aux premiers besoins de celle-ci, il dut emprunter, le 26 avril, cinq cents écus de la ville de Vevey 2. Mais les exigences de Mme de Warens n’étaient point encore satisfaites. Sous le prétexte fallacieux que sa manufacture était trop à l’étroit chez M. Fatio, elle obligea son mari de mettre à son service une maison, contiguë à la leur, qu’il avait acquise pour l’utiliser comme dépendances. Il fallut approprier cette maison à sa destination future. Pour payer les réparations nécessitées par ce changement, M. de Warens fit, le 30 avril, un nouvel emprunt de sept cents livres auprès de l’hôpital de Vevey 3. Le matériel de la manufacture fut transféré dans sa nouvelle demeure le 1er mai 1725 4. L’inventaire des dépenses faites par M. de Warens pour le compte de cette manufacture, quoique dressé déjà l’année suivante, fait remonter cette translation, /60/ comme aussi les deux emprunts dont il a été parlé plus haut, à l’année 1724. Mais il s’agit ici d’une erreur de date, comme le prouvent les mentions contemporaines renfermées dans les manuaux de la ville.
Le 13 mai, Mme de Warens sut engager M. Miol, le beau-frère de Mme de la Tour, à entrer dans son établissement comme associé commanditaire 1. Encouragée ensuite par l’accroissement du fonds social et par les proportions plus vastes du nouveau bâtiment, elle résolut d’étendre aussi son entreprise à la fabrication des bas de laine. C’est alors qu’elle fit demander au Conseil par le vice-commandeur, son mari, en échange des divers avantages que devait apporter dans la ville sa nouvelle industrie, un monopole de vingt ans pour celle-ci et l’exemption pendant le même laps de temps des droits d’habitation, imposés à ses ouvriers 2.
Le Conseil lui fit répondre qu’il lui accorderait tout ce qui était en son pouvoir. En ne se prononçant pas d’une manière plus catégorique il concédait bien implicitement les privilèges demandés, mais ne s’engageait en aucune façon au sujet de leur durée. Cela ne faisait pas le compte de Mme de Warens. Pour la prospérité de sa manufacture il lui fallait des ouvriers laborieux et entendus dans leur métier. Le recrutement en était difficile, vu qu’on devait les choisir presque exclusivement parmi les familles réfugiées. Pour attirer à Vevey ces étrangers, il était nécessaire de leur offrir des privilèges certains et non point révocables à bien plaire. Elle insista vainement pendant plusieurs mois pour obtenir des promesses plus précises et /61/ finit par déclarer au Conseil que s’il lui accordait pour vingt ans le monopole de son industrie et la tolérance 1 gratuite de ses ouvriers, elle se chargerait dorénavant de payer à son mari les cinquante-cinq écus que la ville donnait pour le loyer de sa maison 2. Le Conseil, sur l’approbation de M. de Warens, accorda cette fois-ci la demande et chargea le commandeur d’aller remercier en son nom « la noble dame de la générosité avec laquelle elle agit à cet égard, dont on gardera le souvenir 3. »
Avec un privilège aussi étendu que celui qui venait de lui être concédé, la manufacture eût peut-être marché d’une manière prospère si elle avait été dans des mains plus capables et surtout plus honnêtes. Mais tout l’argent que M. de Warens fournissait pour son fonds de roulement était loin d’être appliqué à ses besoins.
De quelques pièces que son mari présenta plus tard à la justice on peut conclure que Mme de Warens employait à ses propres dépenses une partie de cet argent 4. D’un autre côté, Elie Laffon, qui ne paraît point avoir été, du reste, un directeur capable, imitait sa maîtresse et agissait de même 5. Il est probable aussi que l’échelle sur laquelle /62/ l’exploitation eut lieu, trop vaste pour les besoins d’une clientèle restreinte, contribua aussi aux revers de l’entreprise. Bref, au lieu de faire des bénéfices, celle-ci périclitait, allait tous les jours en arrière. M. Miol s’empressa de sortir de cette hasardeuse spéculation, le 1er novembre 1725, non sans essuyer des pertes assez notables.
En présence des sacrifices toujours renaissants qu’il était obligé de faire de ce chef, M. de Warens prit le parti de diminuer son train de maison, et de se séparer de deux enfants que sa femme et lui élevaient depuis quelques années. Le mariage des époux de Warens étant resté stérile, ils s’étaient créé une petite famille en se chargeant l’un et l’autre d’un enfant étranger. Depuis la mort de son cousin, Jean-Baptiste de la Tour, Mme de Warens avait pris auprès d’elle sa nièce et filleule Françoise-Marie 1. M. de Warens avait recueilli de son côté, à peu près dans le même temps, un des fils de son ami M. de Quervain 2, gentilhomme breton, réfugié à Vevey et qu’une prodigalité inconsidérée venait de jeter dans une extrême pauvreté 3. Ce ne fut pas, on peut le croire, sans hésitation et sans regret que, d’accord avec sa femme, il remit le garçon à la commune de Vevey et la jeune fille à sa mère, le 19 septembre 1725.
Mme de Warens persévérait, malgré tout, dans ses vaines illusions sur l’avenir de sa manufacture. Avec un entêtement /63/ digne d’une meilleure cause elle s’obstinait à combattre la mauvaise chance, qui ne serait sans doute que passagère et que l’on aurait espérance de vaincre par de la persistance et de nouveaux sacrifices d’argent. C’étaient là les arguments qu’elle présentait à son mari pour lui faire faire effort après effort. Et ce mari, bien à contre-cœur, mais trop soumis à l’empire de sa femme, contractait de nouvelles dettes auprès de plusieurs particuliers, dettes dont le produit allait s’engloutir dans un vrai tonneau des Danaïdes. Comme il avait déclaré dans le principe vouloir toujours rester étranger à l’entreprise il n’osa jamais s’assurer par lui-même de la situation exacte de celle-ci. Il la croyait dans l’embarras, mais il ignora jusqu’au dernier jour que ses pertes fussent considérables.
Tout en continuant d’affecter la même confiance en elle-même, la même assurance de succès, Mme de Warens n’était pas sans beaucoup souffrir de la mauvaise tournure que prenaient ses affaires. Déjà en automne 1725 elle était tourmentée quotidiennement par une inquiétude toujours croissante, qui lui enlevait tout plaisir. Une cure à Aix, où elle était allée chercher la guérison de quelques douleurs, réussit seule à la distraire. Sous l’influence du repos, de la bonne réception et des amusements qu’elle y trouva, elle oublia bien vite ses malheurs pour ne songer qu’à jouir du présent. Pendant ce séjour à Aix, elle lia connaissance avec Mme de Bonnevaux, femme d’un officier de la cour de Sardaigne, qui était issu d’une branche de la famille de Loys, restée catholique et savoisienne. La lointaine parenté, existante entre leurs maris, amena entre les deux dames une relation, qui devint plus tard intime. Mme de Bonnevaux eut bientôt découvert la source des chagrins de /64/ Mme de Warens, le peu de fermeté de ses convictions et son penchant marqué pour les jouissances de la vanité. Profita-t-elle réellement de ces dispositions, comme l’accuse M. de Warens, pour faire œuvre de prosélytisme, en convertissant son amie, c’est ce que l’on ne sait pas avec certitude. On serait tenté de le croire puisque Mme de Warens avoue elle-même avoir été avant sa fuite « flatée d’honneurs à la cour de Turin 1. » Il n’est, en tout cas, pas probable que déjà à cette époque, elle ait envisagé le projet d’une désertion du foyer conjugal. Lorsque sa cure fut terminée, elle accompagna Mme de Bonnevaux à Chambéry.
Le père Boudet, dans un écrit inspiré par Mme de Warens, dit : « qu’à son retour elle passa par Annecy. Un mouvement de curiosité la porta à visiter les reliques de saint François de Sales dans le premier monastère de la Visitation. C’est là qu’elle sentit l’attrait de la grâce, qui l’invitoit à renoncer aux erreurs dans lesquelles le malheur de sa naissance l’avoit engagée. Elle conçut dès lors le dessein d’abjurer 2. »
En dehors de ces lignes du père Boudet nous ne trouvons rien sur cette visite. Sans contester qu’elle ait eu lieu lors du voyage à Chambéry, il semble que l’idée de faire remonter jusqu’à elle les premiers signes de la conversion de Mme de Warens ne soit guère qu’une flatterie à l’adresse du premier monastère de la Visitation, où cette dame passa les premiers temps de son séjour en Savoie. S’étant arrêtée ensuite à Genève chez Mme de Gallatin et d’autres dames de sa connaissance, la voyageuse ne put s’empêcher de /65/ leur témoigner « combien elle étoit charmée de la Savoie et dégoûtée du Pays de Vaud. 1 » Si l’on considère qu’elle venait de quitter une existence pleine d’attrait pour reprendre en rentrant chez elle le joug des chagrins et des soucis, on comprendra, jusqu’à un certain point, cette comparaison peu flatteuse.
Les détails les plus circonstanciés sur les événements qui suivent ont été racontés par M. de Warens dans sa grande lettre à son beau-frère, M. de Middes 2. Il est impossible, en parcourant ce mémoire, qui révèle si bien les pensées intimes de son auteur, de n’être pas frappé du ton de vérité qui y règne d’un bout à l’autre. On y remarque du reste une concordance parfaite avec les actes officiels produits pour le divorce. C’est au public indépendant à juger si dans cette lettre rien n’a été écrit sous l’impression d’un mauvais sentiment, si l’auteur y a été vrai sans amertume et sans vengeance, s’il a été juste et généreux envers le passé.
Rentrée à Vevey, Mme de Warens trouva ses affaires industrielles dans une situation plus embrouillée encore qu’elle ne les avait laissées à son départ. Ses tristes préoccupations la reprirent et ne tardèrent pas à altérer sérieusement sa santé déjà délicate. La tension continuelle dans laquelle elle vivait par suite de la nécessité, que lui infligeait son amour-propre, de dissimuler aux yeux de son entourage, et tout particulièrement aux yeux de son mari, dont elle craignait les reproches, l’état désastreux de sa spéculation, lui faisait surtout du mal. Des indispositions fréquentes en furent la suite. Elle se laissa aller à des accès /66/ de désespoir. C’est vraisemblablement dans un de ces accès qu’elle dit à M. de Vullierens 1, comme le rapporte son mari, « qu’il entendrait parler l’été suivant d’un événement extraordinaire au sujet d’une dame du pays. » Elle entendait assurément parler d’elle-même.
En proie à des souffrances morales toujours plus douloureuses, il n’est pas étonnant qu’elle n’ait fini par considérer l’éventualité d’une fuite, surtout si Mme de Bonnevaux, avec laquelle elle resta cette année en correspondance, lui promit un asile sûr en Savoie, où un changement de religion devait lui assurer un avenir brillant à la Cour.
Au mois de février 1726 Mme de Warens sollicita de son mari de nouvelles avances pécuniaires. Afin de l’engager à ce sacrifice, qui devait lui paraître bien dur, elle prit, paraît-il, pour prétexte des pertes faites par l’inhabileté ou l’infidélité d’Elie Laffon. Pour donner plus d’effet à ces allégations elle congédia ce directeur pour le 13 avril suivant.
M. de Warens s’exécuta en faisant auprès de la ville un emprunt de 800 livres, qui devait être le dernier 2. Le 13 avril Laffon fut remplacé comme directeur de la manufacture par un autre jeune réfugié, appelé Saint-André 3. Celui-ci entrait en place dans les mêmes conditions que son prédécesseur, c’est-à-dire comme un simple employé. Il est clair qu’à ce titre il n’était responsable d’aucune perte. C’est donc à tort que M. de Warens s’en étonne dans sa lettre à M. de Middes. Plusieurs passages de la même lettre sont très hostiles à Saint-André. Lorsque /67/ M. de Warens se fut aperçu des détournements commis à son préjudice par sa femme, il le soupçonna, sur la foi d’une lettre anonyme, d’être de connivence avec elle pour tirer de lui « le meilleur parti possible. » Il lui fit un crime d’avoir remis à Mme de Warens, au moment de son départ pour Evian, des marchandises de la manufacture et de lui en avoir envoyé plus tard d’autres dans cette ville 1. Saint-André ne pouvait cependant, nous semble-t-il, être blâmé dans cette circonstance d’avoir plutôt servi les intérêts de sa patronne que ceux d’une personne qui devait lui être étrangère, puisque M. de Warens, de son propre aveu, n’avait rien à voir dans l’entreprise ? Et savait- il, en faisant ces envois, que cette action porterait préjudice à M. de Warens ? Du reste il avait fait, lors du second envoi, tout ce que sa position d’employé l’autorisait à faire. « Mme de Warens l’avoit grondé sur ce qu’il s’était permis quelque représentation 1bis. »
Vers la fin du printemps de 1726, Mme de Warens n’avait plus aucun espoir de relever son industrie. Une issue désastreuse s’approchait à grands pas. Le plus simple eût été pour elle d’avouer franchement sa déconfiture à son mari et de solliciter son appui pour liquider au plus vite et le mieux possible. La lutte entre ce parti, le seul raisonnable, et les susceptibilités de son amour-propre fut cruelle. Ce fut l’orgueil qui l’emporta ! Quelle serait, après un tel aveu, sa situation vis-à-vis de M. de Warens, vis-à-vis de la société veveysanne ? Se confesser à son mari, c’était reconnaître qu’il avait eu parfaitement raison en condamnant cette entreprise et en lui refusant son concours; c’était s’exposer désormais de sa part à de justes et /68/ sévères reproches pour les pertes qu’elle lui avait infligées et dont elle-même ne savait point encore le montant; c’était s’humilier et se placer vis-à-vis de lui dans une infériorité qu’elle ne pourrait jamais souffrir. — Liquider, elle présente, c’était faire connaître au public le mauvais état de ses affaires; c’était ainsi encourir son blâme et compromettre son crédit; c’était peut-être aboutir à la faillite, à la ruine et à la déconsidération.
Le temps pressait. Il n’y avait qu’un moyen de se soustraire à cet aveu, au déshonneur qui en serait la suite 1 : La fuite au delà du lac où l’attendaient des amis qui lui avaient promis bon accueil et lui chercheraient une position. Elle quittait son mari, sa famille, le pays où elle était née. Qu’importe, puisqu’elle ne retrouvait plus auprès d’eux la position qu’elle avait occupée. En Savoie elle aurait une autre patrie, d’autres amis, une carrière plus brillante. Et que lui importait, pour atteindre ce but, un changement de religion, elle dont les idées piétistes étaient si condescendantes en matière de doctrine. Ah ! si seulement elle avait pu prévoir que les honneurs et les pensions qu’elle attendait du roi de Sardaigne se réduiraient au /69/ seul don d’une modeste rente, presque insuffisante pour ses besoins, et que pour conserver cette rente elle se verrait un jour obligée de s’humilier et de se plier à des bassesses afin de la disputer aux intrigues d’envieux !
Maintenant que sa résolution était prise, il s’agissait d’activer le départ. Mais pour partir il lui fallait un prétexte; elle en trouva un excellent dans l’état de sa santé. Craignant toutefois que son médecin ordinaire ne voulût point sans nécessité reconnue satisfaire à ses désirs, elle eut la précaution de faire venir de Morges le docteur Viridet et lui persuada de l’envoyer aux bains d’Amphion. « M. Viridet, qui connut qu’il y avoit plus d’inquiétude d’esprit que de réalité dans sa maladie, n’eut garde de la contredire. » Dès cette époque elle commença ses préparatifs d’évasion, n’attendant qu’un moment favorable pour exécuter ce projet. Cette occasion se présenta bientôt.
Le 5 juillet 1726 (M. de Warens se trompe ici de date lorsqu’il parle du mois de juin), à la suite d’une pluie diluvienne, tous les cours d’eau qui se jettent dans le lac Léman grossirent subitement, en faisant sur leurs rives des dégâts très considérables. La Veveyse surtout, enflée outre mesure, rompit ses digues, emporta ses ponts et inonda toute une partie de la ville de Vevey 1. En vue de réparer aussi bien que possible et avec célérité tout le mal causé par les eaux, l’autorité municipale embaucha dans diverses parties du pays de nombreuses escouades d’ouvriers, qui furent placés sous la haute surveillance de l’ingénieur de Crousaz. Le trésorier de Watteville 2 vint de /70/ la part de LL. EE. examiner sur les lieux mêmes le dommage et se rendre compte des moyens employés pour y porter remède. M. de Warens fut un des membres du Conseil désigués pour accompagner ce haut fonctionnaire dans ses courses à travers le bailliage. Sa femme mit à profit ces absences quotidiennes, qui duraient du matin jusqu’au soir, pour adjoindre à son bagage, déjà fort considérable, tout ce qui dans la maison lui paraissait susceptible de servir à son établissement en Savoie : meubles, linge, vaisselle, argenterie. Pour ne point se trouver au dépourvu dans les premiers temps de son séjour, elle se munit de l’argent qui restait dans la caisse de la manufacture. Elle emporta en outre une bonne partie des marchandises déposées encore dans les magasins, sous prétexte qu’elle pourrait aisément les écouler pendant le temps de sa cure. Lorsque tout fut prêt, elle hâta l’heure du départ, certaine qu’elle était que son mari ne pourrait l’accompagner dans ce moment, tant en raison de ses occupations officielles qu’à cause des pressantes réparations qu’il avait à faire à ses immeubles de Vevey et de Chailly. Nous n’avons rien à ajouter à l’intéressante relation que M. de Warens nous a donnée sur ce départ, auquel il assista, puisqu’il accompagna sa femme jusqu’au bateau 1. Contrairement à l’assertion du père Boudet, qui affirme que ce ne fut qu’après avoir pris les eaux d’Amphion que Mme de Warens se rendit à Evian, sans autre dessein que de s’y amuser pendant quelques jours, il est certain /71/ qu’elle s’installa dès l’abord dans cette dernière ville, où séjournait alors le roi de Sardaigne. Elle y prit logement dans la demeure d’un sieur Bugnet, attendant une circonstance propice pour se mettre en évidence.
Parmi les gentilshommes attachés à la personne du roi Victor se trouvait alors M. de Conzié, qui fut plus tard à Chambéry le voisin et l’ami de Mme de Warens. Dans une lettre au comte de Mellarède 1, écrite après la publication des Confessions, ce seigneur nous a laissé ses impressions sur cette dame. Témoin oculaire de ses débuts en Savoie, il en fait le récit suivant : « Ce prince (le roi) allait à la messe de l’église paroissiale accompagné simplement de quelques seigneurs de sa cour, du nombre desquels était feu monsieur de Bernex, évêque d’Annecy. A peine le roi était-il entré dans l’église que Mme de Warens arrêta le prélat par sa soutane, se jeta à ses genoux en lui disant les larmes aux yeux « In manus tuas, domine, commendo spiritum meum. » Cet évêque s’arrêta en la relevant, et il parla cinq à six minutes avec cette jeune pénitente, qui de là se rendit directement au logis de ce prélat, lequel, la messe finie, alla la joindre et, après une conversation assez longue avec elle, revint à la cour, sans doute pour en rendre compte au roi. »
C’est bien aussi à la même époque que doit se rapporter ce portrait que M. de Conzié a fait de Mme de Warens dans la lettre dont nous venons de parler. « Sa taille était moyenne mais point avantageuse, eu égard qu’elle avait beaucoup et beaucoup d’embonpoint, ce qui lui avait arrondi un peu les épaules et rendu sa gorge trop /72/ volumineuse, mais elle faisait aisément oublier ces défauts par une physionomie de franchise et de gaieté intéressante. Son ris était charmant, son teint de lis et de rose, joint à la vivacité de ses yeux, annonçaient celle de son esprit et donnaient une énergie peu commune à tout ce qu’elle disait. Sans le plus petit air de prétention, tant s’en faut, car tout en elle respirait la sincérité, l’humanité, la bienfaisance, sans donner le plus petit soupçon de vouloir séduire par son esprit non plus que par sa figure, car elle négligeait par trop cette dernière, sans néanmoins l’affecter comme quelques prétendues savantes de son sexe. » Disons ici que, bien que moins flatteur, le portrait ci-dessus ressemble assez à celui que Rousseau nous a tracé de son amie. Elle avait, dit l’enfant de Genève, « un air caressant et tendre, un regard très doux, un sourire angélique, une bouche à la mesure de la mienne, des cheveux cendrés d’une beauté peu commune et auxquels elle donnait un tour négligé qui la rendait très piquante. Elle était petite de stature, courte même et ramassée un peu dans sa taille, quoique sans difformité, mais il était impossible de voir une plus belle tête, un plus beau sein, de plus belles mains et de plus beaux bras 1. »
Le récit que M. de Conzié fait de la conversion de Mme de Warens ressemble en ses principaux points à /73/ celui du père Boudet. Il diffère en revanche de celui de M. de Warens, qui, tout en nous faisant savoir qu’avant sa visite à Evian, sa femme avait déjà donné sa foi à l’évêque d’Annecy, raconte que ce fut le jour de cette visite, au retour de la promenade du roi, qu’elle se jeta aux pieds du prince pour implorer sa protection. Comme peut le faire croire ce dernier récit, il y aurait là deux scènes distinctes, l’une à l’église en présence de l’évêque, l’autre dans la rue devant le roi lui-même ?
Ou bien nous trouvons-nous en présence de deux versions différentes, ayant trait à la même scène ? Diverses raisons militent en faveur de cette dernière hypothèse. Des deux variantes en question c’est à celle de M. de Conzié que nous devons donner la préférence, comme émanant d’un témoin oculaire, tandis que M. de Warens ne tenait la sienne que d’ouï-dire. Il est certain que, comme l’avance M. de Conzié, la scène avait eu lieu avant l’arrivée des Veveysans, autrement on ne s’expliquerait guère les mesures de surveillance dont ils furent l’objet pendant leur visite. Mais elle devait être toute récente, vraisemblablement du matin même ? Si on l’avait déjà connue en ville, les compagnons de M. de Warens n’eussent pas manqué d’en être instruits par leurs compatriotes, qui séjournaient à Evian.
Le père Boudet, qui n’a en définitive que Mme de Warens elle-même pour garant de son récit, nous apprend que celle-ci avait eu le projet, après son entrevue avec Monseigneur de Bernex, « de se rendre promptement à Vevey pour y mettre ordre à ses affaires, afin d’avoir le moyen de subsister honorablement en Savoie, où elle avait résolu de se retirer. La Providence, ajoute-t-il, en disposa autrement. /74/ Malgré les précautions que Mme de Warens avoit prises pour cacher ses démarches, elle fut à peine sortie de l’appartement du prélat que la nouvelle de son changement devint publique. Dès le lendemain ses domestiques l’abandonnèrent pour aller à Vevey où cet événement avoit déjà jeté le trouble et la consternation 1. »
Nous ne nous arrêterons pas à l’invraisemblance de cette course à Vevey où Mme de Warens se serait bien gardée de se risquer dans l’incertitude que l’on n’y eût déjà éventé ses spoliations. Elle n’avait plus rien à y mettre en ordre puisqu’elle avait déjà dépouillé son mari de tout ce qui lui avait été possible de prendre. Nous devons remarquer que la Chenebié 2, l’unique domestique qu’elle avait amenée à Evian, se trouvait encore auprès d’elle le jour de la visite de M. de Warens. Il est naturel que cette fille, qui n’était engagée que pour la durée de la cure, ait quitté sa maîtresse lorsqu’elle la vit décidée à rester en Savoie et à embrasser la religion catholique; elle ne le fit toutefois que le jour du départ de cette dernière pour Annecy. Ce qui le prouve, c’est que, si elle fût venue auparavant à Vevey elle y eût certainement apporté la nouvelle de la conversion de Mme de Warens, or, cette nouvelle on ne la reçut que dans la journée du 7 août et par une toute autre source. Après le départ de la Chenebié, Mme de Warens semble avoir été pendant quelque temps privée de domestiques de son pays; on lui donna pour compagne une personne d’Evian, qui resta auprès d’elle au monastère de la Visitation à Annecy. Ce ne fut qu’à la sortie de ce couvent qu’elle fit /75/ venir de Vevey une prosélyte, qui avait servi dans sa maison et dont elle était la commère 1. C’est très probablement aussi à cette époque qu’elle prit chez elle Claude Anet dont la famille était depuis longtemps connue de la sienne. Quoique Claude Anet ait levé un extrait de son acte de baptême le 25 mars 1726 2, ce que les paysans ne faisaient guère que lorsqu’ils voulaient quitter le pays, on est certain qu’il n’accompagna pas Mme de Warens en Savoie; s’y rendit-il plus tard à son appel, s’y trouvait-il déjà à son arrivée, c’est ce que nous ne saurions affirmer.
La fugue de Mme de Warens fut diversement interprétée lorsqu’elle fut connue à Evian. Les avis étaient très partagés au sujet de la sincérité de sa conversion : « les uns disaient que c’était une scène d’une Magdeleine véritablement repentante, d’autres et surtout les Suisses qui étoient venus à Evian, partie pour boire les eaux et partie pour y voir le roi, soutenoient que ce repentir n’étoit que simulé 3. » Cette dernière opinion fut aussi celle de M. de Warens, puisqu’il rapporte qu’à l’occasion de la visite qu’il lui fit à Annecy, « elle n’excusa point vis-à-vis de lui son changement de religion par des motifs de conscience, mais laissa au contraire paroitre tant d’indifférence à cet égard qu’il en fut frappé 4. »
Ce ne fut que le 4 août que M. de Warens put rendre à sa femme cette visite dont nous avons plusieurs fois parlé. Retenu à Vevey par de pressantes occupations il n’avait /76/ point eu le temps de la faire jusqu’alors 1. Son entrevue avec elle fut très cordiale. « Elle me témoigna, dit-il, autant d’amitiés qu’elle ait fait de sa vie. » Grâce à la précaution qu’elle prit de ne pas laisser son mari s’éloigner d’elle, celui-ci n’apprit rien du dessein qu’elle avait de changer de religion; peut-être même ces précautions étaient-elles encore superflues, car les compagnons de M. de Warens, qui avaient eu tout le loisir de parcourir la ville, ne furent pas, nous l’avons dit, plus instruits à ce sujet que lui. La scène du matin n’avait point eu le temps de s’ébruiter. Mme de Warens versa des larmes au départ de son mari. Peut-être sa douleur fut-elle véritable, de même que la défaillance qu’elle eut quelques semaines plus tard lorsqu’il vint la revoir à Annecy ? Clairvoyante comme elle l’était, elle comprenait d’instinct que le pas qu’elle avait fait était irrémédiable; que pour elle, son mari, sa patrie étaient désormais perdus et qu’il lui était impossible, même le voulût-elle, d’échapper à ses nouveaux liens. En demandant la protection de l’évêque et du roi elle s’était placée sous leur dépendance.
Son étourderie, elle a eu, comme le dit J. J. Rousseau, probablement d’après son propre témoignage, tout le temps de la pleurer. M. de Conzié, qui n’est point suspect, constate toutes les perplexités, toutes les angoisses qu’elle avait eues dans les premiers temps de sa conversion : « M’entretenant un jour avec elle tête à tête de son changement de religion et d’état, elle me dit : Croiriez-vous, mon ami, qu’après mon abjuration je ne me suis jamais mise au lit durant deux ans environ sans y prendre comme on dit /77/ la peau de poule sur tout mon corps par la perplexité dans laquelle mes réflexions me plongeoient sur ce changement de religion, qui m’avoit fait secouer les préjugés de mon éducation, de ma religion, et abjurer celle de mes pères. Cette longue incertitude étoit terrible pour moi qui ai toujours cru à un avenir éternellement heureux ou malheureux. Cette indécision m’a bien longtemps bourraudée 1. »
Mais, comme toujours, l’orgueil étouffa les sentiments de son cœur. Ce cri désespéré, exhalé au milieu de soupirs : « Mon cher mari, que deviendras-tu ? » c’était évidemment un regret impuissant, un remords de conscience.
Elle se raidit aussitôt contre ce sentiment qu’elle regardait comme une faiblesse, de sorte que lorsque la fille qui la servait, lui dit : « Madame, vous avés un bon mari, » elle repartit avec vivacité : « Si vous le croyés ainsi, prenés-le, il sera bientôt sans femme. »
Cependant la venue de M. de Warens et de ses amis à Evian avait causé grand émoi parmi les personnes de l’entourage du roi qui connaissaient déjà alors le dessein de son épouse. M. de Conzié raconte à ce sujet qu’à peine les Veveysans furent débarqués « le bruit courut dans toute la ville que ces nouveaux venus, parents, disait-on, de Mme de Warens, venaient pour l’enlever. Ce bruit, tout mal fondé qu’il étoit, prit quelque crédit à la cour. »
Le roi, qui fut instruit aussitôt de l’arrivée des étrangers et qui les avait lui-même aperçus à leur départ, lorsque, après s’être embarqués, ils étaient redescendus sur la rive pour le voir à la promenade, crut à une tentative d’enlèvement et résolut de la prévenir en mettant Mme de Warens sous la garde de Mme de Bonnevaux. /78/
Averti le lendemain par ses patrouilles que le bateau des Veveysans était resté en vue de la côte de Savoie pendant une bonne partie de la nuit, il fut confirmé dans ses craintes et songea à dérober plus sûrement sa nouvelle protégée aux poursuites dont elle pourrait être l’objet, en la faisant partir pour Annecy le 7 août de bon matin. Un homme de Lausanne, qui venait d’Evian, raconta le lendemain à M. de Warens, « qu’elle avait traversé toute la ville à pied conduite par deux gentilshommes de la suite de Sa Majesté; qu’à la porte d’Alinges elle étoit montée en carosse avec une demoiselle d’Evian 1 et que huit gardes du corps entouroient le carosse. »
Sans entrer dans tous ces détails, M. de Conzié nous fait connaître que le roi la fit partir avant jour dans sa propre litière « escortée de quatre gardes du corps qui la conduisirent en droiture, accompagnée d’une bourgeoise, à Annecy, dans le couvent du premier monastère de la Visitation 2. » C’est dans cette retraite sûre et tranquille, qu’après une instruction religieuse faite par le supérieur du séminaire de la ville, Mme de Warens se trouva le 8 septembre 1726 en état de faire une abjuration solennelle de la religion protestante 3. /79/
Les circonstances dans lesquelles Mme de Warens sollicita la protection du roi de Sardaigne, Victor-Amédée, nous font comprendre en quelque mesure l’amour-propre que ce prince mit à la soustraire aux tentatives d’enlèvement, qu’il prévoyait de la part de ses parents. Elles nous donnent aussi la raison de l’intérêt momentané que la famille royale lui témoigna, intérêt qui porta une des princesses à vouloir lui servir de marraine, lors de son passage au catholicisme 1. Elles sont en revanche insuffisantes à expliquer pourquoi le roi, d’ordinaire si peu prodigue, poussa la générosité à son égard au point de lui allouer une pension de quinze cents livres, en récompense de sa conversion. C’est le seul cas que l’on connaisse sous le règne de ce monarque d’une libéralité aussi importante vis-à-vis d’une nouvelle convertie. Pour être l’objet d’une faveur aussi marquée, Mme de Warens devait avoir sans doute en haut lieu une puissante recommandation. Il est certain que d’autres de ses compatriotes, d’aussi bonne famille que la sienne et dont la conduite personnelle était plus digne assurément de la protection souveraine, n’eurent pas la même chance. Mlle de Graffenried, par exemple, qui embrassa le catholicisme presqu’en même temps qu’elle, ne sut pas obtenir une pension.
La nouvelle de la prochaine abjuration de Mme de Warens ne parvint, comme nous l’avons dit, dans le pays de Vaud et particulièrement à Vevey que dans la journée du 7 août. /80/ Si l’on en croit le père Boudet « ce fut dans toute la contrée un deuil et des alarmes universelles. Cette dame y étoit adorée et l’amour qu’on avoit pour elle se changea en fureur contre ce que l’on appelloit ses séducteurs et ses ravisseurs. Les habitans de Vevey ne parloient pas moins que de mettre le feu à Evian et de l’enlever à main armée au milieu même de la cour. » « On en vit, dit autre part le même auteur, le soir un grand nombre attroupés sur le port 1. Ces mouvemens qui pouvoient avoir des suites firent dire au Roi, parlant à l’Evêque de Genève : Vos conquêtes, Monsieur, sont bien bruyantes. »
On reconnait aisément dans les lignes ci-dessus l’estampille de Mme de Warens elle-même et il serait oiseux de réfuter un récit qui renferme tant d’exagération et tant de suffisance 2. Les événements qui accompagnèrent la fuite et l’abjuration de Mme de Warens ne provoquèrent à Vevey, même dans le cercle de sa famille et de ses intimes, qu’une légitime indignation, dirigée plutôt contre elle que contre ses convertisseurs. Nul ne songea à attaquer Evian pour la retirer de leurs mains. Toutes les sympathies, on le constate, furent dans ce moment pour le mari, qui était bien digne de pitié.
Instruit par Saint-André de la désertion de sa femme M. de Warens n’avait d’abord pas voulu croire à la réalité de son malheur. Ce fut pour lui un coup de foudre lorsque, rentré à la maison, il dut personnellement se convaincre que non seulement elle avait abandonné, mais aussi /81/ entièrement spolié le foyer conjugal. Profondément atteint dans ses plus chères affections, comme aussi dans son bien-être matériel, il éprouva de cette double disgrâce une douleur vive et sincère. Cependant il supporta l’adversité en homme et ne se laissa point abattre par elle. On a contesté les sentiments d’affection que M. de Warens éprouvait pour sa femme. On l’a accusé d’avoir fait preuve vis-à-vis d’elle, dans différents passages de sa lettre à M. de Middes, d’un égoïsme, d’un manque de cœur des plus blâmables. Qu’y a-t-il de vrai dans ces reproches ? Fondés uniquement sur la lettre en question ils ne peuvent en tout cas être formulés que pour l’époque seule où cette lettre fut écrite, soit six ans après la désertion. Or, sous l’influence des événements qui accompagnèrent cette désertion, l’attachement passionné que M. de Warens témoignait auparavant à sa femme s’était refroidi dans l’intervalle, au point de se changer plutôt en un sentiment d’aversion et de mépris. Au lendemain de cette fuite il n’en était pas encore ainsi. De ce qu’il ne se mit point aussitôt en campagne, lorsqu’il reçut la nouvelle de l’évasion, pour rechercher Mme de Warens en Savoie mais seulement pour arrêter, à leur passage à Genève, les effets qu’elle avait emportés, on a conclu qu’il plaçait ses intérêts pécuniaires au-dessus de son affection conjugale; c’est à notre avis une interprétation erronée.
M. de Warens comprit sans doute de prime abord qu’il n’avait pas la moindre chance d’arracher pour le moment sa femme aux mains de ses puissants ravisseurs; qu’il risquait même gros jeu de le tenter dans un pays où l’abjuration, peut-être déjà effectuée de sa « déserteuse », suffisait pour la mettre à l’abri de ses poursuites. /82/ En revanche il lui semblait possible de recouvrer son bien volé en en sollicitant le séquestre dans une ville alliée des Suisses. Et sa situation désespérée commandait impérieusement qu’il profitât de cette occasion unique, car, dépouillé déjà par sa femme de la presque totalité de son avoir, il se sentait encore menacé à brève échéance par les créanciers qu’elle laissait en arrière, comme responsable des dettes qu’elle avait faites. On ne peut donc en pareille occurence lui faire un crime de s’être décidé à cette démarche : un autre eût agi tout comme lui. Il n’eut du reste pas la satisfaction d’obtenir la saisie demandée, car les magistrats genevois se refusèrent à faire main basse sur des effets qui voyageaient sous le nom et sous le couvert du roi de Sardaigne. /83/
CHAPITRE IV
Derniers rapports de Madame de Warens avec son mari et sa famille.
Le lendemain de son retour de Genève M. de Warens reçut la visite du lieutenant baillival de Joffrey, châtelain de la ville de Vevey 1, lequel, en sa qualité de représentant judiciaire de l’Etat de Berne, venait prendre des informations sur la fuite et l’abjuration de son épouse. Avec tous les égards qu’il devait à un collègue dans une situation aussi malheureuse, il donna à entendre que, si les bruits qui circulaient à ce sujet en ville étaient vrais, il estimait de son devoir de prendre inventaire de la fortune que cette dame avait dans le pays, cette fortune devant être dévolue au fisc en vertu d’une ordonnance souveraine du 18 mars 1715, ainsi conçue : « S’il se trouvoit qu’une personne eut changé de religion et embrassé la catholique romaine, ses biens seront confisqués au profit du souverain à moins que la personne ne se fût établie dans un endroit avec qui on eût des traités particuliers touchant la liberté de la sortie de ses biens. » M. de Warens le pria de bien vouloir surseoir pour le moment à l’exécution de /84/ son mandat, vu que l’on n’avait point encore de preuves certaines de l’entrée de sa femme dans la communion catholique; qu’il avait d’ailleurs l’intention, si le fait était avéré, de se rendre prochainement à Berne pour supplier Leurs Excellences de renoncer en sa faveur à leur droit de confiscation. Cette proposition fut agréée par le châtelain, moyennant une déclaration écrite dans laquelle M. de Warens reconnaissait que c’était à sa demande expresse et pour les raisons sus-indiquées que l’inventaire n’avait pas eu lieu. Le bailli, que le mari abandonné alla voir aussitôt après à Chillon, consentit à attendre, par égard pour son assesseur, que la nouvelle de l’abjuration fût plus certaine pour en instruire le sénat de Berne. Ce ne fut donc point par son canal, mais par une lettre du bailli de Morges, reçue le 12 août 1726, que le petit conseil de la république eut tout d’abord connaissance des faits 1. Toutefois il ne put retarder bien longtemps son rapport officiel en présence du bruit que cet événement causait dans toute la contrée. Ce rapport parvint à LL. EE. déjà le 19 août, vingt jours avant celui où Mme de Warens embrassa effectivement la religion catholique.
Le petit conseil décida qu’il n’y aurait pour lui à s’occuper de cette affaire que lorsque M. de Warens serait venu lui-même porter plainte contre sa femme 2. Néanmoins sa détermination n’arrêta pas l’exécution des mesures provisionnelles que le procureur fiscal prit, conformément à la loi, pour la confiscation des biens de Mme de Warens au profit du gouvernement.
Divers empêchements et surtout la nécessité de rassurer /85/ ses créanciers qui, avertis par le bruit public du mauvais état de ses affaires, commençaient à s’en émouvoir, retardèrent le départ de M. de Warens pour Berne. Il ne put s’y rendre que vers la fin d’août, accompagné de son ami Fontannes, alors en séjour chez lui. Admis le 29 de ce mois devant LL. EE., il les supplia d’arrêter les poursuites que le fisc avait déjà commencées et de bien vouloir lui accorder la requête, qu’il leur avait envoyée par l’entremise du bailli de Chillon, en lui cédant la propriété de ce qui restait encore de la fortune de sa femme, comme un juste dédommagement de toutes les pertes qu’il avait essuyées pour elle, pertes qui devaient nécessairement le conduire à sa ruine. Le résultat de sa démarche est consigné dans un mandat adressé le jour même par le bureau du Sénat à la chambre des trésorier et bannerets du Pays romand.
Après avoir préalablement constaté qu’en vertu des ordonnances souveraines les biens de Mme de Warens, « qui s’est enfuie de la maison de son mari et s’est convertie à la religion papistique, » appartiennent légalement à LL. EE. « surtout puisque son mariage n’a pas produit d’enfant, » cette pièce nous apprend que le Sénat fit aussitôt droit au solliciteur en ce qui concerne le premier point de sa requête. Quant au second point il ne se prononça pas encore à son sujet, mais le soumit au préavis de la chambre des trésorier et bannerets, qu’il chargea d’ordonner la prise d’un inventaire exact de la fortune et des dettes de la fugitive 1.
