STATISTIQUE DES ANTIQUITÉS DE LA SUISSE OCCIDENTALE 1 .
Malgré le nombre considérable des publications qu’on possède sur les antiquités de la plupart des pays de l’Europe, il est souvent fort difficile de se faire une idée exacte des divers genres de monuments, de sépultures et d’objets d’industrie, propres à chaque pays. Pour que l’histoire puisse retirer de ces recherches tous les résultats qu’elle a droit d’en attendre, il importe qu’on arrive à connaître d’une manière précise la nature des divers débris de l’antiquité, les lieux de leur origine et les circonstances de leur découverte. Ce ne sera qu’en possédant ces statistiques complètes, faites en dehors de tout système préconçu, qu’on pourra définitivement classer d’une manière générale les genres analogues et rechercher l’ordre de succession de ces divers groupes, ainsi que leur antiquité /444/ relative. Alors, il deviendra plus facile d’apprécier la raison des analogies et des dissemblances, de reconstruire les divers moments de développement de l’humanité, de retracer les voies parcourues par les anciens peuples et de rechercher leur point de départ. — Je détache du travail d’ensemble que j’ai entrepris sur ce sujet, les faits relatifs à l’Helvétie occidentale, faits que j’aurai à rapprocher des découvertes analogues propres à d’autres pays. L’ordre le plus naturel à suivre, avant les âges historiques, est celui du développement de l’industrie, ce qui nous conduit à examiner tout d’abord les découvertes dont le matériel indigent révèle pour notre pays l’âge de la plus grande simplicité.
Sépultures et habitations ne renfermant que des instruments en pierre.
On découvrit en 1825, dans une vigne, près de la maison de campagne de Pierra-Portay, au S.-E. de Lausanne, une quinzaine de tombes dirigées du couchant au levant et déposées, sans alignement régulier, à environ 3 pieds sous la surface du sol. Aucun signe extérieur ne laissait soupçonner l’existence de ces tombeaux; ils étaient tous construits en dalles brutes et mesuraient environ 2 pieds de largeur et de profondeur sur 2 ½ à 4 pieds de longueur; le plus petit n’avait qu’un pied carré d’ouverture. Plusieurs contenaient les débris de deux squelettes, l’un en renfermait même quatre, et dans toutes ces tombes on voyait, d’après la grandeur des ossements, que les corps avaient été reployés pour y être déposés et que /445/ la tête avait été placée à l’extrémité du côté du soleil levant 1 . On n’a recueilli auprès de ces squelettes qu’un petit couteau en silex et un fragment de stéatite, aplati et taillé sur les bords.
Environ dix ans plus tard, des vignerons de M. Correvon-Demartine trouvaient des tombes du même genre dans sa campagne du Châtelard près de Lutry. Trente et quelques tombeaux d’environ 3 ½ pieds de longueur étaient formés chacun de cinq dalles brutes et renfermaient les ossements de deux squelettes, qui avaient dû nécessairement être repliés, vu que les fémurs et les tibias reposaient sur les corps. Dans ces tombes, tournées de l’est à l’ouest, les têtes regardaient l’orient, à l’inverse de celles de Pierra-Portay. Ces sépultures contenaient de petits coquillages qui n’ont pas été conservés, deux pointes de lance en silex de 6 à 7 pouces de longueur sur 27 lignes de largeur et deux pierres sphériques de 4 pouces de diamètre, percées chacune d’un trou.
Le peu de longueur de ces tombes et l’attitude reployée des squelettes sont des caractères propres à plusieurs contrées de l’Angleterre, du nord de l’Allemagne et des Etats-Unis. On a aussi observé cette attitude dans les salles sépulcrales des tumuli gigantesques du nord de l’Europe, qui ne renferment que des instruments en pierre et en os, mais il est à remarquer que le même fait se reproduit dans les tombeaux des Péruviens, avant la découverte de l’Amérique, et chez plusieurs populations sauvages qui ont conservé jusqu’à nos jours ce mode d’inhumation 2 . /446/
Dans les âges reculés où les armes et les instruments domestiques étaient en pierre, de même que chez quelques peuplades sauvages de nos jours, les habitations devaient être d’une grande simplicité, aussi est-il extrêmement rare de pouvoir en constater quelques traces. La découverte des pilotis de Meilen 1 , sur les bords du lac de Zurich, a cependant jeté un jour inattendu sur l’un des modes de construction usité dès la plus haute antiquité en Helvétie.
Nous avons à mentionner l’existence de débris analogues observés dans la vallée de l’Orbe, à environ 5 500 pieds de la rive actuelle du lac d’Yverdon. Bien que la plaine marécageuse qui s’étend d’Yverdon à Entreroches soit envisagée par les géologues comme étant de formation antéhumaine, la tradition populaire n’en conserve pas moins le souvenir d’un temps où elle était navigable, et c’est à l’appui de cette idée qu’elle mentionne l’existence de prétendus anneaux auxquels on aurait autrefois amarré les bateaux à Entreroches et sous le château d’Orbe 2 . /447/ Nul ne met du reste en donte que cette plaine n’ait été gagnée sur les eaux, mais ce qui est plus difficile à déterminer, c’est l’époque à laquelle le lac fut resserré entre ses rives actuelles. Dans tous les cas, il dut s’écouler bien des siècles avant que les cours d’eau qui descendent le Jura, d’une part, et de l’autre du mont Jorat, eussent déposé leurs alluvions en barrages dans la vallée, de manière à diviser l’ancienne tête du lac en bassins de grandeurs diverses. Alors seulement put avoir lieu la formation des tourbières qui comblèrent peu à peu ces bassins. A cette action des barrages alluviens de l’Orbe et de ses affluents, dont on peut comparer la disposition à celle des nervures d’une feuille d’arbre, il faut ajouter l’action des dunes transversales formées par le lac, et sur l’une desquelles s’éleva plus tard l’antique Eburodunum que traversait le torrent du Buron. Dans le fond des tourbières qui se formèrent entre ces divers barrages, on a trouvé sur plus d’un point des pièces de bois travaillées par la main de l’homme, mais la découverte la plus intéressante est celle qu’a faite M. Simon, syndic d’Yverdon, dans l’exploitation de tourbe qu’il dirige vers les Uttins, au pied du mont de Chamblon. Sous 8 à 10 pieds de tourbe, on a trouvé sur ce point deux petites haches en serpentine, en forme de coin, et une pointe de flèche en silex parfaitement intacte 1 , /448/ mais ce qui est surtout remarquable, c’est que, d’après le rapport de M. Simon, ces objets étaient auprès de pieux plantés verticalement dans le sol. Entre le mont et ces pieux, des racines d’aulnes et des troncs d’arbres pris dans la tourbe dessinent une ancienne rive dont la hauteur répond à celle du lac actuel, d’où il résulte que la variation du niveau des eaux au pied du Jura paraît avoir été moins sensible qu’on ne le suppose généralement. Ces traces d’un ancien rivage, l’existence de pilotis et les objets recueillis auprès suffisent pour reconnaître dans cette découverte des restes de ces habitations lacustres qui ont été observées ces derniers temps sur plusieurs lacs de la Suisse 1 . Les instruments en pierre, trouvés dans cette localité sans aucune trace de métal, font remonter ces constructions à un âge d’autant plus reculé que des objets en bronze accompagnent les pilotis antérieurs à notre ère, de Corcelettes et de Concise; en outre, lorsque le lac s’étendait jusqu’au mont de Chamblon, il recouvrait l’emplacement d’Eburodunum dont la dénomination celtique indique l’existence d’un établissement plus ancien que celui des Romains. A cette époque, Chamblon, qui s’élève au milieu des marais, devait former une île au pied de laquelle ces cabanes de pêcheurs étaient construites sur la surface des eaux qui baignaient le pied du mont.
Il est difficile de préciser le moment auquel ces constructions cessèrent de répondre à leur première destination par le fait de la retraite du lac, cependant on peut hasarder un calcul qui n’a d’autre valeur, il est vrai, que celle des probabilités. /449/
Entre les ruines romaines d’Eburodunum et la rive actuelle est une zone alluvienne de 2500 pieds de largeur en moyenne, tandis que les pilotis de Chamblon sont éloignés du lac d’environ 5500 pieds. Il est à remarquer que l’absence de tout débris romain entre l’ancienne ville et le lac permet de supposer que celui-ci s’étendait jusqu’au pied de l’ancien castrum eburodunense, en sorte qu’il aurait fallu 15 siècles au moins pour la formation de cette zone, à partir de la chute de Rome jusqu’à nos jours. En admettant que la zone de 5500 pieds se soit formée dans des conditions analogues, elle aurait exigé une durée de 33 siècles, ce qui reporterait au XVe siècle avant notre ère le dernier moment du séjour des eaux sous Chamblon. On peut objecter que l’espace compris entre Eburodunum et le lac est formé d’ulluvions, tandis que des tourbières coupées par des dunes séparent les ruines romaines du pied du mont de Chamblon, mais on doit cependant tenir compte d’un fait, c’est que, de nos jours, la retraite du lac a lieu d’une manière uniforme devant les marécages qui se trouvent entre le lac et la route de Grandson, et devant les alluvions de la Thièle et du Buron. Quoi qu’il en soit, de nouvelles explorations apporteront sans doute quelque lumière sur cette découverte qui n’a pas pu être encore suffisamment étudiée à cause de l’élévation des eaux durant cette année.
Si les anciens habitants de l’Helvétie élevèrent déjà, dans la plus haute antiquité, quelques-unes de leurs cabanes sur les pilotis mentionnés dans le précédent article, ils participèrent aussi aux usages des Troglodytes en utilisant pour leurs demeures des grottes de formation naturelle.
On conserve dans le musée d’antiquités de Genève cinq /450/ instruments en os, trouvés dans une caverne près d’Etrambières, au pied du mont Salève. L’un de ces instruments, long de 75 lignes, a la forme d’un ciseau, deux autres, brisés, sont percés d’un trou circulaire à l’une de leurs extrémités; le 4e, long de 65 lignes, a été anciennement fendu dans sa longueur et aiguisé en pointe; enfin, le dernier, long de 38 lignes, ressemblerait à une pointe de trait munie de quatre ailerons, si ceux-ci n’étaient tournés en sens inverse, ce qui les rend peu propres à pénétrer dans les chairs.
Une découverte du même genre a été faite, il y a une vingtaine d’années, par M. L. Taillefer, dans une localité située au-dessous du Pas de l’Echelle qui conduit de Veyrier à Monetier, entre le Grand et le Petit Salève 1 . On voit sur ce point, au pied de la montagne, plusieurs mamelons, formés de détritus et de roches éboulées, qu’on exploite pour la fabrication de la chaux. M. Taillefer, voulant s’assurer si les ouvriers trouvaient des pétrifications, ne tarda pas à remarquer que plusieurs des fragments détachés présentaient une agglomération de débris de roche anguleux, réunis en masse compacte par un sédiment calcaire, et qu’ils contenaient des silex, des charbons de bois et un grand nombre d’os fracturés. Ces débris agglutinés provenaient d’une masse dont la formation successive avait fini par remplir le vide d’une caverne de 8 à 10 pieds de diamètre sur 6 à 7 pieds de hauteur, mais il est à remarquer que les os, les silex et les charbons n’existaient qu’à la base de cette formation dans une couche qui, toutefois, n’avait pas moins d’un pied d’épaisseur. La caverne a /451/ malheureusement disparu par les travaux d’exploitation, en sorte qu’il est difficile de dire si elle appartenait à quelque accident propre au flanc de la montagne ou si elle était le produit de roches éboulées.
C’est de ce curieux gisement que M. Taillefer a retiré une multitude de fragments d’ossements bien conservés, mais sans traces de pétrification. Dans ces nombreux débris, on remarquait une partie d’un crâne de cheval, des côtes brisées de cheval ou d’autres animaux, les restes de plusieurs quadrupèdes, entre autres de rongeurs, et surtout des os d’oiseaux où se trouvaient représentées les plus petites espèces. Il faut encore mentionner une pièce qui ressemblait à une queue de lézard et une coquille bivalve marine, à grosses cannelures, qui n’étant point pétrifiée, avait dû être transportée dans ce lieu.
Les traces de la présence de l’homme sur ce point étaient du reste nettement constatées par les charbons de bois pris dans ces masses compactes de détritus calcaire, qui contenaient en outre du silex et un os de forme conique, pareil à une apophyse, d’environ 3 pouces de longueur, et grossièrement percé sur l’extrémité opposée à la pointe. Les 15 à 20 fragments de silex blond, recueillis par M. Taillefer, avaient été taillés en forme de pointes de flèche ou détachés par le marteau de manière à obtenir des lamelles tranchantes.
D’autres personnes, attirées par cette découverte, trouvèrent encore divers ossements, un bois de cerf, des silex pareils aux précédents, et même, dit-on, une pièce en fer rappelant par sa forme le couperet du sellier, et mesurant environ 4 pouces le long de son tranchant arqué, sur 2 lignes dans sa plus forte épaisseur. /452/
Il est à regretter que ces divers objets aient été perdus et qu’on ne puisse constater si l’instrument en fer qui vient d’être mentionné a été réellement trouvé dans la grotte. La conservation de ces débris aurait permis de rechercher de quelle plage avait été apporté le coquillage marin, et de s’assurer, en déterminant un plus grand nombre d’ossements, si le cheval était, dans ce lieu, le seul représentant des animaux domestiques. Cependant, on ne peut douter que cette caverne n’ait servi de retraite à des familles qui y apprêtèrent pendant assez longtemps le produit de leurs chasses, ainsi que le témoigne l’épaisse couche contenant des charbons avec des os concassés, et dont la formation remonte à une époque où le silex était encore employé pour les armes de jet. Il est plus difficile de se faire une idée exacte du temps qui dut s’écouler pour convertir ces divers débris en masse compacte, et des causes qui contribuèrent à obstruer complètement la caverne par ces agglomérats calcaires 1 .
Les instruments tranchants en pierre se retrouvent dans la Suisse occidentale, comme dans beaucoup d’autres pays, sur plusieurs points où il n’existe aucune trace de sépultures ni d’habitations.
Le Musée de Genève conserve 3 haches, en grès et en jade, qu’on croit provenir des environs de la ville, et une 4me, en jade, de la forme d’un coin, longue de 77 lignes, trouvée près de St. Georges.
Dans le canton de Vaud, on a découvert en terre libre de ces instruments isolés: près de Perroy, de Mont,/453/ d’Agiez, de Lausanne, de Chexbres, de Vevey, d’Ollon et Es Lez vers Lavey. Une de ces pièces, de la forme d’une navette de tisserand, rappelle l’antique pierre à aiguiser des pays Scandinaves. D’entre les haches en serpentine, quelques-unes ont été percées d’un trou circulaire dont la régularité et le fini ont exigé le secours du métal, tandis qu’il existe des pièces du même genre, percées imparfaitement par des procédés plus primitifs.
Avant l’emploi général du métal, on se servit de celui-ci pour perfectionner les instruments du premier âge, et, pendant longtemps, l’indigent dut avoir recours aux instruments en pierre. Cette matière étant devenue sacrée entre les mains du prêtre, elle fut employée pendant des siècles nombreux dans les cérémonies du culte, alors que le métal était généralement répandu. Enfin, même après l’introduction du christianisme, on retrouve parfois une hache, une flèche ou un couteau en pierre, déposé comme amulette dans les tombeaux, et, de nos jours, dans plus d’un pays, l’agriculteur conserve encore avec soin quelques-uns de ces antiques instruments qu’il emploie dans la pratique de diverses superstitions.
Sépultures et habitations renfermant essentiellement des instruments en bronze.
Dans la plupart des pays de l’Europe, lorsque le bronze est employé pour les ornements, les armes et les instruments tranchants, les tombeaux qui contiennent ces objets présentent un mode de sépulture très différent de celui que nous avons mentionné précédemment. Le plus /454/ souvent, dans cette nouvelle période, les morts ont été brûlés et leurs cendres déposées dans une urne qu’on plaçait parfois au milieu des charbons du bûcher, après quoi on la recouvrait de pierres ou de terre de manière à former le genre de colline connu sous le nom de tumulus. Dans ces âges reculés, la sépulture étant un acte éminemment religieux, on ne peut douter qu’à l’origine l’inhumation et l’incinération n’aient répondu à des idées différentes sur les devoirs à rendre au défunt et par conséquent à des religions et à des peuples différents.
Si l’on peut constater, à cette époque reculée, l’introduction de nouveaux peuples qui se répandent d’une manière générale en Europe, plusieurs contrées cependant paraissent être restées au pouvoir des premiers occupants. A en juger par les sépultures, la Suisse occidentale est de ce nombre. Il est à remarquer en effet que les objets en bronze qu’on retrouve généralement ailleurs avec l’urne cinéraire et sous le tumulus, ont toujours été découverts dans le pays avec les tombes à inhumation, construites sous la surface du sol et sans aucun signe extérieur qui révèle le lieu de la sépulture. Toutefois, ces tombes ne sont pas toutes pareilles; les unes, de fort petites dimensions, ont exigé l’attitude reployée du corps du défunt, tandis que dans les autres les morts ont été étendus sur le dos, comme on le fait de nos jours, en sorte que la grandeur de ces sarcophages n’est jamais moindre que celle du défunt. Bien que ces deux genres de tombeaux ne révèlent point par leur contenu de différence sensible d’industrie, il est à présumer que celui qui reproduit le modèle plus primitif dans notre pays, c’est-à-dire l’attitude reployée, a précédé l’autre genre. Nous nous /455/ occuperons d’abord de ces sarcophages de forme à peu près cubique, appartenant à l’époque du bronze, et dont je n’ai pu jusqu’à présent constater nettement l’existence dans la Suisse occidentale que dans la vallée du Rhône et sur les rives du Léman.
M. l’ingénieur de Torrenté, en dirigeant des travaux dans l’intérieur de la ville de Sion, découvrit, il y a quelques années, à 12 pieds de profondeur, des tombes en dalles brutes, longues d’environ 3 pieds et recouvertes des alluvions de la Sionne, au-dessus desquelles sont de fort anciennes constructions. Ces tombes contenaient des ossements et quelques objets en bronze qui n’ont pas été conservés.
En 1835, une découverte du même genre, mais beaucoup plus considérable, eut lieu à Verchiez, entre Aigle et Ollon, sur un plateau qu’on défrichait pour y introduire la vigne. Situé à quelques centaines de pieds au-dessus de la vallée du Rhône, ce plateau, incliné vers le midi, part d’une paroi de rochers qui s’élève au nord. Dans les travaux de défrichement, on mit à découvert, sous 1 à 3 pieds de terre ou de débris de roches, plusieurs centaines de tombes, construites en dalles brutes et mesurant en moyenne, à l’intérieur, 3 pieds de longueur sur 2 de largeur et 2 de profondeur. Une dalle occupait parfois le fond de la tombe qui contenait toujours des ossements humains paraissant entassés et au-dessus desquels reposait le crâne plus ou moins conservé. Entre les tombes, on trouvait fréquemment, à des profondeurs diverses, mais à quelques pieds sous la surface du sol, des charbons de bois, des pierres calcinées et de la terre brûlée, sans aucune trace de métal, d’ossements ou de poterie. Quelques /456/ objets provenant de ces sarcophages ont été déposés au Musée de Lausanne par M. Victor Deladoey: ce sont des bracelets en bronze dont l’un, formé d’un fil d’une ligne d’épaisseur, donnait plusieurs fois le tour de l’avant-bras, une grande épingle à cheveux, surmontée d’une tête plate découpée en quatre disques le long de la tige, et entre autres un brassard consistant en une feuille de cuivre élastique reployée en arc de cercle, à la manière des jambières antiques, et recouverte de fines gravures 1 . — Des brassards parfaitement identiques ont été découverts en 1836, à peu de distance de Verchiez, dans la localité appelée Derrière la Roche, au midi d’Ollon, avec deux celts ou hachettes et une large lame de poignard en bronze. Je n’ai pu savoir si les tombeaux de Derrière la Roche présentaient les mêmes dimensions que les précédents; mais il est permis de le supposer, vu la proximité de ces localités et la parfaite analogie des brassards, les seuls de ce genre que je connaisse.
