LES SIRES DE LA TOUR
MAYORS DE SION
SEIGNEURS DE CHATILLON, EN VALLAIS
ET LEUR MAISON
PAR
M. L. DE CHARRIÈRE
MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ D’HISTOIRE DE LA SUISSE ROMANDE
/178//179/
AVANT-PROPOS.
Si nous avons pu donner quelque étendue au Mémoire que nous publions aujourd’hui, nous en sommes surtout redevable à M. l’abbé Gremaud, professeur au Collège de Fribourg. Ce savant historien, connu, entre autres, par ses beaux travaux sur l’histoire du Vallais, a bien voulu mettre à notre disposition, avec une rare complaisance, les documents qui se rapportaient au sujet que nous traitions et qu’il a recueillis dans ses investigations dans diverses archives du Vallais. Nous sommes heureux de pouvoir lui donner ici un témoignage public de notre parfaite reconnaissance.
Senarclens, août 1867.
L’AUTEUR.
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INTRODUCTION.
Le caractère du peuple vallaisan, au moyen âge, s’harmonise avec la nature âpre et sauvage du pays qu’il habitait. L’histoire de ce peuple, remarquable à bien des égards, en fournit mainte preuve, et l’on y rencontre plus qu’ailleurs peut-être des scènes d’énergie et de violence. Les grandes races féodales du Vallais participèrent à ce caractère, dont celle des puissants sires de la Tour porte surtout le cachet. Nous avons recueilli, dans le présent Mémoire, les renseignements que les documents nous ont conservés sur ces seigneurs et le rôle prépondérant qu’ils ont joué en Vallais pendant plusieurs siècles. Malheureusement les documents qui les concernent sont peu nombreux, ayant péri, pour la plupart, avec les archives épiscopales, lors de l’incendie du château de Tourbillon (et d’une partie de la ville de Sion), /182/ dans l’année 1788 1 . C’est une perte irréparable, qui laisse dans l’obscurité plusieurs points de l’histoire des sires de la Tour, et, entre autres, celui de leur origine, restée inconnue.
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LES SIRES DE LA TOUR
PREMIER DEGRÉ.
GUILLAUME (I) DE LA TOUR
Mayor de Sion, vidomne d’Ollon et de Vouvry, l’un des barons du comte Humbert (III) de Savoie.
C’est vers le milieu du XIIe siècle qu’on rencontre les sires de la Tour dans l’histoire. Guillaume (Willelmus de Turre) est le premier d’entr’eux qui soit nommé dans les documents, ou du moins c’est depuis lui que l’on peut établir avec certitude la descendance de sa famille. Il y apparaît comme un homme puissant et violent, tout à la fois. Ce seigneur était mayor de Sion, tenant l’office héréditaire de la mayorie de cette ville, de l’évêque, comte du Vallais, en fief d’hommage lige. Cet office avait sans doute de l’importance, mais nous croyons qu’il en retirait surtout de la personne qui en était revêtue, et après qu’il eût passé, ainsi que nous le rapporterons, dans une autre famille que celle des sires de la Tour, on ne voit pas que /184/ les mayors de Sion aient eu l’importance qu’ils avaient précédemment. Au reste, il ressort de l’acte de la vente faite, dans l’année 1373, par le donzel Bertholet de Greysier, à l’évêque Guichard Tavelli, de la mayorie de Sion et de sa maison forte, que des droits de seigneurie, de juridiction et de mère et mixte empire étaient attachés à la prédite mayorie 1 . Guillaume de la Tour était, de plus, vidomne d’Ollon et de Vouvry, et tenait ces vidomnats soit seigneuries 2 en fief de la célèbre abbaye de Saint-Maurice d’Agaune. Enfin, il est désigné, dans un document de l’année 1177, comme étant l’un des barons du comte Humbert de Savoie, ce qui implique qu’il était un des feudataires immédiats de ce prince. Guillaume de la Tour aurait-il déjà tenu, de la maison de Savoie, d’autres fiefs que celui de Châtillon, ainsi que ce fut le cas de ses successeurs?
Quelle était l’origine de Guillaume de la Tour? Ce seigneur n’était pas le premier de sa race dans la position /185/ qu’il occupait, puisque, à raison de cette position, ses prédécesseurs avaient été en différend avec l’abbaye de Saint-Maurice (voir plus loin). De même, aussi, selon une des dispositions d’un traité fait entre Conon, évêque de Sion, et lui, dans lequel le sire Guillaume de la Tour apparaît comme mayor de Sion, celui-ci devait posséder, sans conteste, certains hommes (Boson et d’autres non nommés) que ses prédécesseurs avaient possédés en paix 1 . Nous inférons de ces circonstances que les prédécesseurs de Guillaume de la Tour avaient été déjà mayors de Sion et vidomnes d’Ollon et de Vouvry. A l’égard du nom que le sire Guillaume portait, nous croyons qu’il l’empruntait à la tour (soit au château) de la mayorie, à Sion, qu’il tenait en fief de l’évêque et où, sans doute, il résidait. Cette maison forte qui dominait la ville de Sion est appelée, dans les documents, maison de la Tour (domus de Turre). Les sires de la Tour en portaient l’empreinte sur leur sceau 2 . Guillaume pourrait avoir été le fils d’un Raymond de la Tour (de Tore), qui fut l’un des témoins de la restitution faite aux religieux de l’abbaye de Saint-Maurice, en l’année 1143, par le comte Amédée (de Savoie), son épouse Mathilde et leur fils Humbert, de la prévôté de cette abbaye. Pierre de Saillon, noble vallaisan, se trouve aussi dans le nombre des témoins de la charte de cette restitution, datée de Saint-Julien, en Maurienne 3 . Raymond de la Tour pourrait avoir été déjà mayor de Sion et feudataire du comte Amédée et de l’abbaye de Saint-Maurice, tout à la fois./186/
Notre historien J. de Muller estime que la famille dont nous nous occupons était d’origine dauphinoise 1 . Rien n’appuie, toutefois, cette opinion, quoiqu’il soit certain que plusieurs des grandes familles du Vallais ne fussent pas d’origine indigène, et ici nous citerons, comme exemples, les sires de Rarogne 2 et les comtes de Biandrate, vidomnes de Conches, de Naters et mayors de Viége. Il serait donc possible que les sires de la Tour, dans le principe, fussent venus en Vallais à la suite des comtes de Savoie, maîtres du Chablais et qui avaient étendu leur domination sur le Bas-Vallais, ayant même des feudataires dans le Haut-Vallais (tout comme les évêques de Sion, de leur côté, avaient des fiefs et des possessions dans le Bas-Vallais), et qu’ils eussent reçu des terres en fief de ces princes. Néanmoins, on ne peut faire que des conjectures sur ce point, car l’on ne sait rien de certain à l’égard des prédécesseurs de Guillaume de la Tour.
Celui-ci eut un frère, nommé Amédée, doyen de l’église de Sion en 1157 et qui en devint évêque (il l’était dans les années 1163 et 1168) 3 .
Aux nones d’avril de l’année 1157 de l’Incarnation, Louis, évêque de Sion, rendit, avec le consentement des /187/ intéressés, une prononciation destinée à ramener la concorde entre l’abbaye de Saint-Maurice et Guillaume de la Tour. De nombreux différends divisaient depuis longtemps les parties et avaient déjà existé entre la prédite abbaye et les prédécesseurs du dit Guillaume. Celui-ci avait fait à l’abbé Rodolphe de nombreuses et d’intolérables injures, qui avaient amené des altercations et des plaids. Voici les points principaux qui furent décidés par cette prononciation:
Lorsqu’il plairait à l’abbé de se rendre à Ollon et à Vouvry et d’y rendre la justice, il lui serait loisible de le faire, comme seigneur (quasi dominus), Guillaume de la Tour percevant alors les droits qui lui compétaient. En l’absence de l’abbé, celui-là, comme vidomne, rendrait la justice, et, de bonne foi, livrerait à l’abbé et à l’église, ce qui leur revenait à cette occasion 1 . Les pasquiers communs d’Ollon et de Vouvry ne seraient plus acensés sans le conseil de l’abbé, qui y aurait son droit de seigneur (dominium suum) et Guillaume de la Tour le sien. Celui-ci n’empêcherait pas les veuves de se remarier. Il n’accepterait plus les terres de ceux qui décédaient sans héritier, d’où il résultait une perte de service pour l’église (d’Agaune), mais le droit de les concéder à telles personnes qui rendraient à l’église son service, demeurerait à la dite église soit au conseil de l’abbé. Une des dispositions de la /188/ prononciation rendue par l’évêque Louis, prononciation qui s’étendit encore à bien des points qui paraissent avoir été étrangers aux vidomnats d’Ollon et de Vouvry, spécifie que Guillaume de la Tour prouverait son fief par l’épreuve du fer ardent, subie par des hommes du lieu 1 ; et que, quoique l’église (d’Agaune) et l’abbé pussent aussi prouver par l’épreuve du fer ardent les prétentions et les réclamations qu’ils avaient élevées contre le dit Guillaume et ses antécesseurs, cependant les premiers devaient rester en possession des choses réclamées, puisqu’une aussi longue et persévérante prétention de la part de l’église (d’Agaune) ne pouvait être injuste. Les parties donnèrent leur approbation à la prononciation de l’évêque Louis, ainsi que le doyen Amédée, frère de Guillaume de la Tour, et leurs amis. Elle fut rendue en présence de nombreux témoins, et l’évêque y apposa son sceau 2 .
Guillaume de la Tour fut, avec Aymon de Saillon, Falcon de Saxon (de Saisons), Pierre de Martigny et Guy d’Alinges, le témoin de la charte par laquelle Amédée (de la Tour), évêque de Sion, remit à l’abbaye de Saint-Maurice l’église de St. Sigismond, à Saint-Maurice et qui appartenait à la mense épiscopale, en échange de l’église de Nendaz et de plusieurs dîmes 3 . La date de cette transaction, qui n’est pas indiquée, doit être placée entre les années 1162 et 1178. L’évêque Amédée était frère de Guillaume de la Tour.
En l’année 1177, dans la vigile de la fête de St. Barthélemy, /189/ une transaction fut conclue, par l’entremise de Pierre, archevêque de Tarentaise, entre le comte Humbert (III de Savoie) et l’abbaye de Saint-Maurice, principalement au sujet d’une engagère donnée par le dit comte à l’abbaye précitée pour un prêt de mille sols. Cette hypothèque comprenait tout ce que le comte Humbert possédait ou réclamait dans la terre de Bagnes et d’Octiez (d’Etiez, aujourd’hui), dès le pont de St. Brancher. Le comte désigna quelques-uns de ses barons, savoir: Guy d’Alinges, Thibaud de Villette, Guillaume de la Tour, Aymon, fils du sire de Saillon et d’autres, qui seraient les otages de l’accomplissement de ses engagements. Aux termes de cette transaction, le comte conserverait, provisoirement, jusqu’à décision ultérieure, la réception (receptum) 1 , ainsi que les chasses d’Ollon et de Vouvry, mais il rendrait le plaît qu’il avait reçu de Guillaume de la Tour pour le fief de l’église (d’Agaune). Ce plaît formait le reste de fonds engagés une autre fois, et sa réception, par le comte Humbert, avait fait l’objet des plaintes de l’abbé de Saint-Maurice 2 . — Les successeurs de Guillaume de la Tour nous apparaîtront aussi comme hommes liges de la maison de Savoie et de l’église de Sion, tout à la fois. Cette double vassalité favorisa beaucoup la fréquente opposition des sires de la Tour aux évêques de Sion. /190/
Guillaume de la Tour eut de graves contestations avec l’évêque Conon, successeur de l’évêque Louis. Elles dégénérèrent en voies de fait, car ils se firent la guerre. C’est sans doute cette mésintelligence qui donna lieu, vers l’année 1179, à une convention entre les parties, moyennée par Aymon, archevêque de Tarentaise (il était le métropolitain de l’évêque de Sion). Ce curieux traité, dans lequel Guillaume de la Tour apparaît comme mayor de Sion 1 , spécifia plusieurs points des droits de l’évêque et de ceux du prédit Guillaume, surtout dans la ville de Sion, et il fixa comment se décideraient les différends qui pourraient surgir contre l’évêque et son mayor. Les cas peu importants seraient terminés par les citoyens, à leur arbitre, tandis que les différends majeurs seraient arrangés par les vassaux (per manum casatorum); s’ils ne pouvaient pas l’être, on recourrait alors, pour les terminer, au conseil et à la cour du seigneur archevêque (de Tarentaise), en temps et lieu opportuns, les parties ne s’offensant pas dans l’intervalle. L’évêque aurait, dans la ville de Sion, la taille /191/ annuelle et l’aide, celle-ci en cas de nécessité urgente, et l’une et l’autre avec modération. Il aurait aussi, sur tous les hommes de cette cité, les bans et la justice; de plus, les recommandés et les étrangers 1 appartiendraient à son propre ressort, s’il le voulait. A la prière de l’archevêque Aymon, l’évêque Conon concéda gratuitement à Guillaume de la Tour, sous réserve du droit de fief, celui d’Anselme de Châtillon (de Chastellon), que ce dernier avait abandonné au prélat. Et quoique les pasquiers communs dussent généralement appartenir sans conteste à l’évêque, cependant, à la prière tant de l’archevêque prénommé que des personnes qui s’étaient entremises dans le présent traité, l’évêque Conon concéda gratuitement au prédit Guillaume, à titre de quasi nouvelle inféodation, ceux que celui-ci avait mis en culture, au lieu dit en Champ sec. Dans ce traité le titre de sire (dominus) est attribué à Guillaume de la Tour 2 .
La concession faite par l’évêque Conon au sire Guillaume de la Tour du fief qui avait été tenu par Anselme de Châtillon ne doit pas être considérée comme l’origine de la possession, par les sires de la Tour, de la terre de /192/ Châtillon (Nieder-Gestelen, en allemand). Le fief concédé pouvait être situé à Châtillon, ou ailleurs, mais c’était sous la mouvance des comtes de Savoie que les sires de la Tour tenaient la terre de Châtillon, et cela, sans doute, dès le temps de Guillaume (I) de la Tour. Il ne faut pas perdre de vue que les comtes de Savoie avaient des feudataires dans le Haut-Vallais. Selon M. de Gingins les sires de la Tour étaient vassaux des prédits comtes pour la châtellenie de Châtillon et le vidomnat de la vallée de Lœtschen, qui en dépendait 1 . Notre historien J. de Muller rapporte que Guillaume de la Tour possédait le fief de Châtillon et l’habitait 2 , quoiqu’il nous semble plus probable qu’il ait résidé à Sion, dans la maison forte de la mayorie. Cet auteur ajoute que le prédit Guillaume tenait ce fief de l’évêque de Sion, faisant ici une confusion avec celui que lui avait concédé l’évêque Conon et qui était procédé d’Anselme de Châtillon 3 . Quoique possesseurs de Châtillon les sires de la Tour se sont seulement intitulés seigneurs (domini) de ce lieu depuis et y compris Pierre (IV) de la Tour, soit pendant les quatre dernières générations de leur famille, ce qui indiquerait assez, nous semble-t-il, que la construction du château fort de Châtillon datait de ce seigneur.
Guillaume de la Tour apparaît, sous l’année 1181, dans le nombre des témoins d’un accord fait entre l’évêque /193/ Conon et le chapitre de Sion, au sujet des hommes de Lowinen (hameau dans la paroisse de Brigue) 1 .
Nous avons dit précédemment que Guillaume de la Tour avait fait la guerre à l’évêque Conon. Il nous apprend lui-même cette circonstance dans une charte dont la date, qui n’est pas indiquée, doit être placée entre les années 1184 et 1195, dans le temps où Guillaume d’Ecublens occupa le siége épiscopal de Sion. Par ce document, Guillaume de la Tour, vivement repentant de ses excès et craignant le terrible jugement de Dieu, fait une donation en faveur de l’église de Sion, sa mère, en réparation de ses torts envers elle et des dommages qu’il lui a causés pendant qu’il était en guerre avec l’évêque Conon. Avec l’approbation de son épouse Guillaumaz et celle de ses fils Aymon et Guillaume, en vue de son âme, de celles de son père, de sa mère et de tous ses parents, et aussi de l’âme de son fils Pierre, celui-ci ayant gravement péché avec lui lors de la prédite guerre, il donne à l’église précitée quarante sols annuels et perpétuels, assignés sur la terre appelée Comblola 2 . En cas de non-payement de cette cense, l’église de Sion pourrait prendre possession de la dite terre et de ses hommes jusqu’au payement intégral de ce qui lui serait dû. Guillaume de la Tour fit sa donation en présence du vénérable évêque Guillaume (d’Ecublens), du doyen Séguin et de tout le chapitre de Sion, devant de nombreux témoins 3 . L’étiquette de la charte qui la constate attribue au donateur le titre de chevalier.
La donation dont nous venons de rapporter les dispositions /194/ eut lieu, sans doute, vers la fin de la vie de Guillaume de la Tour. Ce seigneur, selon le Nécrologe de l’église cathédrale de Sion (publié par M. l’abbé Gremaud), mourut le 19 octobre 1 . On ignore à quelle famille appartenait son épouse Guillaumaz, dont le décès, dans le même Nécrologe, est indiqué au 20 avril 2 .
La donation précitée de Guillaume de la Tour, en faveur de l’église de Sion, nous a appris qu’il fut père de trois fils, nommés: Pierre, Aymon et Guillaume. Le premier fut l’auteur d’une branche de la famille de la Tour qui, quoi que l’aînée, paraît-il, a eu peu de lustre dans ses dernières générations; nous en donnerons néanmoins, en premier lieu, la filiation. D’Aymon, le second, sont issus les sires de Châtillon, en Vallais, et les de la Tour, dits de Morestel, vidomnes de Bagnes et coseigneurs de Granges. Guillaume, le troisième fils du sire Guillaume (I), n’ayant pas fait branche, nous indiquerons ce qui le concerne dans l’article qui suit.
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DEUXIÈME DEGRÉ.
GUILLAUME (II) DE LA TOUR
Chevalier, copossesseur de la maison de la Tour, de Sion, feudataire de l’évêque de Sion et du comte Thomas de Savoie.
Ce troisième fils du sire Guillaume (I) de la Tour, qui approuva la donation, rapportée ci-dessus, de son père en faveur de l’église de Sion, apparaît dans l’année 1205, en qualité de témoin, avec Aymon de la Tour (son frère), lors d’une donation faite par Veta Deibruel et ses fils, en faveur de l’abbaye de Saint-Maurice, de deux prairies et de la cense d’un muid de vin. Guillaume de Saillon, évêque de Sion, fut l’un des témoins de cette donation 1 .
Guillaume de la Tour, chevalier, vécut en inimitié avec Landri (de Mont), évêque de Sion, son suzerain féodal. Aussi, par suite de ses nombreux torts envers cet évêque et l’église de Sion et des fréquentes injures qu’il leur avait faites, ses possessions (féodales), situées dans le territoire de Sion, tombèrent-elles en commise au profit de la mense épiscopale. Cependant, le prédit chevalier ayant fait sa paix avec le prélat et lui ayant donné une satisfaction suffisante, celui-ci, avec le consentement de son chapitre, les lui rendit, le 10 des kalendes d’avril 1210, sous les usages et l’hommage dus primitivement, à raison des possessions féodales précitées. L’acte de cette transaction est /196/ daté de la cour épiscopale 1 . Nous allons retrouver Guillaume de la Tour encore en différend, quelques années plus tard, avec le même évêque.
Une sentence arbitrale rendue dans l’année 1219, termina (ou devait terminer) les différends qui existaient entre l’évêque Landri, d’une part, et Pierre, Guillaume et Rodolphe, milites de la Tour 2 , d’autre part. Les points de cette sentence qui concernent spécialement Guillaume de la Tour sont les suivants:
1° Guillaume de Chalex demeurerait homme lige de l’évêque du vivant de son père, mais après la mort de ce dernier il serait fait, entre l’évêque et le sire Guillaume de la Tour, ce que la raison dicterait. 2° Comme le prédit sire Guillaume avait tué le sire Guillaume de Venthône (de Ventonnaz) qui était un vassal de l’évêque, et que, d’un autre côté, il avait percé de son glaive (percussit) un Espagnol dans la ville même (de Sion), la sentence décida que ces deux cas de meurtre resteraient pendants, si le dit Guillaume pouvait obtenir qu’il en fût ainsi; que, cependant, celui-ci servirait l’évêque (comme son vassal), lequel ne mettrait pas alors ces deux cas en cause, mais que, s’il ne voulait pas obéir au prélat, ce dernier les ferait juger par sa cour 3 .
Guillaume de la Tour prit part à la donation faite par son /197/ frère Aymon et son neveu Rodolphe, le 30 mars 1221, en faveur de la maison du Mont-Joux, de la chapelle de la Tour, de Sion (voir ci-après).
On trouve Aymon et Guillaume de la Tour nommés en tête des témoins laïques d’une convention faite, le 4e des nones de juillet de l’année 1219, entre le comte Thomas de Savoie et l’abbaye de Saint-Maurice, laquelle était relative aux droits réciproques des parties dans la vallée de Bagnes, ainsi qu’aux limites des possessions qu’ils y avaient 1 . Et lorsque Landri, évêque de Sion, et le même comte Thomas firent, dans l’année 1224, une composition au sujet de leurs prétentions réciproques, elle fut jurée, entr’autres, par Pierre et Guillaume de la Tour, comme garants du comte Thomas, tandis qu’on remarque Rodolphe et Aymon de la Tour dans le nombre de ceux qui la jurèrent pour l’évêque 2 .
Guillaume de la Tour était effectivement feudataire du comte Thomas de Savoie. Le traité d’échange et de paix fait dans l’année 1260, entre Henri de Rarogne, évêque de Sion, et Pierre de Savoie, rappelle la circonstance que feu le sire Guillaume de la Tour avait été homme lige du comte Thomas de Savoie, à raison de divers fiefs, en Vallais, desquels plusieurs personnes (qui sont nommées) /198/ avaient tenu quelque part et avaient été ainsi les hommes liges du prédit Guillaume de la Tour. Par l’échange précité Pierre de Savoie abandonna, entr’autres, à l’évêque de Sion, le fief qu’avait tenu feu Guillaume de la Tour 1 .
Lorsque, dans l’année 1229, Guillaume d’Ayent, fils du sire Amédée, se rendit vassal de Landri, évéque de Sion, à raison de la grande tour de son château d’Ayent et de ce qu’il tenait à titre d’alleu dans le dit château, il fut convenu que lorsqu’il n’y aurait qu’un seul fils dans la maison d’Ayent, lequel devait l’hommage lige au sire Guillaume de la Tour et à ses hoirs, celui-là pourrait prêter cet hommage, et, en réservant la prédite féauté, être homme lige de l’évêque et le servir en cette qualité, mais que néanmoins dès qu’il y aurait un second héritier dans la maison d’Ayent, celui-ci serait l’homme lige de l’évêque et lui ferait hommage. Le prélat promit de venir en aide, de son mieux, à Guillaume d’Ayent; il promit encore qu’il ne construirait pas la tour que Pierre de la Tour se proposait de faire dans le château d’Ayent 2 . Guillaume d’Ayent, nous semble-t-il, recherchait la protection de l’évêque de Sion contre la maison de la Tour.
Il résulte de tout ce qui précède que le sire Guillaume (II) de la Tour occupait une position importante en Vallais. On ignore l’époque de son décès, postérieure à l’année 1229. Aucune postérité de lui n’est connue. Comme /199/ l’on trouve plus tard la suzeraineté du fief d’Ayent dans les mains des sires de Châtillon, on doit présumer que le principal héritier de Guillaume de la Tour fut son neveu Pierre (II) de la Tour, ou bien Girold, fils de celui-ci, desquels les prédits sires étaient issus.
/200/
BRANCHE AÎNÉE
DEUXIÈME DEGRÉ.
PIERRE (I) DE LA TOUR
Nous présumons que Pierre était l’aîné des fils du sire Guillaume (I) de la Tour. Nous avons vu qu’il n’était plus vivant lors de la donation de son père en faveur de l’église de Sion, dans laquelle il est remarqué de lui qu’il avait gravement péché avec son dit père lors de la guerre faite par celui-ci à l’évêque Conon 1 .
Pierre de la Tour paraît dans une convention conclue, en l’année 1179, par l’intermédiaire d’Aymon, archevêque de Tarentaise, entre Conon, évêque de Sion, et le comte Humbert (de Savoie), marquis, en présence de leurs barons, laquelle fixait un mode de vivre entre les parties. On trouve Pierre de la Tour nommé en tête de ceux qui jurèrent la prédite convention pour l’évêque Conon et qui s’en portèrent les garants 2 . Cette circonstance corrobore, /201/ nous semble-t-il, notre opinion que Pierre de la Tour était l’aîné de ses frères. Guillaume de la Tour, vassal tout à la fois de l’évêque Conon et du comte Humbert, était remplacé par son fils aîné dans la garantie à donner pour l’évêque. Pierre de la Tour pourrait avoir rempli l’office de mayor de Sion par délégation de son père, qui lui survécut 1 . Il laissa un fils nommé Rodolphe, auquel est consacré l’article suivant:
TROISIÈME DEGRÉ.
RODOLPHE (I) DE LA TOUR
Chevalier, copossesseur de la maison de la Tour, de Sion.
Dans l’année 1214, Benoît, dit Mugniers, inféoda à Pierre de Duing un pré situé au Champ sec (apud campum /202/ siccum), qu’il tenait de Rodolphe de la Tour, chevalier 1 . On se rappelle que la convention faite entre l’évêque Conon et le sire Guillaume de la Tour (par l’entremise de l’archevêque de Tarentaise) avait assuré à celui-ci la possession des pasquiers communs, dits en Champ sec.
L’année suivante (1215), le nommé Jacques abandonna à Rodolphe, miles de la Tour, une maison construite en pierre, qu’il tenait de lui à titre de fief, et reçut en échange, du dit Rodolphe, le foin, dit Ordoneir, dans certain pré et deux poses et demie de terre à Bramois 2 .
Rodolphe de la Tour, neveu d’Aymon (I) et de Guillaume (II) de la Tour, s’associa à la donation, faite dans l’année 1221, par ses deux oncles précités, en faveur de la maison du Mont-Joux, de la chapelle de la Tour, de Sion 3 . On peut inférer de cette circonstance que Rodolphe de la Tour possédait, en indivision avec ses deux oncles, la maison forte de la mayorie. Cette copossession s’étendait-elle aussi à l’office même de la mayorie? Nous le présumerions.
Nous trouverons le chevalier Rodolphe de la Tour nommé plusieurs fois dans les documents jusque dans l’année 1232, et il en ressortira qu’il était un homme important en Vallais. Il vivait encore en 1234, et reconnut à cette date qu’il avait engagé au chapitre de /203/ Sion, sur les mains de l’évêque Landri, sa dîme de Leytron et de Montagnon, tant du vin que du blé, pour quatorze livres 1 .
Rodolphe (I) de la Tour laissa un fils, nommé Simon, et probablement encore un second fils portant le nom de Rodolphe, du moins celui-ci est-il désigné comme frère du dit Simon dans un document de l’année 1255 2 . Il eut aussi une fille, dont le prénom n’est pas indiqué, mais qui fut l’épouse de Rodolphe, vidomne de Conthey 3 .
Pierre, miles de Charpigny 4 , avait tenu du sire Rodolphe de la Tour un fief, à Authans 5 , que ses fils vendirent dans l’année 1240 6 .
/204/
QUATRIÈME DEGRÉ.
SIMON DE LA TOUR
Donzel.
Le 14 des kalendes de décembre (18 novembre) de l’année 1255, Simon de la Tour, donzel, avec l’approbation de son fils Rodolphe, engagea au sire Pierre … pour quatre livres, la troisième partie des langues des bœufs et des vaches du mazel de Sion, en présence, entr’autres, de Rodolphe, son frère 1 . La perception des langues des grosses bêtes de la boucherie de Sion faisait partie des droits de la mayorie de cette ville.
Avec l’approbation de son fils Rodolphe, Simon de la Tour, donzel, inféoda, le 3 des ides de juin (11e du dit mois) de l’année 1257, sous l’entrage d’un demi-mouton, deux deniers de service et quatre deniers de plaît, à Pierre, fils de feu la nommée Emmette, un chésal, vraisemblablement situé à Sion 2 . Puis, le 16 des kalendes d’avril (17e mars) de l’année suivante (1258), le même Simon, fils du feu sire Rodolphe de la Tour, chevalier, avec l’approbation tant de Johannette, son épouse, que de son fils Rodolphe et de sa fille Jacobée, vendit pour le prix de cent livres, à maître Girold de Lausanne, neuf muids d’orge, de cense, percevables sur les dîmes du territoire de Neindaz 3 . /205/
Le donzel Simon de la Tour, qui n’était plus vivant le 24e mai 1277, comme nous le verrons, avait eu deux femmes. Le nom de la première, qui le rendit père de Rodolphe (II) de la Tour et sans doute aussi de Jacobée ou de Jaquette, sœur de celui-ci, n’est pas connu. Johannette, la seconde épouse du donzel Simon, lui donna un fils, nommé Pierre (voir plus loin). Elle se remaria avec Jacques du Cloître (de Claustro), dont elle était la femme en 1277.
Jacobée ou Jaquette, fille de Simon de la Tour, prit part à un accord, fait le 24e mai 1277, entre le chapitre de Sion, d’une part, et Rodolphe de la Tour, frère de la dite Jaquette, Johannette, épouse de Jean du Cloître, et Pierre, fils de la dite Johannette et de Simon de la Tour, d’autre part, concernant les neuf muids d’orge de cense jadis vendus par le prédit Simon à maître Girold de Lausanne 1 . — Jacques de Villeneuve, chanoine de Sion, acheta, le 24e mai 1299, à Ollon, des choses de peu de valeur (res parvi momenti) à l’usage (ad opus) de Jaquet et de Maurice, fils de la noble dame Jaquette, fille de feu Simon de la Tour, donzel 2 . Le même chanoine Jacques de Villeneuve accorda, le 7e juin 1305, à Ollon, en présence de Nicolas, curé de ce lieu, à la noble Jaquette de la Tour, fille de feu Simon de la Tour, dix livres de rente annuelle et viagère sur les biens qu’il avait jadis acquis d’elle 3 . Jaquette de la Tour possédait à Ollon, par succession paternelle, des biens qui paraissent avoir été assez importants. /206/ Barthélemy, abbé de Saint-Maurice, prétendait les réduire sous sa puissance, ce qui avait déjà eu lieu à l’égard de quelques-uns d’entre eux, nonobstant l’opposition qu’y apportait la prédite Jaquette. Une transaction à ce sujet intervint le pénultième février 1319 (style de la Nativité), dans la maison de Saint-Maurice d’Ollon, entre le prédit abbé et son couvent, d’une part, et la noble Jaquette de la Tour d’Ollon, Jaquet, son fils et Nicole, l’épouse de celui-ci, d’autre part. Par cette transaction tous les biens (droits, choses et hommes) que la dite Jaquette possédait à Ollon et dans le territoire de ce lieu furent reconnus mouvants, en droit fief, de l’abbaye de Saint-Maurice, et le prédit Jaquet en prêta hommage à l’abbé Barthélemy. Celui-ci consentit à ce que Nicole, l’épouse du dit Jaquet, eût, sur les biens précités, une hypothèque de 250 livres, résultant de ses biens dotaux (cette hypothèque était de 300 livres avant la présente transaction). Comme quelques uns des dits biens étaient possédés par le donzel Guillaume d’Albignon, il fut convenu qu’ils feraient partie du présent hommage dans le cas où Jaquette de la Tour viendrait à les récupérer. Une cense annuelle de soixante sols, rédimable moyennant trente livres, serait payée à l’abbé au terme de Noël, par la dite Jaquette. Celle ci réserva la fidélité qu’elle devait au comte de Savoye, lequel percevait un florin d’or, de plaît, au changement du vassal 1 . Nous présumons que les possessions de la fille de Simon de la Tour, à Ollon, étaient procédées de la succession du sire Guillaume (I) de la Tour. On n’apprend pas qui Jaquette de la Tour avait épousé. /207/ Il ressort d’un document daté de l’année 1350 (style de la Nativité), que le fief de feu Jaquier de la Tour, à Ollon, était alors tenu par Guillaume Wichard, de Saint-Maurice, par suite de concession de l’abbaye de ce nom 1 . Ce fief paraît avoir été celui que Jaquette de la Tour avait tenu, d’où l’on peut inférer que Jaquier de la Tour et Jaquet, fils de Jaquette de la Tour, apparaissant dans la transaction de l’année 1319, sont une seule et même personne. Jaquet ou Jaquier pourrait avoir adopté le nom de famille de sa mère, ou bien son père avoir été, soit un de la Tour, de Saint-Maurice 2 , soit quelque membre, à nous inconnu, de la famille de la Tour, de Sion.