Comme une partie des propriétés de Mme de Warens se trouvait située dans la baronnie du Châtelard, c’est-à-dire en dehors du domaine direct de LL. EE., la chambre /86/ des trésorier et bannerets dérogea à l’usage suivi en pareil cas lorsqu’il s’agissait des biens-fonds d’une femme qui ne possédait point de juridiction seigneuriale. Elle confia l’exécution de l’enquête, dont elle avait été chargée, non point à la cour inférieure de la châtellenie de Vevey, mais au tribunal supérieur, à la cour du bailliage. Ce qui fut cause, dans les débuts, d’une vive protestation du châtelain de Vevey au sujet de ce qu’il regardait comme un empiétement sur sa compétence. Mais la difficulté fut finalement tranchée en faveur du bailli, par ordre exprès du grand conseil bernois 1. L’inventaire fut dressé à partir du 10 septembre 1726 par le lieutenant et le secrétaire baillival, assistés de deux justiciers pris dans les ressorts où ils fonctionnaient, soit successivement à Vevey et au Châtelard. 2
On commença par établir l’état de la fortune mobilière et immobilière de Mme de Warens, qui fit l’objet d’une première liste, marquée en tête de la lettre A, et que nous n’avons pu malheureusement retrouver, ni en original aux archives cantonales, ni en copie dans celles de la famille de Loys.
Nous pouvons cependant, d’autres actes qui nous restent, tirer la conclusion que cet état de fortune comprenait deux rubriques distinctes : d’abord la part de biens dont Mme de Warens avait lors de sa fuite la possession effective, puis celle qui devait lui revenir après la mort de sa belle-mère, en vertu du testament paternel. Nous verrons plus loin que la première de ces parts, grâce à une liquidation avantageuse, produisit la somme de 31 154 livres. /87/
En vue d’examiner les prétentions que M. de Warens élevait sur les biens de sa femme, par le motif que c’était principalement pour cette dernière et à sa sollicitation réitérée, qu’il avait contracté des dettes, on s’occupa, lorsque l’état de fortune fut fixé, de dresser le relevé exact de ce qu’il avait à exiger d’elle. Ces prétentions, classées sous différentes rubriques, d’après l’emploi qui avait été fait de l’argent prêté, sont contenues dans cinq autres listes, numérotées de B. à F. et dont on retrouve encore une copie dans les papiers de la famille de Loys.
Elles se montent à un total de 18 877 livres. Une rubrique qui atteignait le chiffre de 6024 florins 5 sols (soit 2409 livres 23 sols) ayant été oubliée par erreur dans l’addition d’une des listes qui furent remises à LL. EE., M. de Warens se vit contraint, le 9 décembre 1726, d’envoyer là-dessus un mémoire rectificatif 1.
L’incertitude poignante que M. de Warens éprouva dans l’intervalle au sujet de la décision que devait prendre le sénat de Berne, fit qu’il ne négligea aucune démarche qu’il crut utile pour faire pencher en sa faveur une solution capitale pour lui. Si le souverain ne faisait que reconnaître le bien-fondé de ses prétentions, il pouvait, il est vrai, faire valoir ces dernières avec bon résultat vis-à-vis de LL. EE., dans le cas d’une confiscation; vis-à-vis des héritiers de Mme de Warens ou aussi éventuellement vis-à-vis de cette dame elle-même 2, dans le cas où la /88/ confiscation n’aurait pas lieu. Mais le montant de ces prétentions n’était point encore suffisant pour conjurer sa ruine.
Par contre si le souverain, après avoir prononcé la confiscation des biens, consentait, par une preuve particulière de bienveillance, à lui en céder l’entière propriété, sa situation deviendrait assurément meilleure, car il serait alors en mesure de satisfaire ses créanciers et il lui resterait quelque actif. Pour se prémunir contre les éventualités d’une compétition soit de la famille de sa femme, soit plus tard peut-être de sa femme elle-même, il résolut d’amener Mme de Warens à lui faire une donation entre vifs, rédigée en bonne forme, de tout ce qu’elle lui avait apporté 1.
S’il réussissait à obtenir cette donation, il n’aurait plus à craindre qu’une confiscation au profit de LL. EE., contre laquelle aucun acte de ce genre ne pouvait avoir d’effet 2. Depuis la visite qu’il avait faite à sa femme à Evian, M. de Warens avait reçu d’elle trois lettres où elle l’engageait vivement à venir la voir à Annecy. Il n’avait répondu qu’à la première de ces lettres. A la réception de la troisième il se détermina à suivre l’appel de son épouse, et à en profiter pour la convaincre de faire en sa faveur la donation qu’il désirait; le 24 septembre il arrivait à Annecy. /89/
M. de Warens ne semble pas avoir été tout à fait sincère lorsqu’il écrivait qu’il ne s’était pas rendu dans cette ville en vue d’obtenir la dite donation. La manière dont il s’y prit à cet égard, dans son entrevue avec sa femme, le prouve avec certitude; c’est lui qui amena le premier l’entretien sur le sujet. Les directions précises qu’il donna à Mme de Warens, de son propre aveu, en ce qui concerne la rédaction de l’acte, les raisons qu’il invoqua pour démontrer la nécessité de celui-ci, tout en un mot établit la vraisemblance qu’il y songeait antérieurement.
M. de Warens nous a donné lui-même les détails de cette entrevue, la dernière qu’il eut avec sa femme, dans la lettre que nous publions à la fin de cette notice, et à laquelle nous renvoyons nos lecteurs 1.
Le sentiment n’occupa, nous le croyons, que peu de place dans la réunion des époux. Il y fut principalement question de la donation entre vifs, qui fit l’objet d’un acte notarié, stipulé le 26 septembre 1726 dans la maison des aumôniers du couvent de la Visitation. M. A. Metzger a retrouvé de nos jours cet acte et l’a publié dans son ouvrage « La conversion de Mme de Warens. »
La cession de biens était générale, la donatrice ne se réservait que mille livres de Savoie, en dédommagement des avantages qui lui étaient assurés par son contrat de mariage. M. de Warens lui fit en outre, avant de la quitter, un billet lui assurant une rente annuelle de trois cents livres, si sa donation était agréée de LL. EE. — Ce billet, il eut le soin de le retirer depuis lors. — Le malheur rend égoïste. On ne peut toutefois s’empêcher de trouver incorrecte cette conduite de l’époux, annulant par surprise /90/ une charge relativement légère, sous prétexte que c’était en vertu d’une confiscation de LL. EE., et non point de la donation de sa femme, qu’il avait été mis en possession des biens de celle-ci. Si cette donation n’avait pas eu lieu, LL. EE. eussent eu, assurément, plus grand scrupule de lui faire cession de ces biens au détriment de la famille de la Tour !
Il est certain que l’entrevue d’Annecy laissa du froid entre les deux époux. Plusieurs semaines s’écoulèrent sans qu’ils se donnassent signe de vie. Mme de Warens envoya enfin à son mari une lettre dans laquelle elle témoignait l’intention formelle de rompre à l’avenir tout commerce avec lui. Ceci néanmoins n’exclut point à nos yeux tout sentiment d’affection à son égard. Car il nous paraît compréhensible que n’ayant plus aucune espérance, aucune possibilité de le revoir, elle ait préféré briser tout de suite, afin de s’éviter de plus longs crève-cœur. Pour M. de Warens, sa femme n’avait plus de prestige, il paraît s’être consolé instantanément de sa perte, puisqu’il ne l’honora pas même d’une réponse. Sans plus s’inquiéter d’elle, il se mit en mesure de faire usage de la donation entre vifs qu’elle avait faite en sa faveur. Fortement appuyé par d’influents protecteurs, il présenta humblement cette pièce à LL. EE. en se recommandant « à leur bienveillance ordinaire. » Sur le vu de cet acte, qui réduisait à néant toutes les prétentions de la famille de la Tour, le sénat de Berne, considérant qu’il ne trouvait aucun avantage particulier dans une confiscation à son profit, puisque le bénéfice à réaliser, selon la tournure plus ou moins onéreuse que prendrait la liquidation, pouvait bien ne pas dépasser, /91/ toutes dettes déduites, les lods qu’il tirerait de ces biens, s’il les laissait à M. de Warens, consentit à lui céder, après un préavis favorable de la chambre des bannerets, daté du 21 décembre 1726 1, la portion de la fortune de sa femme qu’il avait en mains. A la condition cependant d’en employer tout d’abord les revenus au paiement de ses créanciers « parmi lesquels sa femme ne devait pas être comprise. » Quant au reste de cette fortune, dont Mme de la Tour née Flavard avait jusqu’alors eu la jouissance et devait maintenant hériter, en vertu du testament de son mari, on renvoya jusqu’après la mort de cette dame la question de savoir s’il serait confisqué ou non. Ce fut en vain que M. Gamaliel de Rovéréa, oncle maternel et tuteur des enfants de feu Jean-Baptiste de la Tour, cousin de Mme de Warens, contesta la légalité de la substitution instituée par le père de cette dernière, en faveur de sa seconde femme, sous prétexte que le défunt ne pouvait pas, d’après les Statuts du pays de Vaud (p. 303, § 2), disposer de l’héritage d’enfants morts après lui. Le procès qu’il intenta à M. de Warens et à Mme de la Tour, pour casser les décrets rendus en leur faveur et assurer tout de suite à ses pupilles la possession des biens qui en étaient l’objet, ne fit que confirmer la décision que LL. EE. avaient prise, par un nouvel arrêt du 27 mars 1727.
La manufacture de bas de soie, fondée par Mme de Warens, ayant cessé de marcher dans l’intervalle, faute d’argent pour l’alimenter, il s’était présenté devant le Conseil de la ville un sieur Antoine Servet, du Vivarais, pour demander la transmission en sa faveur des privilèges divers dont elle /92/ avait jusqu’alors joui 1. Il se fondait dans sa supplique sur ce que cette manufacture ne remplissait plus les obligations auxquelles elle était astreinte par sa convention avec l’autorité municipale. Le Conseil, tenant compte de ses raisons, venait de lui concéder le droit d’établissement, en l’absence de M. de Warens, le 2 décembre 1726, lorsque celui-ci dans la séance suivante, qui eut lieu le 5 décembre, protesta énergiquement contre cette résolution, par le motif qu’elle était contraire à l’octroi fait à sa femme, le 10 septembre 1725. Ce qui fit qu’on délibéra de suspendre la réception de Servet jusqu’au jour où LL. EE. auraient prononcé leur jugement sur la liquidation des biens de Mme de Warens. Après quoi, si la manufacture actuelle ne reprenait pas ses travaux, le Conseil se verrait contraint de lui retirer la concession qu’il lui avait faite, cette concession ne pouvant subsister que tant que la fabrique marchait 2.
M. de Warens demanda quelques jours pour réfléchir sur ces conclusions. Le lundi suivant il déclara que puisque la réception de Servet était sursise il sursoyait aussi son action contre lui et agréait ainsi la décision du Conseil 3.
Le 9 janvier 1727 il renonça définitivement en faveur de Servet au monopole et aux privilèges dont sa manufacture avait la jouissance, en échange de la restitution du lod qu’il avait payé quelques années auparavant à la ville pour la maison dans laquelle cette manufacture se trouvait établie 4. /93/
Quoique montée sur un pied incomparablement plus modeste que celle de Mme de Warens, — elle ne se composait que de deux ou trois métiers, — l’entreprise industrielle de Servet n’eut pas un meilleur sort que cette dernière. Elle finit déjà au bout de quelques mois 1.
Lorsque M. de Warens eut fermé sa manufacture il ne se sépara pas tout d’abord du directeur de celle-ci. D’une part il ne pouvait solder momentanément son compte, d’autre part Saint-André lui était encore utile pour la garde et la vente de l’outillage, des marchandises en magasin. Depuis son voyage à Annecy, il éprouvait à l’égard de cet employé des sentiments plutôt hostiles. Car il le suspectait vivement d’être d’accord avec sa femme fugitive pour abuser de sa confiance. Le souvenir de certains envois de marchandises que Saint-André avait faits à cette dame en Savoie, une lettre que celle-ci adressa au jeune homme et que M. de Warens intercepta, donnaient quelque apparence de réalité à ses soupçons. Aussitôt que ses moyens pécuniaires le lui permirent, au mois d’avril 1727, il s’empressa de lui signifier son congé en réglant ses prétentions au plus juste 2.
La famille de Loys, indignée de la conduite de Mme de Warens vis-à-vis de son mari, pressait vivement ce dernier de demander son divorce, en se basant sur une loi consistoriale, récemment promulguée 3. /94/
Au commencement de janvier 1727, M. de Warens écrivit à M. de Pluviannes, avocat lausannois, qui se trouvait dans le moment à Berne, de faire à ce sujet les démarches nécessaires. Vu les circonstances exceptionnelles dans lesquelles la fuite avait eu lieu, et qui ne laissaient aucun espoir de voir apparaître l’épouse aux citations réglementaires, on raccourcit les formalités. Le 24 février suivant, le divorce put déjà être prononcé par le Consistoire suprême contre Mme de Warens, à cause de sa désertion malicieuse et de son abjuration du protestantisme 1.
Après avoir obtenu son divorce, M. de Warens continua de vivre à Vevey, où il conserva ses fonctions d’assesseur baillival et le siège qu’il occupait au Conseil. Sa considération ne parut pendant longtemps pas souffrir de la triste situation pécuniaire à laquelle il était réduit 2. Rassurés de la tournure plus favorable que promettait à leurs prétentions la cession de LL. EE., ses créanciers /95/ s’étaient montrés patients pendant toute la durée du procès avec M. de Rovéréa. Il essaya d’en tirer parti pour sauver d’une liquidation trop précipitée, et partant trop désastreuse, quelques-uns des biens-fonds qu’il possédait encore, soit de son chef, soit de celui de sa « déserteuse. » Ces biens-fonds étaient déjà pour la plupart fortement hypothéqués. Il contracta sur eux de nouvelles dettes dans le but de payer des accomptes à ses créanciers chirographaires, augmentant ainsi ses charges sans satisfaire suffisamment ceux auxquels il devait. La seigneurie de Vuarens qu’il dut vendre le 28 mars 1728 pour le prix de 27 350 livres à M. le major Bergier, ne lui rapporta, après déduction de deux lettres de rente qu’il remboursa, l’une à la ville d’Yverdon, l’autre à M. Bergier lui-même, et d’un solde qui devait lui être payé au bout de l’année qu’une somme de 5854 livres 19 sols, tout à fait insuffisante pour faire face à des payements immédiatement. exigibles 1. Menacé de prochaines poursuites, son amour-propre s’en exagéra l’importance; il se crut déjà livré à la ruine et au déshonneur. Saisi d’une terreur irraisonnée, il quitta Vevey sans indiquer à qui que ce soit le but de son voyage et en n’avertissant de son départ que son frère d’Orsens. Ce départ précipité, qui ressemblait fort à une fuite, causa beaucoup d’agitation au milieu de ses créanciers 2. Plusieurs d’entre eux prirent les devants pour s’emparer, à titre de gage, des propriétés immobilières que M. de Loys (car depuis la vente de sa seigneurie de Vuarens il avait repris ce nom) possédait encore à Lausanne, à Lutry, à Vevey et à Chailly. L’autorité judiciaire dut /96/ intervenir avec promptitude dans ces différentes localités pour sauvegarder les intérêts des autres personnes, à qui il devait, en ordonnant partout le séquestre et l’apposition des scellés 1. Une liquidation juridique fut commandée par la chambre suprême des appellations romandes, qui, sans doute, pour les mêmes raisons qu’avait autrefois invoquées la chambre des bannerets romands dans l’enquête concernant la succession de Mme de Warens, confia l’affaire au tribunal baillival de Vevey et non pas à la justice inférieure, comme c’était ordinairement l’usage. De là, un nouveau conflit de compétence entre les deux cours, conflit qui, en retardant la liquidation, donna le temps à la famille de Loys de se concerter dans l’intérêt d’un de ses membres 2.
Le souverain, à ses instances, consentit à suspendre toute action judiciaire, en échange de son engagement formel de payer intégralement les créanciers. Elle nomma alors deux de ses membres, Daniel de Loys, seigneur de Middes, et Jean-Guillaume de Loys, seigneur de Bochat pour vaquer à ce règlement 3. Par des mesures aussi promptes qu’habiles ces deux messieurs réussirent à vendre en peu de temps la plupart des biens-fonds, entre autres la maison de Vevey, le domaine de Chailly et des prés à Blonay 4.
Sur ces entrefaites on recevait à Vevey la nouvelle que M. de Loys se trouvait en séjour en Angleterre, dans le comté d’Essex, chez le ministre Barber. Il cherchait dans /97/ ce pays, sans pouvoir le trouver, un emploi bien rétribué et convenable à un homme de son rang. Tenu par sa famille au courant de ce qui se passait à la maison, il avait eu connaissance des craintes que son départ subit avait causé à ses créanciers. Il avait été aussi informé par elle de l’intention du Conseil de Vevey de donner à un autre la place qu’il occupait dans ce corps, le considérant comme démissionnaire puisqu’il était absent sans congé. Comme il tenait à cette place, qu’il comptait encore la remplir s’il ne trouvait rien d’avantageux en Angleterre, il écrivit de Brentwood à M. Gignilliat une lettre, que celuici produisit en Conseil le 15 juillet 1728, et dans laquelle il lui demandait de solliciter en son nom ses collègues de ne pas donner pour le moment à quelque autre sa charge de conseiller. Il lui marquait ensuite qu’il écrirait sous peu « aux honorés seigneurs du Conseil pour les prier de cela 1. »
En effet, le 22 juillet, il adressa du même endroit au Conseil une lettre d’excuses sur ce qu’il était parti sans congé. Il priait ses collègues de « luy conserver son poste, voulant venir fonctionner sitôt que l’arrangement de ses affaires dans cette ville sera fait 1. »
Le Conseil délibéra d’avoir encore patience jusqu’au retour de M. de Loys. Ce retour eut lieu le 3 novembre. Le jour suivant le nouveau débarqué se rencontra à Vullierens avec MM. de Middes et de Bochat pour prendre connaissance de leur compte, quoique la liquidation de ses biens ne fût point encore terminée. Ses parents lui donnèrent avis de tout ce qu’ils avaient fait, soit pour la /98/ vente des immeubles, soit pour amener la rentrée des capitaux prêtés. Ils l’informèrent aussi de l’emploi qu’ils avaient fait de l’argent reçu, des dettes qu’ils avaient encore à payer et de l’assurance où ils étaient d’ores et déjà de liquider définitivement ses affaires avec un solde en sa faveur.
M. de Loys approuva leur gestion, leur en témoigna sa reconnaissance et les pria de bien vouloir continuer à s’occuper de ses intérêts. Et comme il ne pouvait, disait-il, attendre personnellement l’issue de la liquidation, puisqu’il devait retourner en pays étranger, il se fit remettre une partie de l’argent qui était immédiatement disponible 1.
Le séjour de M. de Loys dans le Pays de Vaud fut cependant plus long qu’il ne l’avait pensé de prime abord. Ne désirant pas retourner à Vevey où il ne rencontrait que des souvenirs pénibles et où la conduite des autorités, dans ses embarras financiers, lui avait paru d’une dureté excessive, il envoya le 20 décembre 1728 sa démission de membre du Conseil de cette ville 2. En même temps il fixa son domicile à Lausanne dans la maison de M. de Villardin, son père. C’est là que MM. de Middes et de Bochat lui produisirent, le 24 août 1729, leur compte final de liquidation. Il résulte de ce document que la somme des dettes payées pour Mme de Warens, en y comprenant toutes les reprises de son mari (18 877 livres) et les emprunts qui avaient grevé ses biens, s’était élevée au chiffre de 30 440 livres 9 sols. Une note de M. de Loys /99/ nous montre d’autre part que la fortune de sa femme, par suite de l’heureuse vente des immeubles, se monta à 31 154 livres 1. Somme toute, il rentra ainsi en possession de ses propres avances, avec un bénéfice d’environ 700 livres.
Aussitôt après ce règlement final M. de Loys quitta Lausanne, appelé en qualité de gouverneur auprès du jeune prince Victor-Lebrecht d’Anhalt-Bernburg-Hoymb. Le passeport que lui donnèrent à cette occasion le bourgmaître et le Conseil de sa ville natale, daté du 19 août 1729, l’appelle « noble et généreux Sébastien-Isaac De Loys, capitaine d’une compagnie de fusilliers au service de LL. EE. de Berne 2. »
Parti du Pays de Vaud le 31 août il rejoignit son élève en Hollande, dans la forteresse de Mæstricht, après un voyage par terre et par eau, dont la relation autographe existe encore. Cette relation très curieuse et intéressante se présente sous la forme de notes détachées, topographiques, ethnographiques et historiques, entremêlées d’observations personnelles et de comptes d’auberge 3. Le landgrave de Hesse-Philipsthal, officier général au service des Pays-Bas, beau-frère et tuteur du jeune prince d’Anhalt, remit le 30 septembre à M. de Loys sa commission de gouverneur. Chargé d’accompagner son élève dans des voyages en divers pays de l’Europe, il se mit aussitôt en route avec /100/ lui. Mais ils n’allèrent que jusqu’à la Haye où le prince déclara vouloir retourner à Mæstricht 1. Au bout de treize mois de service 2 M. de Loys se détermina, on ignore pour quel motif, à résigner ses fonctions de gouverneur et à se rendre à Londres en quête d’un nouvel emploi. C’est pendant qu’il séjournait dans les environs de cette ville, à Islington, où il vivait dans une position très modeste, attendant de rechef une place du crédit de quelques protecteurs, qu’il fut informé, par une lettre de son beau-frère, M. de Middes, que sa femme « la Savoyarde » comme il la surnommait parfois, avait adressé au sénat de Chambéry une requête contestant la validité de la donation entre vifs qu’il avait obtenue d’elle lors de son voyage à Annecy. Cette tentative de Mme de Warens n’était point la première qu’elle avait faite pour rentrer en possession de ses biens. Déjà en 1728, lorsqu’elle eut acquis la certitude que son mari ne s’acquitterait pas vis-à-vis d’elle des obligations qu’il avait contractées à Annecy, lorsqu’elle eut aussi été instruite de la vente de ses propriétés foncières 3, elle avait déjà fait parvenir à la justice savoisienne une première, mais inutile protestation. Si elle renouvella en 1732 sa démarche, c’est parce qu’apparemment elle était alors dans le besoin ou plutôt qu’elle craignait, plus qu’à toute autre époque, de perdre la pension qu’elle tenait de la munificence royale 4. Plus habilement conseillée qu’en 1728 elle /101/ ne chercha pas à atteindre personnellement son mari par des poursuites qui ne pouvaient avoir aucun effet hors des Etats du roi de Sardaigne. Mais se fondant sur une disposition du droit romain, encore en vigueur dans ces Etats, elle demanda la saisie de plusieurs créances que le seigneur de Villardin, père de M. de Loys, avait à réclamer en Savoie, par le motif que ce seigneur, ayant été présent et consentant au mariage de son fils, se trouvait être civilement responsable de la dot qu’elle avait apportée à ce dernier. Et le sénat, sur sa requête, avait cru devoir autoriser le séquestre de ces créances.
Nous avons eu déjà très souvent occasion de mentionner la lettre que M. de Loys écrivit à son beau-frère en réponse à ces nouvelles attaques. En collaboration avec M. Eug. Ritter nous en avons publié les parties les plus intéressantes dans la Bibliothèque universelle, livraison de mai 1884. Aujourd’hui nous la publions en entier dans sa teneur originale parmi les pièces justificatives du présent ouvrage 1.
Tout en manifestant son indignation contre le noir procédé employé par sa « déserteuse » et en priant M. de Middes de ne négliger aucun moyen propre à obtenir mainlevée du séquestre ordonné par le sénat de Chambéry, M. de Loys réfute dans cette lettre, article après article, la requête de sa femme. Dans le désir de se justifier auprès de sa famille et particulièrement auprès de son père, qui se trouvait gravement lésé par les mesures provisionnelles prises contre ses débiteurs de Savoie, il saisit l’occasion de faire le récit rétrospectif de la fuite de son épouse et des deux entrevues qu’il avait eues avec elle à Evian et à Annecy. /102/ Nous avons fait part plus haut à nos lecteurs de l’impression que nous laisse ce précieux document, le seul qui jusqu’ici ait jeté une pleine lumière sur la période la plus importante, la période décisive, de la vie de Mme de Warens.
Nous avons indiqué les raisons qui nous font croire à sa sincérité, à son impartialité relative. Il nous parait donc inutile de revenir encore une fois à son sujet. Disons seulement qu’à la réception de cette lettre MM. de Middes et d’Orsens, d’accord avec M. de Villardin, consultèrent un avocat de Montmélian, M. Vignet, sur les démarches qu’il y avait à faire pour amener la levée du séquestre.
M. Vignet reconnut l’incompétence des tribunaux de Savoie dans un procès qui concernait deux sujets de LL. EE. de Berne. Sans indiquer comment la chose était faisable il déclara qu’il fallait à tout prix faire transférer la cause devant les tribunaux bernois 1. Il est certain toutefois que l’on ne réussit point à obtenir le changement du for, puisque le procès continua jusqu’au bout à se dérouler en Savoie.
Nous n’avons guère d’autres renseignements sur ce procès, si ce n’est qu’il se prolongea jusqu’au 24 mai 1734, époque où le séquestre des sommes dues à M. de Villardin fut définitivement levé, la demanderesse s’étant désistée de l’action qu’elle avait ouverte contre lui 2. Il a été dit un peu plus haut que, grâce à l’administration habile et dévouée de MM. de Middes et de Bochat, la position pécuniaire de M. de Loys s’était montrée, après le /103/ règlement de compte final, plus favorable que l’on ne l’avait d’abord prévu. Depuis lors un petit héritage l’avait encore rendue meilleure, de sorte que, déjà le 27 décembre 1731, M. de Middes pouvait écrire à son beau-frère : « Je me flate que tu n’insisteras pas davantage à chercher fortune en Angleterre puisque tu en as une toute faite dans ton pays, ayant assés de quoy vivre si les voyages ne diminuent pas tes fonds 1. »
M. de Loys céda à l’appel de sa famille et vint s’établir au pays au mois de juin 1734.
Rentré à Lausanne il fut élu au conseil de la ville au mois de septembre de l’année suivante, et occupa successivement dans ce corps les charges de maisonneur, 20 septembre 1737, et de haut forestier, octobre 1744 2. On voit que l’estime de ses concitoyens l’avait toujours entouré. Il était libre de se remarier, mais l’âge était venu et le passé n’était pas encourageant. Les archives de sa famille ont conservé de mauvais vers qu’il adressait en septembre 1736 à Mme la juge Seigneux :
Non, je ne serai plus constant dans mes amours,
Et je fais vœu de badiner toujours,
Plutôt que de languir dans un cruel empire
Vaut-il pas mieux de jour en jour changer ?
En liberté à présent je respire,
Et je mourrai plutôt que de me rengager 3./104/
A la mort de son père, survenue en 1739, il devint seigneur de Chanéaz 1. Il mourut lui-même à 66 ans, le 29 octobre 1754. Le 31, il fut enseveli au cloître de la cathédrale dans la chapelle de sa famille, dont les arcades existent encore aujourd’hui au plain-pied de la maison Guignard.
Il ne nous reste plus que peu de mots à dire sur les derniers rapports de Mme de Warens avec sa patrie et avec sa famille. Pendant une période de dix-neuf ans, qu’elle employa en partie à faire l’éducation de Jean-Jacques Rousseau, ce qui est la source de toute sa renommée, elle n’avait donné de ses nouvelles à aucun des siens. Toute relation paraissait donc rompue, lorsqu’à l’instigation de Françoise-Marie de la Tour, qui s’était mariée dans l’intervalle avec le capitaine Jean-François Hugonin 2, elle renoua pour quelque temps avec cette nièce, qu’elle avait autrefois élevée, un commerce épistolaire. Nous allons dire en quelles circonstances.
Dans leur jugement du 26 décembre 1726, relatif à la fortune personnelle de Mme de Warens, LL. EE. du grand conseil de Berne, tout en reconnaissant formellement l’incapacité civile de cette dame, tant qu’elle demeurerait catholique et absente du pays, avaient déclaré vouloir /105/ suspendre leur décision au sujet du séquestre, qu’elles étaient en droit d’imposer sur la portion de ses biens, qui constituait le douaire de Mme de la Tour, née Flavard, jusqu’après la mort de cette dernière. C’était ouvrir la substitution prévue par le testament de M. Jean-Baptiste de la Tour. Car Mme de Warens étant légalement reconnue morte ab intestat, les biens en question devinrent par une clause de ce testament la propriété de sa belle-mère. Deux conditions cependant étaient faites à Mme de la Tour. L’une avait son origine dans les dernières volontés de son mari défunt, c’était de restituer à sa mort l’héritage à un ou plusieurs des plus proches parents de ce dernier. L’autre lui était implicitement imposée par les lois même de la république. Celles-ci, prévoyant la possibilité de la rentrée d’un prosélyte au pays et dans le sein de l’église réformée, réservaient au sénat, en tout temps, la faculté de le grâcier et de lui rendre sa fortune. Pareille éventualité se présentant, Mme de la Tour eût été tenue de remettre aussitôt à Mme de Warens la possession effective des biens qu’elle tenait de son héritage, en n’en gardant que l’usufruit comme avant la sentence de 1726. Néanmoins elle en conserva pendant toute sa vie la tranquille propriété. Persuadée sur la fin de ses jours que sa belle-fille ne remplirait jamais les conditions qui devaient lui permettre un retour en grâce, elle songea à exécuter le vœu de son époux en faisant rentrer ces biens dans la famille de la Tour. A cet effet elle les légua au seul membre de cette famille qui existait alors dans le Pays de Vaud, à Françoise-Marie Hugonin. Il va sans dire que cette institution d’héritier devait être subordonnée à la même condition légale qu’elle avait personnellement dû subir. /106/
Mme de laTour, née Flavard, étant morte le 28 avril 1745, le bailli de Vevey, Abraham de Graffenried, écrivit peu de jours après au grand conseil de Berne pour lui rappeler son arrêté du 26 décembre 1726, en demandant s’il y avait lieu de procéder tout de suite à la confiscation des biens, qui avaient autrefois appartenu à Mme de Warens 1. Mme Hugonin, héritière de cette portion de la fortune de Mme de la Tour, n’ignorait pas qu’un séquestre pouvait la frapper d’un jour à l’autre. Elle se bâta d’adresser à l’autorité suprême une requête dans laquelle elle posait en fait que c’était manifestement par erreur que l’on avait discuté en 1726 la confiscation de ce patrimoine, puisque l’Etat ne pouvait, sans injustice, comprendre dans une mesure de ce genre que les biens dont Mme de Warens avait alors la libre disposition. Quant à ceux dont était question ici, ils n’étaient en réalité pas sa propriété exclusive, attendu que la substitution ordonnée par feu son père les réservait après elle à d’autres membres de la famille, qui seraient punis bien à tort si la confiscation avait lieu. Pour cette raison Mme Hugonin suppliait le gouvernement bernois de ne pas prononcer cette confiscation, mais de sanctionner la dernière volonté de sa grand’tante en la reconnaissant elle-même pour propriétaire légitime de tous les biens qui composaient le douaire de Mme de la Tour 2.
Nous voulons bien croire que Mme Hugonin n’avait pas intention de léser par cette requête les droits de propriété de Mme de Warens dans le cas où cette dame, revenue dans le Pays de Vaud, aurait eu l’idée et la faculté de faire usage de ceux-ci. Une telle action eût été de sa part de la plus noire ingratitude vis-à-vis d’une femme qui, jadis, /107/ lui avait tenu lieu de mère. Cependant la précipitation dont elle fit preuve dans l’envoi de sa requête à LL. EE. ainsi que l’insistance avec laquelle elle demanda d’être mise tout de suite en possession des biens que sa grand’tante venait de lui léguer et dont elle était seule propriétaire légitime « comme des siens propres à elle dévolus en vertu de la substitution susénoncée, » donnèrent l’idée à plusieurs autour d’elle qu’elle craignait, pour son héritage, une compétition éventuelle de Mme de Warens, et qu’elle cherchait à entraver, si ce n’est à empêcher entièrement, cette compétition en obtenant, avant qu’elle eût surgi, un arrêt souverain, favorable à sa requête. C’est le sentiment qui parut dominer dans la chambre des bannerets du Pays de Vaud, que le sénat avait chargée de l’instruction de l’affaire, lorsque le trésorier Christophe Steiger présenta à ce corps cette requête en l’appuyant d’un rapport affirmatif. Des voix s’élevèrent pour faire observer que Mme de Warens n’ayant point encore fini de vivre, pouvait rentrer tôt ou tard dans le pays et dans le giron de l’Eglise; que dans ces conditions elle aurait le droit de solliciter la restitution de la fortune qu’elle avait autrefois possédée; qu’en vue d’une pareille éventualité il était du devoir de l’Etat, s’il ne lui convenait pas de s’emparer par confiscation de cette fortune, de la frapper néanmoins d’un séquestre et de l’administrer lui-même, plutôt que de la laisser entre les mains de parents intéressés, qui auraient peine à s’en dessaisir. Sur leur proposition, on décida presque unanimement de soumettre cette mesure à la sanction de LL. EE. Le capitaine Hugonin, instruit par des amis bernois du résultat inattendu de cette séance, comprit la sévère leçon contenue dans cet arrêté. Il s’appliqua dès lors à effacer /108/ autant que possible l’impression défavorable qu’avait produite sur les esprits la démarche intempestive de sa femme. A cet effet il adressa au gouvernement bernois une requête personnelle, dans laquelle il offrait de donner toutes les garanties qu’exigeraient LL. EE, pour la sécurité des droits de Mme de Warens, relativement au petit domaine que cette dame avait possédé au Basset, si elles accordaient à Mme Hugonin la possession provisionnelle de ce domaine, que Mme de la Tour née Flavard lui avait légué 1.
Vers le même temps Mme Hugonin se mettait en correspondance avec sa tante pour essayer d’obtenir d’elle une donation entre vifs en sa faveur, dont elle se proposait de faire, vis-à-vis de LL. EE., l’usage qui avait si bien réussi autrefois à M. de Warens. Nous n’avons pu, malgré nos recherches, retrouver que la mention très succincte de cette correspondance et quelques allusions au but qui y était poursuivi. Quant à son résultat il nous est jusqu’ici inconnu. Il paraîtrait toutefois que les propositions de Mme Hugonin, ou plutôt de son mari, car c’est lui qui prit le plus souvent la plume pour sa femme, n’eurent pas auprès de leur parente le succès qu’ils en attendaient, autrement les deux époux auraient sans doute produit en temps utile une donation si importante pour eux.
On comprendra que, mise sur ses gardes par les désillusions qu’elle avait eues à propos de sa première donation, Mme de Warens ne se sentait guère disposée à faire un nouvel abandon de ses droits, dût-elle même se trouver hors d’état de les faire valoir pour son compte. Elle était d’autant moins prête à ce sacrifice qu’il lui était demandé par des parents que l’intérêt personnel portait seul à lui /109/ donner signe de vie, après si longue interruption. Une fois mis en possession de son avoir, ils pourraient bien eux aussi, comme autrefois son mari, ne lui en savoir aucun gré.
Du reste sa situation pécuniaire ne se présentait plus à ses yeux sous l’aspect brillant que ses rêves d’avenir lui avaient fait entrevoir dans les premiers temps de son séjour en Savoie. Elle avait commencé à connaître la misère et vivait accablée de dettes. Dans ces conditions elle se sentait tenue de songer avant tout à elle-même. Elle nourrissait en outre un secret espoir que le gouvernement bernois, radouci par le temps à son égard, finirait par user de clémence et par lui rendre la propriété de ses biens. C’est ce qui explique les démarches qu’elle fit à cette époque dans deux courses mystérieuses à Thonon et à Evian. Le curé de Gruffy, Pierre Léonard, qui nous instruit de ces voyages dans une lettre qu’il lui adresse, lui écrivait au sujet du second, le 10 décembre 1745 : « Une personne de Thonon me dit il y a quelque tems que vous aviés été jusques à Evian incognito sous le nom de la comtesse de Conzier pour expérir des intérêts de famille sur lesquels vous aviés droit et celà outre celui que vous avés acquis sur vos propres biens par la nullité de votre donation, cassé au sénat 1. »
Mme de Warens avait certainement ses raisons de prendre un nom d’emprunt à Evian, où le sien était si connu, et de garder un profond silence sur le but et le résultat de son voyage. Elle craignait sans doute d’attirer sur ses faits et gestes l’attention des officiers du roi et de perdre ainsi sa pension. Car comme le bruit de son retour courut alors /110/ avec persistance à Vevey, on peut se demander si ce ne fut pas elle qui commença à le répandre, non point qu’elle eut effectivement l’intention de rentrer dans sa patrie et d’y reprendre ses anciennes croyances, mais pour faire pencher en sa faveur le bon vouloir de LL. EE. Qui d’autre aurait eu intérêt à accréditer dans le moment actuel cette fausse information ? — Ce n’est assurément pas Mme Hugonin. Disons ici que c’est peut-être à ce bruit que le curé Léonard faisait allusion lorsqu’il écrivait à Mme de Warens en post-scriptum de la même lettre « J’ai bien lieu de craindre que tout ce qu’on dit ici à ce sujet à Annessy et ailleurs mérite confirmation 1. » La correspondance entre Mme de Warens, d’une part, M. et Mme Hugonin, d’autre part, se continua bien au delà de la sentence souveraine, qui trancha vers la fin de l’année le procès de la succession de la Tour. Sans l’avoir vue on peut juger par sa durée qu’elle dut être courtoise, peut-être même cordiale. Les circonstances dans lesquelles elle s’ouvrit, la situation réciproque des correspondants, excluent en revanche toute supposition qu’elle ait jamais été intime.
Nous ne craignons pas d’être démenti en avançant que dans ces lettres, écrites si longtemps après sa sortie du pays à une nièce, qui n’avait encore que quinze ans à l’époque de cette sortie, et aussi à un homme qui lui avait été jusqu’alors étranger, le capitaine Hugonin, Mme de Warens s’est bien gardée de toucher à des détails confidentiels sur les faits qui ont précédé sa fuite et sa conversion au catholicisme; que l’on n’y trouvera, par conséquent, pas la moindre lumière sur ses prétendues liaisons avec MM. de Tavel et Perret. Ce n’est pas là non plus /111/ qu’il nous faudra chercher le récit de ses amours avec Claude Anet, Rousseau et Wintzenried, en supposant même, ce qui aurait lieu de nous surprendre, que l’un ou l’autre de ces noms y figure.
Ce ne peut-être que cette correspondance, en totalité ou seulement en partie, qui a été présentée par M. Jules Cuénod à la Société d’histoire de la Suisse romande, dans sa séance du 9 octobre 1874. Il est à regretter qu’une discrétion par trop scrupuleuse nous ait privé alors de détails suffisants sur le contenu de ces lettres.