Quelques tombes pareilles à celles de Verchiez ont encore été découvertes à diverses reprises sur le signal de Chardonne, près de Vevey, avec plusieurs objets en bronze, tels que faucilles, celts, couteaux et pointes de lance. Il est à regretter que plusieurs de ces pièces aient été détruites, mais d’autres ont été retirées du creuset par les soins de M. Doret, de Vevey, et sont conservées au Musée de Lausanne.
Dans les âges postérieurs à celui dont nous nous occupons, nous n’avons jamais retrouvé en Suisse cette /457/ attitude reployée des corps. En général, elle est un des traits caractéristiques des plus anciennes sépultures, non-seulement en Europe, mais dans beaucoup d’autres régions. Dans quelques contrées de l’Occident et plus particulièrement de l’Amérique, ce mode d’inhumation a cependant été conservé plus tard que chez nous, et même quelques populations sauvages ont gardé jusqu’à nos jours l’usage de reployer les corps de leurs morts en ramenant les genoux vers le menton, avant de les déposer dans le sein de la terre. Cette attitude ne doit du reste pas être confondue avec la position assise. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner les momies du Pérou qui ont été maintenues dans cette positon au moyen de fortes ligatures, ce qui n’est assurément pas la simple attitude du repos.
Avant de poursuivre l’énumération des découvertes du second âge, il ne sera peut-être pas superflu de justifier l’importance, au point de vue religieux, de la diversité des modes de sépulture à leur origine, en recherchant quelle peut avoir été la signification de cette attitude repliée des corps, attitude essentiellement propre aux plus anciennes sépultures du nord de l’Europe.
Dans nos précédents articles, nous avons déjà fait mention des contrées nombreuses où se retrouve le même usage, et il n’est pas sans intérêt de pouvoir en constater la reproduction sous les ruines même de Babylone. M. Thomas, architecte, profitant du moment où les eaux de l’Euphrate étaient descendues au-dessous de leur niveau ordinaire, a fouillé, en 1851, des massifs adhérents aux substractions des ruines du palais de Nabuchonodosor et y a rencontré des sarcophages en terre cuite, d’une exécution grossière, hauts de 50 centimètres, larges de 40 et /458/ longs de 36 seulement. Le corps placé dans ces espèces d’urnes devait être replié sur lui-même, les genoux touchant au menton, les bras croisés entre la poitrine et les cuisses, formant une sorte de paquet 1 . Cette attitude m’a vait déjà frappé plusieurs fois, lorsque je vis à Berlin, en 1844, chez M. le Dr Tschudi, de Glaris, les momies ou corps desséchés qu’il venait de rapporter du Pérou, et dont l’état de conservation permettait d’apprécier toutes les variétés du même mode. Les jambes étaient régulièrement repliées sur le corps de manière à ramener les genoux contre la poitrine, et les bras étaient croisés sur la ceinture ou sur les jambes, à moins que les mains n’eussent été fixées entre les genoux et le menton. La momie d’un perroquet, provenant des mêmes tombeaux, avait les pattes sur le thorax et la tête inclinée vers l’aile gauche, en sorte qu’elle reproduisait la position du petit oiseau dans la coquille. Dès lors, je m’assurai que l’attitude des corps humains n’était autre que celle du petit enfant dans le sein de sa mère.
Si l’on rapproche de cette donnée l’opinion d’après laquelle la terre était envisagée comme la mère universelle du genre humain 2 , on comprendra que cette position donnée au corps du défunt, au moment où il va rentrer dans le sein de la mère universelle, exprime l’idée, non-seulement de la foi à la vie à venir, mais à une naissance nouvelle, en d’autres termes, à la résurrection des corps 3 . /459/ Il doit y avoir en effet dans cette attitude autre chose que l’idée d’une vie à venir, car celle-ci, loin d’être inhérente à un mode spécial de sépulture, était propre à des nations dont les usages étaient très divers, ainsi, aux Egyptiens qui embaumaient les corps sans les replier, aux Romains qui déposaient l’urne cinéraire sous la surface du sol, aux Celtes ou à d’autres peuples qui recouvraient de tumuli les cendres ou le corps du défunt. En replaçant le corps de l’homme dans le sein de la terre d’où il était sorti, avec l’altitude de l’enfant avant sa naissance, c’était assurément avec la pensée qu’il naîtrait un jour de nouveau.
On demandera peut-être si cette foi à la résurrection n’est pas essentiellement propre au christianisme, et si ce n’est pas méconnaître les idées religieuses de l’antiquité que de supposer chez les païens la connaissance de ce dogme. Sans entrer dans la discussion des passages de l’Ancien Testament où il est mentionné d’une manière plus ou moins directe, il suffira de rappeler que l’existence de la secte des Saducéens témoigne que la généralité des Juifs croyaient, antérieurement au christianisme, à la résurrection des corps. Mais ce n’était pas chez les Juifs seulement que ce dogme était admis. Tertullien nous apprend que les sectateurs de Mithra croyaient à la résurrection 1 , et il me paraît difficile de ne voir là qu’un emprunt récent fait au christianisme.
Dans l’ensemble des monuments funéraires, ceux qui sont empreints du sentiment religieux le plus profond appartiennent en général à la plus haute antiquité. Les monuments du culte de cette époque occupent une place /460/ beaucoup plus grande que toutes les autres constructions du même âge et témoignent de l’intensité des préoccupations religieuses de ces anciens peuples. L’attitude repliée est dans tous les cas l’un des modes qui remonte aux temps les plus reculés, et il est vraisemblable que lors qu’on connaîtra plus complètement les antiques sépultures de l’Asie, on pourra suivre pour ainsi dire pas à pas les voies parcourues par les premières migrations, à partir de Babylone et d’autres points. Plusieurs tronçons de ces voies me permettent déjà de retracer quelques-unes de ces directions, pour lesquelles il importe toutefois de tenir compte des divers caractères propres aux monuments les plus anciens. Si ce mode de sépulture, exprimant la foi à la résurrection, est l’un des caractères des tombeaux du premier âge 1 , il ne faut pas se dissimuler que l’antiquité païenne eut de bonne heure ses Saducéens qui inhumèrent sans doute les corps sans les replier. Mais, d’autre part, le premier mode, loin de disparaître complètement, se poursuit même jusqu’à nos jours.
L’attitude repliée des corps, qui se retrouve sous les ruines de Babylone, est surtout propre aux plus anciens tombeaux de l’Europe, mais elle apparaît encore dans l’âge du bronze, en Thuringe et sur les rives du Rhône, et il n’est point impossible que ce mode n’ait été usité beaucoup plus tard en Occident 2 . Diodore de Sicile /461/ rapporte que les Troglodytes, peuples pasteurs de l’Ethiopie, passaient la tête de leurs morts entre les jambes et les liaient dans cette posture avec des branches flexibles 1 . Dans quelques Etats du nord de l’Amérique 2 , plus au sud, dans le Pérou et chez les Patagons, plusieurs tombeaux du même genre remontent à des époques diverses. Les Guanches des îles Canaries replient pareillement leurs morts. Chez certains Indiens, les mères donnent à l’homme, dans le sépulcre, l’attitude qu’il avait dans le sein maternel et épanchent leur lait sur la tombe 3 . Cet usage des mères, qui assimile l’homme après sa mort à un petit enfant qu’elles nourrissent de leur lait, s’est conservé, sauf l’attitude, jusqu’à ce siècle, dans une vallée des alpes du canton de Vaud 4 . Enfin, il est encore des Hottentots qui donnent à leurs morts la même position repliée, comme symbole d’une nouvelle naissance avec la foi à la résurrection 5 .
Il n’est pas sans intérêt de retrouver en Afrique la reproduction de cette attitude et de la foi dont elle est l’expression; car il faut reconnaître que dans beaucoup de cas, les idées qui se rattachaient primitivement aux divers modes de sépulture se sont altérées peu à peu et ont plus ou moins disparu. Un fait, dépouillé de sa signification, /462/ peut se transmettre longtemps encore par l’usage, mais il finit généralement par tomber en désuétude, aussi vient-il un moment où la diversité des modes funéraires perd de son importance. Tout en reconnaissant cette loi naturelle, on ne saurait nier d’autre part la haute antiquité à laquelle remontent un certain nombre d’idées ou d’usages qui se sont conservés jusqu’à nos jours.
Après avoir décrit le premier genre d’inhumation usité dans l’Helvétie occidentale, pendant l’âge du bronze, il reste à indiquer les découvertes du second genre de sépulture, propre à la même période, et qui ne diffère du précédent que par la longueur des tombes, qui a permis d’étendre le corps du défunt, en le couchant sur le dos. Ces tombes, généralement construites en dalles brutes, sont à quelques pieds sous la surface du sol et ne peuvent être distinguées de sépultures moins anciennes que par les objets d’industrie qu’elles renferment.
On a retrouvé des tombes de ce genre dans quelques parties du Valais, avec divers ornements en bronze, mais le point de la vallée du Rhône sur lequel on en a observé le plus grand nombre est le mont de Charpigny, attenant à celui de Saint-Triphon, avec lequel il forme un îlot au milieu de la vallée, à droite de la route, en allant d’Aigle à Bex. En 1837, M. le pasteur Buttin fit défricher le versant méridional de ce mont et découvrit de nombreuses tombes, construites en dalles brutes, dans lesquelles les squelettes étendus étaient couchés sur le dos, les bras le long des côtés. D’autres squelettes occupaient aussi des fissures du rocher dont les parois formaient les côtés de la tombe. D’entre les objets recueillis, étaient une trentaine de bracelets de formes diverses. L’un consistait en /463/ une tige de bronze de 4 lignes de largeur qui donnait 10 fois le tour de l’avant-bras. D’autres, formés de petits fils, qui ont exigé la connaissance de la tréfilerie, donnaient seulement 5 tours en spirale. Plusieurs, ovales et entr’ouverts, avaient été coulés. Sur d’autres étaient de fines gravures reproduisant des lignes droites ou brisées. Deux bracelets en argent, du poids de demi-livre, provenant de la même découverte, méritent une mention particulière. De forme elliptique et entr’ouverts, leur plus grand diamètre ne mesure que 2 pouces, pris dans le vide, et leurs extrémités élargies représentent des têtes de serpent. Ce qui rend ces bracelets remarquables, c’est surtout leur matière, car on retrouve bien plus fréquemment dans l’âge du bronze des ornements en or qu’en argent; aussi affirme-t-on souvent que, dans les pays de l’Occident, la connaissance de l’argent n’a pas précédé celle du fer. La rareté d’objets de ce métal avec les instruments tranchants en bronze a naturellement conduit à formuler ce jugement par trop absolu; mais il est facile d’expliquer pourquoi, dans ces âges reculés, l’argent est en effet beaucoup plus rare que l’or. La différence dans l’emploi de ces métaux doit provenir de l’imperfection de l’art métallurgique à cette époque reculée, et avoir sa cause dans le plus ou moins de difficultés de l’exploitation du minerai. Dès une très haute antiquité, on a découvert l’or natif en assez grande abondance; son éclat devait attirer l’attention de l’observateur, et il suffisait du lavage et d’une simple fusion pour le mettre en œuvre. Quant à l’argent, on le trouve beaucoup plus rarement à l’état natif. Le plus souvent, son minerai sans éclat est allié au plomb, et, pour réduire celui-ci à l’état de litharge, il faut l’emploi de procédés difficiles par /464/ lesquels l’industrie ne débute pas. Il est donc naturel que la connaissance de ces procédés n’ait pas précédé celle de l’exploitation du fer, mais rien ne s’oppose à ce que l’argent natif ait été travaillé en même temps que l’or, seulement, étant beaucoup plus rare à cet état de pureté, l’argent a dû être employé moins fréquemment que l’or pour ces antiques ornements 1 . — Dans les tombeaux de Charpigny, des anneaux entr’ouverts, de 45 à 55 lignes de diamètre reposaient, dit-on, sur les crânes, mais il peuvent avoir été de simples colliers. Il faut encore mentionner un peigne en bronze, de grandes épingles à cheveux, des tubes de cuivre, pareils à ceux d’un chalumeau, trois celts, une lame de poignard, des fragments de poterie grossière et un grand nombre de lamelles de bronze, de formes diverses, qui ont dû servir d’ornements, mais dont l’usage est difficile à déterminer.
Des tombes du même genre, renfermant des objets pareils, mais moins nombreux, ont été découvertes dans la vallée du Rhône: à Saint-Triphon, sur plusieurs points près de Bex, avec un poignard, des celts, des épingles et des bracelets; près d’Aigle, au Plan-d’Essert, sur la route d’Aigle aux Ormonts, aux Afforêts et en Pré-Baccon, enfin, à la George, au-dessus de Roches.
La tranchée du chemin de fer, sous Lausanne, a mis au jour, en 1854, un squelette, couché en terre libre, à 5 pieds /465/ de profondeur, qui portait des bracelets et une bague en bronze. Plus anciennement, on découvrit, dans une tombe de Saint-Sulpice, une pointe de lance en bronze, et, dans des tombes en dalles brutes, sur le Crêt-de-Boiron, près de Morges, de fort beaux bracelets ornés de disques et de fines stries. Un poignard en bronze a été retrouvé avec un squelette humain près de Buchillon, et des tombes, sur le territoire d’Allaman, renfermaient des celts, des faucilles et des pointes de lance. En Maurmont, rière Pizy, près d’Aubonne, des tombes contenaient des objets pareils. Des squelettes, découverts à Trey, près Payerne, portaient encore des bracelets et un collier en bronze. Enfin, auprès d’un squelette déposé en terre libre, à 3 pieds de profondeur, à la Longeraye, près de Palézieux, se trouvaient de grandes épingles et divers instruments en bronze, du poids d’environ trois livres, qui ont été vendus au fondeur.
On verra tout à l’heure que des objets du même genre ont été découverts en bien d’autres points, mais sans qu’il soit possible de constater si leur dépôt dans le sol se rattachait à quelque sépulture.
On retrouve de temps à autre, en dehors des lieux d’inhumation, des objets de l’âge du bronze qui ont été anciennement déposés au pied de quelque bloc, ou perdus sur le sol, de manière à être recouverts d’alluvions ou de terre végétale. Les instruments placés sous les blocs peuvent avoir eu une destination religieuse pour autant que ceux-ci étaient consacrés comme autels, mais la détermination n’est pas toujours facile, et l’on comprend qu’à une époque où les habitations étaient mal fermées, on cachait souvent sous une pierre ou vers un arbre, /466/ les objets qu’on ne voulait pas confier à la foi publique 1 . Cependant la plupart des dépôts suivants paraissent plutôt se rattacher à quelque usage religieux.
M. Taylor-Gaudin, en faisant sauter un bloc erratique dans sa campagne de Charpigny, près d’Aigle, a découvert dessous onze celts, trois grands anneaux et une pointe de lance en bronze, qui étaient disposés en cercle 2 .
Le musée de Genève conserve trois celts et un couteau en bronze, trouvés au pied de la Pierre à Niton, qui forme un îlot dans le Léman, tout auprès de Genève 3 .
Derrière le signal de Bougy, on a détruit, près du village de Pizy, dans un lieu appelé Maurmont, un bloc erratique qui recouvrait des celts, des couteaux, des faucilles et de nombreux instruments en bronze du poids total d’environ deux quintaux, et qui ont tous disparu. Il est difficile de dire si ces objets provenaient d’un simple enfouissement ou d’ex-voto réunis sous un autel.
Près de Juriens, en enlevant une pierre brute, de forme cylindrique, on trouva dans une terre légère deux celts et divers objets qui n’ont pas été conservés.
Sous un men-hir, près de La-Mothes, M. Masset a recueilli deux celts en bronze. /467/
Un men-hir de Vauroux, dans le canton de Neuchâtel, recouvrait aussi plusieurs instruments qui ont disparu 1 .
Enfin, sur le versant sud-ouest du Büttenberg, près de Bienne, dans une localité qu’un manuscrit de l’an 1225 nomme Locus Dei, on a trouvé, sous un grand bloc erratique, un vase, les fragments d’une idole ou statuette et trois faucilles en bronze, dont deux sont conservées dans le musée de Berne 2 .
Si une partie de ces instruments servait, comme il est vraisemblable, aux cérémonies du culte, quelques-uns, malgré leur métal, peuvent être postérieurs à l’âge du bronze, le prêtre étant le dernier à changer la matière consacrée; c’est ainsi que dans plusieurs contrées, il conserva longtemps encore après l’introduction du fer, la hache et le couteau en silex. Cette stabilité de certains usages religieux explique comment des instruments tranchants en bronze étaient réunis avec de la poterie romaine dans le domaine de la Gantenaz, au-dessus de Lutry 3 .
Quant aux objets suivants, trouvés en terre libre, ils doivent être classés dans la seconde période à laquelle ils appartiennent, non-seulement par leur matière, mais surtout par leur genre de travail. Il suffira d’en donner la liste ainsi que celle des localités où on les a découverts.
Géronde, près de Sierre, en Valais, épée avec une poignée en bronze 4 . /468/
Es-Lez, près des bains de Lavey, grand anneau orné de gravures (conservé dans le musée de Lausanne).
Bex, quatre celts, une faucille, deux bracelets, une épingle et un collier (conservés dans le cabinet d’antiquités de Bel-Air). Grande épingle d’un beau travail (conservée par M. Sharman).
Bévieux, salines de Bex, petit anneau et pommeau pour garniture de hampe (musée de Genève).
St.Triphon, lame de poignard (cabinet de Bel-Air). Celt (biblioth. d’Yverdon).
Yvorne, celt (musée de Lausanne).
Villeneuve, au Pissot, à 40 ou 50 pieds au-dessus de la plaine, celt (musée de Lausanne).
Vevey, bracelet en bronze dont les extrémités sont croisées, trouvé à 8 pieds de profondeur, dans le lit de la Veveyse, en reconstruisant le pont (cabinet de Bel-Air).
Entre Hauteville, sur Vevey, et St. Légier, celt (musée de Lausanne).
Palézieux, fragments d’épée en bronze (musée d’Avenches).
Bionnens, canton de Fribourg, celt (cabinet de Bel-Air).
Chalet à Gobet, sur la route de Moudon à Lausanne, celt (cabinet de Bel-Air).
Rovéréaz, sur Lausanne, celt trouvé dans le lit d’un ruisseau (conservé par M. Chaudet, arpenteur).
Lutry, épingle à cheveux (musée de Lausanne).
Echallens, celt avec douille (cabinet de Bel-Air).
Au-dessus de Rolle, entre les Granges de Mont et la Gingine, celt trouvé dans un bois, en déracinant un arbre (cabinet de Bel-Air). /469/
Aux environs de Genève, couteau (musée de Genève).
Aux Bougeries, entre Genève et le Salève, lame d’épée (musée de Genève).
Gingins, épingle à cheveux (cabinet de Bel-Air).
Trevelin, près Aubonne, celts, couteaux et faucilles (perdus).
Sur les bords de l’Aubonne, dans le vallon de La Paillaz des Huguets, celt (bibliothèque d’Yverdon).
Ste-Croix, celt et pointe de lance, trouvés en exploitant du gravier entre le village et le château.
Dans les tourbières d’Yverdon, couteau en bronze (col. de M. G. de Bonstetten).
Cheseaux, près Yverdon, celts (fondus).
Bevaix, canton de Neuchâtel, deux faucilles (musée de Neuchâtel).
Tête-Plumet, près Neuchâtel, celt (musée de Genève).