CINQUIÈME DEGRÉ.
RODOLPHE (II) DE LA TOUR
Donzel.
Rodolphe (II) de la Tour, donzel, fils du feu donzel Simon, fit, le 24e mai 1277, de concert avec sa sœur Jacobée (ou Jaquette), Johannette, épouse de Jacques du Cloître (de Claustro), et Pierre, fils de celle-ci et du prénommé Simon, un accord avec le chapitre de Sion relatif /208/ aux neuf muids d’orge, de cense, jadis vendus par le dit donzel Simon de la Tour à Girold de Lausanne, sur les dîmes de Neindaz 1 .
Rodolphe (II) de la Tour, dont l’épouse se nommait Cécile 2 , laissa un fils nommé Johannod.
SIXIÈME DEGRÉ.
JOHANNOD DE LA TOUR
Donzel.
Johannod de la Tour, donzel, était en différend avec Jacques de Gissenay, donzel, citoyen de Sion, parce que le premier prétendait exercer les droits de mère et de mixte empire et d’omnimode juridiction tant sur les censiers soit feudataires du second, qui habitaient le mont des Agietes et qui étaient procédés des Curtinali, que sur les feudataires tenus par les hoirs du clerc Jean de Curtinali, dans le même lieu. Les parties ayant remis la décision de ce différend à Pierre de la Tour, sire de Châtillon, en Vallais, celui-ci prononça: que Jacques de Gissenay serait tenu de vendre incontinent au donzel Johannod de la Tour, pour le prix de quatre-vingts livres mauriçoises, tout le fief qu’il tenait sur le mont des Agietes (des Agettes), dans la paroisse de Vez et dans le territoire de Salens (Salin) et de Thions; que le donzel Johannod de la Tour ferait /209/ approuver, à ses dépens, cette vente par l’évêque de Sion, les biens qu’elle comprenait étant mouvants de la mense épiscopale et le fief de Jacques de Gissenay étant une branche de celui dont Germain, fils de feu Jaquet Allietz, de Louëche, neveu de Jean de Curtinali, clerc, était l’homme lige. Cette sentence arbitrale fut rendue le 29e mai 1340, à Sion, dans la grande salle, ancienne, de la cour épiscopale, en présence, entre autres, de Jacques, doyen de Sion, de Jean de Monthez, prieur de Châtillon, en Vallais, de Perrod, fils de François de Bex, et de Guillaume de Collombier, donzel 1 . — On n’indique pas à quel titre le donzel Johannod de la Tour revendiquait l’exercice de la juridiction sur le fief procédé des Curtinali.
La vente ordonnée par la sentence arbitrale de Pierre de la Tour eut lieu le 2e juin suivant, à Sion. Jacques de Gissenay, donzel, citoyen de Sion, vendit, dans cette circonstance, pour le prix fixé de quatre-vingts livres mauriçoises, à Johannod de la Tour, donzel, fils de feu Rodolphe de la Tour, donzel, tout ce qu’il tenait, par lui ou par d’autres, sur le mont des Agietes, dans la paroisse de Vez et dans le territoire de Salens et de Thions, en hommes liges, usages et autres choses, avec le mère et mixte empire et la juridiction omnimode, haute et basse, sur les biens vendus. L’acheteur serait tenu aux usages suivants envers l’évêque de Sion: il lui fournirait annuellement un faucheur, un faneur et un porteur pour le pré, dit de l’Evêque, situé près de la cité de Sion; en cas de mutation du vassal, il paierait la moitié de sept sols, de plaît; de /210/ plus, il servirait l’évêque, selon que la charge du fief l’imposait. Dans le nombre des témoins de cette vente se remarquent Pierre de la Tour, sire de Châtillon, Guillaume de Collombier et Perrod Frumentin, donzels. Le 14e novembre suivant, l’épouse du vendeur, Johannette, fille de feu Perrod de Lausanne, et leurs enfants Etienne, Johannod et Johannette l’approuvèrent, en présence de témoins 1 .
Le donzel Johannod de la Tour avait épousé Agnès de Bex (de Baccio) 2 , déjà veuve de deux maris, savoir: de Guillaume Alamant, dit de Conteiz (de Conthey), et de Casson, mayor de Louëche. Ce second mari avait assigné deux cents livres mauriçoises, provenant de la dot de son épouse, sur la mayorie de Louëche et tous ses autres biens situés dès la Raspille 3 , en haut. Le 14 des kal. d’octobre, indiction XIV, de l’année 1331, dans le verger du prédit Guillaume Alamant, situé dans la plaine de Chadron, près de la rivière, la dite Agnès fit donation entre vifs à Johannod de la Tour, donzel, son mari, de la tierce part des deux cents livres précitées 4 .
La même Agnès et son mari, Johannod de la Tour, donzel, furent en différend avec le fils, nommé Marquet, que la dite Agnès avait eu de Casson, mayor de Louëche, son second mari, soit plutôt avec Nicolet d’Erdes, son tuteur, /211/ au sujet des deux cents livres susmentionnées. Par l’entremise du seigneur évêque de Sion (Aymon de la Tour), de Guillaume de Clarens, chanoine et official de Sion, et de Pierre de la Tour, sire de Châtillon, ce différend fut terminé par l’arrangement suivant: Agnès aurait, pour les deux cents livres de sa dot, tous les biens du dit feu Casson, son second mari, situés dès la Raspille, en haut, du côté de Louëche, à l’exception de la mayorie du dit Louëche, de la maison et du verger du prédit Casson dans ce lieu, lesquels, avec les autres biens de celui-ci, situés dès la Raspille, en bas, du côté de Sion, appartiendraient à son fils Marquet. Agnès paierait trente livres aux Lombards de Conthey, avec les usures (les intérêts) de cette somme, plus six livres à ceux de Saillon, tandis que Marquet paierait trente-six livres à ces Lombards-ci, avec les usures. Elle serait tenue d’entretenir chez elle, décemment, à ses dépens, son fils Marquet, pendant les cinq années qui suivraient. Si Johannod de la Tour survivait à son épouse, il aurait l’usufruit des biens de celle-ci. Si cette dernière procréait des enfants, ils hériteraient la moitié de ses biens, tandis que Marquet hériterait l’autre moitié. Celui-ci hériterait le tout s’il n’y avait pas d’enfants. Toutes les langues dues au dit Marquet et celles des bêtes qui se vendent au mazel de Sion, qu’il est dans l’usage de percevoir, lui appartiendraient les années paires, tandis qu’elles seraient perçues, les années impaires, par la dite Agnès et Johannod de la Tour, son mari, chaque année commençant à la Nativité du Seigneur. Les témoins de cet accord, daté de Sion, devant la maison du donzel Johannod de la Tour, le 6 août 1334, indict. II, furent, entre autres, Aymonod Alamant, fils de la prédite Agnès, /212/ Johannod d’Erdes, frère de celle-ci 1 , et Johannod, bâtard du dit Casson 2 .
On ne connaît pas de postérité au donzel Johannod de la Tour, avec lequel finit, paraît-il, la branche de la famille de la Tour, issue de Pierre (I), fils du sire Guillaume (I) de la Tour.
DEUXIÈME DEGRÉ.
AYMON (I) DE LA TOUR
Chevalier, vidomne de Bagnes et d’Ollon, copossesseur de la maison de la Tour, de Sion.
Aymon (I) de la Tour, fils second (peut-on supposer) du sire Guillaume (I), apparaît comme témoin, dans l’année 1189 de l’Incarnation, lorsque Guillaume, abbé de Saint-Maurice, et les chanoines de son couvent remirent à Guillaume de Grion et à ses hoirs, sous la cense de vingt sols, la terre de Grion, donnée par Pierre de Grion, à titre d’aumône, à la prédite abbaye. Cette remise eut lieu en chapitre, à Sion, en présence de l’évêque Guillaume (d’Ecublens). Aymon de la Tour est nommé le premier des laïques qui en furent les témoins 3 .
Pierre de Langins, chanoine de Sion, en vue de son salut, avait fait don à l’église de Sainte-Marie de Sion, à /213/ titre d’aumône, de la terre qu’il possédait à Hérens. Cette église, après le décès du prédit chanoine, afin de mieux s’assurer la possession de ce don, avait payé la somme de trentre-trois livres, répartie entre le sire Girold de Bex, Guidon, frère du donateur, Girold, son neveu et tous ses parents. Or, dans l’année 1195, le chapitre de Sion, sur la demande d’Aymon de la Tour, lui inféoda la terre précitée. Celui-ci paya au chapitre les trente trois livres qu’il avait déboursées et lui prêta hommage, à raison de cette terre, sous réserve de la fidélité due à un seigneur. Aymon de la Tour payerait au chapitre une cense de douze sols et s’opposerait, à ses propres dépens, aux prétentions dont la terre qui lui avait été inféodée pourrait être l’objet 1 .
Nous avons précédemment rapporté que, dans l’année 1205, Aymon de la Tour et Guillaume de la Tour (son frère) figurent dans le nombre des témoins de la donation faite par Veta Delbruel et ses fils en faveur de l’abbaye de Saint-Maurice. (Voir ci-devant, pag. 195.)
L’année suivante, le sire Aymon de la Tour engagea à l’abbaye de Saint-Maurice, pour mille sols, le vidomnat qu’il avait à Bagnes, avec les plaids 2 , bans et tailles, et généralement tout ce qu’il possédait, à quelque titre que ce fût, dès le pont de Saint-Brancher jusqu’aux derniers confins de Bagnes. Il en excepta les fiefs des chevaliers (militum), dont il y avait quatre, et la chasse. /214/ En vue de son âme il fit don, à la dite abbaye, des revenus qu’elle percevrait dans la prédite hypothèque, et constitua, sur les mains de l’abbé Aymon, des otages pour la sûreté de ses engagements. Ceux-là furent: d’abord le sire Aymon lui-même, puis Boson et Pierre, sires de Saillon, Falcon, miles d’Ollon et Guillaume de Grion. L’évêque Landri, l’un des témoins de cette transaction, en scella la charte, datée du dimanche dans lequel on chante Reminiscere, dans le carême de l’année 1206 de l’Incarnation. La dame de Morestel, épouse du sire Aymon de la Tour, approuva cette transaction 1 . — L’important vidomnat de Bagnes était un fief de l’abbaye de Saint-Maurice. Nous indiquerons plus loin comment nous présumons que le sire Aymon de la Tour en avait acquis la possession.
Nous rapporterons maintenant une donation de ce seigneur en faveur de la sacristie de l’abbaye de Saint-Maurice, par laquelle nous apprendrons de quelle manière la maison de la Tour est parvenue à la possession de la terre et seigneurie de Bex.
Dans l’année 1211 de l’Incarnation, le sire Aymon de la Tour, avec l’approbation de ses fils Pierre et Chalbert, en vue de son âme et de celles de ses parents défunts, donna à perpétuité à Guillaume, sacristain, et à la sacristie de Saint-Maurice six sols et huit deniers (nummos) censuels, à percevoir sur la taille d’Ollon, qui se faisait aux environs de la Toussaint, plus trois sols censuels sur le chésal du Coster (Dolcoster), au dit Ollon. Il fit cette donation pour le remède de l’âme de sa première /215/ épouse, fille du sire Girold, seigneur de Bex, et eut des biens de la sacristie six livres mauriçoises pour les deux aumônes du dit Girold 1 , et six livres qu’il avait reçues du sacristain Guillaume. Uldric, prêtre d’Ollon, Falcon, miles de ce lieu, et Pierre, qui en était le ministral, furent, avec Boson, miles de Sallion, Pierre, miles de Saint-Martin, et d’autres encore, les témoins de cette donation, faite sur la place publique, sous le noyer, et dont Landri, évêque de Sion, scella la charte 2 . — Aymon de la Tour était vidomne d’Ollon, ainsi que son père l’avait été, et sa première épouse, fille du sire Girold de Bex, était l’héritière de la terre de ce nom
.Dans l’année 1214, Aymon, miles de la Tour, avec l’approbation, tant de sa femme Marguerite que de ses fils Pierre, Chalbert et Aymon et de leurs épouses, remit, à titre de fief, à Guillaume, dit Léonat, la maison appelée la Mauvaise-Cour, à Sion, moyennant cinq sols de plaît et les menaides comme service 3 .
Le 3 des kal. d’avril de l’année 1221, à Saint-Pierre de Clages, Aymon de la Tour, de Sion, Guillaume, son frère et Rodolphe, leur neveu, avec l’approbation de la dame de Morestel, épouse du dit Aymon, et de Pierre, Chalbert et Aymon, fils de celui-ci, donnèrent à la maison (soit à la prévôté) du Mont-Joux, sur les mains du /216/ prévôt Guidon, leur chapelle de la Tour, de Sion 1 . Voici, nous semble-t-il, les conséquences que l’on doit tirer de cette donation: Les trois donateurs, copossesseurs de la maison de la Tour, qui était celle de la mayorie de Sion, possédaient aussi en commun l’office de cette mayorie, le tout en qualité d’héritiers de leur père et aïeul, le sire Guillaume (I) de la Tour. Toutefois, aucun d’eux ne remplissait les fonctions de mayor, que nous verrons Pierre (II), fils aîné d’Aymon (I), l’un des donateurs précités, exercer dans l’année 1219, ce qu’il faisait sans doute au nom de son père, de son oncle Guillaume et de son cousin Rodolphe. Plus tard Pierre (II) de la Tour fut, de droit, mayor de Sion, et il en prit le titre.
Dans la même année 1221, Aymon de la Tour, avec l’approbation de son épouse Marguerite et celle de ses fils Pierre, Chabel (Chalbert) et Aymon, et d’Agnès, épouse du prédit Pierre, vendit, pour le prix de huit livres mauriçoises, ses droits aux moulins de Maranina, à Jean Rodolphi, chanoine de Sion 2 .
Enfin, lorsque dans l’année 1224, Landri, évêque de Sion, et le comte Thomas de Savoie conclurent une transaction, datée des prairies situées aux bords de la Morge, sous Conthey, elle fut jurée, pour l’évêque, par un grand nombre de personnages importants, en tête desquels on lit les noms de Rodolphe et d’Aymon de la Tour 3 .
Par un acte daté de Clages, l’année 1224 de l’Incarnation, /217/ Aymon de la Tour, chevalier, du diocèse de Sion, fit une donation importante en faveur de l’hôpital du Mont-Joux, sur les mains du prévôt Guidon, pour la fondation de son anniversaire. Il donna à cette maison religieuse plusieurs dîmes qui se percevaient au territoire de Sion et dans les environs de cette ville, ainsi que sa dîme d’Hérens, soit la tierce part de celle de toute la vallée de ce nom. Il tenait cette dîme-ci en fief lige 1 . — Le donateur paraît n’avoir plus vécu dans l’année 1226. (Voir plus loin.) 2 .
Le sire Aymon (I) de la Tour fut marié deux fois. Sa première épouse, ainsi que nous l’a appris la donation faite par lui en faveur de la sacristie de l’abbaye de Saint-Maurice, était la fille du sire Girold, seigneur de Bex. Selon le Nécrologe de l’église cathédrale de Sion, elle se nommait Clémence 3 . Héritière de son père, c’est à cause d’elle que son fils Pierre (II) de la Tour fut seigneur de /218/ Bex. Toutefois, il se pourrait qu’elle fût décédée avant le sire Girold, son père, et que la terre de Bex eût passé directement de celui-ci à son petit-fils 1 . Clémence de Bex était morte bien avant l’année 1206, date à laquelle nous avons vu la seconde épouse du sire Aymon (1) de la Tour apparaître dans un document. Celle-ci, que le sire Aymon épousa probablement aux environs de l’année 1190 2 , était Marguerite de Morestel, qui nous est apparue plusieurs fois dans les chartes que nous avons citées. Les Morestel appartenaient aux familles éminentes de la noblesse dauphinoise 3 . Marguerite était vraisemblablement la fille du chevalier Chabert (ou Chalbert) de Morestel, que l’on trouve, entre les années 1170 et 1180, prêtant présence à deux transactions de l’abbaye de /219/ Saint-Maurice 1 , ce qui indiquerait assez qu’il était attaché à cette célèbre abbaye par quelque lien féodal. L’épouse du sire Aymon de la Tour est qualifiée, dans quelques chartes, de dame de Morestel, quoiqu’à tort, puisque la seigneurie de Morestel appartenait alors à la famille distinguée qui en portait le nom 2 . Néanmoins, il se pourrait que dame Marguerite eût été quelqu’héritière, puisqu’une partie de la postérité de son fils Chalbert, qui posséda le vidomnat de Bagnes, porta le nom de Morestel. Nous ne sommes point éloigné de croire que Marguerite de Morestel apporta le vidomnat de Bagnes au sire Aymon de la Tour, son époux. On se rappelle que lorsque celui-ci l’engagea à l’abbaye de Saint-Mauriee, la dame de Morestel, son épouse, donna son approbation à cette mise en gage. L’abbaye de Saint-Maurice pouvait avoir inféodé le vidomnat de Bagnes à Chabert de Morestel, le père probable de dame Marguerite.
Cette dame, encore vivante en 1226 (voir plus loin), rendit le sire Aymon de la Tour père de deux fils, nommés: Chalbert et Aymon (II). Nous rapporterons ce qui concerne le premier des deux et sa descendance, soit la branche des nobles de la Tour, dits de Morestel, vidomnes de Bagnes et coseigneurs de Granges, après nous être occupé de Pierre (II) de la Tour, le frère aîné de Chalbert et d’Aymon, /220/ issu de Clémence de Bex, la première épouse de son père, et de la branche dont il fut l’auteur, soit de celle des sires de Châtillon. Aymon (II) n’ayant pas fait branche, nous indiquerons de suite ce qui le regarde.
TROISIÈME DEGRÉ.
AYMON (II) DE LA TOUR
Chevalier, mestral de la cour de Sion, vidomne de Bagnes.
Aymon (II) de la Tour, fils du sire Aymon (I) et de Marguerite de Morestel, sa seconde épouse, donna son approbation, ainsi que nous l’avons rapporté, à l’inféodation faite par son père, en 1214, de la maison, dite la Mauvaise-cour, à Sion. Puis, à la donation faite le 3e des kal. d’avril de l’année 1221, en faveur de la maison du Mont-Joux, par son prédit père, son oncle Guillaume et son cousin Rodolphe, de la chapelle de la Tour, de Sion. Enfin, il approuva encore la vente faite dans la même année 1221, par le sire Aymon, son père, de ses droits aux moulins de Maranina.
Chabert et Aymon (II) de la Tour, avec l’approbation de leur frère Pierre, vendirent au chapitre de Sion, dans l’année 1226, leurs vignes de Louëche, pour le prix de cent livres. Ils remirent au dit chapitre, sur cette somme, celle de mille sols, en restitution des dommages que lui avaient causés leurs parents 1 . Cette remise a sans doute /221/ trait à la guerre que leur aïeul le sire Guillaume (I) et son fils Pierre avaient faite dans le temps à l’évêque Conon.
Dans la même année 1226, Chabert et Aymon (II) de la Tour, avec l’approbation de leur mère Marguerite, soumirent à la mouvance de Landri, évêque de Sion, ce qu’ils possédaient (à titre d’alleu, sans doute) dans le château et le district de Granges. L’un des deux frères ferait hommage au prélat pour ce fief. De nombreux témoins furent présents lors de cette transaction 1 . Les documents ne nous apprennent pas à quel titre les deux frères de la Tour tenaient la coseigneurie de Granges. Pourrait-on inférer de l’approbation donnée par Marguerite de Morestel à la transaction de ses fils avec l’évêque Landri, que cette coseigneurie était procédée d’elle?
Le sire Rodolphe et le sire Aymon de la Tour furent présents (interfuerunt), avec d’autres personnages (entre autres le sire Jacques, ministral de Bagnes), lors d’une transaction conclue, dans l’année 1232, entre l’abbé Nantelme de Saint-Maurice et son couvent, d’une part, et Martin, miles de Bagnes et ses fils Jean et Uldric, d’autre part, au sujet de certains châzements (casamentis, fiefs, chevances) que l’abbé réclamait d’eux 2 . — La présence, dans cette circonstance, de deux membres de la famille de la Tour est probablement la conséquence de ce que cette famille tenait le vidomnat de Bagnes, et, plus particulièrement, le prédit sire Aymon.
Le 18 des kal. de février de l’année 1235, Aymon de la Tour fut l’un des témoins de l’accord intervenu entre /222/ cinq frères de la famille de Rarogne, savoir: Henri, chantre de l’église de Sion, Rodolphe et Jean, d’une part, et le sire Amédée et Uldric, d’autre part, au sujet des vidomnats de Louëche et de Rarogne 1 . Et lorsque, dans l’année 1239, Rodolphe de Martigny, chevalier, remit, à titre d’hypothèque, à Boson (de Granges), évêque de Sion, son fief épiscopal, à Martigny, pour soixante livres mauriçoises, Aymon de la Tour, chevalier, fut l’un des témoins de cette mise en gage 2 .
Quoique les documents n’attribuent pas au chevalier Aymon (II) de la Tour la qualité de vidomne de Bagnes, il paraît néanmoins avoir possédé le vidomnat de ce nom et les autres possessions de sa famille dans la vallée de Bagnes, engagées par son père à l’abbaye de Saint-Maurice, sous l’année 1206 et qui avaient été dégagées. C’est ce que l’on doit inférer d’un document indiqué dans un ancien inventaire des archives de l’abbaye de Saint-Maurice, par Boillet et datant du XVIIe siècle. Selon cet inventaire Aymon de la Tour, écuyer (c’est-à- dire donzel), aurait inféodé, sous l’année 1340, à Boson de Ponto (du Pont?) la mestralie de ses hommes de la vallée de Bagnes, avec ses droits, le fief de vin (le ban-vin?) à Magnoch et quatre fromages d’alpiege (d’alpage) en la montagne de Bonachiesi, et cela sous hommage lige et moyennant trente-trois livres d’entrage, deux sols de service et dix sols de plaît 3 . Or la date de cette inféodation, indiquée par l’inventaire précité, est évidemment erronée. Il n’y avait point, dans le XIVe siècle, d’Aymon de /223/ la Tour, et les possesseurs du vidomnat de Bagnes, à cette époque, étaient les nobles de Morestel, issus à la vérité de la maison de la Tour, mais n’en portant plus le nom. D’ailleurs, le même Boson de Ponte cité ci-dessus figure dans une charte de l’année 1235. Nous croyons donc qu’il faut lire, dans le document susmentionné, la date de 1240 au lieu de celle de 1340, et que l’inféodation de la mestralie de Bagnes est émanée d’Aymon (II) de la Tour, déjà chevalier à cette époque, quoique le dit inventaire le qualifie seulement d’écuyer, par erreur, sans doute, lequel aurait tenu le vidomnat de Bagnes et les autres possessions de sa famille dans la vallée de ce nom. Quant à la localité désignée dans ce document sous le nom de Magnoch, on peut présumer que c’est celle qui porte aujourd’hui celui de Maignon, petit village du Bas-Vallais, situé entre Vetroz et Ardon. Nous verrons tout à l’heure le même chevalier Aymon (II) de la Tour soumettre au fief de l’abbaye de Saint-Maurice ses propriétés à Amagnoch, c’est-à-dire à Magnoch.
Le sire Aymon de la Tour apparaît comme oncle de Girold de la Tour (fils de son frère Pierre, sire de Bex ) dans une charte non datée, mais qui remonte au temps de l’épiscopat de Boson de Granges (soit de 1237 au 2 juillet 1343 1 ), par laquelle le prédit Girold engage à l’abbaye de Saint-Maurice, pour vingt livres mauriçoises, tout le fief qu’il tient d’elle, à Ollon, dans sa seigneurie, et, pour soixante-cinq des mêmes livres, le fief que le sire Aymon, son oncle, tient de lui, tant au dit Ollon qu’à /224/ Iserables 1 , ce qui a lieu avec le consentement et par les bons offices de son dit oncle et aussi avec l’approbation de dame Isabelle, épouse de celui-ci, et de Pierre, son neveu. Le sire Aymon de la Tour, comme renfort d’hypothèques, engage encore à l’abbaye précitée ce qu’il possède à Amagnoch et à Ottans, et, en évitation à l’avenir de toute difficulté, il soumet ces possessions au fief du prédit couvent 2 . — Nous reviendrons sur cette charte dans l’article du sire Girold de la Tour. Celui-ci était le chef de la maison de la Tour, et les possessions de son oncle, à Ollon et à Iserables, étaient mouvantes de lui, tandis que, de son côté, il les tenait, à titre de fief, de l’abbaye de Saint-Maurice. Du moins il en était ainsi à l’égard des biens d’Ollon.
Outre la mayorie de Sion, les sires de la Tour possédaient encore l’office de la mestralie de la cour de cette ville, soit celui de la sénéchalie de Sion 3 , qu’ils tenaient en fief de l’évêque et pour lequel ils lui prêtaient hommage. Toutefois on ignore l’époque où ils avaient été revêtus de cet office, à raison duquel le sire Aymon de la Tour et Girold, son neveu, étaient en différend avec l’évêque Henri de Rarogne, successeur de l’évêque Boson de Granges, au sujet de diverses prétentions qu’ils élevaient. Ce différend fut terminé par l’entremise de leurs amis communs, au moyen d’un accord fait entre les /225/ parties, dans la cour épiscopale, le 4 des ides de mars de l’année 1244. Ce traité offre de curieux détails sur les droits de la mestralie de Sion, dont les attributions nous semblent avoir été différentes de celles des mestralies d’autres lieux. On y lit, entre autres, que, moyennant dix livres que l’évêque leur paya, le sire Aymon et son neveu Girold renoncèrent aux droits qu’ils avaient, en cas de décès ou de mutation de l’évêque, tant sur tous les meubles et ustensiles de celui-ci que sur la levée des tonneaux 1 et le reste du blé dans les greniers épiscopaux. Le cas où le sire Aymon garderait (porterait) la clef de la mestralie est spécifié dans ce traité, savoir: quand, après l’institution et la confirmation de l’évêque et après que le sire Aymon aura reçu de lui son fief et lui aura fait hommage, il voudra remplir personnellement l’office de la mestralie. S’il ne veut pas les exercer en personne, ses fonctions seront alors remplies par un vice-mestral, qui gardera la clef de la mestralie et sera choisi par l’évêque. De nombreux et importants témoins furent présents lors de cette transaction, parmi lesquels figure Aymon, (vice) mestral de Sion 2 . — Au mestral, nous semble-t-il, incombait la garde de la cour épiscopale, soit de la résidence de l’évêque. /226/
Des documents postérieurs ne nous apprennent pas, si, après le sire Aymon de la Tour, son neveu Girold posséda l’office de la mestralie ou de la sénéchalie de Sion 1 .
Le fief du sire Aymon de la Tour, à Ollon, que Girold, neveu de celui-ci, avait hypothéqué, avec son agrément, à l’abbaye de Saint-Maurice, ainsi que nous l’avons rapporté, avait été dégagé, puisque, dans l’année 1249, il fut de nouveau engagé à la même abbaye. A cette date, Aymon, miles de la Tour, s’était croisé et désirait visiter le tombeau du Seigneur, pour s’approprier les biens célestes en échange des biens terrestres. Afin de se procurer les moyens de subvenir aux dépenses de ce voyage, il engagea à l’abbé Nantelme de Saint-Maurice et à son couvent, pour la somme de cinquante livres mauriçoises, tout ce qu’il possédait des biens de la dite abbaye dans le territoire d’Ollon, à laquelle le droit de propriété en appartenait. S’il vient à décéder sans laisser de fils légitime, trente des mêmes livres mauriçoises, non comptées dans le présent emprunt, sont léguées par lui au couvent précité 2 , pour le remède de son âme et afin qu’il soit rendu participant aux prières et aux bonnes œuvres de celui-ci. Le ministral d’Ollon payerait alors, chaque année, cinq sols à l’église d’Ollon, pour l’entretien d’une lampe. Ces cinq sols se prendraient sur la taille soit collecte (d’Ollon). En outre, Aymon de la Tour donna au même couvent, pour la /227/ célébration de son anniversaire, tout ce qu’il possédait au village d’Ottans 1 , s’en réservant néanmoins l’usufruit viager et faisant la réserve que, si quelqu’un de ses proches, en vertu du droit de parenté, voulait garder les prédits biens d’Ottans, il pourrait le faire, en payant vingt-cinq livres à l’abbaye de Saint-Maurice pour la célébration du dit anniversaire. Le sire Aymon de la Tour scella la charte qui relatait ses engagements, faite en présence de nombreux témoins (la plupart de ceux-ci sont des chanoines de Saint-Maurice; le sire R. d’Albignon, chevalier, se trouve aussi dans le nombre de ces témoins), et la fit sceller par le vénérable Henri, évêque de Sion. Ce document, daté du mercredi après l’octave de la Pentecôte de l’année 1249, reflète la disposition d’esprit du chevalier Aymon de la Tour partant pour la Terre-Sainte 2 .
On doit supposer que ce chevalier, en hypothéquant à l’abbaye de Saint-Maurice sa part du fief que sa maison tenait à Ollon de cette abbaye, avait obtenu à cet effet l’agrément de son neveu Girold de la Tour, puisque cette part relevait de celui-ci, ainsi que nous l’avons rapporté.
Les documents ne font plus mention du sire Aymon (II) de la Tour postérieurement à son départ pour la Terre-Sainte. Il ne laissa pas de postérité légitime, ce qui ressort des dispositions de sa dernière charte en faveur de l’abbaye de Saint-Maurice 3 . On ignore à quelle famille /228/ appartenait son épouse, dame Isabelle. Les biens qn’Aymon de la Tour tenait à Ollon furent sans doute hérités par son neveu Girold, tandis que le vidomnat de Bagnes et ses possessions dans la vallée de ce nom passèrent à son autre neveu, Pierre de la Tour de Morestel.
