Observations relatives au Mémoire intitulé :
LES SIRES DE LA TOUR MAYORS DE SION, ETC.
inséré dans le tome XXIV des Mémoires et Documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande
PAR L’AUTEUR DE CET OUVRAGE.
Il n’y a guère d’auteurs chez lesquels la publication d’un ouvrage historique n’ait pas entraîné plus tard le désir de le retoucher, soit pour y insérer des faits nouveaux concernant le sujet qu’ils ont traité, soit pour modifier des appréciations émises par eux, soit enfin pour rectifier des erreurs qu’ils peuvent avoir involontairement commises. C’est sous l’impression de ce sentiment que nous présentons aujourd’hui aux lecteurs des Mémoires et Documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande quelques observations relatives à notre Mémoire sur les sires de la Tour, qui y a paru.
Le premier point qui y donne lieu est ce que nous avons rapporté d’Aymon de Greysier, donzel, mayor de Sion, du chef de Béatrice de la Tour, son épouse, et dont le fils /128/ François et le petit-fils Bertholet de Greysier furent successivement après lui mayors de Sion. Nous l’avons rattaché à la famille des nobles de Greysier-Faucigny 1 et avons, paraît-il, commis une erreur sur ce point. Selon l’opinion d’un auteur très compétent 2 , le donzel Aymon aurait été un Greysier-Langin et porté le nom du village de Greysier (Grésié, Grésy, Greyzié), en Chablais, peu distant de Langin et appartenant à la seigneurie de ce nom. Cette opinion est pleinement justifiée par la circonstance que le même Aymon de Greysier est nommé de Langin dans un document daté de l’année 1291, reçu par le notaire Martin de Sion, circonstance que nous avions attribuée à un lapsus calami de ce notaire 3. Aymon de Greysier était donc étranger à la famille de Greysier-Faucigny. Quant à celle-ci nous avons aussi fait une erreur en rapportant que Guillaume, seigneur de Greysier, vivant en 1225 et 1233 (et même encore en 1245), était l’époux d’Agnès, héritière de la seigneurie de Greysier (près d’Aix-les-Bains) et le fils de Rodolphe de Faucigny, dit l’Allemand 4. Ici, nous avons omis une génération, le prédit Guillaume étant fils d’un autre Guillaume, vivant en 1180 et 1190, qui avait épousé l’héritière de la seigneurie de Greysier et fut l’auteur de la famille qui en porta le nom. Ce Guillaume (I) était l’un des fils de Rodolphe de Faucigny, dit l’Allemand, et d’Emma Ainard de Domène, son épouse 5. /129/
Nous avons hâte de rectifier le point suivant: Nous avions été mal informé lorsque, dans notre Mémoire, nous avons dit et répété plusieurs fois que Chouson (village, paroisse et vallée) portait aujourd’hui le nom de Saas 1. Chouson (ou Choson) est actuellement Saint-Nicolas, dans la grande vallée de Viége. La paroisse de Chouson est très ancienne, tandis que celle de Saas est d’érection bien plus récente. Ce dernier nom se rend en latin par Sausa.
Nous pourrions encore avoir erré en admettant que le sire Aymon, oncle de Girold, fils du sire Pierre de la Tour, apparaissant dans une charte datée de l’année 1232, était Aymon (II) de la Tour, oncle paternel du sire Girold précité 2. Le terme avunculus, par lequel il est désigné, signifie le plus souvent oncle maternel, néanmoins cette règle n’est pas sans exceptions. Le sire Aymon dont il est ici question, pourrait donc avoir été l’oncle maternel de Girold de la Tour, toutefois on ignore à quelle famille il aurait alors appartenu 3.
Nous ne nous étions pas trompé en présumant que Pierre (IV) de la Tour, donzel, sire de Châtillon, avait été déjà vidomne de Conthey 4. Cette qualification lui est donnée /130/ dans un document daté du 6 des kal. de février de l’année 1297 et dans un second document datant probablement de la même année 1. Pierre de la Tour serait donc devenu vidomne de Conthey à la mort du donzel Jacques, dernier vidomne de Conthey de la famille de ce nom 2. Etait-ce par suite de consanguinité avec lui ?