Val-de-Ruz, celt (musée de Neuchâtel).
D’autres découvertes pourraient être ajoutées à cette liste, mais les renseignements n’étant pas suffisamment précis, il est plus prudent de les passer sous silence; toutefois, il reste encore à mentionner les débris d’habitations lacustres qui se rattachent à cette seconde période.
Nous avons rattaché précédemment à l’âge de la pierre l’existence de cabanes construites sur pilotis, et qui s’élevaient au-dessus de la surface des eaux, à une distance de quelques centaines de pieds de la rive. Ce genre de construction déjà décrit par Hérodote 1 , et propre en core de nos jours à quelques populations, a été fort usité par les habitants de l’Helvétie occidentale, pendant /470/ l’âge du bronze. Tandis que les restes des pilotis de la première période sont le plus souvent recouverts de tourbe ou de limon, ceux du deuxième âge sont généralement saillants et mesurent parfois jusqu’à cinq ou six pieds de longueur, à partir de la vase des lacs. Auprès de ces pieux, d’autres, extrêmement usés par l’action des eaux, montrent que ces emplacements ont été occupés pendant des siècles nombreux, et il est probable, que sur plus d’un point les débris des habitations de la deuxième période recouvrent ceux de la première. Ces pilotis, d’essences diverses, mais le plus souvent de chêne, ont 3 à 8 pouces de diamètre. Leur partie inférieure, pointue et prise dans la vase, conserve encore la trace des coups de hache. On voit ces pieux, sous 8 à 20 pieds d’eau, plantés par centaines et quelquefois aussi par milliers sur le même emplacement; parfois, ils sont à peine distants de 1 à 2 pieds, tandis qu’ailleurs on les trouve beaucoup plus espacés. Nulle part, ils ne présentent d’alignements réguliers 1 , mais, dans leur ensemble, ils sont presque toujours disposés parallèlement à la rive, à une certaine distance de celle-ci, suivant l’inclinaison et le prolongement du bas-fond.
C’est auprès de ces pieux que se trouvent les restes d’industrie qui témoignent de l’époque reculée pendant laquelle on élevait ces constructions. Les débris, de beaucoup les plus nombreux, consistent en fragments de poterie /471/ au milieu desquels il y a même des vases plus ou moins intacts. La plupart de ces emplacements paraissent avoir eu leurs potiers, à en juger par les pièces, qui, déformées lors de la cuite, étaient jetées à l’eau, ne pouvant avoir cours dans le commerce. L’argile, généralement pétrie avec de petits cailloux siliceux, a été souvent travaillée avec une assez grande finesse, soit à la main, soit à l’aide du tour. Les dimensions et les formes des vases sont extrêmement variées: quelques-uns sont de véritables joujoux d’enfants, d’autres mesurent jusqu’à 2 et 3 pieds de diamètre. Il en est dont le fond, terminé en pointe, exigeait un support, et tel est l’usage de nombreux anneaux en argile, pareils à des torches. Des anneaux du même genre remplissent encore le même but chez les Hindous et chez quelques populations de l’Espagne. De petites pièces sphériques, en terre cuite, percées d’un trou, ont servi de poids aux fuseaux. Des ornements en torsade, des pointillages et de fines stries recouvrent parfois ces poteries et plus particulièrement les vases.
L’âge de ces débris est suffisamment déterminé par les nombreux instruments tranchants en bronze qui les accompagnent. Les hachettes, connues sous le nom de celt, les couteaux et les faucilles en bronze sont moins rares que les épées, les poignards et les pointes de lance, de javelot ou de flèche. On découvre des épingles de toutes dimensions, des aiguilles à coudre, des poinçons, de nombreux bracelets de formes variées, des anneaux divers, des hameçons et plusieurs objets dont la destination est difficile à saisir.
Comme pièces exceptionnelles, on doit citer une ou deux lamelles en or et quelques grains de collier en verre, /472/ qui proviennent sans doute du commerce des Phéniciens avec le midi des Gaules. C’est à M. le colonel Schwab qu’est due la découverte de ces pièces dans le lac de Bienne 1 . Mentionnons aussi un moule de hache, en bronze, sorti du milieu des pilotis de Morges par M. F. Forel, moule d’après lequel on peut s’assurer que ces populations avaient leurs fonderies 2 .
Outre ces restes d’industrie, on trouve des marteaux et quelques petites hachettes en pierre, des pierres à broyer, à aiguiser et à polir, d’autres, de la forme de petites poulies, des espèces de meules de moulin, des ossements de cerfs et de la plupart des animaux domestiques 3 , quelques canots en bois, creusés comme des auges, semblables aux pirogues des sauvages, enfin des fragments de l’argile qui servait de revêtement aux cabanes et qui portent en creux l’empreinte des branchages employés à ces /473/ constructions. Ces fragments n’ont pu se conserver dans l’eau qu’après avoir été cuits par l’incendie, et il est à remarquer que leur face unie présente toujours une légère concavité, qui permet de conclure que les cabanes étaient circulaires et que leur diamètre intérieur mesurait de 10 à 15 pieds, dimensions qui ne sont point inférieures à celles des huttes des sauvages.
L’un des lacs où les explorations ont été les plus riches, est celui de Bienne, dont je laisse à M. le colonel Schwab le soin d’énumérer les diverses localités où il a constaté arec M. le notaire Muller l’existence de nombreux pilotis.
Le lac d’Yverdon, soit de Neuchâtel, renferme des débris d’habitations lacustres près d’Auvernier, de Cortaillod, de l’Abbaie et du Moulin de Bevaix, de Concise, de Corcelettes, de Clendi, d’Estavayer, de Chevroux et de Port-Alban.
On les trouve dans le lac Léman près de Cully, de Lutry, de Pully, de Cour, de Vidi, de St.-Sulpice, de Morges, de St.-Prez, de Rolle, de Nyon 1 , de Versoix, des Pâquis et de Rive vis-à-vis de Genève 2 , près de la Belotte, de la Gabiule, de Bassy, d’Hermance, de Beau-Regard, de Nernier, d’Ivoire, de Thonon, d’Evian et d’Amphion 3 . /474/
Les découvertes de M. Morlot, dans le petit lac d’Inkwyl, et de MM. Jahn et Uhlmann, dans celui de Moosseedorf, font voir que ces habitations n’étaient pas uniquement propres aux bassins d’une certaine étendue; aussi, je n’hésite pas d’attribuer au même genre de construction la découverte, qui fut faite, à la fin du siècle passé, dans le petit lac de Luissel, près de Bex, d’où l’on sortit des pointes de lance et trois belles épées en bronze, conservées dans les musées de Lausanne et de Berne. Un témoin oculaire de cette découverte m’a affirmé qu’on avait trouvé sur le même point des pièces de bois, des ossements et une certaine quantité de blé, enfouis dans la tourbe 1 .
Ces débris constatés sur un si grand nombre de points, depuis la découverte de Meilen, ne sont pas propres à la Suisse seulement. J’en ai vu de pareils dans le lac d’Annecy, en Savoie 2 , et l’on commenceà en découvrir de semblables en Irlande et dans le nord de l’Angleterre, en sorte qu’on peut s’attendre à voir se généraliser ces découvertes dans la plupart des lacs de l’Europe.
L’époque à laquelle ces constructions ont cessé d’être en usage paraît tomber sur la fin de la période du bronze, à en juger du moins par l’état actuel des recherches. MM. Muller et Schwab ont cependant repêché quelques instruments en fer, mais ces pièces sont très /475/ exceptionnelles, et il est d’ailleurs fort possible que quelques-unes de ces habitations aient survécu à une destruction générale. Quoi qu’il en soit, le fer est étranger à la plupart de ces emplacements qui offrent ordinairement tous les indices d’une destruction par le feu, pendant l’âge du bronze 1 .
Les observateurs attentifs avaient déjà pu conclure du nombre des sépultures antiques à celui des habitants de l’ancienne Helvétie, et ces nouvelles découvertes viennent dépasser les prévisions à cet égard. Polybe affirmait déjà que les vallées, au pied des Alpes, étaient bien plus peuplées qu’on ne se l’imaginait à Rome. De nos jours, on a encore à combattre les mêmes préjugés que ceux des anciens Romains. Il sera facile de se faire une idée de la population approximative des riverains de nos lacs, si l’on prend un jour les dimensions exactes de tous les emplacements recouverts par ces antiques pilotis. Il suffira pour le moment d’en donner un exemple. Vis-à-vis de la ville de Morges, les pilotis s’étendent sur un espace de 1200 pieds de longueur sur 150 de largeur en moyenne. Ces pieux étant destinés à supporter le plancher brut sur lequel étaient assises les cabanes, on a ainsi la mesure exacte, en minimum, de la surface de ce plancher, soit 180 000 pieds carrés. Si l’on admet que les couloirs aient pris la moitié de cette surface (ce qui est assurément beaucoup) et que le diamètre extérieur des cabanes a été de 17 pieds, d’après l’observation faite plus haut, il en résulte, qu’il reste encore une place suffisante pour grouper 316 de ces /476/ huttes, sans compter les vides inoccupés entre ces demeures circulaires. Enfin, en admettant que chaque cabane ait contenu 4 personnes, en moyenne, on arrive au chiffre de 1264 habitants pour ce seul emplacement, qui est l’un des plus grands, il est vrai.
On pourrait croire que la population, à cette époque, était essentiellement groupée sur les rives des lacs, mais il ne paraît point qu’il en ait été ainsi. Dans ce cas, la découverte des sépultures de la même période devrait surtout avoir lieu le long du littoral des bassins d’eau, ce qui n’a cependant pas été le cas jusqu’à présent. Les tombes de l’âge du bronze, renfermant des objets pareils à ceux qui accompagnent les pilotis, sont aussi nombreuses loin des lacs que sur les rivages, et leur disposition géographique indique une population répandue assez également dans le pays, si l’on en excepte les contrées montagneuses 1 . Ces observations font comprendre l’importance qu’il y a pour ces recherches de statistique à tenir compte de toutes les découvertes, lors même qu’elles sont souvent la simple reproduction de faits déjà connus.
Une population aussi nombreuse pour cette époque reculée, quoique bien inférieure sans doute à ce qu’elle est de nos jours, implique la nécessité d’un certain développement, qui ressort déjà, à quelques égards, de ces constructions elles-mêmes, ainsi que de l’art du fondeur et du potier. Mais, à côté de l’industrie, l’agriculture ne pouvait rester étrangère à ce peuple, dont on retrouve les /477/ faucilles, et qui connaissait déjà la culture du blé dans l’âge de la pierre 1 . Le nombre considérable d’ossements d’animaux domestiques, qui ont été recueillis, ne permet pas non plus de douter que le soin des troupeaux n’ait été poussé assez loin. Si l’on se représente cette population, soit dans l’intérieur des terres, soit dans ses nombreuses bourgades, travaillant le cuivre et l’étain, cultivant le sol, soignant et parquant ses troupeaux, il en résulte la nécessité de toute une organisation sociale et de voies ouvertes au commerce et au transport des récoltes.
Ces découvertes seront loin du reste de nous avoir fourni toutes leurs révélations aussi longtemps qu’on ne sera pas parvenu à opérer des tranchées sous les eaux, de manière à pouvoir observer avec soin la superposition des couches historiques qui n’ont encore été qu’effleurées.
/478/ /479/
NOTICE SUR LES ANTIQUITÉS ROMAINES DU CANTON DE VAUD
S’il avait été donné à un homme, après avoir vu l’ancienne Helvétie de Divicon, de parcourir le même pays dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, il aurait éprouvé une grande surprise. Au lieu de maisons circulaires, construites de claies et d’argile, recouvertes de chaume, il aurait rencontré de vastes villæ élevées par l’art et la richesse et des cités nombreuses, ceintes de murs et ornées avec magnificence; au lieu de la simplicité primitive de l’unique foyer autour duquel se racontaient les exploits de la chasse et des combats, il aurait vu le luxe et les raffinements d’une civilisation énervée; au lieu des dolmens et des bocages consacrés à des dieux sévères, des temples splendides se seraient présentés à ses yeux éblouis, temples devenus l’asile des divinités de l’orient et du sud. C’est qu’un vainqueur s’était assis sur la terre des aïeux, introduisant au delà des Alpes, comme ailleurs au delà des mers, les mœurs, le culte et la vie de Rome. /480/
I. VILLES.
Colonia Julia equestris (Noviodunum, Nyon).
Après le retour des émigrants en Helvétie, César commença par s’assurer du pays conquis en établissant une colonie équestre non loin des lieux où s’était effectuée leur sortie, sur la localité qu’avait occupé l’ancien Noviodunum des Celtes. Aujourd’hui la ville de Nyon occupe le même emplacement, mais bien plus considérable était la cité romaine. Bâtie depuis le lac jusque sur la hauteur, elle se déroulait le long du coteau de Prangins et descendait vers Promenthoux, d’où partaient les bois du Jura pour la Méditerranée. Les portes étaient construites de pierres longues de 10 pieds sur 4 à 5 de large. Des murs ceignaient la cité des chevaliers; de riches demeures s’élevaient à l’intérieur. Il suffit de mentionner les traits principaux de ses inscriptions pour peindre cette époque. Elles nous apprennent que les chefs de l’empire avaient aussi leurs adulateurs dans cette ville. Auguste y comptait des prêtres, Fabius, vainqueur des Allobroges, y était vénéré. Un marbre exprime les regrets d’un père sur la perte de son fils, jeune et savant avocat. Cette cité possédait des tribuns militaires, un intendant des ouvriers occupés à la construction des machines de guerre, deux magistrats, juges des causes de droit, des intendants pour les lieux et bâtiments publics, des préposés à la coupe des bois destinés à la marine. On y rencontrait des augures, /481/ des pontifes, des sévirs, des décemvirs, des prêtres voués à des autels divers, des curateurs des citoyens romains, des membres du conventus helvétique et un chef de la gendarmerie, appelé à réprimer le brigandage. L’épée, la robe et le sacerdoce se trouvaient réunis dans la même personne. Des aqueducs, conservés en partie, rappellent les réservoirs d’eau dont Brocchus Valérius Bassus accorda l’usage aux habitants de Genève. Les milliaires découverts dans les environs ont pour point de départ la cité équestre même et non Avenches, sans doute parce qu’elle fut le chef-lieu d’un premier établissement romain dans l’Helvétie. D’après Haller, Nyon aurait conservé par exception le 1er milliaire de Lousonnium à Genève en sa qualité de colonie équestre, tandis que le milliaire part d’Aventicum pour tout le reste de l’Helvétie. C’est de là que les Romains gouvernèrent l’Helvétie occidentale, lui imposant leurs mœurs, leur langage et leur culte. Quand vinrent les Barbares, Nyon, qui avait été un moment la capitale d’un évêché 1 , vit, vers la fin du Ve siècle, l’évêque transporter son siège à Belley; elle n’était plus qu’un village sur des ruines. Il ne reste de l’antique cité que des débris jetés çà et là. Des pans de mur que heurte de temps à autre la pelle de l’agriculteur, des tuiles nombreuses à la surface du sol, déterminent seuls l’emplacement de l’ancienne colonie. Des chapitaux, des corniches, une tête de cheval en marbre entrent dans la construction d’une porte et des murs de la ville moderne. Une tête de Méduse, le torse d’une Diane et d’autres fragments ont disparu ces derniers /482/ temps. Plus de mosaïques bien conservées; à peine encore quelque inscription, quelque entablement ou bas-relief. On doit à des découvertes fortuites des médailles de divers modules, en or, argent et bronze, des vases en verre et en bronze, d’autres en argile, chargés de reliefs, des fers de lance, des haches, des épées, des figurines, des lampes, des clefs, des anneaux en or ou en argent, divers ornements de toilette et des tombeaux représentant les différents modes de sépulture, l’inhumation ou le bûcher. Mais ces débris, derniers documents historiques, disparaissent et s’anéantissent à leur tour. On dirait qu’il suffise au peuple de ce souvenir confus qui attribue à Jules César toutes les anciennes tours du Jura.
La colonie équestre, magnifiquement située entre le Léman et la via strata (chemin de l’Etraz), grande voie commerciale et militaire, communiquait avec les deux. Le cavalier qui voulait se rendre en Italie par le Saint-Bernard suivait la route des bords du lac et ne tardait pas à rencontrer des habitations nombreuses et disséminées dont on trouve des restes à Dulive, Lignière, Allaman, et Saint-Prex. Au delà de Joulens (près Morges), on voyait les demeures romaines de Saint-Sulpice. A l’est, la vue s’étend sur les plaines de Vidi que durent autrefois recouvrir les eaux du Léman; mais, bien des années avant l’ère chrétienne, le lac avait pris son niveau actuel, dessinant de nouveaux caps et de nouveaux promontoires. Déjà les Celtes s’étaient assis sur ces rives qui se retirent dans des terres fertiles, tandis que Saint-Sulpice et Cour s’avancent dans les eaux. Au levant, on voit à l’horizon les hauteurs boisées du Jorat descendre comme par bonds jusqu’au bord du lac et ceindre les plaines ondulées. /483/ C’est là, au fond du golfe, dans cet amphithéâtre de la nature et sur ses premiers gradins que les Romains construisirent une ville dont nous ne savons guère que la situation et le nom.
Lousonnium.
Longtemps les opinions furent partagées sur le nom de la ville qu’on sait avoir existé à Vidi. La Chronique mensongère du pays de Vaud l’appelle Carpentras et Arpentina; le peuple l’a répété après elle, en l’étendant d’une localité à une autre, de manière à y renfermer toujours son territoire. Depuis un siècle (1739), la découverte d’une inscription à Vidi a justifié la dénomination des anciens itinéraires et donné raison à ceux qu’on accusait de faire remonter trop haut le nom de la ville moderne. Ce marbre, déposé à la tête d’un sarcophage dont les autres dalles étaient d’une pierre commune, avait changé de destination primitive, puisqu’il exprimait un vœu adressé au soleil, au génie et à la lune en faveur des Augustes (Marc Aurèle et L. Verus), par Publius Clodius, curateur des habitants de Lousanne (curator vikanorum lousonnensium). Cette inscription nous montre le culte gaulois dans un lieu de dénomination celtique. Une autre pierre, trouvée à Malley, en 1719, doit être rapprochée de la précédente: C’est un vœu en faveur des sylphes protecteurs de Banira, Donindai, Dedalus, Tato et Capo, fils d’Icarus. Ces sylphes, servants ou esprits follets de nos superstitions, proviennent sans doute des premiers habitants, ainsi que les /484/ noms de Banire et de Donindai. Dédale et Icare sont grecs; Tato et Capo paraissent encore dans des actes et inscriptions du 9e et 10e siècle, et cependant le tout appartient bien à l’époque romaine. — Quant à l’étendue de la ville, il paraît, d’après les ruines qu’on retrouve, qu’elle occupait une partie des plaines de Vidi, la Maladière et le Bois de-Vaud, jusqu’aux environs de Malley. Des pans de murs, garnis comme les remparts d’Aventicum de tours semi-circulaires, avaient trop peu d’épaisseur pour être des murs d’enceinte. On croit que l’ancien port était une espèce de rade creusée par la main des hommes, dont il reste à peine quelques traces entre la Chamberonnaz et les Pierrettes, et que cette partie au sud-ouest de la ville était le ad lacum Losanele de la carte itinéraire de Théodose. Quoiqu’il en soit, ce nom donné au lac prouve que les habitations de la rive n’étaient point sans importance.