Toutefois nous croyons que le chevalier Aymon de la Tour eut un fils illégitime, nommé, comme lui, Aymon, lequel n’était plus vivant en 1282 et avait laissé deux fils. Le 4 des nones de mars de l’année précitée, Jacques et Guillaume, frères, fils de feu Aymon de la Tour, avec l’approbation de leur mère Jaquemette et de leur sœur Clémence, et aussi avec celle d’Aymon de Greysier, donzel, mayor de Sion, et de Béatrice, son épouse, acensèrent à Pierre, dit Godart (sous la cense annuelle de vingt sols mauriçois payables à eux et d’une livre de gingembre que percevrait le prédit Aymon de Greysier, et l’entrage de huit livres mauriçoises), leur pré situé en Chanoset et la grange qui s’y trouvait, qu’ils tenaient, à titre de fief, du dit Aymon de Greysier 1 . Aucune qualification nobiliaire n’étant donnée, dans cette circonstance, à Jacques et à Guillaume de la Tour, ni à leur père Aymon, on peut inférer de cette omission qu’ils n’appartenaient pas à la lignée légitime des sires de la Tour dont la position sociale était élevée 2 . Un Guillaume de la Tour épousa, /229/ en 1291, Perrette, fille de Jaquemoz Jaquier, de Saint-Brancher, à laquelle ses frères payeraient annuellement quatre livres et dix sols 1 . Ce Guillaume est probablement le frère de Jacques et le fils d’Aymon de la Tour. Nous présumons qu’il fut le père d’une Isabelle de la Tour, épouse de Nanterme de Foutenis (?) et veuve d’Ardrisoni, de Montagnier, apparaissant en 1354 et vendant alors avec son mari ses droits ou possessions dans la paroisse de Bagnes 2 . Au reste, Aymon de la Tour pourrait aussi avoir été le fils bâtard de Chalbert de la Tour (ou de quelqu’autre membre de la famille de ce nom), quoiqu’il nous paraisse plus naturel de le supposer issu du chevalier Aymon (II) de la Tour, dont il portait le nom 3 .
/230/
BRANCHE DES SIRES DE CHATILLON, EN VALLAIS.
TROISIÈME DEGRÉ.
PIERRE (II) DE LA TOUR
Sire de Bex, mayor de Sion, chevalier, probablement vidomne d’Ollon.
Pierre (II), fils aîné du sire Aymon (I) de la Tour, fut sire de Bex, du chef de sa mère Clémence, qui était la fille et l’héritière du sire Girold de Bex 1 .
Nous avons vu Pierre de la Tour donner son approbation aux transactions soit donations faites par son père dans les années 1211, 1214 et 1221; puis, encore, approuver, dans l’année 1226, la vente que firent ses frères Chalbert et Aymon, en faveur du chapitre de Sion, de leurs vignes de Louëche.
Lui-même fit une vente importante au même chapitre de /231/ Sion; car, dans l’année 1218, Pierre de la Tour, avec l’approbation de son père Aymon et celle de sa propre épouse Agnès, aliéna, en faveur de ce chapitre, pour le prix de soixante livres mauriçoises, tout ce qui lui appartenait au village d’Anchet 1 , tant en hommes qu’en autres choses, à l’exception du fief de Jacques, miles de Sierre, situé à Nioue 2 . Cette vente eut pour témoins: Landri, évêque, Rodolphe, miles de la Tour 3 , Aymon et Villencus, doyens, plusieurs chanoines de Sion, Guillaume de Grimisols, Guillaume de la Chaudane, Jean Ubold et Jean de Viége, chevaliers, Pierre d’Anniviers, et d’autres personnes encore 4 .
Ce fut en la présence, entre autres, d’Aymon (I), de Rodolphe et de Pierre, miles de la Tour, chevaliers, qu’une déclaration fut faite dans l’année 1218, par des experts (a discretis viris), dans le palais épiscopal, à Sion, constatant que Boson, vicomte d’Aoste, avait reçu de Landri, évêque de Sion, l’investiture de son fief situé à St.-Pierre de Clages, et qu’à raison de ce fief le prédit Boson devait des servir l’hommage envers le prélat précité, en deçà des monts, sous réserve de la fidélité due au comte (de Savoie) 5 .
Les différends qui divisaient les évêques de Sion et les sires de la Tour, plus puissants que les lois, se renouvelaient /232/ sans cesse. La convention conclue dans le temps entre l’évêque Conon et le sire Guillaume (I) de la Tour nous a offert une première preuve de ces mésintelligences. Nous signalerons maintenant une remarquable sentence arbitrale, destinée à terminer toutes les querelles qui existaient entre l’évêque Landri, d’une part, et Pierre, Guillaume et Rodolphe, milites de la Tour, d’autre part. Des juges et arbitres, tout à la fois, constitués par les parties, savoir: Aymon de Louëche et Villencus de Venthône, doyens, et Henri de Rarogne prononcèrent sur ces différends, soit comme juges ou arbitres, soit à titre de remémoration (per recordationem). Voici les points qu’ils décidèrent:
1° Pierre de la Tour doit tenir de l’évêque Bex, fief de l’église (de Sion), mais sous prétexte d’avouerie il ne pourra imposer aucune charge à cette église, soit à ses hommes, soit à ses biens, ni la soumettre à aucun désagrément, ni se permettre aucune exaction à son égard; toutefois, à cause de cette avouerie, l’on doit témoigner plus de respect au dit Pierre qu’à beaucoup d’autres 1 ./233/
2° En cas de guerre entre l’évêque et le comte (de Savoie), Pierre de la Tour enverra les vassaux (milites) au secours de l’évêque, si lui veut être avec le comte 1 .
3° Si l’évêque le veut, le dit Pierre doit porter sa bannière (de l’évêque) dans les combats (in prælio).
4° Les routes et les escortes (conducta 2 ) appartiennent à l’évêque, mais il reste indécis si Pierre de la Tour doit être le nonce de l’évêque pour faire les escortes 3 .
5° Les trois châzements demandés par lui dans le val d’Anniviers appartiennent au fief de l’évêque, ayant été acquis par un des prédécesseurs de celui-ci.
6° A l’égard du fief de Wuriez (Vouvriez) les choses resteront sur le pied où elles étaient avant le différend mû à son sujet entre Pierre de la Tour et l’évêque. Celui-ci assignera au dit Pierre trente-cinq sols annuels, à Sierre, qu’il tiendra en fief du prélat, lequel aura paix, quant à ce fief, tant avec le prédit Pierre qu’avec Guillaume de la /234/ Tour qui le réclamait aussi, et le dit fief lui demeurera en dédommagement (in allevio).
7° Quant à la rançon de Jean de la Sauge, l’évêque doit en avoir la part que la ville de Sion déterminera 1 .
8° Il ne devra être fait, dans la terre du Vallais, aucun serment de bourgeoisie ou de confédération entre les hommes de l’évêque, qui touche celui-ci, soit ses hommes, sinon que cela ne soit fait par le prédit évêque lui-même.
La sentence ci-dessus fut rendue au mois de janvier de l’année 1219 de l’Incarnation (1220, nouv. style), en présence de nombreux témoins appartenant à des familles importantes du pays 2 . Quoique le titre de mayor de Sion n’y soit pas donné à Pierre de la Tour, il nous semble évident que celui-ci en remplissait les fonctions et que quelques-uns des points décidés par la prononciation(les 2e, 3e et 4e) concernaient les attributions du mayor. Pierre de la Tour, dans notre opinion, exerçait ces fonctions pour son père, son oncle Guillaume et son cousin Rodolphe, copossesseurs de l’office de la mayorie.
Nous avons indiqué ailleurs les points de la même sentence qui concernent spécialement le sire Guillaume (II) de la Tour.
La convention, déjà plusieurs fois citée, conclue dans /235/ l’année 1224 entre Landri, évêque de Sion et le comte Thomas de Savoie, fut jurée, entre autres, pour ce dernier, par Pierre de la Tour 1 . — A raison de quels fiefs le sire Pierre était-il le vassal de ce prince? Sans doute à cause de celui de Châtillon et probablement encore à raison d’autres fiefs.
Un traité, fait dans l’année 1227, entre l’évêque Landri et Rodolphe (vidomne) de Conthey, nous apprend que ce prélat avait acquis, avec le consentement du sire Pierre de la Tour, du sire Bellon de Bex et d’Aymon, son fils unique, le fief que le dit Bellon tenait de l’évêque précité, en Vallais, lequel était situé pour la majeure part dans la paroisse de Louëche et dans le territoire de Montorge. Une part de ce fief était tenue par le prédit Rodolphe de Conthey, qui était vassal du comte de Savoie et son homme lige. Le traité que nous signalons fixa ses rapports féodaux vis-à-vis de l’évêque pour cette part du fief procédé de Bellon de Bex 2 . On n’indique pas le motif du consentement donné par le sire Pierre de la Tour lors de l’acquisition faite par l’évêque Landri du dit fief.
Sous le même évêque Landri (1206 à 1236), des statuts constatant les droits de l’évêque dans la ville de Sion et les coutumes observées dans cette cité furent dressés, d’un commun accord, par le prédit évêque, les chanoines, le vidomne de Sion et les seigneurs de la Tour. Selon l’un de ces statuts, le sire de la Tour, savoir le mayor, et chaque /236/ chanoine auraient un crédit (credentiam) de quinze jours, de la même manière que l’évêque 1 .
Le 15e des kal. de juin (18 mai) de l’année 1233, une convention eut lieu entre Landri, évêque de Sion et Aymon de Savoie, seigneur du Chablais, fils du feu comte Thomas, au sujet surtout des châteaux de Montorge et de la Soie. Elle fut jurée pour l’évêque par son vidomne (de Sion), par Pierre de la Tour, mayor de Sion, par le sire Amédée de Rarogne, par le mayor d’Aragnon et par le châtelain de Martigny 2 . — Postérieurement à l’année 1219, date de la prononciation rendue entre l’évêque Landri et Pierre, Guillaume et Rodolphe de la Tour, le prédit Pierre était devenu mayor de Sion, de son propre droit.
Ce seigneur, selon le Nécrologe de l’église cathédrale de Sion, mourut le 31 octobre 3 , date qu’il faut placer sous l’année 1233, puisque nous verrons son fils Girold faire encore, dans la dite année, une donation importante à l’abbaye de N. D. d’Abondance, en vue, entre autres, de l’âme de Pierre, son père, et que d’ailleurs l’objet de cette donation provenait sans doute de la succession paternelle.
Nous avons appris que l’épouse du sire Pierre de la Tour se nommait Agnès (voir ci-devant, pag. 216 et 231), mais on n’en sait pas davantage à son égard. Elle se remaria avec Vautier Loup de Châtillon, dont elle eut un fils nommé Aymon de Châtillon, qui devint chevalier 4 et apparaît, sous les années 1256 et 1263, comme frère du /237/ sire Girold de la Tour 1 . Celui-ci, seul enfant connu du sire Pierre de la Tour, fut l’héritier de son père. Ce qui le concerne est rapporté dans l’article suivant./238/
QUATRIÈME DEGRÉ.
GIROLD (I) DE LA TOUR
Chevalier, mayor de Sion, vidomne d’Ollon, coseigneur de Bex et possesseur de la terre de Châtillon.
Girold, fils de Pierre (II) de la Tour, sire de Bex et mayor de Sion 1 , apparaît comme feudataire d’Aymon de /239/ Savoie, seigneur du Chablais, lorsqu’il fut spécifié, dans la convention faite par ce prince avec Landri, évêque de Sion, le 18 mai 1233, au sujet des régales et du fief de Chillon, que, en cas de non-observation de ce traité de la part du prince Aymon, celui-ci abandonnerait librement et absolument à l’église de Sion les fiefs de Girold de la Tour, de Pierre de la Tour et du sire Amédée de Rarogne, du consentement et par la volonté de ces feudataires 1 . Or, à cette date, le sire Pierre, père de Girold de la Tour, vivait encore, d’où l’on doit inférer que le premier, vassal de l’évêque pour la mayorie de Sion et probablement encore pour d’autres fiefs, avait fait cession à son fils de ses fiefs mouvants d’Aymon de Savoie.
Dans l’année 1233 de l’Incarnation, Girold, sire de la Tour, fit une donation importante, savoir celle d’une église paroissiale, en faveur de l’abbaye de N. D. d’Abondance. Cette largesse suivit de près le décès du sire Pierre, le père du donateur. L’église donnée était celle de Lœtschen, soit de la vallée de ce nom. Les sires de la Tour possédaient dans le Haut-Vallais la grande vallée de Lœtschen, par laquelle ils communiquèrent avec celle de Frutigen après qu’ils eurent ajouté celle-ci à leurs domaines. Située dans le voisinage de leur terre de Châtillon la vallée de Lœtschen en formait une dépendance. On ignore à quel titre ils étaient devenus les possesseurs de cette vallée, ainsi que l’époque où ils étaient parvenus à cette possession. Nous avons précédemment indiqué que, selon un auteur très compétent, les sires de la Tour tenaient le vidomnat de la vallée de Lœtschen sous la mouvance du /240/ comte de Savoie, ainsi que la châtellenie de Châtillon (voir ci-devant, pag. 192).
Par l’acte de la donation, faite en faveur de l’abbaye d’Abondance, de l’église de Lœtschen, Girold, sire de la Tour, mû par un sentiment de pieuse dévotion et s’attachant à suivre les traces de ses prédécesseurs qui, par l’inspiration de Dieu, avaient affectionné l’église d’Abondance et lui avaient fait du bien, agissant par le conseil d’hommes prudents, savoir: de Guillaume de Venthône, d’Anselme de Châtillon, chevaliers, et d’Uldric Bochu, ses hommes (soit ses vassaux), en vue de son âme et de celles de Pierre, son père, d’Aymon, son aïeul, et de tous ses autres prédécesseurs, donne et concède, en la meilleure forme possible, à Dieu, à la bienheureuse Marie, à l’église d’Abondance et à ses serviteurs, l’église de Lœtschen (ecclesiam de Lyehc), avec tous ses droits et ses appartenances universelles, pour être possédée par elle perpétuellement, librement et pacifiquement, et il en investit manuellement Pierre, abbé d’Abondance, sous réserve, en sa propre faveur, de l’avouerie de l’église donnée. Cette donation, faite à Géronde, dans l’église de Saint-Martin, devant l’autel, l’an 1233 de l’Incarnation dominicale, alors que Landri occupait le siége épiscopal de Sion et que régnait l’empereur Frédéric, eut pour témoins: Uldric, prieur de Peillonex, Rodolphe, prieur de Géronde, Girold, sacristain, Girold d’Evian et Pierre des Fraces, chanoines d’Abondance, Rodolphe de Passy, Nicolas des Fraces, clercs, Guillaume de Venthône, Anselme de Châtillon et Jacques de Sierre, chevaliers, Uldric li Bochuz, Pierre des Vignes (de Vineis) et Pierre de Passy, fils du mayor de Passy, outre beaucoup d’autres témoins non nommés. Le sire Girold de la /241/ Tour et Anselme de Châtillon, son châtelain, apposèrent leurs sceaux à l’acte de la prédite donation 1 .
Girold de la Tour, donzel, est nommé dans le nombre des témoins de la charte par laquelle le chevalier Rodolphe de Martigny hypothéqua, dans l’année 1239, son fief épiscopal, à Martigny, en faveur de Boson, évêque de Sion, pour soixante livres 2 .
Nous reviendrons maintenant sur l’emprunt contracté par Girold de la Tour envers l’abbaye de Saint-Maurice, et que nous avons déjà mentionné dans l’article consacré au chevalier Aymon (II) de la Tour. On se rappelle que Girold de la Tour, dans cette circonstance, hypothéqua à l’abbaye précitée, pour vingt livres mauriçoises, le fief qu’il tenait d’elle à Ollon, dans sa seigneurie 3 , et, pour soixante-cinq des mêmes livres, le fief que son oncle, le sire Aymon, tenait de lui dans le même endroit et à Iserables, ce qui eut lieu tant du consentement de son dit oncle que de celui de dame Isabelle, épouse de ce dernier et de Pierre, son neveu. Girold de la Tour serait censé tenir immédiatement et simplement de l’abbaye de Saint-Maurice, à titre de fief, toute cette /242/ hypothèque, que l’abbé prendrait en mains et retiendrait sans condition aucune, jusqu’au payement intégral de la dette, les revenus des biens engagés n’étant point comptés dans le capital, et l’abbé jouissant en plein, quant à cette hypothèque, du droit de suzerain du fief. Girold de la Tour donna pour otages de la première hypothèque, soit de celle de son propre fief: le sire Pierre, miles d’Ollon, Louis d’Ayent et Pierre de Martigny, chacun d’eux pour le tout. Puis, pour otages de la seconde hypothèque, soit du fief de sire Aymon: Girold, miles de Langins (de Langis) pour vingt livres, le sire Guillaume, miles de Bex, pour dix livres, le sire Amoldic (Arnoldic) d’Ollon, pour dix livres, le sire Wiffred de Montmeillan, châtelain de Sesterne (Féterne?), pour vingt livres, et le sire Pierre, miles d’Ollon, pour le tout. Dans le nombre des témoins de cette mise en gage se trouvent les sires G(irold) et W., frères, milites de Langins, les sires Pierre et Arnold, frères, milites d’Ollon 1 , W., vidomne de Collombier, outre d’autres personnes, tant laïques qu’ecclésiastiques 2 . Du consentement donné par dame Isabelle, l’épouse du sire Aymon de la Tour, furent, entre autres, témoins: Jacques, chantre de Sion, et Jean de la Tour (de Saint-Maurice) 3 . Nous indiquerons ailleurs quels furent ceux du consentement donné à cette même mise en gage par Pierre, neveu du prédit Aymon. L’évêque B(oson), apparaissant dans le /243/ nombre de ces derniers témoins, la date du document dont nous venons de rapporter les dispositions doit être placée entre les années 1237 et 1243 (2 juillet), temps de l’épiscopat de Boson de Granges. — L’emprunt qui est constaté par cette charte eut-il lieu au profit du seul Girold de la Tour, ou bien son oncle Aymon en retira-t-il la part pour laquelle il y participa? Ce dernier cas nous paraît le plus probable, du moins selon les termes de la charte.
Lorsque, après le décès de l’évêque Boson de Granges, ses héritiers firent, le 22 juillet 1243, un arrangement au sujet de l’héritage de ce prélat, Girold de la Tour, donzel, en fut l’un des témoins 1 .
Nous avons rapporté précédemment la transaction conclue, le 12 mars 1244, entre Henri (de Rarogne), évêque de Sion, d’une part, et Aymon et Girold de la Tour, de l’autre, au sujet de la mestralie de la cour de Sion, transaction dans laquelle ce dernier apparaît comme neveu du prédit Aymon (voir ci-devant pag. 224 et 225). On doit inférer de la part prise par Girold de la Tour dans cette circonstance que l’office de la dite mestralie devait lui revenir après son oncle.
Girold, chef de la famille de la Tour, était vidomne d’Ollon. C’est en cette qualité qu’il remit à Brunet, son mestral d’Ollon, en augmentation de fief, le ténement et le fief que Martin, mestral du dit lieu, avait tenu de lui pour soixante sols. La charte de cette remise est datée du 13 des kal. de décembre de l’année 1255 2 . /244/
En l’année 1258, à la fête de St. Michel archange, Pierre de Pontverre, chevalier, engagea à Nantelme, abbé de Saint-Maurice, et à son couvent, pour la somme de quatre-vingt-dix livres mauriçoises, tout le fief, avec la juridiction, qu’il tenait de cette abbaye, au lieu appelé Chieses, dès le château de Monthey jusqu’au Mont-de-Coul, et dans la paroisse de Troistorrens, au diocèse de Sion. Pierre de Pontverre donna de bons otages de cette mise en gage, savoir: le sire Guigues de Pontverre, son père, le sire Girold de la Tour, le sire Pierre de Saillon, chevaliers, et Pierre Bonet, bourgeois de Saint-Maurice 1 . — Nous venons d’apprendre que Girold de la Tour était devenu chevalier.
Ce seigneur ne vivait pas dans les meilleurs termes avec Henri de Rarogne, devenu évêque de Sion en 1243. Il suivait en cela l’exemple que lui avaient laissé ses prédécesseurs, qui avaient été fréquemment en opposition avec les évêques de Sion, leurs suzerains féodaux à raison de la mayorie de Sion et de la maison de la Tour. Dans les démêlés qui eurent lieu entre cet évêque et le prince Pierre de Savoie et les hostilités auxquelles ils donnèrent lieu, Girold de la Tour prit parti pour le prince savoisien. Le traité d’échange et de paix intervenu, le 5 septembre 1260, entre l’évêque Henri et Pierre de Savoie, renferme quelques dispositions qui concernent les sires de la Tour. Le prince Pierre, selon ce document, se plaignait, entre autres, de ce que les hommes et les familiers de l’évêque, en armes, avaient poursuivi Aymon, fils du sire Girold de la Tour, son homme lige, et il /245/ demandait que la tour de Montorge, construite sur le propre terrain du dit sire Girold et de son fils Aymon, ses feudataires, et contre leur volonté, fût détruite. Par ce traité, le prince savoisien se réserva, entre autres, la fidélité lige du sire Girold de la Tour pour les fiefs qu’il tenait de lui dès la rivière dela Morge 1 , dans la direction de Chillon, et depuis le sommet du mont de Tyons 2 , du côté du Mont-Joux. L’évêque concéderait au prédit sire Girold, en augmentation de fief, celui d’Ayent (que le prince Pierre lui remettait à titre d’échange), et cela sans que Girold de la Tour (soit ses hoirs) fût tenu de lui prêter un nouvel hommage, et il lui permettrait de construire une maison forte dans le dit lieu d’Ayent 3 . En revanche, Pierre de Savoie, ainsi que nous l’avons déjà indiqué, abandonna à l’évéque Henri le fief de feu messire Guillaume (II) de la Tour. Le prince savoisien comprit nommément le sire Girold de la Tour, en qualité de son vassal, dans le traité d’échange et de paix qu’il faisait avec l’évéque de Sion 4 . Ce document n’indique pas à raison de quels fiefs le sire Girold de la Tour et son fils Aymon étaient les hommes liges du prince Pierre de Savoie./246/
Quoique l’évêque Henri de Rarogne occupât déjà depuis bien des années le siége épiscopal de Sion, Girold de la Tour ne lui avait point encore prêté hommage pour la mayorie de Sion. Pressé, sans doute, à cet égard, par l’évêque, il déclara par une charte, datée du 4 des nones de mars de l’année 1262, que la mayorie de Sion et la maison de la Tour appartenaient entièrement au fief de l’église de Sion, et que, nonobstant qu’il n’eût pas prêté hommage pour ce fief, dont il n’avait pas reçu l’investiture, il affirmait néanmoins que la patience eue à cet égard par le seigneur évêque ne tournerait point au préjudice de celui-ci 1 .
Le traité d’échange et de paix intervenu dans l’année 1260 entre l’évêque de Sion et Pierre de Savoie n’avait pas ramené la bonne harmonie entre les parties, car, à la date du 27e février de l’an du Seigneur 1265, un compromis fut passé entre le comte Pierre de Savoie et l’évêque Henri de Sion, fixant un terme pendant lequel des arbitres choisis par les parties s’efforceraient de pacifier leurs différends. L’évêque et le comte donnèrent des garants pour ce compromis. Ceux de l’évêque furent: les deux arbitres choisis par lui (Jocelin, vidomne de Sion, et Amédée de Rarogne, chevaliers), Girald de la Tour, avec /247/ Aymon, Jacques, sire de Car (Quart?), messire P. de Ayent et Sinfred de Bay (de Bex ) 1 .
Girald ou Girold de la Tour, nommé dans cette circonstance avec Aymon, était-il le père de celui-ci ou son frère? Ici, nous entrons dans une phase très obscure de l’histoire des sires de la Tour.
On ignore l’époque du décès de Girold de la Tour auquel le présent article est consacré 2 . Ce seigneur laissa un fils nommé Aymon (III), et peut-être encore un autre fils portant le nom de Girold (II), qui serait devenu chevalier. L’incertitude qui règne à cet égard ne saurait être levée que par la découverte de documents inconnus jusqu’à ce jour. Il est certain qu’un Girold de la Tour, chevalier, vidomne d’Ollon, épousa Jordane de Champvent, fille d’Henri (I) de Grandson, sire de Champvent (voir plus loin). Ce Girold est-il celui qui reconnut la mayorie de Sion en faveur de l’évêque Henri, le 4 des nones de mars de l’année 1262, ou bien est il son fils, ainsi que cela est admis dans la Collection de Mulinen?
Jordane de Champvent, veuve de Girold de la Tour, se remaria avec Jacques, sire de Cossonay, chevalier, dont elle eut un fils nommé Jean, qui fut sire de Cossonay (celui-ci était déjà marié au mois de janvier 1286, quoique récemment). Cette dame, qui était veuve de Jacques, sire de Cossonay, au mois de mai de l’année 1274, apparaît /248/ encore sous le nom de la Tour dans les comptes de la châtellenie de Chillon pour l’année 1266-1267 1 . Nonobstant qu’elle eût convolé en secondes noces, elle conserva l’usufruit viager de divers biens procédés de son premier mari, savoir du tiers de la seigneurie de Bex, du vidomnat d’Ollon et de biens importants situés dans le lieu de ce nom. Ces biens, après elle, passèrent aux enfants d’Aymon de Greysier, donzel. L’épouse de celui-ci se nommait Beatrice, et les dits enfants étaient, en 1297, les droit-ayants au vidomnat d’Ollon 2 . Aymon de Greysier fut mayor de Sion 3 , et son fils François lui succéda dans cet office 4 . Il paraîtrait donc que Jordane de Champvent aurait eu de son premier mari la susnommée Béatrice qui, par son mariage avec Aymon de Greysier 5 , fit passer dans la maison de /249/ celui-ci une partie du patrimoine de la maison de la Tour, qu’elle aurait héritée de son père. Béatrice, l’épouse d’Aymon de Greysier, était mayoresse de Sion, de son propre droit et elle apparaît comme telle dans un document daté de Valère, le 13 des kal. de novembre 1290, par lequel Henri, fils du sire Aymon de Châtillon, chevalier, et de défunte dame Isabelle, fille du sire Aymon, mestral de Sion, libre de toute tutelle et agissant avec l’approbation de son dit père et celle de dame Béatrice, mayoresse de Sion, de son mari Aymon de Greysier, donzel, et de leur fille Alaysie (Alexie), vend au chapitre de Sion, pour le prix de cent et quarante livres mauriçoises qu’il a reçues, et pour une livre, grand poids, de poivre, à payer annuellement à la prédite mayoresse, et vingt sols de plaît, les feudataires, rentes, bois, pasquiers, juridiction, seigneurie, etc., qui lui appartiennent à Magy (Mage). Il assigne au chapitre de Sion, comme garantie de cette vente, tout ce qu’il possède dans la paroisse de Bex et dans le territoire de Saint-Maurice, et cette assignation de garantie est appouvée par la dite dame Béatrice, sous réserve de ses usages. Celle-ci remet au chapitre la fidélité et l’hommage qu’elle assurait lui être dus pour les biens vendus, réservant néanmoins la fidélité et l’hommage pour le fief que le dit Henri et son père tiennent d’elle dans le territoire de Bex. La dite mayoresse et son mari reçoivent dix livres et dix sols à raison de leur approbation. Le 6 des ides de juin précédent, au château de Valère, le /250/ prénommé Henri de Châtillon avait confessé avoir reçu du chapitre de Sion cent et vingt-sept livres à raison de la vente du village de Magy 1 . — A l’époque où eut lieu la transaction dont nous venons de rapporter les dispositions, le tiers de la seigneurie de Bex, appartenant à la mayoresse Béatrice, et qui passa plus tard à ses enfants, était tenu à titre d’usufruit viager, par Jordane, dame de Cossonay. On apprend, par un document de l’année 1305, que le vidomnat d’Ollon, tenu alors par le chevalier Bourcard de la Roche et son épouse Isabelle (de Greysier, fille du donzel Aymon), avait été précédemment possédé par Girold de la Tour, chevalier, puis, après lui, par dame Jordane, son épouse 2 . Il semble peu probable que, si l’épouse d’Aymon de Greysier eût été la fille de Girold (I) de la Tour, celui-ci eût laissé à sa fille, au détriment de son fils Aymon, des biens patrimoniaux aussi importants que ceux qu’elle apporta dans la maison de son mari, surtout la mayorie de Sion et la maison forte de cet office héréditaire. Nous inférons donc de cette circonstance la probabilité de l’existence d’un Girold (II) de la Tour, fils de Girold (I), et cela nonobstant le silence observé par les documents à son égard. Ce Girold (II) serait mort peu avancé en âge et ses biens paternels auraient passé plus tard par sa fille aux enfants d’Aymon de Greysier. Toutefois, nous le répétons, cette question reste insoluble jusqu’à la découverte de nouveaux documents permettant de l’éclaircir 3 . /251/
Le nom de la première épouse de Girold (I) de la Tour est resté inconnu, si l’on admet toutefois que Jordane de Champvent ait été sa seconde femme, plutôt que l’épouse d’un Girold (II) de la Tour, qui aurait été fils de Girold (I).
Une fille du sire Girold de la Tour, chevalier, nommée Nantelma, apparaît, le 4 des ides de mai 1268, en qualité d’épouse du noble Rodolphe de Rarogne, donzel, vidomne de Sion. Celui-ci, à la date précitée, au château de Rarogne, lui fit donation, à titre d’avantage et en sus de sa dot, de ses possessions et droits dans toute la paroisse et la vallée de Chauson (soit Chouson, c’est-à-dire de Saas, aujourd’hui) 1 . Nantelma de la Tour, épouse du donzel Rodolphe de Rarogne, était-elle la sœur de Béatrice, mayoresse de Sion, l’épouse du donzel Aymon de Greysier?
Après Pierre (II) de la Tour, sire de Bex, une lacune se présente dans l’histoire de la seigneurie de ce nom. On doit admettre qu’elle fut héritée par son fils Girold; mais comme, d’un autre côté, un tiers seul de cette seigneurie se trouvait dans les mains de Jordane de Cossonay, qui le possédait au titre indiqué plus haut, on peut supposer que les deux tiers de cette belle terre avaient été aliénés en faveur de la maison de Blonay 2 , soit par le sire Girold lui-même, soit par son fils Aymon, ou enfin par Girold (II), frère présumé de celui-ci.
/252/
CINQUIÈME DEGRÉ.
AYMON (III) DE LA TOUR
Chevalier, possesseur de la terre de Châtillon.
Aymon (III) de la Tour, fils du sire Girold (I), nous est connu par le traité d’échange et de paix, fait dans l’année 1260, entre Henri de Rarogne, évêque de Sion, et Pierre de Savoie. Ce prince, dans ce document, le désigne comme étant son homme lige, de même que le sire Girold, son père. (V. ci-dev., pag. 244 et 245.) Ce qui concerne ce seigneur, dont la carrière ne fut pas longue, est peu connu. Nous l’avons trouvé nommé, avec Girold de la Tour (son père ou son frère?), dans le nombre des garants de l’évêque de Sion lors d’un compromis passé entre ce prélat et le comte Pierre de Savoie, le 27 février de l’an du Seigneur 1265. Il est encore cité dans les comptes de Pierre de Saxon, châtelain de Conthey, qui comprennent l’espace d’une année, du 2 février (de l’an du Seigneur) 1276, à pareil jour de l’année suivante, comme ayant tenu otage, à Sion, pour le comte de Savoie 1 . /253/
On se rappelle que, sous l’année 1258, le donzel Simon, fils du chevalier Rodolphe de la Tour, avait vendu à maître Girold de Lausanne neuf muids d’orge, de cense, sur les dîmes de Neindaz. Or, le 18 juin 1266, à Sion, Aymon de la Tour, donzel, avec l’approbation de son épouse Isabelle, vendit au chapitre de Sion, pour le prix de vingt livres, ses droits à la dîme dans le territoire de Neindaz, vendue à maître Girold, feu chanoine de Sion, par Simon de la Tour, donzel 1 .
Aymon (III) de la Tour, chevalier, ne vivait plus le mardi avant la fête de Marie Madeleine (soit le 20 juillet) de l’année 1277, et, à cette date, Anselme de Saxon, donzel, était le curateur de son fils Pierre 2 . Il avait légué deux muids annuels d’orge, à la mesure de Sion, à l’abbaye de Saint-Maurice, qu’il avait achetés de Guillaume d’Ayent, curé de Granges, et que Jean, fils du feu chevalier Anselme d’Ayent, devait acquitter 3 . C’est postérieurement au 13 des kal. d’août 1270 qu’Aymon de la Tour était devenu chevalier. A cette date il apparaît encore, avec le titre de donzel, dans le nombre des témoins d’une sentence arbitrale par laquelle Henri de Rarogne, évêque de Sion, termina un différend qui existait entre Pierre (II), comte de Gruyère et les seigneurs de Rarogne 4 .