Presque en même temps que la requête de M. Hugonin, dont il a été question plus haut, parvenait à LL. EE. une réclamation du baron du Châtelard, datée du 18 mai 1745 1. Ce seigneur leur exposait, en termes respectueux, que le plein exercice du droit de saisie lui appartenait exclusivement dans les limites de sa baronnie, en vertu de concessions et de confirmations octroyées à ses prédécesseurs par les différents souverains qui s’étaient succédé à la tête du pays, et particulièrement par l’Etat de Berne lui-même. Il se faisait fort de prouver par des actes et par des exemples nombreux que les barons du Châtelard avaient depuis les temps anciens joui de ce droit sans conteste, de sorte que chaque fois que LL. EE. avaient décrété une confiscation, elles leur avaient attribué pour leur part tous les biens du condamné gisant dans leur juridiction. Dans le cas présent la situation n’était point autre. C’est pourquoi il demandait que si les biens de Mme de Warens devaient être confisqués, conformément aux arrêts souverains qui décrétaient la chose en principe, il lui fût adjugé le domaine du Basset comme faisant partie de sa terre. Il ajoutait /112/ que ce n’était pas pour son fisc qu’il réclamait l’adjudication du domaine, mais qu’il avait promis ce dernier à ses ressortissants des villages de Brent et de Chailly, pour en consacrer les revenus à l’établissement d’un pasteur suffragant dans ce quartier de la paroisse de Montreux. A la lettre du baron se trouvait jointe une supplique, adressée directement au Conseil de Berne par les communautés de Brent et de Chailly et sollicitant la cession du Basset pour les besoins de leur culte 1.
LL. EE. se montrèrent, il faut l’avouer, assez embarrassées d’une compétition qu’elles auraient naturellement dû prévoir et dont elle ne pouvaient méconnaître l’importance. Si le droit que le baron invoquait se trouvait, après examen, justifié, c’était ce seigneur seul qui devait retirer tout l’avantage de la confiscation, ordonnée par les lois, puisque le domaine du Basset formait la majeure partie, si ce n’est la presque totalité, des biens sur lesquels celle-ci serait prononcée. L’Etat n’y trouverait donc dans ce cas qu’un très médiocre profit. En tout état de cause il n’y avait pour le moment rien d’autre à faire que de soumettre à une enquête les prétentions des divers compétiteurs. LL. EE. confièrent encore, selon l’usage, la direction de cette enquête à la chambre des bannerets du Pays romand, et pour donner à cette chambre tout le temps nécessaire de s’acquitter avec soin de son mandat, elles décidèrent de renvoyer leur jugement jusque après la Saint-Martin suivante 2. En même temps elles imposèrent jusqu’à cette date un séquestre sur les biens en litige, qu’elles firent administrer par un homme de confiance, 21 mai 1745. /113/
Dans l’inventaire, dressé en vue de ce séquestre par le tribunal de Vevey, on comprit par erreur quelques biens personnels de Mme Marie de la Tour, dont Mme Miol, née Flavard, sa sœur et son héritière, demanda aussitôt la livraison 1. Il ne fut cependant, paraît-il, pas facile de démêler ces biens de ceux qui provenaient de la succession de la Tour, puisque nombre d’entre eux durent rester englobés dans le séquestre jusqu’au jour du jugement final. Ce fut le 9 décembre 1745, cinq jours après qu’il eut reçu le préavis de la chambre des bannerets romands 2, que le sénat prononça une sentence conforme à ce préavis. Placée, par le résultat de son enquête, dans l’alternative de devoir reconnaître les droits, démontrés authentiques, du baron du Châtelard, si elle penchait pour la confiscation, ou bien, si elle y renonçait, ceux de Mme Hugonin, la chambre des bannerets avait eu recours à une autre issue en s’avisant de découvrir qu’à l’encontre des conclusions sur lesquelles avaient été fondés les arrêtés souverains du 26 décembre 1726 et du 1er avril 1727, il n’existait aucune ordonnance précise, légalement applicable au cas de Mme de Warens, puisque celle que l’on avait particulièrement en vue se trouvait annulée par des amendements contradictoires; qu’en conséquence on ne pouvait frapper cette dame ni de la mort civile ni de la confiscation. C’est pourquoi, sans vouloir préjuger la décision de LL. EE., elle leur proposait de ne pas prononcer cette confiscation mais de laisser à Mme de Warens la propriété de ses biens. A la condition toutefois que cette dame n’en aurait la possession réelle /114/ que lorsqu’elle reviendrait dans le pays et dans le giron de l’Eglise protestante. Jusqu’alors ils devaient continuer à rester sous séquestre, sous l’administration d’un régisseur, qui rendrait chaque année ses comptes au représentant de l’Etat.
En exécution de la sentence, qui consacra ce préavis, le bailli de Chillon fut chargé de maintenir définitivement le statu quo, c’est-à-dire l’administration d’office du domaine du Basset. Le régisseur de ce domaine, le lieutenant Jean-Louis Vincent, de Chailly, lui rendit son premier compte à la fin de 1746 1. Le revenu de cette année, et aussi de l’année suivante, fut-il effectivement envoyé, comme LL. EE. l’avaient décidé, à Mme de Warens, en Savoie ? c’est ce dont il n’est fait mention dans aucun acte. La seule chose qui soit hors de doute, c’est que déjà dans le cours de la troisième année les dispositions du souverain avaient changé vis-à-vis de Mme de Warens. Soit que le gouvernement bernois ait été fatigué d’attendre le retour de plus en plus improbable de cette dame, soit que celle-ci ait elle-même compris qu’elle ne pourrait à la longue conserver à l’étranger la jouissance de ses revenus et ait cédé, dans cette prévision, tous ses droits à sa nièce 2, — c’est ici que sa correspondance avec cette parente pourrait donner quelque clarté, — bref, en dépit de la sentence rendue environ deux ans auparavant, LL. EE. investirent Mme Hugonin du domaine du Basset, par un mandat daté du 23 mars 1748 3. /115/
Nous sommes arrivé au bout de notre tâche, nous avons épuisé, à peu de chose près, toutes les sources de renseignements qu’offrent les archives publiques et particulières du Pays de Vaud. Ce sont des notes quelquefois sèches et décolorées que ces extraits des registres de Lausanne et de Vevey, feuilletés par nous pendant des années. Nous aurions souvent volontiers donné beaucoup de ces paperasses pour un seul billet de Mlle de la Tour, pour une lettre de Mme de Warens, datant de son mariage, pour quelques pages qui nous auraient laissé entrevoir ses sentiments, ses illusions, ses mécomptes, les traces de sa vie intime. Ce qui eût eu le plus vif intérêt, c’est précisément ce qu’on ne trouve plus, ce qui a été détruit par des mains insouciantes. Heureusement nous avons pu retrouver et mettre au jour un de ces documents de nature confidentielle, la longue et précieuse lettre de M. de Loys. Complétée par nombre d’autres pièces qui ont aussi leur importance, elle nous a permis de tracer une image fidèle de la première moitié de la vie de Mme de Warens, un récit détaillé de la crise décisive au milieu de laquelle elle quitta le Pays de Vaud. Il ne nous reste plus pour finir qu’à jeter un coup d’œil sur l’ensemble de cette destinée, que jusqu’ici nous avons suivie pas à pas.
Mme de Warens s’était mariée trop jeune. Toutefois, nous l’avons dit plus haut, les époux étaient bien assortis : rang, fortune, caractère, ils semblaient faits l’un pour l’autre. La nature froide et positive, l’esprit judicieux de M. de Warens étaient bien propres à corriger avantageusement l’initiative rapide et aventureuse de sa femme, mais /116/ celle-ci, gracieuse, insinuante, et qui savait vouloir, réussit à prendre sur lui trop d’empire. Cela était assurément compréhensible, puisqu’elle était une femme supérieure, cependant elle eût été plus sage si elle eût mieux apprécié la prudence que son mari apportait dans les affaires et qui est une condition essentielle pour les faire prospérer.
On voit aisément d’où vinrent les nuages qui troublerent au bout de quelques années la paix de leur intérieur. Mais avant les mauvais jours, quel destin enviable que celui de cette femme ! Mme de Warens était jeune et charmante; elle était riche et noble; elle avait l’esprit naturel et vif; elle aimait la lecture et la réflexion, se plaisant à lire tantôt des ouvrages de piété, tantôt le savant Bayle, qui était le Voltaire de son temps; elle était aimable et chacun recherchait sa société; elle avait un bon mari, et la vie commune était facile entre eux; elle vivait à une époque paisible et prospère; elle passait ses belles années dans ces sites enchanteurs du Pays de Vaud, où le lac Léman étend sa nappe limpide au pied des hautes montagnes de la Savoie, dans une contrée plantureuse, fertile. Le cadre de son existence était attrayant, pastoral; elle possédait presque toutes les conditions du bonheur. Donnez-lui des enfants, donnez-lui une conscience attentive et droite, une amie sage dont elle écoute les conseils, et sa jeunesse rayonnante n’aura été que le matin d’un beau jour ! Au lieu de cela, le désordre, la fuite, l’exil, enfin la misère, une vieillesse lamentable, la mort dans l’isolement voilà le sort qui échut à la pauvre femme. Mais la destinée a des retours inattendus ! /117/
Un jeune homme que la pitié de Mme de Warens recueillit en Savoie, que son amour réchauffa et soutint, après avoir vécu à son foyer était allé chercher fortune à Paris. Son talent de penseur et d’écrivain avait attendu bien des années avant de paraître au jour, puis s’était subitement déployé et avait frappé tous les yeux. Les applaudissements avaient salué ses débuts ! — Quand le solitaire de l’Ermitage et de Montmorency voulut profiter de l’attention que lui accordait en ce moment le public européen pour mettre au jour ce qu’il savait écrire de plus captivant, il ne put que jeter sur le papier les souvenirs que lui avaient laissés l’existence idyllique qu’il avait menée autrefois chez Mme de Warens, les rêves plus beaux encore qu’il avait faits auprès d’elle, et les séduisants paysages qui entouraient la ville natale de sa bienfaitrice. La peinture de l’amante de Saint-Preux fut comme tracée de mémoire. Julie d’Etange et Mme de Warens sont toutes deux les filles et les femmes de gentilshommes du Pays de Vaud; l’une et l’autre ont vécu à Vevey et dans la campagne avoisinante. Mêmes situations dans le roman et dans la vie réelle. L’idylle de Clarens a été vécue comme celle des Charmettes, car Jean-Jacques Rousseau en a emprunté les grandes lignes, et aussi beaucoup de légers détails, aux récits de jeunesse de son amie.
Un succès sans pareil accueillit son roman. Quand il parut, au mois de janvier 1761, celle qui l’avait inspiré était vieillie, appauvrie, oubliée; elle allait bientôt mourir, accablée d’infimités. On ne sait si elle entendit parler de la Nouvelle Héloïse, si elle put la lire, y reconnaître son image et avoir ainsi un dernier moment de vanité féminine? Elle eût eu le droit d’être fière en effet. /118/ L’imagination humaine s’était enrichie par elle. Sa gaieté, sa voix fraîche et pure, son rire argentin, qui était devenu celui de Claire d’Orbe, son charme et sa faiblesse que chacun aimait chez Julie d’Etange, toute sa jeunesse avait refleuri. Ses beaux jours de Clarens ne s’étaient pas écoulés inutiles; ils avaient donné leur fruit.
PIÈCES JUSTIFICATIVES
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PREMIÈRE PARTIE
Généalogie de la famille de la Tour.
La famille de Françoise-Louise de la Tour, qui devint plus tard Mme de Warens, tire, comme nous l’avons dit, son origine du village de Chailly, dans la baronnie du Châtelard. Le généalogiste peut suivre dans les actes publics sa filiation non interrompue depuis la seconde moitié du XIVe siècle. Les premiers membres de cette famille dont les actes nous ont gardé le souvenir sont, d’une part, les deux frères Pierre et Jean de la Tour, communiers de Chailly, où on les trouve domiciliés; d’autre part, Uldricus de la Tour, dont le degré de parenté avec les précédents est encore inconnu. Ce dernier étant l’ancêtre certain de la branche à laquelle appartient Mme de Warens, nous ne nous occuperons que de lui et de sa descendance.
I. Uldricus de la Tour est désigné, dans les quelques documents où son nom figure, comme originaire de Chailly (Uldricus de Turre, de Challye). La qualité de bourgeois de Vevey, qui lui est attribuée dans une reconnaissance en faveur du comte de Savoie, de l’année 1382 1, prouve toutefois /122/ qu’il habitait alors depuis plus d’un an cette ville, probablement dans la maison même pour laquelle il paie le cens au comte. Au second degré nous trouvons ses trois fils :
1o Nicodus, qui suit.
2o Hendricus, nommé fils d’Uldricus de Turre et bourgeois de Vevey, dans la reconnaissance qui vient d’être mentionnée. On voit d’après cet acte qu’il devait au comte de Savoie le cens pour un immeuble différent de celui de son père.
3o Jaquetus qui apparaît, avec le titre de notaire, dans plusieurs pièces du cartulaire des nobles de Cojonay, sous les dates du 6 novembre 1382 1, du 10 avril 1392 2, du 1er décembre 1398 2bis, etc 3. Un livre de comptes de l’hôpital de Vevey, de l’année 1402 4, prouve qu’il était encore vivant à cette époque.
II. Nicodus de Turre (Nicod de la Tour) appelé fils d’Uldricus dans un rôle de l’an 1393 3bis, achète une maison à Chailly en novembre 1404 5. Il émancipe son fils Jean dans un acte notarié, daté du 19 novembre 1409 5bis.
III. Johannes de Turre (Jean de la Tour) avait très vraisemblement élu domicile à Chailly, commune d’origine de ses ancêtres, puisqu’il fait toujours suivre son nom, dans les documents qui le concernent, de celui de cette localité 6. En dehors de l’acte d’émancipation, cité à propos de son père, il est nommé dans le testament de sa femme Nycole, dont on ignore /123/ le nom de famille. Par ce testament, daté du 8 octobre 1439, Nycole demande d’être ensevelie dans le cimetière de Saint-Vincent, à Montreux. Elle lègue dix sols à chacune de ses deux filles, Peronette et Marguerite, ainsi que deux draps de lit à Jeannette, fille de Jean de la Tour, son fils défunt. Son héritier universel est son autre fils, Pierre de la Tour 1.
Jean et Nycole eurent quatre enfants, cités, comme il a été dit plus haut, dans le testament de leur mère :
1o Pierre qui suit.
2o Jean, mort avant l’année 1439, laissant une fille appelée Jeannette, dont on ignore la destinée.
3o Peronette, qu’un papier terrier de la Seigneurie du Châtelard, de l’année 1460, nomme fille de feu Jean de la Tour et femme de Jean de Ville, de Vevey 2. Dans une grosse de reconnaissances, passées en 1492 par les sujets du duc de Savoie, à la Tour de Peilz, il est parlé d’une maison située dans cette ville et que Peronette de la Tour avait autrefois vendue à Jaquemette Breton 3.
4o Marguerite.
IV. Petrus ou Perretus de Turre, alias Nicodi (Pierre de la Tour), avait sans doute reçu le surnom de Nicodi en mémoire de son aïeul Nicodus. A cette époque, en effet, on avait coutume dans la contrée de distinguer entre eux les membres vivants d’une même famille, qui portaient des prénoms identiques, soit par les qualifications de senior et de junior (l’ancien, le plus jeune) soit par l’adjonction de noms de leurs parents, quelquefois même de sobriquets. Un cas de ce genre se présentait ici, car il existait alors simultanément à Chailly deux Pierre de la Tour, fils de pères appelés Jean. L’un, celui dont /124/ il est question dans cette notice, l’autre, issu de la branche fondée par ce Pierre, dont nous avons parlé comme d’un contemporain d’Uldricus. Comme on aurait continué à les confondre en les désignant par le prénom commun de leurs pères, on avait été obligé de remonter à celui de leurs aïeuls. De là les noms de Perretus de Turre, alias Nicodi, et de Perretus de Turre, alias Perreti, que l’on rencontre plusieurs fois dans les rôles du temps et qui ne signifient pas autre chose que Pierre de la Tour, autrement dit descendant de Nicod, et Pierre de la Tour, descendant de Pierre.
En 1454, Pierre de la Tour, alias Nicodi, et sa femme figurent à titre de légataires dans le testament de Pierre Grivat, domicilié à Brent, sur Chailly 1. En 1477 Pierre vivait encore; il est cité en cette année au nombre des censitaires que l’église paroissiale de Saint-Martin, de Vevey, avait dans le territoire de Chailly 2. Ses trois fils, que l’acte ci-dessus indique aussi, à la même date, comme débiteurs de cens envers l’église de Vevey, y sont nommés :
1o Claude, qui suit.
2o Rolet, cité encore avec son frère Claude dans un titre, de l’an 1480.
3o Philippe.
V. Claudius de Turre (Claude de la Tour), déjà mentionné dans deux chartes précédentes, apparaît encore dans un censier postérieur à sa mort. Pierre de la Tour, dit le Mège de Chailly, fils de feu Claude de la Tour, dit le Mège, est inscrit en 1527 dans ce registre comme débiteur d’une rente annuelle de 35 sols en faveur de l’église de Saint-Martin, de Vevey (Petrus de Turre alias Meyjoz, de Challye, filius quondam Claudii de Turre 3, alias Meyjoz, debet XXXV solidos). /125/
Le mot meyjoz signifiant médecin en patois du pays, on a toute raison d’admettre que ce surnom avait été donné à Claude de la Tour, le premier qui le porta de sa famille, parce qu’il pratiquait l’art de guérir. En fut-il de même pour son fils, dont le nom est aussi suivi dans les actes de pareille qualification ? Pour ce qui concerne ce dernier, l’orthographe latine varie. On lit tantôt au nominatif, « alias medicus », tantôt au génitif, « alias medici »; expressions qui donneraient à entendre, la première qu’il exerçait personnellement la profession de médecin; la seconde qu’il était fils d’un médecin. Claude de la Tour ne paraît avoir eu, d’une femme dont le nom n’est point parvenu jusqu’à nous, que ce seul fils, Pierre de la Tour. Celui-ci fait encore l’objet de la notice ci-après.
VI. Petrus de Turre alias Meyjoz (Pierre de la Tour dit le Mège ou le médecin). A ce qui a été dit de lui à propos de son père il y a lieu d’ajouter, qu’il passa reconnaissance en 1516 d’une pièce de terre à Chailly, en faveur d’Hugonin d’Illens 1. Quatre ans après on le voit vendre, avec d’autres notables de Chailly, au nom de la communauté de ce village, un cens annuel de dix florins à la veuve et au fils de noble Nicod de Cojonay 2. Dans les deux parchemins ci-dessus son nom est écrit Petrus de Turre, alias medicus. On rencontre en revanche la signature Petrus de Turre, alias medici, sur d’autres actes, entre autres sur le titre d’achat de sa maison, au mois d’avril 1534 3. Le nom de sa femme ne nous est pas connu. Il eut deux fils :
1o Antoine, qui suit.
2o Jean, mort sans lignée.
VII. Antoine de la Tour est rappelé, avec son frère Jean, comme « fils de jadis provéable Pierre de laz Tor, de Chaillie », /126/ dans l’acte de partage de leurs biens indivis, rédigé après leur mort, le 12 juin 1567 1. En 1557, Antoine avait fait personnellement reconnaissance, en faveur de la ville de Vevey, d’une pièce de terre, sise à Blonay 2. On ignore le nom de sa femme, dont il eut deux enfants :
1o Pierre, qui suit.
2o Orbannaz ou Urbanne, femme de Christin du Crest, banneret de Corsier.
VIII. Pierre de la Tour, né à Chailly vers le milieu du XVIe siècle, était notaire et devint curial (secrétaire) de la juridiction du Châtelard. Des services importants, rendus par lui en cette qualité au baron de cette terre, furent récompensés le 11 février 1595 par un diplôme qui l’affranchit, lui et les siens à perpétuité, de toutes prestations féodales, telles que cens, corvées, chevauchée, garde, tributs de four et de moulins. Le baron ne se réservait que l’hommage et la directe seigneurie 3.
Elevé depuis lors au rang de la noblesse, Pierre se fixa une partie de l’année à Vevey, où il acheta une maison au commencement du XVIIe siècle. Il sut acquérir dans cette ville assez de considération et d’influence pour y être élu à une place de justicier. Ces fonctions locales étant ordinairement, avec un soin jaloux, fermées à tout étranger, c’était implicitement le reconnaître comme bourgeois de la cité. Aussi ses descendants s’appuyèrent-ils plus tard sur cette nomination pour faire valoir des droits à la bourgeoisie de Vevey 4. En 1626 nous trouvons Pierre de la Tour installé comme châtelain de la baronnie du Châtelard 5. /127/
De son mariage avec Marguerite, fille de Gabriel Barbier, bourgeois et conseiller de la ville de Vevey, il eut sept enfants : 1
1o Gamaliel, qui suit.
2o Orbannaz ou Urbanne, née à Chailly, fut baptisée à Montreux le 6 février 1592 2. Elle mourut célibataire après l’année 1654.
3o Bernardine, née à Chailly et baptisée à Montreux le 10 novembre 1594, mourut jeune, ainsi que son frère Claude-Hyppolite et sa sœur Jacqueline. En effet il n’est question ni d’eux, ni d’une postérité issue d’eux, dans la reconnaissance collective des enfants de Pierre de la Tour en faveur de l’hôpital de Vevey, du 10 octobre 1628 3. Ces enfants ne sont plus à cette date qu’au nombre de quatre : Gamaliel, Georges, Gabriel et Orbanne.
4o Georges, né à Chailly, baptisé à Montreux le 30 mai 1596, eut pour parrain Magnifique Seigneur Nicolas de Watteville, bailli de Chillon. Il mourut sans lignée.
5o Claude-Hyppolite, né à Vevey, fut baptisé à Montreux le 8 janvier 1598.
6o Jacqueline, née à Vevey, fut baptisée à Montreux le 9 janvier 1601.
7o Gabriel, né à Chailly, fut présenté au baptême dans l’église de Montreux, par Jacques Preudhon, de Vevey, le 27 octobre 1602. Il devint châtelain de la baronnie du Châtelard 4 et obtint dans les milices bernoises, avec le grade de capitaine, /128/ le commandement d’une compagnie de Restants 1. La mort l’enleva en 1669. De ses deux femmes, Anne-Péronne, fille de noble Georges de Blonay, et Louise, fille de noble Pierre d’Estavayer, il ne laissa pas de descendants.
IX. Gamaliel de la Tour, né à Chailly en 1591, fut gradué docteur en médecine par la faculté de Montpellier, le 25 avril 1614 et exerça sa profession à Vevey. Il prend sur les ouvrages, dont il est l’auteur, le titre assez bizarre de « sieur Gamaliel de la Tour, de Vevey, docteur ès deux facultez de médecine et favori de Mars. » Ces ouvrages, excessivement rares, sont intitulés :
1o Principes et fondement de l’art militaire, concernant le service des armes prattiqué en Hollande. Genève, 1634, in-12.
2o Abbrégé de la discipline militaire et des trois principales actions de guerre. Genève, 1634, in-12. — Réconciliation et amiable décision des controverses, s. l., 1644, in-12.
Gamaliel de la Tour avait épousé demoiselle Barbille Asperlin, fille de noble Georges Asperlin, seigneur de Bavois, et de Kinguelle de Gingins. Elle lui donna :
1o Georges, qui suit.
2o Françoise, née à Chailly, baptisée à Montreux le 13 novembre 1625. Elle eut pour parrains noble Jean-Jacques Manuel, de Berne, et noble Jacques-François de Joffrey, de Vevey, pour marraine, la femme de ce dernier, sa grand’tante maternelle. Françoise eut pour mari Jacques, fils de noble Nicolas de Mellet, de Cully 2.
3o Anne, plus connue sous le nom d’Orbanne, née à Chailly, fut baptisée dans l’église de Montreux le 1er juillet 1631 en présence de M. Guillaume Bullet, parrain, et de noble Anne /129/ de Joffrey, marraine. Elle épousa noble Jacques de Mellet, frère du mari de sa sœur.
X. Georges de la Tour, né à Chailly et baptisé à Montreux le 13 mars 1624, avait pour parrain son oncle Georges de la Tour et pour marraine dame Marguerite Dumur. Il succéda à son oncle Gabriel dans le commandement de sa compagnie de Restants. De son union avec noble Suzanne-Judith Charrière, fille de Jean-Jacques Charrière, seigneur de Mex et de Bournens, naquirent huit enfants :
1o Jean-Gamaliel, qui suit.
2o Louise, née à Chailly, fut présentée au baptême à Montreux, le 24 août 1656, par son grand-oncle Gabriel de la Tour, seigneur châtelain du Châtelard, et par sa femme Louise d’Estavayer. Elle fut elle-même marraine de Mme de Warens, dont elle fit en partie l’éducation.
3o Françoise-Madeleine, née à Chailly, fut baptisée à Montreux le 12 décembre 1658. Son parrain et sa marraine furent noble et généreux Philippe de Blonay et sa femme. Elle épousa noble David Ancel, seigneur d’Yvonand.
4o Jean-Baptiste, qui suivra.
5o Sebastienne-Violente, née à Chailly, présentée au baptême à Montreux le 5 septembre 1666 par Jean-François Charrière, seigneur de Penthaz, par sa femme et par noble Sébastien Charrière.
6o François, né à Chailly, fut tenu sur les fonts baptismaux le 4 août 1669 par le secrétaire baillival François Magny, de Vevey, et par demoiselle Judith de Joffrey. Il partit très jeune encore avec son frère Jacques pour le Levant, où ils se vouèrent tous deux au commerce. La mort l’enleva au commencement du XVIIIe siècle.
7o Jacques-François, né à Chailly et présenté au baptême à Montreux le 5 février 1671 par noble Jacques-François de Joffrey /130/ et mademoiselle sa sœur, avait déjà quitté le pays en 1690. Après diverses pérégrinations il se fixa à Constantinople, où il mourut en 1745, probablement célibataire, en tout cas sans postérité. C’est sa succession que concerne le mémoire suivant, non daté, adressé par J.-J. Rousseau au nom de Mme de Warens au ministre de France, comte de Castellane « N. N. de la Tour, Gentilhomme du pays de Vaud, étant mort à Constantinople et ayant établi le sieur Honoré Pelico, marchand françois, pour son exécuteur testamentaire, à la charge de faire parvenir ses biens à ses plus proches parens, Françoise de la Tour, baronne de Warens, qui se trouve dans le cas, souhaiteroit qu’on put agir auprès du dit sieur Pelico pour l’engager à se dessaisir des dits biens en sa faveur, en lui démontrant son droit. Sans vouloir révoquer en doute la bonne volonté du dit sieur Pelico, il semble, par le silence qu’il a observé jusqu’à présent envers la famille du défunt, qu’il n’est pas pressé d’exécuter ses volontés. C’est pourquoi il seroit à désirer que M. l’ambassadeur voulut interposer son authorité pour l’examen et la décision de cette affaire. La dite baronne de Warens ayant eu ses biens confisqués, pour cause de la Religion Catholique qu’elle a embrassée, et n’étant pas payée de ses pensions que le roi de Sardaigne, et ensuite S. M. Catholique, lui ont assignées sur la Savoie, ne doute pas que la dure nécessité, où elle se trouve, ne soit un motif de plus pour intéresser en sa faveur la religion de Son Excellence 1. »
Une des deux notes de ce mémoire, nous apprend que ce fut M. Miol, beau-frère de Mme de la Tour née Flavard, seconde mère de Mme de Warens, qui réunit pour cette dernière /131/ les pièces utiles à sa rédaction. Mme de Warens paraît avoir elle-même ignoré tout ce qui avait trait au parent dont elle revendiquait l’héritage. Tout au moins fut-elle incertaine de la proximité des liens de sang qui l’unissaient à lui, puisque l’autre note, rédigée sans doute d’après ses indications, donne à entendre que Mme Marie Hugonin, fille de son cousin Jean-Baptiste de la Tour, pouvait bien n’être dans cette parenté que d’un seul degré plus éloignée qu’elle. Jean-Jacques Rousseau s’étonne de ce qu’elle ne savait pas même le prénom de ce parent. Si étrange que paraisse ce fait, il s’explique naturellement par ses circonstances de famille. Mme de Warens était encore très jeune lorsque la mort enleva tous les membres de la famille de la Tour qui auraient pu lui parler de cet oncle.
8o Abraham, né à Chailly, devait être présenté au baptême par noble Abraham Montet, conseiller de Vevey, lorsqu’il mourut le 9 août 1672.
XI. Jean-Gamaliel de la Tour, né à Chailly, fut tenu le 21 décembre 1660 sur les fonts baptismaux par noble Jean-François Charrière, seigneur de Mex, et par noble Gamaliel Hugonin. Avec son frère Jean-Baptiste, et au nom de ses deux autres frères absents du pays, il demanda au Conseil de Vevey de reconnaître le droit d’ancienne bourgeoisie, que sa famille prétendait posséder dans cette ville 1. Il n’y avait rien de très concluant en faveur de ce droit dans les pièces que MM. de la Tour produisirent à l’appui de leur requête. En tout autre temps le Conseil en eût, sans doute, discuté de plus près la valeur. Mais le corps des bourgeois traversait une période de crise. Son exclusivisme depuis longtemps rigoureux à l’excès, joint à l’extinction d’un certain nombre de familles, avait fini par l’affaiblir. L’accession de protestants français, qui avaient cherché refuge dans la ville lors de la révocation de l’édit de /132/ Nantes, n’avait point suffi à lui rendre sa vigueur primitive. En vue de remédier à ce fâcheux état de choses, on était à la veille de décréter l’institution d’une petite bourgeoisie, qui mettrait les familles moins fortunées au bénéfice d’une partie des privilèges dont jouissait la bourgeoisie déjà existante, qu’on appela depuis lors la grande. Dans ces circonstances, on le comprendra, le Conseil accorda sans aucune difficulté la reconnaissance demandée, le 23 mars 1696 1. L’acte qui fait foi de cette reconnaissance de bourgeoisie donne des détails généalogiques sur quatre générations de la famille de la Tour. En même temps il nous fait connaître que Jean-Gamaliel et Jean-Baptiste, sans parler de leurs frères absents, étaient alors bourgeois forains, c’est-à-dire membres de la communauté urbaine, tout en demeurant hors de ville. Jean-Baptiste habitait en effet toute l’année sa propriété du Basset, dans la baronnie du Châtelard 2. Ce ne fut que plus tard, à l’époque de son mariage, qu’il acheta une maison dans le bourg d’Oron-dessus. Jean-Gamaliel, de son côté, avait sa résidence habituelle dans la campagne qu’il possédait sur le territoire de Burier, non loin du Basset de son frère. Lorsque sa santé le força, vers la fin de sa vie, de se démettre des fonctions de châtelain de la juridiction du Châtelard, il céda la jouissance de cette campagne à son fils et se retira à la Tour-de-Peilz, dans une maison qu’il tenait de sa femme, Marie, fille de noble Jean-Benoît Hugonin. De l’union de ces deux époux n’était né qu’un seul garçon appelé Jean-Baptiste, du nom de son oncle paternel, qui était son parrain. Il suit :
XII. Jean-Baptiste de la Tour, né et baptisé à la Tour-de-Peilz en 1686, fut justicier dans sa ville natale et assesseur /133/ consistorial à Vevey. Sa nomination à cette dernière charge est inscrite au registre du Consistoire de cette ville, en ces termes : « 18 nov. 1712. — Estant arrivé la vacance d’un assesseur de cette vénérable Chambre par la mort de M. Binet, nostre Magniffique Seigneur Ballif y a pourveu en jettant les yeux sur la personne de noble et vertueux Jean-Baptiste De la Tour, bourgeois des deux villes de Vevey et la Tour de Peilz et aussi justicier de la Tour, par mandat pour ce émané à cette V. Chambre, daté du 7 du présent mois de novembre. En vertu duquel le d. noble De la Tour a esté par cognoissance receu et instalé pour un membre de ce V. Corps, à la part de la noble bourgeoisie de la Tour. Ayant en mesme temps presté le serment acoustumé et ensuitte a pris séance apprès M. l’assesseur Favrod 1. »
Jean-Baptiste de la Tour décéda au commencement de l’année 1716. Le 14 mars de cette année sa veuve passa au nom de ses enfants, dont elle était mère tutrice, une reconnaissance générale de leurs propriétés et droits féodaux, situés dans les territoires de la Tour de Peilz, du Châtelard et de Villeneuve, en faveur de LL. EE. de Berne. Cette reconnaissance fut faite à la Tour de Peilz, dans la maison de Mme de la Tour, en présence de M. Grenier, commissaire des fiefs de LL. EE. 2.
La veuve de J.-B. de la Tour était fille de noble et généreux Gabriel de Rovéréaz, de Bex. Elle s’appelait Rose-Françoise-Madeleine. En octobre 1717, elle se remaria avec le ministre Isaac Dulon, de Villeneuve, dont elle eut plusieurs enfants. De son premier mariage avec Jean-Baptiste de la Tour, béni le 14 avril 1704, elle en avait eu huit, six fils et deux filles.
1o Jean-Ferdinand, qui suit. /134/
2o Jacques-François, né à Burier, baptisé le 18 avril 1706, mort dans l’adolescence.
3o Gamaliel, né à Burier, baptisé le 21 août 1707, mort enfant.
4o Gabriel-Ferdinand, né à Burier, baptisé le 16 mars 1710, mort en bas âge.
5o Françoise-Marie, née à Burier, fut présentée le 1er avril 1711 au baptême dans l’église de la Tour de Peilz par ses deux marraines, Françoise-Yolande de Rovéréa et Françoise-Louise de la Tour. Cette dernière, devenue bientôt après Mme de Warens, l’éleva chez elle pendant dix ans 1.
Le 8 janvier 1737, Françoise-Marie de la Tour se maria avec Jean-François Hugonin, fils de noble Abraham-Etienne Hugonin, banneret de la ville de Vevey 2. Son époux était alors lieutenant au service de Hollande, plus tard il passa avec le grade de capitaine dans les milices de LL. EE. de Berne. Une note du mémoire que Rousseau fit pour Mme de Warens, en 1746, constate qu’il n’existe plus à cette date de toute la famille de la Tour que cette dame et une sienne nièce 3. Cette nièce était Mme Hugonin.
6o Jeanne-Louise, née à Burier, baptisée le 14 avril 1712, morte jeune.
7o Jean-Louis, né à Burier, baptisé le 14 août 1713, ne vécut que quelques années.
8o Jean-Baptiste, né à Burier, baptisé le 15 octobre 1714, décédé avant 1746.
XIII. Jean-Ferdinand de la Tour, né à Burier, fut tenu sur les fonts baptismaux, dans l’église de la Tour, par ses parrains /135/ Jean-Benoît Hugonin et Ferdinand de Rovéréa, le 25 mars 1705. Il survécut peu d’années à son père. Avec lui et ses frères s’est éteinte la descendance mâle de la famille de la Tour.
Seconde branche.
XI (bis). Jean-Baptiste de la Tour, second fils de Georges, naquit à Chailly, et fut baptisé à Montreux le 28 décembre 1662. Il fut présenté sur les fonts par noble Jean Hugonin, par Marie de Blonay, sa femme, et par la veuve de noble André de Blonay. En 1696, il se maria en premières noces avec Jeanne-Louise Warnery, fille de M. Jean-Paul Warnery, conseiller des Douze de Morges, et de Rose Mandrot, sa femme 1. Elle lui laissa :
1o Jean-Etienne, né à Vevey et baptisé le 23 mars 1698, ayant pour parrains, MM. Jean-Louis de Gignilliat, conseiller, Jean Dufour et Etienne Hugonin; pour marraines, Mmes leurs femmes 2.
2o Françoise-Louise, qui fut plus tard Mme de Warens.
3o Anne, née à Vevey et portée au baptême par sa tante Sébastienne-Violente de la Tour, en lieu et place de demoiselle Anne de Tavel de Vulliens, le 22 avril 1700. Elle décéda six jours après. /136/
De son second mariage avec demoiselle Marie Flavard, Jean-Baptiste de la Tour eut encore trois enfants :
4o Jean-Joseph, né à Vevey, baptisé le 27 avril 1706, mort encore dans l’enfance.
5o Jacob, né à Vevey, fut baptisé le 4 avril 1707, mort aussi en bas âge.
6o Françoise-Marie, enfant posthume, née à Vevey, le … 1709, morte avant d’être baptisée.
/137/
SECONDE PARTIE
Documents.
1
Archives de Vevey.
Registres d’actes perpétuels de 1672 à 1703.
Lettre de bourgeoisie en faveur des frères de la Tour.
Vevey, le 23 mars 1696.
Nous le Banderet, Commandeur et Conseil de la ville de Vevay scavoir faisons que, comme il nous auroit été exposé par les nobles et vertueux Jean-Gamaliel De la Tour, sieur chattelain en la jurisdiction de Chattelard et Jean-Baptiste De la Tour, son frère, tant à leur nom que des nobles François et Jacques-François De la Tour, leurs autres frères absents, que depuis quelque temps en ça plusieurs tesmoignent revoquer en doutte qu’ils ayent l’honneur destre du nombre des anciens bourgeois de cette ville, quoy qu’ils ayent diverses preuves et titres en main, qui en font foy, jouxte lesquels ils ont humblement requis destre maintenus. Surquoy nous aurions trouvé nécessaire non seulement d’examiner de près les preuves par les dits nobles De la Tour produittes pour vérifier leur ancien droit de bourgeoisie, mais de plus faire rechercher exactement /138/ sur les anciens manuels 1 ce qui se pourroit deccouvrir à cest égard, affin qu’il n’arrivat aucun tort ny à cette ville ny aux dits nobles De la Tour. Par lesquels manuels, comme aussi par les titres produits par les dits sieurs De la Tour, s’estant consté qu’égrége Pierre De la Tour, leur bisayeul, après avoir obtenu permission d’achepter une maison dans la ville, a esté nommé par trois fois par le corps du Conseil pour estre justicier, laquelle charge il a ensuitte actuellement possédée et en outre a esté esleu roy des arquebusiers, selon la coutume de ce temps là. S’estant aussy consté que discret Jean Cucuat, après avoir obtenu en l’an 1584 permission d’achepter maison, a esté en 1591 esleu conseiller sans avoir obtenu autre droit de bourgeoisie que dite permission, veu aussy que les descendants du dict Pierre De la Tour ont tous esté qualiffiez de bourgeois, scavoir les nobles Gamaliel De la Tour, grand-père des requérans, Gabriel, leur oncle, et George, leur père, en divers actes publiqs, entre lesquels il en a paru qui ont été passés à la face du Conseil, et qu’enfin ils ont esté visitez hors de la ville dans leur maladie de la part du Conseil, ce qu’on n’a accoustumé de pratiquer qu’à l’esgard des bourgeois, et mesme ont fait divers légats au charitable Hospital. A ces causes nous avons reconnus, comme par cette nous reconnaissons, les dits nobles Jean-Gamaliel, Jean-Baptiste, François et Jacques-François De la Tour pour anciens bourgeois de cette dicte ville de Vevey, pour eux et leur postérité male, née et à naistre en loyal mariage, à perpétuité, pour pouvoir jouir des mesmes droits, libertés, franchises, privilèges, comunages et boscheages dont les autres anciens bourgeois jouissent et peuvent jouir. En ce toutefois que comme jusques icy on a eu quelque tolérance pour les bourgeois forains à l’esgard de la jouissance de quelques privilèges, dont à rigueur de droit nul bourgeois n’a droit de /139/ jouir, sinon qu’il réside dans le lieu ou qu’il supporte les charges, les dicts nobles De la Tour seront obligez de se soumettre à ce qui pourroit estre reiglé à l’advenir, à cet esgard pour les autres bourgeois forains sans contradiction, et en outre sous les conditions suivantes, lesquelles lesdicts sieurs De la Tour, frères, et les leurs à l’advenir, promettront par serment solennel, qu’ils prêteront, de bien et fidellement observer. Assavoir… (ici sont énumérées les conditions spéciales imposées alors aux bourgeois) …
Et au cas que les dicts sieurs de la Tour ou quelques-uns des leurs vinssent à contrevenir aux dittes conditions ou parties d’icelles, le contrevenant sera privé de la ditte bourgeoisie et des bénéfices en dépendants. En foy de quoy les présentes leur sont expédiées, soubs le scel de cette ditte ville, par le seing du secrétaire d’icelle le 23 mars 1696.