C’est du reste ce dont on peut s’assurer par les nombreux débris rendus au jour. Médailles depuis Auguste à Constans, styles, fers de javelot, vases, épingles, fibules, plaque d’agrafe ciselée, statuettes, lampes, tuiles, chapiteaux d’ordre dorique, fûts de colonnes, urnes sépulcrales se rencontrent sur l’emplacement de Lousonnium. Plusieurs lieux renfermaient des amphores; l’un, qui en contenait 50, était une cella, construite de pierres roulées et rangées dans un bain de mortier. Leurs formes représentent la sphère, l’ellipse, l’ellipsoïde, le cône ou le cylindre. Les elliptiques seules offrent une base aplatie, tandis que les autres se terminent par une pointe. Toutes à peu près reposaient sur l’orifice. On a sorti du même sol une statuette de Diane en bronze, un cheval en albâtre, long de 4 pouces, qui ne porte plus qu’une partie des /485/ jambes du cavalier, un petit autel en marbre blanc dédié à Junon, un beau buste de Caton d’Utique, l’inscription d’un Rufus aquarum magister, des frises ornées de têtes de bélier et un cadran solaire représentant un aigle à demi vol, qui soutient une portion de sphère concavs chargée de rayons divergents. Sur un médaillon en bronze, au milieu de 4 feuilles de trèfle, on voit la figure d’un chien, emblème de la fidélité. Trois autres médaillons sont de Victorina, de Trajan et de Zénobie. Zénobie, veuve d’Odénath, roi de Palmyre, succédait au pouvoir de son mari, tandis que Victorina après la mort violente de son fils Victorinus, tyran des Gaules sous Gallien, refusait la puissance impériale, contente du titre de mère des camps. Ainsi aux deux extrémités de l’univers romain, et au même instant, deux femmes saisissaient, d’une main hardie, ce pouvoir qui échappait aux hommes les plus forts. « Si la distance des lieux l’eût permis, disait un jour Zénobie, j’aurais voulu partager le monde avec Victorina, car elle me ressemble. » L’estime mutuelle de ces deux femmes, le rapport de leur position, disent assez, indépendamment des pièces frappées en leur honneur, que le nom de Zénobie ne fut pas étranger à la Gaule. Deux plaques circulaires, d’environ 8 pouces de diamètre, portent en bas-relief un Taurobole. Le prêtre, debout derrière le taureau, est couvert d’un long vêtement dont un replis voile sa tête. Les bras dégagés et nus, il appuie une main sur le flanc gauche de l’animal, tandis que de l’autre il répand la liqueur lustrale du simpule entre les cornes de la victime pour la préparer au sacrifice. Dans ces cérémonies, le taureau, orné de guirlandes et les cornes dorées, était immolé sur un plancher à jour, qui /486/ recouvrait une fosse profonde creusée à cet effet. Alors, celui qui offrait le taurobole, debout dans la fosse, recevait sur sa figure et ses membres cette pluie de sang jusqu’à ce qu’il en fût inondé. Puis, la foule accourue de toutes parts, l’accueillait de ses acclamations, tandis qu’il allait déposer dans un temple ses vêtements ensanglantés, gage du pardon des dieux. Des villes entières pouvaient ainsi, représentées par des députés, avoir part à cette régénération. D’autrefois ce genre de sacrifice était employé pour le salut des empereurs. Suivant l’opinion populaire, l’ancien Lousonnium, dont on ne retrouve l’histoire que dans ces restes déjà dispersés pour la plupart, fut détruit par les eaux du lac, lors de la chute du mont Tauretunum. Cet éboulement eut lieu en 563, à l’entrée de la vallée du Rhône, au couchant de Chessel et de Noville 1 . Les eaux du fleuve rompant tout à coup la digue qui les faisait refluer dans la partie supérieure de la vallée, détruisirent sur les rives du Léman les bourgs les plus anciens, et renversèrent les ponts et les usines de Genève. Cependant, malgré les dévastations incontestables apportées par ce débordement subit, il n’est point probable que la ville qui s’élevait depuis Vidi au-dessus du Bois-de-Vaud, dans le cas où elle aurait encore existé, ait été renversée par cette catastrophe, sans que les chroniqueurs de l’époque en aient fait mention. Sa position l’aurait d’autant mieux garantie; car le choc des eaux, bien qu’il se portât surtout aux deux extrémités du lac, ne fit qu’endommager Genève. Le cartulaire de Lausanne montre d’ailleurs que la ville de ce nom avait été transportée au commencement /487/ du VIe siècle sur la hauteur qu’elle occupe aujourd’hui. L’examen des ruines ne laisse aucun doute sur ce point. Partout l’on rencontre auprès des pans de mur, des pierres calcinées, des charbons, des cendres et une terre brûlée, preuve évidente de la destruction par le fer et le feu, en un temps où les ravages apportés par la main de l’homme n’étaient pas moins redoutables que ceux de la nature. En outre, l’évêque Chilmegisile fut enseveli dans l’église de St-Thiers, plus tard St-Maire, vers l’an 540.
Ce que les Barbares laissèrent debout, les habitants de la ville nouvelle le renversèrent pour en faire servir les matériaux à la construction du temple qu’ils élevaient à la Mère du Sauveur. Aujourd’hui, l’on peut compter encore dans les soubassements extérieurs de cet édifice près de 300 de ces pierres calcaires. L’ouvrier, comme on s’en est convaincu dans ces derniers temps, avait eu soin d’engager dans la maçonnerie la sculpture des entablements ou des frises, afin de présenter au dehors la partie plus unie de l’assise, qui demandait moins de travail et ne détruisait pas l’uniformité du soubassement. On aperçoit aussi, à l’écart, dans quelques galeries, de grands fûts de colonnes romaines d’un marbre poli. Ils sont là comme pour offrir un point d’appui plus solide à cette architecture du moyen âge qui s’élance avec tant de grâce et de légèreté. C’est ainsi que les dernières traces des anciens monuments se perdent et se confondent dans des constructions plus nouvelles. /488/
Vibiscum (Viviscum, Vevey).
A l’époque romaine, la voie par laquelle nous avons atteint Lousonnium continuait le long du lac, à travers Cour, Paudex, Cully, Glérolles et Saint-Saphorin. Après avoir quitté les rochers de Lavaux et le versant abrupte du Jorat, la route se dirigeait le long de pentes moins inclinées vers les habitations romaines de Vibiscum, assises au pied des Alpes et sur le bord des eaux. Des pilotis découverts au-dessus de la ville actuelle, à une trentaine de pieds de profondeur, et auprès desquels gisaient des troncs d’arbres dans une couche de limon pareille à celle qu’atteint la sonde à une certaine distance au fond du lac, ont fait supposer que c’était là une ancienne rive du Léman. Ils témoignent en outre que des hommes s’étaient arrêtés dans ce lieu, ce qui confirment du reste les haches en pierre et en bronze qu’on y a recueillies. La belle exposition et la fertilité du sol engagèrent sans doute les Romains à y établir la station que mentionne l’itinéraire d’Antonin. Elle paraît avoir été située droit au-dessus de la ville moderne, dans un lieu où l’on retrouve des médailles depuis Auguste à Valentinien, des vases, des poids de terre cuite, des pans de mur et des briques à larges rebords. Dernièrement encore, en décembre 1843, on a découvert aux Chenevières les restes d’une construction romaine et à quinze pieds de profondeur, un squelette humain; tout auprès de celui-ci, dans une ouverture qui traversait un mur, était un collier en or d’une chaîne assez fine, très bien conservé ainsi que son fermoir; quatre /489/ bagues étaient suspendues à ce collier, trois en or et une en argent; deux des premières sont ouvragées, et l’une d’elles a conservé l’agathe onyx de son chaton sur laquelle est gravée une tête d’aigle. Peut-être l’ancienne ville s’étendait-elle du côté de la Tour, si l’on en juge par une statuette de Mercure trouvée à la pointe de Peilz. Gillamont a offert aussi plusieurs médailles du bas empire au milieu desquelles était la petite statue d’un génie qui s’appuie des deux mains sur l’enroulement de feuilles d’acanthe qui couronnent un pied de lion posé sur un piédestal. Le dieu Sylvain était adoré sur le même lieu où s’éleva plus tard l’Eglise de Sainte Claire. Un bénéficiaire de la XXe légion lui avait consacré cet autel, tandis qu’à Genève un citoyen de l’Helvétie s’adressait à la même divinité en faveur de ses amis, les bateliers de la partie supérieure du lac. — Des tombeaux ouverts entre Vevey et la Tour montrent l’union de l’ancien culte au culte chrétien. Une pièce placée dans la bouche des morts, en tribut à Caron, porte les mots: tributum Petri. Si la foi aux anciens dieux a disparu, leur souvenir se perpétue dans nôtre fête des Vignerons.
Pennilucus (Villeneuve); Aquilea, Alla (Aigle).
A l’extrémité orientale du Léman, Pennilucus, appuyé contre la montagne, s’élevait au-dessus des rives, soit qu’il désigne la tête du lac, ou qu’il rappelle l’existence d’un bocage consacré au dieu Pen: On a pour preuve de son antiquité les deux inscriptions romaines qu’on y conserve; /490/ l’une est consacrée à la Victoire, l’autre est un milliaire qui indique 26 000 pas de Villeneuve à Martigny. Au nord-ouest de la ville actuelle on a découvert des restes de bains, des médailles, des instruments destinés à prendre l’encens et un lacrymatoire qui reposait dans des tombes pareilles à celles de Vevey.
La voie qui conduisait en Italie par le Saint-Bernard, traversait le Peutex, près d’Aigle. L’ancien nom de cette ville, Alla ou Aquilea, rapproché de celui d’Hyberna (Yvorne), indiquerait les quartiers d’hiver d’un détachement de cavalerie. Comme pour mieux sanctionner cette opinion, l’aigle romaine a été placée sur les armoiries de la ville nouvelle 1 .
Bromagus (Promasens).
Retournons maintenant sur nos pas jusqu’à Vevey pour nous diriger vers Promagus. Ceux qui le cherchent auprès du lac de Bret, atteignent, après avoir gravi par Chexbres le versant méridional du Jorat, une petite vallée environnée de hauteurs couronnées de bois de sapins dont quelques-uns descendent vers les rives marécageuses d’un petit lac. L’habitant des fermes raconte qu’une ville existait autrefois dans ce lieu; mais qu’un soir, ayant refusé l’hospitalité à un étranger en qui elle méconnut le /491/ Sauveur du monde, cette ville s’abîma sur elle-même et disparut. Le lendemain matin, un lac l’avait remplacée. A cette réminiscence de la fable ou de la destruction de Sodome et Gomorrhe se mêle peut-être le souvenir des Romains dans cette vallée, dont la partie orientale renferme des pans de murs répandus en divers sens dans la campagne. On en a sorti une grande quantité de tuiles et nombre de médailles impériales. Des actes du moyen âge donnant au lac le nom de Bromagus, quelques personnes ont cru reconnaître la station désignée sous ce nom par l’itinéraire d’Antonin, mais les distances indiquées se trouvant en défaut, il faut rechercher s’il ne se rencontre pas de constructions romaines dans un lieu situé à 9 milles de Vevey et à 6 de Moudon, d’après l’itinéraire. Tel est le cas de Promasens, si l’on suit l’ancienne voie qui passait par Jongny, Granges, Attalens, Bossonens, Palézieux et Oron. La direction naturelle de cette route dont il reste des traces, les ruines nombreuses qu’elle traverse, et les débris romains de Promasens nous font partager l’opinion de ceux qui placent Bromagus dans cette localité, appelée aussi Bromagens dans des actes du moyen âge. Deux lieues séparent encore ce village fribourgeois de Moudon.
Minnodunum, Minnidunum (Moudon).
Minnidunum, qui en celte doit signifier une colline au bord d’une rivière, est située sur la Broie, à l’ouverture d’une vallée longue et fertile dirigée du sud-ouest au nord-est, entre des collines boisées. On a retrouvé de la /492/ ville romaine, des fragments de vases, des lampes sépulcrales et entr’autres des statuettes en bronze de Mercure, d’Hercule, de Vénus et de la Victoire, déposées au Musée de Berne. Les environs de Moudon sont si riches en médailles consulaires et impériales qu’une campagne en reçut le nom de Trésor romain. Dans un autre lieu, comme il se trouvait souvent d’anciennes monnaies au pied d’un rocher, on finit par apercevoir une ouverture élevée qu’on se mit en mesure d’atteindre. Effrayé de cette visite inattendue, un hibou fit de nouveau tomber des pièces en s’échappant et révéla de cette manière l’existence du trésor caché. Si l’inscription grecque en dialectique dorique, recommandant la sobriété comme moyen de fortifier l’âme, est perdue, on conserve en revanche avec soin l’autel trouvé près du point de jonction de la Mérine et de la Broie. « Quintus Œlius Avenius, y est-il dit, érige un autel à ses dépends à Jupiter et à Junon pour la conservation de la famille impériale. De plus, il donne à perpétuité 75 000 sesterces aux habitants de Moudon, dont la rente doit être employée à procurer aux bourgeois les commodités et les plaisirs d’un gymnase pendant trois jours, en trois différents temps de l’année. Dans le cas où les habitants de cette ville destineraient cet argent à d’autres usages, il entend que ce capital soit remis à la colonie d’Avenches. L’emplacement de cet autel a été accordé par un décret des habitants de Moudon. » Ce décret de la communauté du lieu montre qu’il s’agit d’une ville ordinaire, car s’il était question d’une colonie, il procéderait des décurions. En outre le mot vicani employé dans cette inscription désigne les habitants d’une ville ouverte. Rien ne dit si la somme donnée pour un gymnase fut détournée /493/ de sa destination; il est au contraire probable qu’on reçut avec reconnaissance un établissement qui permettait à tous les habitants de Moudon de jouir pendant trois jours, chaque année, de l’emplacement pour les exercices corporels, auquel on ajoutait ordinairement des bains, des étuves et des portiques où les gens de lettres et les philosophes enseignaient.
La Broie, qui coulait de Bromagus à Minnodunum, longeait les habitations romaines de Courtilles et de Granges, puis elle mouvait avec lenteur ses eaux accrues à travers la plaine élargie, et s’unissait au lac de Morat sous les remparts d’Aventicum. C’est aussi le long de son cours que s’étendait la voie qui conduisait à la grande cité helvétienne.
Aventicum Helvetiorum, colonia pia, flavia, constans, emerita, fœderata. (Avenches.)
Situé dans une contrée ouverte et riante, l’ancien Aventicum joignait à cet avantage celui de reposer sur un riche sol d’alluvion. Au nord-ouest, les hauteurs du Vully voilaient le lac d’Eburodunum, tandis que celui de Morat, plus avancé dans les terres qu’il ne l’est aujourd’hui, baignait au nord les remparts de la ville. Depuis les plaines de la Broie, le sol s’élève du côté du levant. C’est là qu’on voit encore de nombreux débris, derniers témoins de la grandeur romaine. /494/
Les murs d’enceinte de cette cité formaient à peu près un octogone dont le pourtour ne peut être parcouru en moins de cinq quarts d’heure. A l’intérieur, des tours semi-circulaires, distantes à peine de cent pas, étaient adaptées aux remparts sans faire saillie au dehors. Ces murs renfermaient un forum, un théâtre et un amphithéâtre; ce dernier, placé sur la hauteur qu’occupe la ville actuelle, dominait les deux autres qui se rapprochaient davantage du centre de la cité. Le fertile Bacchus des coteaux (fertilis Bacchus Oreus), Auguste et la Victoire y comptaient des autels. Des temples s’élevaient à des dieux divers, Neptune et Apollon paraissent y avoir été adorés. Aventia, déesse protectrice de la ville, avait aussi son temple et ses autels. Plusieurs ont vu dans Julia Alpinula, la prêtresse de la déesse, jusqu’à ce que la critique ait rejeté l’existence de cette fille infortunée de l’infortuné Alpinus. Les habitations ne présentaient point l’aspect de nos habitations modernes; plus spacieuses et moins hautes, entourées parfois de jardins et de bocages, elles n’étaient point comme les nôtres groupées en rangs serrés. L’opulence éloignait tout ce qui pouvait la troubler. Aventicum comptait en grand nombre des bains, des thermes et des étuves. Le parquet de plusieurs salles reposait sur des piles de briques, entre lesquelles circulait le calorique qui se répandait ensuite le long des parois au moyen de conduits pratiqués dans les murs. D’autres salles renfermaient les huiles et les essences dont on se faisait parfumer au sortir du bain. Les parois de ces appartements revêtues de marbres ou de peintures à fresque, représentaient des vases, des guirlandes de fleurs ou des panneaux coupés de lignes de couleurs variées. /495/ Les mosaïques offraient une grande diversité de sujets. C’était surtout au nord de la colline qui porte l’amphithéâtre qu’un monument se faisait remarquer par la beauté de son pavé, long de 60 pieds sur 40 de large. Ce pavé était divisé en trois compartiments. Celui du milieu, beaucoup moins considérable que les deux autres, consistait en quatre carrés oblongs, tandis que ceux de chaque extrémité contenaient chacun 15 octogones, 8 carrés et 16 triangles. Des cordons et d’autres ornements entouraient l’ensemble et les parties de détail, composés de petits cubes de couleurs différentes. Au centre du parquet se trouvait une espèce de bassin plaqué de marbre blanc, et non loin de là des dauphins prêts à se livrer au jeu. Ailleurs, des compagnons de Bacchus entrent en heurtant leurs cymbales, ou bien des bacchantes tiennent en main le thyrse et la coupe formée d’une corne. Plus loin, c’était un danseur emportant dans ses bras son amante. Ainsi se poursuivent ces jeux dans l’ivresse de la joie. Mais au milieu de cette troupe livrée à sa folle gaîté, Bacchus, la tête entourée d’un nymbe bleuâtre, exprime, par ses traits et son attitude, l’admiration et la tendresse dont il est saisi. Une jeune personne endormie vient de frapper les regards du dieu et de ses compagnons couronnés de pampre; c’est Ariadne abandonnée dans l’île de Naxos par Thésée qu’elle vient de sauver. Thésée s’est enfui durant son sommeil, mais, au réveil, elle rencontrera un dieu pour son époux. A la beauté de cette mosaïque s’unissaient les peintures à fresque des parois. On y voyait au milieu des fleurs, des femmes assises sur de légers rameaux, ou des boucs, victimes de Bacchus. — Des pavés semblables ornaient les réfectoires et les chapelles destinées aux dieux Lares. /496/ Les cubes, en marbre ou en terre cuite émaillée, reposaient sur une pâte de chaux, de pierres jaunes et de coquilles marines pulvérisées, que portaient un ciment de briques pilées et une couche de cailloux choisis. L’une de ces mosaïques, construite l’an 209 de notre ère, sous le consulat de Pompeianus et d’Avitus, représentait des canards, des coqs, des poules, des oies, des serpents et des lézards. D’autres se composaient de riches tableaux, ornés de panneaux circulaires et de carrés bien ordonnés. Des chasses en enrichissaient la bordure. Les chasseurs portaient la caliga, cette forte semelle liée par des bandelettes de cuirs qui montaient jusqu’au milieu de la jambe. Ailleurs, une tête d’homme occupait le centre du parquet entre quatre têtes de vieillards. Les peintures de plusieurs oiseaux, parmi lesquels se fait remarquer une pie d’une grande vérité, étaient accompagnées de dauphins dont les queues s’entrelacent les unes dans les autres. Enfin le tigre, la hyène, des lions et le zodiaque apparaissent à leur tour sur des pavés pareils.
Les aqueducs n’étaient pas moins que les autres monuments dignes des Romains. Formés d’un mastic qui se durcit comme les cailloux, ils traversaient les bancs de roc et conduisaient, de plusieurs lieues de distance, des sources pour l’usage des bains et de la ville.