Le Nécrologe de l’église cathédrale de Sion indique le décès du chevalier Aymon de la Tour, le jeune, sous la /254/ date du 20 septembre, ajoutant que ce chevalier légua à la dite église un muid et demi (annuel) d’orge, à la mesure précitée de Sion, percevable à Châtillon 1 . C’est ainsi, au 20 septembre de l’année 1276, qu’il faut placer la mort de ce fils du sire Girold de la Tour 2 .
L’épouse d’Aymon (III) de la Tour, sous l’année 1266, était Isabelle, ainsi que nous l’avons vu. L’extraction de cette dame n’est pas connue, toutefois Isabelle pourrait avoir appartenu à la maison de Saxon, puisque le donzel Anselme de Saxon fut le curateur du jeune Pierre de la Tour et qu’il était d’usage de confier la tutelle des mineurs à leurs proches parents. On doit présumer que le prédit Pierre de la Tour était issu d’Isabelle plutôt que de la seconde épouse de son père, car nous le trouverons, déjà sous l’année 1285, faisant la guerre aux Bernois, avec les sires de Weissenbourg et le comte de Gruyère. Le sire Aymon de la Tour se remaria avec Jordane, l’une des filles de Pierre (I), sire de Grandson, et d’Agnès de Neuchâtel 3 , qui lui survécut et apparaît, sous l’année 1290, comme épouse d’Humbert de Thoire et de Villars, sire d’Aubonne et de Coppet 4 . /255/
On ne connaît qu’un seul enfant au sire Aymon (III) de la Tour, savoir Pierre (IV), qui fut son successeur et dont l’article qui lui est consacré suit.
SIXIÈME DEGRÉ.
PIERRE (IV 1 ) DE LA TOUR
Seigneur de Châtillon, bailli de Vaud.
Pierre (IV) est le premier des sires de la Tour qui ait pris le titre de seigneur (dominus) de Châtillon. Nous avons déjà indiqué (pag. 192) que nous présumions que ce titre nouveau était la conséquence de ce que ce seigneur aurait fait bâtir le château de Châtillon, véritable forteresse féodale 2 .
Nous avons vu, dans l’article précédent, que Pierre de la Tour était mineur lors de la mort du sire Aymon (III), son père, et qu’il se trouvait, en 1277, sous la curatelle du donzel Anselme de Saxon. /256/
Ce fut ce seigneur qui noua, avec les libres barons de l’Oberland bernois et de la vallée de la Simmen, ces relations d’alliance et de confédération qui persévérèrent sous ses successeurs et devinrent encore plus intimes après que son fils, le sire Jean de la Tour, fut devenu seigneur du Frutigen; leur but était de combattre la puissance toujours croissante de la ville de Berne. On trouve Pierre de la Tour faisant, pour la première fois, cause commune avec les barons précités, lorsque, dans l’année 1285 1 , les Bernois sortirent de leur ville pour aller tirer vengeance d’hostilités commises, sans motif équitable, sur leur territoire, par les prédits seigneurs. Les sires de Weissenbourg et de la Tour, secondés par Pierre, comte de Gruyère, défendirent inutilement contr’eux la forte palissade qui fermait l’étroit défilé par où l’on pénètre dans la vallée de la Simmen. Les Bernois emportèrent d’assaut le château de Wimmis situé sur la pointe d’un rocher, puis s’emparèrent de celui de Jagdberg; alors les barons épouvantés s’enfuirent dans la vallée 2 . Le seigneur de la Tour, mentionné dans cette circonstance, était Pierre (IV).
Ce seigneur tenait des fiefs de la sacristie de Sion, /257/ quoiqu’on n’en trouve pas la désignation. Un document conservé aux archives de Valère nous apprend que le 6 des nones d’octobre de l’année 1290 (?), sous le règne d’Albert et pendant l’épiscopat de Boniface, le noble sire Pierre de la Tour, seigneur de Châtillon, en Vallais, prêta fidélité et hommage, de main et de bouche, au vénérable Ebald de Greysier, sacristain de l’église de Sion, recevant le dit hommage au nom de la sacristie. Cet acte solennel eut lieu au château de Valère, dans le chœur de l’église, en présence de divers hommes d’Eglise, de Guillaume de Grimissol et d’Aymon de Herdes, donzels, et de Pierre, gardien de la porte ferrée de Valère 1 .
Une inféodation importante fut faite, dans l’année 1291, par l’abbaye de Saint-Maurice, au noble Pierre de la Tour, sire de Châtillon, en Vallais. Girard, abbé de ce monastère, considérant que les lieux appelés Séez, Arpille, Orgevaux et Culant, savoir: dès la fontaine de Raspanères jusqu’au ruisseau de la Chaut de Grion, puis dès la dite fontaine, du côté inférieur, jusqu’à la Duez de Perches 2 , et enfin dès la dite Duez jusqu’au ruisseau appelé de Champ Lossiam, étaient de mince utilité et de petit rapport, et que s’ils venaient à être habités et cultivés, il en /258/ résulterait un grand avantage pour son couvent; considérant, d’un autre côté, que le prédit noble Pierre de la Tour était plus propre qu’un autre, tant par lui-même que par les hommes qu’il possédait dans les environs des dits lieux, à cultiver et à peupler ceux-ci, les lui inféode à perpétuité, en droit fief, avec leur territoire, la juridiction, la directe seigneurie (dominium), les alpes, pâturages et bois, sous réserve de l’usage que les hommes de Grion, sujets de l’abbaye, avaient dans les bois et pâturages du mont Chistellions (Châtillon?), usage pour lequel ils payaient annuellement douze deniers qui seraient acquittés désormais au dit noble Pierre. Celui-ci serait tenu à une fidélité envers le couvent, sous réserve de celles qu’il devait à Louis de Savoie, au comte de Savoie et à l’évêque de Sion. En cas de mutation de l’abbé ou du vassal, ce dernier payerait une obole d’or, de plaît. Si Pierre de la Tour (ou ses successeurs) construisait un château soit une maison forte dans les lieux inféodés, il les remettrait, avec les clefs, à tout abbé de Saint-Maurice qui y viendrait pour la première fois et il l’y recevrait honorablement pendant un jour et une nuit; cet abbé, le lendemain matin, lui restituerait le dit château avec ses clefs. Pierre de la Tour (soit ses hoirs) et les habitants des lieux inféodés construiraient, à leurs frais, une église, en lieu convenable, et la doteraient de soixante poses (jugera) de terrain, franc de redevances, tant en champs qu’en près; l’abbé aurait le patronat de cette église. Chaque feu payerait annuellement à l’abbé, à la St. Martin d’hiver, un chapon et une coupe d’avoine, à la mesure de Saint-Maurice. L’abbé percevrait la sixième part des dîmes de tous les grains et légumes dans les dits lieux; et en outre, /259/ comme suzerain, le tiers des bans de soixante sols et des échutes, tant des biens meubles que des immeubles. Enfin, il y aurait appel auprès de l’abbé. Cette importante inféodation, qui eut lieu à Saint-Maurice, en chapitre, est datée du 7 des ides de mars 1291, style paschal 1 .
Les territoires inféodés, dans cette circonstance, par l’abbaye de Saint-Maurice à Pierre de la Tour, nous semblent s’être étendus, dès celui de Grion jusqu’à la partie supérieure de la vallée des Ormonts. Il ne paraît pas que le but que se proposait la dite abbaye, au moyen de cette inféodation, ait été atteint, puisque, de nos jours, cette contrée ne renferme guère que des alpages 2 . Nous apprendrons plus tard d’où provenaient les biens que le sire Pierre de la Tour possédait dans le voisinage des lieux qui lui furent inféodés.
Dans la même année 1291 (10 août), Pierre de la Tour, sire de Châtillon, fut appelé, par Louis de Savoie, à remplir l’importante charge de bailli et de gouverneur de Vaud 3 , qu’il ne conserva qu’une année 4 .
On trouve ce seigneur dans l’armée du comte Amédée (V) de Savoie et de son frère, le sire de Vaud, qui, vers la fin du mois de juin 1293, assiégeait la ville de Nyon. /260/ Ces princes étaient alors en guerre avec Aymon de Prangins, sire de Nyon. Après la reddition de cette ville, les baillis de Chablais, de Genevois, de Viennois et de Bugey, pour le comte de Savoie, avec Pierre de la Tour, sire de Châtillon, et d’autres seigneurs, prirent l’engagement, envers les habitants de Nyon, que le comte de Savoie confirmerait leurs franchises ou leur en donnerait d’autres, s’ils le préféraient 1 .
Par traité du 7 décembre 1294, Louis de Savoie, sire de Vaud, céda à son frère, le comte Amédée, tout ce qu’il possédait dans le Vallais, avec l’hommage de Pierre de la Tour, sire de Châtillon, en échange de la ville de Nyon et de l’hommage de divers seigneurs dans l’ancien comté Equestre 2 .
Cet hommage du sire Pierre de la Tour était dû pour le château de Châtillon, lequel, à l’époque où il fut acquis du baron Antoine de la Tour par le comte Amédée de Savoie, relevait de ce prince 3 . On se souvient, d’un autre côté, que l’évêque Conon, lorsqu’il avait concédé au sire Guillaume (I) de la Tour le fief que lui avait abandonné Anselme de Châtillon, s’en était réservé la mouvance 4 . Or, si le prédit fief avait compris la terre de Châtillon, il y aurait eu, nécessairement, à l’égard de cette mouvance, quelque transaction qui l’aurait fait passer des évêques de Sion aux /261/ comtes de Savoie. Et comme l’on ne trouve aucune indication d’une transaction pareille, on doit inférer de ce silence des documents que la terre de Châtillon avait relevé du fief des comtes de Savoie dès le temps de Guillaume (I) de la Tour. Le fief de Châtillon n’est point mentionné dans le traité de paix et d’échange, fait le 5 septembre 1260, entre Henri de Rarogne, évêque de Sion, et le prince Pierre de Savoie. On sait, du reste, que ce traité fut annulé huit années plus tard. Nous avons vu précédemment le sire Pierre de la Tour, devenant le vassal de l’abbaye de Saint-Maurice, dans l’année 1291, réserver la fidélité qu’il devait à Louis de Savoie, au comte de Savoie et à l’évêque de Sion. Quelle était la part de chacun de ces suzerains dans la mouvance des divers fiefs que tenait le sire Pierre de la Tour, si nous en exceptons toutefois celui de Châtillon, qui relevait alors de Louis de Savoie?
Dans l’année 1290, Boniface de Challant, des vicomtes de la Val d’Aoste, était monté sur le siége épiscopal de Sion. Ce prélat, d’un caractère altier, et le sire Pierre de la Tour vécurent en grande inimitié et se firent la guerre. La bonne intelligence pouvait difficilement régner entre un sire de la Tour et un évêque de Sion. Le sire de Châtillon fut le chef d’une longue révolte armée des seigneurs du Haut-Vallais contre l’évêque Boniface. Au rapport de l’historien Furrer (voir son Cartulaire du Vallais, pag. 96), dans l’année 1294, Pierre de la Tour, sire de Châtillon, et d’autres seigneurs du Haut-Vallais (le sire de Rarogne, les nobles de Naters, de Viége et le donzel Guillaume de Moërel 1 ) étaient en guerre avec l’évêque Boniface. /262/ Selon une version celui-ci aurait été la cause de ces hostilités, ayant injustement vexé les prédits nobles faits prisonniers par lui dans le château de la Soie, qu’il aurait gardé. Tandis que, d’après une autre version, les nobles précités se seraient emparés de châteaux et de villages appartenant à l’église de Sion 1 . Pierre de la Tour, avec dix mille hommes 2 , aurait été sur le point de détruire le bourg de Louëche et son église, lorsque Martin de Jorio, capitaine des troupes épiscopales 3 , lui livrant bataille, l’aurait défait et obligé à faire la paix, par l’entremise du comte de Gruyère et des seigneurs de Weissenbourg et de Straetlingen 4 .
Selon un éminent historien de notre époque, la guerre des principaux seigneurs du Haut-Vallais contre Boniface de Challant, évêque de Sion, aurait eu la cause suivante: A la mort de l’empereur Rodolphe de Habsbourg, survenue en 1291, l’évêque Boniface se serait déclaré pour l’archiduc Albert, son fils, contre Adolphe de Nassau, élu roi des Romains en 1292. Tout le Bas-Vallais aurait suivi l’impulsion donnée par le prélat, tandis que les principaux /263/ seigneurs du Haut-Vallais, tels que les sires de la Tour-Châtillon et de Rarogne, les nobles de Supersax et de Moërel, ainsi que les seigneurs de l’Oberland bernois, auraient embrassé la cause de ce dernier 1 , saisi ce prétexte pour refuser l’hommage dû à l’évêque pour les fiefs qu’ils tenaient de l’église de Sion, et se seraient emparés des châteaux et des revenus appartenant à la mense épiscopale. L’évêque Boniface, appuyé par les Bas-Vallaisans et aidé de sa propre famille, puissante dans la Val d’Aoste, aurait pris les armes à son tour pour ramener les rebelles sous son obéissance. La lutte aurait duré de 1292 à 1299 et se serait enfin terminée par la défaite totale des ennemis de l’évêque. Les biens des seigneurs du Haut-Vallais les plus compromis auraient été confisqués, incorporés au domaine épiscopal, ou cédés aux plus fidèles partisans du prélat, à charge d’hommage lige 2 .
Il y a, nous paraît-il, quelques points obscurs dans les données historiques qui précèdent. Et d’abord on a lieu d’être surpris que Pierre (IV) de la Tour, sire de Châtillon, se soit déclaré pour l’élection d’Adolphe de Nassau, /264/ lorsque l’on voit, plus tard, son fils et son petit-fils être les partisans dévoués de la maison d’Autriche; mais enfin ce seigneur peut avoir saisi ce prétexte pour faire la guerre à l’évêque Boniface. Ensuite il est difficile d’admettre que les libres barons de l’Oberland bernois aient été favorables à la cause d’Adolphe de Nassau, puisque, en 1294, les Bernois ravagèrent de la manière la plus cruelle le pays de Frutigen, dont les seigneurs, les sires de Wædiswyl, étaient opposés à la prédite cause 1 , et que, d’un autre côté, un traité fait, dans l’année 1296, entre les Bernois et l’évêque de Sion, dont il va être question, nous apprendra que les premiers regardaient comme leurs ennemis les prédits sires de Wædiswyl et ceux de Weissenbourg (outre le sire de Rarogne qui avait des possessions dans la vallée de la Simmen).
Il faut donc conclure de ce qui précède que si les barons de l’Oberland bernois s’allièrent aux seigneurs du Haut-Vallais dans la lutte qne ceux-ci soutinrent contre l’évêque Boniface, cela ne fut pas la conséquence de ce qu’ils auraient appartenu au parti guelphe.
Nous ne trouvons pas de lumières sur ces divers événements dans les documents qu’il nous a été donné de consulter.
Dans l’année 1296, la ville de Berne, nonobstant le succès que ses armes venaient d’obtenir contre les barons Arnold et Vautier de Wædiswyl, frères, dont elles avaient envahi et ravagé le pays de Frutigen, parce que ces deux seigneurs soutenaient les prétentions d’Albert d’Autriche au trône impérial contre l’élection d’Adolphe de Nassau, que Berne appuyait, /265/ fit un traité d’alliance défensive avec l’évêque de Sion, le comte Jocelin de Viége 1 et les patriotes du dixain de Louëche, traité dirigé contre les prédits barons de Wædiswyl et leurs amis et alliés 2 .
D’un autre côté, vers la même époque, le baron Rodolphe de Weissenbourg avait fait un traité d’alliance, pour dix années, avec les barons Arnold et Vautier de Wædiswyl, le sire de Rarogne et les patriotes vallaisans, lequel était essentiellement dirigé contre la ville de Berne 3 . Si le sire Pierre de la Tour, précédemment l’allié du sire de Weissenbourg, ne prit pas de part, d’un côté, à ce traité, et, d’un autre côté, n’est pas nommé dans le nombre des ennemis de la ville de Berne contre lesquels l’évêque de Sion. le comte de Viége et les patriotes du dizain de Louëche /266/ devaient lui fournir des secours, aux termes du traité mentionné plus haut, cela tient sans doute à la circonstance que peu de temps auparavant ce seigneur était devenu bourgeois de Berne 1 . Cette association à la bourgeoisie d’une ville que le sire de la Tour avait longtemps regardée comme son ennemie, fut-elle limitée à la vie de ce seigneur, ou bien passa-t-elle à ses descendants? Dans ce dernier cas ceux-ci auraient été des bourgeois peu dévoués de la cité de l’Aar, dont ils se montrèrent les ennemis.
Il nous reste encore à rapporter quelques transactions qui concernent Pierre (IV) de la Tour et qui sont postérieures aux événements que nous venons de retracer.
Le 27 septembre 1299, le clerc Jacques, fils de feu Girold, dit Crauhart de Châtillon 2 , vendit à Pierre, fils du défunt sire Aymon de la Tour, chevalier, pour le prix de dix livres, ce qui lui appartenait, par succession de son père, dans la dîme de la paroisse de Châtillon, mouvante du prédit Pierre de la Tour. Cette vente eut lieu à Châtillon, en présence, entr’autres, du donzel Nicolas de Viége 3 .
Le 10 octobre 1305, Pierre de la Tour, sire de Châtillon, en Vallais, avec l’approbation de Jean, son fils, remit à Guillaume, tavernier, un pré, situé à Cambiz, et deux faucherées d’un autre pré, en échange de l’alpe, dite Hechen, avec onze sols mauriçois de service, qui lui fut remise par le dit tavernier 4 . Puis, le 22 décembre suivant, le même seigneur de Châtillon, avec l’approbation de son /267/ fils susnommé, concéda, à titre de fief, à Pierre, dit Esperlin, de Poncierre, l’alpe dite Hokken, dans la vallée de Lœtschen, sous quatre sols mauriçois de service et cinq sols de plaît 1 . Ces deux transactions sont datées de Châtillon. Hechen et Hokken nous semblent être le même nom.
Pierre de la Tour, sire de Châtillon, fit une aliénation de biens assez importante lorsque, aux nones de février de l’année 1307 (de l’Incarnation, probablement), il vendit, avec l’approbation de ses fils Jean et Aymon, son fils Albert étant encore impubère, à Pierre, dit Esperlin, de Balschieder, pour le prix de soixante et dix livres mauriçoises, tout ce qu’il possédait en hommes, services et autres choses, dans les lieux dits Zu dien Benken, près de Campuel, et Zen Stegen 2 . Cette vente eut lieu à Châtillon 3 .
Pierre (IV) de la Tour, sire de Châtillon, auquel les documents n’attribuent pas la qualité de chevalier, décéda dans un âge encore peu avancé. Sa mort doit avoir eu lieu dans l’année 1308, puisque Jean, son fils, s’intitule sire de Châtillon, le 16 décembre de la prédite année.
L’épouse de ce seigneur fut Guyonne de Rossillon 4 , d’une famille bien connue du pays de Gex. Les documents ne nous apprennent rien au sujet de cette dame, qui aurait donné quatre enfants au sire Pierre de la Tour, savoir:
1° Jean, qui fut le successeur de son père.
2° Aymon, homme d’Eglise, lequel, aux environs du 17 novembre 1323, devint évêque de Sion 5 . Ce prélat /268/ apparaît comme tuteur de son neveu Pierre (V) de la Tour, dans les années 1324 et 1326 1 . L’évêque Aymon de la Tour, dans le but d’augmenter le culte divin par la fondation d’une chartreuse dans l’église paroissiale de Géronde, en Vallais 2 , où l’abbaye de N. D. d’Abondance avait un prieuré, conclut, le 15 janvier 1331 (style de la Nativité), une transaction avec cette abbaye, par laquelle le prieuré de Géronde fut transféré et institué dans l’église d’Illiez 3 . A la suite de cette transaction, aux kalendes de février de la dite année (style de la Nativité), l’évêque Aymon fonda et dota la chartreuse de Géronde, son neveu Pierre (V) de la Tour, sire de Châtillon, et Jean, sire d’Anniviers, s’associant à cette fondation, qui fut approuvée par le chapitre de Sion 4 . L’évêque Aymon de la Tour mourut le 24 avril 1338 5 .
3° Albert, impubère en 1307, l’était encore en 1310 (style de l’Incarnation, paraît-il). On ne sait pas autre chose de lui, d’où l’on doit supposer qu’il décéda jeune.
4° Elisabeth. Cette fille du sire Pierre (IV) de la Tour épousa le chevalier Pierre de Weissenbourg, coseigneur de Weissenbourg, de Weissenau et d’autres lieux, seigneur engagiste, avec son frère Jean, de la vallée de Hasli, mort aux environs de l’année 1313. Sa veuve Elisabeth était encore vivante en 1351 6 .
/269/
SEPTIÈME DEGRÉ.
JEAN DE LA TOUR
Chevalier, seigneur de Châtillon, coseigneur de Frutigen, vidomne de Conthey, gouverneur de Milan et seigneur engagiste de Laupen.
Jean de la Tour, fils du sire Pierre (IV), fut un seigneur puissant en Vallais et même au delà des frontières de ce pays.
Nous l’avons trouvé nommé, sous les années 1305 et 1307, comme approuvant diverses transactions de son père, auquel il paraît avoir succédé dans l’année 1308, car Jean de la Tour, donzel, sire de Châtillon, en Vallais, fut l’un des témoins de l’hommage que se prêtèrent mutuellement, le 17 des kalendes de janvier (16 décembre) de l’année précitée, le comte Amédée V de Savoie et Aymon de Châtillon (de la Val d’Aoste), évêque de Sion, successeur de Boniface de Challant, pour les fiefs qu’ils tenaient réciproquement l’un de l’autre, savoir: le comte de Savoie pour le fief de Chillon, et l’évêque pour les régales, les chemins publics dès la croix d’Octans (près de Martigny) jusqu’aux confins du diocèse, le comté de Moërel (Morgiæ) et l’office des chartes soit la chancellerie, à raison des quels fiefs l’évêque devait au comte quatre-vingt-dix livres de plaît, lors de la mutation du prélat 1 . /270/
Jean de la Tour, dans les années qui suivirent la mort de son père, aliéna quelques propriétés, ainsi que son prédit père l’avait fait. Le 2e des ides de mars (14 du dit mois) de l’année 1309, il vendit aux frères François et Jacques, fils de Lippo Boneguise, de Florence, pour le prix de cent et quarante livres, une vigne, dite à la Gerba et six pièces de terrain, en présence, entr’autres, de François d’Ollon, donzel, et de Pierre Esperlin, de Rarogne. Cette vente est datée de Châtillon 1 .
Le 5 des ides de janvier (9 du dit mois) de l’année suivante, à Rarogne, Jean de la Tour, sire de Châtillon, vendit à Pierre, dit Esperlin, de Balschieder, pour le prix de onze livres, le pré dit Bürgerin, à Campil 2 , une parcelle d’autre pré situé au dit lieu, un chésal et un jardin limitant la maison des meuniers, en présence, entr’autres, de François de Thoery, donzel 3 . Enfin, le 11 février de la même année 1310, à Sion, Jean et Aymon, fils de Pierre de la Tour, sire de Châtillon, leur frère Albert étant encore impubère, vendirent, pour le prix de cent et cinquante livres mauriçoises, à Pierre, dit Esperlin, de Balschieder, mayor de Rarogne, six livres mauriçoises, d’annuel service, avec les plaîts et les hommes qui devaient les prédites six livres, plus divers fonds de terre (prés, vigne, etc.) 4 . /271/
On voit surgir dans ce document et dans d’autres précédemment cités, la famille des nobles Esperlin soit Asperlin, qui devint surtout importante dans le siècle suivant, donna un évêque au siége épiscopal de Sion et fut expulsée du Vallais (du moins dans sa branche principale) lors de la conquête faite par le Haut-Vallais, sous l’évêque Walther de Supersax, du Bas-Vallais, justement un siècle après l’expulsion des sires de la Tour du même Vallais 1 .
Le 28 juin 1314, à Sion, Agnès, veuve de Guillaume, tavernier de Châtillon, vendit, avec l’approbation du sire Jean de la Tour, seigneur de Châtillon, un muid d’orge, mesure de Châtillon, de rente, à Antoine de Crista, citoyen de Sion, en présence, entr’autres, de Conon de Châtel, d’Aymon de Herdes, et de Saquinod de Gissenay 2 .
Lorsque Guillaume, sire de Pontverre, en son nom et en celui des hoirs du sire Guichard de Pontverre, son frère, reçut, dans l’année 1314, de Guillaume, abbé de Saint-Maurice, l’investiture du fief qu’avait tenu le prédit sire Guichard et qu’il prêta hommage à cet abbé à raison du prédit fief, le noble Jean de la Tour, sire de Châtillon, en Vallais, fut l’un des témoins de cet acte solennel 3 .
A la réquisition d’Antoine, comte de Biandrate, vidomne de Conches 4 , le noble Jean de la Tour, sire de Châtillon, se constitua, dans l’année 1317, l’un des /272/ garants du prédit comte pour une somme de cent et soixante livres qu’il devait à son oncle Thomas, chantre de l’église de Sion 1 . Antoine (I), comte de Biandrate, sire de Naters et mayor de Viége, chevalier, devint le gendre du sire Jean de la Tour, dont il épousa la fille Isabelle.
Jean de la Tour, sire de Châtillon, était devenu, par son mariage, coseigneur de la grande vallée de Frutigen, qui confinait à celle de Lœtschen qu’il possédait déjà. Aux ides d’août 1318, à Louëche, le prédit Jean de la Tour rendit, avec le consentement des parties, une prononciation entre deux de ses hommes, savoir: entre Thomas, mestral de Louëche, et Pierre Ecco, de la paroisse de Frutigen, qui étaient en différend au sujet de leurs droits au mont de Curmyz, sur les limites du Vallais et de la vallée de Frutigen. Le sire de Châtillon prononça que Pierre Ecco abandonnerait au mestral Thomas les droits qu’il avait dans l’hôpital de Curmyz et son territoire, du côté du Vallais, par les limites qui seraient posées par le sire Jean et les parties, et que d’un autre côté le dit mestral céderait à Pierre Ecco ses droits, dès les dites limites, du côté de Frutigen, sous réserve pour les deux parties de la jouissance commune des bois et des chemins 2 . Thomas, mestral de Louëche, homme du sire de Châtillon, était-il son mestral de Louëche? S’il en était ainsi, cela impliquerait que ce seigneur avait des droits et des propriétés au dit Louëche.
Il en avait positivement à Hérens, à Ayent et à Granges, ainsi qu’en témoigne un ordre, daté de Brigue, le 2 juillet /273/ 1321, adressé par Jean de la Tour, sire de Châtillon, en Vallais, à ses chers Albert … mayor d’Hérens, Jean de Torrenté, son mestral à Ayent et Pierre Mescler, son mestral à Granges, par lequel il leur enjoint, s’ils ne veulent pas encourir son indignation, de payer à Jaquet Wichard, son vidomne de Conthey, les tailles, services et autres usages dont ils disposent, les rendant responsables de l’exécution de cet ordre. Il leur mande en outre qu’ils aient à ajouter foi à ce que le prédit Jaquet et Jean de Grimisuat leur exposeront verbalement de sa part, tout comme s’il le faisait lui-même. Le sire de Châtillon apposa son sceau à l’ordre précité 1 . On ignore quels motifs avaient pu provoquer celui-ci, mais on pourrait supposer que Jean de la Tour était alors engagé dans quelque entreprise importante.
Nous venons de voir que Jean de la Tour avait un vidomne à Conthey, nommé Jaquet Wichard. Celui-ci était un vice-vidomne soit un officier de ce seigneur. Les dernières générations des sires de la Tour ont possédé le vidomnat de Conthey; et quoique l’on ignore à quel titre ils tenaient cette possession, on pourrait cependant inférer de la circonstance que nous allons rapporter que ce vidomnat était échu, peut-être, au sire Pierre (IV) de la Tour, par héritage du noble donzel Jacques de Conthey. Aux kalendes de septembre de l’année 1277, Anselme de Saxon, donzel, agissant comme administrateur des biens de Pierre, fils du défunt sire Aymon de la Tour, chevalier, et par le conseil des sires Pierre d’Ayent (de Aent), Guillaume de Venthône, Vautier de Chamoson et Villencus de Grimisuat (de Grimisua), chevaliers, /274/ avait assigné, sur la taille de Granges, appartenant à son pupille, en faveur du chapitre de Sion, quarante sols mauriçois, censuels, que le défunt noble Jacques de Conthey, donzel, avait légués au dit chapitre 1 . Le sire Jean de la Tour, fils du prédit Pierre, avait un château (soit une maison forte) à Conthey, ainsi qu’en témoigne une transaction conclue entre l’abbaye de Saint-Maurice et les nobles de Collombier (Pierre, donzel, et Guillaume, son fils) et datée de Conthey, du château du noble Jean de la Tour, sire de Châtillon, en Vallais, le 1er août 1322 2 . Les comtes de Savoie, de leur côté, avaient aussi un château à Conthey, différent de celui des sires de la Tour, dans lequel ils tenaient un châtelain 3 . Selon un auteur moderne le vidomnat de Conthey, appartenant aux sires de la Tour, aurait relevé de l’église de Sion 4 . Les documents ne nous ont pas fourni de lumières sur ce point.
Dans l’année 1322, Jean de la Tour, chevalier, leva une taille de quatre-vingts livres sur ses taillables de la paroisse de Saint-Martin d’Hérens et de celle de Saint-Romain d’Ayent. Les premiers devaient payer les deux tiers de cette somme et les seconds le tiers restant. Trente-sept tenanciers sont indiqués comme ayant contribué au payement de cette taille, toutefois leur rôle n’est pas complet 5 . /275/
L’année suivante (1323), ce seigneur fut demandé (par les Milanais?) pour gouverneur de Milan 1 . Il jouissait sans doute de la réputation d’un intrépide chevalier. Il est probable qu’il mourut dans cette ville, du moins on peut l’inférer d’une disposition du testament de son fils (voyez plus loin). Quoi qu’il en soit, Jean de la Tour, sire de Châtillon, chevalier, n’était plus vivant au mois d’août de l’année suivante, ainsi que nous le verrons. C’est donc à tort que les chroniqueurs bernois, et, d’après eux, plusieurs historiens modernes, le font apparaître, en deçà des Alpes, dans l’année 1330, pour s’emparer du château de Muhlenen, dans la vallée de la Kander, qu’il revendiquait comme faisant partie de l’héritage du sire Vautier de Wædiswyl. Cette expédition doit donc être attribuée au sire Pierre (V) de la Tour, fils et successeur de Jean, et elle est tout à fait conforme à ce que nous connaissons du caractère de ce seigneur.
L’historien Tschudi rapporte qu’en l’année 1318, deux ans après la bataille de Morgarten, le sire Jean de la Tour se trouvant dans le camp du duc Léopold d’Autriche qui assiégeait Soleure, prit envers ce prince l’engagement de lui fournir un secours de trois mille hommes contre les Waldstetten, et de mettre à sa disposition, contre Berne, toute sa puissance armée en de-çà des monts 2 , avec dix lances 3 , afin que le duc Léopold pût protéger les sires de Weissenbourg contre cette ville 4 . Ces derniers étaient ses proches parents. /276/
On croit que ce fut dans les intérêts du sire Jean de la Tour que, dans la même année 1318, les barons de Wædiswyl et de Weissenbourg, assistés par les comtes de Strassberg et de Kibourg, furent en guerre avec les patriotes vallaisans. Ces seigneurs passèrent les monts et descendirent en Vallais. Mais, tandis qu’ils conféraient sans défiance avec leurs ennemis, ceux-ci les assaillirent traîtreusement, au-dessous de Louëche, sur les bords du Rhône 1 , et les taillèrent en pièces. La fleur de la noblesse de l’Oberland doit avoir trouvé la mort dans cette circonstance 2 . Nous ne connaissons pas de documents faisant mention de ces événements, rapportés par les historiens bernois, et les causes qui peuvent les avoir amenés nous sont également inconnues.