2
Archives de Loys
Contrat de mariage entre N. Sébastien-Isaac De Loys et N. Louise-Françoise De la Tour.
18 et 29 avril 1713.
A l’honneur et gloire de Dieu traitté de mariage a été fait et promis de s’accomplir sous sa benediction en l’église des fidelles entre noble et vertueux Sbastian-Isaac De Loys, capitaine d’une compagnie d’élection pour le service de LL. EE. de Berne, nos souverains Seigneurs, fils de noble et généreux Jean de Loys, seigneur de Villardin, Warrens, Orsens, Prahint, Chanéaz, Montet, Chavanes et autres lieux, et citoyen de Lausanne, et de fût noble et vertueuse dame Esther De Lavigny, assisté du dit noble et généreux seigneur De Villardins, son père, et des nobles, généreux et vertueux George-Louys De Loys, son frère, Isaac De Loys, seigneur lieutenant /140/ baillival, Jean-Rodolph de Loys, seigneur de Middes, conseiller et ancien bourcier, Benjamin De Loys, seigneur de Correvont, conseiller et ancien bourcier d’épargne, Daniel De Loys, fils du dit seigneur de Middes, Nicolas Bergier, seigneur de Forel et Etienne Pollier, seigneur de Vernand et aussi conseiller de Lausanne, ses parents, et noble et vertueuse demoiselle Louyse-Françoise De la Tour, fille de fût noble et vertueux Jean-Baptiste De la Tour, bourgeois de Vevey et de deffunte vertueuse dame Jeane-Louyse Warnery, assistée et authorisée par noble et vertueux Jean-Baptiste De la Tour, sieur assesseur consistorial de Vevay et justicier de la Tour de Peilz, son cousin paternel, lequel a promis de faire authoriser et ratiffier le présent traitté de mariage par noble et vertueux Jean-Gamaliel De la Tour, son père, ancien seigneur châtelain du Châtelard, oncle paternel et tutheur testamentaire de la ditte noble demoiselle épouse, absent pour cause de maladie, et par les nobles, généreux et vertueux Christophle Charrière, seigneur de Mex, César Charrière, seigneur de Bournens et autres lieux, Rodolph Charrière, seigneur de Senarclens, Jean-Pierre Charrière et Salomon Langin, ses parents. En vue duquel mariage la ditte noble Louyse-Françoise De la Tour se constitue au dit noble Sbastian-Isaac De Loys, son cher époux, avec tous ses biens echeus, à la réserve de ceux que Madame sa belle-mère a en jouissance. Desquels le dit noble époux aura la jouissance pendant sa vie, excepté cinquante écus petits que la ditte epouse s’est réservée annuellement pour en disposer comme il luy plaira. Et si noble Jacques-François De la Tour meurt sans enfans, en ce cas l’héritage de fût noble et vertueuse Louyse De la Tour, revenant à la ditte epouse, suivant la disposition qu’en a faitte en sa faveur la ditte n. Louyse De la Tour, sa tante et marraine, le dit noble époux aura alors le choix de donner annuellement les dits cinquante ecus à sa ditte noble épouse ou de luy laisser jouir en place le dit héritage de sa tante et marraine. — Item, /141/ le dit noble epoux a promis d’habiller sa ditte bien aimée épouse et de luy donner des joyaux, le tout d’une manière convenable à leur qualité, ou bien il luy donnera au lieu des dits joyaux la somme de deux-mille et cinq-cents florins, sous la condition qu’ils seront reversibles aux enfants, dont il plaira à Dieu de les bénir dans ce mariage; et si la ditte noble epouse les survit, cette somme lui apartiendra en propre et elle en pourra disposer comme de son bien. — Item, le dit noble époux promet à sa ditte noble épouse au lieu de augment, la somme de vingt mille florins, qui seront reversibles à leurs dits enfans, et s’ils meurent avant elle, les dits vingt mille florins seront à elle avec pouvoir d’en disposer comme elle le trouvera bon et à propos. — Item, le dit noble époux a promis de faire un inventaire de tous les effets de la ditte noble demoiselle De la Tour, son épouse, pour le luy confesser et assigner convenablement, ce qui le doit être. — Item, si le dit noble époux meurt avant la ditte noble épouse, des parens d’un et d’autre côté règleront et conviendront d’une somme, qui devra être donnée annuellement à la ditte noble épouse pour un logement des biens du dit noble époux. Et le dit noble et puissant seigneur de Villardins, pour marquer son agréement au présent mariage, l’amitié et la tendresse qu’il a, tant pour le dit noble capitaine, Sbastian-Isaac De Loys, son cher fils, que pour la ditte noble demoiselle De la Tour, épouse, il donne et constitue de dot au dit noble époux la somme de vingt-mille francs, à conte desquels il luy donne et remet la terre et seigneurie de Warrens, avec tous droits et apartenances qui en dépendent, laquelle il estimera sur le pied qu’elle luy coûte, et au cas que le prix et la valeur de la ditte seigneurie de Warrens ne montent pas assés haut pour faire le payement entier de ditte somme de vingt-mille francs, le dit noble et généreux seigneur de Villardins accomplira le surplus de ditte somme en le payant au dit noble seigneur de Warens, son fils, de la manière qu’il le trouvera à propos. Finalement le /142/ dit noble et généreux seigneur de Villardins a promis, au cas qu’en mariant quelques uns de Messieurs ses autres fils, il trouvast à propos de les dotter plus avantageusement qu’il ne faict présentement le dit noble seigneur de Warens, il augmentera la dotte de ce dernier jusques à ce qu’elle soit entièrement égale à celle qu’il luy plaira de faire à l’un des autres. Quant aux autres conditions qui ne sont pas icy exprimées les parties s’en raportent aux lois de la ville de Lausanne, selon lesquelles le présent traitté de mariage est fait et passé au dit Lausanne, sur les mains du notaire et secrétaire soussigné, en présence des prédits nobles, généreux et vertueux seigneurs parens de l’une et de l’autre des parties, ce dix-huitième avril mil sept cents et treize.
Signé :De Illens
Le prénommé noble et vertueux Jean-Gamaliel De la Tour, ancien seigneur châtelain du Châtelard a authorisé la ditte noble et vertueuse demoiselle De la Tour, sa nièce et pupille, dans les promesses de mariage qu’elle a cy devant contractées avec noble et généreux Sbastian-Isaac De Loys, seigneur de Warens, ayant aussi approuvé et rattiffié toutes les conditions contenues au contract de mariage ci-devant écrit, reçeu et signé par le soussigné comme en fait foy l’acte signé égrége Raisin, datté du vingt-neuvième de ce mois. Vu par le notaire soussigné et remis entre ses mains le vingt-neuvième avril mil sept cents et treize.
De Illens.
3
Manual du Conseil de Vevey, No V, p. 291.
Séance du 25 novembre 1715.
M. le vice commandeur s’étant apperceu que la famille de M. De la Tour devoyent quinze pistoles pour recognoissance /143/ de leur bourgeoisie et ne trouvant point comme quoy ils s’en sont acquitté, demande avis là dessus. Ordonné que M. le Conseiller Abraham-Etienne Hugonin s’en informera auprès de M. l’ancien secrétaire Magny, qui a oublié de l’inscrire.
4
Manual du Conseil de Vevey, No V, p. 300.
Séance du 12 décembre 1715.
M. le conseiller Hugonin ayant été prié de s’informer si les quinze pistoles promises par la famille De la Tour étoient payées, il a rapporté qu’il avoit été payé 200 florins et que le reste étoit encore dû. M. Hugonin est prié d’en parler aux hoirs De la Tour.
5
Manual du Conseil de Vevey, No V, p. 302.
Séance du 16 décembre 1715.
M. le conseiller Hugonin rapporte que la veuve De la Tour lui a déclaré être chargée de la dette et la paiera, ainsi qu’un don à l’hôpital en souvenir de son mari.
6
Manual de la cour baillivale de Vevey
Séance du 13 février 1716.
Sur la citation donnée aux sieurs frères Dubochet, de Chailly, à l’instance de M. De Vuarens, agissant au nom de Mme son épouse et de Mme De la Tour 1, fondé en procure dattée du 8me du courant, avec promesses de la faire plus amplement authoriser, si requis, pour être appointés sur les /144/ mandats qu’ils ont réciproquement obtenus au sujet de l’eau dont le dit noble De Vuarens prétend d’avoir droit pour l’égueage 1 de son pré de Preti, de laquelle il soutient d’estre en possession. Les dittes parties étant comparues, le dit noble De Vuarens, assisté du sieur procureur Sauge, a soutenu de plus fort qu’étant fondé du dit possessoire, auquel il a été troublé par voye de faict par les dits sieurs Dubochet, il requiert y estre maintenu et que les dits sieurs Dubochet prétendent de le déposséder, il aient à le faire par clame, offrant de sister en droit, quand il y sera juridiquement évoqué, et, pour n’y avoir voulu acquiescer, qu’ils soyent condamnés aux dépends.
D’ailleurs le sieur Lieutenant Dubochet et son frère, assesseur consistorial, étant comparus, ont nié le dit possessoire et ont soutenu au contre d’estre en possession eux-mêmes de l’eau sans conteste. Et ainsi c’est au dit noble De Vuarens à leur faire clame pour les déposséder.
Sur ce, veu le posé en faict du dit noble De Vuarrens et la négative des dits sieurs Dubochet, nous avons renvoyé les parties par devant l’honorable Justice du Chatelard, qui est le juge naturel et compétant en ce faict, aux fins que le dict noble De Vuarens par un préalable justifie son possessoire allégué, après quoy sera procédé et jugé plus outtre, ainsy que par droict conviendra. Despends en surcoy.
Au rapport les dits sieurs Dubochet ayant voulu apporter quelques exceptions à la susdite sentence, il a été connu qu’ils doivent appeller ou accepter purement et simplement, suivant les loix et ordonnances souveraines. Après quoy les parties ont réciproquement accepté. /145/
7
Manual du Conseil de Vevey, No V
Séance du 17 mars 1716.
Sur la proposition faite par M. le Commandeur que M. De Loys, seigneur de Vuarens, se licentie de vendre vin à la pinte sans estre bourgeois et sans avoir l’honesteté de demander à ce Corps d’estre tolléré, sous pretexte qu’il a maison en ville de sa femme, fille de feu M. Jean-Baptiste De la Tour, cette conduite a esté désaprouvée et quelques membres du Conseil qui sont de sa cognoissance ont été prié de le luy faire sentir; que s’il continue à vendre vin et à demeurer dans le silence, sans faire aucune démarche de déférence, comme il le doit, on prendra des nouvelles mesures contre luy qui ne luy seront pas agréables.
8
Manual du Conseil de Vevey, No V, p. 396.
Séance du 7 mai 1716.
A la requeste de Noble et généreux Sbastien-Isaac De Loys, citoyen de Lausanne, il a esté reçeu de la grande bourgeoisie de ce lieu, luy comme nouveau et sa postérité mâle à naistre en loyal mariage comme anciens bourgeois, selon l’ordre accoustumé, et c’est pour et moyennant la somme de mille florins et deux louys d’or qu’il paiera; ayant presté le serment accoustumé et singulièrement qu’il ne pourra se séparer par des contributions particulières avec d’autres familles pour les pauvres au prejudice de l’Hospital (laquelle clause sera à l’advenir adjouttée dans le serment des bourgeois pour un chacun). Le dit N. De Loys estant rentré quelque tems après pour demander éclaircissement sur l’article du serment qui luy a esté lu, scavoir qu’il ne pourra jouir des privilèges et /146/ avantages de la ville qu’en demeurant dans icelle, (desira) scavoir s’il ne luy seroit pas loisible qu’en tenant quelques domestiques à l’ordinaire dans sa maison, demeurant partie du tems à Vevey, à Lausanne et autre part, il ne pourroit pas egalement jouir des privilèges de ditte ville. On ne l’a pas trouvé fondé dans ses explications et on luy a respondu qu’on n’avoit rien à changer aux propres termes contenus au dit serment, a quoy il a enfin consenti de s’y conformer.
9
Manual de la cour baillivale de Vevey
Séance du 1er décembre 1716.
Ont comparus les sieurs frères Dubochet de Chally, défendeurs, appellants par recours, d’une, contre M. le capitaine De Vuarens au nom qu’il agit, assisté du sieur procureur Sauge, demandeur appellé, d’autre part, pour procéder à la vuidange du dit recours, duquel entendu le cours, connoissance inférieure rendue et griefs sur icelle produits, le tout de près considéré, trouvans la ditte connoissance inférieure juridique et bien fondée, pour les fondemens y contenus, nous avons jugé et sentencé par nos dits inférieurs bien avoir été connu et à nous par les dits sieurs Dubochet mal recouru, les condamnans aux despends à modération.
Au rapport les dits Dubochet ayans voulu appeller ils ont été sur l’empeschement de la partie éconduit. Surquoy ils ont protesté de l’obtenir selon droit.
10
Manual du Conseil de Vevey, No X, P. 16.
Séance du 28 janvier 1717.
M. le Commandeur a rapporté qu’il avoit sollicité M. de Vuarens pour le paiement de sa bourgeoisie et qu’il souhaitoit /147/ d’avoir terme de deux mois, pendant lesquels il prioit qu’on luy dressât sa lettre de bourgeoisie d’une manière qui pût luy être satisfaisante, au point de ne luy porter préjudice à ses autres bourgeoisies. Ordonné que l’on chargera M. le secrétaire Falconet d’en dresser modèle, qu’il luy communiquera, consentant que ce soit d’une manière à pouvoir contenter le dit M. le capitaine de Vuarens, pourvû que ce ne soit pas d’une manière à préjudicier aux intérêts de cette bourgeoisie et à tirer conséquence pour d’autres.
11
Manual du Conseil de Vevey, No X, p. 130.
Séance du 26 juillet 1717.
M. le commandeur a proposé que M. le capitaine De Loys De Vuarrens souhaiteroit que l’on retranchât de sa lettre de bourgeoisie la nouvelle condition, que l’on trouva à propos, le 7 may 1716, jour de sa réception, d’adjouter pour l’advenir au serment des bourgeois, scavoir qu’ils ne pourroient se séparer par des contributions particulières avec d’autres familles pour les pauvres, au prejudice de l’Hospital. Ordonné que, comme le Corps étoit complet lorsque l’on a passé cette ordonnance et que l’on la manifesta au dit Seigneur de Vuarens, l’on ne peut pas y rien toucher, ni changer, sans que le Corps soit aussi complet.
12
Manual du Conseil de Vevey, No X, p. 134.
Séance du 29 juillet 1717.
M. le capitaine De Vuarrens continuant toujours à requérir que l’on retranche de ses lettres de bourgeoisie la nouvelle condition y insérée, dont est parlé en Grand Conseil, sous les offres qu’il fait, comme l’a rapporté M. le docteur De Bolaz, /148/ de venir déclarer ici que ce qu’il en fait n’est nullement dans le dessein de se séparer par des contributions particulières, étant disposé à se ranger comme tous les bourgeois à tout ce qui sera ordonné, mais uniquement ne voudroit-il pas que sa lettre fust la première qui contint cette nouvelle condition. — Ordonné que l’on suivra à cet errement là.
13
Manual du Conseil de Vevey, No X, p. 165.
Séance du 1er septembre 1717.
Sur l’avis qu’a demandé M. le Commandeur de ce qu’il doit faire du restât que doit la noble famille De la Tour, à l’occasion de leur bourgeoisie, il avertira incessamment Mme la veuve De la Tour de venir régler et acquitter cette dette, si moins l’on se verra obligé d’agir contre elle et mesme l’on ne pourra plus (ne satisfaisant pas celà) lui permettre l’entrée et la débite de son vin en ville.
14
Manual du Conseil de Vevey, No X, P. 391.
Séance du 28 avril 1718.
M. le Commandeur a raporté qu’il avoit parlé à M. le capitaine de Vuarens, au nom de sa Dame, née De la Tour, au sujet du paiement du restât des quinze pistoles de la reconnoissance de bourgeoisie de la famille De la Tour, dont feu M. De la Tour, son beau père, doit s’être chargé par les partages de leur famille. Surquoy il fait encore quelques difficultés de paier. Comme l’on veut finir cette affaire, sans plus de renvoy, M. le juge Hugonin a été chargé d’écrire à M. Magny pour avoir de luy tous les éclaircissements qu’il peut donner sur celà. /149/
15
Manual du Conseil de Vevey, No X, p. 495.
Séance du 18 août 1718.
M. le commandeur ayant raporté que M. le capitaine de Vuarrens ne veut pas entendre parler de satisfaire le restât des quinze pistoles, promises par MM. les frères De la Tour pour contribution pour la maison de ville, lors de la reconnoissance de leur bourgeoisie. Comme l’on prétend être payé de cette dette, M. le Commandeur a été chargé d’en parler incessamment à Mme De la Tour, qui est plus intéressée au fait à cause de ses enfants, eus avec feu M. Jean-Baptiste De la Tour, son premier mari 1, et M. le juge Hugonin s’est chargé d’en parler aussi à M. de Rovéréaz, leur oncle.
16
Manual du Conseil de Vevey, No Y, p. 67.
Séance du 19 juin 1719.
Madame De la Tour (née de Rovéréaz) étant remariée au sieur Dulon, elle a perdû par là son droit de bourgeoisie, ainsi l’on prendra garde à l’advenir qu’elle n’introduise point en ville du vin de son propre crû, mais seulement celui de ses enfants, eus avec feu Monsieur De la Tour, et celà à la condition que par préallable la dite hoirie De la Tour paiera ce qu’elle doit pour reste de la reconnoissance de leur bourgeoisie. /150/
17
Manual du Conseil de Vevey, No Y, p. 419.
Séance du 13 juin 1720.
M. le capitaine Miol ayant proposé que l’on veuille se contenter du capital restant des quinze pistolles, promises le 19 mars 1696 par Messieurs les frères De la Tour pour reconnoissance de leur bourgeoisie, après avoir déduit les 200 fl. reçus le 3e fév. 1707, offrant pour le dit restât 175 fl. et rien plus, en ne passant de cette manière les pistolles qu’à dix livres. Ensuite de cette proposition, ayant vû sur le manual l’engagement de MM. de la Tour, l’on a trouvé qu’ils se sont engagés de contribuer quinze pistolles d’or, ou valeur, pour réparation de la maison de ville, payables toutes fois et quantes on mettra la main à la ditte réparation. Ainsi ce sont des pistolles d’or qu’ils doivent, soit la valeur, que l’on n’en peut tirer plus bas que 11 livres et 5 sols. Et c’est de cette manière que l’on doit les tirer en compte. Quant aux intérêts l’on veut bien, par considération, ne les exiger que dès le 30 juin 1710, que la maison de ville étant achevée de bâtir le Conseil des six-vingt s’y assembla pour la première fois.
Que, si contre toute attente de ce Corps, les intéressés ne veulent pas satisfaire cette dette sur ce pied, M. le commandeur est chargé de faire gager Mme De la Tour, née de Rovéréaz, au nom de ses enfants au plutôt et mesme avant la St Jean.
18
Manual du Conseil de Vevey, No 1, p. 487 et 498.
Séance du 23 mars 1722.
M. De Vuarens promet sa part (de la dette cî-dessus), estant fâché de ne l’avoir pu paier plus tôt, à cause de ses absences continuelles. /151/
Séance du 26 mars 1722.
M. le conseiller Miol a fait rapport que Madame de Vuarens luy a promis de paier d’abord le restât de la reconnoissance de la bourgeoisie de la famille De la Tour. De même les cent florins de légat que fit M. Jean-Baptiste De la Tour. Ayant toutefois requis qu’on luy octroye en abergement une petite place qu’il y a dernier la mayse des filles Magnin. — L’on ira en corps examiner le fait sur le lieu.
Séance du 6 avril 1722.
Rapport a été fait par M. le lieutenant De la Fontaine, commandeur Davel, conseillers Miol et Pidoux, d’avoir vu les deux petites places que M. De Vuarens demande en abergement, non pour y bâtir, mais pour eviter que l’on y bâtisse et par là qu’on luy ôte la veue de sa maison, souhaittant d’ailleurs que le tier et le quart n’y pût plus mettre des fumiers et d’un peu aplanir cette place. Abergement qu’une partie des commis 1 croit que l’on pourroit faire. — Le Conseil trouve des inconvénients à cet abergement et des mauvaises conséquences. D’ailleurs l’on croit d’avoir accordé à feu M. De la Tour tout ce qu’on pouvoit accorder, ce que l’on examinera.
Outre que M. De Vuarens peut s’assûrer que l’on n’accordera aucune permission de bâtir dans ce lieu là.
19
Manual du Conseil de Vevey, No 1, p. 515.
Séance du 20 avril 1722.
M. le conseiller Miol a livré au nom de M. le capitaine de Vuarens, soit de Mme son épouse, née De la Tour, pour restât des quinze pistolles d’or, promises pour la reconnoissance de /152/ la bourgeoisie de la noble famille De la Tour, après les 200 fl. reçus à compte, Livres 88,15; plus au lieu d’intérêt, de la bonne volonté de M. de Vuarens, un louis d’or vieux, tiré à L. 12. En tout : L. 100,15. Dont on donnera quittance au dit M. De Vuarens, dans laquelle sera inscrit qu’il a livré généreusement le dit louis d’or.
20
Manual du Conseil de Lausanne.
Séance du 26 septembre 1724 1.
Monsieur de Vuarrens nous ayant très humblement prié de luy permettre de demeurer à Vevay, pendant qui luy est absolument nécessaire d’y rester, touttefois en lui conservant les charges des 200 et 60, s’estant desporté de celle des appellations, nous priant de ne point regarder la charge d’Assesseur Ballifval qui luy a esté donnée, comme un obstacle à la conservation des charges qu’il possède dans ce public. Le tout examiné, pour plusieurs considérations, et sans que cela puisse tirer en aucune conséquence à l’advenir pour qui que ce soit, d’autant que nous n’entendons pas qu’on puisse posséder dans d’autres balliages des employs, et en posséder de celles de ce public en mesme temps. Nous accordons au dit M.de Vuarrens de demeurer pendant trois années à Vevey en luy conservant ses charges des 200 et 60, bien entendu qu’au bout de trois années ledit M. de Vuarrens sera obligé de se présenter par devant nous en cas qu’il souhaitte de rester plus longtemps, et que les mesmes raisons, qui nous ont porté à luy faire la faveur que nous luy accordons, subsistent toujours pour que nous puissions luy accorder une prolongation ou la luy refuser 2. /153/
21
Manual du Conseil de Vevey, No 2, p. 431.
Séance du 7 décembre 1724.
S’est présenté M. Isaac De Vuarens De Loys (sic), assisté de M. le lieutenant-ballival de Lausanne De Bochat, son oncle, exposant que ses prédécesseurs ont eu l’honneur d’être du nombre des bourgeois de cette ville et offrant de prouver authentiquement la filiation de ces dits prédécesseurs, bourgeois de ce lieu, ils prient d’être reconnus 1 et la famille De Loys en cette qualité.
Ce que considéré on a trouvé à propos de témoigner à ces Messieurs les égards et la considération que ce Corps a pour leur noble famille De Loys et qu’on est très disposé à leur faire plaisir et à leur agréer, dès qu’on aura reconnu la justice de leur prétention. Ainsi on a établi une commission de six membres pour examiner les titres produits par ces dits Messieurs, aussi bien que nos vieux manuaux. Les seigneurs commis sont : MM. le banderet, juge Hugonin, lieutenant De la Fontaine, commandeur Miol, assesseur baillival Morier et M. Gignilliat, lesquels s’assembleront chez M. le banderet. /154/
22
Manual du Conseil de Vevey, No 2, p. 432.
Séance du 8 décembre 1724.
MM. les commis pour l’examen des titres produits par MM. De Bochat et De Vuarens, pour la preuve de leur bourgeoisie, ont fait leur rapport et ont dit qu’ils avoient examiné la descendance d’Artaud Loys, bourgeois inscrit sur nos Manuaux en l’an 1454, et qu’il paroit, par les tittres produits, assez clairement que ces MM. les requérants et leur famille, présentement en cinq branches, descend du dit Artaud. Cependant, comme cette affaire est importante pour cette bourgeoisie, ce Corps a trouvé à propos de prendre plus outre toutes les lumières possibles en feuilletant nos vieux manuaux, au plutôt; c’est ce qui sera manifesté aux dits MM. les requérants, en leur témoignant qu’on est toujours disposé à avoir tous les égards que la justice et l’équité pourront permettre. Et après qu’on aura recherché et découvert tout ce qui se pourra trouver à ce sujet, on travaillera à terminer cette affaire le plus amiablement possible par moyen des arrangements et expédients, qu’on pourra proposer à l’égard des unes et des autres des branches de ditte famille, dans lesquelles on a lieu de faire diverses distinctions quant aux droits de jouir à l’avenir des privilèges de cette bourgeoisie.
23
Manual du Conseil de Vevey, No 2, p. 447.
Séance du 20 décembre 1724.
Nous le Banderet, Commandeur et Conseil de la ville de Vevey, savoir faisons par les présentes que le 18 décembre /155/ 1724, en conseil ordinaire, s’est présenté noble et généreux Sbastien-Isaac Loys, seigneur de Warens, assesseur balival de cette ville, citoyen et membre du conseil des 60 de la ville de Lausanne : Exposant qu’il auroit paru par devant ce noble Corps le 7e de ce mois avec noble et généreux Isaac Loys, seigneur de Bochat et lieutenant balival au dit Lausanne, pour demander au nom de leur famille que les droits qu’ils ont de bourgeoisie, dès le XIVe (? XVe) siècle, dans cette ville soyent reconnus, se fondant sur l’inscription contenue dans le manual du Conseil à la datte du premier dimanche de Carême de l’an 1454, qui porte que Messire Artaud Loys a cottisé en qualité de bourgeois de Vevay, quoiqu’il demeurât à Lausanne, et duquel leur famille est descendue, comme il l’a prouvé par devant les six membres de ce Corps, qui ont été commis pour celà. Et comme ce noble Corps lui a rapporté, pour s’édiffier d’autant mieux, prendre de nouvelles informations à ce sujet dans les manuaux et régistres de la ville, il prie qu’il soit délibéré sur son exposition et que justice lui soit rendue en vertu de ses tittres, se déclarant ne paroître aujourd’hui que pour sa branche, assavoir lui et nobles George-Louis et Paul Loys, ses frères. — Ouy la ditte exposition et le rapport de MM. le banderet Du Four, juge Hugonin, lieutenant De la Fontaine, commandeur Miol, assesseur ballival Morier et conseiller Gignilliat, commis pour examiner les tittres produits par le dit seigneur de Warens, lesquels rapportent : Premièrement, que l’inscription indiquée par le dit noble requérant est bien telle qu’il le rapporte, savoir que n. Artauld Loys a contribué en qualité de bourgeois en 1454, comme il a paru par le manual de cette datte, cotté A, fol. 53; secondement, que la filiation du dit Artaud Loys, jusques au dit n. requérant, a été démontrée par des actes notariaux bien caractérisés, comme testaments, contrats de mariage et partages, qui prouvent légalement que du dit N. Artauld Loys sont descendus : nobles Etienne, Aubert, Catelin, Philippe, /156/ Jean-Philippe et Jean Loys, seigneur de Villardin, père du dit requérant.
Après ce rapport le dit corps du Conseil a fait toute l’attention convenable, premièrement aux droits et tittres produits par le dit seigneur de Warens, pour preuve de la bourgeoisie du susdit n. Artauld Loys et de la descendance d’i celuy; secondement, on a considéré que par la recherche exacte faitte dans les manuaux de la ville en cette occasion, on n’a rien trouvé de contraire au droit du dit seigneur de Warens; troisièmement, le dit Corps du Conseil faisant attention au mérite personnel du dit n. requérant et aux bénéficences, tant de lui que de noble et vertueuse Françoise-Louise De la Tour, son épouse, notre ancienne bourgeoise, envers les pauvres de cette ville, le dit Corps embrasse avec plaisir l’occasion de leur donner des marques de l’estime particulière et de la considération qu’il a pour l’un et pour l’autre, en sorte que sans s’arrêter à diverses exceptions qu’il auroit pu apporter sur les raisons du dit n. requérant, comme l’insuffisance de la nature de son tittre et la prescription de son droit par le long espace de tems, qui s’est écoulé dès la cotisation du dit Artauld Loys, sans que dès lors ses descendants ayent en rien suffragé personnellement ni réellement. D’ailleurs l’ignorance où le dit n. requérant a été des dits droits pendant un si long terme, ce qui pourroit induire des conséquences désavantageuses pour lui, et autres exceptions de cette nature. Le dit corps du Conseil, sans vouloir donc s’y arretter par les motifs précédents, a receu et reconnu le dit seigneur De Warens et les dits George-Louis et Paul Loys, ses frères, pour être bourgeois de cette ville, les reconnaissans et recevans par les présentes du nombre des vieux bourgeois d’icelle, pour jouir eux et leur postérité, en légitime descendance, de tous les privilèges, franchises et immunités de la ditte ville, comme les anciens bourgeois ont droit de jouir, sous condition que le dit n. requérant fera pour ce sujet une contribution convenable et qu’ils se /157/ soumettront à l’avenir, eux et les leurs, aux adstrictions, reiglements et statuts de la ville, faits et à faire, comme les autres anciens bourgeois.
Ce qui ayant été manifesté au dit noble seigneur De Warens, il l’a accepté avec remercîments et s’est déclaré se relâcher dès à présent en faveur de ditte ville des quatre cents livres, intérêts et honoraires, qu’il a livré en 1716, lorsque, dans l’ignorance de son droit, la bourgeoisie de ce lieu, qu’il demanda alors, lui fut accordée, ensorte qu’il tient quitte dès à présent la ditte ville de Vevey du droit qu’il prétendoit avoir de redemander cette somme.
Ce Corps ayant remarqué avec plaisir la générosité et les bonnes dispositions du dit seigneur de Warens en faveur de ce public, come il en a donné diverses preuves, trouvé à propos de lui marquer sa sensibilité à cette occasion en l’établissant, comme par les présentes ils l’établissent, membre du Conseil des Soixante, sous l’approbation du N. corps des Trente, lequel corps s’étant assemblé le 20e du dit mois de décembre, a unanimément confirmé et ratifié le dit établissement.
En foy de quoy un double des présentes a été expédié au dit n. seigneur de Vuarens, sous le sceau de la ditte ville, les susdits jours 18e et 20e décembre 1724.
24
Manual du Conseil de Vevey, No 3, p. 39.
Séance du 1er février 1725.
Le sieur Elie Laffont, désirant de s’établir dans cette ville pour faire travailler en bas de soie et autres, demande d’estre receu gratieusement 1 et sous diverses conditions favorables, qu’il a proposé par la requeste qu’il produit. /158/
A esté délibéré d’agréer au dit sieur Laffont et de le favoriser dans son établissement autant qu’il sera possible, vu qu’il peut en résulter un grand avantage à cette bourgeoisie; ainsi on a établi une commission de MM. les conseillers Chatellain et Gignilliat, qui, avec M. le commandeur, accompagneront le dit sieur Laffont pour chercher un logement qui convienne à ses manufactures, après quoy on déterminera toutes les conditions réciproques sous lesquelles on le recevra en ville.
25
Manual du Conseil de Vevey, No 3, p. 45.
Séance du 5 février 1725.
Les commis, de concert avec le sieur Laffon, trouvent que la maison de M. Fatio, de Genève, située, au Bourg-franc, serait propre pour luy. Après diverses prétentions, il s’est enfin restreint à demander par essay pour une année l’entier louage de la maison qu’il prétend occuper, qui est d’environ cinquante-cinq écus petits. Après quoy nos honorés Seigneurs de ce Conseil seront en pouvoir de continuer ou d’arranger mieux les choses, comme il leur conviendra.
Délibéré que l’on peut bien agréer à la proposition du dit sieur Laffon, par essay d’une année, après quoy l’on verra ce qu’on trouvera à propos de faire à la suitte, et que M. le commandeur escrira à M. Fatio, de Genève, pour le dit prétendu louage, en lui faisant remarquer, selon son savoir faire ordinaire, le dessein que l’on a dans cette rencontre.
26
Manual du Conseil de Vevey, No 4, p. 13.
Séance du 27 mai 1725.
Madame de Vuarrens ayant fait représenter au Conseil qu’elle seroit dans le dessein d’augmenter sa manifacture de /159/ bas (de soye) et de galette, en en établissant une pour des bas de laisne, et celà pour le plus grand avantage de cette bourgeoisie, en occupant diverses personnes oisives. Est requis qu’il plaise à ce noble Corps de vouloir luy accorder : que sa manifacture soit établie pour vingt ans à l’exclusion de tous autres; que les ouvriers, qui travailleront à cette manifacture, soyent exempts d’habitation 1 pour le dict tems de vingt années.
Délibéré qu’on luy accordera tout ce qu’est au pouvoir de ce Corps, avec remercîments de la continuation de ses entreprises pour l’avantage du lieu.
27
Manual du Conseil de Vevey, No 4, p. 244, 245.
Séance du 10 septembre 1725.
M. le commandeur ayant représenté de la part de Mme la conseillière De Vuarrens que ce noble Conseil s’étant jadis chargé de payer cent-dix livres, soit deux cents septante cinq florins par année, pour un louage de maison en faveur de la magnufacture de bas en soye et gallettes que le sieur Laffon, soit ses consorts, étoient dans le dessein d’établir dans cette ville, la ditte noble dame voyant que le dit établissement ne peut qu’estre utille dans ce lieu, a bien voulu gracieusement décharger le public de la ditte somme de deux cents septante cinq florins et soutenir en son propre ses frais, d’intention que ce noble Corps continuera de tollérer (après l’année révolue) tous les maîtres et ouvriers qui seront nécessaires pour l’utilité de la ditte manufacture, et les exemptera de payer aucune habitation ni fabrique 2, comme celà avoit déjaz été promis au dit sieur Laffon, maître préposé dans la /160/ ditte manufacture. Et qu’aucune autre ne pourra s’établir en ville à son préjudice pendant l’espace de vingt ans.
Ouy ce que dessus, il a été délibéré que M. le commandeur ira complimenter la dite noble dame, de la part de ce noble Corps, de la générosité avec laquelle elle en agit à cet égard, dont on en gardera le souvenir, et qu’on lui accorde tout ce qu’elle a ci-dessus fait demander. M. le conseiller De Vuarrens ayant déclaré qu’il authorisoit en la meilleure forme possible la dame, son espouse, à tout ce que dessus par elle promis.
28
Manual du Conseil de Vevey, No 3, p. 249.
Séance du 17 septembre 1725.
M. De Vuarrens s’estant charitablement chargé de son filiol De Quervain dès il y a environ huict ans, demande à ce noble Corps de vouloir s’en charger jusqu’à ce qu’il soit en état d’estre mis dans un apprentissage, auquel tems il s’engage de luy faire apprendre un métier, à la décharge de notre Hôpital.
Sur ce délibéré que M. le Commandeur aura soin de convenir avec le régent Coulin pour la pension du dit de Quervain, soit avec un autre, où il trouvera à propos.
29
Manual du Conseil de la ville de Berne, No 108, F. 177.
Séance du 12 août 1726.
(Texte original en allemand.)
De même doit être mise aussi en son lieu la lettre de Morges qui annonce simultanément le départ du roi de Sardaigne pour Turin, le changement de religion de Mme De Vuarens et le pillage par cette dame de la maison de son mari, à Vevey. /161/
30
Manual du Conseil de la ville de Berne, No 108, F. 220.
Séance du 19 août 1726.
(Texte original en allemand.)
Il n’a rien été décidé au sujet du rapport, fait par M. le bailli de Chillon 1, que Mme de Vuarens, née De la Tour, femme de l’assesseur baillival et conseiller Louys, seigneur de Vuarens, a quitté il y a quelque temps Vevey pour se rendre à Evian et plus tard à Annecy, où elle abjura le protestantisme en embrassant la religion catholique. On attendra pour s’occuper du cas que M. De Vuarens vienne personnellement porter plainte auprès de LL. EE. Cependant ce rapport devra être conservé dans la Chancellerie.
31
Manual du Conseil de Berne, No 108, F. 297.
Mandat du 29 août 1726 au Trésorier et aux Bannerets romands.
(Texte original en allemand.)
Messeigneurs,
Il sera certainement parvenu à votre connaissance que Mme De Vuarrens, née De la Tour, s’est enfuie de nos Etats et s’est convertie en Savoie à la religion papistique, que pour cette raison les lois du pays attribuent sa fortune au Souverain, surtout puisqu’elle n’a pas d’enfant, et que le fisc prend déjà des mesures dans ce sens. M. De Vuarens a cependant comparu au devant de LL. EE. et les a suppliées en toute humilité 1o de bien vouloir suspendre les poursuites /162/ ordonnées par le procureur fiscal; 2o de lui céder le bien de sa femme encore existant, pour les motifs contenus dans sa requête et dans la lettre du bailli de Chillon.
LL. EE. ont accordé la première de ces deux demandes. Quant à la seconde elles vous prient, Messeigneurs, de vouloir obligeamment vous charger de liquider l’actif avec le moins de frais possible, d’en faire dresser un inventaire exact, de même que des dettes et des créances existantes, enfin de leur présenter, avec cet inventaire, un préavis sur la supplication de M. de Vuarens.
32
Manual de la cour baillivale de Vevey
Séance du 10 septembre 1726.
Le magnifique et très honoré Seigneur ballif Tschiffely, avec le noble et généreux Seigneur châtelain De Joffrey, en qualité de fiscal de la part de LL. EE., nos souverains Seigneurs, s’étans transportés à Chally pour prendre inventaire et faire taxe et évaluation des biens et effets de Mme De Vuarens, tant rière le Châtelard que Blonay, ensuitte des ordres que sa dite Seigneurie ballivale en a reçeu tout récemment, portans à y procéder avec toute la diligence possible.
M. le châtelain Dubochet, agissant au nom et en qualité de procureur-fiscal du noble et généreux Seigneur ballif De Bondely, seigneur baron du dit Chattelard, ayant eu avis de ce que dessus ce mattin sur les monts du dit Chattelard, où il procédoit à l’exécution des ordres de Sa Grandeur l’illustre et puissant Seigneur Thrésaurier De Wattenville (suivant qu’il l’a asseuré), il seroit ensuitte des dits avis intervenu au dit Chally à midy. Lequel a protesté pour tout ce qui se pourroit faire en cette occasion qui put préiudicier aux droits du dit Seigneur baron, et a prié sa ditte magnifique Seigneurie de /163/ faire inscrire ses dites protestes pour les faire valoir ainsy que de droit. Et le dit noble et généreux Seigneur châtelain De Joffrey, en la qualité qu’il agit, a contreprotesté sur les dittes protestes, autant qu’il convient à la conservation des droits de LL. EE.