D’importants édifices, enrichis de marbre et de reliefs, ornaient la cité. On y remarquait des colonnes cannelées et des colonnes torses. D’autres, de l’ordre dorique, voisines du pavé consacré à Bacchus formaient le portique de ce bâtiment; leur fût montrait à demi-hauteur une petite console pareille à celle qu’on observe sur les portiques de Palmyre. Sur des corniches d’une grandeur /497/ étonnante, étaient sculptés des denticules, des foudres, des tritons, des boucliers et des conques marines. On y voyait aussi des vases à fleurs, des griffons, des chevaux marins et des phoques. Les architraves, les frises, les cordons, les doucines, les acrotères et les tympans étaient chargés de sculptures. Des statues en marbre et en bronze s’élevaient à l’honneur des dieux. Apollon et Jupiter Ammon y avaient leur place. Ce n’était pas toujours l’adulation ou la foi qui les érigeait, mais, quelquefois aussi, la reconnaissance envers des citoyens illustres. Pour ces immenses constructions et pour les ornements de la cité, on se servait non-seulement de la pierre calcaire du Jura mais encore de matériaux précieux amenés de pays lointains. Le marbre de Paros, l’albâtre, le porphyre, le granit, les marbres jaunes, verts, violets, gris et verts, rouges et blancs embellissaient les demeures des Aventiciens, ainsi que les jaspes divers, l’agathe, l’ophite ou la serpentine, le basalte, l’aventurine et le lapis-lazuli. Bien que cette richesse de dessin, d’architecture et de sculpture n’appartienne pas toujours au beau siècle d’Auguste, elle n’en est pas moins un témoignage de la grandeur d’Aventicum. Comme en Italie à la même époque, les règles de l’architecture auraient pu être suivies avec plus de rigueur. Quelquefois, dans ces monuments d’ordre corinthien pour la plupart, un pilastre cannelé est accompagné d’un fût de colonne qui ne l’est pas. Des sculptures d’un travail médiocre décèlent l’inhabileté du ciseau. Ou bien le marbre de la statue reçoit un poli qui lui enlève l’apparence de la chair pour lui donner celle de l’ivoire. Le grand pavé, voisin de l’amphithéâtre, qui, pour la variété des ornements, le nombre des tableaux et leur disposition autour du sujet /498/ principal, est du meilleur goût, laisse quelque chose à désirer dans les proportions des figures, qu’on voudrait voir moins ramassées et plus sveltes. Enfin, les peintures à fresque frappent souvent davantage par la vivacité des couleurs que par la bonne exécution. Le coup de pinceau est hardi, mais il n’est pas toujours heureux. Dans la composition, le grotesque remplace parfois le naturel, et les proportions ne sont pas toujours bien observées. C’était ce manque de vérité que Vitruve blâmait chez les artistes romains de son siècle.
Il résidait à Aventicum un lieutenant du préfet provincial, un receveur des impôts en Helvétie, des triumvirs, des curateurs, des décurions, des sévirs et des tribuns militaires. La cité, comme celles d’Italie, choisissait pour son patron quelque grand citoyen romain. Elle possédait en outre une confrérie ou compagnie de bateliers, qui fit construire à ses dépens un édifice consacré à la famille impériale et destiné aux réunions dans lesquels on traitait des affaires de commerce. Ces bateliers sont appelés Aruranci et Ararici, nom qui désigne peut-être les eaux sur lesquelles ils naviguaient. Des magistrats et des chevaliers faisaient souvent partie de ces compagnies, qui jouissaient de grands privilèges et dont les membres n’étaient point étrangers aux charges municipales. — Des inscriptions retracent le deuil dans les familles. L’une ex prime un vœu au génie protecteur du canton des Tigurins. Une autre s’adresse aux divinités tutélaires de l’empereur (Vespasien), au génie de la colonie helvétique, à Apollon et aux médecins et professeurs de la cité. D’autres à Maximin, encore César, et à Julia Domna, revêtue du titre de mère des camps. On lit aussi que les adjoints /499/ du préfet firent construire une salle pour les archives de la préfecture. C’était surtout Vespasien qui était honoré dans ces inscriptions. On sait d’après le rapport de Suétone que Flavius Sabinus, père de cet empereur, avait passé chez les Helvétiens la dernière partie de sa vie. Son fils, destiné à la pourpre impériale, doit y avoir séjourné dans sa jeunesse. L’an 71 de notre ère, une inscription, placée sur un bâtiment public, dit qu’il était alors empereur, César, Auguste, souverain pontife, revêtu du pouvoir tribunicien pour la troisième fois, Imperator pour la huitième, consul pour la troisième, désigné pour la quatrième, et père de la patrie. Un marbre élevé par son fils Titus rappelle qu’il restaura la cité d’Avenches et ses remparts avec la pierre de Noidelonex (Neuchâtel). Vespasien et Titus furent en effet les protecteurs de cet Aventicum nommé aussi Colonia pia, flavia, constans, emerita, fœderata. La première et la troisième épithète désignent l’attachement de la colonie à son bienfaiteur; flavia est le nom de la famille de Vespasien; emerita indique que des vétérans formèrent cette colonie; et fœderata, qu’elle était alliée de Rome, ou unie avec les Helvétiens, qui avaient leur constitution particulière, tandis que la colonie était gouvernée par les lois romaines 1 . On rapporte que ces vétérans appartenaient aux vainqueurs de Jérusalem, instruments de la vengeance divine, et qu’ils aimaientà comparer à la Galilée ce pays, dont les lacs de Morat et d’Yverdon leur rappelaient les eaux de Mérom et de Génézareth.
La plupart des auteurs s’accordent à donner à Aventicum une origine anté-romaine et à la placer en tête des douze villes que les Helvétiens brûlèrent lors de leur émigration. /500/ Godefroi de Viterbe n’hésite pas à dire que Brennus la subjugua l’an 365 de Rome; et Marquard Wild donne même pour époque de sa fondation, l’an 589 avant l’ère chrétienne. Sans ajouter foi à tant de précision, il est cependant probable qu’elle fut du nombre de ces villes dont César ordonna la reconstruction et qu’elle s’éleva sur des ruines. De bonne heure elle acquit un développement qui lui valut d’être appelé par Tacite caput gentis, non qu’elle exerçât une prééminence civile, mais parce que sa grandeur la faisait distinguer des autres cités de la nation. L’itinéraire d’Antonin, la table de Peutinger et les notices de l’empire mentionnent l’Aventicum Helvetiorum. Grégoire de Tours, Frédégaire, Fréculphe et le Cartulaire de Lausanne en parlent aussi. Ptolémée la place dans la Maxima Sequanorum, non par erreur, mais parce que de son temps on l’envisageait comme faisant partie de cette province. A une fausse interprétation de ce passage se rattache le travail du jésuite Dunod, par lequel il s’efforçait de montrer que les ruines d’Antre, en Franche-Comté, étaient celles de l’ancien Aventicum. L’Apologie de Wild l’a réfuté suffisamment. L’attachement d’Aventicum à Galba faillit devenir fatal à la noble cité, qui ne put sauver la tête du vieil Alpinus, son premier citoyen. La nation dut implorer sa grâce auprès de l’empereur. Quand les ambassadeurs obtinrent audience, l’armée demanda, avec imprécations et menaces, l’extermination des Helvétiens. On vit alors Claudius Cossus mettre en jeu toutes les ressources de son éloquence pour fléchir le farouche César, passer des sollicitations à la peinture des maux qui menaçaient sa malheureuse patrie, et rendre présente sa dernière douleur. L’émotion de son âme gagna l’âme des /501/ guerriers. A la vue des restes infortunés d’un peuple autrefois fortuné, glorieux, ils supplièrent à leur tour, et l’empereur se laissa fléchir . — Des jours heureux et calmes se levèrent encore; le luxe et la richesse s’accrurent; les jeux remplacèrent les armes; mais c’en était fait de la liberté.
Au cinquième siècle, quand Ammien Marcellin se rendit à Aventicum, il trouva la cité déserte, ses édifices à moitié ruinés, mais encore empreints d’une ancienne grandeur; c’est que les Allemani avaient passé dans ces lieux, le fer et le feu à la main. Dès lors l’éclat d’Aventicum fut anéanti, et ce qui en restait fut effacé par les Burgondes. L’an 607, le comte Guillaume, seigneur bourguignon, construisit un château sur la hauteur qu’avait occupé le capitole, et contribua à relever un peu la malheureuse cité; mais des tribulations l’attendaient encore. Dix ans ne s’étaient pas écoulés que les Allemani de l’Helvétie orientale achevèrent de désoler cette contrée autrefois si florissante. — Une tradition du Nord dit qu’un fils du roi Scandinave, Lodbrokar, fit une expédition en Helvétie et prit le château de Vifill (Wiflisbourg, nom allemand d’Avenches) dans le VIIe ou VIIIe siècle. Ce fut en 1076 seulement, que Burkard, évêque de Lausanne, aidé de l’empereur Henri IV, réédifia Avenches dans laquelle il se souvint sans doute qu’étaient déposés les tombeaux de vingt-deux évêques. Lausanne dut au malheur d’Aventicum de devenir le siège épiscopal au commencement du sixième siècle.
Telle se présente à nous cette antique cité, d’après les débris qui nous restent. Plusieurs pans de murs, hauts de 15 pieds sur 4 de large, permettent de juger de ses remparts et de leur pourtour. Les parements extérieurs, /502/ formés de pierres grisâtres disposées par assises horizontales, renferment à l’intérieur des pierres et des cailloux jetés dans un bain de mortier. Une des tours semi-circulaire adaptée à ces murs antiques domine encore les ruines de l’enceinte dont le diamètre est de 6 000 pieds de roi. En outre les mouvements du sol ajoutent à l’étendue apparente de la ville, sur les débris de laquelle l’agriculture récolte jusqu’à 2 000 sacs de blé. L’amphithéâtre, comblé en partie par la route actuelle, sert de verger au château voisin. Ses pierres et ses degrés, utilisés pour des constructions modernes, ont été remplacés par de nombreux déblais; à peine reste-t-il une portion des voûtes et des contreforts qui portaient les gradins. Sur l’un des côtés de cette arène, s’élève une tour construite de matériaux antiques, mais dont la base seule paraît pouvoir appartenir aux Romains. C’est là qu’on prétend qu’étaient renfermés les animaux féroces destinés aux combats. Le théâtre, rompu par le centre dans ces dernières années, est à peu près perdu pour l’étude. — Au milieu de ces dévastations, une colonne de marbre blanc demeure encore debout. Sa hauteur est de 40 pieds, sans y comprendre un fragment d’entablement qui la domine. Elle se compose de blocs de 3 pieds de haut sur 7 de longueur, dont la superposition offre des joints parfaits. Ses dimensions et ses sculptures rappellent l’ordre corinthien. Les uns y ont vu les restes d’un temple; d’autres, d’un arc de triomphe. Il paraît qu’elle faisait partie du Forum, dirigé de là au Levant. Le voyageur aime à s’arrêter sous cette ruine imposante, et longtemps la cigogne vint la couronner de son nid. On retrouve de temps à autre des pierres sculptées, des fûts de colonnes, des chapiteaux de /503/ grandeur colossale, des aqueducs et des fondements de bâtiments privés ou publics. Plusieurs mosaïques, connues seulement de quelques particuliers, restent enfouies dans le sol. Des bas-reliefs et des inscriptions se voient dans les murs de l’église et de la Maison-de-Ville; quarante ont été publiées; de beaucoup d’autres qui sont inédites, il ne reste que des fragments. Inscriptions, colonnes, chapiteaux, bas-reliefs, ont été jetés en grand nombre dans les chauxfours voisins. — Outre les médailles impériales de différents métaux et de divers modules, on en a découvert de consulaires, de grecques et d’égyptiennes; on en a d’Alexandre-le-Grand, de Seleucus, de Mithridate et de Hiéron; d’autres sont des familles impériales bizantines, de Léon, de Zénon et d’Héraclius, jusqu’aux Paléologues. Un médaillon représente la tête de Méduse; une cornaline, celle de Jules-César. — On a sorti de ces ruines des torses et des fragments de statues en marbre et en bronze, un Hercule, un empereur romain, un discobole ou lanceur de disque, une Fortune avec une corne d’abondance, un Faune à genoux, portant une grappe de raisin, et un Apollon qui tient une lyre. Un groupe en bronze représente un athlète qui combat un lion. Le corps de l’athlète est nerveux, son attitude vraie et la tête d’un beau caractère antique. Le lion étouffé est également d’une bonne expression, et tout ce groupe est d’un grand prix pour la vérité de la scène. Une statuette ou figure symbolique, offrant un corps cuirassé, surmonté d’une tête de coq et terminé par deux serpents, représente un Abraxas. — Des fragments de candélabres, et des lampes de formes et de destinations diverses ont été conservées. Sur un beau miroir en /504/ bronze, est gravée Léda, qui vient de mettre au jour les deux œufs d’où sortirent Castor et Pollux. — On rencontre en outre des amphores, des vases, des dieux Lares, des styles, des fibules, des pierres gravées et des bagues en or et en argent. Une sonnette en bronze a perdu son battant. Un léopard couché, dévorant la tête d’une biche, forme le manche d’une clé. Une hache en bronze, de fort petite dimension, avec une médaille en argent portant une victoire, incrustée sur un des côtés de la hache, paraît une pièce symbolique et rappelle peut-être une ancienne confrérie de charpentiers. Enfin, une poterie représente un Gaulois qui se verse à boire. Le vase qu’il tient sous son bras, a la forme du tonneau de bois entouré de cercles, que Pline a mentionné dans son histoire naturelle 1 et dont nous nous servons aujourd’hui.
Si l’esprit de conservation eût veillé sur ces riches monuments, Avenches posséderait une collection digne de son ancienne grandeur; mais la plupart des objets découverts ont été détruits ou dispersés. Les étrangers en ont enlevé un grand nombre; la science en a peu profité. Après beaucoup d’abus est né le besoin d’en prévenir de nouveaux; à cet effet un cabinet a été ouvert dans la tour attenante à l’amphithéâtre. Malgré les pièces intéressantes qu’il renferme, l’ami des monuments nationaux se demande comment il se peut que ce soient là les restes de l’antique cité. Bientôt pourtant, on est frappé de la richesse d’ornementation de ces quelques débris, mais on l’est en même temps de l’esprit de haine qui préside à leur destruction; la colère du barbare demeure empreinte sur le bronze; renverser ne suffisait pas, il voulait encore anéantir. /505/
Eburodunum (Yverdon).
D’Aventicum, point de départ des milliaires, plusieurs routes se dirigeaient vers les principales villes du pays. L’une conduisait à Eburodunum, ancien castrum romain, situé sur les bords d’un lac, à l’extrémité d’une plaine recouverte autrefois par les eaux. Le rapprochement du Jura permettait, comme à Nyon, d’exploiter, pour la marine romaine, les hauts sapins de la montagne. Mais au lieu de prendre le chemin de la Méditerranée, on faisait flotter ces bois jusqu’au Rhin, d’où ils descendaient ensuite dans l’Océan. Un préfet présidait à cet effet la compagnie des bateliers d’Eburodunum. — Des inscriptions y furent gravées en l’honneur de la Victoire, d’Apollon, de Mercure et de Minerve. Le souvenir des importants services rendus par Festilla, prêtresse du premier Auguste à Avenches, est conservé sur la pierre. Flavius Camillus, triumvir de la colonie Helvétienne (Aventicum), reçut le titre de patron et vit élever, en reconnaissance de ses bienfaits, un portique et des statues. — Les murs en pierre et en brique du castrum eburodunum disparaissent chaque jour. Tel a été le sort des bains découverts il y a quelques années, qui présentaient encore des baignoires en marbre, des fourneaux de briques et des tuyaux en plomb. Auprès du château actuel se sont trouvés d’intéressants débris. Ailleurs, des tombeaux contenaient des armes, des lampes, des vases et des médailles l’un renfermait un casque, un glaive et des lacrymatoires de la grosseur /506/ d’une larme batavique. — Une mosaïque d’un beau travail n’a pu être sauvée. Elle avait pour sujet Orphée entouré d’animaux; des quadrupèdes, des oiseaux et des poissons en occupaient les trois compartiments. Un bas-relief, une statuette de Mercure, une tête en marbre, une grande amphore, des vases, des fers de flèche, des ustensiles, des médailles, des poids, une meule de moulin à bras et du blé calciné ont été sortis de ces ruines. De plus, certaines parties du sol offrent pour ainsi dire les diverses couches historiques de cette ville. Peut-être aussi, la hache en serpentine, conservée avec quelques autres objets dans la bibliothèque, vient-elle à l’appui de l’origine celtique que semble indiquer la dénomination d’Eburodunum.
Urba (Orbe).
En remontant le cours de la rivière qui traverse Yverdon et se jette dans le lac, on voit une plaine marécageuse s’étendre le long des collines qui s’appuient au Jura. La ville d’Orbe occupe une hauteur dominée par les vieilles tours de son château bourguignon. Autrefois, la via strata longeait la montagne, et, dans des temps plus reculés, le lac baignait cette plaine qui continue à faire reculer le bassin des eaux. Auprès de la ville actuelle, s’élevait l’ancienne Urba de l’itinéraire d’Antonin que plusieurs croient avoir été la capitale du pagus urbigenus mentionné par César. C’est au nord-ouest de la capitale de la Petite-Bourgogne qu’on découvre divers restes de constructions /507/ antiques, des fragments de marbre blanc travaillé, des médailles et des pavés. Une de ces mosaïques, détruite en 1758 sur le terrain appelé Bosséaz, reproduisait par des cubes calcaires et des émaux de teintes variées, des fleurs et des figures d’hommes et d’animaux. C’est sans doute un des compartiments de ce parquet qui restait engagé sous la route, et qu’on a découvert le 13 mai 1841, en construisant un mur de soutènement. Il représente sur un fond blanc encadré d’une arabesque en torsade un char à quatre roues surmonté d’échelles et de cerceaux et traîné par deux bœufs qu’aiguillonne le conducteur. Sur le même plan se trouvent des arbres séparés par divers personnages, dont l’un s’appuie sur une massue et tient à la bouche une conque qui rappelle le cor des Alpes. La variété des couleurs, la grâce des formes et des contours, font admirer la belle exécution de ce pavé, long de 21 pieds sur 6 à 7 de large, et conservé avec soin sur les lieux. Cinq murs perpendiculaires à l’axe de la route, des peintures à fresque et un autre pavé noir et blanc sont les derniers débris de cette riche demeure. Des recherches bien dirigées pourraient jeter un nouveau jour sur l’état de nos cités durant les premiers siècles de notre ère.
Peut-être y eut-il sur le sol appelé plus tard la patrie de Vaud bien d’autres habitations romaines dignes de figurer à côté de celles que nous venons de parcourir. Il est même beaucoup de localités où l’agriculture, à la vue de ruines romaines, se plaît à reconstruire par l’imagination quelque cité antique. Nous verrons ce que ces suppositions peuvent avoir de fondé, quand nous aurons parcouru les voies principales qui sillonnaient le pays. /508/
II. VOIES MILLIAIRES.
Jules-César mentionne deux chemins qui conduisaient de l’Helvétie dans les Gaules, dont l’un passait par Genève, et l’autre par Colonges et le pas de la Cluse. Une fois que les Romains eurent soumis le pays, ils construisirent des voies nouvelles, les coordonnant au vaste système des routes commerciales et militaires qui parcouraient les provinces. Ces chaussées, un peu élevées au-dessus du sol, ayant en moyenne 12 pieds de largeur, étaient pavées de cailloux et de grosses pierres plates, ou recouvertes de gravier mêlé de terre glaise.
L’une de ces grandes voies qui venait des Gaules était la via strata, appelée de nos jours chemin de l’Etraz. Sa direction dans l’Helvétie occidentale est déterminée par les restes qui s’en trouvent dans les communes suivantes: Gex, Vesenci sous Bonmont, Gingins, Trélex, Coinsins, Vich (Vicus), Luins, Bursins, Mont-dessous, Féchy, Aubonne, Lavigny, Bussy, Clarmont, Cottens, Grancy, Senarclens, Dizy, La Sarraz, Pompaples, Orbe (Urba), Mathod, Grandson, Concise, Vaumarcus, Noidelonex, etc.