On se rappelle que dans l’inféodation accordée, en 1291, par l’abbaye de Saint-Maurice au sire Pierre (IV) de la Tour, des territoires de Séez, Arpille, Orgevauz et Culant, il est remarqué que l’inféodé avait des sujets qui habitaient le voisinage de ces lieux. Or, dans l’année 1345, l’abbé Barthélemy et son couvent de Saint-Maurice réclamaient l’échute soit la commise de divers hommes et biens, dans la paroisse d’Ollon, procédés du sire Jean de la Tour, chevalier, lesquels étaient mouvants de la prédite abbaye et avaient été jadis reconnus en sa faveur par le chevalier Aymon de la Tour avec les autres biens qu’il tenait à Ollon. Ces hommes, appelés hommes de la Tour de la paroisse d’Ollon, avaient appartenu au chevalier Guillaume de Pontverre, duquel ils avaient passé à son neveu Boniface de Châtillon (de la Val d’Aoste), sire /277/ de Saint-Triphon. Celui-ci, sans l’autorisation de l’abbé, les avait vendus à Guy et à Jean Thomas, coseigneurs de Saint-Triphon; de là les réclamations de l’abbé Barthélemy, qui s’étendaient encore à plusieurs hommes habitant la vallée de Joria (?), dans la paroisse d’Ormont, désignés sous le nom d’hommes de Saillon. Ces derniers étaient procédés des seigneurs de Saillon et avaient été aussi vendus par le prédit Boniface de Châtillon, avec la juridiction sur les uns et sur les autres, aux prénommés Guy et Jean Thomas 1 . Il résulte de ce qu’on vient de lire que Jean de la Tour (soit peut-être son fils) avait aliéné en faveur du chevalier Guillaume de Pontverre les possessions précitées, qui sont sans doute celles qu’on trouve rappelées dans l’inféodation de l’année 1291 et qui, quoi qu’elles appartinssent à l’ancien patrimoine de la maison de la Tour, à Ollon, n’avaient cependant pas passé à la maison de Greysier avec les autres biens de celle-là situés dans ce lieu. Les nobles de Pontverre, seigneurs d’Aigremont, dominaient dans la vallée des Ormonts.
Le sire Jean de la Tour fut marié deux fois. Il épousa en premières noces Elisabeth de Wædiswyl 2 , héritière de la maison de ce nom dans l’Oberland bernois et par laquelle les seigneuries immédiates de Frutigen et de Muhlenen devinrent la propriété de la maison de la Tour 3 . /278/ Elisabeth était la fille d’Arnold de Wædiswyl, chevalier, qui domina, avec son frère Vautier, sur le pays de Frutigen 1 . Arnold décéda en 1301, laissant trois enfants, savoir: un fils, nommé Jean, mort aux environs de l’année 1323, sans avoir été marié, et deux filles, Elisabeth et l’épouse de Jean de Ringgenberg. Elisabeth, qui épousa le sire Jean de la Tour, hérita de son père la part de celui-ci aux seigneuries de Frutigen et de Muhlenen, puis encore des biens importants dans la vallée de Lauterbrunnen et aux environs. Vautier, frère d’Arnold posséda l’autre part des seigneuries précitées, et à sa mort, survenue postérieurement au commencement de l’année 1327, cette part /279/ devint la propriété du sire Pierre de la Tour, fils de Jean, qui posséda le tout 1 . En devenant seigneurs de Frutigen et de Muhlenen, les sires de la Tour prirent place parmi les libres barons de l’Oberland bernois. On ne connaît pas la date de la mort d’Elisabeth de Wædiswyl qui vivait encore en 1314 (voy. la note 3, à la page 277). Par une charte, datée de la vallée de Frutigen, le 18 juin 1321, Jean de la Tour, sire de Châtillon, en Vallais, notifie qu’il a donné au prevôt Conrad et au chapitre du monastère d’Interlaken, sept livrées de rente, dans le village de Scharnachthal, à raison de l’aumône à offrir aux dits religieux pour la fille de Pierre, comte de Gruyère 2 . Ce payement se liait peut-être au mariage de Catherine, l’une des filles du sire Jean de la Tour, avec Pierre de Gruyère, sire du Vanel, neveu et héritier du comte Pierre (III) de Gruyère.
En secondes noces Jean de la Tour épousa Eléonore soit Elinode Tavelli, d’une famille puissante à Genève et très bien alliée. Elle était fille de Guy Tavelli, citoyen de Genève 3 , et cousine germaine, croyons-nous, de Guichard Tavelli, évêque de Sion, l’ennemi déclaré du fils et des petits-fils de Jean de la Tour. Celui-ci laissa un fils, Pierre (V), qui fut son successeur, et trois filles, savoir:
1. Isabelle, qui épousa: 1° Antoine, comte de Biandrate, seigneur de Naters, vidomne de Conches et mayor /280/ de Viége, qui décéda, jeune encore, en 1331. 2° François de Compey, chevalier 1 . Les fils qu’elle eut de son premier mari demeurèrent sous la tutelle de leur mère et de Pierre de la Tour, sire de Châtillon, leur oncle. Isabelle de la Tour et son fils Antoine, comte de Biandrate, périrent de mort violente, victimes de la guerre civile qui désolait alors le Vallais, où deux factions ennemies, celle des « patriotes, » ayant à leur tête les sires de la Tour, et le parti des « épiscopaux, » qui eut pour chefs les Tavelli 2 , se faisaient une guerre acharnée. Isabelle et son fils aîné qui habitaient leur château de Viège, ne se trouvant plus en sûreté dans cet asile menacé par les troupes des Tavelli, le quittèrent, dans la nuit du 4 au 5 décembre 1365, pour se réfugier au bourg de Naters. Poursuivis par une bande d’ennemis, ils furent atteints au pont du Rhône, impitoyablement massacrés, et leurs cadavres furent précipités dans le fleuve 3 . L’assassinat de la comtesse Isabelle et de son fils eut beaucoup de retentissement. Le pape Urbain (V) fit faire par Nicolas Lebram, son légat, une enquête en Vallais au sujet de cet événement. Secondé par le comte Amédée (VI) de Savoie, ce légat moyenna, à la date du 30 mai 1366, une convention entre les parties contendantes, qui devait mettre fin à leurs dissentions en réglant leurs droits d’une manière équitable (et qui fut confirmée plus /281/ tard par le comte de Savoie). Aux termes de ce traité, désigné aussi sous le nom de prononciation, l’évêque Tavelli serait tenu de faire juger et punir les meurtriers de la comtesse Isabelle et de son fils. Les restes mortels de ceux-ci recevraient dans l’église cathédrale de Sion une sépulture honorable; cette cérémonie aurait lieu le 15 août suivant. Deux autels seraient fondés dans la même église et deux messes quotidiennes y seraient célébrées pour le repos des âmes des deux victimes; ces fondations seraient faites aux dépens des biens des coupables de leur mort. Jean de Compey, fils de François et de la comtesse Isabelle, ainsi que les enfants du comte Antoine de Biandrate seraient immédiatement relâchés de la captivité dans laquelle l’évêque les retenait, et tous les biens de la maison de Biandrate dont les épiscopaux s’étaient emparés seraient restitués, dans le terme de deux semaines, soit aux enfants du comte défunt, soit à Jean de Compey, son frère 1 . Quoique le comte de Savoie eût chargé quelques seigneurs considérés du Pays de Vaud de veiller à l’accomplissement de cette convention 2 , nous verrons néanmoins que sous l’année 1368 plusieurs des points de celle-ci n’avaient pas encore reçu d’exécution.
2° Catherine, qui épousa Pierre (IV), comte de Gruyère, auquel elle survécut. La comtesse Catherine testa le 22 mai 1367 3 . /282/
3. Françoise, épouse d’Aymon, sire de Pontverre et d’Aigremont. Cette dame, devenue veuve, testa, le 25 avril 1396, au château de Brent, dans le diocèse de Genève. Elle institua pour son héritier universel le spectable sire Antoine de la Tour, chevalier, sire d’Illens et d’Arconciel, son cher neveu germain, fils de feu, de bonne mémoire, le sire Pierre de la Tour, chevalier, frère de la testatrice, et ses fils. Elle substitua au dit Antoine de la Tour et à ses fils, le sire Rodolphe, comte de Gruyère, aussi son cher neveu germain, et son fils Rodolphe, tous deux chevaliers, par parts égales, et leurs enfants mâles. Enfin elle substitua au prédit comte, à son fils Rodolphe, et à leurs fils, le noble et égrège chevalier, le sire Eubal de Challant, seigneur de Montjouet, aussi son cher neveu germain, pour une moitié de sa succession, à titre viager, et, pour l’autre moitié, la noble dame Jeanne, fille du prédit sire Antoine de la Tour, épouse de l’égrège chevalier Jean de la Baume, sire de Valuffin et des Abergements 1 . Françoise dela Tour était sans postérité lorsqu’elle fit son testament, toutefois elle avait eu un fils, François de Pontverre, qui avait épousé Hélionode, l’une des filles d’Humbert Allamandi, sire d’Aubonne, et d’Agnès de Joinville, lequel était mort sans laisser d’enfants 2 . Comme Françoise de la Tour survécut de longues années à son frère et à ses sœurs, nous présumons qu’elle était issue d’Eléonore Tavelli, la seconde épouse de son père, tandis que ceux-là étaient nés d’Elisabeth de Wædiswyl, sa première femme.
/283/
HUITIÈME DEGRÉ
PIERRE (V) DE LA TOUR,
Chevalier, seigneur engagiste de Laupen, sire de Châtillon, de Frutigen et de Muhlenen, vidomne de Conthey.
Pierre (V) de la Tour, qui n’avait pas encore atteint sa pleine majorité lors de la mort de son père, eut pour tuteur Aymon de la Tour, évêque de Sion, son oncle paternel.
Le premier document, dans lequel il apparaît et qui est daté du mois d’août 1324, est un acte important. Alors ce jeune seigneur n’était plus impubère et pouvait par conséquent contracter, toutefois avec l’autorisation de son tuteur. L’acte dont il est ici question est celui de la vente faite par Perrod de la Tour, donzel, fils du feu sire Jean de la Tour, chevalier, sire de Châtillon, à la ville et communauté de Berne, de l’avouerie impériale de Laupen. En l’année 1310, l’empereur Henri (VII) avait engagé au sire Othon de Grandson. en récompense de ses services, pour quinze cents marcs d’argent, la prédite avouerie. On ignore à quel titre cette hypothèque avait passé dans les mains du sire Jean de la Tour, duquel son fils l’avait héritée. Selon toute apparence la vente que celui-ci en fit à la ville de Berne ne fut pas volontaire et l’on peut présumer que cette dernière avait obtenu l’agrément de l’empereur Louis de Bavière, pour faire l’acquisition de la prédite hypothèque, et cela à raison de l’attachement des sires /284/ de la Tour à la maison d’Autriche. Quoi qu’il en soit, à la date susindiquée, indiction VIIe, Pierre de la Tour, autorisé par son tuteur l’évêque Aymon de la Tour, céda à la ville et communauté précitée, moyennant le prix de trois mille livres de Berne, employées à son usage nécessaire, ses droits sur le château et la seigneurie de Laupen, y compris la forêt appelée Vorst, tels que feu son père et lui-même les avaient possédés jusqu’alors, lesquels étaient procédés de la concession jadis faite par l’empereur Henri en faveur de l’illustre sire Othon de Grandson. Les témoins requis de cette importante transaction furent: les sires Henri de Rarogne, Jean de Straetlingen, Conon de Châtel (de Castello) et Berthold d’Amsoldingen, chevaliers, Rodolphe de Rarogne, donzel, Guillaume et Jacques de Duens. L’évêque Aymon et son neveu Perrod apposèrent leurs sceaux à l’acte de cette remise 1 et à leur instance Pierre de Grandson, sire de Belmont 2 et Vautier /285/ de Wædiswyl 1 y apposèrent aussi les leurs, en témoignage de vérité 2 .
Selon les historiens bernois (et aussi Jean de Muller) la cession forcée que Pierre de la Tour avait dû faire aux Bernois de l’avouerie impériale de Laupen aurait excité son ressentiment contre eux et il en serait résulté que ceux-ci et les Fribourgeois, encore dans l’année 1324, auraient fait une expédition contre les châteaux d’Illens et d’Arconciel, propriétés de la maison de Neuchâtel mais qui se trouvaient dans les mains de Pierre de la Tour, vraisemblablement à titre hypothécaire, dans laquelle ces châteaux auraient été pris et saccagés 3 . Quoi qu’il en soit, Pierre de la Tour fut toute sa vie un ennemi irréconciliable de la ville de Berne.
Deux années après la vente de l’avouerie impériale de Laupen, ce jeune seigneur se trouvait encore sous tutelle. Le 7 des kal. de septembre de l’année 1326, l’évêque Aymon, en qualité de tuteur de son neveu Perrod de la Tour, intima l’ordre, à Pierre de l’Hôpital, maréchal, homme lige de son dit neveu, de n’entrer dans aucune bourgeoisie pouvant causer quelque préjudice à celui-ci 4 . Le 5 août précédent, à Sion, Jean Girold, docteur ès lois et le noble Jean d’Anniviers avaient déclaré que dans la convention qu’ils avaient moyennée entre le prédit évêque et son neveu, d’une part, et le prénommé Pierre de /286/ l’Hôpital, de l’autre, leur intention, comme arbitres, avait été que nonobstant l’hommage lige de ce dernier il demeurerait cependant bourgeois de Sion 1 .
Nous rapporterons maintenant l’expédition tentée, en 1330, par Pierre de la Tour, pour s’emparer du château et du bourg de Muhlenen, expédition que l’on attribue par erreur à son père, le sire Jean, qui ne vivait plus alors. Le château et le bourg précités, dans la vallée de la Kander, faisaient partie des possessions de la maison de Wædiswyl. A la mort du baron Vautier de Wædiswyl, le dernier possesseur de sa maison des seigneuries de Frutigen et de Muhlenen, la part de celui-ci aux seigneuries précitées fut héritée par Pierre de la Tour, son petit neveu, qui en possédait l’autre part, du chef de sa mère. Toutefois le lombard (banquier) Othon, bourgeois de Berne, s’était mis en possession, sans doute à titre de nantissement, du château et du bourg de Muhlenen. Pierre de la Tour les réclama, et, pour s’en rendre maître, arma ses vassaux, appela à son aide les frères Jean et Rodolphe de Weissenbourg et le comte de Gruyère, ses alliés, et vint assiéger le fort de Muhlenen. Berne, apprenant la détresse de son combourgeois, envoya, à son secours, un corps de troupes sous les ordres de l’avoyer Werner Munzer. Les coalisés se retirèrent alors, évitant l’engagement auquel les conviait le chef de l’armée bernoise 2 . On ignore quelle fut /287/ l’issue de ce différend, mais nous trouverons, plus tard, Muhlenen dans les mains du sire Pierre de la Tour.
Aux kalendes de février de l’année 1331 (style de la Nativité), Pierre de la Tour, donzel, sire de Châtillon, s’associant à la fondation de la chartreuse de Géronde, faite par l’évêque Aymon, son oncle, fit don à ce nouveau monastère de la dîme de Chalez 1 . Le sire de Châtillon avait alors atteint sa pleine majorité.
Lorsque, à la date du 12 octobre 1331, le comte Aymon de Savoie rendit une prononciation entre Pierre de Gruyère, sire du Vanel, et les Bernois qui avaient pris fait et cause pour Jean de Krambourg, leur combourgeois, lequel réclamait du sire du Vanel la restitution du château de ce nom, Pierre de la Tour, sire de Châtillon, fut l’un des trois garants, donnés par le prédit Pierre de Gruyère, de l’observation des dispositions de cette prononciation, dans laquelle le sire de Châtillon est désigné comme étant le vassal (fidelis) du comte de Savoie 2 .
Deux années plus tard le noble Pierre de la Tour, sire de Châtillon, apparaît dans le nombre des amis communs de Jean de Rossillon, évêque de Lausanne, et de Pierre (III), comte de Gruyère, qui moyennèrent une trêve entre ces parties, à la date du 27 novembre 1333 3 .
On ignore à quel titre ce seigneur possédait l’important péage de Brigue et l’on ne sait pas davantage si cette possession fut seulement temporaire. Elle est constatée par le document suivant: Le 2 des kalendes de mars de l’année 1333 (28 février 1334, nouveau style), à Aigle (in villa /288/ de Allio), Pierre de la Tour, sire de Châtillon, confessa avoir reçu quatre-vingt-neuf florins et demi, de bon or, neuf gros tournois et cinq deniers mauriçois, de Franchod Curti, lombard, demeurant à Brigue, qui, jadis, pendant un certain temps, avait perçu, au nom du dit Pierre, le péage de ce lieu, savoir: un florin pour chaque balle et autant pour chaque grand cheval. Jacques, doyen de Sion, fut l’un des témoins de cette quittance 1 .
On trouve Pierre de la Tour, sire de Châtillon, revêtu de l’office de vidomne de Sion, sous l’épiscopat de l’évêque Aymon de la Tour, son oncle paternel 2 . Nous l’avons rencontré employant ses bons offices, sous l’année 1334, avec le seigneur évêque et l’official de Sion, pour arranger un différend qui avait surgi entre Agnès, l’épouse du donzel Johannod de la Tour et celui-ci, d’une part, et le fils que la dite Agnès avait eu du mayor de Louëche, son précédent mari, soit le tuteur de cet enfant, d’autre part, au sujet de la dot de la prédite Agnès (voy. ci-devant, p. 210 et 211).
Nous avons aussi trouvé Pierre de la Tour, sire de Châtillon, en Vallais, rendant une sentence arbitrale, le 29 mai 1340, à Sion, entre le donzel Johannod de la Tour et Jacques de Gissenay, donzel, citoyen de Sion, au sujet du différend qui s’était élevé entr’eux, parce que le premier prétendait exercer les droits de juridiction sur le fief procédé des Curtinali (voir ci-devant, pag. 208 et 209). Puis encore, le 2 juin suivant, dans le nombre des témoins de la vente faite par le dit Jacques de Gissenay au prénommé /289/ Johannod de la Tour, à teneur de la sentence arbitrale prédite, de sa part au fief susmentionné (voir ci-devant, pag. 209 et 210).
Le 30 septembre, indict. XI, de l’année 1342 de l’Incarnation, à Châtillon (in villa de Castellione) 1 , Marquet, fils du feu sire François de Thora, chevalier, du diocèse de Genève, confessa qu’il était homme lige du noble et puissant Pierre de la Tour, sire de Châtillon, en Vallais, avant tout autre seigneur (melius quam alterius domini), lui promettant de desservir la fidélité à laquelle il était tenu. Le sire de Châtillon reçut le dit Marquet dans son hommage lige à raison de certains fiefs situés dans le diocèse de Sion, selon que les prédécesseurs de celui-ci avaient jadis reconnu le dit hommage en faveur du prédit Pierre et de ses prédécesseurs. Parmi les témoins de la confession précitée, on remarque Jean de Mond, châtelain de Châtillon, et Etienne de Prés, donzels, et Jean Esperlin, mayor de Rarogne 2 .
A une date qui n’est pas indiquée (entre les années 1324 et 1356), trente-sept hommes du village d’Arbaz 3 , qui sont nommés, reconnaissent que Pierre de la Tour a et doit avoir, ainsi que ses prédécesseurs les ont possédés, le mère et mixte empire, l’omnimode juridiction et toute seigneurie dans le village (in villa) d’Arbaz et dans le territoire de ce lieu, sur tous les délinquants, et cela selon la qualité du délit. Qu’à lui appartient de faire tous les gagements, pour chaque cause, et de confirmer les /290/ gardes et les nonces communs du dit lieu. Qu’ils tiennent en fief du dit Pierre de la Tour l’usage des pasquiers et des bois communs et celui des eaux. Que Perronnet de Colombier, donzel, en qualité de son mestral à Ayent et à Eruens (Hérens), doit faire, à raison de sa mestralie, les gagements et confirmations précités et percevoir, dans la dite mestralie d’Ayent, selon la coutume, les menus bans pour les délits forestiers, savoir: trois sols et six deniers mauriçois pour chaque ban et autant pour chaque clame. Que ceux des dits hommes d’Arbaz, qui sont liges ou taillables du dit Pierre de la Tour, doivent suivre sa bannière chaque fois qu’ils en seront requis (deux frères, on père et ses fils confessent qu’ils sont astreints à ce devoir, ainsi que leurs prédécesseurs l’ont été) 1 .
Les vastes propriétés de Pierre de la Tour s’étendaient dans diverses parties du Vallais. Ce seigneur en avait aussi à Nendaz et à Fey. Le 12e juin 1332, à Sion, Perret, mestral de Nendaz, avait confessé qu’il était homme lige de Perrod de la Tour, sire de Châtillon, en Vallais, et qu’il tenait de lui, en fief d’hommage lige, la mestralie de Nendaz et celle de Fey, avec leur office, leurs droits et leurs appartenances. Que, de plus, le dit Perrod de la Tour, en qualité de vrai seigneur de Fey, avait, dans le lieu de ce nom, le mère et mixte empire 2 . (Fey est un hameau de la paroisse de Nendaz, dans le district de Conthey.)
Pierre de la Tour, dans l’année 1345, préludait, par un /291/ différend avec le chapitre de Sion, à ses futurs démêlés avec l’évêque Guichard Tavelli. Le 17 juillet de la dite année, à Lausanne, Gothofred, chantre, et Pierre d’Yllens, official de Lausanne prononcèrent une aggravation de sentence d’excommunication contre le noble Pierre de Châtillon (de Castellario 1 ), coseigneur dans la vallée d’Eserablo (d’Yserables), parce qu’il n’avait pas payé quatre florins à Bérard d’Aubonne, doyen et chanoine de Lausanne, élu, du consentement des parties, comme assesseur des juges délégués par le siége apostolique, dans la cause entre le dit Pierre, appellant, et le chapitre de Sion. Ces quatre florins étaient le salaire alloué par les juges au dit Bérard, pour ses labeurs 2 . Le sujet du différend de Pierre de Châtillon, avec le chapitre de Sion, n’est pas indiqué, mais on pourrait présumer qu’il concernait la vallée d’Yserables, le dit Pierre étant qualifié de coseigneur de la vallée de ce nom, dans le document que nous venons de citer.
Pierre de la Tour, sire de Châtillon et de Frutigen, n’est pas nommé dans le nombre des seigneurs ligués, en 1339, contre la ville de Berne, et sur lesquels elle remporta l’éclatante victoire de Laupen. Nous serions surpris qu’il n’eût pas saisi cette occasion de témoigner son ressentiment contre la cité de l’Aar.
Cependant, après avoir été longtemps en inimitié avec elle, il fit, à la date du 2 juillet 1345, par l’entremise du sire Jean de Weissenbourg, son parent et son allié, un /292/ traité de paix avec les Bernois 1 . Toutefois, cette paix ne fut pas de longue durée; car, dans les guerres privées dont la vallée de la Simmen fut le théâtre à dater de l’année 1346, et dont il fut le principal auteur 2 , on le trouve combattant les Bernois qui avaient pris parti pour les sires de Weissenbourg, devenus leurs combourgeois 3 .
Les guerres fréquentes dans lesquelles Pierre (V) de la Tour, sire de Châtillon et de Frutigen, se trouva engagé et qui témoignent de son esprit inquiet et remuant, l’obligèrent à aliéner quelques-unes de ses propriétés. Une portion de la vallée de Lauterbrunnen avait fait partie de la succession des nobles de Wædiswyl, dévolue à la maison de la Tour, savoir la partie supérieure de cette vallée, avec la chaîne de montagnes qui l’enserre du côté d’occident. Dans l’année 1346, le sire Pierre de la Tour vendit au couvent d’Interlaken les hommes, appelés les Lœtschois (die Lœtscher), qui habitaient les villages de Gimmelwald, Mürren, Lauterbrunnen, Ammerten, Trachsellowinen et Sichellowinen, avec la juridiction et toute seigneurie sur eux 4 . Ces hommes étaient sans doute des serfs de la vallée de Lœtschen, que le père du vendeur avait transportés dans celle de Lauterbrunnen. Cette vente comprit encore /293/ les hommes, de même dénomination, que le sire Pierre de la Tour possédait à Planalp, dans la paroisse de Brienz, plus la moitié de la baume de Rothenfluh 1 , soit du château fort abandonné de ce nom et de son emplacement 2 . Le sire Rodolphe de Weissenbourg apposa son sceau à l’acte de cette vente 3 .
Une autre aliénation faite par Pierre de la Tour, mais plus importante encore, avait précédé celle que nous venons d’indiquer. Il avait vendu la seigneurie de Muhlenen (soit de Malinen), située dans la vallée de la Kander, à l’entrée de celle de Frutigen, à ses parents, les frères Jean et Rodolphe, sires de Weissenbourg, qui avaient employé à son acquisition les sommes d’argent, soit deux mille livres, qu’ils avaient reçues pour le dégagement des hypothèques d’Uspunnen, d’Unterseen et de la baume de Rothenfluh (la moitié de celle-ci), qu’ils tenaient de la maison /294/ d’Autriche 1 . Attenante aux possessions des sires de Weissenbourg, la seigneurie de Muhlenen comprenait les paroisses d’Aeschi et de Reichenbach 2 .
Pierre de la Tour et Guichard Tavelli, évêque de Sion, élu le 14 septembre 1342, furent de grands ennemis, et dans l’année 1351, ce prélat était en guerre avec le sire de Châtillon et ses fils Antoine et Jean 3 . Pendant plus d’un quart de siècle, à quelques intervalles prés, la guerre civile ensanglanta le Valais. On l’attribue communément à l’ambition des barons de la Tour, qui soulevèrent le peuple du Haut-Vallais contre l’évêque Guichard, lui persuadant que celui-ci compromettait l’indépendance du pays 4 . Nous croyons, pour notre part, que le caractère vindicatif de cet évêque contribua largement à ces déplorables démêlés, dans lesquels le comte Amédée VI de Savoie intervint à plus d’une reprise, comme médiateur. Ce prince ménagea un traité de paix entre les parties, conclu à Sion, en novembre (8-11) 1352 5 . A cette époque, Pierre de la Tour, sire de Châtillon, et François de Compey, chevalier, son beau-frère, second mari d’Isabelle de la Tour, étaient les chefs du parti opposé à l’évêque Tavelli 6 . Pierre de la Tour aurait entraîné son beau-frère, le comte Pierre (IV) de Gruyère, à prendre part à cette première /295/ guerre contre l’évêque, ce qui aurait attiré au prédit comte, à Pierre de la Tour et à divers seigneurs de leur parti 1 , une sentence d’excommunication ordonnée par une bulle du pape Clément VI, datée d’Avignon, le 7 janvier 1352 2 .
Ce furent sans doute les succès que les armes bernoises obtinrent dans la vallée de la Simmen qui portèrent le sire Pierre de la Tour à remettre temporairement, vers l’année 1350, sa seigneurie de Frutigen au baron Jean (II) de Weissenbourg. On ne connaît pas les conditions de cette remise et l’on ignore si celle-ci eut lieu à simple titre d’hypothèque ou pour le temps de la vie du sire de Weissenbourg. Ce dernier, bientôt après (le 24 mai 1352), remit cette seigneurie, avec le château de Tellen, le Kandergrund et Gastern, à la ville de Berne, pour le terme de cinq années, et cela en reconnaissance des services qu’elle lui avait rendus et pour achever le payement des grands capitaux qu’elle avait avancés, tant à son défunt frère qu’à lui-même 3 . Cependant, le baron Jean de Weissenbourg doit avoir fait un arrangement avec la prédite ville par lequel il rentra en possession de Frutigen avant les cinq années révolues, puisque, le lundi après la fête de Ste. Agnès 1355, il promit aux Bernois /296/ qu’il ne remettrait, ni au sire Pierre de la Tour, ni à quelqu’un d’autre, le château de Tellen et le pays de Frutigen, jusqu’à ce que ce seigneur eût livré au sire Thuring de Brandis, par l’intermédiaire de la ville de Berne, l’acte, depuis longtemps réclamé vainement, de la cession (ou vente) de la seigneurie de Muhlenen, faite par le dit Pierre de la Tour, tant à lui, Jean de Weissenbourg, qu’à son défunt frère Rodolphe 1 . Il est nécessaire d’ajouter, pour l’intelligence de ce qui précède, que le baron Jean de Weissenbourg avait vendu la seigneurie précitée de Muhlenen à son beau-frère, le sire Thuring de Brandis, lequel, en l’année 1352, l’avait revendue à la ville de Berne, pour le prix de 3723 florins d’or, de Florence 2 . Nous ignorons si Pierre de la Tour rentra en possession de la seigneurie de Frutigen, ou bien si ce fut seulement son fils qui recouvra celle-ci. Ce dernier paraît l’avoir possédée sous l’année 1365 3 . Le baron Jean de Weissenbourg, à qui elle avait été remise, décéda en 1367, ou l’année suivante 4 .
Dans l’intervalle la guerre civile avait recommencé en /297/ Vallais, dans l’année 1354 1 , la paix conclue à Sion, deux, années auparavant, n’ayant guère été qu’une trêve entre les deux partis. Le chevalier François de Compey, beau-frère du sire Pierre de la Tour, perdit la vie dans un des combats qui signalèrent cette seconde guerre 2 . Le comte Amédée de Savoie intervint de nouveau et moyenna une composition entre Pierre de la Tour, sire de Châtillon, et l’évêque Tavelli, datée du 26 juillet 1356 (stipulée par le notaire Gme Wichard) 3 . Quelques-unes des dispositions de ce traité sont rappelées dans une prononciation rendue par le même comte Amédée de Savoie, le 27 octobre 1368, entre l’évêque Tavelli et les fils du sire Pierre de la Tour. Nous les mentionnerons lorsque nous rapporterons ce qui concerne cet important document.
Le sire Pierre de la Tour ne paraît pas avoir survécu longtemps au traité qu’il avait fait avec l’évêque Guichard, et qui fit cesser les hostilités, paraît-il, pendant quelque temps.
Ce seigneur avait fait son testament, à Sion, le 15 octobre de l’année 1350; en voici les dispositions: il avait institué héritiers de ses biens, par parts égales, ses trois fils Antoine, Jean et Pierre, donnant au premier, à titre d’avantage, son château de Châtillon, avec les vallées de Lœtschen, de Chouson (de Saas, aujourd’hui) et de Praborgne (soit de Zermatt) 4 . Sa fille Blanche recevrait deux /298/ mille florins de dot. Agnès de Grandson, son épouse, aurait son assignation de dot, plus, à titre viager, la maison de Movial, avec toutes ses appartenances, en compensation de ce que le testateur avait aliéné de la prédite assignation. Ses fils Jean et Pierre tiendraient en fief lige, de leur frère Antoine, leur part de l’héritage paternel et ce qu’ils acquerraient à d’autres titres. Si le dit Antoine décédait sans enfants légitimes, son frère Jean lui succéderait pacifiquement quant aux avantages que le testateur lui a faits. Pierre de la Tour avait remis à tous ses hommes du diocèse de Sion une année des tailles et rentes qu’ils lui devaient. Il avait légué vingt sols mauriçois, annuels, à l’autel de l’église de la Vierge Marie, de Châtillon, construit par lui, indépendamment des quatre livres (annuelles) qu’il lui avait assignées. Il avait ordonné que ses héritiers observassent le pacte qu’il avait fait, pour son père, avec les frères de St.-Marc, de Milan 1 . Ses héritiers feraient célébrer, chaque année, son anniversaire, avec celui de ses prédécesseurs, le jour de son décès, et donneraient trois gros à chaque chanoine de Sion y assistant, deux gros à chaque religieux, un gros à chaque chapelain et un (denier?) à chaque clerc. Ses prédits héritiers rachèteraient ce qu’il /299/ avait aliéné de l’assignation de dot de son épouse Agnès. Ils seraient tenus de faire célébrer, chaque année, par des religieux soit par des chapelains idoines, cinquante messes pour son salut et celui de ses prédécesseurs. Le testateur avait confié la tutelle de ses fils et l’administration de leurs biens à leur mère Agnès, tant qu’elle ne se remarierait pas; celle-ci se conduirait, quant à ces points, d’après le conseil et selon la volonté des nobles sires Othon et Guillaume de Grandson, ses frères et des sires Pierre, comte (de Gruyère) et Aymon de Pontverre, (beaux) frères du testateur. Comme exécuteurs testamentaires, celui-ci avait désigné le sire Rodolphe Asperlin, chevalier, Jean de la Place (de Platea), de Viége, donzel, J. d’Orbe, chanoine de Sion, et Jean, curé de Chouson. De nombreux témoins avaient assisté à cet acte de dernière volonté 1 .