33
Archives de Loys.
Etat de la fortune et des dettes de Madame de Warens, dressé par ordre de LL. EE. de Berne le 10 septembre 1726.
Liste A. Etat de la fortune de Madame de Warens.
(Malgré nos recherches nous n’avons su la trouver dans aucune des archives que nous avons consultées.)
Liste B. Détail circonstancié des 1227 livres 5 sols 6 deniers fournies par M. de Warens pour dettes, dues par Mme de Warens avant son mariage et pendant qu’elle étoit en pension chés M. Magny à Vevey, ou chés Mme Crespin, à Lausanne.
Tiré du livre de raison (de M. de Warens) et des parties 1 :
| Livre de raison. Fol.1. | Livres | Sols | Deniers |
| Le 11 may 1713, pour Mlle de la Tour livré au sieur Boutau, cordonnier à Lausanne, une partie de | 9 | 4 | — |
| Le dit jour, au Sr Garcin, gantier à Lausanne, pour 6 paires gans pour la ditte. | 3 | 12 | — |
| Au sieur Martin pour la ditte, le 13 may. | 37 | 4 | — |
| Fol. 2. | |||
| A Mme Crespin, le 15 may, pour soude de son compte jusqu’au 28 avril 1713. | 77 | 2 | 6 |
| /164/ Plus à la ditte un louis d’or, promis à sa nièce pour etreinnes par M. Magny. | 11 | 10 | — |
| A Mlle Lafon, le dit 15 may, une partie pour la ditte. | 71 | 3 | — |
| Fol. 6. | |||
| A Mlle Rapillard pour la ditte, le 28 avril 1713, une partie | 538 | 10 | — |
| Fol. 8. | |||
| Le 2 octobre 1713, au sieur Auboin une partie de | 4 | 12 | — |
| Le dit jour, à Mlle Chavannes pour deux mois et demi que Mlle de la Tour avait apris à chanter d’elle, étant chés Mme Crespin | 9 | 7 | 6 |
| Fol. 9. | |||
| Le 28 oct. Au sieur Lionet une partie de Mlle de la Tour. | 2 | 2 | 6 |
| Le 3 oct. Au sieur Girard une partie pour la ditte. | 5 | 11 | 3 |
| Fol. 11. | |||
| Le 4e oct. A Boutau, cordonnier, une partie pour la ditte. | 19 | 8 | — |
| Le 5e oct. Au sieur Coudougnan une partie pour la ditte. | 10 | 8 | 6 |
| Fol. 12. | |||
| Le 5 dit. A la Séguin, tailleuse, une partie pour la ditte. | 28 | 18 | — |
| Fol. 23. | |||
| A Mme Crespin, pour 4 (5 ?) mois de pension, du 28 avril au 22 sept. 1713 | 66 | 15 | — |
| Pour un chauffe-pied à Mlle Lafon, perdu par Mlle de la Tour. | 3 | — | — |
| /165/ Fol. 27. | |||
| Le 5 novembre. Au sieur Schell, tailleur, une partie pour Mlle de la Tour | 23 | 10 | — |
| Fol. 28. | |||
| Le 14 novembre. Au sieur Chiron, une partie pour Mlle de la Tour, étant chés M. Magny. | 7 | 11 | 3 |
| Fol. 28. | |||
| Livré à Mlle de la Tour pendant qu’elle estoit chez Mme Crespin, du 20e may au 12e sept. 1713 | 287 | 8 | — |
| Fol. 32. | |||
| Le 22 juin 1714. Au sieur J.-J. Dumoulin, une partie pour la ditte, estant chez M. Magny, de | 7 | 1 | 3 |
| Fol. 49. | |||
| Le 11 juillet 1716, une partie pour la ditte à Durieu, faite en 1712. | 3 | 6 | 9 |
| Livres, | 1227 | 5 | 6 |
| Lesquelles 1227 livres 5 sols 6 deniers, réduites en florins, ascendent à la somme de 3068 florins. | |||
Liste C. Effets emportés par Mme de Warens de la maison de M. son mary. | |||
| En vaisselle d’argent. | Florins | Sols | Deniers |
| Deux grandes cuillères potagères. Quatre chandeliers. Deux paires mouchètes et porte-mouchètes. Une douzaine de cuilliers, autant de fourchètes et autant de couteaux.
Les quatre objets cî-présent, comme se voit par le livre de raison de M. de Warens /166/ (fol. 5.), pésent 159 onces, à 3 livres 3 sols l’once, et ont coûté avec la façon 635 livres, soit | 1587 | 6 | — |
| Plus un sucrier, pesant 10 onces, 2 deniers, à 3 livres 10 sols l’once, et coûte avec la façon, apert du même livre et folio. | 128 | 1 | 6 |
| Plus une poire d’argent, appert du dit folio. | 35 | — | — |
| Une cuillier à olive, pesant 4 5⁄8 onces, à 3 livres 10 sols, coute avec la façon, suivant la partie du sieur Giscard. | 50 | 6 | — |
| Un couteau avec la cuillier et la fourchète d’argent doré, pesant 4 1⁄2 onces, à 5 livres l’once, y compris la dorure et la façon | 56 | 3 | — |
| NOTE. La valeur de cet article et de quelques autres n’étant pas marquée dans le livre de raison de M. de Warens, ni constatée par des parties d’orfêvres, M. de Warens, pour pouvoir indiquer de bonne foy la ditte valeur, a consulté le sieur Giscard, orfêvre, qui sur la description que M. de Warens lui a faite des dites pièces d’argenterie, les a estimées comme elles sont ici. | |||
| Un bougeoir pesant 4 onces à 3 livres 3 sols, et la façon 7 livres, en tout. | 49 | — | — |
| Deux salières pesant 8 onces à 3 livres 3 sols, et la façon 7 livres, en tout. | 80 | 6 | — |
| Un moutardier pesant suivant la partie du dit sieur Giscard 9 2⁄3 onces, à 3 livres 10 sols l’once, montant avec la façon. | 107 | 3 | — |
| Une poivrière pesant 7 1⁄4, onces et coûtant avec la façon, suivant la letre du sieur Molière. | 78 | 1 | 6 |
| Trois caffetières, une de dix-huit tasses pesant 32 onces à 3 livres 3 sols et ayant coûté 23 livres de façon, apert de la partie du sieur Molière. | 309 | 6 | — |
| NOTE. — M. de Warens a fourni pour celà une galère d’argent et plusieurs autres pièces qui luy apartenoient. | |||
| Une autre des dittes caffetières, de douze tasses pesant 24 1⁄2 onces d’argent de 3 livres 10 sols, et montant avec la façon, apert de la partie du dit sieur Giscard. | 245 | 7 | 6 |
| La troisième pesant 9 3⁄10 onces d’argent fin de 3 livres 10 sols l’once, qui, avec la, façon et l’argent et la façon d’une tétière d’argent fin, pesant 9 onces, le tout suivant la partie du sieur Molière, monte. | 214 | 10 | 6 |
| Une escuelle avec son couvercle d’argent doré pesant douze onces, qu’on ne met icy qu’à 3 L. 15 s., y compris la façon, l’escuelle étant un peu vieille. | 112 | 6 | — |
| Deux douzaines cuilliers à café, à la réserve de trois qui sont restées. Une des deux douzaines pesoit 4 onces et demi et coutoit avec la façon 20 L. 18 s. Apert du livre de raison, fol. 3. On passe icy pour les neuf autres cuilliers 15 L. 3 s. 3 den., ainsy en tout 36 L. 11 s. 6 d. | 91 | 5 | — |
| Plus une montre d’or à double boete, ayant coûté à Londres avec la chaîne d’or en 1724, L. 400. | 1000 | — | — |
| /168/Une canne avec un pommeau d’or très propre, avec le chiffre de M. de Warens, ayant coûté à Londres en 1724, L. 120. | 300 | — | — |
| Une paire de boutons d’or ayant coûté. | 150 | — | — |
| Un étuy d’argent aux armes de la mère de M. de Warens, pouvant valoir | 22 | 6 | — |
| Deux tabatières d’argent dont l’une avoit coûté huit escus blancs et demi et l’autre neuf, en tout. | 131 | 3 | — |
| Diverses pièces d’or curieuses, provenant de M. de Warens, et valant pour le moins 20 louis d’or. | 560 | — | — |
| Le Dictionnaire de Bayle, qui avoit coûté à M. de Warens. | 225 | — | — |
| Divers autres livres qu’on ne tire pas ici. | |||
| Une boëte à portrait d’argent, valant | 30 | — | — |
| Plus, Madame de Warens a emporté deux douzaines de tasses de porcelaine du Japon, avec leurs jattes, ayant pour le moins coûté | 100 | — | — |
| Un autre vase du Japon qui avoit coûté | 30 | 6 | — |
| Un cabaret très propre de la Chine coutant. | 37 | 6 | — |
| Un chauderon et garniture à thé de cuivre de Hollande, coutant. | 45 | — | — |
| Deux étuys fort propres, l’un de nacre de perles, garni d’argent, avec les instruments nécessaires à un etuy de mathematiques portatif, ayant coûté à Londres en 1724 | 120 | — | — |
| Un autre etuy plus grand, couvert de chagrin | 75 | — | — |
| Un lit, c’est à dire matelat, coissin, deux /169/ couvertes et un couvrepied garni de duvet de cygne, le tout fait depuis le mariage et valant au moins. | 250 | — | — |
| Le dessus de deux très beaux fauteuils de tapisserie et des garnitures aussi de tapisserie pour douze chaises à dossier, valant pour le moins | 300 | — | — |
| Une toilette de vernis des Indes, avec un beau miroir et tout l’assortiment, coûtant. | 125 | — | — |
| Plusieurs toilettes fort propres, une d’une toile d’argent doublée d’un taffetas cerise, garnie d’un point d’Espagne et d’une frange d’or, coutant plus de | 625 | — | — |
| Une autre, d’une étoffe de Turquie ponceau, avec une frange d’argent, valant pour le moins | 300 | — | — |
| Une autre, d’une étoffe à fleurs d’or, avec une dentelle de même, valant plus de | 125 | — | — |
| Une grande toilette blanche à embouti de Marseille, avec une frange de fil noué. | 100 | — | — |
| Mme de Warens a aussi emporté en vaisselle, pour faire son ménage à Evian, une douzaine d’assiètes, six plats de différentes grandeurs et deux soucoupes, le tout valant au moins | 75 | — | — |
| Tout le plus beau linge, tant de lit que de table, et qui devoit estre en grande quantité, Mme de Warens en faisant des provisions toutes les années … Lesquels articles en les mettant à proportion beaucoup moins haut que le linge taxé de l’inventaire, valent pour le moins. | 1250 | — | — |
| /170/ Plus deux pièces d’étoffes entières, revenant à plus de L. 200. | 500 | — | — |
| Total, | 9622 | 11 | — |
| Outre celà Mme de Warens a emporté toutes ses bagues, coulants, pendants d’oreilles et autres joyaux provenant de M. de Warens.
Tous ses habits et robes, dont elle avoit fait quelques uns avant son départ de Vevay. Généralement toutes ses nippes et lînges et bien d’autres choses qui manquent. Et a laissé plusieurs parties de marchands à acquitter. | |||
Liste D. Sommes que M. de Warens a fournies tant pour l’augmentation que pour la bonification des fonds de Mme de Warens. | |||
| A la maison de Vevey : | Florins | Sols | Deniers |
| Le 5 octobre 1713 payé à Jean Narbel, prix fait pour une cheminée à la sale, 14 escus blancs. Apert du livre de raison de M. de Warens (fol. 20). | 105 | — | — |
| Le 13 juin 1716 au sieur Pais pour un fourneau au poële d’en haut, 16 escus blancs (fol. 37) | 120 | — | — |
| Fait un petit galetas en 1715, qui a coûté 46 livres 6 sols 6 deniers (fol. 41) | 115 | 9 | 9 |
| En 1719 fait une chambre à vin, qui a coûté L. 168 (fol. 71) | 420 | — | — |
| Sans y comprendre les aix qui, aussi bien que ceux du plancher de la grange, proviennent des aix que M. de Warens à eu à Chastel pour sa portion d’une créance fort avanturée. | |||
| /171/ Le 13 février 1720 à maître Abraham Matty pour journées pour le plancher de la grange L. 10 et pour une crêche L. 4 (fol. 73) | 35 | — | — |
| En 1720 fait un puits dans le pressoir de Vevay, qui a coûté 119 L. 5 sols (fol. 72) | 298 | 1 | 6 |
| Par un mémoire de Mme de Warens il paroit que les deux cheminées des deux cabinets ont coûté en matériaux et massonnerie 39 escus blancs | 296 | 3 | — |
| Le 15 mars 1722 au sieur Barbey, selon sa partie, pour le boisage du cabinet de M. de Warens. | 115 | 3 | — |
| En octobre 1724 à maître Calamoz pour la portion de Mme de Warens de la muraille mitoyenne avec M. Champel, qu’il a falu retablir après l’accident du feu, apert de sa partie | 72 | — | — |
| En 1726 a maître Paul Richard, apert de sa partie, pour ouvrage fait tant dans la grande chambre que dans la sale, 88 L. 4 s. | 220 | 6 | — |
| En 1726 à maître Stall, serrurier, pour fermente et ouvrage fait à la sale, trois cent vingt huit batz | 82 | — | — |
| En 1724 à maître Abraham Matty, apert de sa partie, pour avoir fait la grande porte de la cour, une porte de chêne au jardin, posé une grande panne au toit et fait un grenier, matériaux et façon | 105 | — | — |
| Outre diverses autres réparations avant /172/ et après l’accident du feu, ayant falu referrer une partie des portes, racommoder les fenêtres, réparer les toits, etc., qu’on ne porte pas en compte. | |||
| M. de Warens a aussi fait faire quelques murailles à la maison et au jardin et une petite chambre carronnée, ou sont les lieux secrets, et un plancher sur vallée qui y va. Mais comme il n’en a pas les parties des ouvriers, ni marqué sur son livre les fraix faits pour tout celà, il se borne à dire qu’il croit de bonne foy qu’il ne luy en a pas coûté moins de | 500 | — | — |
| Plus en mars 1726 il a payé à maître Calamoz, apert de sa partie, pour une colisse de 25 toises faite à la vigne de St Martin, avec une muraille de trois pieds de haut, outre une muraille neuve et quelques autres réparations ici non comprises. | 108 | — | — |
| Pour les maisons et fonds rière Chailly : | |||
| M. de Warens à payé à M. Guilliard de Noville pour un acquis de Mme de Warens d’un morcel pré et jardin, rière Chailly, lieu dit en Prey, en clos dans le pré de la ditte dame, pour la somme capitale de fl. 850, 40 fl. de vins, 107 fl. 3 s. pour le laod et 7 fl. 6 s. pour l’émolument de l’acte, apert par acte du 10 novembre 1722 | 1044 | 9 | — |
| Au syndic de Blonay, pour la passation à records du pré de Cour et Utins, apert d’acte du 17e nov. 1715 | 150 | — | — |
| En 1718 et 1719 pour la construction d’une grange au pré de Barril sur les /173/ monts de Monstrueux, apert du livre de raison de M. de Warens, fol. 65. | 2100 | — | — |
| En 1719, à maître Zacharie, masson, apert au même folio, pour un portail et muraille au bas de la vigne du Crest. | 32 | 6 | — |
| En 1720, pour les matériaux et la façon d’une cheminée et d’un potager, fait à la maison de Chailly, comte fait de la partie d’Adam Fargue, masson | 115 | — | — |
| Suivant une convention faite en 1721 avec George Moury, vigneron, et Cochard, masson, pour des murailles à la vigne de la Piauliausaz, M. de Warens a payé, sans y comprendre 1⁄2 pot de vin rouge, par toise | 100 | — | — |
| Comme on a passé le pré de Sempsales, rière Fribourg, dans les biens fonds de Mme de Warens, on doit tenir comte à M. de Warens de ce qu’il luy a coûté pour les subhastations, revestitures, lauds, emolument d’acte du dit pré et pour l’exemter des printées, ce que M. peut attester lui avoir coûté pour le moins. | 150 | — | — |
| Plus pour les frais du procès soutenu par M. de Warens au sujet de l’égayement des prez de Chailly, appert de la procédure, dans laquelle il y a eu des témoins entendus, deux comparoissances baillivales, etc. 1 | 150 | — | — |
| Plus pour ouvrage neuf de charpenterie fait à la maison de Chailly de Mme de Warens, apert la taxe des experts | 245 | — | — |
| Total, | 6680 | 2 | 3 |
/174/Liste E. Dettes dues par Mme de Warens avant son mariage et acquitées par M. de Warens. | |||
| Florins | Sols | Deniers | |
| Il paroit par le livre de raison de M. de Warens, fol. 1, 2, 6, 8, 9, 11, 12, 20, 23, 27, 28, 32, 49 et par les parties produites que M. de Warens a acquitté pour la dite dame, tant pour pension que pour parties faites, pendant près de deux ans qu’elle a demeuré chés Mme Crespin, à Lausanne, et chés M. Magny, à Vevay, la somme de L. 1227, 5 sols, 6 den., faisant en florins. | 3068 | — | — |
| 20 mars 1714. Au sieur Pierre Vincent, de Chailly, tuteur de Claude Blanc, pour un acquis fait par les tuteurs de Mme de Warens d’une pièce de terre au Basset, du capital de 20 escus petits et 18 fl. 9 sols, tant pour vins qu’emoluments d’actes et laods, apert du livre de raison fol. 75 et de l’acte d’acquis | 118 | 9 | — |
| 6e juillet 1714. Au sieur Jean-Pierre Vincent pour un acquis fait de luy par M. de la Tour, au Basset, fol. 75, du dit livre de raison, en capital | 75 | — | — |
| M. de Warens a payé à la décharge de M. Magny, en acquittement de ce qui luy étoit dû par Mme de Warens, comme se voit tant par le soude du compte de tutelle de M. Magny, que par le livre de raison de M. de Warens, fol. 76. | 701 | 11 | — |
| Il a encor livré au dit M. Magny, tant pour soude final du dit compte que pour reste de son salaire de tuteur, y compris /175/ une petite honnêteté qu’on a trouvé à propos de luy faire, apert du même fol. du livre de raison | 382 | 3 | — |
| 4 janvier 1718, fol. 10 du livre de raison, payé au sieur syndic du Châtelard pour un legs fait par feu M. Gabriel de la Tour, aux pauvres de la commune | 50 | — | — |
| 5 septembre 1719. A M. le conseiller Charrière pour paiement d’une cédule de feu M. de la Tour, appert de quittance. | 86 | 8 | 8 |
| A MM. du Conseil de Vevay pour soude de la reconnoissance de bourgeoisie de MM. de la Tour, dont le père de Mme de Warens étoit chargé, L. 101, 5 sols, apert de quitance | 253 | 1 | 6 |
| 27 octobre 1724. A M. Magny, comme tuteur de Mlle Ployard, le soude d’une letre de rente due à Mme Davel, sa grand-mère, par le père de Mme de Warens, montant en capital à la somme de | 1262 | 6 | — |
| Quittance au pied de la ditte letre. | |||
| 6 mars 1725. D’ordre du susdit M. Charrière à M. le conseiller Gignilliat pour la portion de Mme de Warens d’un legs, fait à l’hôpital de Cossonay par une grand’tante | 12 | — | — |
| Total, | 6010 | 3 | — |
| Autres sommes dues à M. de Warens : | |||
| Qu’il a rencontré avec l’hoirie de la Tour, soit Mme Dulon, leur mère, fl. 142, 4 sols dont la ditte hoirie avoit droit sur la letre de rente contre les Perrins de Sempsales, apert par traité du 17 may 1715. | 142 | 4 | — |
| /176/ 24 octobre 1724. Il a payé à Mme de Joffrey une cédule, à elle faite par Mme de Warens de L. 500, appert de la ditte cédule. | 1250 | — | — |
| Plus une partie de la Delle Coin du 1er mars 1725 pour diverses choses fournies par Mme de Warens à Mlle de Chayres, apert de la ditte partie L. 85, 7 sols, 6 den. | 213 | 5 | 6 |
| Plus Mme de Warens a encore fourni à la ditte Delle de Chayres 1 une robe de persienne et un habit de Toscane, montant les deux à L. 72, comme se voit par la partie de Mlle Eustache et la confession de la tailleuse Lavanchy. | 180 | — | — |
| Sans préjudice des autres articles que l’on pourra découvrir. | |||
| Plus il paraît par le livre de raison de Mme de Warens qu’elle a fourni à ses neveux de la Tour, d’un côté L. 460 et de l’autre L. 126,12 | 1466 | 6 | — |
| Plus, par une letre de l’aîné de la Tour du 9 août 1726, il paroit qu’elle lui a fait toucher en juillet 1725 dix louis d’or, soit | 272 | 1 | 6 |
| Outre les sommes marquées ci-devant, comme fournies par Mme de Warens aux dits MM. de la Tour, il paroit par son livre de raison, qu’elle leur en avoit fourni d’autres précédemment, qu’elle n’a pas marquées, outre leur entretien de toutes choses et celuy de Mlle leur sœur dans la maison de M. de Warens pendant plusieurs années. Mlle de la Tour y étant depuis dix /177/ ans. Ce que M. de Warens ne voulut point répéter des dits MM. de la Tour, il est juste qu’il s’en rembourse sur les biens de Mme de Warens, et veut bien se borner pour tout celà à mille francs | 2500 | — | — |
| Total, | 6024 | 5 | — |
| D’ailleurs le même livre de raison de Mme de Warens justifie qu’elle retiroit les revenus de M. son mari, qui a cru et dû croire qu’elle les employoit à payer les emplettes et autres dépenses de la maison. Cependant comme depuis son évasion on a fourni à M. de Warens plusieurs parties, qui se montent à environ mille livres, sans celles qu’il ignore encore, il supplie LL. EE. d’y avoir égard dans les dédommagements qu’elles trouvent équitables de luy accorder sur les biens de sa ditte femme; d’autant plus qu’elle l’a engagé à contracter des dettes considérables qu’il supporte en son propre. | |||
Liste F. Prétentions de M. de Warens contre Mme son épouse, concernant la fabrique de bas qu’elle avoît établie à Vevay pour son compte particulier avec le sieur Elie Laffon, le 26 avril 1724 1, continuée en société avec M. le conseiller Miol par traitté du 13 mai 1725, lequel s’en est déporté de gré à gré en novembre, dite année, et ensuite avec le sieur Saint-André par traitté du 13 avril 1726. | |||
| Florins | Sols | Deniers | |
| Premièrement M. de Warens s’est cédulé en son propre le 4 mars 1725 auprès de Mme la veuve de feu M. le ministre Du Mur pour la somme de six-cents livres, parce /178/ qu’elle ne voulut pas présenter la ditte somme, que sur le billet propre de M. de Warens, qui ateste avoir fait cet emprunt uniquement pour la dite fabrique et avoir laissé parvenir l’entière somme empruntée à Mme de Warens, qui l’a reçue des mains de Mme la capitaine Dufour | 1500 | — | — |
| Intérêts depuis le dit jour 4e mars 1725. | |||
| Plus M. de Warens a fourni de son propre argent, pour la même fabrique, les sommes suivantes, comme apert de son livre de raison, fol. 66 : | |||
| Savoir : en mars 1724 1 L. 493, soit, | 1232 | 6 | — |
| en avril 1724 L. 922, | 2305 | — | — |
| en décembre 1724 L. 300, | 750 | — | — |
| en février.. 1726 L. 800, | 2000 | — | — |
| Mme de Warens a fait faire au printemps dernier une galerie de communication de sa maison à celle de la fabrique, un escalier, un couvert de tuiles, la ditte galerie fermée d’aix, avec des portes neuves, ce qui a coûté à M. de Warens passé 200 L. et luy est inutile aujourd’huy | 500 | — | — |
| Total, | 8287 | 6 | — |
| Outre celà Mme de Warens a engagé son mari d’acheter en avril 1725 une maison pour la ditte fabrique, qui, avec les réparations qu’il a falu faire pour la rendre propre à cet usage, coûte. | 7500 | — | — |
| Ce qui est beaucoup plus qu’on ne sauroit la vendre aujourd’huy. /179/ | |||
| Et comme M. de Warens n’avoit point de part à la ditte fabrique, Mme de Warens avoit promis de luy tenir compte annuellement de cinquante-cinq escus blancs pour le loyer de la ditte maison, à commencer dès le 1er may 1725, auquel tems le sieur Elie Lafon y est entré. M. de Warens demande la ditte rente jusques à ce qu’il ait vendu ou loué la ditte maison. | |||
| Et il supplie LL. EE. d’avoir égard à ce que la ditte manufacture luy a été à charge par le bois, huile, lumières, lits pour les ouvriers et autres choses, qu’on a prises chés luy pour l’usage de la ditte fabrique et qui monteroient considérablement, si on pouvoit en fournir un compte exactement détaillé. | |||
34
Manual de la cour de justice de Vevey (1726-1729), p. 1.
Séance du 11 septembre 1726.
Monsieur le Chatelain a représenté, qu’étant attentif aux droits de cette Chambre, il avoit pris la liberté de demander à notre très honoré Seigneur Ballif sur quel fondement il avoit réglé la manière de prendre l’inventaire et l’estimation des biens et effects de Madame De Vuarens, née De la Tour, puisque ce fait étoit naturellement du ressort de ce tribunal. Surquoy sa magnifique Seigneurie ballivale aiant bien voulu l’edifier, lui avoit dit que c’étoit en consequence des ordres déterminés de LL. EE. qu’il y procède avec son secrétaire ballival, sous l’assistance du dit seigneur chatelain comme fiscal, y emploiant deux justiciers de cette ville pour la taxe des biens et effects, qui y existent, et le même nombre de justiciers des autres jurisdictions où il y a des biens. Et celà à cause que la dite Dame a embrassé la religion catholique, conduite qui a fait écheoir ses biens au fisc suivant un arrêt souverain de 1723. Adjoutant que pour tout ce qu’il /180/ echerra de faire à la suite, à l’occasion des dits biens, et où LL. EE. n’ordonneront pas la manière de procéder, Sa Seigneurie l’a asseuré que ce Corps jouira de son droit, puisque la dite Dame en relevoit, d’autant qu’elle n’étoit pas dame de jurisdiction 1 dans ce balliage. Ce Corps a remercié M. le Chatelain de son attention à ses intérêts, avec ordre d’inscrire son présent rapport.
35
Manual du Conseil de Vevey, No 4, p. 141.
Séance du 2 décembre 1726.
Antoine Servet, de Vigand, Vivarais, demande à s’établir à Vevey comme manifacturier en bas de soie. Accordé. Ce noble Corps verroit de bon œil qu’il s’entende avec M. le conseiller de Vuarens qui est chargé de sept métiers pour la ditte vocation. Le dit Servet a dit qu’il feroit son possible tant pour l’achat de quelques uns des dits métiers, mais aussi pour le louage de sa maison.
36
Manual du Conseil de Vevey, No 4, p. 144.
Séance du 5 décembre 1726.
Sur les représentations de M. le conseiller de Warens contre la réception accordée lundi dernier au sieur Anthoine Servet pour establir des métiers de bas; exposant que cette réception est contraire à l’octroy accordé à Mme de Warens le 10 septembre 1725, a esté délibéré de suspendre la réception du dit Cervet jusqu’à ce que LL. EE., nos souverains seigneurs, ayent prononcé sur la liquidation des biens de Mme de Warens; après quoi, si la manufacture ne reprend pas ses travaux, /181/ ce Corps prendra des mesures là dessus, envisageant que cet octroy ne peut pas subsister sans l’activité de la manufacture. — Le dit M. de Warens ayant demandé copie de ce qui le concerne et terme jusques à Lundi pour se déclarer là dessus. Celà lui a esté accordé et, en cas d’acceptation, devra rendre la copie des lettres d’opposition qu’il a fait nottifier au prédit Cervet, pour estre mises à néant et censées non avenues.
37
Manual du Conseil de Vevey, No 4, p. 145.
Séance du 9 décembre 1726.
M. de Vuarrens, en conséquence du terme qu’il a demandé jeudi dernier sur la délibération, passée sur ses représentations, au sujet de la réception accordée aujourd’hui huit jours au sieur Anthoine Cervet, déclare qu’il consent à ce que toutes les difficultés survenues au sujet de l’octroy, qui a esté cy fait a Mme de Vuarens, soyent sursises. Délibéré qu’on accepte la susdite déclaration, d’intention qu’il remettra présentement la copie du mandat d’opposition qu’il a fait notifier au dit Cervet. Surquoy le dit M. de Vuarrens a encore déclaré que d’autant que la réception du dit Cervet est suspendue, il suspend aussi l’effet de son dit mandat jusqu’à ce que LL. EE. ayent sentencé. A quoy remis.
38
Archives de Loys. Copie de la main de M. de Warens.
Mémoire présenté par M. de Warens au seigr Baillif de Vevay, touchant la liste de ses prétentions, notées E., dans l’inventaire pris des effets de Mme de Warens en septembre 1726.
Le sieur de Warens prie très humblement Sa magnifique Seigneurie Baillivale de remarquer que dans l’inventaire pris par ordre de LL. EE., nos Souverains Seigneurs, des effets de /182/ Mme de Warens, il y a une erreur à son préjudice, page 17 du dit inventaire, dans l’article des prétentions produites par le dit sieur de Warens, troisième (quatrième ?) liste marquée E., intitulée : « Liste des dettes dues par Mme de Warens avant le mariage et acquittées par le dit M. de Warens, » et que le dit inventaire ne fait monter qu’à six mille-vingt quatre fl. cinq sols. L’original de la ditte liste, produit par M. de Warens, est composé de deux articles dont l’un revient à six mille-dix fl. trois sols, et le second à six mille vingt quatre fl. cinq sols, de sorte que ces deux sommes ascendent à douze mille trente quatre fl. huit sols, au lieu de six mille vingt quatre fl. cinq sols que porte l’inventaire. M. le Secrétaire baillival ayant par inadvertance marqué seulement la dernière somme sans faire mention de la première. Ainsi le dit sieur de Warens supplie sa Seigneurie baillivale de vouloir bien avoir la bonté d’en faire une notte pour que cet article puisse être redressé.
39
Archives cantonales vaudoises. Correspondance baillivale, Vevey, I, p. 63. Extrait du Manual de la chambre des Bannerets du pays de Vaud
Rapport à LL. EE. sur la question : Y a t-il lieu de faire tomber en commise les biens de Mme de Vuarens ou de laisser à son mari ce qui restera de sa succession, dettes déduites.
Berne, le 21 décembre 1726 1.
(Texte original en allemand.)
Illustres et souverains Seigneurs.
Sous date du 29 août dernier, Messeigneurs le Trésorier et les Bannerets ont fait connaître à Vos Excellences que Mme de /183/ Vuarens, née De la Tour, de Vevey, était partie pour la Savoie où elle avait embrassé la religion papistique. En réponse à cet avis, ils ont reçu non seulement l’assurance que la requête de M. de Vuarens était bien parvenue au souverain, mais aussi l’ordre de soumettre à un sérieux examen la supplication qui fait l’objet de cette requête : celle de céder au pétitionnaire les biens qui restent de la fortune de sa femme. Dans ce but ils devaient faire dresser un inventaire exact de l’avoir personnel de la déserteuse, avec indication de ses dettes et de ses créances, pour le présenter à VV. EE., accompagné d’un rapport sur ce qu’ils croyaient opportun de décider à cette occasion. Messeigneurs ont pris soin de s’entourer des informations les plus précises. Ils ont chargé le bailli de Chillon de faire taxer par des experts-jurés tous les biens-fonds de Mme de Vuarens, à Vevey comme dans la baronnie du Châtelard, et d’ajouter aux procès verbaux de ces taxes l’inventaire détaillé de sa succession mobiliaire, passif comme actif compris, ordonné par le même arrêt. Aussitôt l’enquête terminée ils ont pu calculer à l’aide de documents réunis de divers côtés, que la fortune de cette dame, défalcation faite des hypothèques et des biens dont Mme de la Tour, née Flavard, possède l’usufruit viager, en vertu du testament de son mari, ne monte pas au delà de 12 278 Livres. Si donc l’on devoit encore admettre, comme celà semble naturel, la plupart des prétentions pécuniaires, bien fondées, que M. De Vuarens fait valoir contre sa femme, tant à cause de la fabrique de bas qu’elle avoit établie à Vevey, qu’à cause des effets qu’elle lui a emporté lors de son départ pour la Savoie, celles-ci absorberoient en tout cas cette somme et même selon toute apparence, la dépasseroient de beaucoup. En outre il peut se présenter des frais assez considérables et des lenteurs de procédure déplaisantes. C’est pourquoi Messeigneurs, bien qu’ils n’ignorent pas que le droit de confisquer les biens de Mme de Vuarens appartient, de par la loi, sans /184/ conteste à l’Etat, puisque cette dame n’a pas d’enfant, croient devoir proposer à VV. EE., en ce cas particulier, par égard aussi pour la situation digne de pitié où se trouve M. de Vuarens, de renoncer exceptionnellement à la confiscation en faveur de ce dernier et de lui laisser ainsi, comme une consolation du chagrin qui l’accable, le peu de la fortune de sa femme, qu’il a encore en mains, afin de l’employer au payement des dettes qu’elle avait contractées. Ils recommandent en conséquence le suppliant à la générosité du souverain. Pour ce qui a trait en revanche au domaine du Passet 1 et aux autres biens, dont Mme De la Tour a la jouissance viagère, mais qui sont aussi la propriété de Mme de Vuarens, Messeigneurs sont d’avis, sans préjuger l’arrêt que prendront VV. EE., de renvoyer la décision en temps convenable 2. Fait le 21 décembre 1726 3.
Chancellerie de la Trésorerie romande à Berne. /185/
40
Manual du Conseil de Vevey, No 4,
Séance du 9 janvier 1727.
Le sieur Anthoine Cervet s’étant représenté au Conseil pour obtenir la concession, M. de Vuarrens finit par déclarer que, s’il plaisoit à ce noble Corps de le gracier du laud de la maison qu’il a acquis pour établir la ditte mânufacture, il renonceroit au dit octroy et rendroit l’acte de concession. On le luy accorde et il rend l’acte, de sorte que Cervet peut obtenir la concession.
41
Archives de Loys.
Manual du Consistoire suprême XVII, 585.
Acte consistorial du 24 février 1727.
Nous le Juge et Assesseurs du Suprême Consistoire de la ville de Berne, scavoir faisons par ces présentes comme c’est que noble Sebastien-Isaac De Loys, seigneur de Warens, nous auroient fait produire des certificats authentiques que Françoise-Louise de La Tour, son épouse, l’auroit malicieusement déserté et abjuré nostre sainte Religion, concluant d’estre à ce sujet divorcié d’avec elle : Partant et en considération des attestations légales à nous produites, nous avons enlevé, annullons et enlevons par ces présentes le lien de mariage qu’il avoit avec la dite de La Tour, avec adjudications des despends qu’il a souffert à ce sujet et de toutes ses autres légitimes prétensions, lui permettans d’ailleurs la liberté de se remarier à qui bon lui semblera. En foy de quoy avons apposé nostre sceau accoutumé. Doné ce 24 février 1727.
(Sceau du Consistoire.) /186/
42
Archives cantonales vaudoises. Correspondance baillivale, Vevey, I, p. 75. Extrait du Manual de la Chambre des Bannerets du pays de Vaud, à Berne.
Notification de l’arrêt de LL. EE. terminant le procès entre M. de Rovéréa et M. de Vuarens.
Berne, 1er avril 1727.
(Texte original en allemand.)
Mandat à Messeigneurs le Trésorier et les Bannerets du Pays de Vaud.
Très honorés Seigneurs.
Leurs Excellences ont été mises au fait, par votre préavis, du différend survenu entre M. de Rovéréa, tuteur des enfants de feu M. Jean-Baptiste de la Tour, le plus jeune, d’une part, et M. De Vuarens, d’autre part, au sujet des biens dont M. Jean-Baptiste De la Tour, le plus âgé, avait laissé l’usufruit à sa veuve Marie Flavard, mais dont la propriété est à sa fille Louise-Françoise De la Tour, aujourd’hui absente du pays, pour être après elle substituée à d’autres héritiers, en vertu du testament paternel. — Elles ordonnent à ce sujet que Marie Flavard doit garder l’usufruit de ces biens; qu’en un mot l’arrêt prononcé par Elles en décembre dernier restera en vigueur et sera confirmé par la présente sentence. Les frais seront mis par égales portions à la charge des deux parties. De quoi, Très honorés Seigneurs, vous recevez avis. Fait le 1er avril 1717.
Chancellerie de Berne.
(Adresse). Au secrétariat de la Trésorerie romande. /187/
43
Archives de Loys, S. N.
Compte de vente de la seigneurie de Vuarens.
du 28 mars 1728.
| Il sera dû à M. Sébastien-Isaac De Loys par M. le major Bergier pour l’acquis de la terre de Vuarens, tant en capital que pour vins, la somme de | Livres 27350 | — |
| On payera comme suit : | ||
| A Messieurs de la ville d’Yverdon, à la décharge de M. De Loys une lettre de rente du capital de | 10000 | — |
| Rate d’intérêts dès le 19e avril 1727 | 453 | 5 |
| Par une remise par le dit M. De Loys faite d’une lettre de rente qu’il devoit à à M. Bergier, capital. | 5000 | — |
| Rate dès le 17 janvier 1728 | 41 | 16 |
| Il luy livrera comptant dès que l’acte sera approuvé par LL. EE. | 5854 | 19 |
| Plus il lui paiera à Pâques 1729 avec intérêts | 6000 | — |
| Livres 27350 | — | |
| Plus M. Bergier devra payer à LL. EE., soit aux seigneurs portionnaires aux laods des fiefs nobles, à forme du billet fait à ce sujet en argent comptant, ici | Livres 4812 | 11 8 |
| Plus par remise à M. De Crousaz | 604 | — — |
| Total, 5416 | 11 8 | |
Quoyque l’acte d’acquis, qui a été stipulé par intérim par M. le commissaire Gignilliat, cejourd’huy vingt-huitième mars mil sept cent vingt et huit, porte quittance à la part de /188/ M. De Warens en ma faveur, si est que le dit acte bien été corroboré sur le pied proposé, je payerai selon l’état établi ci-dessus. A Lausanne le dit jour.
Signé : Bergier.
44
Manual du Conseil de Vevey, No 4, F. 501.
Séance du 29 mars 1728.
M. Miol a remis ici en Conseil trois billets de feu M. Salvage, dont deux sont dus par M. le conseiller De Vuarrens et l’autre par l’hoirie de feu M. Jean-Baptiste De la Tour 1, lesquels billets ascendent à 3000 florins de capital. Lesquels billets ont été remis entre les mains de M. le commandeur Châtellain, ce noble Corps ayant veu qu’il n’y a aucune seurté dans les dits billets et que l’on a appris que M. De Vuarrens, débiteur des dits billets, sera peut estre absent pour quelque tems 2. L’on a ordonné à M. le commandeur d’escrire au dit M. De Vuarrens que l’on prétend qu’il donne des seurtés ou qu’il paye. Toutefois après qu’il aura conféré là dessus avec MM. de la Tour, 3 intéressés au fait pour un quart. /189/
45
Manual du Conseil de Vevey, No 4, p. 505.
Séance du 2 avril 1728.
Décidé de prier M. le châtelain de Joffrey d’appeler Pierre, valet de M. de Vuarrens 1 pour lui deffendre de laisser sortir ni disperser aucune chose de ce qu’il peut encore avoir dans sa maison.
