HISTOIRE MONÉTAIRE DE LAUSANNE
DENIER INÉDIT ÉMIS VERS L'AN 1000
PAR
A. MOREL-FATIO
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Le présent opuscule est consacré :
1° à un nouveau denier de Lausanne, inconnu jusqu'à ce jour et assez antérieur, comme émission, aux deniers épiscopaux précédemment décrits;
2° à quelques observations sur la détermination d'un denier de la même époque, proposée par Poey d'Avant, dans ses Monnaies féodales de France, tome II, page 73, N° 2725; pl. LVIII, N° 21.
Tous les éléments en ont été réunis et étudiés par M. A. Morel-Fatio. Surpris par la maladie avant d'avoir pu achever la rédaction de la petite note qu'il préparait, il a bien voulu me prier de tenir la plume à sa place; mais l'œuvre lui appartient tout entière et exclusivement.
E. LEHR.
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DENIER INÉDIT ÉMIS VERS L'AN 1000

Cette intéressante monnaie, qui apparaît aujourd'hui pour la première fois, a été trouvée aux environs de Lausanne, mais dans une localité qu'il ne m'est pas encore possible de préciser.
Malgré son type insolite et la légère lacune que présente la légende, son attribution à l'évêché de Lausanne ne peut laisser aucun doute.
Mais à quelle époque a-t-elle été frappée ? Il est facile, je crois, de l'indiquer au moins approximativement.
Déjà le caractère de sa fabrique lui assigne une date bien antérieure à tout ce que nous connaissons, jusqu'à ce jour, du monnayage de Lausanne, et l'on peut, sans hésitation, remonter au commencement du onzième siècle, sinon plus haut.
De plus, ce type inaccoutumé, cette lettre S (sedes, signum ?), placée entre deux petits signes en forme de coins, confirme cette fixation de date et, comme origine, rattache /236/ notre denier aux ateliers du territoire de la Bourgogne Transjurane.
En effet, si, dans le recueil le plus considérable des monnaies féodales de France, dans Poey d'Avant, par exemple, on recherche quelles sont les localités qui, vers la fin du dixième siècle, employaient comme type principal une lettre isolée dans le champ ou une lettre accostée de quelque signe secondaire, croix, croisette, etc., on les trouvera condensées en quelque sorte sur le territoire dont je viens de parler, Lyon, Mâcon, Chalon, etc.
Dans cet examen minutieux, une seule pièce, d'après Poey d'Avant, semble faire exception, celle qui est décrite et figurée dans son recueil tome II, pag. 73, et pl. LVIII, N° 21.
Mais, vérification faite, son attribution est erronée. Nous allons le démontrer, en étudiant ce mystérieux denier sur un dessin exécuté avec le plus grand soin d'après un moulage excellent que M. L. Müller, directeur du cabinet royal des médailles à Copenhague, a bien voulu faire prendre sur l'original même.

Au premier abord, la comparaison entre ce denier et celui que donne Poey d'Avant ne fournit guère de clartés nouvelles. /237/
Cependant on remarquera que la forme particulière de la lettre G, sur laquelle cet auteur se base pour son attribution à l'Aquitaine, fait absolument défaut. Il confesse, disons-le, qu'il n'avait pas vu la pièce originale.
M. Ch. Piot, en traitant le même sujet dans la Revue de la numismatique belge, 1856, pag. 265, obéit assurément à un meilleur instinct numismatique en essayant de donner ce denier à Mâcon.
Toutefois je ne saurais trouver avec lui les éléments du mot MADICONE dans ce nom de lieu, dans cette légende qui depuis longtemps provoque tant de recherches.
Il ne faut pas oublier qu'en écrivant l'histoire de la monnaie de Mâcon 1 , mon savant ami, M. Ch. Robert, a insisté sur une certaine corrélation avec les produits de l'atelier de Lyon.
M. Ch. Piot nous montre peut-être par là un des jalons de la voie à poursuivre. Je ne serais pas éloigné de le croire.
Tout bien considéré, nous nous trouvons ici en présence d'une monnaie sur laquelle Poey d'Avant lit : † ESVIOVD-V, tandis que le catalogue de la collection Thomsen (tome III, seconde partie, N° 12112) donne la légende rétrograde ! † E, SAIOVBMI.
Le même Thomsen, précédemment, dans le recueil de Grote 2 , avait déclaré cette légende indéchiffrable.
Lorsqu'on arrive à de pareilles divergences d'interprétation, le plus sage, ce me semble, est de tenir une telle légende pour barbare, illisible et de renoncer à la déchiffrer.
Par contre, le type, moins facile à dénaturer que les /238/ légendes, a conservé assez d'éléments caractéristiques pour qu'on y reconnaisse le monnayage de la Bourgogne Transjurane vers la fin du dixième siècle.
Contentons-nous pour le moment de cette notion; un jour viendra peut-être qui nous livrera le prototype lisible de ce Guillaume inconnu.
Un mot encore. L'atelier des Comtes de Lyon ne fonctionnait plus sans difficultés déjà au milieu du dixième siècle, sous Guillaume II. Les émissions devenaient de plus en plus laborieuses. La barbarie du denier que nous venons d'étudier peut aussi bien être le fruit du calcul que d'une dégénérescence involontaire.