Agnès de Grandson, épouse du sire Pierre de la Tour et mentionnée par lui dans son testament, était l’une des filles de Pierre (II), sire de Grandson, Belmont, Cudrefin, Grandcour, Bellerive, chevalier, et de Blanche, fille de Louis (I) de Savoie, sire de Vaud, son épouse. Les enfants qu’elle donna à son mari furent ainsi consanguins de la maison de Savoie. Ces enfants, que le testament de son mari nous a fait connaître, furent:
1° Antoine, qui succéda à son père comme sire de Châtillon et dont l’article suit.
2° Jean. Celui-ci partagea le sort de son frère aîné et fut de moitié dans les guerres soutenues par lui, tant contre l’évêque Guichard Tavelli que, après la mort de ce prélat, contre les communautés du Haut-Vallais; il y joua /300/ un rôle très actif. On le trouve titré de chevalier dès l’année 1365. Le 3 octobre de la dite année, les citoyens de Sion déléguèrent le donzel Berthold d’Orsières et quatre autres mandataires pour traiter avec le noble et puissant Jean de la Tour, chevalier, et spécialement pour compléter le traité fait dernièrement avec lui par trois délégués de la ville de Sion à l’occasion des dissensions et guerres dont il (le dit chevalier Jean) était la cause. L’année suivante (soit l’an du Seigneur 1366), le 5 mars, indict. IV, à Conthey, dans la maison d’Aymon de Erdes, donzel, les nobles et puissants Antoine de la Tour, sire de Châtillon, et son frère Jean, chevaliers, confessèrent avoir reçu de Guillaume Buriod (soit de Nicole Margenzella, sa servante) la somme de cinq cents florins de bon or, pour la libération du dit Buriod, citoyen de Sion, lequel avait été envoyé, avec d’autres délégués de cette ville, à Granges, pour traiter avec les sires de la Tour de trêves à faire entre ceux-ci et la ville de Sion dans leurs récentes guerres et dissensions avec l’évêque Guichard Tavelli, et cela moyennant le payement de certaines sommes. Toutefois, les dits délégués n’avaient pu remplir leur mandat, quoique le prédit chevalier Jean fût toujours disposé à tenir les engagements qu’il avait pris au sujet des dites trêves, et ainsi l’arrangement n’ayant pas eu lieu, ils furent arrêtés au dit Granges et retenus longtemps captifs par le chevalier Jean de la Tour 1 . La prononciation du comte Amédée de Savoie, datée du 27 octobre 1368 et dont il a déjà été question, fut rendue entre l’évêque Guichard, d’une part, et les nobles sires Antoine et Jean de la Tour, chevaliers, /301/ et leur frère Pierre, d’autre part. Jean de la Tour ne paraît pas avoir fait de partage de biens avec ses frères; il s’associa à la vente faite par le sire Antoine, au comte Amédée de Savoie, dans l’année 1376, de la seigneurie de Châtillon, du vidomnat de Conthey et des autres biens de sa famille, situés en Vallais. Le chevalier Jean de la Tour testa, à Corbières, le 22 mars 1381. Il se trouvait alors dans ce lieu parce que son frère Antoine et lui avaient reçu la seigneurie de Corbières en gage du comte Amédée de Savoie; ils la tinrent dès le 11 mai 1379 au 15 juin 1390 1 . Le sire Antoine de la Tour fut l’héritier universel de son frère Jean. A son défaut, la succession de ce dernier passerait à Jeanne, nièce du testateur, fille de son dit frère, avec substitution en faveur de Rodolphe, fils aîné du comte de Gruyère 2 .
3° Pierre. Quoique, dans la prononciation précitée du comte Amédée de Savoie, rendue le 27 octobre 1368, aucune qualification ecclésiastique ne soit donnée à Pierre de la Tour, il fut néanmoins homme d’Eglise et devint prieur de l’important prieuré de Lutry. Par son testament du 22 mars 1381, mentionné ci-dessus, le chevalier Jean de la Tour légua trois cents florins pour la fondation d’une messe quotidienne qui se célébrerait dans l’église du prieuré de Lutry, à l’autel de la sépulture de messire Pierre de la Tour, son frère, lorsqu’il vivait prieur au dit Lutry 3 . /302/
4° Blanche. Cette fille du sire Pierre (V) de la Tour aurait été, selon la Collection de Mulinen, l’épouse de Thuring de Brandis, le jeune, chevalier, seigneur de la vallée inférieure de la Simmen, du chef de sa mère Catherine, héritière de la maison de Weissenbourg 1 . Une présomption en faveur de l’existence de ce mariage se tire de la circonstance que, dans l’année 1376, Thuring de Brandis, à la tête de ses sujets de la vallée de la Simmen, descendit en Vallais pour porter secours au sire Antoine de la Tour dans la lutte qu’il soutenait contre les patriotes du Haut-Vallais. Toutefois, il fut battu et perdit la vie dans cette expédition 2 .
/303/
NEUVIÈME DEGRÉ.
ANTOINE DE LA TOUR
Chevalier, seigneur de Châtillon et de Frutigen, vidomne de Conthey; puis, après son expulsion du Vallais, sire d’Arconciel, d’Illens et d’Attalens, châtelain de Romont, et seigneur engagiste de Corbières, avec son frère Jean.
Notre historien Jean de Muller fait observer que les avantages de la noblesse, des alliances et de l’étendue des possessions distinguaient le baron Antoine de la Tour entre tous les seigneurs du Vallais 1 .
Durant le séjour que l’empereur Charles IV fit à Berne, dans l’année 1365, Antoine de la Tour jeta le gant en sa présence, offrant de soutenir en combat singulier que Berne attentait à ses droits dans la seigneurie de Frutigen et n’avait pas tenu ses engagements à l’égard de l’achat de l’avouerie impériale de Laupen. Conon de Ringgenberg, qui appartenait à la même condition que lui, accepta le défi, toutefois l’empereur ne leur permit pas de se battre 2 .
Si Antoine de la Tour avait hérité la haine de son père pour la cité de l’Aar, il en avait été de même de l’inimitié de celui-ci contre l’évêque Guichard Tavelli, auquel il avait fait la guerre avec son prédit père. Depuis la mort /304/ de ce dernier, les hostilités avaient recommencé, dans l’année 1362 1 , entre ses fils et le prédit évêque 2 . Leur cours ne fut guère interrompu, du moins du côté de l’évêque, par le traité fait entre les parties belligérantes, le 30 mai 1366, par la médiation tant du légat du St.-Siége que du comte Amédée de Savoie. Ce prince intervint de nouveau pour faire cesser cette guerre déplorable et moyenna un traité de paix entre les parties, conclu à Evian, le 1er février de l’année 1368 et stipulé par le notaire Antoine Beczonis. Les dispositions de ce traité ne nous sont pas connues, mais le prince savoisien s’y était réservé le droit de prononcer sur les demandes soit prétentions réciproques des parties, ainsi que sur l’indemnité des offenses que l’évêque et ses gens pourraient faire aux sires de la Tour postérieurement à la prédite paix d’Evian. Le comte Amédée, en conséquence, tant en qualité d’arbitre et d’amiable compositeur qu’en celle de /305/ vicaire impérial, rendit sa prononciation à Rivoli, le 27 octobre 1368. Nous rapporterons les dispositions de ce document, puisqu’elles jettent du jour sur les différends qui divisaient l’évêque Tavelli et les sires de la Tour. Le comte y confirma, en tous leurs points, la convention conclue le 26 juillet 1356, entre le défunt sire Pierre de la Tour et l’évêque Guichard, et le traité du 30 mai 1366, moyenné par le légat du St.-Siége et le comte de Savoie.
A l’égard des demandes adressées par l’évêque aux sires de la Tour, le comte Amédée rendit les décisions suivantes:
1° Les possessions procédées de Marquet de Viége, à Chouson (Saas) et à Praborgne (Zermatt), relèvent du fief de l’évêque. Le défunt sire Pierre de la Tour avait contesté cette mouvance, sans prouver cependant le contraire, et, aux termes de la convention du 26 juillet 1356, certains commissaires, nommés ad hoc, devaient examiner ce point et le décider. Ne se prononçant pas, ainsi que cela avait été le cas, cette décision appartiendrait au comte. Celui-ci se réserva de se prononcer à l’égard de la commise des possessions précitées, réclamée par l’évêque, parce qu’elles avaient été aliénées sans son consentement et qu’il n’en avait pas accordé l’investiture.
2° La mayorie de Louëche relève aussi du fief épiscopal, ce que le défunt sire Pierre de la Tour avait également contesté. La décision de cette question avait été, de même, réservée au comte de Savoie, par la convention précitée, pour le cas où des commissaires informateurs, qui devaient l’examiner, ne se seraient pas prononcés 1 . /306/
3° Les sires de la Tour, comme héritiers de leur père, fonderaient et doteraient, d’ici à une année, un autel dans l’église de Ste-Marie de Glyss, où une messe quotidienne serait célébrée pour le repos de l’âme de certain clerc de l’évêque, tué par les gens du dit sire Pierre de la Tour. Cette fondation avait été décidée par le traité du 26 juillet 1356.
4° Les sires de la Tour prendraient en fief de l’évêque soixante et dix livres mauriçoises, de revenu, de leurs biens allodiaux, situés entre la ville de Louëche et la rivière de la Morge, et cela aux termes de la convention du 26 juillet 1356.
5° Les demandes remises par l’évêque aux mains du sire Jacques de Monx, chevalier et auxquelles, selon ce qu’assurait le prélat, il n’avait pas été fait droit, demeureraient en leur force, et le comte se réserva de prononcer à leur égard.
Voici maintenant la décision du comte Amédée relativement aux réclamations, soit demandes des sires de la Tour.
1° Ainsi que cela avait été convenu par le traité du 30 mai 1366 (reçu par Perronnet Séguin, de Bagnes), moyenné par le légat du St.-Siége et le comte Amédée, l’évêque Tavelli ferait faire la sépulture des corps de dame Isabelle, comtesse de Blandras [Biandrate] et du sire Antoine, son fils, et célébrer les deux messes (quotidiennes) fixées par le dit traité, pour le repos de leurs âmes. L’évêque et ses communautés, pour bonne paix, le feraient aux propres dépens du dit évêque, qui se récupérerait quant à ce point sur les biens des meurtriers de la mère et du fils, si ces biens pouvaient être retrouvés. De plus, le prédit évêque ferait punir les dits /307/ meurtriers, ainsi que cela avait été convenu dans le traité précité.
2° La restitution des biens de Jean de Viége 1 et des enfants du sire Antoine de Viége 2 aurait lieu, en leur faveur, selon le mode et la forme fixés par le prédit traité.
3° L’évêque ferait en sorte que dans les six mois suivants Jacques Tavelli, donzel, au nom de Johannette, son épouse, nièce et héritière de Nanterme d’Ayent, donzel, prêterait un hommage lige aux sires de la Tour. Le droit de ceux-ci à un second hommage lige de la part du même Tavelli, au nom de sa dite femme, auquel ils prétendaient, leur est réservé, lorsqu’ils pourront le démontrer 3 .
4° L’évêque restituerait aux dits frères de la Tour leurs revenus (rentes, tailles, services et usages), à Erens, à Ayent et à Loie, ainsi que la somme de six cents florins pour les trois années qu’il les avait eus en mains. A l’égard des obventions découlant de la possession des dits revenus et pour lesquelles les sires de la Tour réclamaient aussi six cents florins, le comte se réserva de prononcer comme il le jugerait opportun.
5° Le dit évêque soit ses gens n’empêcheraient pas Marguerite, épouse d’Hostache de Paleno, de récupérer ses revenus, soit pour le passé soit à l’avenir, à /308/ Zomasson et à Ardon; ces revenus appartenaient au fief des sires de la Tour.
6° L’évêque indemniserait les sires de la Tour des dommages qu’il leur a faits. Cette indemnité, après modération faite par le comte Amédée, fut fixée par lui à la somme de vingt mille florins d’or, payables à son ordonnance, quoique les sires de la Tour demandassent trois cents mille florins et plus pour cette indemnité. Voici l’exposé, fait par eux, des dommages qu’ils avaient essuyés de la part du prélat. Celui-ci, ses gens, ses coadjuteurs et ses suivants étaient entrés en ennemis dans la vallée de Lœtschen appartenant aux sires de la Tour; ils avaient tué beaucoup de monde et incendié mille et douze maisons (?) avec ce qu’elles renfermaient. Ils avaient de même incendié trente maisons à Châtillon. Le dit évêque avait fait vendanger par un grand nombre de ses gens les vignes de feu Bérardon d’Antigny, mouvantes du fief des sires de la Tour et situées à Zandru, lieu qui leur appartenait. Les gens du prédit évêque avaient obligé plusieurs des hommes des sires de la Tour, à Châtillon, à se racheter injustement, moyennant le payement de certaines sommes d’argent, et ils avaient dévasté une île se trouvant dans les possessions de ces seigneurs. Postérieurement au traité de paix fait par le légat apostolique, l’évêque précité et ses gens avaient assiégé, pendant huit semaines, le château de Châtillon, et, sans raison, détruit plusieurs maisons au dit Châtillon et tué et blessé plusieurs hommes. Depuis la paix faite à Evian par le comte de Savoie, au mois de février de la présente année, les gens de l’évêque avaient derechef assiégé le château de Châtillon pendant quatre jours, fait beaucoup de mal, saisi quatre hommes dont /309/ deux furent blessés, leur extorquant trente florins. Enfin, ils avaient incendié trente maisons des ressortissants des sires de la Tour dans la contrée de Conthey, tué deux de leurs hommes et fait beauconp de mal, tant là que dans d’autres lieux appartenant aux prédits sires.
Le comte Amédée se réserva de prononcer ultérieurement sur les autres réclamations des sires de la Tour et maintint le droit de ceux-ci à leur égard. Il confirma en tous ses points la paix qu’il avait faite à Evian entre les parties, laquelle serait perpétuellement valable pour elles et leurs adhérents. Chaque partie restituerait intégralement à l’autre les biens qu’elle avait occupés par le passé et cette restitution aurait lieu dans l’état où les dits biens se trouvaient avant la dite occupation, en sorte que chacune d’elles retournerait à sa précédente possession, sous réserve du droit de recourir, par simple pétition, au comte Amédée, comme compositeur arbitral et vicaire impérial. Les sires de la Tour seraient seulement tenus à remplir les obligations que leur imposait la présente prononciation lorsque l’évêque se serait acquitté des siennes. Les sires précités prorogèrent encore pour une année, commençant à la prochaine fête de la Toussaints, les pouvoirs qu’ils avaient donnés au comte de Savoie par la dite paix d’Evian, moyennant que l’évêque en fît de même dans le terme d’un mois. Cette prorogation accordée par les frères de la Tour eut lieu à la demande du comte, parce que toutes les réclamations de l’évêque remises par lui aux commissaires nommés par le comte, n’avaient pas encore été produites devant celui-ci, par la faute des dits commissaires. La prononciation du comte Amédée est revêtue de la signature de son secrétaire et de celles de /310/ plusieurs seigneurs faisant sans doute partie de son Conseil 1 .
Cette prononciation, nous semble-t-il, jette un jour peu favorable sur l’évêque Tavelli. La fin tragique de ce prélat a attiré sur lui l’intérêt de la postérité, mais en réalité il avait un caractère altier, vindicatif et peu conciliant, ce qui ressort de la prononciation précitée. Et d’abord la réserve faite par le comte Amédée, dans le traité de paix d’Evian, de prononcer ultérieurement sur l’indemnité des dommages que le prélat pourrait faire aux sires de la Tour, postérieurement à la dite paix, ne parle certes pas en sa faveur, pas plus que la disposition de la prononciation par laquelle les sires de la Tour seraient seulement tenus de remplir les obligations que celle-ci leur imposait après que l’évêque se serait acquitté des siennes. L’absence de bonne foi de la part de celui-ci est évidente, lorsque, postérieurement au traité de paix du 30 mai 1366, il assiége pendant huit semaines le château de Châtillon, et vient de nouveau l’assiéger après la paix d’Evian. A la vérité l’évêque Tavelli, de son côté, reprochait au comte Rodolphe (IV) de Gruyère, à son frère Jean de Gruyère, et aux donzels Jacques et Guillaume de Duens, frères, d’avoir, postérieurement aux traités de paix, en qualité d’alliés et d’adhérents des sires Antoine et Jean de la Tour, frères, commis des hostilités contre les patriotes vallaisans, ce qui amena, à la recommandation des Bernois, un traité de paix entre les parties, conclu à Kandersteg, le 7 juillet 1368, dans lequel l’évêque Tavelli fut représenté, entr’autres, par le noble et puissant Pierre de /311/ Rarogne, vidomne et châtelain de Louëche 1 . Si les sires de la Tour n’avaient pas rempli quelques-unes des obligations que leur imposait la convention faite par leur défunt père avec l’évêque Guichard, le 26 juillet 1356, ce prélat, de son côté, avait ouvertement violé le traité du 30 mai 1366. Puis, que dire d’un pasteur de l’église de Christ qui, à la tête de sa troupe, met à feu et à sang une paisible vallée parce qu’elle appartient à ses ennemis 2 , sans parler ici des autres dévastations commises par les épiscopaux dans les propriétés des sires de la Tour et de l’horrible assassinat, resté impuni, de la comtesse Isabelle de Biandrate et de son fils! Dans cette guerre déplorable, les dévastations, les incendies, les meurtres sont plutôt le fait des gens de l’évêque, puisque la prononciation du comte Amédée n’alloua aucune indemnité au prélat pour des dommages qui lui auraient été faits par les sires de la Tour.
La paix d’Evian et la prononciation du comte de Savoie furent suivies, paraît-il, de quelques années de paix entre l’évêque Tavelli et les sires de la Tour, ou plutôt de quelques années de trêve, lorsque survint une circonstance qui ranima entr’eux le feu mal éteint des discordes. Cette circonstance fut l’acquisition faite par l’évêque du fief héréditaire de la mayorie de Sion, avec la maison forte de cet office. /312/
On se souvient que les sires de la Tour avaient possédé longtemps la mayorie de Sion, dont ils s’étaient fait un levier de puissance contre les évêques, et que cette mayorie avait passé, après le sire Girold de la Tour, chevalier, au donzel Aymon de Greysier, époux de Béatrice, fille de celui-là, puis à leur fils François. Ce fut Bertholet de Greysier, coseigneur de Bex, fils de ce dernier, qui, ayant dérangé ses affaires, fut contraint de vendre ses propriétés et dans le nombre la mayorie de Sion, acquise alors par l’évêque Guichard 1 . On peut supposer qu’Antoine de la Tour demanda à celui-ci de faire le retrait lignager de cette vente ayant pour objet des biens patrimoniaux de sa famille, ou tout au moins celui de la maison forte de la mayorie, ancienne résidence de ses ancêtres, qui par sa situation dominait la ville de Sion 2 . L’évêque refusa de faire droit à ses demandes, et les esprits s’échauffèrent 3 . Ce prélat, parvenu à un âge très avancé, se trouvait au château de la Soie où il séjournait volontiers, lorsque, le 8 août 1375, tandis qu’il célébrait l’office divin, des vassaux d’Antoine de la Tour survinrent, se jetèrent sur lui, l’entraînèrent malgré les plaintes /313/ inutiles qu’il adressait à Dieu et aux hommes, et le précipitèrent du haut du rocher sur lequel le château de la Soie était bâti 1 .
Selon J. de Muller, Antoine de la Tour était neveu de l’évêque Tavelli. Toutefois l’éminent historien se trompe sur ce point. Jean de la Tour, aïeul d’Antoine, avait épousé, à la vérité, Eléonore soit Elinode Tavelli, qui était une proche parente de l’évêque Guichard (sa cousine germaine, paraît-il) 2 ; mais le sire Pierre de la Tour, père d’Antoine, était né d’Elisabeth de Wædiswyl, la première épouse du sire Jean. Ainsi, il n’y avait aucune consanguinité entre /314/ l’évêque Guichard et Antoine de la Tour, mais une simple parenté de courtoisie. Celui-ci fut-il participant au meurtre du prélat? Cela paraît du moins douteux. Sa présence sur le lieu de la scène est plus que problématique. Rien ne constate non plus qu’à raison du meurtre qui lui est reproché, il ait été jugé digne de l’excommunication. Enfin, l’on ne voit pas qu’aucun de ses amis ait changé de façon de penser à son égard 1 , ni que son crédit à la cour de Savoie ait diminué 2 .
A la nouvelle du meurtre de l’évêque Tavelli, les dixains de Conches, de Brigue, de Louëche, de Sierre et de Sion se levèrent, jurant de le venger. D’un autre côté, la haute noblesse du pays (Pierre, sire de Rarogne, son frère Henri 3 , le comte de Biandrate (?) et d’autres seigneurs) prit parti pour Antoine de la Tour. La guerre civile recommença avec fureur dans le Vallais. Les « patriotes, » /315/ après s’être emparés du château de Granges 1 , marchèrent contre celui d’Ayent. Ils rencontrèrent la noblesse près de Saint-Léonard, vers le pont, et remportèrent sur elle une victoire complète et décisive 2 . Le parti des seigneurs fut soutenu par le comte Amédée VI de Savoie, et, en reconnaissance de cet appui, ce parti fit élire Edouard de Savoie-Achaïe, évêque de Belley, en qualité d’évêque de Sion 3 . Mais les Vallaisans ne voulurent pas le reconnaître, et son épiscopat fut rempli de troubles. /316/
Les patriotes assiégèrent longtemps le château de Châtillon, sans pouvoir s’en rendre maîtres. Plus tard, après que le sire Antoine de la Tour l’eût aliéné, ils le prirent et le détruisirent. Cet événement-ci, selon l’historien Furrer, eut lieu en 1379 1 .
En revanche, dans l’année 1376, les patriotes s’emparèrent de la vallée de Lœtschen 2 , dont les hommes marchaient sous la bannière du dixain de Louëche 3 . Déjà, l’année précédente, ils avaient pris le château et le bourg de Conthey, appartenant aux sires de la Tour, et en avaient rasé les murs 4 .
Cependant, comme nous venons de le voir, Antoine de la Tour avait le dessous dans la lutte armée qu’il soutenait contre les patriotes du Haut-Vallais, et ce seigneur pouvait prévoir le moment où il serait forcé d’abandonner la partie. Il avait, d’un autre côté, besoin de fonds pour continuer la guerre dans laquelle il se trouvait engagé. Le comte de Savoie, dans cette occurence, vint à son secours en faisant l’acquisition de ses propriétés du Vallais, dont une partie se trouvait déjà dans les mains des patriotes. L’acte formel de cet achat porte la date du 8 août 1376, toutefois le dit achat avait dû avoir lieu plus /317/ tôt, puisque, le 9 juillet de la même année, le prédit comte revendit le château de Châtillon à Edouard de Savoie, évêque de Sion. (Voir plus loin.) Le comte Amédée (VI) de Savoie acquit, dans cette circonstance, pour le prix de cinquante mille bons florins d’or, d’ancien poids, des nobles et puissants Antoine et Jean de la Tour, frères, sires de Châtillon et vidomnes de Conthey, chevaliers, le prénommé château de Châtillon avec tout son mandement, les droits de juridiction et tous les autres droits qui étaient attachés au château précité et tous les revenus qui en dépendaient; plus la vallée de Lœtschen, et généralement tout ce que les vendeurs possédaient dans le Vallais, nommément la maison forte de Conthey et le vidomnat de ce lieu 1 . Le comte de Savoie accorda aux vendeurs, par une déclaration faite à Agaune, que douze de leurs hommes, qu’ils désigneraient, lesquels n’oseraient plus résider en Vallais, pourraient aliéner, en franchise de lods et de vendes, les héritages et les biens qu’ils y possédaient (ce qui naturellement ne peut s’entendre que de biens situés dans les terres des sires de la Tour acquises par le comte de Savoie). Le prédit comte leur accorderait sécurité et protection, excepté toutefois à ceux d’entr’eux qui, demeurant au delà de la rivière de la Morge, avaient assisté à la prise du château de la Soie et à la mort du révérend évêque Guichard 2 . En revanche les hommes de Conthey et des autres /318/ lieux de la terre du comte de Savoie, qui se trouvaient dans le même cas, pourraient demeurer avec sécurité tant au dit Conthey que dans les lieux prédits. Le comte Amédée payerait gracieusement six cents florins au châtelain de Châtillon 1 avant la sortie de celui-ci du château de ce nom et il les assignerait dans l’évêché de Lausanne 2 .
L’épouse du sire Antoine de la Tour, dame Jeanne de Villars, approuva, le 15 septembre (suivant?), à Ripaille, la vente de la seigneurie de Châtillon 3 . Nous avons déjà fait observer que le château de ce nom relevait du comte de Savoie.
Par acte, daté de Turin, le mercredi, 9 juillet 1376, indict. XIVe, le comte Amédée de Savoie revendit à Edouard de Savoie, évêque de Sion, le château et la seigneurie de Châtillon (y compris la vallée de Lœtschen), pour le prix de quarante mille florins de bon or, du poids d’Allemagne, et, pour celui de six mille des mêmes florins, la part du vidomnat de Conthey (soit des biens des sires Antoine et Jean de la Tour), qui se trouvait située entre la rivière de la Morge de Conthey, du côté de Sion et le torrent de la Raspille 4 . Le comte de Savoie garda le château de /319/ Conthey des sires de la Tour et la part du dit vidomnat située sur la rive droite de la Morge, part qui se trouvait dans le Bas-Vallais soit dans ses terres 1 . Ce prince, en faisant cette vente, renonça à toute supériorité du fief (soit à la mouvance des biens vendus). L’évêque Edouard hypothéqua les châteaux de Martigny, de la Soie et de Montorge pour la sûreté du payement de l’acquisition qu’il faisait. L’official de la cour de Sion fit, à la date du 19 février de l’année 1377, un vidimus de l’acte de cette acquisition 2 .
Par un acte public, daté du 14 août 1376, Edouard de Savoie, évêque de Sion, reçut en qualité de fidèles sujets de l’église de ce nom, les ressortissants nobles et autres de la seigneurie de Châtillon, qui avaient vaillamment (viriliter) défendu naguère le château de ce nom, assiégé pendant longtemps, mais sans succès ou du moins très peu, par les communautés du Vallais. L’évêque autorisa ceux d’entre eux qui voudraient quitter la terre de Châtillon à pouvoir aliéner, en franchise de lods et de vendes, les biens meubles et immeubles qu’ils y possédaient. Le prélat déclare dans ce document, qu’il a été porté à faire l’acquisition du château de Châtillon par la crainte que les communautés du Vallais ne vinssent à s’en emparer et à le détruire, d’où aurait pu résulter la ruine de l’évêché et de l’église de Sion. Enfin, par le même document, /320/ l’évêque Edouard reçoit l’universalité des ressortissants de la terre de Châtillon et chacun d’eux en particulier, comme fidèles sujets de son église, ainsi qu’ils l’avaient été précédemment des sires de la Tour, et il leur donne l’assurance de son amour et de sa grâce, etc. 1 .
La fortune d’Antoine de la Tour ne put être rétablie par les secours qu’il reçut de Thuring de Brandis, le jeune, puissant dans la vallée de la Simmen du chef de sa mère Catherine de Weissenbourg (il avait été l’héritier des barons de ce nom). Ce seigneur, qui était probablement le beau-frère d’Antoine de la Tour, conduisit sa milice contre les Vallaisans, mais il essuya une défaite et perdit la vie dans cette expédition 2 .
Antoine de la Tour, dont le parti, en Vallais, avait succombé, quitta ce pays et alla vivre à la cour du comte de Savoie, dont il devint un des principaux conseillers 3 .
Lorsque les Hauts-Vallaisans apprirent la mort du comte Amédée (VI) de Savoie, survenue dans le royaume de Naples, en 1383, ils prirent de nouveau les armes et expulsèrent leur évêque Edouard de Savoie. Ils s’emparèrent du Bas-Vallais et pénétrèrent même en Chablais. /321/ Le maréchal de Savoie, avec le sire de Pontverre, à la tête d’un corps d’infanterie, et surtout le baron Antoine de la Tour qui se hâta de rassembler le plus de cavalerie possible, arrêtèrent les progrès de leurs armes et les obligèrent à se retirer. Amédée VII de Savoie, dit le comte Rouge, avec la fleur de la noblesse de ses états, principalement du Pays de Vaud 1 , s’avança dans le Vallais et /322/ se rendit maître de Sion 1 . Lorsqu’on traita de la paix, les vaincus consentirent à la réinstallation de l’évêque Edouard et se désistèrent, pour indemniser le baron de la Tour, de toute domination dans la plaine de Conthey. Toutefois, les dixains supérieurs refusèrent de souscrire à ces conditions 2 . Les événements que nous venons de rapporter eurent lieu en 1383 et dans les années suivantes. En mars 1386, l’évêque Edouard de Savoie fut transféré à l’archevêché de Tarentaise 3 ;néanmoins, ce fut seulement en 1392 (24 novembre), qu’un traité de paix mit fin à la guerre entre les Vallaisans et le comte de Savoie. (A cette date le comte Rouge ne vivait plus, et Bonne de Bourbon, sa mère, était régente de Savoie.) Le sire de la Tour fut compris dans cette paix 4 .
Après l’aliénation de ses propriétés, dans le Vallais, ce seigneur, dans l’année 1377, fit l’acquisition de terres situées dans la partie, aujourd’hui fribourgeoise, du Pays de Vaud. Il acheta Ulens et Arconciel, anciennes propriétés de la maison de Neuchâtel, de Luquette de Gruyères, veuve, en secondes noces, de Pierre, comte d’Arberg. Cette dame avait épousé en premières noces Guillaume d’Oron, seigneur des prédits lieux d’Illens et d’ Arconciel, desquels elle avait obtenu l’usufruit à la mort de ce premier mari. Aussi la vente de ces deux seigneuries fut-elle attaquée bientôt après par Rodolphe de Langins, comme /323/ héritier d’Aymon d’Oron, sire de Bossonens, frère du prédit Guillaume. Néanmoins le sire Antoine de la Tour les garda, sans doute à la suite de quelque arrangement resté inconnu 1 . Celui-ci acquit aussi Attalens, Maules et Vuisternens, mais ces deux dernières terres furent revendues bientôt après 2 . Dans l’année 1386, lorsque, après la bataille de Sempach, les villes de Berne et de Fribourg se firent une guerre de dévastation, les troupes de la première ravagèrent les terres qui appartenaient à Antoine de la Tour 3 . Vers la fin du XIVe siècle, ce dernier exerça pendant longtemps l’office de châtelain de Romont pour le comte de Savoie 4 . La ville de ce nom était située dans le voisinage des terres acquises par l’ex-seigneur de Châtillon. Antoine de la Tour fut aussi seigneur engagiste de Corbières, avec son frère Jean. (Voy. ci-devant, pag. 301).
