LA TRÊVE DE DIEU
DANS LA TRANSJURANE 1
Les croyances superstitieuses du moyen âge excitent souvent l’étonnement et la risée des générations plus éclairées: il faut convenir cependant qu’elles sont en général empreintes d’un cachet particulier, qui n’est dépourvu ni de force ni de grandeur. L’humanité, qui ne perd jamais ses droits, trouvait même, dans ces temps d’ignorance grossière, des correctifs puissants qui tempéraient la violence des mœurs et suppléaient à l’inanité des lois politiques. La trêve de Dieu en est un exemple mémorable. Pour apprécier toute l’importance d’une institution aussi singulière que bienfaisante, il faut repasser en peu de mots les circonstances qui la firent éclore.
C’était une croyance universellement répandue, même parmi les peuples les plus instruits de la Gaule méridionale et de l’Italie, que le monde devait finir avec l’an mille de l’ère chrétienne. L’abbé Hugues de Fleury, l’un des chroniqueurs les plus exacts de cette époque, assure avoir entendu, dans l’église de Paris, prêcher un sermon annonçant /406/ la venue de l’Antechrist, que devaient suivre de près la fin du monde et le jugement dernier 1 .
Les chartes de la fin du Xe siècle et celles des premières années du siècle suivant commencent fréquemment par ces mots: terminum mundi apropinquanti, qui montrent combien cette croyance était généralement adoptée 2 . Divers prodiges contribuaient à accréditer cette sinistre prédiction 3 ; et, quand l’an mille commença, tous les ressorts de l’activité humaine s’arrêtèrent; la culture de la terre fut négligée, dans la persuasion que la moisson ne pourrait être recueillie; les maisons, les églises même furent abandonnées à la dégradation; les hommes ne vécurent plus qu’au jour le jour.
Toutefois la terrible année s’écoula sans catastrophe; la plupart se rassurèrent, tandis que d’autres soutenaient encore que la fin du monde était proche, « car des hommes qui passaient pour très doctes (plures sagaci mente viros) affirmaient que le millénaire devait se calculer, non de l’incarnation de Notre Seigneur, mais de sa résurrection, qui concourrait avec l’an 1033 4 »
Cependant, de toutes parts, on se remit à l’ouvrage, on laboura et on ensemença les terres restées en friche, on /407/ releva les habitations ruinées, et, dans une pieuse reconnaissance, les peuples élevèrent au Dieu tout-puissant de nouvelles basiliques, plus vastes et plus somptueuses, où de solides matériaux en pierre de taille remplacèrent le bois et les murailles en béton, employés jusqu’à cette époque 1 .
La Transjurane suivit l’impulsion générale. Henri, évêque de Lausanne, qui siégea de 985 à 1019, fit reconstruire la cathédrale, et, en outre, il dota cette cité de cinq églises paroissiales nouvelles 2 . La construction de la cathédrale de Bâle, par les soins de l’évêque Adalbéron, date de cette époque 3 . A Genève, l’évêque Hugues restaura la basilique de St. Pierre 4 . « Il semblait enfin, dit un auteur contemporain, que le monde entier, secouant sa vétusté, s’était rajeuni en revêtant l’éclatante blancheur des surplis 5 . »
Néanmoins l’erreur et l’incurie des nations pendant cette période portèrent des fruits désastreux: de 1000 à 1033, l’histoire compte plusieurs famines générales qui réduisirent le peuple aux derniers excès de misère et de désespoir. La peste, les tempêtes et d’affreuses inondations mirent le comble à tant de maux, et il ne faut pas s’étonner si tous les liens sociaux se trouvèrent relâchés ou brisés dans ces temps de calamité. Sous l’influence d’une panique générale, les riches et les grands de la terre avaient fait d’immenses largesses aux églises et aux monastères; revenus de leur terreur, la plupart /408/ se repentirent de ces libéralités, et ils employèrent, soit la ruse, soit la force, pour ressaisir les biens qu’ils avaient abandonnés. Les propriétés des couvents furent pillées, leurs serfs rançonnés, ou contraints à labourer les terres en friche du seigneur et à reconstruire ses châteaux 1 . Le respect des choses saintes s’affaiblit et disparut presque en entier, « en sorte que le faible ne trouva plus, même dans le sanctuaire, un asile assuré contre la violence et la cupidité 2 . » A tant d’abus se joignirent, dans la Transjurane, l’anarchie politique et l’invasion des armées étrangères, qui précédèrent ou suivirent de près la mort du roi Rodolphe III en 1032. Les grands du royaume, divisés en autant de factions qu’il y avait de prétendants à l’héritage de la dynastie éteinte, se livraient à toutes les violences et à toutes les haines qu’engendre l’esprit de parti.