D’autres embranchements venaient des Gaules, par exemple de Condate ou Saint-Claude à Aubonne, par Saint-Cergues, Arzier et Burtigny; de Saint-Georges à la via strata, et d’Ariorica (Pontarlier) à Jougnes, Ballaigue et Orbe.
La route qui allait de Genève en Italie par le Saint-Bernard, traversait le sol de Versoix, Coppet, Nyon (colonia /509/ equestris), Promentoux, la Dulive, Rolle, Allamand, Buchillon, Basuges ou Saint-Prex, Morges, Vidy (lacum losonne), Cour, Paudex, Lutry, entre Villette et Grandvaux, Cully, Glérolle, Saint-Saphorin, Vevey (Vibiscum), Clarens, Chillon, Villeneuve (Penni Lucus), Roches, le Peutex près Aigle, sous Charpigny, Saint-Maurice (Tarnaias), Martigny (Octodurum), etc.
De Vevey une route se dirigeait par Chexbres, le lac de Bret et Promasens (Bromagus). La plus directe passait au levant de Chardonne, par Granges, Palézieux, Oron et Bromagus. Une troisième venait de Vidy, à Lutry, Savuy, au Grenet près de Bret, au Crêt et à Promasens; toutes pour atteindre Moudon (Minnodunum), Lucens, Villeneuve, Granges, Fétigny, Payerne, Corcelles, Dompierre, Domdidier et Aventicum.
D’Avenches, une route allait à Morat; une seconde à Salavaux et Valamand, entre lesquels on a trouvé une inscription dédiée aux génies qui présidaient aux grandes routes: BIVIS, TRIBVIS, QVADRVBIIS. Ces inscriptions étant placées dans les croisées, on voit qu’il y avait ici quelque nouvel embranchement. Une autre route conduisait de la grande cité à Yverdon (Eburodunum), à travers le Vully et le long des habitations romaines de Cheyres et d’Yvonand.
Un chemin paraît s’être dirigé, vu les milliaires qu’on y rencontre, de Lausonnium à Yverdon par Vufflens-la-Ville, Penthaz, Entreroches, Bavois, Chavornay, Essert et Ependes. Quelques traces d’anciennes voies et les communications nécessaires entre des habitations rapprochées semblent indiquer un second chemin de Vidy à Prilly, Crissier, Cheseaux, Echallens (au couchant) et Yverdon; /510/ à moins qu’il n’allât de Prilly à Cheseaux par Jouxtens-Mésery et Romanel (au couchant). Un milliaire découvert à Pomy donne la direction d’une route d’Yverdon à Moudon. Enfin un segment de chaussée qu’on voit à Froideville n’est pas encore suffisamment déterminé.
Il nous reste trois milliaires de la via strata: l’un à Begnins; le second, qui donne la date de 241 sous Gordien III, a été transporté de Lavigny à Saint-Livres; le troisième, trouvé à Treycovagnes, est de l’an 202, sous Septime-Sévère. — Quelques milliaires érigés sur la voie des bords du Léman avaient leur chef de file à Nyon, ce qui dénote, comme on l’a observé, l’importance de cette colonie équestre. Genève a recueilli celui de Mies, dressé l’an 98 sous l’empereur Trajan. Les ponts de la Dulive et du Boiron en portent deux du IIIe siècle. Le milliaire de Paudex, de l’an 143, sous Antonin-le-Pieux, indiquant 38 000 pas jusqu’à Avenches, se voit à Lausanne dans la cour de l’ancienne maison Levade. Un autre, de Glérolles, érigé sous Claude en 47, est conservé dans l’église de Saint-Saphorin. Villeneuve en possède un de Constantin, et l’église d’Ollon renferme celui trouvé au pied de Charpigny, portant le nom de Licinius et marquant 17 000 pas jusqu’à Martigny. — Le milliaire de Pomy a été enlevé. Chavornay conserve le sien qui est de Septime-Sévère. Le château d’Orny possède celui d’Entreroches, de l’an 119 de notre ère, et distant d’Avenches de 41 000 pas: Ceux de Penthaz et de Vufflens-la-Ville sont malheureusement indéchiffrables. /511/
III. BOURGS, VILLAGES, HABITATIONS DISSÉMINÉES.
La partie du canton qui vit la première s’élever des constructions étrangères dans ses campagnes fut celle des environs de Nyon. Mies, Coppet, Céligny, Borex, Eysins, Trélex, Duillier, Coinsins et Vic possèdent des briques romaines, des murs, des inscriptions et de vastes aqueducs. Prangins et Benex avec sa mosaïque blanche parsemée d’étoiles noires, touchaient à la colonie équestre. Plus loin, sur les rives et les hauteurs du lac, on voit des débris pareils, ainsi à Linières, Gilly, la Combe près de Rolle, Perroi, Allaman et Veret. Channivaz, entre Buchillon et l’Aubonne, en renferme plusieurs. Le lieu d’où l’on en sort le plus est une élévation de terrain qu’ombragent deux bouquets de chênes, et qui s’avance dans les eaux du Léman. C’est là qu’on découvre depuis nombre d’années des ustensiles, des médailles et des bas-reliefs; les deux gladiateurs combattant avec l’épée et le bouclier, transportés à Aubonne, ont été trouvés dans ce lieu avec des vases, des armes, un fragment de corne de cerf, de grandes briques, des fûts de colonne et des traces d’aqueduc; les murs, construits par assises, formant divers compartiments et parfois des demi-cercles, occupent une étendue considérable. Buchillon et Etoy sont moins riches. Saint-Prex, qui portait autrefois le nom de Basuges, renfermait entre autres dans ses anciennes constructions des statuettes dont l’une reposait sur un piédestal qui exprimait un vœu à Bacchus de Cully (Libero patri cocliensi). /512/ A Joulens, au-dessus de la ville de Morges, s’élevait autrefois un temple chrétien sur des ruines romaines. Dans les environs de Lutry, en Taillepied, au Châtelard, à Courtinaux et au Crêt-Bernard, nommé aussi la citadelle, ont eu lieu diverses découvertes. L’une, au Miroir, doit avoir mis dans l’aisance l’ouvrier qui la fit. Une autre dans les environs de Savuy rendit au jour des peintures à fresque représentant le soleil et plusieurs espèces d’animaux. A Bossières, près de la même commune, quatre plats en cuivre reposaient dans un vase de terre cuite. Ces derniers temps encore on a sorti des vignes de Villette de grands blocs calcaires diversement taillés. Comme nous l’avons vu par l’inscription de Saint-Prex, Cully cultivait déjà la vigne. Une bacchante y a été découverte ainsi qu’un entablement qu’on a cru provenir d’un temple. Des mosaïques et des bains se trouvaient à Treytorrens; une tête en marbre de grandeur naturelle près de la Salence; et d’anciennes constructions en Murez, à Jourdillon, Rivaz, Saint-Saphorin, Goy, Chexbres, Tolovaux et Praz-pourri. Les médailles y sont nombreuses; en plus d’un endroit des voûtes restent inexplorées.
Au delà de Vevey, la hauteur de Baugi renfermait des colonnes de marbre, des sculptures sur albâtre, des médailles en grande quantité et deux mosaïques dont l’une présente des lignes demi circulaires qui partent du centre à la circonférence; la seconde, que le propriétaire du fonds conserve avec soin, a été gravée dans l’Atlas qui accompagne le dictionnaire Levade. Une cassette trouvée près de Clarens, contenait trois bracelets et trois simpules en argent. Valeyres, Mauraz et le Clos-du-Moulin offrent les traces de Pennilucus. Rennaz, à l’entrée de la vallée du /513/ Rhône, possède des briques à larges rebords sous une forte couche de limon, déposée par l’éboulement de Tauretunum. Une mosaïque a été détruite au Peutex près d’Aigle, à côté des traces de la chaussée romaine. Ollon conserve une amphore d’une forme allongée découverte récemment en Taxerex; à Antagnes on trouve divers débris. Les belles fibules de Fully, vis-à-vis Martigny, se voient au musée cantonal. Dans la vallée du Rhône, c’est surtout Saint-Triphon qui se fait remarquer par ses ruines imposantes. Une grande tour carrée, haute de 60 pieds sur 27 à 28 de large, domine un rocher isolé, élevé de 246 pieds au-dessus de la plaine. Habitée dans le moyen âge, ainsi que le montrent des chartes et les restes d’une chapelle voisine, plusieurs la disent l’ouvrage des Romains. Des vases et des médailles consulaires et impériales se trouvent au pied de la tour. On voyait en outre au-dessus d’un portail d’enceinte une inscription romaine, enlevée ces dernières années.
Non loin de Bromagus (Promasens), des bains s’élevaient au Martinet près de Palézieux. Une salle avait un double-fond composé de grandes briques, soutenues par des piles, autour desquelles circulait le calorique. La fournaise donnait sur le vestibule et communiquait aussi avec une seconde salle dont le parquet de marbre blanc reposait sur 36 piles; ces piles, formées chacune de 12 briques, étaient moins larges à la base qu’au sommet; des tuyaux de terre cuite, minces et carrés, se dirigeaient verticalement le long des parois. Dans une pièce voisine, de petites briques, posées de champ, formaient, sur une couche de ciment, une très jolie mosaïque. Disons encore que la fournaise, remplie de cendres et de charbons, renfermait le squelette /514/ entier d’un homme de haute taille dont tous les os portaient l’empreinte du feu. Maracon offre aussi quelques traces romaines. Mézière possède les ruines d’une grande villa; plusieurs squelettes dans diverses positions étaient entourés de décombres. Un vase en bronze a été brisé à Neyruz. A Courtilles, une élévation du sol conserve des murs et des tuiles à larges rebords, de même que Lovatens; une inscription commençant par les mots DEÆ MINERVÆ a été enfouie de nouveau. Près de Granges, l’herbe jaunit en temps de sécheresse sur d’anciens fondements. Un vestibule, long de 40 pieds, avait pour dalles de grandes briques. On y a découvert des peintures à fresque, des fragments de poterie, des lingots de plomb, une statuette et divers instruments. Payerne, Donatyre, Salavaux, Montmagny se ressentent du voisinage d’Aventicum. La belle mosaïque de Cormeroz représentant le Dédale de Crête, a été transportée à Fribourg. Celle de Cheyres, sur les bords du lac d’Yverdon, fut détruite dans le siècle passé; la surface de ce pavé était de 246 pieds carrés et ses cubes de marbres de couleurs différentes, de pierres dures et d’émaux rouge, vert et bleu, étaient disposés avec art. On y voyait Orphée, assis au pied d’un arbre, ayant un lion et un écureuil à ses pieds, tandis que des oiseaux l’entouraient et venaient jusqu’à sa lyre. Deux autres mosaïques, recouvertes de terre, existent encore à Yvonand où l’on a trouvé en 1838 un chapiteau en bronze d’ordre corinthien, le bras d’une statue d’enfant, une victoire, des coquillages et une hache.
Sur l’autre rive du lac, au pied du Jura, Saint-Maurice, Champagne, Grandson, Valeyres, Villars, Champvent, Baulmes, Essert, Orges, le bois du Fai près la Mothe et /515/ Sainte-Croix, ainsi que le sol entre Valeyres, Orbe et Rances, conservent des traces des Romains. Près de Vuitebœuf, le bois des Tours tire son nom des vastes ruines qu’il renferme; au milieu de ces anciennes constructions s’est trouvé un beau Mercure aux yeux d’argent. Des vases ont été recueillis au Devent près d’Orbe. A Arnex, un tertre recouvrait la base d’une construction circulaire avec des ossements calcinés, des tuiles à larges rebords et une balance à plateau. Quelques débris de la même époque se retrouvent à Mont-la-ville, Chevilly, Cuarnens, l’Isle, Mauraz, Bérolle, Ballens, Bière, Saubraz, Montherod, Aubonne, Lavigny, Féchy, Essertines, Longirod, Marchissy, et Vincy.
Si nous entrons maintenant par le nord-est dans l’intérieur du canton, nous rencontrerons encore des restes romains à Prahins, Pomy, Sermuz et Valeyres sous-Ursins. Une relation du siècle passé au gouvernement de Berne sur les antiquités d’Ursins rapporte qu’on y voyait un vestibule souterrain, à peu près de la hauteur d’un homme, sur 4 pas de large, avec de beaux fragments de marbre sculpté qui sont demeurés sur le cimetière jusqu’à ces dernières années. A diverses reprises, des objets d’art et des statuettes y ont été découverts: un chapiteau en bronze, un augure, un Mercure et, entre autres, un petit bouc d’un travail excellent; le piédestal sur lequel il repose porte cette inscription: DEO-MERCVRIO-IVL IVLIANA-V.S.L.M. Une pierre calcaire, placée dans une maison particulière présente cette seule ligne d’une inscription inédite: TITI CAPITONI-SVRDIIDONI. Ce marbre a 7 pieds de long sur 15 pouces de large; les caractères sont grossièrement reproduits. Malgré les destructions annuelles, /516/ ce sol est loin d’être épuisé. Essertines, Suchy, Chavornay, Vuarrens, Saint-Cierges, Morrens et Cugy témoignent aussi du séjour des Romains. Il en est de même du territoire de Cheseaux où l’on rencontre de vastes conduits souterrains, des murs parallèles ou croisés, des meules de moulin à bras, des chapiteaux, des fûts de colonne, des dalles de marbre blanc, des lampes, des urnes cinéraires, des vases, des figurines et des pavés à la mosaïque. Une armoire dans un mur couvert de terre était remplie de vêtements qui se réduisirent en poussière au premier contact de l’air. Des bains rasés à fleur du sol montraient leur ancienne distribution; dans ce lieu, une salle souterraine à laquelle aboutissait un grand aqueduc, renfermait trois vases en bronze. Ailleurs, des pans de murs étaient encore debout au commencement de ce siècle. Enfin, sur un espace considérable sont parsemées çà et là les grandes tuiles à larges rebords. Les chênes de la forêt de Vernand-dessous et le sol de Romanel recouvrent des constructions pareilles. Jouxtens conserve les belles ruines d’une villa. Une tête en bronze de Marc-Aurèle de grandeur naturelle a été transportée de Prilly au musée de Berne; une tête de Cérès est perdue. Renens possède des urnes antiques, et le ruisseau qui coule près de Chavannes sous Ecublens enlève parfois au sol voisin les statuettes d’anciens dieux. — Divers débris ont été découverts à Daillens, Penthaz, Sullens, La Chaux, Grancy en Allaz, Severy, Gollion et Aclens. Une mosaïque de 14 ½ pieds sur chaque côté vient d’être mise au jour à Vullierens sur Morges. Quatre ellipses, disposées en long sur les diagonales de ce carré, touchant, par une de leurs extrémités, la base du triangle isocèle formé aux quatre angles du pavé, et par l’autre la /517/ torsade d’un carré qui occupe le centre et dont les côtés sont parallèles à la base des triangles mentionnés. Sur chaque côté du pavé repose un hémicycle que diviserait en deux parties égales le prolongement des diagonales du carré intérieur; seize petits triangles remplissent les vides. Le champ intérieur des ellipses est occupé par des fleurons, celui des grands triangles par des fleurs et celui des hémicycles par des poissons. Les encadrements et les cordons sont agréablement mélangés de bleu, de blanc, de rouge et de vert. Le compartiment du centre a été détruit ainsi qu’une partie de la mosaïque par l’incurie de l’ouvrier. Dans les ruines romaines de Romanel sur Morges on a trouvé un plat de cuivre étamé; il est entouré de ciselures grossières et rappelle la métallurgie gauloise. Ecublens, Echandens, Bremblens, Echichens, Vaux, Clarmont, Apples, Réverolle, et Chardonnay ont aussi leurs débris. Il exista longtemps dans le bois des Biolettes près de Chardonnay des chambres ou cellules qui servirent plus d’une fois de refuge. Enfin Villars sous Yens est connu par une riche découverte de ces médailles impériales qu’on retrouve dans la plupart des ruines romaines et aussi quelquefois isolées, comme à Lavey, Montreux, Corsier, Carouge, Henniez, Marnand, la Lance, Bonvillars, Mathod, Suscévaz, Orny, Juriens et Vallorbe. /518/
IV. INSCRIPTIONS.
Le nombre des inscriptions romaines dans le canton de Vaud étant trop considérable pour pouvoir les transcrire toutes ici, nous nous bornerons à en citer quelques-unes.
Coppet.
|
VIXI VT VIVIS MORIERIS VT SVM MORTVVS SIC VITA TRVDITVR VALE VIATOR ET ABI IN REM TVAM |
Nyon.
|
ANNOR XII L PLINIO FAVSTI FIL SABINO |
C PLINIO
M. F. C. N. FAVSTO AEDILI II VIRO IVL EQ FLA MIN C PLINIVS FAVST VIVOS P. C. |
/519/ C. Plinius Faustus, de son vivant, a fait poser cette pierre à Caius Plinius Faustus, fils de Marcus et petit-fils de Caius, édile, duumvir et prêtre de la colonie julienne équestre, ainsi qu’à son fils Lucius Plinius Sabinus, âgé de 12 ans.
|
C. LVCCONI CO ...
TETRICI PRAEFECT. ARCEND. LATROC. PRAEFECT. PROIIVIR IIVIR BIS FLAMLNI D. AVGVST. |
Cette inscription, placée à l’angle septentrional de l’église de Nyon, est dédiée à Caius Lucconus Tetricus, de la tribu Cornelia, chef de la gendarmerie pour réprimer le brigandage, produumvir, duumvir pour la seconde fois et prêtre du divin Auguste.
Bière.
|
CAESIA VEGE
TA APOLLINI V. V. S. L. M. Volum volvit, solvit, lubens, merito. |
Ce marbre trouvé près du Soleure, dans le territoire de Bière, a été transporté à Lausanne dans la campagne du Jardin. /520/
Cuarnens.
|
D. M.
IVL DECVMINAE ETPOMPEAE REGINAE IVL VALERIANVS P. E. C. |
Julius Valerianus prit soin d’élever ce monument aux dieux mânes de Julia Decumina et de Pompea Regina.
Saint-Prex.
|
M. AVR ...
PIVS FEL GERM. MAX. BRIT. MAX. PONT. MAX. TRIB. POT. XVI IMP II COS IIII PROCOS FORTISSIMVS INVICTISSIMVSQ. M. AVG. INV. PACATOR ORBIS. VIAS ET PONTES VETVSTATE COLLABS RESTITVIT. |
Marc-Aurèle Caracala, revêtu de tous les titres de la flatterie, a fait rétablir les routes et les ponts qui tombaient en ruine par leur ancienneté. — Ce milliaire se voit sur le pont du Bouairon. /521/
Vidy.
|
SOLI GENIO LVNAE
SACRVM EX VOTO PRO SALVTE AVGVS TORVM P. CLOD. CORN. PRIMVS CURATOR VIKA NOR LOVSONNENSIVM II IiiiiI VIR AVGUSTAL C. C. R CONVENTVS HEL D. S. D |
Vœu adressé au soleil, au génie et à la lune pour la conservation des empereurs, par Publius Clodius, curateur des habitants de Lousonne pour la seconde fois, sevir augustal. Il a fait la dédicace de ce monument à ses frais et par le consentement du conseil de la Diète helvétique. (Voir Bochat, tom. III.)
Moudon.
|
PRO SALVTE DOMVS DIVIIV
I. O. M. IVNON. REGIN. ARAMQAEL. AV: NVS iiiiIV. AVG DE SVO AVTEM DONAVIT VICAN. MINNODVNNENS. XDCCL EX QVORVM VSSVR GYMNA SIVM INDERCI TEMPOR PER TRIDVMEISDEM VICAN DEDIT INA EVM QVOD SI IN ALIOS VSSVS TRANSFERR VOLVERINT HANC PECVN INCOL COL AVEN TICENSIVM DARI VOLO L. D. D. V. M. |
/522/ (Voir l’article Moudon et le Mercure suisse, janvier pag. 79 et avril pag. 80, 1735.)