Il restait encore à celui-là, de ses biens patrimoniaux, la seigneurie de Frutigen, qui avait, sans doute, d’autant plus de prix à ses yeux qu’elle ressortissait nûment à l’Empire. Cependant ce seigneur, déchu de sa première opulence, se trouvait dans la nécessité de vendre ses biens 5 . /324/ Le profond ressentiment qu’il nourrissait contre la ville de Berne lui faisait rejeter l’idée d’accroître la force de cette république en lui vendant ses seigneuries et ses serfs. Dans l’année 1395, le 29 août, Antoine de la Tour aliéna, en faveur du couvent d’Interlaken, pour le prix de 1300 florins d’or, de Florence, tous ses droits sur Gimmelwald, Mürren, Ammerten et Lauterbrunnen, en présence, entre autres, de Rodolphe de Gruyère, le jeune, chevalier 1 . Il avait aussi cédé, le 10 juin précédent, au même monastère, le patronage de l’église de Frutigen, en vue du salut de son âme, pour la célébration annuelle de son anniversaire et de celui de ses ancêtres 2 . Les biens aliénés provenaient de la succession de la maison de Wædiswyl. Enfin, dans l’année 1400, par acte du 17 juin, daté de Morat, Antoine de la Tour, sire d’Illens et d’Arconciel, et son épouse Palette (?) de Vignay vendirent à la ville de Berne, pour le prix de six mille et deux cents florins d’or (d’Allemagne, sans doute), les châteaux de Stein et de Tellen et l’entier de la vallée de Frutigen, en toute seigneurie, avec les hommes, les fiefs (Mannlehen) et les revenus qui en dépendaient 3 . Les vendeurs se réservèrent, pendant quinze années, la faculté de racheter les biens qu’ils aliénaient. Les habitants de la vallée /325/ de Frutigen, en passant sous de nouveaux maîtres, satisfirent les anciens à l’égard de tous tributs et intérêts arriérés. Comme la ville de Berne se montra disposée, lors de ce changement de domination, à accorder aux habitants de la seigneurie de Frutigen une exemption complète de tributs en retour du payement de la même somme de six mille et deux cents florins d’or, ils saisirent avec joie cette occasion d’améliorer leur condition et chacun d’eux apporta avec empressement le fruit de ses économies ou bien ce qu’il avait hérité de ses pères 1 . On leur promit la restitution de cette somme dans le cas ou le vendeur ferait usage de son droit de rachat. Berne conserva la haute et la basse juridiction et tous les autres droits de seigneurie, à l’exception de celui de l’impôt. Le comte Rodolphe de Gruyère, parent du sire Antoine de la Tour, apposa son sceau à la charte de cette importante transaction, qui fut aussi confirmée par son fils Rodolphe 2 .
Nous ferons remarquer ici que les quatre dernières générations des sires de la Tour, de la branche de Châtillon, ont soutenu des rapports intimes avec les comtes de /326/ Gruyère, auxquels les attachait le lien de la parenté. On trouve encore, sous l’année 1398, le sire Antoine de la Tour dans le nombre des garants du comte de Gruyère et de son fils Rodolphe, pour une obligation de 2000 florins créée par eux en faveur d’un marchand et bourgeois de Fribourg 1 .
Antoine de la Tour mourut fort âgé au château de L’Abergement (aujourd’hui dans le département de l’Ain), chez sa fille, la dame de la Baume de Montrevel. Il n’était plus vivant le 25 mai 1405 2 . Avec lui disparut une grande figure historique. Ce seigneur, le dernier de sa race 3 ,ne fut que trop fidèle aux traditions de violence et /327/ d’opposition à l’église de Sion qu’il avait héritées de ses ancêtres, mais, d’une autre côté, on doit aussi remarquer la rare énergie de son caractère.
Antoine de la Tour avait épousé en premières noces Jeanne de Villars, de la noble et puissante maison des sires de Thoire et de Villars, en Bugey. Elle était fille de Jean de Villars, chevalier, seigneur de Montelier, en Bresse, et de Belvoir, en Bugey, et d’Agnès de Montagu, son épouse, et petite-fille d’Humbert (V), sire de Thoire et de Villars et de Léonor de Beaujeu 1 . Jeanne de Villars, selon Guichenon, aurait testé en 1369 2 , mais nous avons vu qu’elle vivait encore, en 1376, lors de la vente de la terre de Châtillon, qu’elle approuva.
En secondes noces Antoine de la Tour épousa Gillette ou Belette, fille d’Eynard de la Tour de Vignay 3 , d’une famille illustre du Dauphiné, qui était une branche de la maison de la Tour du Pin et possédait la seigneurie de Vinay (soit Vignay) 4 . Nous avons vu cette épouse du sire Antoine de la Tour intervenir dans la vente de la seigneurie de Frutigen. /328/
L’ex-seigneur de Châtillon ne laissa qu’une fille, nommée Jeanne, née de sa première femme. Elle épousa, en 1384 1 Jean (I) de la Baume, premier comte de Montrevel, maréchal de France et gouverneur de Paris 2 , auquel elle apporta les terres d’Illens, d’Arconciel et d’Attalens 3 , débris de la fortune de son père. La maison de la Baume-Montrevel conserva ces seigneuries jusqu’aux guerres de Bourgogne, époque où elle en fut dépouillée par les Suisses.
Les terres, procédées des sires Antoine et Jean de la Tour et situées dans le Haut-Vallais, demeurèrent un sujet de litige entre les évêques de Sion qui les avaient acquises du comte Amédée VI de Savoie et les communautés du Haut-Vallais qui s’en étaient emparées, ainsi que nous l’avons rapporté. Un traité intervenu le 10e juin 1415, au château de la Soie, entre Guillaume de Rarogne, évêque de Sion, et son père Guichard, sire d’Anniviers, d’une part, et les communautés du Vallais supérieur, en armes, d’autre part 4 , décida que celles-ci, nonobstant les prix payés 5 , posséderaient temporairement les biens précités, pendant le temps où le prédit Guillaume de Rarogne serait évêque de Sion et pas au delà, sous charge néanmoins de l’hommage qui lui serait dû à leur /329/ occasion 1 . Cette disposition temporaire du traité devint sans doute définitive plus tard.
Nous rapporterons maintenant ce qui concerne Chabert de la Tour, le second des fils du sire Aymon (I), et la branche dont il fut l’auteur. C’est par là que nous terminerons le présent Mémoire.
/330/
BRANCHE DES VIDOMNES DE BAGNES, COSEIGNEURS DE GRANGES.
TROISIÈME DEGRÉ.
CHALBERT OU CHABERT DE LA TOUR
Coseigneur de Granges.
Le nom porté par ce fils du sire Aymon (I) de la Tour et de Marguerite de Morestel se rencontre fréquemment dans la famille de Morestel 1 . Cette circonstance corrobore l’opinion que nous avons émise plus haut, savoir que dame Marguerite, la mère de Chalbert de la Tour, était la fille du chevalier Chabert (ou Chalbert) de Morestel, témoin, sous les années 1174 et 1178, de deux transactions qui concernent l’abbaye de Saint-Maurice. L’aîné des deux fils que le sire Aymon de la Tour avait eus de sa seconde épouse, aurait ainsi porté le prénom de son aïeul maternel.
Nous avons vu Chalbert de la Tour approuver la /331/ donation faite par son père, en l’année 1211, en faveur de la sacristie de Saint-Maurice, pour le remède de l’âme de la première épouse de celui-ci. Puis, en l’année 1214, donner son approbation ainsi que son épouse non nommée, à l’inféodation faite par son dit père de la maison appelée la Mauvaise-cour, à Sion. Ce fut aussi avec son consentement que la chapelle de la Tour, de Sion, fut donnée, en 1221, à la maison du Mont-Joux, par son père Aymon, son oncle Guillaume et son cousin Rodolphe. Enfin il approuva encore la vente faite la même année, par son père, des droits de celui-ci aux moulins de Maranina.
Chabert et Aymon (II) de la Tour firent une vente importante lorsque, dans l’année 1226, ils aliénèrent en faveur du chapitre de Sion, avec l’approbation de leur frère Pierre, leurs vignes de Louëche, pour le prix de cent livres. Les vendeurs remirent au chapitre précité, sur la prédite somme, mille sols (soit la moitié du prix de la vente), en restitution de dommages que leurs parents lui avaient faits 1 . Cette remise se rapporte vraisemblablement à la guerre que leur aïeul, le sire Guillaume (I), et son fils Pierre avaient faite dans le temps à l’évêque Conon.
Enfin, dans la même année 1226, Chabert et Aymon (II) de la Tour, avec l’approbation de leur mère Marguerite, soumirent au fief de Landri, évêque de Sion, ce qu’ils possédaient dans le château et dans le district de Granges, soit la coseigneurie du lieu de ce nom. L’un des deux frères prêterait hommage au prélat à raison de ce fief. De nombreux témoins furent présents lors de cette transaction 2 . /332/
C’est à ce que nous venons de rapporter que se borne ce que l’on sait de Chalbert de la Tour, qui décéda dans un âge peu avancé (il paraît n’avoir plus été vivant en 1233).
On ne connaît pas le nom de son épouse, mentionnée, mais non nommée, dans un document de l’année 1214 (voy. ci-devant, p. 215). Le dit Chalbert laissa deux fils, portant les noms de Pierre et d’Uldric. L’article consacré au premier des deux suit immédiatement; nous nous occuperons plus tard du second et de sa descendance.
QUATRIÈME DEGRÉ.
PIERRE (III) DE LA TOUR, DIT DE MORESTEL
Chevalier, coseigneur de Granges et vidomne de Bagnes.
Pierre de la Tour, fils de Chalbert 1 , qui l’était du sire Aymon (I) de la Tour et de Marguerite de Morestel, sa seconde épouse, finit par adopter ce dernier nom, porté par sa descendance. Il était sans doute l’aîné de son frère Uldric, puisque ce fut lui qui posséda le vidomnat de Bagnes.
Lorsque Landri, évéque de Sion, fit, le 15 des kalendes de juin de l’année 1233, un traité, au sujet des régales et du fief de Chillon, avec le prince Aymon de Savoie, fils du feu comte Thomas, qui dominait dans le Chablais et le /333/ Bas-Vallais, une des dispositions de ce traité spécifia que dans le cas où il ne serait pas observé par Aymon de Savoie et que, après avoir été averti, ce prince ne viendrait pas à résipiscence pendant quarante jours, il céderait alors à l’église de Sion, librement et absolument, les fiefs de Girold de la Tour, de Pierre de la Tour et d’Amédée de Rarogne, du consentement et par la volonté de ceux-ci 1 . — Pierre de la Tour, nommé dans cette circonstance après Girold de la Tour, ne saurait avoir été le père de ce dernier, soit Pierre (II) de la Tour, sire de Bex, fils aîné du sire Aymon (I).
On ignore à raison de quels fiefs Pierre de la Tour était le feudataire du prince Aymon de Savoie. Sans doute que son père Chalbert n’était plus vivant lors de la transaction précitée, dans laquelle il eût tenu la place qui y est assignée à son fils.
Nous avons rapporté dans les articles consacrés soit au chevalier Aymon (II) de la Tour, soit à son neveu Girold, que, lorsque ce dernier engagea à l’abbaye de Saint-Maurice, pour vingt livres mauriçoises, son propre fief, à Ollon, et pour soixante-cinq des mêmes livres celui que son oncle Aymon tenait de lui dans le même lieu et à Iserables, cette mise en gage avait eu lieu, entre autres, avec le consentement de Pierre, neveu du dit Aymon. Or, ce consentement avait eu pour témoins: le vénérable père B(oson), évêque de Sion, messire Jean, abbé d’Abondance, Jocelin, vidomne de Sion, Henri, miles d’Aragnon (d’Ernen) et beaucoup d’autres personnes non nommées 2 . /334/
On trouve Pierre de la Tour, donzel, dans le nombre des témoins de l’arrangement fait le 22e juillet 1243, à Sion, entre les héritiers de l’évêque Boson de Granges, au sujet de l’héritage de ce prélat 1 .
Pierre de la Tour et Guillaume, son neveu (fils de son frère Uldric), avaient été en différend avec le même Boson, évêque de Sion et ensuite avec son successeur, au nom de leur église, au sujet de l’héritage des frères Louis et Guillaume Calonis de Granges (ne faudrait-il pas plutôt lire: de Granges, dits Calonis?). Ce différend avait donné lieu à la convention suivante: Les prédits Pierre de la Tour et Guillaume, son neveu, céderaient à l’évêque les fiefs d’Henri Albi de Granges, de Guillaume d’Anniviers et de Guillaume de Chalère (de Chaley), avec tous les droits d’hommage et de seigneurie. Le prélat, de son côté, leur remettrait, à titre de fief, le reste de l’héritage des dits frères de Granges, dès Borni (Praborgne, Zermatt?), en haut. Il leur concéda, en augmentation de tout le fief, quatorze livres annuelles, qu’il assigna sur certains biens 2 . Cette convention est datée du 6e juillet de l’année 1244, sous l’épiscopat d’Henri de Rarogne, successeur de l’évêque Boson de Granges, décédé l’année précédente. On doit regretter qu’elle nous soit seulement parvenue sous forme de régeste; on aurait trouvé, peut-être, dans la convention même, les droit-ayances des sires de la Tour à la coseigneurie de Granges, au sujet desquelles on est sans lumières.
Pierre de la Tour, de Sion, fut, au mois de janvier de /335/ l’année 1250 de l’Incarnation, l’un des témoins et des garants de l’hommage prêté, à Moudon, par Rodolphe de Rue, à Pierre de Savoie, pour le château et le mandement de Rue 1 .
Le fils de Chalbert de la Tour nous est précédemment apparu comme feudataire du prince Aymon de Savoie. Il était devenu, avec le temps, celui de Pierre de Savoie, frère et successeur de ce dernier; car, à la date du 30e novembre 1251, Pierre de la Tour, de Sion, chevalier, manda, de Lausanne, à Pierre de Savoie (et à Pierre de Grandson), qu’il s’était désisté, en faveur du chevalier Pierre de Willeris (?), du fief qu’il tenait du prédit prince Pierre, priant celui-ci d’en accorder l’investiture à celui-là 2 .
Toutes les possessions du chevalier Pierre de la Tour, dans la vallée de Bagnes, dès le pont de Saint-Brancher, étaient mouvantes de l’abbaye de Saint-Maurice. Il nous l’apprend lui-même lorsque, dans l’année 1269 (5e férie avant la fête de St. André), il engagea ces possessions (hommes, terres, dîmes, rentes, tailles, services, usages, échutes et autres possessions quelconques), à la prédite abbaye, pour trente pièces d’or en bons sterlings nouveaux 3 , de poids et suffisants en nombre et pour quinze livres mauriçoises. L’abbaye de Saint Maurice lèverait seulement, chaque année, neuf livres, de taille, sur les /336/ hommes de cette hypothèque. Celle-ci ne pourrait être dégagée que lorsque l’abbaye en aurait perçu les revenus pendant une année, et ce dégagement aurait seulement lieu, chaque année, de Noël à Pâques. Toutefois l’abbaye pourrait toujours exiger le remboursement de la somme prêtée moyennant six semaines d’avertissement. Les garants de cette mise en gage désignés par le chevalier Pierre de la Tour furent: Nantelme d’Ayent, P., vidomne de Martigny, Vinfred de Bex et J. de Monthey, chevaliers, Anselme de Saillon, donzel, Aymon le Douz et Estivan de Sion. Les précités Pierre de la Tour, Nantelme d’Ayent et J. de Monthey apposèrent leurs sceaux à la charte de cette mise en gage 1 .
Postérieurement à l’époque où celle-ci eut lieu, on trouve le chevalier Pierre de la Tour désigné, dans les documents, sous le nom de Morestel, qui était celui de son aïeule paternelle. Les motifs de ce changement de nom ne sont pas connus, mais nous croyons qu’il faudrait les chercher dans la circonstance que, suivant notre opinion, le vidomnat de Bagnes serait procédé du chevalier Chabert de Morestel, dont Pierre de la Tour aurait pris le nom parce qu’il tenait le dit vidomnat. Nous nous demandons si ce changement de nom fut volontaire ou obligatoire.
Quoi qu’il en soit, par son testament daté du 11e mai 1279, Pierre de Granges, chanoine de Sion, légua, entre autres, au chapitre de Sion, trente-deux livres que lui devait le sire Pierre, dit de Morestel, chevalier 2 .
Le 25 octobre de l’année 1280, Pierre (de la Tour), fils /337/ de Chabert, chevalier (lisez plutôt: Pierre, chevalier, fils de Chabert), vendit au chevalier Guillaume, sénéchal de Sion, pour le prix de onze livres d’entrage, un denier de service et trois deniers de plaît, dix fichelins de seigle et deux fichelins d’orge, de rente, jadis acquis par le vendeur du chevalier Aymon de Châtillon et dus par Guillaume de Drona sur la dîme du lieu de son nom 1 .
Pierre de Morestel se rendit coupable de félonie envers l’abbaye de Saint-Maurice, sa suzeraine. Une sentence datée du 14e mars, probablement de l’année 1288 2 , rendue par une cour instituée, paraît-il, ad hoc, par l’abbé Girard et son couvent, mit le prédit abbé en possession de tout le fief que tenait de son monastère le noble sire Pierre de Morestel, chevalier, vidomne de Bagnes, qui avait illicitement juré une confédération tant avec certains hommes de l’abbaye qu’avec d’autres personnes. L’abbé demandait qu’il y renonçât et payât une livre d’or, d’amende. Le chevalier Pierre, cité jusqu’à quatre fois par l’abbé, n’ayant pas comparu, ni personne en son nom, la cour mit l’abbé en possession de son fief, ainsi que nous venons de le rapporter, décidant que le sire Pierre dût venir répondre (soit se justifier des accusations portées contre lui) 3 . /338/
Les conséquences de cette sentence ne sont pas plus connues que les circonstances de félonie qui l’avaient motivée. Le chevalier Pierre de Morestel s’amenda, paraît-il, et conserva son fief, du moins nous trouverons celui-ci dans les mains de son fils.
Ce chevalier, infirme de corps, reconnut, le 28 mai 1289, avoir reçu soixante-quatre livres mauriçoises pour la dot de son épouse Jaquette. Il donna à celle-ci sept livres, à titre d’avantage, et assigna le tout sur ses biens, en présence de Pierre Bouchu, vicaire de Granges, d’Aymon de Montjouet, de Guillaume Albi et de Jean Fontana, donzels 1 .
Le 6 des ides du mois d’août de la même année 1289, à Chermignon, Pierre de Morestel, chevalier, avec l’approbation de Guillaume, d’Aymon et d’Isabelle, ses enfants, sa fille Perrette étant impubère, approuva une donation faite par son feudataire Pierre dou Ses, de Chermignon-dessous, en faveur du dîmeur Pierre, et vendit à celui-ci deux champs, le tout moyennant quatre livres mauriçoises 2 .
Le chevalier Pierre de Morestel avait des possessions et des droits à Chermignon-dessous, qui passèrent à ses descendants. Ce lieu (en grande partie du moins) était une dépendance de la coseigneurie de Granges.
Ce fut à Chermignon-dessous, que, le 13 des kal. de décembre de l’année 1295, sous le règne d’Adolphe et alors que Boniface occupait le siége épiscopal de Sion, Pierre de Morestel, chevalier, en possession de sa raison, fit donation entre vifs, à ses fils Guillaume et Aymon, de la tierce part de tous ses biens, meubles et immeubles, /339/ et de tout ce qu’il pouvait leur donner en sus du droit et de la coutume, se réservant, sa vie durant, la haute-main (jus et dominium) sur les biens donnés. On trouve le donzel Gothefred de Moërell dans le nombre des témoins de cette donation 1 .
Le 2 des nones de mars de la dite année 1295 (1296, si cette date est indiquée d’après le style de l’Incarnation), l’Empire étant vacant, Pierre de Morestel, chevalier, avait approuvé, à Lens, une vente faite par Guillaume, dit Vijos, de Chermignon-dessous, en faveur du dîmeur Pierre, de trois pièces de terrain 2 .
Enfin, le 26 avril 1297, Boniface occupant le siége épiscopal de Sion, Pierre de Morestel reconnut tenir, à titre de fief, du prédit évêque et de sa mense épiscopale, tout ce qu’il possédait dans (penes) la châtellenie de Granges, tant dans la plaine que sur les monts 3 .
Pierre de la Tour, dit de Morestel, chevalier, vidomne de Bagnes et coseigneur de Granges, parvint à un âge très avancé, puisque nous l’avons déjà trouvé nommé, comme feudataire du prince Aymon de Savoie, sous l’année 1233. Il ne vivait plus en 1312, date à laquelle ses fils reconnurent en faveur d’Aymon, évêque de Sion, leurs possessions de Granges.
Nous avons vu que, sous l’année 1289, l’épouse de ce chevalier se nommait Jaquette, mais on ignore à quelle famille elle appartenait. On ne sait pas non plus si la prédite Jaquette était la mère des quatre enfants du chevalier Pierre de Morestel qu’une charte, datée de la même année, /340/ nous a fait connaître; car ce chevalier, déjà vieux à cette époque, pourrait avoir eu d’autres épouses avant la prénommée Jaquette. Ces enfants sont:
1° Guillaume;
2° Aymon;
3° Isabelle;
4° Perrette, impubère en 1289.
La destinée des deux filles du chevalier Pierre de Morestel nous est inconnue 1 . Guillaume, l’aîné de ses fils, fera le sujet de l’article suivant et ce qui concerne Aymon, le second, trouvera sa place plus tard.
Le chevalier Pierre de la Tour, dit de Morestel, eut aussi, croyons-nous, un fils naturel, nommé Jean. Le 5 des kal. de février de l’année 1304, sous le règne d’Albert, Boniface occupant le siège épiscopal de Sion, Clémence, veuve de Jean de Morestel (sans titre nobiliaire), fit son testament, à Sion. Elle assigna son anniversaire et celui de son défunt mari, Jean de Morestel, jusques à cinq sols annuels, sur sa part de la grange qu’elle et son fils Michel avaient acquise de Guillaume de Morestel, donzel, sise ès Abandonnaz. Ses fils, non nommés, partageraient sa succession, après le payement de ses legs. Elle donna un lit garni à sa fille, dont le nom n’est pas /341/ indiqué, et aussi un lit à la fille naturelle de Jean de Morestel. Son gendre Guillaume fut un des témoins de son testament 1 .
CINQUIÈME DEGRÉ.
GUILLAUME DE MORESTEL
Donzel, vidomne de Bagnes et coseigneur de Granges.
Guillaume, fils aîné de Pierre de Morestel, chevalier, apparaît d’abord, le 6 des ides d’août 1289, lorsqu’il approuva avec son frère Aymon et sa sœur Isabelle, le consentement donné par son père à une donation faite par Pierre dou Ses, de Chermignon-dessous, en faveur du dîmeur Pierre, et la vente faite à celui-ci, par son dit père, de deux morceaux de terrain 2 .
Le 26e juillet 1312, lui et son frère Aymon, fils de Pierre de Morestel, reconnurent, en faveur d’Aymon, évêque de Sion, qu’ils tenaient, à titre de fief, de l’église et de la mense épiscopale de Sion, tout ce que leur père avait possédé dans toute la châtellenie de Granges et beaucoup d’autres choses situées ailleurs, sous réserve des acquisitions faites par les deux frères, tant indivisément que divisément 3 .
Guillaume de Morestel succéda à son père comme vidomne de Bagnes. Le 15e des kal. de janvier (18e décembre) /342/ de l’année 1314, indiction XIIe, Guillaume, fils du défunt sire Pierre de Morestel, chevalier, reconnut, à Saint-Maurice, tenir en droit fief, de Barthélemy, abbé de Saint-Maurice, le vidomnat de Bagnes et toutes ses possessions dans la vallée de ce nom, à l’exception du fief qui était mouvant du sire du Quart. Il reconnut devoir à l’abbé la fidélité et l’hommage lige et cent sols de plaît, le tout sous réserve de la fidélité qu’il devait à l’évêque de Sion 1 .
Dans l’année 1322, le noble Guillaume de Morestel vendit à Jean de Lyddes, pour le prix de soixante et quinze livres, dix muids de blé, moitié orge et moitié seigle, dus sur la dîme qui se percevait depuis le torrent (de Merdenson) jusqu’à la Lodia de Montagnier et dès la rivière de la Dranse jusqu’au sommet des montagnes de Verbiez. Cette vente fut approuvée par sa femme et par son fils 2 .
Le 8e des kal. d’avril de l’année 1325, à Sion, Guillaume de Morestel, donzel, avec l’approbation de dame Jacobée, son épouse, acensa à Perret, fils de Brunette, de Chermignon-dessous, deux pièces de terrain, moyennant l’entrage de dix sols, un fichelin d’orge de rente annuelle, un denier de service et deux deniers de plaît, en présence /343/ d’Aymon d’Ollon, donzel. Jean et Pierre, fils du prédit Guillaume, approuvèrent cet acensement, le 14 des kal. de juin de la dite année, à Sion 1 .
L’année suivante (1326), le 8 des kal. de mars, à Sion, Guillaume de Morestel, donzel, avec l’approbation de son épouse Jacobée et de ses fils Jean et Pierre, aliéna pour le prix de trente sols mauriçois (d’entrage), deux deniers de service et quatre deniers de plaît, deux pièces de terrain, situées à Chermignon-dessous, en faveur du dîmeur Berthod 2 .
L’état des finances de Guillaume de Morestel n’était guère favorable, ainsi qu’on va en juger. Le 12 mai, indiction IIe, de l’année 1334, heure 1re, au château de Granges, dans la maison de Guillaume de Morestel, donzel, dite maison de Morestel, le prédit Guillaume fit donation entre vifs, à ses fils Jean et Pierre, de la tierce partie, par indivis, de tous ses biens, tant paternels que maternels, meubles et immeubles, et cela à raison de nombreux services qu’il avait reçus d’eux 3 . Le même jour, dans le même lieu, heure 3e, le dit Guillaume de Morestel, donzel, reconnut, à l’instance de ses fils Jean et Perrod, avoir reçu: 1° du dit Perrod, cinquante livres mauriçoises provenant, tant de la vente de la mayorie de Granyreylz 4 que de celle d’un roussin bai que lui avait jadis donné le sire Aymon de la Tour, évêque de Sion. 2° du dit Jean, soixante et dix livres provenues de la dot de …me, son épouse. 3° cent et quatre-vingts livres des biens communs des dits frères, /344/ provenant de la succession de dame Colombe de Sierre, leur tante maternelle. Ces sommes ayant été appliquées à la décharge des dettes du donzel Guillaume de Morestel et celui-ci ne voulant pas que ses fils éprouvent du dommage par suite des dits payements, les assigne, pour être recouvrées par eux, sur les deux parts de ses biens qui sont en dehors de la tierce part qu’il leur a déjà donnée. Le donzel Jacques de Morestel (fils d’Aymon) fut l’un des témoins de ces deux transactions 1 .
La même année 1334, le vendredi avant la fête de l’Assomption de la Vierge, au château de Granges, dans la maison de Morestel, le donzel Guillaume de Morestel fit son testament, par lequel il élit sa sépulture dans l’église de Saint-Jacques, de Granges. Il légua cent sols à chacune de ses filles, nommées Nésie, Marquise et Johannette, fit divers legs à la prédite église de Saint-Jacques et à l’église paroissiale de Saint-Etienne, de Granges, et institua héritiers universels de tous ses autres biens, par parts égales, ses fils Jean et Perrod. Le chevalier Gotefred de Polens fut un des témoins de cet acte de dernière volonté 2 . Guillaume de Morestel, donzel, vidomne de Bagnes et coseigneur de Granges, paraît être décédé bientôt après qu’il eût testé.
Nous avons vu qu’une dame Jacobée était sa femme sous les années 1325 et 1326, mais on ignore à quelle famille elle appartenait. Etait-elle la mère des fils du donzel Guillaume de Morestel et partant la sœur de dame Colombe de Sierre, leur tante maternelle, dont ils recueillirent /345/ l’héritage? Guillaume de Morestel laissa les enfants suivants:
1° Jean;
2° Pierre ou Perrod, qui fut le dernier vidomne de Bagnes de sa famille;
3° Nésie ou Alexie, qui nous apparaîtra encore sous l’année 1364;
4° Marquise;
5° Johannette. On ne connaît pas la destinée des trois filles de Guillaume de Morestel.
SIXIÈME DEGRÉ.
JEAN DE MORESTEL
Donzel.
Jean de Morestel était vraisemblablement l’aîné de son frère Pierre, puisque, dans les divers actes où ils apparaissent tous deux et qui sont mentionnés ci-dessus, il est toujours nommé le premier. Cependant ce fut Pierre qui devint vidomne de Bagnes, ce qui eut sans doute lieu à la suite d’arrangements pris entre les deux frères. Jean conserva néanmoins des droits dans la vallée de Bagnes.
Leurs possessions dans cette vallée étaient encore indivises sous l’année 1335, lorsque, à cette date, les deux frères changèrent les assignaux d’une cense de huit setiers de vin, que leur devait Perret Ramuz, du Chabloz, /346/ lequel était aussi astreint envers eux à la taille et aux usages 1 .
Un ancien inventaire des archives de l’abbaye de Saint-Maurice, déjà cité par nous, indique, sous l’année 1346, quelques documents qui attestent que Jordan de Morestel, donzel, possédait des droits dans la vallée de Bagnes. Ici Jordan signifie vraisemblablement Jean. Ainsi, sous l’année prédite, Johannod Mantorre, de Villeta, confessa qu’il était homme lige taillable à miséricorde de Jordan de Morestel, donzel. Puis Isabelle, fille de Christine Cri et de Brunet Canali, de Verbier, reconnut être homme lige et franc de Jordan de Morestel à raison de divers biens, et qu’elle devait trois sols de service et six sols de plaît. Sous la même année Johannod et Jacques de Saxon confessent qu’ils tiennent en fief, de Jordan de Morestel, vingt-trois seyturées de pré, en deux pièces, sous six deniers de service et douze deniers de plaît, etc. Enfin, le même document mentionne encore, sous la date précitée, une reconnaissance de Wullier Mutisset, en faveur de Jordan de Morestel, pour un pré en Luex-Bernex 2 .
Jean de Morestel, donzel, fut, en novembre 1327, l’un des témoins, à Sion, de l’acte par lequel Jean, dîmeur de Chermignon-dessous, et son neveu Antoine, prirent l’engagement de payer dix livres à la décharge de Jacques, fils de feu Aymon de Morestel, donzel (voir plus loin). Puis, au mois de novembre 1340, il fut aussi l’un des témoins de l’approbation donnée par l’épouse de Jacques de Gissenay et leurs enfants, à la vente faite par le prédit /347/ Jacques au donzel Johannod de la Tour, de sa part au fief des Curtinali 1 .
Nous avons vu que Jean de Morestel avait remis à son père, pour le paiement des dettes de celui-ci, soixante et dix livres provenant de la dot de son épouse. Le nom de celle-ci était indiqué dans le document, daté de l’année 1334, qui nous apprend cette circonstance, mais il n’est plus lisible, sauf la syllabe me qui le termine. Jean de Morestel, donzel, ne paraît pas avoir laissé de postérité. On peut présumer que son frère Pierre, vidomne de Bagnes, fut son héritier.
SIXIÈME DEGRÉ.
PERROD OU PIERRE (II
2) DE MORESTEL
Donzel, vidomne de Bagnes et probablement coseigueur de Granges.