En présence de tant de maux, les pasteurs des peuples cherchèrent un remède contre les excès du brigandage et de la brutalité. En imposant la Trêve de Dieu à tous leurs ressortissants, ils aidèrent au premier effort de l’humanité pour repousser la barbarie.
Les historiens ne s’accordent ni sur le lieu ni sur la date précise qui vit éclore cette précieuse institution. Dès la fin du Xe siècle, Thibaud, archevêque de Vienne, Guy, évêque du Puy, et d’autres prélats, défendirent, sous les peines les plus sévères, de commettre aucun acte de rapine pendant certains jours de l’année 3 . En 1027, plusieurs évêques et /409/ seigneurs laïcs de l’Aquitaine se réunirent à Elne 1 et arrêtèrent, d’un commun accord, que, « dans toute l’étendue de leur ressort, nul n’attaquerait son ennemi depuis l’heure de none du samedi jusqu’à l’heure de prime du lundi, afin que la sainteté du dimanche fût observée 2 . »
Des confins des Pyrénées, la Trêve de Dieu 3 se répandit promptement chez les peuples voisins, et, en se propageant, elle acquit un développement qui lui assigna bientôt un rang entre les lois politiques les plus vénérées du moyen âge.
Dès l’an 1030 environ, Burchard II, archevêque de Lyon et abbé de St. Maurice en Valais, assembla un concile à Verdun, auquel assistèrent l’archevêque de Besançon, plusieurs évêques français relevant de la primatie de Lyon, et une foule de seigneurs laïcs et de peuple. Le vénérable prélat, âgé de près de 80 ans, frère et conseiller du roi de Bourgogne, profita de l’ascendant que lui donnaient son rang et son âge pour faire adopter dans ce synode la Trêve de Dieu. Elle fut proclamée et jurée avec la plus grande solennité, pour le terme de sept ans, par tous les seigneurs et chevaliers laïcs présents à cette assemblée 4 . La Trêve de Dieu devait, selon le serment, durer chaque année depuis le mercredi des Cendres jusqu’à la fin des fêtes de Pâques, qui tombent au dimanche de Quasimodo 5 . Pour assurer l’observation de cette suspension d’armes, l’archevêque Burchard se fit livrer des ôtages, et fulmina l’excommunication contre les violateurs de la paix jurée et contre ceux /410/ qui, dans un délai assez court, refuseraient de s’y conformer 1 .
La Trêve de Dieu reposa sur le double principe d’une convention (pactum) réciproque entre le clergé et les laïcs; les évêques proposaient la Trêve et châtiaient par les armes spirituelles les infracteurs, tandis que les seigneurs laïcs s’y soumettaient et la faisaient respecter.