46
Manual du Conseil de Vevey, No 4, p. 507.
Séance du 5 avril 1728.
M. le commandeur a esté chargé d’estre attentif par rapport aux billets de l’héritage de M. Salvage, contre M. De Vuarens, si quelcun de ses autres créanciers agissayent, affin d’agir aussi en même tems de concert, toutefois avec MM. de la Tour, intéressés au fait pour un quart … On priera le curial d’avertir le commandeur des lettres que d’autres créanciers pourroyent obtenir.
47
Manual du Conseil de Vevey, No 4, p. 508.
Séance du 5 avril 1728, après-midi.
Le conseil, apprenant qu’il y a des créanciers de M. De Vuarens qui instent contre luy, charge le commandeur de lui faire écrire des lettres de citation devant la justice. /190/
48
Manual de la Cour de Justice de Vevey 1728, F. 176 v.
Séance du 7 avril 1728.
M. le châtelain a représenté que plusieurs créanciers de M. le conseiller De Vuarens étants recouru hier à luy pour luy demander de mettre ses effects en seurté, puisque l’on publie qu’il a quitté le Pays et qu’ils aprennent que d’autres créanciers ont procuré des saisies à Lausanne sur des effects dudit M. De Vuarens, ce qu’ils pourroient faire de même qu’eux, mais qu’ils ne croient pas ce procédé légal, il se seroit vû obligé d’aller avec le curial metre les sceaux sur les effects les plus précieux de la maison d’icy et de prendre inventaire de ceux qui ont été laissés pour l’usage entre les mains de ses domestiques, faisant remplir actuellement le vin blanc et rouge qu’il y a dans les caves pour le metre aussy en seurté; qu’il echet de délibérer là-dessus et de voir ce qu’il y auroit à faire plus outre pour le coup.
Après avoir approuvé ces précautions, l’on a trouvé que M. le châtelain doit requérir M. le juge de Lausanne de ne point permettre de saisies ni d’autres poursuites et instances, mais de faire en sorte que les effects que M. De Vuarens peut avoir à Lausanne soient conservés de même que les autres en faveur de qui il echerra de droit; lesquelles précautions l’on croit suffisantes pour le coup. Et suivant ce qu’il conviendra l’on délibérera de nouveau plus outre.
49
Manual de la Cour de Justice de Vevey 1728,, 1728, f. 183 v.
Séance du 13 avril 1728.
M. le Châtelain a convoqué cette assemblée extraordinaire pour représenter ce qui suit à cette noble justice. /191/
1o Que Mme la capitaine Seigneux, de Lausanne, et Mlle Gravier sa sœur, demeurant dans cette ville, allèrent le requérir hier derechef de leur accorder les requisitoires pour les lettres de gagement et saisies de ce que M. le major Bergier, de Lausanne, doit à M. De Vuarens pour le reste du prix de sa terre. Les dites lettres accordées par le juge de Lausanne en datte du sixième du courant.
Item les sieurs Mammejean, Pre Chevallier et Gossellin du dit Lausanne, pour des lettres de gagement sur la maison et les autres fonds de Lutry, par lettres du châtelain du dit lieu, dattées du jour de hier. Mais qu’il leur a refusé les dits requisitoires, fondé sur la delibération de cette justice de mercredy dernier. MM. du Conseil de cette ville et Mons. l’ancien commandeur Miol l’aiant d’ailleurs requis en confirmation de leurs instances de mardi dernier et de celle des autres créanciers, qui parurent avec eux, de ne point accorder les dits requisitoires, ni permettre d’autres saisies et instances, puisque la justice est censée saisie des effects de M. de Vuarens depuis huict jours, outre qu’il est juste que ne venant pas lui-même satisfaire ses créanciers, chacun d’eux soit paié dans son rang et datte du provenant de ses biens et effects par une discution soit liquidation d’iceux. Qu’ainsi il échet de connoître sur la nécessité de la ditte discution et de voir ce qu’il y a à faire d’ailleurs à ce sujet.
La noble Justice aiant fait attention au concours et instances des dits créanciers et considéré aussi les prétendues saisies des uns et les oppositions des autres sur icelles, remarquant d’ailleurs les circonstances de l’absence de M. le conseiller de Vuarens et qu’il ne marque point le lieu d’où il écrit une lettre à son valet, dattée du 4e du courant, par laquelle il lui aprend que son absence sera plus longue qu’il l’avoit crû et lui ordonne de retirer de ses débiteurs ce qu’ils lui doivent et de vendre son vin en gros et en détail. Adjoutant qu’il doit s’opposer à son nom aux instances que /192/ quelqu’un de ses créanciers pourroient faire contre lui, soit sur ses biens, par subhastation ou autrement, etc. Considérant aussi que MM. ses parents, qui ont été avertis des instances et démarches des créanciers, ne se mettent point en mouvement pour les arrêter, il a été trouvé et connu qu’il y a nécessité de mettre les biens en vente et discution, soit liquidation, pour payer par ce moien ses créanciers légitimes, dans leur rang et datte, au cas que (comme il s’est absenté) il ne vienne pas leur répondre et donner satisfaction dans le terme de six semaines, ainsi qu’il y sera sommé par les lettres qu’on trouvera à propos de lui faire signifier dès aujourdhuy, par affiche à la porte de sa maison dans cette ville. De laquelle nécessité l’on expédiera acte, pour en faire exhibition à notre très honnoré seigneur Ballif, et impetrer cette discution conformément à la première loy du Coutumier, fo 561. Toutefois sous la condition du dit terme de six semaines, M. le justicier Courvoisier ayant été chargé d’aller aujourd’huy à Chillon, obtenir la dite impétration.
De plus, il a été trouvé nécessaire de faire mettre sous les sceaux les effects qu’il y peut avoir à Lausanne, à Lutry et à Chally, comme aussi d’y empêcher toutes sortes de saisies ou autres instances, afin que les biens et effects soient conservés en faveur de qui il echerra de droit. Le dit sieur Courvoisier aiant été chargé avec moi Curial, de nous rendre dès demain dans les dits trois endroits à ce sujet, comme aussi de faire faire deffence à Mons. le major Bergier 1, de Lausanne, et à tels autres débiteurs de Mons. De Vuarens qu’ils pourroient decouvrir, de ne rien paier que par authorité ou connoissance de cette noble Justice, soit par le consentement des créanciers intéressés.
2o Mons. le châtelain a encore raporté qu’il a eu la précaution de faire promettre entre ses mains au valet de M. De /193/ Vuarens 1 de ne rien recouvrer, ni vendre du vin ou autres effects de son chef, puisque le tout doit être conservé jusqu’à ce que l’on voie si son maître viendra dans le dit terme de six semaines pour arrêter ses créanciers ou non.
50
Manual de la Cour de la Chatellenie de Vevey, f. 187 v.
Séance du 17 avril 1728.
M. le conseiller Courvoisier a fait rapport d’avoir obtenu mardi dernier de notre Seigneur ballif le mandat d’impétration de la discussion soit liquidation des biens de M. De Vuarens, sa Seigneurie ballivale avant voulu préserver dans icelui la liberté aux créanciers de demander l’accélération du terme de six semaines qu’on lui a donné pour venir répondre à ses créanciers. — Et que mercredi il est allé, avec moi curial, à Lutry et à Lausanne faire défences à ceux qui peuvent être débiteurs à M. De Vuarens de ne paier à qui que ce soit que sous l’authorité de cette noble Justice, à peine d’en répondre, comme aussi pour manifester à MM. les Juges des dits lieux le dit mandat d’impétration. Ayant promis de n’y contrevenir par aucun octroy de poursuites, etc. — Item que hier ils sont allés mettre les sceaux à Chally aiant pris les clés de la maison, qu’il a remis présentement à M. le châtelain, y aiant apris qu’Abram Delacour, de Chaulin, doit à M. De Vuarens une lettre de rente, avec quelques intérêts d’icelle. Item, que moi curial ai écrit jeudy à M. D’Echichens, sur Morges, au sujet d’une lettre de renthe, de 500 livres en capital que l’on a dit à Lausanne qu’il devoit à M. De Vuarens. Lequel vient de me répondre dans ce moment qu’il doit bien 500 livres, soit 1250 florins en capital, ne sachant si c’est par lettre de renthe ou obligation. /194/
51
Manual de la Cour de la Chatellenie de Vevey, F. 193.
Séance du 24 avril 1728.
M. le châtelain a fait rapport d’avoir parlé à notre Seigneur ballif, ensuitte de la délibération de mercredi dernier et qu’il a fait ses protestes au nom de ce Corps pour tout ce qui pourroit être fait contre les loix et au préjudice des droits tant de ce Corps que des créanciers de M. De Warens, sur lesquelles protestes sa Seigneurie ballivale a fait inscrire ses contreprotestes, l’instance en cour ballivale de M. Jaubert au nom du magnifique Seigneur Tiller, gouverneur de Königsfelden, n’ayant pas été suivie à cause des dittes protestes.
52
Manual de la Cour de la Chatellenie de Vevey, F. 193 v.
Séance du 26 avril 1728.
M. notre châtelain a communiqué le mandat que Monseigneur le ballif lui a adressé le 24 du courant à l’instance de M. le collonel De Tavel 1, du Conseil souverain de Berne, aux fins d’aporter certaine explication en sa faveur dans le mandat d’impétration du décret des biens de M. De Vuarens, insinuant conséquemment à M. le châtelain de donner lieu à la continuation de la barre faitte par le dit seigneur de Tavel sur M. le major Berger, de Lausanne, au plus ample du mandat. L’on a trouvé que le Seigneur châtelain peut représenter là dessus à notre Seigneur Ballif que ce noble Corps de justice étant nanti et saisi des biens et effets de M. De Vuarens, /195/ conformément aux lois et à l’usage, pour être discutés par les voyes ordinaires, sa Seigneurie ballivale ne peut pas y toucher et donner atteinte ni déroger au droit et ressort de la noble Justice et dépendances. Qu’ainsi il le prie de révoquer le dit mandat en laissant tout ce qui concerne les biens et le décret de M. De Vuarens se traitter et régir par M. le châtelain et cette noble justice, selon leur devoir et office. Ce dont sa Seigneurie ballivale pourra rendre sachant M. le collonel De Tavel. Et en cas qu’elle refuse M. le châtellain et la Justice dans la liberté de leur droit et fonctions, l’on se verra obligé de prendre d’autres mesures.
53
Manual de la Cour de la Chatellenie de Vevey, F. 194.
Séance du 1er mai 1728.
M. le châtelain a représenté qu’ayant apris que Monseigneur le ballif avait reçu hier une lettre de LL. EE. des suprêmes appellations, sur les informations que sa Seigneurie ballivale a faites à LL. EE. du Sénat, du 20e du courant, aux fins d’attirer en cour ballivale la discution des biens de M. le conseiller de Vuarens, si elle a lieu, il en avoit demandé communication à sa Seigneurie ballivale. La traduction des quelles lettres il produit par lesquelles parroissent que LL. EE. de la suprême chambre croient, sur les dites informations de sa Seigneurie ballivale, que cette discution est du ressort de la chambre ballivale. Ce qui n’étant pas et sa Seigneurie ballivale en aiant saisi ce noble Corps de justice conformément aux loys, comme est dit cy-devant, il avoit cru à propos de représenter d’avance par la poste d’hier les faits à Leur Grandeur, en attendant une représentation plus ample de ce Noble Corps, dont l’honneur est intéressé dans cette affaire plus que l’interêt. — L’on a remercié M. le /196/ châtelain de son attention à cette affaire et l’on a trouvé à propos de faire une représentation convenable à LL. EE. là dessus; en aiant chargé moi, curial, si je vai à Berne la semaine prochaine pour d’autres affaires, comme je le crois.
54
Manual de la Cour de la Chatellenie de Vevey F. 196 v.
Séance du 10 mai 1728.
Cette assemblée ayant été convoquée au sujet de la lettre que M. le conseiller Grenier, curial de scéans, présentement à Berne, a addressé au noble Seigneur châtelain de cette ville, concernant la discution impétrée de M. De Vuarens. — Lecture de dite lettre ayant été faite, il a été délibéré que comme ce Corps a donné charge et procure raisonnable à ce sujet au dit sieur Grenier le noble seigneur châtelain est prié et s’est chargé d’écrire par l’ordinaire de demain au dit sieur Grenier, de représenter et maintenir l’honneur et l’intérêt de ce Corps à ce sujet, en vertu de la dite procure à luy conférée pour ce fait.
55
Manual de la Cour de la Chatellenie de Vevey F. 199 v.
Séance du 29 mai 1728.
Suivant la lettre que M. le conseiller Grenier a écrite à M. le châtelain au sujet de la discution impétrée des biens de M. De Vuarens, par laquelle lettre le dit M. Grenier fait sentir les difficultés qu’il y auroit à faire révoquer l’arrêt de LL. EE. à ce sujet presentement. — Délibéré que, comme M. les parents ont pris la dite liquidation en mains par laquelle ils /197/ pourroient éviter la discution des biens du dit M. De Vuarens, il est inutile de prendre pour le coup des précautions jusqu’à ce que l’on sache de quel côté la chose tournera, mais que pourtant l’on ne perdra pas celà de vue pour qu’en cas de discution ce noble Corps puisse faire ses representations à LL. EE. pour estre maintenus au benefice de ses droits et privilèges.
56
Manual du Conseil de Vevey, No 4, p. 573.
Séance du 15 juillet 1728.
M. le conseiller Gignilliat produit une lettre de M. de Vuarens, présentement en Angleterre, par laquelle il prie qu’on ne remplisse pas sa charge de conseiller en luy marquant qu’il escrira dans peu luy-même à nos honorés seigneurs du Conseil pour les prier de celà. Il a esté délibéré que l’on attendra la lettre de M. de Vuarens, après quoi l’on verra quelles mesures l’on prendra là dessus.
57
Manual du Conseil de Vevey, No 4, p. 601.
Séance du 28 août 1728.
Sur la lettre que M. de Vuarens a adressé à ce noble Corps, datée du 22 juillet de Brentenod-Inesse 1, par laquelle il demande excuse de ce qu’il s’en est allé sans demander aucun congé, priant de conserver son poste, voulant venir fonctionner sitôt que l’arrangement de ses affaires dans cette ville sera fait. Délibéré d’attendre. /198/
58
Archives de Vevey. Régistre d’inféodations, coté i.
Assujetissement à fief en faveur des seigneurs de Blonay contre les nobles et généreux Daniel De Loys et Charles-Guillaume De Loys, agissant au nom de la noble famille De Loys, de Lausanne, reçu et expédié en parchemin, signé Grenier.
30 septembre 1728.
Comme ainsy soit que les nobles et généreux Daniel De Loys, seigneur de Mides, conseiller de la ville de Lausanne et capitaine de fusilliers et Charles-Guillaume De Loys, seigneur de Bochat, professeur en droit et recteur de la vénérable Académie dudit Lausanne, agissant en qualité de commis de la noble famille De Loys, autorisée par LL. EE. pour disposer et vendre les biens et effects de n. et gén. Isaac-Sbastian De Loys, cy devant seigneur de Vuarrens, conseiller de cette ville, leur parent, se soyent engagés cy devant et avant le neuvième juillet dernier, d’assujettir à fief et directe seigneurie en faveur de la noble et très honnorée Dame de Blonay, les trois morcels cy après spécifiés, sans que l’acte de cette assujection aye put être rédigé par écrit jusqu’à ce jourd’huy trentième septembre mille sept cent vint et huict. Que par devant le curial sous signé, et en présence des témoins sous nommés, se sont en personnes constitués et etablys les dits nobles conseiller De Mides et recteur De Bochat, lesquels, sachants et bien avisés en leur dites qualités, ont assujetti à fief et directe seigneurie en faveur de la dite noble Dame De Blonay, au nom de laquelle a été présent et acceptant noble et généreux Phillippe de Blonay, son fils ainé, assavoir les trois morcels cî après limittés, situés rière Blonay, tenus et réputtés de franc alaud, 1o un demi fossorier de vigne au Croniolley, 2o un fossorier aux Utins (cette vigne est limitée /199/ par une vigne procédante de M. De Vuarrens et auparavant de noble Jean-Baptiste De la Tour), deux fossoriers et demi en Champ Royer.
Lesquels ayant été estimés cinq cent quarante fl. les trois, les dits nobles conseillers De Mides et recteur de Bochat confessent avoir receu par encontre le prix convenu de cette assujection, dont ils quittent la ditte noble Dame De Blonay et les siens à perpétuité par les présentes, se dévestissant et investissant la dite noble Dame, autant que besoin en peut être, de la directe seigneurie avec un denier de cense imposé sur chaque morcel pour marque d’icelle, lesquelles censes devront être payées annuellement sur chaqun jour et terme de St Martin par le n. et gén. Vincent-Sigismond De Joffrey, lieutenant baillival et châtelain de cette ville, qui a acquis ce jourd’huy les dits morcels des dits nobles De Mides et De Bochat, sous la charge et condition de pareille assujection 1 … Ainsy faict et passé à Vevay sous les promesses d’agréement, renonciations et autres clauses requises en présence de noble Frederich, baron de Bondely et du Chattelard, bourgeois de Berne, et d’honnète Gabriel Balmat, bourgeois de la Tour de Peilz, témoins.
59
Manual du Conseil de Vevey, No 4, p. 633.
Séance du 7 octobre 1728.
Messieurs le Commandeur et Conseiller Grenier se sont déchargés de 221 livres 14 sols 8 deniers, mis dans la caisse de la ville, qu’ils ont reçeus au nom de la Ville de Mess. de Mide et de Bochat pour soude de six cents huitante sept Livres douze sols que se monte le laud réglé avec eux, que M. de Vuarens doit à la ville pour les fonds de jadis Mme son épouse, /200/ scavoir de la maison et grange d’icy et d’encore quatre poses de vigne et pré, rière Blonay, après une remise de quatre cents soixante et cinq Livres 17 sols quatre deniers qu’ils ont faite sur M. le Commandeur, qui doit par conséquent quattre mille six cents Livres, y compris les quatre mille cent trente quattre Livres 2 sols 8 deniers qu’ils ont déjà remis sur luy pour le paiement de trois créances. Et quant aux cinq autres créances qu’ils doivent encor l’on les sollicitera à ce payement. Et quant au laud des fonds de rière Montreux, consistant en un seytour de pré avec une grange, lieu dit au Basset et demi seytour de pré au Chevallier et autres articles qu’il y pourroit avoir, ils n’ont pas été payés, parce qu’il faut convenir de certains préalables avec M. le baron du Chatelard.
60
Archives de Loys
4 novembre 1728.
Monsieur Sébastien-Isaac De Loys étant dès hier de retour d’un voyage qu’il a fait dans les pays étrangers depuis la fin du mois de mars dernier et ayant appris que pendant son absence les créanciers qu’il avoit dans ce pays ont donné lieu à une liquidation de ses biens, qui a été faite par le ministère de Messieurs Daniel et Charles-Guillaume De Loys, commis à ces fins par Messieurs ses autres parents, ensuite de la permission qu’ils en ont eu de l’illustre chambre des suprêmes appellations, ressortissantes du Pays de Vaud, à Berne, il est ainsi que ce jourd’huy quatrième novembre mille sept cent vingt et huit, les dits sieurs Daniel et Charles-Guillaume De Loys étant à Wllierens 1 avec le dit sieur Sebastien-Isaac De Loys et à sa réquisition pour luy rendre compte de l’état où sont ses affaires, par rapport à la dite liquidation, qui n’est /201/ pas encore tout à fait finie, on l’a informé : 1o des ventes qui ont été faites de ses meubles et immeubles et de l’application qu’on a fait des deniers, qui en sont provenus, pour payer les dits créanciers; 2o de ce qu’il y a encore à payer et enfin de ce qu’on suppose à vue de pays qu’il rentrera de clair et de liquide des dits biens, après toute dette payée. Ensorte qu’après mure délibération et examen le dit sieur Sebastien-Isaac De Loys a approuvé et, en tant que de besoin, ratifié dites ventes, telles qu’elles ont été faites, de même que l’application des deniers qui en sont provenus, et a prié les dits sieurs Daniel et Charles-Guillaume De Loys de vouloir conduire la dite liquidation à sa perfection. Et d’autant que l’état de ses affaires l’appelle de nouveau dans les pays étrangers, où il se dispose de retourner incessamment, ne pouvant attendre la fin de ditte liquidation, que d’ailleurs les dépenses qu’il a été obligé de faire dans son dernier voyage ont à peu près épuisé le viatique qu’il avoit pris avec luy et qu’il ne peut rien faire ni entreprendre sans avoir de nouvelles ressources, il a exigé des dits sieurs Daniel et Charles-Guillaume De Loys de luy remetre en valeur ou en nature ce qu’ils estiment qui peut rester de clair et de liquide de ses biens, après toute dette payée. En conséquence de quoy, ils luy ont présentement remis un billet à son ordre de la somme de deux-mille francs sur M. le major Bergier, soit M. Jean-François Grand, de Lausanne, son charge ayant, payable à Pâques mille sept cent vingt et neuf, à tant moins du prix de la terre de Warens, vendue au dit sieur Bergier par acte du vingt huitième mars dernier.
Plus ils luy ont encor remis un billet payable à ordre, comme le précédent, sur eux mêmes à la susdite qualité, de la somme de sept cents francs, payable au 1er juin mille sept cents vingt et neuf. Plus ils luy ont encore remis les créances et papiers de son hoirie qui restent en nature, suivant le bordereau qui en a été fait aujourd’hui. /202/
Et au moyen des dites remises le dit sieur Sebastien-Isaac De Loys promet d’en imputer la valeur dans le compte que les dits sieurs Daniel et Charles-Guillaume De Loys luy rendront de leur administration, soit à ceux qui seront établis de sa part pour recevoir et clorre le dit compte. D’intention que si contre espérance il ne restoit pas entre leurs mains suffisamment de quoy payer toutes ses dettes, qu’il leur en procurera les moyens efficaces, sur le premier avis qui luy en sera donné.
Et par contre s’il y a des reliquats ou du surabondant entre les mains des dits sieurs administrateurs, ils le tiendront de même à sa disposition et seront obligés de le livrer sur ses assignations et à ses ordres. Ainsi fait et passé à double au dit Wllierens en présence des témoins soubsignés, les parties susnommées ayant réciproquement promis observer le contenu des présentes, chacun pour ce qui le concerne, sous toute dûe obligation de biens, renonciations et autres clauses requises, le dit jour quatrième novembre mille sept cent vingt-huit.
Sebastien-Isaac De Loys. De Mides. G. de Loys.
Comme témoin me trouvant à Vullierens. signé au dit lieu ce 4 sept. (sic) 1728. E. Boive.
S. Sandoz, aussi comme témoin demeurant à Yverdon.
(Au dessous, d’une écriture postérieure.) Ceci n’a plus lieu après les comptes que M. De Mides m’a rendus et la procure que je luy ai donnée pour régir mes affaires pendant mon absence le 25 août 1729. /203/
61
Archives de Loys.
Lettre de Sébastien-Isaac de Loys à Daniel de Loys, seigneur de Middes, son beau-frère 1, au sujet de la requête adressée par sa femme au Sénat de Chambéry.
22 septembre, anc. style, ou 3 octobre 1732.
Ta lettre, mon très cher frère et ami, du 5e du courant nouveau style, m’a fait d’un côté un vray plaisir en m’apprenant que toute la famille jouit d’une parfaite santé, et par les nouvelles assurances que tu m’y donnes de ton amitié, qui me sera toujours très chère.
De l’autre, elle m’a mortifié extrêmement en y voyant les nouvelles persécutions que la Savoyarde me suscite et surtout les insinuations calomnieuses et les voyes indignes qu’elle met en usage pour arriver à son but. Il y a longtemps que j’aurois vu avec plaisir que mon père eut retiré les sommes qui luy sont dûes en Savoye, parce que j’ay toujours craint quelque croc-en-jambe de ce côté là. Cependant la tentative, que ma déserteuse fit en 1728 pour rentrer dans ses prétendus biens, et en empêcher la vente, ayant été sans succès, et elle étant restée dès lors dans le silence quoyqu’elle n’ignorât pas que Mess. de la Bastie et le Jeune 2 fussent débiteurs de mon père, je me flattois d’être à l’abri de ses poursuites. J’étois enfin parvenu, avec l’aide des deux meilleurs médecins, le temps et la réflection, à regarder en stoïcien cette époque tragique de ma vie, et à supporter avec patience la situation /204/ fâcheuse dans laquelle elle m’avoit mis. Cette dernière attaque m’a été un coup de foudre.
Je n’ay pu parcourir la copie que tu m’as envoyée de la requête, présentée au Sénat de Chambéry, sans être pénétré de la douleur la plus vive en la voyant remplie de faits supposés, de circonstances entièrement contraires à la vérité, et mes démarches les plus innocentes déguisées sous les plus noires couleurs. Un procédé si noir a retracé si vivement dans mon esprit l’idée de tous mes malheurs et m’a si fort frappé, que, dévoré par un chagrin que j’étois obligé de concentrer en moy-même, pour ne le laisser paroitre à personne, j’ai été absolument hors d’état, pendant deux ou trois jours, d’écrire trois lignes de suite.
Enfin, revenu un peu de mon étourdissement et sentant la nécessité de te répondre au plus tôt, je le fais le quatrième. Mais mon esprit est encore si agité, que je suis forcé de quitter et reprendre la plume à tout bout de champ. N’ayant aucun de mes papiers avec moy, il m’a falû travailler de mémoire et si je n’avois pas eu la précaution de faire brouillon sur brouillon, pour ranger un peu mes idées, tu n’aurois rien compris à mon galimatias, encore crains-je fort que ma lettre ne s’en sente.
Je n’ajouteroi rien à ce préambule, qui n’est déjà que trop long, si ce n’est que je me flatte, que les insinuations malicieuses, contenues dans la requête en question, ne feront aucune impression sur l’esprit des personnes de qui j’ay l’honneur d’être connu; et qu’elles me rendront justice. J’ay lieu de l’espérer, puisque ma conduite les a parfaitement démenties et que, d’ailleurs, cet écrit est un tissu de mensonges d’un bout à l’autre, qui sont même si grossiers, qu’ils sautent aux yeux. Malgré tout celà, comme rien n’est plus cher à un honnête homme que son honneur et sa réputation et n’ayant rien à me reprocher, que trop de foiblesse pour une femme à qui j’avois laissé prendre trop d’ascendant, je n’ay pu tenir /205/ contre ce comble de malice. Il m’a mis au non plus, et m’a d’autant plus surpris que je n’avois point d’ami assés particulier pour luy décharger mon cœur. L’ayant un peu soulagé auprès de toy dans cette lettre, dont je te prie de me passer le verbiage, je viens au fait et commencerai par cette requête, qui est un ouvrage digne du lieu d’où il sort.
Elle est addressée au Sénat de Chambéry. Depuis quand ce tribunal est-il le juge des faits et actes privés dans notre pays, entre les sujets de LL. EE. ? Et qui luy a donné le droit de contreroller les arrêts de nos souverains ? — Mais continuons notre examen.
L’extrait qu’elle donne du malheureux contrat de 1713 est fidèle. C’est le seul endroit ou elle accuse juste et dise les choses telles qu’elles sont. Elle avoit emporté son double avec elle.
Elle dit ensuite que j’ay joui de ses biens jusqu’en 1726 sans en faire dresser aucun inventaire, ce qu’il étoit aisé d’ometre avec une jeune personne.
Comment peut-elle se plaindre à cet égard ? Il y en avoit un passé en justice à Monstrueux 1, après le décès de son père. L’on en avoit tiré diverses copies, signées du curial 2. L’une me fut remise. Les autres restèrent entre les mains de ses parents. Je leur donnai une décharge des effets qu’ils me remirent. Ces effets consistoient en biens fonds, qui ne sauroient être distraits sans qu’on s’en aperçoive, en meubles qui dépérissent par l’usage et en quelques papiers dont je ne me rappelle pas la juste valeur, mais qui n’eccedoit pas celle de mille escus. Je soudoi d’ailleurs un compte final de partage, entre son cousin de la Tour et elle. Nous en avions chacun un double, signé de tous les intéressés. Il me semble que ces précautions étoient plus que suffisantes et il faut bien /206/ qu’elles ayent parû telles à ses parents, puisqu’ils n’ont rien exigé de plus de moy à cet égard, quoyqu’ils y eussent un intérêt particulier en cas de mort sans enfants et ab-intestat de la complaignante.
L’article de sa requête qui regarde la prétendue donation entre vifs, passée en ma faveur à Annecy au mois de septembre 1726, trois mois après sa desertion, part de la malice la plus noire. Il tend uniquement à donner de moy des impressions sinistres, en supposant des faits directement opposés à la vérité, sans qu’il en revienne aucun avantage réel à la personne qui les forge. Mettons ce fait au jour. Détaillons en toutes les circonstances. Je ne risque rien en le faisant. Il ne s’y trouvera quoyque ce soit qui porte ateinte au caractère du chrétien protestant et d’homme d’honneur, titres qui me sont infiniment plus chers que la vie et dont j’espère, avec l’aide de Dieu, de faire profession jusqu’à mon dernier soupir.
Ne diroit-on pas à l’entendre que je me rendis exprès à Annecy pour faire fabriquer cette belle pièce ? Il n’en est cependant rien. Je ne fis ce voyage que sur les pressantes prières qu’elle m’en fit, par deux lettres datées d’Annecy. J’y avois même une telle répugnance que je n’y aurois point été du tout, si le pauvre défunt Fontanes, qui étoit chez moi à Vevay lorsque je reçus la dernière, ne m’avoit pas disposé à le faire. C’étoit peu de jours après notre retour du premier voyage à Berne, où il m’avoit accompagné, et dans le temps que nous étions occupés à dresser l’inventaire ordonné par LL. EE. Il trouva que je pourrois retirer quelque utilité de cette course et que du moins elle ne pouvoit me causer aucun préjudice. Je me rendis à ses raisons.
J’arrivay à Annecy le 24e septembre sur le soir. Comme ma déserteuse logeoit chez les Dames de l’Annonciade 1, je ne /207/ jugeai pas à propos de l’aller voir ce jour-là. Je me contentai de luy envoyer St André, qui m’avoit accompagné dans cette course pour l’avertir de ma venue et luy dire que je la verrois le lendemain. Elle me fit prier de venir le matin, à une telle heure. J’y fus. Je la trouvai au lit, situation qu’elle avoit apparemment choisie pour couvrir une partie de sa confusion. Elle me demanda pardon, toute en larmes. J’avois toujours été si aveuglé sur son compte et luy avois laissé prendre un tel ascendant que j’avoue naturellement, que cette scène m’attendrit. Elle abbatit une bonne partie de mon ressentiment et je fus même quelque tems sans pouvoir prononcer une parole. Ayant eu celui de me remetre et de réfléchir que je n’étois pas dans un lieu propre à la quereller, je crûs que le parti de la douceur étoit le seul à prendre. Je me trouvai bien de l’avoir suivi car l’on etoit aux écoutes. Dès que j’eus ouvert la bouche pour luy faire sentir les fatales conséquences du parti qu’elle venoit de prendre, elle me pria de regarder dans un tel endroit, derrière la tapisserie de sa chambre. Je le fis et ayant ouvert une espèce de petit armoire, je vis qu’il avoit une porte s’ouvrant du côté du cloître. En un mot, il était tel que le double guichet par lequel on tend aux chartreux leurs vivres. Ce qui fit que nous parlâmes bas, pour être plus en liberté. Et étant seuls dans sa chambre, qui que ce soit ne fut à portée de nous entendre.
Je commençai par la religion. Je lui représentai aussi fortement qu’il me fut possible, qu’abandonner une église dont on a sucé les principes avec le lait, pour se jeter dans les bras d’une autre, sans se donner le tems d’en examiner auparavant la doctrine ne laisseroit pas d’être une très fausse démarche, quand même la dernière se trouveroit être la véritable; que ce qui aggravoit la sienne et la rendoit /208/ inexcusable, étoit que de toutes les églises du monde chrétien, celle qu’elle venoit de quitter, étoit la plus conforme à la pureté de l’église primitive, tant pour le culte que pour les dogmes; que c’étoit justement tout le contraire de celle dont elle venoit de se faire membre, que le clergé en avoit défiguré le culte par des coutumes et des cérémonies empruntées du paganisme, et que pour les dogmes ils etoient si fort remplis d’absurdités, de fables et d’erreurs grossières qu’il étoit impossible qu’elle les crût de bonne foy, quoyqu’elle les professat de bouche; qu’elle pouvoit tromper les hommes mais non pas Dieu; qu’apparamment éblouie par les promesses qu’on luy avoit faites pour la gagner, elle avoit cru pouvoir accorder son ambition avec sa conscience; qu’elle pouvoit endormir cette dernière pour un tems, mais qu’elle se reveilleroit tôt ou tard; que la suite, suivant toutes les apparences, ne répondant pas aux espérances qu’elle avoit conçues, elle sentiroit alors vivement toute la grandeur de sa faute et que, malgré mon juste ressentiment, je ne laissois pas de prier Dieu de tout mon cœur, de luy faire la grâce de s’en relever un jour.
J’y ajoutai que, quand même elle ne se seroit déterminée à changer qu’après connoissance de cause, celà n’empêcheroit pas que la manière, dont elle s’y étoit prise pour exécuter son projet, ne luy fit grand tort dans le monde, même dans l’esprit de ceux de son parti; que déserter un mari, de qui elle n’avoit jamais eu lieu de se plaindre et, en décampant, le dépouiller de tout ce dont elle avoit pu se garnir les mains, étoit une action impardonnable; et que je payois bien cher toutes les foiblesses que j’avois eu pour elle.
M’ayant laissé parler jusques-là sans m’interrompre, elle prit la parole. Elle n’excusa point son changement par des motifs de conscience; au contraire, elle laissa paroitre tant d’indifference à cet égard, que j’en fus frapé. Elle me dit que le dérangement de nos affaires l’avoit en partie portée à faire /209/ ce coup; qu’on l’avoit flatée d’honneurs à la cour de Turin; que ce qu’elle m’avoit emporté étoit pour avoir de quoy vivre en attendant qu’elle eut une place ou une pension fixe; que d’ailleurs m’ayant connu très tolérant en matière de religion, elle avoit crû qu’elle pourroit me porter à suivre son exemple; qu’en ce cas là, je pourrois compter de n’être pas oublié, et que l’on me donneroit une place qui me dédommageroit grassement de ce que j’abandonnerois dans mon pays.
Je luy répondis, qu’il faloit qu’elle eut bien peu apris à me connoitre dans douze ou treize ans que nous avions vécu ensemble, pour me faire une telle proposition et encore moins s’imaginer que je la pûsse goûter; que la tolérance dont je faisois profession à l’égard de ceux d’une créance contraire à la mienne, n’avoit rien d’incompatible avec les principes de ma religion, de la vérité de laquelle j’étois si persuadé que rien au monde ne seroit capable de me la faire abandonner. Changeant ensuite de thèse, je lui communiquai le pied sur lequel les choses étoient au pays au sujet de son évasion; l’arrêt de LL. EE., émané quelques années auparavant, qui confisque à leur profit les biens de ceux de leurs sujets qui changent de religion; mon premier voyage à Berne, et que le baillif de Vevay avoit pris un inventaire exact de ses biens et effets, pour l’envoyer à LL. EE., suivant leurs ordres. Je luy representai combien l’état où elle m’avoit mis étoit triste; que la confiscation n’étoit pas la seule chose que j’avois à craindre; que l’ayant autorisée dans les emprunts qu’elle avoit fait pour sa manufacture, dont elle avoit distrait les fonds, je serois obligé de rembourser les créanciers; que d’ailleurs ses parents ne manqueroient pas de se remuer pour me faire de la peine, et que dans une situation aussi rude, je ne savois ou donner de la tête.
« Je sens fort bien tout celà, me dit-elle. Je n’y sai point de meilleur remêde que de suivre le parti que je vous ai proposé; et en ce cas rien ne sera plus aisé, que d’obtenir main /210/ levée des sommes qui sont dûes à votre père dans ce pays cì. — Le remède, luy dis-je, seroit pire que le mal. Comment osés-vous me proposer de pareilles démarches. Il est inutile de m’en parler. Vous avés tort, me répondit elle, mais quoy qu’il en soit, je suis disposée à faire tout ce qui sera en mon pouvoir pour vous assurer la possession tranquille de mes biens. Il ne s’agit que de voir la manière de s’y prendre. Il n’y a que deux voyes, luy dis-je, le testament et la donation entre vifs. Aucune des deux n’est de poids contre la confiscation, et la donation ne peut m’être de quelque utilité que contre les autres prétendants. »
Voilà le récit fidèle de notre première conversation, dans lequel j’ay tâché de me rappeler, autant que ma mémoire me l’a pu permetre, les propres termes dont nous nous sommes servis.
Là dessus elle se leva. Nous dejeunâmes avec une demoiselle d’Evian, qui luy servoit de compagnie, et St André, qui entrèrent pour lors dans sa chambre. Après quoy, me priant d’attendre son retour, elle fut entendre la messe, y ayant une communication de son appartement à l’église.
Cet intervale fut assés long, pour me donner le tems de faire mes reflexions. L’aveuglement où j’avois toujours été sur le compte de cette femme m’avoit empêché de connoître tout ce quoy elle étoit capable. Le peu de cas qu’elle me parut faire de toute sorte de religion, l’air cavalier sur lequel elle m’en parla, l’irrégularité des propositions qu’elle me fit, son subit changement de la tristesse à la joye et plusieurs autres circonstances achevèrent de m’ouvrir les yeux. J’en étois indigné. J’aurois voulu être bien loin, mais il s’agissoit de se tirer de ce mauvais pas de bonne grâce. Je conçus que quoyqu’une donation entre mari et femme fut nulle en droit, cependant, comme elle ne pourroit se dispenser de faire coucher cet acte en des termes qui me fussent favorables, ce seroit une espèce de justice qu’elle rendroit aux bonnes /211/ manières que j’avois toujours eu pour elle, que du moins ce seroit une bride qui l’empêcheroit de se répandre dans la suite en invectives contre moy. Voilà ce qui me détermina à user de politique et à ne me servir que de la voye de la douceur; outre que le lieu ni les circonstances n’en permetaient aucune autre.
A son retour, elle me dit, qu’elle avoit consulté des gens de pratique au sujet de la donation; qu’elle les avoit chargés d’en dresser la minute dans les termes les plus favorables et dans la meilleure forme possible; qu’on devoit la luy apporter sur le soir et qu’elle me la donneroit à examiner. Je luy répondis que celà étoit fort bien. Elle ajouta qu’elle espéroit que ce qu’elle faisoit pour moy, m’engageroit à ne pas l’abandonner; qu’elle étoit mortifiée que l’austérité de la maison où elle étoit l’obligeat de me laisser coucher à l’auberge, mais que, lorsque je viendrois la revoir, comme elle m’en prioit, elle me recevroit dans une maison particulière, où elle prenoit un apartement. Je luy laissai croire ce qu’elle voulut au sujet d’une seconde visite et me contentai de luy dire, par rapport au reste, que la situation où je me trouvois m’empêchoit de m’engager à quoy que ce soit.