Voici maintenant quelques indications concernant les nobles de la Tour qui ont porté le nom de Morestel :
Guillaume et Aymon, frères, fils de P(ierre) de Morestel, chevalier, confessent, à Sion, le 12 des kalendes d’avril 1296, qu’ils doivent à la noble femme Béatrice, mayoresse de Sion, un fichelin de sénevé, de cense 3.
Le 16 des kalendes de novembre 1297, à Sion, Aymon de Morestel, donzel, avec l’approbation de Françoise, son épouse, de Guillemette, mère de celle-ci, épouse de son frère Guillaume, et d’Ysabelle et de Perroule (Perrette), ses sœurs, et aussi avec l’approbation de son prédit frère Guillaume, vend à P(ierre) Tornol, citoyen de Sion, un demi-muid d’orge, de cense, pour le prix de cent et cinq /131/ sols mauriçois, en présence, entr’autres, de Jean de Morestel et de Jean, fils de Rodolphe Pelletier (Pelliparii), de Granges. Cette cense pourrait être rachetée par le prénommé Guillaume, jusqu’à la fête de St. Martin de l’année suivante 1.
Françoise, l’épouse du donzel Aymon de Morestel, mentionnée ci-dessus, survécut à son mari. Le 3 des kalendes de novembre 1326, à Venthône, dans la maison de Marguerite, veuve de Rodolphe de Venthône, Françoise, veuve d’Aymon de Morestel de Granges, fit son testament par lequel elle nomma exécuteurs testamentaires Reymond, curé de Granges et Guillaume de Morestel de Granges, donzel, et institua ses propres fils pour héritiers. Guillaume de Morestel de Granges et son fils Perrod furent, entr’autres, les témoins de cet acte de dernière volonté 2. A quelle famille appartenait la testatrice ? Nous avons vu plus haut que sa mère Guillemette était, en 1297, l’épouse de Guillaume, frère d’Aymon, son mari. D’un autre côté, on n’a pas /132/ oublié qu’une dame Jacobée était l’épouse du donzel Guillaume de Morestel, sous les années 1325 et 1326, et que les donzels Jean et Pierre, fils du dit Guillaume de Morestel, sont désignés, en 1334, comme ayant été les héritiers de dame Colombe de Sierre, leur tante maternelle 1. Il en résulte que le donzel Guillaume de Morestel, qui fut vidomne de Bagnes après son père, a eu deux épouses : 1° Guillemette, en 1297, et 2° dame Jacobée, en 1325 et 1326.
Le donzel Jean (ou Johannod) de la Tour, fils de Rodolphe (II), donzel, de la branche aînée de la famille de la Tour, vivait encore le 4 des kalendes de janvier 1344 et apparaît à cette date comme usufruitier des biens de sa défunte épouse Agnès, mayoresse de Louëche 2. Celle-ci, on s’en souvient, était Agnès de Bex, veuve en premières noces de Guillaume Alamant, dit de Conteiz, et, en secondes noces, de Casson, mayor de Louëche 3.