On se rappelle que Pierre de Morestel avait approuvé, dans les années 1325 et 1326, deux acensements de terrain, à Chermignon-dessous, faits par son père Guillaume de Morestel, donzel.
Aux kalendes de février de l’année 1331 (style de la /348/ Nativité) Perrod de Morestel, donzel, fut l’un des témoins de la fondation de la chartreuse de Géronde, faite par Aymon de la Tour, évêque de Sion 1 .
Nous avons rapporté qu’à la date du 12 mai 1334, au château de Granges, dans la maison de Morestel, le donzel Guillaume de Morestel avait reconnu avoir reçu de son fils Perrod la somme de cinquante livres provenant tant de la vente de la mayorie de Granyreylz que de celle d’un roussin bai que lui avait donné l’évêque Aymon de la Tour, et que cette somme avait été employée, ainsi que d’autres que lui avaient livrées tant Jean de Morestel, frère de Perrod, que les deux frères en commun, au paiement des dettes de leur père.
Guillaume de Morestel avait testé au mois d’août 1334 et était sans doute décédé bientôt après. L’année suivante, Perrod de Morestel et Jean, son frère, changèrent les assignaux d’une cense de huit setiers de vin, que leur devait Perret Ramuz, du Chabloz 2 .
Perrod de Morestel fut vidomne de Bagnes, et on le trouve prenant cette qualification dès l’année 1345. L’ancien inventaire, déjà cité, des archives de l’abbaye de Saint-Maurice renferme les indications de diverses transactions du vidomne Pierre de Morestel, concernant des biens ou des droits dans la vallée de Bagnes. Ainsi, en 1347, il loda, moyennant cent sols, l’acquisition faite par Perrod de Liddes, d’une maison, avec grange et verger devant, située au Chabloz 3 . /349/
Il était en différend, sous l’année 1357, avec Jean, abbé de Saint-Maurice, qui lui demandait cent sols, pour le plaît, à raison de son élévation sur ce siége abbatial, tandis que Perrod de Morestel prétendait devoir seulement le plaît, lors de la mutation du vassal. Pour gain de paix, le vidomne paya dix florins à l’abbé, ce qui fut constaté par un acte public 1 .
Perrod de Morestel, donzel, vidomne de Bagnes, reconnut, dans l’année 1359, le fief qu’il tenait, dans la vallée de ce nom, du sire du Quart (de la Val d’Aoste), lui en prêta hommage et en reçut l’investiture, le tout sous réserve de la féauté qu’il devait à l’évêque de Sion et à l’abbé de Saint-Maurice. A raison de ce fief, il devait au sire du Quart quatre livres et huit sols de plaît 2 . On se rappelle que son père Guillaume, prêtant hommage, en 1314, à l’abbé Barthélemy, pour ses possessions dans la vallée de Bagnes, avait réservé la fidélité qu’il devait au sire du Quart à raison du fief qu’il tenait de ce seigneur dans la prédite vallée.
Perrod de Morestel, privé d’enfants, aliéna ses propriétés de Chermignon-dessous. Avec l’approbation de son épouse Anthonie de Sarro et celle de sa propre sœur Alexie, Perrod de Morestel de Granges, vendit, ou plutôt acensa, le 19 décembre de l’année 1364, indiction IIIe, à Borcard Perrete, de Diogny, moyennant dix livres mauriçoises et dix sols d’entrage, un muid de froment, mesure de Sion, et un muid d’orge, de rente annuelle, cinq sols de service et dix sols de plaît, indépendamment de l’obligation, /350/ pour l’acquéreur, d’entretenir perpétuellement une demi-torche de cire à l’autel de St. Pierre de l’église de ce nom, à Lens, lors de l’élévation du corps de Christ, ainsi que le dîmeur de Chermignon-dessous avait accoutumé de le faire, divers fonds de terre situés au territoire du dit Chermignon, avec les chesaux 1 , maison, granges et autres édifices qu’il possédait dans ce lieu; plus, encore, le droit qu’il avait, au nom de l’hospice des dîmeurs, à toutes les eaux descendant du mont de Lens. Après le décès du vendeur, les deux muids de grain précités, de rente annuelle, pourraient être rachetés de ses héritiers, moyennant le prix de dix-sept livres mauriçoises. Perrod de Morestel, comme garantie de cette vente, désigna une pièce de vigne, dite en Ruaguillon. Toutefois, cette garantie prendrait fin si lui et son épouse cédaient leurs droits aux prédits biens, situés au-dessous du chemin de Loie. L’acte de la vente que nous venons de rapporter est daté de Diogny 2 .
Perrod de Morestel, donzel, vivait encore le 21 janvier 1365, ainsi qu’en témoigne une reconnaissance féodale faite en sa faveur pour une pièce de terrain située au territoire de Lens 3 . En revanche, il n’était plus vivant le 15 juillet de l’année suivante. (Voir plus loin.)
Il avait épousé Anthonie de Sarriou (de Sarra, de Sarro, plutôt de Sarriod), d’Aoste, sœur de Jean de Sarriou, d’une famille distinguée, issue de la puissante famille de Bard par Marquet, l’un des fils de Hugues, sire de Bard, /351/ au XIIIe siècle 1 . Avec le consentement de l’abbé de Saint-Maurice, Pierre de Morestel, dans l’année 1346, avait assigné la dot de son épouse sur tous les biens qu’il possédait dans la vallée de Bagnes 2 . Ce fut en vertu de cette assignation qu’après la mort de Pierre de Morestel, Anthonie de Sarra, sa veuve, vendit, le 15 juillet 1366, le vidomnat de Bagnes, à Barthélemy, abbé de Saint-Maurice, pour le prix de trois cents florins 3 . Ce vidomnat, du reste, devait revenir de plein droit, nous semble-t-il, à l’abbaye de Saint-Maurice, à l’extinction de la lignée des de la Tour de Morestel, ce qui expliquerait le bas prix de sa vente.
Pierre de Morestel, dernier vidomne de Bagnes de sa famille, ne laissa pas de postérité. Qu’advint-il, après lui, de la coseigneurie de Granges, qu’il paraît avoir encore possédée, puisque, dans l’acte de la vente de ses propriétés de Chermignon-dessous, il s’intitule: Perrod de Morestel de Granges, donzel?
/352/
CINQUIÈME DEGRÉ.
AYMON DE MORESTEL
Donzel, coseigneur de Granges avec son frère Guillaume.
Aymon, le second des fils de Pierre de Morestel, chevalier, vidomne de Bagnes et coseigneur de Granges, approuva, ainsi que son frère Guillaume et sa sœur Isabelle, le consentement donné par leur père, dans l’année 1289, à une donation faite par Pierre dou Ses, de Chermignon-dessous, son feudataire, en faveur du dîmeur Pierre, ainsi que la vente de terrain faite à celui-ci par le prédit chevalier Pierre.
Nous avons rapporté que, sous l’année 1295, le chevalier Pierre de Morestel avait fait donation, en faveur de ses fils Guillaume et Aymon, de la tierce partie de ses biens, s’en réservant néanmoins la haute-main.
Nous avons également indiqué qu’à la date du 26 juillet 1312, Guillaume et Aymon, fils de Pierre de Morestel, avaient reconnu tenir, à titre de fief, d’Aymon, évêque de Sion, et de sa mense épiscopale, tout ce qu’ils possédaient dans la châtellenie de Granges et beaucoup d’autres biens situés ailleurs, le tout provenant de leur père. Ils avaient néanmoins réservé leurs propres acquisitions. (Voir ci-devant, pag. 341.)
Aymon de Morestel, donzel, ayant vendu à François Albi, de Granges, donzel, des rentes, des hommages et /353/ d’autres usages, qui lui étaient dus dans la paroisse de Lens, Aymon, évêque de Sion, approuva cette vente, le 8 avril 1318, sous réserve du droit et des usages de son église 1 . Les biens aliénés, dans cette circonstance, étaient sans doute une dépendance de la seigneurie de Granges. Le donzel Aymon de Morestel n’était plus vivant le 8 des ides de novembre de l’année 1327 (voir plus loin).
Le nom de son épouse n’est pas connu; il laissa un fils, nommé Jacques, et vraisemblablement encore d’autres héritiers à l’égard desquels nous sommes sans lumières.
SIXIÈME DEGRÉ.
JAQUES DE MORESTEL
Donzel.
Jacques, fils de feu Aymon de Morestel de Granges, donzel, avait acheté, tant en son propre nom qu’en celui des autres cohéritiers du dit Aymon, son père, un muid de froment, de cense, de Nicolet Aspere, comme tuteur de son fils Nicholod. Le 8 des ides de novembre, indict. XIe, de l’année 1327, à Sion, dans la maison de Jaquet de Viége, jadis mestral du chapitre, Jean, dîmeur de Chermignon-dessous, et Antoine, son neveu, comme principaux débiteurs, promirent de payer dix livres encore dues par le dit Jacques de Morestel, sur le prix de quinze livres pour /354/ lequel le muid précité de froment avait été acquis. Jean de Morestel, donzel, fut l’un des témoins de cet engagement 1 .
Lorsque, le 12 mai 1334, le donzel Guillaume de Morestel fit donation entre vifs, à ses fils Jean et Perrod, de la tierce partie de ses biens, Jacques de Morestel, donzel, fut l’un des témoins de cette donation. Il le fut aussi de la reconnaissance passée, le même jour, par le prédit Guillaume de Morestel, en faveur de ses fils précités, des sommes d’argent que ceux-ci lui avaient livrées pour le paiement de ses dettes. Nous n’avons pas d’autres lumières sur le donzel Jacques, fils d’Aymon de Morestel.
Nous passerons maintenant au donzel Uldric, fils de Chabert de la Tour et frère de Pierre, coseignenr de Granges et vidomne de Bagnes, qui quitta le nom de la Tour pour adopter celui de Morestel.
QUATRIÈME DEGRÉ.
ULDRIC
Donzel de la Tour.
Le donzel Uldric doit avoir été fils de Chabert (ou Chalbert) de la Tour, puisque dans la convention, conclue entre le successeur de l’évêque Boson au siége épiscopal de Sion (soit Henri de Rarogne), et Pierre de la Tour et Guillaume (de la Tour), relativement à l’héritage /355/ des frères Calonis de Granges (voir ci-devant, pag. 334), le prédit Guillaume, que nous savons avoir été fils du donzel Uldric, est désigné comme étant le neveu du dit Pierre de la Tour, qui était fils de Chabert 1 .
Du reste, l’on ignore entièrement ce qui peut concerner le donzel Uldric de la Tour, qui n’était plus vivant le 2 des ides d’avril 1252 2 et peut-être déjà le 6 juillet 1244, date de la convention susmentionnée. Il laissa un fils, nommé Guillaume et vraisembablement encore un autre fils portant le nom de Pierre et qui devint chevalier. Nous rapporterons ce qui concerne l’un et l’autre dans les articles suivants. Le donzel Uldric de la Tour laissa aussi une fille, nommée Jeanne, qui devint l’épouse de Jacques, mestral de Sion. Celle-ci avait reçu de son frère Guillaume, à titre de dot, soixante sols mauriçois censuels, dus par les hoirs Liétot, de Merdenson, et leurs participants, à raison du fief qu’ils tenaient de lui, plus un muid d’orge, aussi de cense 3 .
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CINQUIÈME DEGRÉ.
GUILLAUME (III) DE LA TOUR
Donzel.
Guillaume, neveu de Pierre de la Tour, apparaît d’abord dans la convention, conclue le 6 juillet 1244, entre le successeur de l’évêque Boson au siége épiscopal de Sion et Pierre de la Tour et Guillaume, son neveu, relativement à l’héritage des frères Calonis de Granges. On peut présumer d’après ce document, que l’oncle et le neveu tenaient alors en indivision la coseigneurie de Granges.
Le 2 des ides d’avril de l’année 1252, Guillaume de la Tour, fils de feu Uldric, donzel de la Tour, vendit, avec l’approbation de son épouse Perrette, à Pierre, le bouffon, une vigne, limitant le pré du sire Amédée, pour le prix de cents sols, moins cinq sols 1 .
La transaction suivante concerne-t-elle le fils du donzel Uldric de la Tour ou peut-être quelque autre Guillaume de la Tour, étranger à la famille des sires de la Tour, de Sion? Au mois d’avril de l’année 1255, Guillaume de la Tour vend au prince Pierre de Savoie, pour le prix de quatre-vingts livres lausannoises, les biens (bona) et les /357/ droits (jura) qu’il possède dans les terres de Dronginens 1 , sa femme et son fils consentant à cette vente 2 .
Au mois de janvier de l’année 1272, Guillaume de la Tour, donzel, avec l’approbation de son épouse Perrette et celle de ses filles Christine et Agnès, fit don au sénéchal Guillaume de la troisième partie de la maison sous la Tour 3 .
Le testament de Pierre de Granges, chanoine de Sion, daté de l’année 1279, rappelle onze livres mauriçoises dues au testateur par Guillaume de la Tour, donzel, et dont celui-là dispose 4 .
Le 6 des ides de mars de l’année 1285, Guillaume de la Tour de Granges, donzel, vendit, pour le terme de dix années et le prix de dix livres mauriçoises, à Pierre de Herdes, chanoine de Sion, le produit de son pré, appelé Novel, situé au pied du Monteiller 5 . Guillaume de la Tour s’intitule—t il de Granges, dans ce document, parce qu’il avait part à la coseigneurie de ce lieu, ainsi qu’on peut le présumer, ou seulement parce qu’il résidait dans celui-ci?
Pierre de la Tour, l’aîné, chevalier, et Guillaume de la Tour, donzel (son frère, probablement), avaient engagé à Henri (de Rarogne), évêque de Sion, pour quarante-six marcs d’argent, une cense de quatorze livres mauriçoises, /358/ qui leur était due par la mense épiscopale sur les Contamines et les Plantées (deux parchets de terrain, sans doute, le second consistant en vignes). Le 12 des kalendes de février de l’an du Seigneur 1287, à Sion, les prénommés Pierre de la Tour et Guillaume de la Tour enjoignirent à l’évêque Pierre d’Oron, successeur de Henri de Rarogne, de payer désormais les prédites quatorze livres, de cense, au chevalier Vautier de Chamoson, gendre du prédit Guillaume de la Tour, qui dégagerait l’hypothèque 1 .
Un document de l’année 1268 nous apprend que Perrette, l’épouse du donzel Guillaume (III) de la Tour, appartenait à la famille de Venthône 2 . Dame Perrette de la Tour est rappelée dans le Nécrologe de l’église de Granges 3 .
Nous avons vu que, sous l’année 1272, Guillaume de la Tour avait deux filles, nommées Christine et Agnès. L’une d’elles, probablement, fut l’épouse du chevalier Vautier de Chamoson, qui nous est apparu ci-dessus comme gendre du donzel Guillaume de la Tour 4 , quoiqu’il se pût cependant que celui-ci eût eu encore une troisième fille qui aurait épousé le prédit chevalier. On ne connaît pas de fils à Guillaume de la Tour.
/359/
CINQUIÈME DEGRÉ.
PIERRE (VI
1) DE LA TOUR
Chevalier.
Pierre de la Tour, donzel de Granges, était probablement un frère de Guillaume de la Tour, dont nous nous sommes occupé dans l’article précédent, et par conséquent un fils du donzel Uldric.
Peu de documents nous le font connaître. Le 2 des ides de décembre de l’année 1260, à Granges, l’Empire étant vacant, et Henri occupant le siége épiscopal de Sion, Pierre de la Tour, donzel de Granges, avec l’approbation de son épouse Guillaumaz et celle de son fils Pierre, vendit, pour le prix de soixante et dix sols, à Bérengier, dîmeur de Chermignon-dessous, l’héritage qu’Agnès, fille de feu Genevan (Geneviève?) de Granges leur avait donné et qu’elle tenait de Jean Sage (Sapientis), son père. La maison de Granges fut exceptée de cette vente 2 .
Pierre de la Tour parvint à la dignité de chevalier. Ce titre lui est donné, ainsi que l’épithète d’aîné, dans /360/ l’injonction que lui et le donzel Guillaume de la Tour, probablement son frère, adressèrent, le 12 des kal. de février de l’an du Seigneur 1287, à Pierre d’Oron, évêque de Sion, de payer désormais au chevalier Vautier de Chamoson, gendre du prénommé Guillaume de la Tour, quatorze livres mauriçoises, censuelles, dues par la mense épiscopale sur les Contamines et les Plantées, mais que les prédits Pierre de la Tour, chevalier, et Guillaume de la Tour, donzel, avaient jadis engagées à l’évêque Henri de Rarogne, pour quarante-six marcs d’argent, le susmentionné chevalier Vautier de Chamoson devant alors dégager cette hypothèque 1 .
Le chevalier Pierre de la Tour est nommé ici l’aîné par opposition à son fils, portant le même nom que lui 2 . On ignore à quelle famille appartenait son épouse Guillaumaz qui nous est apparue sous l’année 1260 (voir ci-dessus).
SIXIÈME DEGRÉ.
PIERRE (VII) DE LA TOUR
Donzel.
Pierre, fils de Pierre de la Tour, donzel de Granges, approuva la vente faite par son père, le 2 des ides de /361/ décembre 1260, en faveur de Bérengier, dîmeur de Chermignon-dessous (voy. plus haut).
Lorsque nous avons rapporté ce qui concerne Jacobée ou Jaquette, fille du donzel Simon de la Tour (voir ci-dev., pag. 205 et les deux suivantes), nous avons fait observer que l’on ignorait qui cette dame avait épousé, et que son fils Jaquet (ou Jaquier), ayant porté le nom de la Tour, ce fils avait peut-être adopté le nom de famille de sa mère, ou bien que son père pouvait avoir été, soit un de la Tour, de Saint-Maurice, soit quelque membre, à nous inconnu, de la famille de la Tour, de Sion. Or, maintenant, il nous paraît ressortir de l’ensemble de divers documents, dont quelques-uns nous sont seulement parvenus depuis que nous avons écrit ce qui précède, que le mari de Jaquette de la Tour et le père du prénommé Jaquet ou Jaquier fut le donzel Pierre de la Tour de Granges, fils du chevalier Pierre de la Tour, dit l’aîné sous l’année 1287, et que c’est lui qui est mentionné dans le Nécrologe de l’église cathédrale de Sion, avec la remarque qu’il était d’Ollon 1 . Cette circonstance-ci nous avait fait présumer que ce Pierre était quelque la Tour, de Saint-Maurice, soit quelque bâtard de la famille de la Tour, de Sion (voir ci-dev., pag. 202, note commencée à la page précédente). Aucune de ces deux suppositions ne paraît avoir été fondée, et si Pierre de la Tour est désigné, dans le Nécrologe précité, comme ayant été d’Ollon, c’est sans doute parce qu’il habitait le lieu de ce nom, où son épouse Jaquette, fille du donzel Simon de la Tour, avait, on s’en /362/ souvient, des biens qui paraissent avoir été assez importants et au sujet desquels elle transigea, en 1319, avec l’abbé de Saint-Maurice. Pierre de la Tour n’était plus vivant lors de cette transaction, et même il mourut, paraît-il, avant le chevalier Pierre, son père.
Deux fils de Jaquette de la Tour et par conséquent de Pierre de la Tour de Granges sont nommés sous l’année 1299, savoir Jaquet et Maurice (voir ci-dev., pag. 205). Ce dernier n’apparaît pas dans d’autres documents. Nous parlerons de son frère dans l’article suivant.
SEPTIÈME DEGRÉ.
JAQUET (OU JAQUIER) DE LA TOUR
Donzel.
Jaquet, fils de la noble dame Jaquette, fille de feu Simon de la Tour, donzel, apparaît d’abord le 24 mai 1299, ainsi que nous venons de le rapporter.
Le pénultième février 1319 (style de la Nativité), la noble Jaquette de la Tour d’Ollon, Jaquet, son fils, et Nicole, épouse de ce dernier, transigèrent avec Barthélemy, abbé de Saint-Maurice, au sujet des biens que la dite Jaquette possédait à Ollon en vertu de succession paternelle. Par cette transaction les biens précités furent reconnus mouvants du couvent de Saint-Maurice et le prédit Jaquet prêta hommage à l’abbé à raison de cette mouvance. Une hypothèque /363/ de trois cents livres que Nicole, l’épouse du dit Jaquet, avait sur ce fief, fut réduite à la somme de deux cent et cinquante livres (voir ci-dev., pag. 206). On ignore à quelle famille appartenait la prédite Nicole.
Jaquet de la Tour n’était plus vivant sous l’année 1329 et n’avait pas laissé de postérité. Le 5 des kal. de mai de la dite année, un différend était mû, à Sion, entre Girold d’Antoine (Anthonii, fils d’Antoine?) de Villeneuve et son fils Perrod, d’une part, et Mermet, aussi un de ses fils, d’autre part, sur ce que le prédit Girold prétendait que toute l’échute de l’héritage du feu sire Pierre de la Tour, chevalier et de Jaquet de la Tour de Granges devait lui appartenir comme étant leur plus proche héritier 1 . — Sans pouvoir expliquer sur quoi Girold de Villeneuve fondait ses prétentions à la succession du chevalier Pierre de la Tour et de Jaquet de la Tour, son petit-fils, nous rappellerons ici les deux circonstances suivantes que nous croyons ne pas être sans rapport avec ces prétentions: Le 24 mai 1299, Jacques de Villeneuve, chanoine de Sion, par acte daté d’Ollon, avait acheté des choses de peu de valeur à l’usage de Jaquet et de Maurice, fils de la noble dame Jaquette de la Tour. Puis, le 7 juin 1305, à Ollon, le même chanoine Jacques de Villeneuve avait accordé à la prédite Jaquette une rente viagère annuelle de dix livres sur les biens qu’il avait jadis acquis d’elle. (Voir ci-dev., pag. 205.)
Quoi qu’il en soit, à la date du 4 des kal. de mars 1333, à Sion, Mermet d’Ollon, donzel, apparaît comme ayant succédé aux biens des défunts sire Pierre de la Tour de /364/ Granges, chevalier, et Jaquet de la Tour de Granges 1 . (Il s’agissait alors d’une difficulté au sujet d’une vigne située à Huvrie, provenant des biens du dit Pierre de la Tour.)
A quel titre le donzel Mermet d’Ollon avait-il succédé aux biens des défunts Pierre de la Tour, chevalier, et Jaquet de la Tour, donzel?
A l’égard du fief que ce dernier tenait à Ollon de l’abbaye de Saint-Maurice, nous avons déjà rapporté qu’il se trouvait, sous l’année 1350, dans les mains de Guillaume Wichard, de Saint-Maurice, par suite de concession du couvent de ce nom (voy. pag. 207).
Jaquet de la Tour, époux, en 1319, de Nicole, pourrait avoir eu, après le décès de celle-ci, une seconde épouse. Sous l’année 1332, Béatrice, veuve de Jaquier de la Tour, tenait dans le bourg de Villeneuve une maison qui était mouvante du comte de Savoie 2 .
/365/
LES NOBLES DE LA TOUR
DE SAINT-MAURICE.
On ne trouve aucune jonction entre eux et les sires de la Tour, de Sion, qui étaient dans une position sociale bien plus relevée. Aussi ces derniers, dans les actes publics, faisaient-ils souvent remarquer qu’ils étaient de Sion, pour se distinguer probablement de leurs homonymes de Saint-Maurice.
Il se pourrait que les nobles de la Tour, de Saint-Maurice, eussent été, dans le principe, des milites soit des vassaux de ceux de Sion, dont ils auraient adopté le nom. Le moyen âge nous offre de fréquents exemples de faits analogues.
Les documents que l’on possède sur ces gentilshommes ne permettent pas d’établir la généalogie complète de leur famille, ainsi qu’on s’en convaincra par la rapide analyse que nous allons en donner.
Jean de la Tour est le premier d’entre eux qui soit nommé dans les documents. Il apparaît, dans l’année 1233, en qualité de témoin, avec Amaldric, miles d’Ollon, Guy de Pontverre, Boson, mayor de Monthey, plusieurs membres de la famille Quartery, et d’autres personnes encore, /366/ lors d’une vente faite par Pierre, donzel d’Albignon, à son consanguin Rodolphe d’Albignon, de tout ce qu’il possédait dès le lieu appelé Choiz (soit Chieses, probablement; voy. ci-devant, pag. 244) jusques au (mont de) Coul, d’un côté, puis d’un autre côté jusques au Rhône 1 .
Le même Jean de la Tour et ses frères P., François, Clod., Pierre et Colomb furent les témoins d’une convention passée, dans l’année 1238, sous le sceau de Boson, évêque de Sion, entre l’abbaye de Saint-Maurice et la communauté du dit lieu 2 . — Nous avons rencontré Jean de la Tour dans le nombre des témoins du consentement donné par dame Isabelle, épouse du sire Aymon (II) de la Tour, lorsque Girold de la Tour engagea à l’abbaye de Saint-Maurice son propre fief à Ollon et celui de son oncle, le prédit Aymon (II) de la Tour.
Etienne de la Tour fut l’un des témoins, dans l’année 1240, d’une donation faite en faveur de l’église d’Agaune, sous l’abbé Nantelme, par Maurice, frère de Jacques, sautier de Saint-Maurice 3 . Il n’était plus vivant le 14 des kal. de juillet de l’année 1271, mais il avait laissé un fils, nommé Aymon, lequel, à la date précitée, possédait la maison de Sous-Saxon 4 . Etienne aurait-il été aussi un des nombreux frères de Jean de la Tour?
Ce dernier devint châtelain de Monthey et fut revêtu de la dignité de chevalier. Ce fut en présence du sire Jean de la Tour, alors châtelain de Monthey, que, le 4 des kal. de février de l’année 1247, Anselme de la Fontaine vendit /367/ au sire Boson, mayor de Monthey, pour le prix de vingt-quatre livres mauriçoises, une condemine de terre, dite de l’évêque de Sion, située entre le village de Massongier et l’eau appelée Aloygne 1 .
Un Anselme de la Tour, donzel, fut l’un des témoins de la revendication que fit, aux kalendes de septembre de l’année 1263, le donzel Aymon de Châtillon, de la vente des biens de Grion, qui avait été faite à l’abbaye de Saint-Maurice par le donzel Berthold de Naters 2 . Anselme de la Tour pouvait être le fils d’un des frères du chevalier Jean de la Tour.
Lorsque Aymon de Châtillon, devenu chevalier, prêta hommage, en 1265, pour le fief de Grion, à l’abbaye de Saint-Maurice, le chevalier Jean de la Tour fut un des témoins de cette prestation d’hommage 3 .
Ce chevalier n’était plus vivant dans l’année 1267, ainsi que cela ressort d’une sentence arbitrale rendue, le 12 des kal. de mars de la prédite année, dans un différend qui avait surgi entre son fils Antoine et un homme de Montagnier, dans la paroisse de Bagnes, sur lequel il estimait avoir des droits. Dame Marguerite, la veuve du chevalier Jean de la Tour, est mentionnée dans cette sentence, qui fut rendue par quatre hommes d’Eglise, parmi lesquels on remarque François, prieur de Saint-Maurice, frère du prénommé Antoine de la Tour 4 .
Ce dernier apparaît encore plusieurs fois comme témoin. D’abord, en 1288 (probablement), avec le titre de /368/ donzel, dans la cause entre l’abbaye de Saint-Maurice et le chevalier Pierre de Morestel, vidomne de Bagnes, pour crime de félonie de celui-ci envers la dite abbaye (voir ci-devant, pag. 337); puis, en 1289, avec son frère Girold, lorsque François, coseigneur de Saxon, et sa sœur Béatrice soumirent au fief de l’abbaye de Saint-Maurice leurs possessions situées dans la vallée de Bagnes et spécialement à Montagnier 1 .
Un autre fils du chevalier Jean de la Tour, nommé Pierre, avait épousé Marguerite, fille de Jacques, mestral de Saillon. Le … après la fête de St. Michel, en l’année 1298, à Agaune, Pierre de la Tour, fils de feu Jean de la Tour, chevalier, confessa avoir reçu, pour la dot de son épouse Marguerite, quatre-vingts livres mauriçoises, de Jacques, mestral de Saillon, père de celle-ci, et il les assigna sur ses biens, à Bex 2 . Pierre de la Tour laissa un fils. A la date du 4 février 1333, Antoine de la Tour, de St-Maurice, clerc, fils de feu Pierre de la Tour, tenait, à Bex, sous la mouvance du comte de Savoie, des censes et des hommes qui devaient celles-ci, et cela en vertu d’acquisition faite de Jean de Bex 3 .
On trouve encore, dans la seconde moitié du treizième siècle, des membres de la famille de la Tour, de Saint-Maurice, sans doute, tenant des possessions dans la vallée de Bagnes. Le 1er des ides d’avril de l’année 1291, Jaquemin de la Tour, de Saint-Brancher, par l’expresse volonté de son père Jean, en l’absence de Jonod, son fils légitime, vendit à Girard, abbé de Saint-Maurice, pour le prix de /369/ dix livres, un alpage appelé l’alpe neuve de Planars, mouvante du fief de la prédite abbaye. Il donna à celle-ci, pour le remède de son âme, cinq livres et sept sols sur le prix de cette vente, dont l’acte fut passé à Saint-Brancher, au-dessus (supra) de l’église 1 . — Jaquemin de la Tour pouvait descendre de l’un des nombreux frères du chevalier Jean de la Tour (voir ci-devant).
Girold (soit Girod) de la Tour, donzel, frère d’Antoine, et fils par conséquent du chevalier Jean de la Tour, était feudataire de l’abbaye de Saint-Maurice à raison de fiefs situés dans le territoire d’Ollon, pour lesquels il prêta hommage à Jacques d’Ayent, abbé de Saint-Maurice, le samedi avant la fête de l’apôtre St. Thomas de l’année 1312, à Saint-Maurice 2 . Girod de la Tour, de Saint-Maurice, donzel, tenait, dans l’année 1333, des terres, à Bex, en fief du comte de Savoie 3 .
Jaquet de la Tour, apparaissant sous l’année 1352, était-il le fils ou le petit-fils du donzel Girold? Quoi qu’il en soit, le 10 septembre, indict. Ve, de l’an du Seigneur 1352, dans la maison de Jaquet de la Tour d’Ollon, celui-ci, à l’instance de Barthélemy, abbé de Saint-Maurice, confessa qu’il tenait tous ses biens dans la paroisse d’Ollon à titre de fief de l’abbaye de Saint-Maurice, mais que, voyant qu’il ne pouvait les garder plus longtemps, parce qu’ils étaient échus au prédit couvent, à raison d’usages dus, mais non acquittés, il s’en dévêtissait et les remettait au couvent précité, lequel les posséderait comme ses biens propres; ce qui eut lieu en présence, entre autres, /370/ de Perrod d’Albignon, d’Humbert de Saillon et de Jaquemet Quartery, clerc 1 .
Le fief de Jaquet de la Tour, à Ollon, remis par celui-ci à l’abbaye de Saint-Maurice, paraît lui avoir été rendu, soit à sa descendance, ce dont témoigne le document suivant: Le jeudi, 6 juillet, indict. II, de l’année 1424 (style de la Nativité), à Saint-Maurice, dans la maison d’habitation de Martin de la Tour, donzel, du dit lieu, l’abbé Jean Sostionis expose que, pour tous les biens tenus par le prédit Martin, dans la paroisse d’Ollon, celui-ci doit l’hommage noble à son couvent, lequel n’a jamais été ni prêté ni desservi par lui, le requérant de remplir ce devoir. Sur quoi ce feudataire déclare qu’il est prêt à prêter le dit hommage et à reconnaître les biens précités, le mardi suivant, si l’abbé se trouve alors à Saint-Maurice. Cette déclaration eut, entre autres, pour témoins, le noble Jean Sostionis et Jean Tavelli, fils de feu Perrod Tavelli, etc. 2 . Ce document clôt la série de ceux que nous possédons sur les nobles de la Tour, de Saint-Maurice.