Avenches.
|
IMP. CAES. VESP. AVG.
PONT. MAX. TRIB. POT. COSS I. DES. II P. P. LAPID. NOIDENOL. MVLT. LAB. TRACT. AVENT. MOEN RESTAVR. TIT. VESP. AVG. FIL. D. |
Titus érige ce monument à son père Vespasien, alors qu’il était consul pour la première fois et désigné pour la seconde, pour avoir tiré à grands frais, des carrières de Neuchâtel, les pierres dont il restaura les murs d’Avenches.
|
DEAE AVENT
C. IVL. PRIMI T TRIVMVIR CVR. COL. HE. F. A. CVR IiiiiI VIR D.D. SVA PECV. |
Caius Julius Primitius, triumvir, curateur de la colonie confédérée d’Avenches chez les Helvétiens et sevir, a consacré ce marbre de son argent à la déesse Aventia. /523/
|
... LEGATO
IMP. CAES. NERVAE AVG. GERM. LEG. XVI FLAVIAE FIRMAE ET LEGATO IMP. NERVAE TRAIANI CAESARIS AVG. GERMANICI DACICI LEG. VI FIRMAE SODALI FLAVIALI PRAETORI AERARI MILITARIS LEGAT. IMP. NERVAE TRAIANI CAESARIS AVG. GERMANICI DACICI PROVINCIAE LVGDVNENSIS CONSVLI LEGATO IMP. NERVAE TRAIANI CAESARIS AVG. GERMANICI DACICI AD CENSVS ACCIPIENDOS COLONIA PIA FLAVIA CONSTANS EMERITA AVENTICVM HELVETIORVM FOEDERATA PATRONO. |
A ... lieutenant sous Nerva, de la 16e légion surnommée flavienne, lieutenant de la 6e sous Trajan, vainqueur des Germains et des Daces, trésorier de la caisse militaire, gouverneur de la province lyonnaise pour recueillir les impôts. La colonie d’Avenches à son Patron. (Voir l’article d’Avenches )
Yverdon.
|
C. FLAVIO CAI..LL.
II VIR COL. HEL. FLAMIN. AVGVSTI QUEM ORDO PATRONVM CIVITATIS COOPTAVIT EIQ OBMERITA EIVS ERGA REM PVRLICAM SCHOLAM ET STATVAS DECREVIT VIKANI ERVRODUNENSES AMICO ET PATRONO |
Les habitants d’Yverdon à leur ami et patron, C. Flavius Camillus, duumvir de la colonie helvétienne, prêtre d’Auguste, que l’ordre a choisi pour patron de la ville et auquel il a décrété un portique et des statues pour ses services à la chose publique.
V. TOMBEAUX.
L’âge des bûchers est représenté dans les ruines de la colonie équestre. En 1840, un ouvrier occupé à creuser un fossé sur la place d’armes, vint à heurter un bloc calcaire grossièrement arrondi; une partie qui servait de couvercle s’en étant détachée, on vit qu’il renfermait une urne de verre remplie de cendres et recouverte d’un plateau. Ce vase contenait encore quelques fragments d’ossements calcinés et entre autres un anneau en or, qui révèle les restes d’un chevalier de cette colonie. Des urnes plus nombreuses, qui occupaient les niches d’un caveau souterrain près de La Sarraz, ont été détruites en même temps que ce columbarium. A Saint-Prex, de petits vases remplis de cendres reposaient dans des vases plus grands. Quelques endroits du même territoire recèlent des charbons et des ossements à demi-brûlés, des fragments de poterie, de grands clous à tête ronde, des fibules et des vases destinés à contenir quelques liquides; le col de ceux-ci est étroit et le ventre aplati; l’un, de fort petite dimension, porte en relief des chiens, des lièvres, des écrevisses et des grenouilles. Des urnes cinéraires se rencontrent /525/ aussi à Chavannes près Ecublens, Cheseaux, Corcelles le Jorat et Palézieux à la Mollie aux Blancs.
A côté des morts déposés dans les tombes, on rencontre parfois des objets qui ne laissent aucun doute sur l’époque et le peuple auxquels ils appartiennent. Tel est le cas de ceux de Longirod qui renfermaient des fibules et des anneaux d’une très jolie forme, avec un beau bracelet en bronze habilement bosselé. A la Linière, prés du bois de Prangins, on découvrit en 1792 des tombes de briques avec des armes en bronze argenté et des médailles d’argent de Constantin-le-jeune, de Julien l’apostat et de Valentinien. Au Bouairon près de Morges, et à Villeneuve (Pennilucus), quelques monnaies, des débris d’armure et des vases, nommés communément lacrymatoires, accompagnaient des ossements humains. Dans des tombeaux de Saint-Sulpice se trouvaient des lacrymatoires, des agrafes, un anneau en or et une boucle d’oreille. Ceux de Daillens contenaient des épées, des anneaux en bronze et des fibules. Auprès des squelettes découverts à l’Isle reposaient de petits vases de verre et de terre; ces derniers étaient remplis de monnaies romaines du IVme siècle. Les tombeaux découverts ces dernières années sur le Crêt du Verney, près du village de Bière, ont pu être observés avec soin. Un assez grand nombre de squelettes étaient couchés dans une terre noirâtre qui recouvre les couches de sable et de gravier dont est composée la colline. Ici l’usage des peuples anciens de tourner les pieds du mort vers l’orient n’avait pas été observé. De nombreux ornements paraient les squelettes étendus sur le dos. Les bras croisés sur la poitrine avaient parfois jusqu’à six bracelets en bronze; c’étaient, chez quelques-uns, des /526/ boucles rondes dont les extrémités sont entièrement rapprochées, tandis que d’autres, plats et ornés de ciselures, se terminaient par deux têtes de serpents que joignait une petite agrafe. Autour du tibia se trouvaient aussi des anneaux et près de la tête on avait presque toujours déposé un vase orné de dessins sur lequel était un couvercle. Quatre médailles en bronze, provenant de ce cimetière, portent l’effigie des empereurs Valentinien, Gratien et Théodose le Grand. En 1769, on rendit au jour à Yverdon, près des moulins, plusieurs squelettes dont la tête regardait l’orient. Couchés dans le sable, ils avaient entre les jambes des vases de verre et de terre avec des lampes sépulcrales et de petits plats d’argile rouge dans lesquels on pouvait distinguer des os de volaille bien conservés. A côté des squelettes se trouvaient des médailles du IVme siècle.
Il est à regretter que nous ne puissions ajouter aux découvertes que nous venons de parcourir dans ce paragraphe, une description des sépultures d’Aventicum. Leur étude serait d’un grand prix pour nos recherches dans ce genre de monuments. Mais, soit qu’elles aient été détruites anciennement, soit qu’elles restent encore enfouies dans le sol, nous ne pouvons prendre pour point de comparaison les quelques sarcophages trouvés sur ces débris. — Les cimetières qu’il nous reste à examiner offrent tant d’éléments d’une nationalité et d’un âge étrangers à Rome, que nous devons en faire le sujet d’une troisième partie.
/527/
DÉBRIS NON ROMAINS DES PREMIERS SIÈCLES DE L’ÈRE CHRÉTIENNE JUSQU’A CHARLEMAGNE.
Les Druides persécutés par les serviteurs des dieux de Rome durent plus d’une fois, dans leurs jours de danger, confier des dépôts sacrés à la terre. C’est peut-être à ce temps qu’il faut attribuer les serpes, les haches, les marteaux et les fers de lance en bronze retrouvés à Allaman. — Sur les hauteurs de Lutry, à la Gantenaz, des haches, des couteaux et d’autres instruments en cuivre, destinés aux sacrifices, semble-t-il, étaient accompagnés de patères, de coupes et de plats de terre, portant le nom de Vindonnissa, lieu de leur fabrique, ce qui fait remonter à l’époque dont nous nous occupons l’âge de ces objets. Un chêne d’une épaisseur peu commune les recouvrait; tout miné par les ans, il réunissait quelquefois une famille dans son intérieur, mais un jour la foudre frappa le vieil arbre; la tige et les rameaux ayant été enlevés, on finit par extirper les profondes racines sous lesquelles reposait le depôt mentionné.
D’autres découvertes appartiennent aux inhumations. L’une d’entr’elles est remarquable par sa richesse, le nombre des tombeaux et les siècles successifs qu’elle représente. Nous voulons parler du cimetière de Bel-Air, près de Cheseaux sur Lausanne. — La colline sur laquelle reposent ces antiques sarcophages appartient aux /528/ dernières ondulations du Jorat; située au midi de Cheseaux, elle est séparée du village par un ruisseau qui l’entoure à moitié. Dès longtemps le soc de la charrue heurtait les dalles des tombeaux, et l’agriculteur en avait bouleversé un si grand nombre qu’on croyait qu’il n’en restait aucun. Cependant des fouilles entreprises depuis 1838 en ont déjà rendu au jour 246. Leur longueur moyenne est de 6 pieds sur 2 de large, et leur direction va du nord-ouest au sud-est. La nature du sol et la disposition de ces tombeaux en plusieurs couches apportent quelque variété dans la construction. — Ceux de la couche supérieure, situés à 2 ou 3 pieds au-dessous de la surface du sol, sont formés en partie de grandes pierres brutes, plates et schisteuses, posées de champ; 2 ou 3 composent le couvercle, quelquefois le fond est plaqué, et toujours la terre a comblé le vide. Parfois, des murs secs ou des pierres informes remplacent les dalles. Plusieurs ont été taillés dans un banc de roc, recouvert à peine d’un pied de terre. Les autres ne présentent qu’un squelette couché en terre libre. — Dans les deux couches inférieures, qui ne dépassent pas 6 pieds en profondeur, jamais dalles, ni pierres, n’ont entouré le mort. Celui-ci, couché sur le dos, a toujours les pieds tournés au levant, les bras sont étendus le long des côtés, et, si c’est un guerrier, la droite repose sur son arme. On peut rarement lever un crâne entier, tant ces débris sont friables. Leur caractère distinctif est une figure allongée, une mâchoire forte, des pommettes relevées, un front court et étroit, et la tête fort développée en arrière. Les membres, généralement forts, sont volontiers d’une grandeur moyenne. Parfois, dans les tombeaux les plus profonds, quelques traces révèlent à peine la /529/ présence d’un squelette. Cette différence de décomposition montre déjà que ce cimetière a été ouvert pendant une longue série d’années, des ossements jetés à coin et sans aucun ordre dans la couche supérieure témoignent aussi que plusieurs morts occupèrent successivement la même tombe.
Cent dix-neuf sarcophages de constructions diverses renfermaient des armes, des agrafes, des boucles, des anneaux, des colliers, des vases et d’autres ornements en métal, en terre cuite ou en verre.
Les armes sont des coutelas en fer, larges, forts, pointus et tranchants d’un côté. Ils reposent ordinairement le long du fémur droit, sur une lame beaucoup plus petite, et conservent les traces de poignées en bois. — Un fer de pique, un fer de flèche en fer, deux en silex et une pointe en os appartiennent encore aux armes offensives.
Les agrafes, placées sur le côté droit du bassin, sont composées d’une plaque, d’une boucle, d’un ardillon et du lien qui unit ces trois pièces. La plaque est le plus souvent carrée, ronde ou triangulaire, et ornée de rosettes ou têtes de clous, au nombre de 3, 4 ou 9, qui présentent en-dessous de forts tenons destinés à entrer dans le cuir de la ceinture. L’ardillon est massif, et la boucle à peu près ovale. Des ciselures recouvrent les agrafes en cuivre, dont deux rappellent par leur étamure la métallurgie gauloise. Celles de fer offrent parfois des incrustations de lamelles d’argent ou de filets d’une finesse extrême, formant des entrelacs divers et disposés pour les encadrements en lignes droites, parallèles, obliques et brisées. Plusieurs plaques du même travail ornaient /530/ souvent le même ceinturon. Sur ces pièces lourdes et massives, de même que dans la première période, c’est l’ornement de détail qui prévaut.
Bien des tombes ne contenaient autre chose que des boucles, aussi en possédons-nous 24 en fer et 36 en bronze. Elles sont généralement ovales et munies d’un gros ardillon. Quelques-unes ont été coulées; d’autres portent des rayures et des disques. Les boucles d’oreille sont grandes et rondes, et les bagues en argent ou en cuivre sont pour la plupart munies d’un chaton.
Ce n’est qu’auprès des femmes et des enfants que se sont trouvés les colliers; du moins, jamais des armes ne reposaient dans la même tombe. Ils consistent en grains de terre cuite, d’émail et de verre de couleur. L’un, en succin, a près d’un pouce de diamètre, tandis que d’autres sont tout à fait pareils à ceux qu’on unit de nos jours à la soie pour divers travaux d’agrément. Le plus souvent c’était au pied du mort qu’on déposait le vase sépulcral. L’argile, grise et jaunâtre, est loin d’atteindre la finesse de la poterie romaine; rien ne rappelle le lacrymatoire; les vases sont évasés au sommet, à moins qu’ils ne portent une anse et un goulot; ceux qui sont en pierre ollaire, travaillés au tour, représentent un cône tronqué renversé; deux, en verre, ont la forme d’une petite bouteille et d’une coupe arrondie à sa base.
Il se trouvait encore dans ces tombes des épingles à cheveux, une fibule, des ornements de fourreaux, une petite mosaïque sur bronze, des clefs, des peignes en os accompagnés de ciseaux à ressort, un croissant en argent, des verroteries, des silex informes et un fragment de quarz. /531/
Tels sont les débris qui caractérisent la découverte de Bel-Air; mais, chose curieuse, soit pour l’art, soit pour le nombre des objets, les tombeaux suivent une marche ascendante, en sorte que les moins profonds sont les plus riches et les plus ornés. Ces restes révèlent un développement de civilisation chez plusieurs générations d’hommes, à partir de l’ère chrétienne, tandis que chez les Romains la marche est inverse, à partir du siècle d’Auguste.
Dans la couche inférieure ce sont les boucles qui prédominent. Le bronze s’y rencontre plus souvent que le fer; les coutelas et les grains de colliers sont moins nombreux et moins bien travaillés que plus haut. On y a découvert seulement deux agrafes en cuivre dont l’une est un produit de la métallurgie gauloise. Auprès d’un squelette, des ciseaux à ressort accompagnaient un peigne renfermé dans un étui en os, chargé de disques et de demi cercles. On y rencontre aussi le croissant, les silex et le métal coulé.
La couche moyenne offre déjà un perfectionnement sensible dans le travail des objets. Les boucles commencent à se recouvrir de quelque ornementation. On y trouve les agrafes en fer, mais sans incrustations de filets d’argent. Sur une plaque de cuivre est gravé un quadrupède ailé à tête d’épervier. Deux médailles en bronze, malheureusement frustes, sont romaines. Les coutelas, les lames, les grains de collier, les silex, des débris divers et la pointe en os mentionnée appartiennent encore à cette classe de tombeaux.
C’est dans la couche supérieure, reproduisant la plupart des débris précédents, qu’on doit chercher les pièces les plus remarquables. Les coutelas forts et acérés, accompagnés de petites lames et de débris de fourreaux, y /532/ sont nombreux. Elle possède 6 agrafes en bronze, 17 en fer uni, et 19, y compris les plaques de ceinturon, chargées de filets d’argent incrustés. La forme des boucles y est parfois gracieuse, les silex y paraissent encore; et là seulement, on rencontre les vases. — Au milieu des tombeaux de guerriers on voit celui d’une mère portant son enfant sur son sein. Ailleurs, des enfants sont entourés d’objets divers, témoins des regrets qu’ils ont laissés. Cinq perles étaient devant la figure de l’un, et deux, les plus grosses, dans la terre qui remplissait en partie le crâne. Six d’entre elles sont d’un verre bleu, vert ou brun; la septième, sur une matière noirâtre présente deux croissants et un cœur incrustés. Un autre squelette d’enfant, déposé dans le roc taillé avec soin, avait auprès de lui une grande bague, une fibule en bronze et trois clefs. Plus loin, la tombe d’une jeune fille était richement ornée. La ceinture portait une agrafe et une boucle; 86 perles forment le plus beau collier de cette découverte; deux boucles d’oreille sont d’un joli travail; des losanges en argent avec des verres enchassés étaient des ornements de coiffure, ainsi que des filigranes insaisissables à la main; il s’y trouvait en outre une épingle, les fragments d’un peigne en os et deux bagues, l’une en argent et l’autre en fer. — Deux bagues d’argent se voyaient aussi à la main gauche d’un guerrier, tandis que la droite reposait sur son coutelas; l’argent et des ciselures profondément gravées recouvrent l’agrafe allongée et les quatre plaques de son ceinturon; un fer de pique et un vase en verre étaient déposés à ses pieds. Le sarcophage d’un autre guerrier contenait un coutre de charrue, un éperon en fer dont la pointe est sans molette, une agrafe, /533/ un peigne en os, des ciseaux à ressort, un poignard et un coutelas orné d’un pommeau et d’un bourrelet au lieu de croisière, et revêtu des débris d’un riche fourreau. Deux tombes de la couche supérieure conservaient des médailles impériales de l’époque de la domination romaine. Auprès d’un squelette, qui reposait immédiatement sur deux tombeaux plus anciens, se trouvaient des monnaies de Charlemagne qui montrent que les inhumations se poursuivirent sur cette colline durant la première moitié du moyen âge.
Tous ces restes de générations successives déposées dans la terre, ce développement de l’art et ces traces des nationalités du nord et de l’Italie, donnent à l’antique cimetière de Bel-Air une grande valeur historique que viennent compléter des découvertes pareilles faites dans le canton de Vaud.
Dans des sarcophages d’une construction analogue, au milieu de coutelas et de pièces damasquinées, on retrouve des plaques d’agrafe en bronze de la même forme que celles de fer, couvertes des traces d’un culte étranger, introduit dans les Gaules quelque temps avant le christianisme. Sur des agrafes d’Arnex, Pampigny et d’Yverdon, on voit, comme à Bel-Air, des quadrupèdes ailés à tête d’épervier. Celles de Marnand, de Bofflens et d’Echallens, divisées en cinq compartiments, portent dans celui du milieu la croix des chrétiens. De chaque côté, un homme, avec une tête d’animal et le pouce de la main droite sur les livres, est en attitude d’adoration devant la croix. Il tourne le dos à la figure allégorique gravée à chaque extrémité de la plaque, et semble indiquer la conversion au christianisme. L’image du Sauveur bénissant est gravée /534/ sur des agrafes de Bofflens et de Tolochenaz. D’autres de Sévery, de Montgifi, près Cossonay et de Lavigny ont pour sujet un homme les bras élevés entre deux quadrupèdes qui lui lèchent les pieds. L’un rappelle par son inscription le vœu fait à Nasualdus Nansa qu’il soit chrétien et qu’il jouisse avec bonheur de cette agrafe qu’il paraît avoir reçue en don: NASVALDVS NANSA VIVAT DEO. VTEREFELEX. DANINIL. Le dernier mot révèle que le sujet de ces pièces est le prophète Daniel dans la fosse aux lions.