Nous dinâmes ensuite dans la chambre. L’après-dîner un abbé de distinction, dont je ne me rappelle pas le nom, m’y vint voir. Il se jetta sur la controverse. C’était un homme savant et très poli. Après moins d’un quart d’heure de conversation, je luy dis que je connoissois trop la différence qu’il y avoit entre les deux religions et que j’étois trop persuadé de la vérité de la mienne pour me laisser ébranler; qu’ainsi je le priois de se dispenser de m’en parler plus outre, puisque ce ne seroit que du tems perdu. Il me répondit, qu’il n’étoit pas venu pour me faire de la peine et nous ne parlâmes plus que de choses indifférentes. La ditte dame, qui par parenthèse avoit jugé à propos de nous laisser seuls, entra. Nous primes le caffé et l’abbé se retira. Peu après, un des prêtres /212/ qui desservent l’église de St François de Sales me vint voir. Il voulut aussi me tâter le poulx, mais, comme il étoit réellement un de ceux qu’on appelle pauvres prêtres, je ne fis que le turlupiner et ne jugeai pas à propos de lier avec luy une conversation sérieuse.
Dès que je fus débarrassé de ces visites, j’allai chés Madame la marquise de Sales, qui avoit envoyé le matin son domestique à mon auberge me faire ses compliments. J’y restai une demi heure et nous n’y parlâmes assurément pas de religion. De là je fus chés M. l’abbé, pour luy rendre sa visite. Il n’y étoit pas. Je restai un moment avec M. son frère, qui est officier de cavalerie, et nous ne parlâmes que du service.
Je trouvai à mon retour dans la chambre de ma déserteuse un gentilhomme piémontois, qui m’y atendoit et qui est intendant de ces quartiers là, ou quelque chose d’aprochant. Il ne se jetta pas comme les autres sur la controverse. Il tâcha de me gagner par de belles promesses, m’insinuant qu’il avoit des ordres pour celà. J’y coupai court, en luy disant que si j’avois deux âmes peut être pourrois-je me laisser assés éblouir par quelque avantage considérable pour en sacrifier une; mais que n’en ayant qu’une, elle n’étoit à vendre à aucun prix. Là dessus il se retira.
Si l’on peut appeller mes réponses des insinuations ou des espérances de changement de religion, je n’ai rien à dire. — Mais continuons.
Quand ce gentilhomme se fut retiré, elle me donna la minute de question à examiner. Elle étoit conforme à l’acte qui se passa le lendemain, à un article près, dont je ne me rapelle pas les propres termes, mais par lequel je me serois engagé à fournir grassement à son entretien. Je n’eus garde de donner dans le piège. Cet article auroit fait contre moy, sans que l’acte même m’eut apporté aucun avantage réel. Je luy dis, en luy rendant cette minute, que je ne pouvois absolument /213/ pas me lier à cette clause; qu’elle me seroit très à charge par le dérangement qu’elle avoit mis dans nos affaires et que les choses pourroient prendre un tel tour au pays qui me la rendroit impossible, qu’ainsi, à moins que la donation ne fut pure et simple, je ne l’accepterois pas.
« Eh bien, me dit-elle, je ferai retrancher l’article qui vous fait de la peine, mais j’espère que vous aurés soin de moy. — Je vous répète, repartis-je, que je ne puis m’engager à rien. » Voilà toute la part que j’ay eu à la composition de cette pièce, n’ayant vû et encore moins conféré avec ceux qui la compilèrent que lorsque l’on passa l’acte même.
Comme je sortois : « Nous souperons ensemble, me dit elle, et pendant que vous ferés un tour de promenade, je metrai les ordres qu’il faut pour la donation. » J’y soupai et restai avec elle jusqu’entre dix et onze. Elle me dit en la quittant qu’elle me prioit de me rendre le lendemain matin de bonne heure auprès d’elle et que tout seroit prêt pour passer la donation avant midy.
Je ne puis m’empêcher de metre ici une particularité, quoiqu’elle ne fasse rien au fait. C’est que, me retirant avec St André à mon auberge, qui étoit dans le faubourg, je trouvai la porte de la ville fermée, comme si l’on avoit craint que je n’enlevasse la belle. Le portier, qui étoit à quelques pas de là, vint nous l’ouvrir, et je vis deux autres hommes avec luy. Cette précaution nous fit rire. La porte ne s’y ferme pas à l’ordinaire.
Je vins le lendemain, qui étoit le 26me 7bre, sur les huit heures au couvent. J’y trouvai la dame au lit. S’étant levée et étant seuls elle me fit voir une lettre du roy de Sardaigne par laquelle S. M. 1 l’assuroit de sa protection, et qu’elle auroit soin qu’elle ne manquât de rien. C’étoit dans le dessein de faire encore une tentative auprès de moy. J’y coupai court /214/ en luy disant que je souhaitois qu’elle ne se trompât pas dans ses espérances; que pour moy, rien n’étoit capable d’altérer mes sentiments et mes principes.
Lorsqu’on luy eut donné avis, que toutes les personnes nécessaires pour passer l’acte en question étoient arrivées, nous passâmes au travers de l’Eglise dans l’apartement du principal prêtre qui la dessert 1. Avant qu’on en fit la lecture, un de ces messieurs, qui y assistoient, me dit qu’il étoit surpris que je fisse difficulté sur un article aussi raisonnable que luy paroissoit celuy dont j’avois demandé le retranchement. Je lui répondis que je n’avois garde de me lier par une clause qui pourroit me devenir à charge; que la ditte dame avoit si bien senti, que ma situation ne le permettoit pas, qu’elle avoit fait retrancher cet article elle-même; que nous étions assemblés pour passer une donation pure et simple, et que je ne pouvois en accepter aucune autre ni me lier à quoy que ce soit. « — Nous espérons, me dirent ils, que, quoy que vous ne vouliés pas vous engager par écrit, vous ne laisserés pas d’avoir soin de Madame. — Je vous répète, Messieurs, repartis-je, que je ne puis m’engager à rien. »
L’on lut ensuite la donation, qui étoit toute dressée, à la réserve des noms. Elle fut passée et acceptée de la manière que tu la trouveras dans l’acte même, qui est parmi mes papiers 2. Nous déjeunâmes tous ensemble et la Compagnie /215/ s’étant séparée l’on me fit voir le corps de St François de Sales et tout ce qu’il y avoit de curieux dans l’église. Nous dinâmes dans l’appartement du prêtre.
Au sortir de table je fus admis au parloir, où je trouvai l’abbesse 1, soit supérieure, et quelques religieuses, toutes de la première qualité, auprès desquelles ma déserteuse m’introduisit.
Après les premières civilités : « Eh bien ! monsieur, me dit la supérieure, n’est-il pas dommage qu’un homme tel que vous vive dans l’erreur ? Croyez moy, suivés l’exemple de Madame votre épouse. Venez parmi nous, vous y serés reçu d’une manière que vous aurés lieu d’être content. — Je fais gloire, Madame, répondis-je, de professer ce que vous appelés erreur. — Croyés vous donc, me dit-elle, que votre femme soit damnée ? — Ma religion m’apprend, dis-je, à ne juger qui que ce soit. » Elle se jetta ensuite sur quelques lieux communs. Je luy répondis de la manière qu’il convenoit à une personne de son rang et me contentai de luy témoigner que j’étois là uniquement pour luy rendre mes devoirs. Ma déserteuse, prenant alors la parole, dit : C’est un obstiné, il n’y a rien à gagner avec luy. »
Après avoir resté là environ une demie heure je pris congé /216/ de ces dames, en leur témoignant ma reconnoissance pour toutes les honnêtetés que j’avois reçues dans leur maison. Comme je sortois, une de ces dames me dit : « Adieu, Monsieur, j’espère que Dieu vous touchera le cœur et que nous vous verrons un jour parmi nous. — J’espère, madame, repartis-je, que nous nous reverrons tous un jour dans la vallée de Josaphat. »
Un moment après, étant dans la chambre de la prétendue donatrice, l’on apporta l’acte dressé dans les formes. Elle me le remit elle même. Je sortis et fus chés le juge mage, qui acheva d’y mettre les formalités ordinaires et y apposa son sceau 1.
Voilà le récit fidèle de tout ce qui s’est passé à cette occasion; dans lequel j’ay tâché de me rapeller jusqu’aux moindres circonstances. Peut on trouver dans tout ce procédé rien qui aproche des promesses et des espérances, que la requête suppose que j’ay données ? Peut-on taxer de compiler ou faire coucher un acte par écrit, celuy qui le refuse à moins qu’on en retranche une clause à laquelle il ne veut pas se lier ? Etoit-il nécessaire d’user de stratagème pour engager la prétendue donatrice à passer un acte, qu’elle et son conseil, gens de pratique, savoient parfaitement être nul en droit ? Etoit-ce les surprendre que de ne vouloir pas être leur dupe ? Etait il besoin de détours pour gagner ceux qui assistèrent à cette stipulation, puisqu’il n’étoit question que d’entendre la lecture de la donation, qui étoit toute dressée à la réserve des noms, et de l’autoriser par leur présence. Je n’ay rien à dire contre le charactère de ces messieurs, dont je ne me rapelle pas même les noms, et que la requête dit être gens de mérite 2. Je ne leur ai jamais parlé avant ce jour là, et je ne /217/ sache pas d’en avoir vû aucun depuis. J’ignore si quelqu’un d’eux à quelque part à cette requête. Mais que n’a t’on pas à atendre de l’esprit de parti !
De chés le juge mage, je fus chés l’intendant, soit gentilhomme piémontois, pour luy rendre sa visite. Je n’y restai qu’un moment et me rendis de là chés la dite dame que je trouvai au lit. Voilà ce qui se passa entre nous pendant le tems qui s’écoula jusqu’au souper. La franchise dont je fais profession ne me permet pas de taire ce fait, quoy qu’elle n’en dise rien dans la requête.
« — Vous partirés donc, me dit-elle, sans que je sache quand j’aurai le plaisir de vous voir et sans me laisser aucune assurance d’avoir soin de moy ? — Vous connoissés parfaitement, luy dis-je, mes circonstances, et que ma triste situation ne me permet pas de m’engager en aucune manière. » Après un long dialogue, qu’il seroit inutile d’insérer ici, elle s’y prit d’une telle façon qu’elle me porta à avoir quelque condescendance pour elle. Pour couper court je luy fis un billet portant en substance, qu’ensuite de la donation passée en ma faveur le dit jour, et au cas qu’en vertu d’icelle j’eusse la possession tranquille de ses biens, je luy donnerois la rente annuelle de trois-cents livres, argent de Savoye. Je crus que je ne risquois rien en celà, puisque la condition exprimée dans ce billet n’ayant pas lieu, il ne me lioit à rien. J’ay eu soin de retirer le billet dès lors, ainsi elle n’étoit pas en état d’en faire usage. Elle se leva, nous soupâmes, et j’y restai jusqu’à une heure après minuit. Elle en eut le lendemain une censure de la supérieure.
Le 27, qui étoit un vendredi, je vins le matin prendre congé d’elle. Comme je la quitois, il luy prit une espèce de défaillance. Elle fut si courte, que cela acheva de me convaincre /218/ qu’elle était une véritable comédienne. Je partis le même jour.
Quelques semaines après je reçus une lettre de sa part qui seroit suffisante pour démentir toutes les prétendues promesses et espérances que la requête suppose. Elle la finissoit en ces termes : Je vous prie de me regarder désormais comme morte et de ne plus penser à moy que si je l’étois réellement. C’est la dernière que j’ay reçu d’elle. Nous n’avons eu aucun commerce dès lors. Je fus en décembre à Berne où LL. EE. du Sénat donnèrent l’arrêt par lequel, après avoir déclaré les biens de la ditte dame confisqués à leur profit, ils m’abandonnèrent leurs droits, me mettant en leur lieu et place. Il est, si je ne me trompe, du 26e décembre. Tu le trouveras parmi mes papiers.
M. de Pluvianes étant à Berne en janvier 1727 je luy écrivis pour le prier de demander un divorce en mon nom, luy envoyant à ce sujet une procure. L’arrêt du consistoire suprême est, je crois, du 5e février. Il est aussi parmi mes papiers. Je n’en ay aucun avec moy.
Environ ce tems là, il me tomba entre les mains une lettre de ma déserteuse à St André, qui logeoit encore chés moy, mais étoit alors absent. Car il est bon de remarquer que, sous le prétexte de la manufacture, il y a toujours eu de la correspondance entr’eux, ce qui le rend très suspect de connivence. L’envoy qu’il luy fit d’un tonneau de marchandises, la veille du jour qu’elle partit d’Evian, celles qu’elle avoit emporté avec elle, ce qui ne s’étoit pu faire à son insçû, et plusieurs autres démarches donnoient de violents soupçons, mais point de preuves réelles. Je n’aurois, peut-être, pas ouvert cette lettre, dont je connoissais parfaitement le charactère, n’eut été l’affectation avec laquelle elle avoit mal orthographié mon nom sur l’addresse. Celà me determina à l’ouvrir, mais d’une manière à pouvoir la refermer sans qu’il y parut. Elle étoit sans signature, accusant la datte du mois, mais point le lieu /219/ d’où elle étoit écrite. Elle conseilloit de tirer de moy le meilleur parti qu’il pourroit et qu’on pourroit en cas de besoin faire usage des armes qu’ils avoient en main pour celà. Tout celà n’étoit point encore une évidence; je n’y étois pas nommé par mon nom. Le seul parti que j’avois à prendre étoit de dissimuler. Je le fis et je cancellai la lettre. Je résolus de retirer le billet en question et de me servir de luy pour celà, comme tu le verras tout à l’heure. Mais pourquoy, dira t’on, garder cet homme-là si longtems chés vous ? Que ne vous en defaisiés vous plutôt ? A celà je réponds qu’il faloit auparavant régler et souder ses prétentions. Ce qui ne se pouvoit faire dans l’état ventillant où étoient les choses et que, durant cet intervalle, il avoit soin des débris de la manufacture.
Sur la fin de février ou au commencement de mars, je fus obligé de faire un autre voyage de Berne. L’arrêt par lequel LL. EE. éconduirent la famille de la Tour de leur demande doit être parmi mes papiers. Je fus de retour en avril.
Me voyant alors possesseur tranquille (à condition s’entend d’acquitter les charges), je dis à St André, qu’il s’agissoit de régler ses prétentions. Il me les remit telles qu’il les avoit produit lors de l’inventaire du mois de 7bre 1726. Elles consistoient en déboursés au sujet de la manufacture, et en prétendus dédommagements pour perte de son tems et de sa part des profits qu’il auroit pu faire sur les effets distraits. Car, nota bene, par son contrat d’association il n’entroit dans aucune perte. Je luy remboursai ses déboursés parce qu’il faloit s’en tenir aux livres. Mais pour les autres prétentions je luy dis, que, quoy que j’eusse des raisons légitimes pour m’en dispenser, je ne laisserois pas d’y avoir égard, pourvû qu’au préalable il me procurât main garnie du billet en question; qu’il lui seroit d’autant plus facile de persuader la jadis dame de Warens de le luy remetre, qu’il luy étoit absolument inutile, puisque ce n’etoit rien moins qu’en vertu de la donation de la dite dame que j’avois obtenu la paisible possession de ses /220/ biens, et que c’étoit une condition sine quà non. Il fut à Annecy et m’en apporta le dit billet. Il voulut marchander avant que de me le remetre, mais ce fut inutilement. Je tins ferme sur ce préalable et nous brûlâmes tant ce billet que la copie, que j’en avois, signée de la main de la ditte dame. Après quoy je luy fis une gratification pour ses prétendues pertes, mais non pas si considérable qu’il auroit voulu l’exiger. Je ne te fais un si long détail au sujet de St André que pour te faire voir combien il doit t’être suspect.
Me voilà enfin arrivé au bout d’un long et ennuyeux détail, sur la fidélité duquel tu peux compter. La vérité y paroit toute nue. Il m’a couté beaucoup par le soin que j’ay pris de metre les choses dans leur véritable jour et de me rappeler jusqu’aux moindres circonstances. Plusieurs te paroitront sans doute inutiles ? Mais il y en a, dont on ne laissera pas de pouvoir tirer quelqu’usage. Tu en feras celuy que tu jugeras à propos pour détromper les personnes d’honneur, sur qui les insinuations malicieuses de la requête pourroient avoir fait quelqu’impression. Pour ceux d’un autre charactère, je ne m’en embarasse pas. L’on ne sauroit plaire à tout le monde et je ne le prendrai pas à tâche.
Continuons de parcourir cette requête :
Elle se trouve, dit elle, obligée de combattre la prétendue donation de nullité par le droit romain et les royales constitutions. N’est ce pas une preuve tacite qu’elle et son conseil, gens de pratique, la connoissoient telle dans le tems même qu’on la stipula et qu’il n’etoit pas besoin de stratagèmes et de leurres pour les porter à passer un pareil acte ? Elle a apris, ajoute t’elle, que j’ay obtenu un divorce. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’elle le sait. Il étoit obtenu plus de deux mois auparavant que St André fut à Annecy, et qu’il m’en apporta le billet en question. Il n’aura pas manqué alors de le luy aprendre. Mais ce qu’il y a de plus curieux, ce sont les raisons qu’elle allègue pour prouver qu’elle est en droit non /221/ seulement de repeter sa dot et les avantages matrimoniaux, contenus dans le contrat de 1713, mais même d’agir pour celà sur les biens de mon père.
Quelles sont ces raisons :
Que j’ay joui de ses biens, en vertu de la constitution dotale et perçu les fruits d’iceux, sans suporter les charges du mariage, et sans luy fournir aucun secours, ni aliments, comme je le devois, et pour lesquels les biens-mêmes sont hypothéqués par disposition du droit, cottant le préjugé du Sénat de rei uxor; que je regarde le mariage comme dissous et que je l’ay fait déclarer tel; qu’ayant vendu ses biens je les ay dissipés et me suis retiré en Angleterre; qu’elle a également droit sur les biens de mon père que sur les miens, puisqu’il a fait le mariage et a assisté au contrat; que, ne pouvant avoir recours que sur ceux qui sont en Savoye et qu’il pourroit y avoir du péril dans le retard, elle demande la saisie des sommes dues à mon père, tant par tels qu’elle nomme, que par ceux qu’elle pourra découvrir par la suite, finissant par dire que ces sommes ne feront jamais qu’une petite partie de ce qui est dû à la supliante et faisant monter la constitution dotale à pour le moins trente mille patagons, sans parler de ses gains et avantages matrimoniaux.
C’est conclurre par le même esprit qui règne dans toute la requête et qui est tout l’opposé de celuy de la vérité. Réfutons le le plus brièvement qu’il se pourra. Quand il seroit aussi vray qu’il ne l’est pas, que, depuis son évasion, je n’ai joui de ses biens qu’en vertu de la constitution dotale; il n’y auroit en celà rien de contraire aux dispositions de droit, puisqu’en France, en Angleterre et dans la plupart des pays de l’Europe, par la désertion malicieuse d’une femme, les biens qu’elle a aportés à son mari sont dévolus de plain droit à ce dernier. C’est un fait constant. Nous en avons un exemple de fraiche datte en Angleterre. Je crois qu’il en est de même en Savoye. Je ne l’assure cependant pas positivement. /222/
Mais ici le cas est tout différent. Les biens de l’évadée me sont dévolus par l’arrêt du 26 décembre 1726, par lequel LL. EE., après avoir déclaré les dits biens confisqués à leur profit, étant touchés de ma triste situation et, par leur bénignité ordinaire, me cédent leurs droits et me metent en leur lieu et place.
De quel droit un tribunal étranger s’émanciperoit-il de revoir les arrêts de notre souverain ? Que nous font les loix et coutumes de Savoye ?
Ai-je grand tort d’avoir regardé comme dissous un mariage qu’elle a rendu tel par la désertion et d’avoir profité du bénéfice de nos loix pour le faire déclarer nul ? Suis-je catholique romain pour croire un mariage indissoluble ? Depuis quand et dans quel pays déserter malicieusement un mari et le dépouiller de tout ce dont on peut se nantir, donne t’il à une femme le droit de repeter non seulement sa dot, mais même des avantages matrimoniaux qu’elle n’auroit eu droit de prétendre qu’en cas de survie et qu’elle ne s’en fut pas rendue indigne pendant le tems de leur union ?
Comment ose-t’elle se plaindre que j’ay vendu et dissipé ses biens ? J’étois en plein droit de le faire, puisque j’en étois le maître. D’ailleurs LL. EE. en ont, je crois, autorisé la vente. Tu sais mieux que moy ce qui en est et à quoy le produit de cette vente a été apliqué, puisque tu as eu tout l’embarras de cette affaire. Il faloit bien acquiter les dettes qu’elle avoit contracté pour sa maudite manufacture, dont elle avoit emporté les fonds et autres folles dépenses, auxquelles j’avois été assés foible pour fermer les yeux. Eh bien, loin qu’il me reste quelque chose de ses biens entre les mains, tu sais mieux que personne combien il y est allé du mien propre, et le peu qui me reste 1. /223/
La retraite en Angleterre qu’elle me reproche est une preuve que je ne me suis pas enrichi de ses dépouilles. Si c’est une tache de n’être pas riche, je tâcherai de l’effacer en me conduisant en homme d’honneur.
Quel droit d’hypothèque peuvent luy donner sur les biens de mon père son assistance et son autorisation au contract de 1713, pendant qu’elle n’y en a aucun par le contract même ? Elle ne peut, dit-elle, avoir recours que sur les biens qui sont en Savoye et par cette raison elle demande la saisie des sommes dues à mon père dans ce pays là. Espère-t’elle que l’esprit de parti prévaudra assés sur les membres du Sénat de Savoye pour leur faire trouver un droit et une hypothèque où il n’y en eut jamais ? Il est vray qu’il paroit que ce tribunal est allé un peu vite en besogne, en accordant par provision la saisie sans avoir entendu les parties. Mais l’on doit espérer des lumières et de la justice des seigneurs qui le composent, qu’après les avoir entendues, étant convaincus de l’injustice de la demande de la complaignante, ils l’éconduiront des fins de sa requête et enlèveront la saisie provisionnelle qu’ils ont accordée.
Il faut qu’en Savoye le terme de patagon emporte une toute autre idée que celle qu’on en a dans le reste de l’Europe, ou que la complaignante, loin de perdre son temps dans ce pays là, y ait bien apris la règle de multiplication. Sa constitution dotale, dit-elle, montait à pour le moins trente mille patagons.
Quoy qu’après l’arrêt de LL. EE. il ne s’agisse pas de disputer sur le plus ou le moins, je ne laisserai pas de dire /224/ qu’il se justifie par l’inventaire juridique pris en 7bre 1727 1 par M. le baillif de Vevey, en conséquence de l’ordre de LL. EE., que tous les biens et effets de la dite dame, taxés par gens assermentés, ne montoient qu’autour de trente huit mille francs et cependant les biens dont sa belle-mère jouit et les débris de la manufacture se trouvent compris dans cette somme. Par où il paroit que je n’aye jamais eu d’elle en main au delà de trente-mille livres. Et personne ne sait mieux que toy que le provenu de la vente des dits biens a été fort au dessous de cette somme. Mais c’est une bagatelle, il faut luy pardonner, elle ne hausse sa constitution dotale que de deux tiers. Pourquoy accuseroit-elle plus juste dans cet article que dans tout le reste de sa requête ?
Il semble que dès qu’elle a tourné casaque, le mensonge est devenu son péché mignon. Si l’on m’a accusé juste, quelques mois après sa désertion, elle doit avoir fait écrire à mon père par le curé de Rumilly, qu’elle n’avoit eu aucune part à notre malheureux procès et qu’elle avoit fait tout ce qu’elle avoit pu pour m’en détourner; et c’est positivement tout le contraire, comme je puis le protester devant Dieu et en toute vérité.
Pour ce qui est de son indifférence pour le culte en matière de religion, elle la doit en partie aux principes de nos piétistes. C’étoit le sentiment de feu son père et il paroit que c’étoit celuy de feu M. Magny, un de leurs principaux docteurs, puisqu’il me dit lui-même, au retour d’un voyage qu’il fit à Annecy pour voir ma déserteuse, qu’il n’avoit jamais trouvé l’âme de la dite si bien tournée du côté de Dieu et en meilleures dispositions 2. Ce furent ses propres termes qui me scandalisèrent très fort.
La ditte dame se plaint de sa situation dans sa requête. Si elle entend par là qu’elle est trompée dans ses espérances /225/ elle n’a à s’en prendre qu’à elle même. Il y a quelque tems qu’on me dit, qu’elle étoit ateinte d’un cancer à Chambéry où elle demeuroit 1. Quand tu sauras ce qui en est, marque le moy, je te prie. Si celà est, voudroit elle faire donation à sa nouvelle église de biens sur lesquels elle n’a aucun droit ?
Je suis persuadé que si j’avois été au pays, elle n’auroit jamais osé insérer dans sa requête les insinuations malicieuses dont elle est remplie. Mais me sachant éloigné, elle a cru pouvoir le faire impunément.
Ma lettre est insensiblement parvenue à la grosseur d’un volume. Je t’en fais mille excuses, mon cher ami, et je te prie d’en passer le port sur mon compte, n’étant pas juste que je te sois à charge en toutes manières. J’ay cru qu’il étoit absolument nécessaire d’entrer dans un détail bien circonstancié. Celà m’a mené plus loin que je n’aurois cru et a pris du tems, comme tu peux bien le juger, pour me rappeler des faits passés il y a six ans. Ma situation d’esprit ne m’a pas permis de l’abréger. Il est bien tems de répondre au contenu de ta lettre.
Tu trouves, mon cher ami, aussi bien que mon cousin de Bochat, lequel j’assûre de toute mon amitié, qu’il est absolument nécessaire de faire imprimer un manifeste et de le faire passer en Savoye, tant pour me justifier des calomnies atroces de la requête de ma déserteuse que pour faire connoître toute sa conduite. Je suis du même avis et, persuadé de votre prudence, je m’en raporte à ce que vous jugerés à propos à cet égard 2. Sa conduite vous est connue. Vous en trouverés le /226/ détail d’une partie, dans la requête que je présentai à LL. EE. au sujet de cette maudite affaire et qui doit être parmi mes papiers. Seulement ajouterai-je ici quelques circonstances dont vous ferés l’usage que vous trouverés à propos.
En automne 1725, elle fut à Aix, en Savoye, pour quelques douleurs. M. Doué, à qui par parenthèse je te prie de faire mes compliments, l’y accompagna. De là, elle fit un tour à Chambéry. Elle passa quelques jours à Genève où quelques dames, entr’autres Madame de Galatin, la régalèrent. Elle ne pût s’empêcher de leur témoigner combien elle étoit charmée de la Savoye et dégoûtée de notre pays. Des gens d’honneur m’ont assuré ce fait. J’ay apris dès lors que ce fut dans ce voyage qu’on commença de l’ébranler par les promesses et les caresses qu’on luy fit. Elle fut malade cet hyver là. Mon oncle de Wilierens nous ayant fait l’honneur de nous venir voir, elle luy dit en propres termes qu’il entendroit parler l’été suivant d’un événement extraordinaire au sujet d’une dame du pays. Preuve qu’elle se préparoit de longue date à faire son coup. Elle eut, environ le printemps 1726, la précaution de faire venir à Vevay M. Viridet, médecin à Morges, dans le dessein de se faire conseiller d’aller aux eaux, remède qui est une selle à tous chevaux. M. Viridet, qui connut qu’il y avoit plus d’inquiétude d’esprit que de réalité dans sa maladie, la voyant déterminée à prendre celles d’Emphion, n’eut garde de la contredire. Sous ce prétexte elle disposa toutes choses pour l’exécution de son projet.
La manufacture, qu’elle avoit établie et qui avoit eu ses commencements en 1724 1, luy en fournit un autre pour emprunter des sommes considérables, dont tu peux voir la valeur et la datte dans l’inventaire du mois de 7bre 1726. Elles ne te sont pas inconnues, puisque tu en as fait les payements. Elle a emporté celles qui furent empruntées à cette /227/ occasion dans l’hyver de 1725 à 1726 et jusqu’au tems de son départ. Elle les a emporté, dis-je, ou du moins la plus grande partie, et pour ce qu’elle peut avoir employé des dittes sommes, en achapt de soyes, etc., ou à payer les ouvriers, elle s’en est plus que dédommagée par les marchandises mêmes, qu’elle a pris avec elle en partant de Vevay, ou que St André luy a fait tenir à Evian. Celà luy fut d’autant plus facile que je n’avois point de part à la manufacture. Tu trouveras cet inventaire et l’état de mes prétentions contre la dite parmi mes papiers. Quand l’inventaire seroit égaré, on pourroit toujours le trouver chés le secrétaire ballival Grenier.
Sur la fin de juin 1726 1 un débordement d’eaux fit un dégât très considérable à Vevay et aux environs. Les caves, jardins, pressoirs, en un mot tous les bas, furent sous l’eau. A peine y eut-on mis ordre, qu’elle prit occasion d’une lessive générale pour metre tout le plus fin et le meilleur linge à quartier.
LL. EE. députèrent en juillet M. le trésorier de Watteville pour examiner sur les lieux mêmes les dégâts causés par les eaux. Elle choisit justement ce tems là pour celuy de son départ. L’occupation que me donnoit la réparation des dégâts faits par les eaux à notre maison et à notre campagne, m’empêchoit d’être du voyage. Tout sembloit concourir à faciliter son entreprise.
Comme elle prenoit toujours avec elle beaucoup de bagage pour le moindre petit voyage, et que celuy-ci devoit être de quelques semaines, les personnes qui n’étoient pas du complot ne s’avisèrent pas de faire atention qu’elle s’en chargeoit plus qu’à l’ordinaire. Outre que pour luy aider à faire ses paquets elle ne se servit que d’une proselite, qui la suivit en Savoye quelques semaines après son évasion. Comme nous avions porté un enfant à cette femme, qu’elle étoit souvent dans la maison et qu’elle avoit veillé ma déserteuse pendant /228/ sa maladie, il n’y avoit lieu à aucun soupçon. Obligé d’accompagner Sa Grandeur 1, tant par mon respect pour elle que comme député du conseil de Vevay, dont j’étois membre, il m’étoit impossible de m’apercevoir de cette intrigue et un événement pareil à celuy de son évasion ne pouvoit pas naturellement m’entrer dans l’esprit.
Ma déserteuse disposa toutes choses pour partir pendant la nuit, sous prétexte d’éviter la chaleur du jour, trouvant aparamment que rien ne convenoit mieux à une œuvre de ténèbres, que les ténèbres mêmes. Ce fut celle du 13 au 14 juillet. Le jour qui précéda ce départ je luy dis qu’il seroit à propos de serrer la vaisselle d’argent, qui ne m’étoit pas absolument nécessaire. Elle le fit et mit en ma présence tout ce que nous avions de meilleur en ce genre, dans le buffet où nous avions accoutumé de la serrer lorsque nous sortions de ville, à la réserve de deux chandeliers, un bougeoir, deux cuilliers, autant de couteaux et de fourchètes, une caffetière et un pot à thé, qu’elle prenoit, disoit elle, pour son usage pendant son séjour à Evian, et ayant mis la clef du dit buffet dans un armoire, où il y en avoit plusieurs autres, elle me donna la clef du dit armoire. Il resta donc justement pour mon usage quelques vieilles cuilliers et fourchètes et une salière à l’antique, en un mot uniquement ce que tu as trouvé parmi mes effets. Comme je sortois peu après, elle me dit qu’elle avoit besoin de prendre quelque chose, qu’elle avoit oublié dans le dit armoire; je luy donnai la clef, qu’elle me rendit à mon retour.
Je soupai ce soir là avec Sa Grandeur chés M. Couvreu. Ma déserteuse prit cet intervalle pour faire transporter les coffres et bagage au bateau, soit brigantin, car c’en étoit un. Elle n’oublia pas la vaisselle d’argent, qu’elle avoit enfermé le dit jour en ma présence, et dont elle avoit eu soin de /229/ s’emparer avant de me rendre la clef de l’armoire des clefs. Sous prétexte de tenir son ménage à Evian, elle prit la baterie de cuisine, la vaisselle d’étain, etc., tout le plus fin et le meilleur linge, couvertes, matelas, ses joyaux et ses nippes, en un mot, tout ce que tu peux lire dans le détail que je produisis des effets qu’elle m’avoit emporté lors de l’inventaire de 1726, et même au delà. Tu trouveras cette liste dans mes papiers.
Outre cela elle emporta une bonne partie de marchandises de sa manufacture. Ce qui n’ayant pu se faire à l’insçu de St André, donne grand lieu de soupçonner qu’ils étoient d’intelligence.
A mon retour, je trouvai qu’elle s’étoit enfermée dans sa chambre sous prétexte de dormir, quoyque ce fut, suivant les apparences, le tems qu’elle prit pour achever ses paquets, c’est-à-dire serrer l’argent qu’elle emporta et ses joyaux. Comme je n’y entendis point de bruit, quoy qu’il y eut de la lumière, qu’elle tenoit toujours dans sa chambre depuis sa dernière maladie, je fus me coucher, avec ordre aux domestiques de m’avertir dès qu’elle seroit éveillée. Ce qu’elle empêcha qu’on me fit jusqu’au moment de son départ.
Sur les deux heures du matin, elle vint me dire adieu. Elle ne vouloit absolument point que je me levasse. Je le fis cependant, jettant seulement ma robe de chambre sur moy. Je la sentois tremblotter en la conduisant au bateau, tant elle craignoit aparemment d’être découverte. Mais nous étions tous si aveuglés sur son compte, qu’à peine en aurions nous cru nos propres yeux. Elle avoit même poussé la dissimulation si loin, que dans le tems même qu’elle tramoit ce beau coup, elle me témoignoit une cordialité toute particulière. Elle emmena avec elle la Chenebié, de Vevay, qu’elle avoit pris exprès pour luy servir de fille-de-chambre, pendant son séjour à Evian. Ce fut en sortant de la maison pour aller s’embarquer qu’elle donna à porter au pauvre Pierre, sous le nom de toilette, une cassete qu’elle n’avoit pas voulu envoyer /230/ au bateau avant elle. Il est vray qu’elle luy avoit servi à cet usage. Mais, pour cette fois-ci, elle y avoit mis l’argent qu’elle emportoit et ses joyaux. Pierre l’accompagna jusqu’à Evian. Il m’a dit depuis qu’il avoit trouvé cette cassete bien pesante. Il est plein de vie, à ce que je crois, il pourra te le dire luy même. C’est un honnête homme; tu en as vû des preuves dans la garde et vente de mes effets. Certainement, s’il avoit sû ce qu’il portoit, il me l’auroit dit et le coup auroit échoué. Mais je ne crois pas que j’en eusse été plus heureux. Si tu as occasion de luy rendre service je t’en auroi obligation et t’en tiendrai compte.
J’ay oublié de dire en son lieu que je menai le dit Pierre avec moi à Annecy. Son nom est Früschy. Il est du village de Saanen en Gessenay ou des environs.
Je fus ensuite si occupé à faire réparer les désordres du débordement que je n’eus point de tems à moy pour aller à Evian jusqu’au 4e d’août, qui étoit un dimanche. Dans cet intervale je reçus diverses lettres d’elle très cordiales.
Je fus à Evian avec M. Couvreu et quelques autres. Nous y vinmes dans un brigantin. Quand je fus chés la dite dame elle me dit que ne m’ayant pas vû de quelque tems, elle me prioit de ne pas sortir ce jour là, et de le passer tout entier avec elle. Je le fis d’autant plus volontiers que des affaires indispensables m’apellant pour le lendemain à Vevay, il faloit m’en retourner avec ces Messieurs, qui partoient le même soir. Elle craignoit que je ne découvrisse et tout concouroit à me boucher les yeux.
Mme de Bonnevaux y vint comme nous dinions. Elle ne fit qu’entrer et sortir. Je me levai pour l’accompagner. Elle ne vouloit pas et me dit trois fois « ne quités pas votre femme. » Je ne laissai pas de la conduire à la porte. Elle a prétendu dès lors qu’elle m’avoit voulu insinuer par ces paroles l’intention de ma déserteuse et d’y metre ordre. Je laisse juger à tout homme de bon sens si on peut y donner une telle interprétation. /231/
Nota bene que la ditte dame de Bonnevaux a été une des principales entremeteuses dans cette affaire et qu’elle se met sur le pied de convertisseuse. Quand le diable fut vieux il se fit hermite !
Je voulois luy aller faire visite l’après dîner, mais ma déserteuse m’en empêcha. Tout luy faisoit ombrage. Elle craignoit qu’il n’échapât quelque chose à la ditte dame, qui découvrit le pot aux roses, qui étoient cependant sur le point d’éclore.
Quand nous fumes seuls, ma déserteuse souhaita que je luy envoyasse le dictionnaire de Bayle, dont la lecture l’amuseroit, disant qu’elle s’ennuyoit beaucoup et qu’elle étoit presque toujours seule. J’avois une fort belle canne à pomme d’or, qu’elle me demanda aussi pour se promener en prenant les eaux, tant il luy fâchoit de me laisser la moindre chose, dont elle put tirer parti. Comme je ne savois rien luy refuser, je remis l’un et l’autre à St André, qu’elle m’avoit prié de luy envoyer le lendemain, ayant à luy parler pour les affaires de la manufacture, et qui les luy porta.
Mes compagnons de voyage vinrent luy faire visite. Nous prîmes le caffé ensemble; puis sortant, ils me dirent qu’ils me feroient avertir, lorsqu’ils seroient prêts à partir. Le reste du tems que je fus avec elle, elle soupiroit et me disoit de tems à autre, « Mon cher mari, que deviendras tu ? » C’étoit aparemment un reste de remords de conscience, mais qui furent bientôt étoufés, preuve en soit ce qui se passa le soir même de notre départ. Comme elle étoit sujette aux vapeurs, je crûs que ce n’étoit qu’un effet de cette maladie et je tâchai de la tranquiliser.
L’heure du départ arrive, l’on m’avertit, je prends congé d’elle. Elle me témoigne autant d’amitié qu’elle ait fait de sa vie. Elle m’accompagne dehors de la maison (dont le derrière donne sur le lac) jusqu’au bord du lac, les larmes aux yeux. Je voyois quelques gardes du roy là autour. Il ne me seroit /232/ pas entré dans l’idée qu’ils étoient là pour nous guetter. Cependant rien n’étoit plus vray et j’ai su depuis que ma déserteuse avoit déjà donné sa parole à l’évêque d’Annecy. Nous partîmes, elle accompagna le brigantin des yeux. Mais de quelle dissimulation une femme n’est-elle pas capable ? J’ai sû de bon lieu, mais longtems après, qu’à peine eut-elle tourné le dos que la fille qui la servoit, lui dit : « Madame, vous avés un bon mari. — Si vous le croyés ainsi, répondit elle, prenés le, il sera bientôt sans femme. »
Dans le tems que nous commençions à voguer nous aperçumes le roy de Sardaigne à cheval avec quelques seigneurs de sa cour, revenant de la promenade. Quelques uns de nos Messieurs ne l’avoient pas vû, l’on aborda et ils descendirent à terre. Je restai dans le bateau avec d’autres. Quand le roy fut passé, ces messieurs remontèrent et nous partîmes.
L’on m’a assuré que, comme S. M. entroit dans Evian, ma déserteuse, qui logeoit dans une maison du Sr Buguet, qui est fort près de la porte, s’alla jetter à ses pieds pour luy demander sa protection et du pain. A quoy le roy doit avoir répondu : « Je vous accorde l’une et j’aurai soin que vous ne manquiés pas de l’autre. » Ce qu’il y a de certain, c’est que dès ce même soir, elle changea de logement et vint chés Mme de Bonnevaux, où l’on eut soin de la divertir et de la garder à vûe, comme si l’on avoit craint qu’on ne la vint enlever.