Le fait que nous allons rapporter se rattache, selon nous, à l’histoire des sires de la Tour et à leur hostilité envers l’évêque Guichard Tavelli. Ce prélat, dans la guerre qu’il soutenait contr’eux, avait recherché l’appui du comte Amédée (VI) de Savoie et lui avait demandé des secours 4. Celui ci avait mis à profit cette circonstance pour étendre son autorité sur le Vallais épiscopal. A la suite d’une /133/ convention faite, en 1358, paraît-il 1 , entre lui et l’évêque, ce prince avait occupé, pour un temps indéterminé, les châteaux de Tourbillon, de Sierre et de Granges (celui-ci appartenant au sire d’Anniviers) 2 et l’évêque Guichard l’avait revêtu de la haute fonction de bailli du Vallais épiscopal 3. Les Vallaisans, irrités de ces concessions, avaient tenté, en 1360, de reprendre le château de Tourbillon et l’avaient inutilement assiégé, le comte étant accouru pour le défendre 4. A la suite d’un traité fait à Evian, le 21 mars 1361, le comte rendit à l’évêque, sous certaines réserves, les châteaux qu’il occupait, toutefois les Vallaisans durent lui payer une somme de treize mille florins d’or, de bon poids 5. Les communautés d’Aragnon (Ernen), de Moërel et de Münster, dans le Haut-Vallais, ne voulurent pas reconnaître ce traité et refusèrent de payer leur part de la contribution qu’il imposait aux Vallaisans. L’évêque Guichard s’étant rendu, avec une nombreuse suite, dans l’automne de la même année, à Aragnon, probablement pour amener les récalcitrants à payer leur part de la contribution susmentionnée, il y fut attaqué, dans la nuit du 16 octobre, blessé même et fait prisonnier par les habitants des trois communautés prédites. On le retint onze semaines en captivité, jusqu’à ce que, par un traité fait avec les dites communautés, le 10 janvier, à Münster, il leur eût accordé l’impunité et l’exemption /134/du payement, tant de leur part de contribution que de toutes les redevances arriérées dues au prélat. Celui-ci prit l’engagement de faire lever l’interdit apostolique, mis, à la suite de l’attentat dont il avait été l’objet, sur les paroisses de Moërel, d’Aragnon et de Münster, et aussi de Chouson et de Praborgne. Les habitants de ces deux paroisses-ci avaient participé, ainsi que ceux des autres montagnes de Viége (sujets de la maison de Biandrate), aux violences exercées envers le prélat 1. Or, les paroissiens de Chouson (Saint-Nicolas) et de Praborgne (Zermatt) étaient sujets des sires de la Tour (on se rappelle que Pierre (V) de la Tour, sire de Châtillou, avait, entr’autres, donné les vallées de Chouson et de Praborgne à son fils aîné, Antoine, par son testament daté de l’année 1350) et leur communauté d’action, dans cette circonstance, avec les habitants des paroisses de Moërel, d’Aragnon, et de Münster, auxquels ils étaient liés par des traités, qui, au dire de l’évêque Guichard, étaient illicites 2 , est sans doute une conséquence de l’hostilité de leur seigneur, Antoine de la Tour, envers l’évêque Guichard Tavelli.
En ce qui concerne les nobles de la Tour, de Saint-Maurice, ils apparaissent plus anciennement dans les chartes que nous ne l’avons indiqué dans notre Mémoire 3. Humbert de la Tour est nommé dans le nombre des témoins d’une donation faite, le jour de la fête de St. Georges de l’année 1174, par Girold, sire de Bex, en faveur de l’abbaye /135/ de Saint-Maurice, de terres situées à Bex, Ollon et ailleurs, donation motivée par l’admission de Guillaume, frère du donateur, dans ce couvent 1.
Lors d’une seconde donation faite par le même seigneur, dans l’année précitée, en faveur de la dite abbaye, apparaissent comme témoins, entr’autres: Pierre Escoz de la Tour et Humbert, l’aîné, de Saint-Maurice 2.
Aux diverses observations qui précèdent, nous en ajouterons une nouvelle, qui aurait dû trouver sa place plus haut, lorsque nous avons parlé de Pierre (IV) de la Tour, sire de Châtillon. Un auteur moderne, M. Ed. de Watteville de Diesbach, dans sa récente publication sur l’histoire de la ville de Berne, émet des doutes, qui nous paraissent très fondés, sur l’époque, indiquée par les historiens, où aurait eu lieu la guerre que firent les Bernois au sire Rodolphe de Weissenbourg, dans laquelle le prénommé Pierre de la Tour fut l’allié de ce seigneur. Nous avons placé cet événement, d’après les sources que nous avons citées, sous l’année 1285 ou la suivante 3. L’auteur que nous venons de mentionner, qui se distingue par une saine critique, rattache cette guerre à celle que les Bernois soutinrent, en 1297 et 1298, contre les Fribourgeois, dont le sire de Weissenbourg était /136/ l’allié, et lui attribue pour motifs des droits de mouvance, réclamés par le comte Hartmann de Kibourg, allié des Bernois, sur le château de Wimmis, appartenant au sire Rodolphe de Weissenbourg 1.