Les tombeaux d’Arnex renfermaient des boucles, des anneaux, des ciseaux à ressort, des coutelas et d’immenses agrafes, incrustées de filets en argent et en or. — Ceux de Bofflens offrent quelques alignements bientôt interrompus; alentour, ce sont des ossements humains entassés ou déposés sans aucun ordre. Ici, un squelette isolé; là, plusieurs réunis avec leurs armes; ailleurs, sous les racines d’un vieux noyer, celui d’un homme et de son cheval; plus loin ce ne sont que des ossements de chevaux; dans un autre lieu, ils sont réunis à ceux de leurs cavaliers. Ces débris, ainsi répandus sur les collines entre Arnex, Croix et Bofflens, disent assez qu’une bataille a été livrée sur ces hauteurs. — Aux Condemines, près d’Echallens, sont des ossements et des débris pareils, quoique en moins grand nombre. — Sévery présente un cimetière régulier. Une tuile romaine entrait dans la construction d’un tombeau d’enfant. Des grains de collier, des vases d’argile et de pierre ollaire, une médaille d’Antonin-le-Pieux et deux plaques damasquinées ont été recueillies. Au milieu des coutelas, courts et pointus, s’est trouvée une grande lame tranchante des deux côtés, flexible et arrondie à son extrémité, qui rappelle l’ancien sabre /535/ national que l’Helvétien dut perfectionner, comme l’avaient déjà fait les Gaulois d’Italie, en le rendant acéré et plus court. Un autre sarcophage renfermait un coutelas et une balance à deux bassins, de fort petite dimension; ces pièces n’indiquent-elles pas un homme qui d’une main appréciait le droit, tandis que de l’autre il vengeait la justice? — Des attributs tout à fait pareils ont été découverts à Lonay sur Morges, dans une tombe construite en murs et pavée au fond. La balance était à droite tandis que l’épée à deux tranchants, grande et large, reposait le long du bras gauche. Une boucle, un fragment de verroterie, des silex et une aiguillette ornaient cette tombe, avec un fer de javelot et les fragments d’une belle coupe en verre. — Non loin de Lonay existait le vaste cimetière de Tolochenaz, dont les matériaux ont servi à des constructions modernes. Les ornements consistaient en agrafes incrustées d’argent et en vases de pierre ollaire. — Lavigny conservait dans ses tombeaux en dalles, des boucles, des anneaux, des bagues, des colliers, un objet pour l’encens, une fibule circulaire en or avec des verres de couleur, des lamelles d’os couvertes de disques et servant d’étui à un peigne, une plaque de terre cuite ornée de verres enchâssés, des agrafes, un fer de lance, des coutelas et une grande épée. — Sur une hauteur qui domine Chavannes et l’ancien Lousonnium, deux sarcophages se distinguaient de ceux qui les entouraient par leur grandeur et leur conservation. Après en avoir enlevé les couvercles, les squelettes parurent dans un vide, sans être, selon la coutume, entourés de terre. Ils avaient été protégés par un double cercueil en plateaux de chêne dont il restait quelques débris. A côté des coutelas et des agrafes, la pièce /536/ la plus remarquable était une hache en fer à un seul tranchant. - Une hache d’une forme un peu différente, mais aussi à un seul tranchant, se trouvait auprès des squelettes couchés en terre libre à La-Chaux, près Cossonay, avec une agrafe, une boucle, des coutelas et des fers de javelot. — Beaucoup de ces sarcophages ont été détruits à Romanel sur Lausanne. L’agrafe, qui a été recueillie, munie d’une contreplaque, est remarquable par sa grandeur et la richesse des lamelles d’argent incrustées sur le fer. — Romanel sur Morges offrait, comme Bel-Air, des couches superposées, mais qui ont été bouleversées sans aucun soin. Bussigny et Senarclens présentent des débris pareils. — Près d’Ursins on a découvert anciennement des coutelas et des agrafes avec étamure sur cuivre et damasquinure sur fer. — Coutelas et agrafes damasquinées se retrouvent à Combremont-le-Grand, près de Grandson, en Brie, au Tombé sous Champagne et au Tombé près de Corcelles.
Il est plusieurs cimetières antiques dans lequels l’existence de la damasquinure sur fer n’est point constatée bien que les tombeaux soient construits en dalles ou taillés dans le roc, et qu’ils contiennent des coutelas et des lames de fer. Tel est le cas de ceux de Bière, Saint-Prex, Echandens, Vufflens-la-Ville, Crissier, Bettens, Ogens, Moringes près Moudon, Courtilles, Lovatens et Sugnens.
D’autres n’ont pour principal caractère de leur antiquité que d’avoir été taillés dans le roc ou construits en dalles, en murs, en tuf, en briques ou en tuiles romaines. On retrouve de ces tombeaux à Mies, Genollier, Gilly, Vincy, Channivaz, Pully, Cully, Riez, Saint-Légier, Clarens, Palézieux, Peney-le-Jorat, Rossanges, Villarzel, /537/ Baumes, Vuitebœuf, Ferrières, près La-Sarraz, La-Praz, au Signal près Cossonay, à Ballens, Renens, Prilly, Jouxtens-Mézery et au Mont sur Lausanne.
Dans bien des localités, des squelettes couchés en terre libre, ne peuvent être rattachés à une époque un peu certaine, lorsqu’ils n’ont d’autre gage de leur ancienneté que la friabilité de leurs ossements.
Sans vouloir faire rentrer tous ces cimetières dans la classe de celui de Bel-Air, il en est assez qui sont suffisamment déterminés pour répondre à la même époque et au même peuple. La construction des tombeaux, les armes, les ornements, la poterie présentent un tout caractéristique; mais au milieu de ces débris les pièces les plus importantes sont les agrafes en bronze et en fer. Celles en bronze montrent par leurs ciselures la naissance d’un art nouveau et l’introduction du christianisme dans l’Helvétie occidentale, où l’on sait qu’il pénétra de bonne heure. A la fin du second siècle, Irénée envoyait déjà de Lyon de nombreux missionnaires dont l’œuvre ne put être anéantie par la persécution. La colonie équestre (Noviodunum) et Aventicum ne tardèrent pas d’avoir des évêques. Dès lors, l’armure du guerrier porte l’empreinte de sa foi nouvelle. Des ciselures grossières représentent au milieu des disques le Christ bénissant, ou bien des hommes tournent le dos à des figures allégoriques pour adorer la croix. Le prophète Daniel dans la fosse aux lions, gravé sur plusieurs pièces par des artistes différents, et reproduit dans les catacombes de Rome à côté de l’arche de Noé sur les tombeaux des premiers chrétiens, paraît faire allusion à quelque délivrance miraculeuse. Comme Daniel menacé par les hommes et sauvé de Dieu, le christianisme sort /538/ vainqueur de la lutte; comme ces lions qu’on voit léchant les pieds du prophète, ceux qui semblaient devoir repousser la religion divine l’embrassent à leur tour. Cependant, par la représentation même de ce triomphe, des traces de l’ancien art et de l’ancien culte sont conservées, tandis que les inscriptions qui accompagnent quelques uns de ces sujets commencent à s’éloigner des caractères latins et à se ressentir de l’approche du moyen âge. Un fait analogue se reproduit par la damasquinure des agrafes en fer. Bien que l’usage d’incruster les métaux soit fort ancien et se retrouve chez les Grecs et les Romains, il n’en offre pas moins quelque chose de nouveau dès qu’il se présente sur le fer. Toutefois la disposition des filets d’argent rappelle les rayures sur bronze des Celtes, des Germains et des Scandinaves. Dans l’encadrement de ces plaques, les lignes droites parallèles et brisées offrent des dessins analogues à ceux que nous avons vus sur divers objets de la première période; mais, au centre, les contours et les entrelacs des fils révèlent chez l’artiste une main plus flexible et l’influence d’une civilisation étrangère. On dirait que la ciselure sur bronze ait passé sur le fer et que pour mieux faire ressortir ce genre de travail on ait fini par incruster dans les rayures les filets d’or ou d’argent. Il est intéressant de retrouver ces entrelacs sur la pierre, l’os, le bronze et l’argent, mais sans incrustation, dans la dernière période du paganisme chez les Scandinaves, et de les voir se reproduire sur quelques colonnes et chapiteaux d’anciens temples chrétiens. — A cette même époque, paraissent dans le Nord quelques agrafes pareilles aux nôtres; l’incrustation des filets d’argent sur le fer, quoique extrêmement rare, y est aussi représentée, mais quand ce /539/ genre d’art y fut introduit, il avait reçu de grandes modifications chez les peuples avec lesquels le christianisme finit par mettre en relation les populations plus stables de l’ancienne Scandinavie, en sorte qu’il passa presque inaperçu.
Pour déterminer l’époque qui embrasse nos monuments, nous devons recourir à la découverte de Bel-Air. La tombe à fleur de terre qui reposait immédiatement sur deux autres et renfermait les 10 monnaies de Charlemagne peut être regardée comme donnant la dernière époque pendant laquelle on inhuma sur cette colline. De plus, 2 bagues provenant de 2 tombeaux de la couche supérieure portent sur leur chaton des monogrammes qu’on ne rencontre que sur les tiers de sol mérovingiens. Ces faits assignent ainsi à cette couche, c’est-à-dire à la partie la plus importante de ces débris, les premiers temps du moyen âge jusqu’au IXe siècle. Il est plus difficile de déterminer l’époque à laquelle on commença d’inhumer sur la colline de Bel-Air. Dans tous les cas, l’absence de médailles dans la partie la plus inférieure, la plus grande décompositiop des squelettes et un art beaucoup moins avancé témoignent d’un âge plus reculé. Peut-être était-ce déjà dès les premiers siècles de l’ère chrétienne le lieu de sépulture des habitants de l’ancien Cheseaux dont le territoire conserve de nombreuses ruines romaines, tandis que l’étranger d’Italie, mêlé aux Helvétiens, aurait déposé ses morts ailleurs, comme paraissent le montrer d’autres tombeaux et des urnes cinéraires trouvés dans les champs voisins de Bel-Air.
Les monogrammes et les médailles, qui donnent à ces monuments un âge moins reculé qu’on ne l’a souvent cru, /540/ sont d’une grande valeur pour la question historique, ainsi que la succession paisible de ces tombes et leur nombre dans toute la Suisse occidentale. D’après cela on est obligé d’y voir les restes d’un peuple assis dans ces contrées; et quel pourrait-il être, sinon les Burgondes qui s’y établirent dans la première partie du Ve siècle? Mais la question se complique quand on porte ses regards sur les découvertes analogues faites en divers pays. Des débris pareils se trouvent en plusieurs lieux du grand-duché de Bade et au delà sur les bords du Rhin. Ils étaient déjà constatés en Wurtemberg et en Bavière avant la riche découverte de Nordendorf, près d’Augsbourg. Ces antiquités, prises pièce par pièce, offrent une reproduction parfaite les unes des autres, mais vues dans leur ensemble elles présentent des éléments différents. C’est ainsi qu’à Nordendorf les grandes épées en fer, les vases, les colliers et les métaux précieux sont beaucoup plus nombreux que dans la Suisse occidentale, tandis que les damasquinures y sont fort inférieures et que les plaques en bronze avec des sujets chrétiens n’y sont pas du tout reproduites. Il en est de même dans le canton de Bâle, où une centaine de ces tombes ont été ouvertes près de l’ancienne Augusta Rauracorum. Ce cimetière est postérieur à la destruction de cette cité, comme le montrent les sarcophages construits de débris romains, d’inscriptions latines et de bassins en pierre recouverts parfois d’une dalle sur laquelle est sculptée la croix latine. — Le caractère général des objets découverts près d’Augst dans le canton de Bâle est le même qu’en Bavière, bien qu’Augst soit plus éloigné de Nordendorf que de Bel-Air. Ce fait nous confirme dans l’opinion des archéologues qui attribuent ces /541/ monuments des bords du Rhin et de l’Allemagne méridionale aux Allemani, car les environs d’Augst furent occupés par ceux-ci et non par les Burgondes, ce qui explique l’analogie parfaite de cette découverte avec celle de Nordendorf. Mais nous ne pouvons partager la manière de voir de ceux qui veulent retrouver des Allemani à Bel-Air, vu que ce peuple devrait pour cela avoir occupé jusques à Charlemagne l’Helvétie occidentale, où il n’a fait que séjourner peu de temps avant l’établissement des Burgondes. Si l’on persistait à y voir des Allemani, il faudrait alors leur attribuer toutes les découvertes analogues de la Franche-Comté et de l’ancienne Bourgogne où la damasquinure et les agrafes à sujet se retrouvent avec des monnaies mérovingiennes. Mais ces découvertes ne s’arrêtent pas là, on en a fait de semblables dans plusieurs autres lieux de la France: ainsi près de Caen, dans les environs de Versailles et à Lens, dans le département du Pas-de-Calais. Les antiquités de Lens se caractérisent de leur côté par l’absence des longues épées, le nombre des verroteries et la présence fréquente des francisques. Il résulte du rapprochement de ces divers débris qu’il y a assez de rapports pour conclure à des peuples parents, à des époques peu distantes et à un art analogue, mais assez de dissemblances aussi pour pouvoir aller des Allemani aux Burgondes et des Burgondes aux Francs. Un champ nouveau est ouvert à l’étude, nous montrant la naissance d’un nouvel art, qui malgré l’influence romaine, offre de nombreuses réminiscences du Celte et du Germain, auxquelles viennent s’unir des éléments du christianisme. Là sont incontestablement d’importantes données pour les premiers siècles du moyen âge encore si obscurs. /542/
Ainsi ces anciens débris, dont plusieurs paraissent empreints de l’idée qui les produisit, nous reportent dans une vie et dans un monde passés dès longtemps. Malgré tout ce qu’on a découvert, malgré les destructions annuelles, la riche mine de nos antiquités est loin d’être épuisée. Dans plus d’un lieu, la voûte souterraine retentit sous la pelle de l’agriculteur et l’herbe jaunit sur les murs rasés à fleur de terre. Bien des ruines n’ont été qu’effleurées, bien des sarcophages n’ont été qu’entr’ouverts. Si l’esprit de conservation vient en aide à l’étude de nos monuments, si l’on comprend une fois que recueillir sans rechercher est insuffisant, alors il sera peut-être possible de répandre un nouveau jour sur l’histoire ancienne de la patrie.
/543/
LIEUX DES DÉCOUVERTES
Depuis les temps les plus reculés jusqu'à la domination romaine
- Agiez
- Allaman
- Belvédère (Lausanne)
- Bordonnette (Lausanne)
- Bex
- Bière
- Boiron
- Bonvillars
- Châtelard (Lavaux)
- Chalet à Gobet
- Champagne (Grandson)
- Chardonne
- Charpigny
- Chavannes sur le Veyron
- Chigny (Morges)
- Clos de la pierre (Grandson)
- Combremont-le-Grand
- Combremont-le-Petit
- Concise
- Corcelles près Concise
- Crissier
- Devens (Bex)
- Echallens
- Genollier
- Gingins
- Gollion
- Granges
- Entre Grandson et le Jura
- Juriens
- La-Côte
- La-Lance
- La-Mothe
- Lavigny
- Luissel (Bex)
- Les Planches
- Maracon
- Montagny (Yverdon)
- Mont-le-Grand
- Ollon,
- Palézieux
- Payerne
- Perroy
- Petra-felix
- Pierra-Portay
- Pizy
- Prilly /544/
- Rionzy (Mont sur Lausanne)
- Romanel sur Morges
- Saint-Légier
- Sermuz
- Suchy
- Trevelin
- Trey
- Verschiez
- Valeyres sous Ursins
- Vevey
- Villarsel
- Yverdon
- Yvorne
Lieux des découvertes d'antiquités romaines
- Aclens
- Aigle
- Allaman
- Antagnes (Ollon)
- Apples
- Arnex
- Aubonne
- Avenches
- Ballens
- Baume
- Baugi
- Benex (Nyon)
- Berolles
- Bière
- Boiron (Morges)
- Bois du Fai (la Mothe)
- Bois des Tours (Vuitebœuf)
- Bonvillars
- Borex
- Bosseaz (Orbe)
- Bossières (Savuy)
- Bremblens
- Buchillon
- Carouge
- Champagne (Grandson)
- Champvent
- Channivaz (Allaman)
- Chardonnay
- Chatelard (Lavaux)
- Chavannes (Ecublens)
- Chavornay
- Cheseaux
- Chevilly
- Chexbres
- Clarens
- Clarmont
- Clos du Moulin (Villeneuve)
- Coinsins
- Coppet
- Corsier
- Corcelles-le-Jorat
- Cuarnens
- Courtinaux (Lavaux)
- Crêt-Bernard (Lavaux)
- Cugi
- Cully /545/
- Curtilles
- Daillens
- Devent (Orbe)
- Donatyre
- Duillier
- Echandens
- Echichens
- Ecublens
- Essert
- Essertines (la Côte)
- Essertines (Jorat)
- Etoy
- Eysins
- Féchy
- Fully (Lavey)
- Gilly
- Gollion
- Goy
- Grancy
- Grandson
- Granges
- Henniez
- Joulens
- Jourdillon (Lavaux)
- Juriens
- La-Chaux
- La-Combe (Rolle)
- La-Sarraz
- Lausanne
- Lavey
- Lavigny
- La Lance
- Linière (Prangins)
- L'Isle
- Longirod
- Lovatens
- Marchissy
- Marnand
- Maracon
- Martinet
- Mathod
- Mauraz (l'Isle)
- Mauraz (Villeneuve)
- Muraz (Lavaux)
- Mézières
- Mies
- Miroir (Lavaux)
- Montherod
- Mont-la-Ville
- Montmagni
- Montreux
- Moudon
- Morrens
- Neyruz
- Nyon
- Orbe
- Orges
- Orny
- Palézieux
- Payerne
- Penthaz
- Perroy
- Peutex (Aigle)
- Pomy
- Prahins
- Prangins
- Praz-pourri (Lavaux)
- Prilly
- Renens
- Rennaz
- Réverolles
- Rivaz /546/
- Romanel sur Morges
- Romanel sur Lausanne
- Saint-Cierges
- Sainte-Croix
- Saint-Prex
- Saint-Maurice (Grandson)
- Saint-Saphorin
- Saint-Sulpice
- Saint-Triphon
- Salavaux
- Salence
- Saubraz
- Savuy
- Sermuz
- Sévery
- Suchy
- Suscévaz
- Sullens
- Taillepied (Lutry)
- Taxerex (Ollon)
- Tolovaux (Bret)
- Trelex
- Treytorrens
- Ursins
- Valeyres (Villeneuve)
- Valeyres (Champvent)
- Valeyres (Ursins)
- Vallorbes
- Vaux
- Veret
- Vernand-dessous (Romanel)
- Vevey
- Vic
- Villars (Champvent)
- Villars (Yens)
- Villeneuve
- Villette
- Vincy
- Vuarrens
- Vullierens
- Yverdon
- Yvonand
Lieux des découvertes d'antiquités des premiers siècles de l'ère moderne
- Arnex
- Bussigny
- Ballens
- Channivaz
- Baume
- Chavannes (Ecublens)
- Bel-Air
- Clarens
- Bettens
- Cossonay
- Bière
- Combremont-le-Grand, Bofflens
- Crissier
- Brie (Grandson)
- Cully /547/
- Curtilles
- Echallens
- Echandens
- Ferrière (La-Sarraz)
- Genollier
- Gilly-Vincy
- Jouxtens-Mésery
- La-Chaux
- La-Praz
- Lavigny
- Lonay
- Lovatens
- Marnand
- Mies
- Mont sur Lausanne
- Montgifi (Cossonay)
- Moringes (Moudon)
- Ogens
- Palézieux
- Pampigny
- Peney le Jorat
- Prilly
- Pully
- Renens
- Riez
- Romanel (Lausanne)
- Romanel (Morges)
- Rossanges
- Saint-Légier
- Saint-Prex
- Senarclens
- Sévery
- Tolochenaz
- Tombé s. Champagne (Grandson)
- Tombé près Corcelles (Grandson)
- Ursins
- Villarzel
- Vufflens-la-Ville
- Vuitebœuf
- Yverdon
Les mêmes localités renferment souvent des débris d'époques diverses reparaissant ainsi dans les differentes périodes, ce qui explique la répétition de plusieurs noms sur ces trois listes.