Nous ne fimes guère plus de deux lieues ce soir là. Le mauvais temps nous surprit. Il tomba beaucoup de pluye et même de la grêle. Bien nous en prit d’avoir des provisions avec nous, car le vent fnt si contraire que nous fumes obligés de passer la nuit sur les côtes de Savoye. Nous nous accordâmes du mieux que nous pûmes dans notre brigantin, qui valoit encore mieux que les hûtes savoyardes. Nous entendimes des patrouilles de tems à autre. Elles roulèrent toute la nuit. Je ne doute point que ce ne fut pour nous observer et qu’un drôle, qui traversa le lac avec nous, ne fut une /233/ espèce d’espion. Car j’ai été convaincu dans la suite qu’il avoit servi de messager entre Mme de Bonnevaux et ma déserteuse, dans la correspondance qu’il y a eu entr’elles avant l’arrivée de la dernière à Evian.
Nous arrivâmes à Vevay le lundi 5e au matin. Je dis à St André que ma déserteuse souhaitoit qu’il se rendit ce jour là auprès d’elle. Il partit et luy porta ma canne et Bayle, que je lui remis.
Il revint le mardi matin 6e et me dit qu’il faloit qu’il envoyât à la ditte dame un tonneau soit bâlot de marchandises, et celà le même jour. Cet ordre si prompt me surprit. Mais il me dit que la de dame le vouloit absolument et qu’elle l’avoit grondé sur ce qu’il avoit voulu luy faire quelque représentation là dessus, luy disant qu’elle avoit occasion en main de s’en défaire avec avantage. Il fit donc le bâlot, qui étoit très gros, et l’expédia l’après-midi par un bateau d’Evian qui l’avoit amené et qui atendoit cette charge. Cette expedition faite, il fut à Lausanne. Je ne me rappelle pas au juste s’il y alla le même soir ou seulement le lendemain matin. Ce que je sai, c’est que le mercredi au soir, 7e août, il vint de Lausanne et m’abordant derrière l’Aile, où je me promenois : « Monsieur, me dit-il, vous n’avés plus de femme. — Comment donc, dis je tout étonné ? — Non, Monsieur, me dit il, elle est partie ce matin d’Evian pour suyvre le roy à Turin. — En êtes-vous bien sûr, luy dis-je ? — C’est le bruit général à Lausanne, » me dit il. J’étois si aveuglé que je n’en pouvois rien croire.
Je revins à la maison et, en chemin faisant, je réfléchis qu’il n’y avoit jamais de fumée sans feu. Je m’avisai pour lors de chercher, dans l’armoire des clefs, celle du buffet où elle avoit serré la vaisselle d’argent en ma présence. Je fus surpris de n’y point trouver cette clef. Dans tout l’intervalle, qui s’étoit écoulé depuis son départ, n’ayant eu aucune occasion de faire usage de quoy que ce soit de ce qui devoit être dans ce buffet, il ne m’étoit pas venu à l’esprit d’y regarder. Enfin /234/ je la trouvai, cette clef, mais tu ne devinerois jamais où elle l’avoit mise. J’allois faire ouvrir le buffet, et il auroit falu absolument pour celà la main du serrurier, quand le pur hasard me la fit trouver. Ayant vuidé ce qu’il y avoit dans l’armoire pour la chercher par tout, quelcun de ceux qui étoient avec moy, regardant dans une vieille boête à thé, en tira du coton, dont elle étoit remplie, et dans lequel la dite dame avoit mis cette clef et celle de son garde robe. Cette vüe me frapa et m’aprit mon malheur. Pour achever de m’en convaincre, j’ouvris le buffet et trouvai les oiseaux hors du nid. J’ouvre la garde-robe, elle en avoit tout enlevé, à peine laissat’elle des guenilles. Celà me mit dans l’état que tu peux t’imaginer.
Le trouble où j’étois ne me laissant pas la liberté de me déterminer sur le champ sur le parti que j’avois à prendre, j’envoyai chercher un ami. Je luy dis le cas. « Ce que vous voyés, lui dis-je, et le bruit qui court sont des preuves qu’elle déserte, mais non pas qu’elle soit déjà partie. Je crains qu’en allant moi-même sur les lieux pour m’en informer, je ne fisse que m’exposer. — N’y allés point, dit-il, envoyés y plutôt quelqu’autre. » Nous convinmes ensuite qu’il faloit que ce fut St André. Je le priai de partir dans la nuit même. Ce qu’il fit avec Pierre que je jugeai à propos de luy donner pour compagnie. « Informés vous, lui dis-je, au juste de tout et m’en donnés avis incessamment. » C’étoit la nuit de mercredi au jeudy.
Le jeudy matin 8e, un homme de Lausanne, dont je ne me rapelle pas le nom et qui venoit d’Evian, vint chés moy m’aprendre qu’il n’étoit que trop vrai que la de dame étoit partie le jour auparavant, mercredi 7e août, de bon matin d’Evian, qu’elle avoit traversé toute la ville à pied, conduite par deux gentilshommes de la suite de S. M.; qu’à la porte d’Alinges elle étoit montée en carosse avec une demoiselle d’Evian, que j’ay vû près d’elle à Annecy pour luy tenir compagnie, et que huit gardes de S. M. escortoient le carosse. /235/
Entre une et deux de l’après midi, deux bateliers venant d’Evian me dirent avoir rencontré St André et qu’il leur avoit dit de venir chés moy. « Nous avons, me dirent-ils, ce matin ouï le roy, au sortir de la messe, ordonner au sieur Bugnet d’avoir soin de faire partir les hardes de Me de Warens. Nous avons vû embarquer les coffres et bâlots pour Genève. Tout étoit sous le cachet et les armes du roy. »
Là dessus, après avoir pris un bouillon, car par parenthèse je n’avois avalé quoyque ce soit dès le diner du jour précédent, je montai à cheval, avec un voisin qui m’accompagna, et j’arrivai le lendemain à porte ouvrant à Genève. Je consultai deux personnes de ma connoissance, gens d’honneur, sur l’arrêt des dits effets. Mais sur ce qu’ils m’assurèrent que je ne l’obtiendrois pas, parce qu’ils passoient sous le nom et sous le couvert du roy, je ne poussai pas ma pointe et m’en revins au logis. Et je crois que je pris le bon parti. J’aurois d’ailleurs manqué le principal, qui étoit la cassete, que la voyageuse avoit eu soin de prendre avec elle dans le carosse.
Le lendemain de mon retour, M. le châtelain de Vevay prit la peine de me venir voir. Il m’aprit l’arrêt de LL. EE., portant confiscation à leur profit des biens de leurs sujets, qui changeoient de religion, et me dit qu’il étoit mortifié d’être obligé par sa charge de procéder à l’inventaire des effets de la dame et qu’il n’étoit point venu pour me faire de la peine, mais pour consulter avec moy sur la manière de nous y prendre. Je le remerciai de son honnêteté et je luy dis, que quoyque le bruit courut que l’évadée avoit changé de religion, il n’y avoit encore point de certitude de son abjuration et que d’ailleurs mon dessein étant d’aller me jetter aux pieds de LL. EE., je le priois de vouloir suspendre les choses jusqu’à mon retour de Berne. Il me répondit qu’il ne demandoit qu’à être à couvert des reproches qu’on pourroit luy faire. Celà étoit juste. Je luy fis une déclaration par écrit que c’étoit à ma /236/ requête, et pour les raisons ci-dessus, qu’il avoit suspendu ses suites et il s’en contenta.
Je reçus dans ces tems là une lettre de la de dame, dattée du 11e août, mais sans lieu de place. Elle m’annonçoit son changement de religion, qu’elle ne l’avoit fait que pour suivre les mouvements de sa conscience, et prioit Dieu de vouloir me toucher le cœur et m’éclairer par son St Esprit.
Peu de jours après j’en reçus une autre, dattée d’Annecy. Elle m’exhortoit à suivre son exemple ou du moins de luy donner la consolation de me voir. Je ne voulois absolument point y répondre. Mais Fontanes, dont tu m’avois procuré l’assistance, étant avec moy à Vevay, me porta à le faire à la première. Je luy écrivis et luy témoignai ma surprise de sa démarche et le triste état où elle m’avoit mis. J’évitai les reproches, parce qu’ils étoient inutiles. Nous envoyâmes la lettre par St André, qui nous raporta une réponse, par laquelle elle me pressoit de l’aller voir. Je la laissai sans réplique.
Nous partimes pour Berne, Fontanes et moy. A notre retour, je reçus une autre lettre, par laquelle elle me demandoit encore instamment de me rendre auprès d’elle, et que j’aurois lieu d’en être content. Je ne voulois absolument point le faire. Mais Fontanes le trouva à propos, comme je l’ay dit dans la page deuxième de cette longue épître.
Voilà enfin le détail de toute cette affaire, d’un bout à l’autre, et de ses suites. Je ne voulois, disois-je, dans la page douzième, qu’ajouter quelques circonstances par rapport à la conduite de ma déserteuse. Pour me les rappeler il m’a falu entrer dans un détail et celà m’a mené insensiblement à grossir ma lettre plus que je l’aurois voulu. Cette dernière relation, qui dans l’ordre naturel auroit dû précéder l’autre, est une preuve que la dite dame a pris ses mesures de loin pour faire son coup, et que l’ambition y a eu plus de part que la conscience. Je n’ai sù comment l’abbréger. J’aurois pu /237/ retrancher telles circonstances que vous trouverés peut être d’usage. Et, si plusieurs sont hors d’œuvre, tu en seras quite pour la peine de les lire. D’ailleurs celà auroit retardé davantage l’expédition de ma réponse, qui ne l’a déjà que trop été. La barre sera très facile à enlever par rapport à mon père, rien n’étant plus injuste que cette saisie, puisque ma déserteuse n’a pas la moindre ombre de droit contre luy. J’ay une vive douleur d’être la cause quoiqu’innocente des mauvaises difficultés qu’on luy suscite. Si tu trouves une occasion favorable de luy témoigner combien j’en suis mortifié et de l’assûrer de mes profonds respects, je t’en aurai une obligation toute particulière.
Ce qu’il y a de fâcheux pour mon père, c’est que cette saisie provisionnelle, soit barre, étant enlevée, il ne laisse pas de courir grand risque de perdre les sommes qu’il a dans ce pays là, ou du moins en bonne partie. Elles ne sont rien moins qu’assurées. M. de la Bastie n’a proprement rien à luy, tout est substitué par fidei-commis ou par son contrat de mariage à son fils. Le bien qui reste à M. Le Jeune vient tout de sa femme, il n’a rien à luy. Je ne connois point la situation du Sr Picolet. Il y a même grand apparence que les débiteurs de mon père ont été d’intelligence avec ma déserteuse et l’ont portée à demander cette saisie. Toutes les circonstances m’en convinquent.
La ditte dame savoit parfaitement avant son évasion qu’il restoit entre les mains de mon père une somme de laquelle la propriété m’apartenoit, quoyque peut être en ait-elle oublié dès lors le montant. Elle savoit outre celà que MM. de la Bastie et Le Jeune devoient à mon père. Elle a séjourné cependant six ans en Savoye sans se donner le moindre mouvement pour faire saisir les dittes sommes, sur lesquelles elle n’a pas plus de droit présentement qu’elle n’en avoit alors. Dans quel tems commençe-t’elle d’agir ? Justement dans celuy que mon père, après avoir suivi ses débiteurs, est sur le point /238/ de les forcer à luy rembourser les sommes, qu’il leur a confiées, et qu’ils n’ont d’autre ressource que celle-là pour en retarder le payement.
Mais diront les partisans de la ditte dame, supposé qu’elle n’ait point de droit contre votre père, elle en a contre vous par son contract de mariage. Votre père jouit d’une somme dont la propriété vous apartient. Il a des créances en Savoye. Et comme, pour me servir de ses propres termes, elle ne peut avoir de ressource que sur les effets qui sont dans ce pays là et qu’il y auroit du danger dans le retard, elle demande que les sommes dûes à votre père restent pour gardance de damps, ou du moins une partie assés considérable pour faire le montant de la somme qui vous apartient.
A celà voici ma réponse, que je crois sans réplique. Sa désertion malicieuse la prive non seulement des avantages que le contract luy donnoit, mais même des biens qu’elle m’a aporté, qui sont censés m’être échus par cette désertion. C’est la coutume constante dans les pays de droit écrit.
Les circonstances qui accompagnent cette désertion, c’est-à-dire les effets qu’elle m’a emportés, aggravent son cas et rendent le mien plus favorable. Mais surtout je n’ay possédé ces biens qu’en vertu de la cession que m’en ont faite LL EE., après les avoir déclarés confisqués à leur profit. Ainsi elle n’a pas plus de droit contre moy qu’elle n’en auroit contre LL. EE. mêmes. Si j’étois assés malheureux pour qu’elle obtint les fins de sa requête, ce seroit couronner l’œuvre. Bien loin qu’il me reste quelque chose de ses effets, le mien s’en est allé de compagnie. Outre l’acquittement des dettes, qu’elle avoit contractées, il m’a falû payer à la rigueur les lots d’une propriété imaginaire de ses biens fonds, qui n’a pas duré deux ans.
Je suis persuadé que LL. EE. ne refuseront point d’acquiescer à la requête que tu as dessein de leur présenter, pour les suplier de vouloir nous soutenir dans ce fait. Il est de leur /239/ honneur de ne pas soufrir qu’on empiète sur leurs droits et qu’un tribunal étranger s’avise de renverser leurs arrêts, du moins tacitement, en donnant droit d’agir contre les personnes en faveur de qui ces arrêts ont été émanés, et celà sous prétexte d’un droit qui n’existe plus et qui a été annullé. Je conviens que la prétraille donnera de l’embarras. Mais j’espère que nous nous tirerons à la fin de ce mauvais pas. Je doute que le sénat de Chambéry ose donner une sentence en faveur de la ditte. C’est un point délicat et ce seroit commetre les souverains entr’eux. C’est une tentative qui doit naturellement aller à vau l’eau. On ne voudra pas se brouiller pour une femmelette. Pour mes papiers ils sont entre les mains de M. de Pluvianes. Tu y pourras prendre ceux que tu jugeras nécessaires. Les principaux sont dans une petite cassete et les autres dans une plus grande. Tous ceux dont je te parle dans le cours de ce long écrit, doivent être dans l’une ou dans l’autre. Il n’y a que les lettres que je crois d’avoir brûlées, dans le tems que je partis pour la Hollande. Peut être en serat’il resté quelcune ? Ce seroit un pur hasard. Celle sans datte ni seing, écrite à St André, a du moins passé le pas. Et je crois toutes, car je brûlai divers papiers dans la cuisine de notre ami Pluvianes. Mais tu peux compter sur la fidélité de ce que j’avance à leur sujet.
Tu trouveras ci-joint une lettre pour M. de Pluvianes, par laquelle je le prie de te communiquer les papiers, dont tu pourras avoir besoin et que tu auras la bonté de remetre dans leur place quand tu en auras fait usage et de vouloir bien nous prêter ses bons offices. Je ne saurois assés t’exprimer combien je suis sensible à l’empressement avec lequel tu te prêtes pour me tirer de ce mauvais pas. C’est un surcroît d’obligation que je t’ay. Quand serai-je à même de te témoigner ma reconnoissance d’une autre façon qu’en te causant de nouveaux embarras ? Accepte, je te prie, en atendant la volonté pour le fait. /240/
Je finis ma lettre, mon cher ami, par l’endroit ou tu commences la tienne. Si j’ay demeuré si longtems sans te donner de mes nouvelles, c’est que je n’avois rien de nouveau à t’aprendre par raport à ma situation. Il ne s’est point présenté jusqu’ici de place convenable. Celles qui auroient pu être mon fait étoient pourvues à l’avance. Les bonnes places sont rares et se rencontrent difficilement. J’ai cependant de bons patrons. Ils me font espérer qu’ils me placeront d’une manière que j’aurai lieu d’être content. Mais ils me disent qu’il faut avoir un peu de patience et qu’il vaut mieux atendre davantage et avoir quelque chose de solide. Il faut espérer que pendant cet hyver nous trouverons quelque chose de bon, car je ne m’atens à rien pour le reste de cette année. Ce seroit un pur hazard. Je m’y détermine d’autant plus volontiers que je ferois une triste figure au pays pendant tout ce tripotage et qu’assûrement il n’aideroit pas à porter mon père à me voir de meilleur œil que la dernière fois que j’ay été à Lausanne.
Je remercie ma chère sœur, ton épouse, des assurances de son amitié et l’assure de toute la mienne. Mes honneurs à vos dames et mes compliments à tout le reste de la famille. J’embrasse cordialement d’Orsens et luy fais mille excuses de ce que je suis si fort en arrière de luy. L’occupation que m’a donné cette lettre et un méchant rhume qui m’a pris pendant que je travaillois et qui me tient encore bien serré, m’empêche de luy écrire pour le coup. Il a retardé l’expédition de cette lettre. J’en suis fâché, mais à l’impossible nul n’est tenu. Je suis sensible aux soins que mon cousin de Bochat veut bien se donner, conjointement avec toy. Assure-le je te prie de ma reconnaissance, en atendant que je le fasse moy même. Mes respects à mon oncle de Wilierens, quand tu le verras, à M. et Mme de Vernand et mes honneurs à tous ceux qui me font celuy de se souvenir de moy. Mes cordiales amitiés à toute la fraternité.
Adieu, mon cher ami, pardon encore une fois de la /241/ longueur et du verbiage de ma lettre. Jamais tu n’en as reçu et je ne crois pas d’en écrire de ma vie une d’un pareil volume. J’en ai numérotté les pages. J’ay eu cette précaution nécessaire. Donne moy, je te prie, de tes nouvelles et m’aprens le tour que les choses prendront le plutôt qu’il te sera possible. Etant absent, peut être faudroit-il faire le manifeste au nom de la famille. Je m’en rapporte cependant à ce que vous jugerés à propos, et je tiens tout ce que vous ferés pour ratifié.
Je datte ma lettre de Londres quoyque je t’écrive de la campagne, où je demeure. Tu as bien fait d’addresser la tienne à MM. Rieu et Guinand, à Londres, sans y nommer le lieu de ma demeure et je te prie de faire de même dans la suite, parce qu’ils sauront toujours où me faire tenir mes lettres. Comme l’on se sent souvent de l’humeur du pays où l’on se trouve, j’ay changé pour la seconde fois de domicile et suis à présent à Islington, où je suis plus à portée de voir mes patrons et mes amis de Londres. Fais moy justice d’être persuadé de la sincérité de mon amitié et de ma reconnoissance, et que je serai toute ma vie tout à toy.
D. L. V.
Londres ce 22 sept. / 3e octobre 1732.
N. B. Le même jour 22 septembre soit 3 octobre nouv. style j’ay écrit à M. de Pluvianes pour le prier de nous prêter ses bons offices dans cette maudite affaire 1, de communiquer à M. de Mides les papiers dont il pourroit avoir besoin, de les remetre ensuite en leur place dans les cassetes et enfin d’avoir soin que mes livres, qui sont dans le coffre où les cassetes sont serrées, ne s’endommagent pas. /242/
62
Archives de Loys
Consultation de l’avocat Vignet à Montmélian pour M. de Loys, seigr de Villardin.
S. d. (1733 ?)
Le seigneur De Villardin ayant été présent et consentant au contrat de mariage du seigneur son fils avec demoiselle De la Tour, par disposition du droit écrit romain, et ainsi qu’il se juge encore en Savoye, a hypothéqué tacitement tous et un chacun ses biens pour la seureté et restitution des droits dottaux de la demoiselle De la Tour, sa belle fille, sans que même une spéciale hypothèque y eusse pu déroger à la générale que la loi accorde. Aussi le souverain Sénat de Savoye, ayant accordé la saisie sur les créances du seigneur de Villardin dans ce pays, l’a ainsi recognu rée (rière son ressort) sur l’exposé dans la requête de saisie; aussi ne croit-on pas qu’il y aye eu d’autres motifs pour accorder la ditte saisie que parceque, encore un coup, l’on regarde tous les biens ou qu’ils soyent situés du seigr De Villardin, affectés pour la restitution des dits droits dottaux.
Il est bien vray que s’il y a une loy ou coutume au contraire dans le pays de Vaux, où le dit mariage a été fait, que le père ne soit pas tenu dans un cas semblable de la restitution des dits droits, il en faudra faire conster et par ce moyen on pourra faire lever la saisie, mais n’en faisant pas conster, l’on croit que l’on suivra pour cette décision le droit écrit romain. A l’égard de l’article de confiscation de LL. EE., l’on pense que cette confiscation ne peut point affecter les biens et droits situés rière un autre pays, d’autant plus que cette confiscation « non venit ex dispositione juris communis, » et que par conséquent cet arrest, hors de son ressort, ne peut point priver /243/ un condamné du bénéfice du droit commun. Or dans le cas dont s’agit, la demoiselle De la Tour, ayant par disposition de droit commun et civile, hypothèque sur tous les biens du seigneur son beau-père, elle peut exercer cette hypothèque en pays de Savoye et hors du ressort du dit arrest, pour la restitution de ses droits dottaux ou, pour mieux dire, pour l’assecuration d’iceux dans le cas de laquelle elle se croît être.
Tellement qu’il faut que le seigneur De Villardin consulte dans le Pays de Vaud pour sauver les raisons cî dessus, si du moins l’on ne croit pas qu’il puisse obtenir l’enlèvement de la saisie de ses biens en Savoye.
63
Archives cantonales vaudoises. Correspondance baillivale Vevey, I, p. 57.
Lettre du Bailli de Vevey à l’avoyer et au Conseil de Berne.
Vevey le 4 mai 1745.
(Texte original en allemand.)
Très honorés et très gracieux Seigneurs,
Quoique je n’aie pu découvrir ici dans les régistres du bailliage la moindre mention, relative à la succession de Mme De la Tour, je me rappelle pourtant que VV. EE. ont décrété le 26 décembre 1726 qu’après la mort de cette dame ses biens devaient revenir au fisc. Comme la dite dame De la Tour est morte le 28 du mois dernier je crois de mon devoir de vous communiquer son décès et de demander en même temps des ordres au sujet de cette succession. En implorant sur Vos Excellences la protection divine, je reste avec respect, très honorés Seigneurs, votre obéissant serviteur et bailli,
Abraham de Grafenried. /244/
64
Archives cantonales vaudoises. Correspondance baillivale Vevey, I, p. 59.
Requête de Mme Hugonin à l’avoyer et au Conseil de Berne.
S. l. n. d. (La Tour de Peilz, le 10 mai 1745 1.)
Illustres, Hauts, Puissants et Souverains Seigneurs,
Françoise-Marie Hugonin, née De la Tour, votre très humble et très obéissante servante et sujette, a l’honneur d’exposer à Vos Excellences, dans les sentiments du plus profond respect, que leur ayant ci-devant addressé ses très humbles prières pour les supplier de luy déclarer propres les biens substitués en faveur de sa famille par feu Jean-Baptiste De la Tour, son grand oncle, desquels la Dame De la Tour, née Flavard, sa veuve, avoit la jouissance pendant sa vie et qu’on a présumé avoir été compris par Vos Excellences dans la confiscation de ceux de Mme de Vuarens, sa belle fille, morte civilement sans enfans et sans tester par sa sortie du Païs et son changement de religion en l’année 1726, Vos Excellences renvoyérent l’effet de la requette de la suppliante jusqu’à ce que l’usufruit des dits biens substitués eut pris fin par la mort de la dite Dame veuve De la Tour. Et comme la ditte Dame veuve est décédée depuis peu, l’humble suppliante, en conséquence du renvoy sus énoncé, prend la liberté de reparaître devant l’auguste tribunal de Vos Excellences pour y réitérer ses humbles prières aux fins qu’il leur plaise d’enlever tout obstacle qui pourroit naître de la dite confiscation et s’opposer à sa possession des dits biens substitués, /245/ fondée sur l’expresse disposition du dit Jean-Baptiste De la Tour, vray le légitime maître des dits biens, conformément à la volonté duquel la suppliante, sa nièce et plus proche parente, est appellée à les recueillir par la dite Dame veuve De la Tour, en vertu du pouvoir que le dit feu Jean-Baptiste De la Tour, son mary, luy avoit donnée de nommer à sa succession des dits biens un ou plusieurs de ses plus proches parents.
La suppliante ose se flatter que son humble demande ne paroîtra à Vos Excellences suscepte d’aucune difficulté, puisqu’il est certain qu’il n’y a que les biens libres de Madame De Vuarens qui ayent pu être confisqués et que les biens substitués en question n’appartiennent pas à la dite Dame de Vuarens, mais, étant dévolus à la famille de la suppliante par l’effet de la dite substitution, n’ont pu régulièrement être compris dans la confiscation, veu que ce seroit étendre sur la suppliante la punition de la dite dame de Vuarens et luy faire supporter la peine de sa faute. Un sy juste motif fait espérer à la dite Françoise-Marie Hugonin que Vos Excellences, par les principes de cette équité sy reconnue dont ils (elles) font la régle de tous leurs décrets, voudront bien, comme elle les en supplie très humblement, déclarer les susdits biens exemps de la confiscation et autoriser la suppliante à en prendre possession comme de ses biens propres, à elle dévolus en vertu de la substitution sus énoncée; ce qu’attendant avec confiance de leur suprême justice elle adresse ses vœux les plus sincères au ciel pour la conservation, la paix, la prospérité de Vos Excellences et de leurs florissants Etats. /246/
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Archives cantonales vaudoises. Correspondance baillivale Vevey, I, p. 55.
Requête du capitaine Hugonin à la chambre des Bannerets du Pays de Vaud, à Berne.
Très honorés et illustres Seigneurs,
Le capitaine Hugonin, très soumis serviteur et fidèle sujet de LL. EE., pénétré de la plus respectueuse et de la plus vive reconnoissance au sujet du rapport que Sa Grandenr le magnifique Thrésorier Steiguer a daigné luy faire dans la chambre de mes Illustres Seigneurs Banderets, prend la liberté d’implorer avec le plus profond respect leur haute protection pour obtenir de LL. EE., en faveur de son épouse, une possession provisionnelle du petit domaine qu’elle a eu l’honneur de faire conster qui luy étoit départi par la Dame de la Tour, née Flavard, sa tante deffunte, avec offre de donner caution au contentement de LL. EE., pour tout ce qu’il leur plaira d’ordonner en faveur de Madame de Wuarrens touchant ce petit domaine, lorsqu’elle sera dans le dessein sincère de rentrer dans le sein de l’Eglise et qu’elle aura eu le bonheur d’obtenir sa grâce de notre pieux souverain. — Cette faveur que l’humble suppliant espère de la grande équité, qui est la régle invariable de tous les décrets de LL. EE., l’engagera à continuer ses soins pour conserver et améliorer même ce petit domaine, dont l’usage de cette possession conditionnelle sera toujours dans sa famille un sujet de bénédiction et de reconnoissance envers son Auguste Souverain pour un bienfait dont il ne perdra jamais le souvenir 1. /247/
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Archives cantonales vaudoises. Correspondance baillivale Vevey, I, p. 78.
Mandat de l’avoyer et du Conseil de Berne à la Chambre des Bannerets du Pays de Vaud.
Berne, le 17 juin 1745.
Texte original en allemand (copie).
LL. EE., confirmant leur précédente permission, ont trouvé bon de renvoyer jusqu’après la Saint-Martin la liquidation du procès relatif aux biens de feu Jean-Baptiste De la Tour, que Mme Hugonin sollicite. De quoi, Messeigneurs, Elles vous informent en témoignant le désir amical que cette affaire leur soit de nouveau présentée après les prochaines vacances d’automne. Fait le 17 juin 1745.
Chancellerie de Berne.
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Archives cantonales vaudoises. Correspondance baillivale Vevey I, P. 79.
Requête de Françoise Miol, née Flavard, à l’Avoyer et au Conseil de Berne.
Vevey S. d.
Illustres, hauts, puissans et souverains Seigneurs.
Françoise Flavard, femme du conseiller Miol, de Vevey, très soumise servante et fidèle sujète de Vos Excellences, obtint de leur justice, le 7 juillet dernier, un ordre adressé au Magnifique, très honoré Seigr Baillif de Vevey pour la séparation des biens qui ont apartenu sous quel nom que ce soit à feu sa sœur Marie Flavard, veuve du feu Sr De la Tour, dont /248/ la suppliante est l’unique héritière ab intestat, lesquels biens se sont trouvés confondus avec ceux qui doivent apartenir aux héritiers testamentaires du dit feu Sr De la Tour et qui ont été séquestrés après la mort de dite Marie Flavard, qui avait eu la jouissance du tout. Le M. T. H. Sgr Baillif aura sans doute adressé à VV. EE., le résultat de ce qu’il a fait en exécution de leurs ordres, dans lequel il doit être resté indécis à qui doivent apartenir quelques uns des biens séquestrés. Et comme le capitaine Hugonin demande aujourd’hui à LL. EE. main levée de ceux qui doivent apartenir aux dits héritiers testamentaires de feu M. De la Tour, l’humble suppliante s’est vue obligée de rappeler à VV. EE. leur dit ordre du 7 juillet courant, afin que, dans ce qui sera accordé au dit Sr capitaine Hugonin, rien ne se fasse au préjudice de la suppliante, mais que ce qui est décidé lui apartenir lui parvienne et que ce qui est resté indivis reste en séquestre jusqu’à la décision qui s’en fera de la manière qui paroîtra la plus convenable à VV. EE. Ce qu’obtenant la suppliante redoublera ses vœux pour leur prospérité et pour celle de leurs florissants Etats.
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Archives cantonales vaudoises. Correspondance baillivale Vevey, I, p. 117.
Chambre des Bannerets au Sénat de Berne.
Berne, le 4 décembre 1745.
Texte original en allemand.
Illustres, hauts, puissants et souverains Seigneurs.
Ensuite de l’ordre reçu de Vos Excellences le 17 juillet passé, Messeigneurs le Trésorier et les Bannerets du Pays de Vaud ont cité et interrogé M. le capitaine Hugonin, représentant sa femme, Françoise-Marie Hugonin, et le magnifique Seigneur commandant Bondeli, comme baron du Châtelard, /249/ au sujet de l’héritage de M. Jean-Baptiste de la Tour, dont Mme Hugonin sollicite la possession.
M. Hugonin leur a humblement exposé que Mme De la Tour née Flavard, avait été substituée par une disposition testamentaire de son mari, de l’année 1709, à tous les enfants de celui-ci, morts sans famille et ab intestat, dans l’hérédité des biens qui constituaient son douaire, à charge de transmettre elle même ces biens à de proches parents du testateur, qu’elle désignerait; que cette dame étant morte récemment, Mme Hugonin requérait de leur haute clémence d’être mise et laissée en possession du domaine du Basset, en vertu du testament de son grand-oncle et du choix que sa grande-tante avait fait d’elle pour recueillir sa succession; d’autant plus qu’elle se trouvait déjà naturellement être la plus proche parente et héritière de M. Jean-Baptiste De la Tour, puisque Mme De Vuarens, le seul enfant qui survivait encore à ce dernier, n’ayant pas de postérité et s’étant convertie à la religion catholique, avait perdu ainsi tout droit à la fortune paternelle et était morte civilement; que l’arrêt de LL. EE. du 26 décembre 1726 ne pouvait équitablement concerner que les biens dont Mme de Warens avait eu la propriété effective et non point ceux qu’elle n’avait jamais eu personnellement en mains; qu’enfin si Mme Hugonin n’obtenait pas sans devoir recourir à une action civile le domaine du Basset, elle se proposait dors et déjà de réclamer par voie de justice tous les biens compris dans la substitution instituée par son grand-oncle.
Le magnifique Seigneur commandant Bondeli a opposé par contre aux conclusions ci-dessus que les barons du Châtelard, ainsi que le constatent des titres anciens, souvent reconfirmés, ont toujours eu, dans le rayon de leur baronnie, le plein exercice des droits fiscaux, de sorte que le souverain n’a jamais fait difficulté, lorsqu’une confiscation était décrétée, de leur céder les propriétés qui ressortissaient de cette terre. Ce dont il offrait de fournir la preuve par des /250/ actes et par des exemples nombreux. Il demandait donc que les biens en question, qui devaient revenir à Mme de Warens et qui étaient situés dans la juridiction du Châtelard, lui soient remis, puisqu’ils étaient frappés de confiscation par les décrets du 26 décembre 1726 et du 1er avril 1727. LL. EE. reconnaîtraient de cette manière la jouissance ultérieure de son antique privilège. S’il devait s’élever ensuite quelque opposition de la part de M. Hugonin ou d’un autre compétiteur il se chargerait bien de leur répondre en justice.
En dernier lieu comparut aussi l’avocat Mégard, procureur et fondé de pouvoir de Mme Miol, née Flavard, lequel déclara par la supplique cî-annexée, que certains biens dont la sœur de sa cliente, la veuve De la Tour, née Flavard, avait eu l’usufruit viager et qui devaient après la mort de cette dame revenir à cette cliente, comme à sa plus proche parente ab-intestat, étaient confondus dans le séquestre de ceux dont elle avait eu la jouissance du côté de son mari. Ensuite de l’ordre de VV. EE., adressé au bailli de Vevey le 7 juillet dernier, il a été statué pour plusieurs de ces biens qui devait être considéré comme leur légitime propriétaire; les autres restérent provisoirement indivis. M. Mégard prie VV. EE., au nom de Mme Miol, de faire livrer à cette dernière ceux qui lui ont été jusqu’ici attribués, quant à ceux qui sont encore aujourd’hui indivis, ils continueraient à rester sous séquestre jusqu’au jugement final de l’affaire.
Messeigneurs ayant examiné soigneusement et avec attention toutes les pièces qui se rapportent à ce litige, de même que les arrêts souverains y relatifs du 26 décembre 1726, du 1er avril 1727 et du 8 juillet 1737, dans lesquels VV. EE. renvoient ce jugement après la mort de la veuve De la Tour, ont reconnu après mûre réflexion et d’un accord unanime, que les biens séquestrés ne peuvent être soumis à la confiscation, attendu qu’il n’existe aucune ordonnance permettant de frapper de semblable peine les nouveaux convertis au catholicisme. /251/ Car le passage du Livre rouge 1 n’a personne d’autre en vue que les habitants du pays qui contractent mariage avec des papistes; il est basé, du reste, sur des motifs qui ne sont pas ici à leur place. Or on ne peut, dans aucune circonstance, étendre à des actes qu’il ne prévoit pas les peines que ce passage renferme. Quant à l’ordonnance souveraine, elle n’est plus, grâce aux amendements de l’année 1717, qu’un texte dont l’interprétation donne lieu à des difficultés. D’ailleurs elle ne saurait être appliquée à Mme De Vuarens puisque cette dame était déjà héritière de son père, pour les biens dont il est question, en l’année 1709, c. à d. avant la promulgation de cette loi, qui date de 1715, et aussi avant son entrée dans la communion romaine.
C’est pourquoi dans ces conditions on ne peut regarder Mme de Vuarens comme frappée de mort civile puisqu’il lui est loisible, tant qu’elle vivra, de rentrer en tout temps dans la foi réformée et peut être d’obtenir de cette manière la grâce de VV. EE. Ses parents se sont donc trop pressés de demander pour eux la mise en possession de ces biens; ils auraient dû attendre pour le faire une initiative de l’Etat.
Cette raison et d’autres encore engagent Messeigneurs le Trésorier et les Bannerets du Pays de Vaud à proposer à Vos Excellences d’affranchir les biens séquestrés de toute menace de confiscation, de les faire administrer d’office et d’en envoyer les revenus annuels, après les déductions d’usage, à Mme de Vuarens, en Savoie. Les régisseurs de ces biens seraient tenus d’en rendre chaque année un compte exact au seigneur bailli de Vevey. Pour ce qui concerne les biens eux-mêmes, ils seraient gardés à disposition tant que Mme de Vuarens continuerait à vivre hors du pays et de la religion de ses pères. Ce préavis est soumis à Votre appréciation éclairée et à Votre volonté suprême, Illustres et Souverains Seigneurs.
Fait le 4 décembre 1745. /252/
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Archives de Loys Notice autobiographique sur Sébastien-Isaac de Loys de Vuarens
Papier s. d.
Né le 28 juillet 1688.
Entré au service sarde comme enseigne au régiment Deportes, 2 février 1704.
Lieutenant dans la compagnie Rigaud, juin 1704.
Quitta le service en mars 1705 et retourna à Lausanne chez son père.
Entré au service de Suéde dans le bataillon suisse, 28 mars 1706.
Capitaine de la compagnie du Chapitre de Lausanne par acte de LL. EE. du 24 mai 1712.
A épousé Mlle Françoise-Louise de la Tour, fille de feu M. Jean-Baptiste de la Tour et de défunte demoiselle Jeanne-Louise Warnery, le 22 septembre 1713.
(La dite demoiselle de la Tour née le 31 mars 1699.)
M. Jean de Loys, père de Sébastien-Isaac, lui remit la terre de Vuarens et de Vuarangel en 1723.
Il obtint la bourgeoisie de Vevey le 20 décembre 1724.
Entra dans le conseil des Cent-vingt de cette ville le 20 décembre 1724.
Entra dans celui des Soixante le 20 décembre 1724.
» dans celui des Douze le 26 mars 1725.
Fuite de Mme de Warens à Evian, le 14 juillet 1726.
Il a fait un voyage en Angleterre en 1728.
Il a été agréé gouverneur du jeune prince Lebrecht d’Anhalt-Bernburg, avec l’appointement de 400 fl. annuels de Hollande, pour voyager avec lui; acte du 30 septembre 1729. /253/
Il n’a été avec lui que jusqu’à La Haye et l’a ramené à Mæstricht.
Il a quitté cette place par sa décharge du 25 octobre 1730.
Arrive à Londres le 24 septembre 1731.
Se trouve encore dans cette ville en octobre 1733.
Revient à Lausanne en juin 1734, demeurant chez son père, mais en pension (alimentaire) chez Mme Vulliamoz.
Elu conseiller en septembre 1735.
» maisonneur en septembre 1737.
» haut forestier en octobre 1744
70
Archives cantonales vaudoises Comptes du bailliage de Vevey, 1746, Supplém., p. 39.
Recettes du domaine du Basset dont feu Mme de la Tour, née Flavard, avait la jouissance.
(Texte original en allemand.)
| Florins | Sols | Deniers | |
| Le 25 décembre 1746, reçu de M. le lieutenant Jean-Louis Vincent, de Chailly, administrateur de cette propriété par ordre de LL. EE. dès le 28 mai 1745, les revenus qu’il en a tirés en l’année 1745, déduction faite de 130 fl., 3 sols, 6 deniers, montant de ses déboursés et de ses peines. Suivant son compte. | 628 | 11 | 3 |
| Reçu du même pour l’année 1746, après déduction de 183 fl. 6 sols pour ses déboursés et ses peines. Suivant son compte. | 321 | 3 | — |
| Total, | 950 | 2 | 3 |
| /254/ N. B. De cette somme de 950 fl. 2 sols 3 deniers doivent être déduits 139 fl., livrés le 17 septembre 1746 au secrétaire baillival Grenier, comme en font foi son compte et sa quittance. (No 11, lettre A). | 139 | — | — |
| Puis, d’après reçu du maçon Journod et du charpentier Girard. (No 12, lettre A) | 259 | 9 | — |
| Total, | 398 | 9 | — |
| Reste donc la somme de 551 fl. 5 sols 3 deniers. | |||