Les évêques de Bâle, de Bellay et de Lausanne étaient suffragants de l’archevêque de Besançon, qui assistait au concile de Verdun; divers liens de subordination et de parenté unissaient les évêques de Genève et de Sion à l’archevêque Burchard; il est donc vraisemblable que la Transjurane fut comprise dans la trêve de sept ans jurée à ce synode. Toutefois les troubles politiques qui agitèrent cette contrée pendant les dernières années du règne de Rodolphe et après sa mort furent un obstacle à ce qu’elle y fût respectée et observée généralement. Mais lorsque Conrad le Salique eut été couronné roi de Bourgogne en 1033, et après qu’il eut, l’année suivante, triomphé de Eudes, comte de Champagne, son compétiteur, Hugues, évêque de Lausanne, jugea le moment favorable pour affermir la Trêve de Dieu dans nos contrées. Il fut néanmoins encore retardé dans l’accomplissement de ce pieux dessein, par les nouveaux troubles que suscita Gérold, prince ou gouverneur du Genevois, lequel ne fut vaincu et soumis que vers l’an 1036 2 ». /411/
L’évêque Hugues était fils naturel ou adoptif de Rodolphe III, dernier roi de Bourgogne, et jouissait de la haute protection de l’empereur. L’ascendant qu’il exerçait à ce double titre sur les seigneurs les plus puissants de la province était encore justifié par ses vertus, la charité et la pureté de ses mœurs. « Le peuple se pressait en foule autour de son pasteur; il encourageait les bons, réprimandait les coupables, consolait les veuves et distribuait d’abondantes aumônes 1 . »
Vers la fin de l’année 1036 2 , Hugues, évêque de Lausanne, convoqua, dans son diocèse, une assemblée générale des prélats du royaume de Bourgogne. Les archevêques de Vienne et de Besançon, leurs suffragants, parmi lesquels il faut compter les évêques de Bâle, de Bellay, de Genève, de Maurienne, d’Aoste, de Sion, et même l’archevêque de Tarentaise, s’y rendirent par les ordres du pape 3 ; ils y furent accompagnés par une foule de seigneurs et de chevaliers, rassasiés de guerres et d’anarchie, et disposés enfin à jouir de la paix.
Au pied des trois collines qu’embrasse la cité de Lausanne et près des rives du lac, au centre d’une vaste prairie, s’élève un monticule arrondi, qu’on pourrait croire élevé de main d’homme s’il n’était surmonté de la plus belle et antique végétation; ce lieu charmant, connu sous le nom de montriond 4 , fut choisi par l’évêque Hugues comme point /412/ de rassemblement du synode convoqué par ses soins. Revêtu, ainsi que les autres prélats, de ses habits sacerdotaux, il occupa le haut de la colline, entouré des principaux seigneurs, dont les armures étincelaient aux rayons du soleil; un peuple immense couvrait la plaine; tous agitaient des rameaux verts en criant: « Pax! Pax, Domine! » La paix, donne-nous la paix, Seigneur 1 ! » L’évêque répondit aux acclamations de cette multitude en levant au ciel sa crosse pastorale, en témoignant du pacte conclu à la face du Dieu vivant, et il prononça la formule du serment en ces termes 2 :
« Ecoutez, chrétiens, le pacte de la paix. Vous jurez de ne point attaquer l’Eglise, ni le clerc, ni le moine inoffensif; de ne point enlever ce qui lui appartient légitimement; de ne point saisir le villageois, ni la villageoise, ni le serf, ni le marchand ambulant: vous ne les rançonnerez ni ne les maltraiterez. Vous promettez de ne point incendier les chaumières et les châteaux, à moins que vous n’y trouviez votre ennemi à cheval et tout armé; de ne point brûler, ni saccager les récoltes et les fruits de la terre; de ne point enlever au laboureur le bœuf ou le cheval de sa charrue, et vous ne les blesserez point.
» Vous ne prendrez point à gage un voleur connu comme /413/ tel; vous ne protégerez point l’homme violateur de la paix jurée. Vous respecterez l’asile sacré accordé aux autels et l’immunité de l’Eglise.
» Enfin, vous n’attaquerez point votre ennemi armé ou désarmé, pendant le temps consacré à la Trêve de Dieu. »
Les seigneurs et les chevaliers jurèrent sur les saints Evangiles l’observance de ce pacte, et leur serment fut répété avec des transports de joie par la foule. L’assemblée procéda ensuite à la remise des ôtages, qui furent confiés aux évêques; enfin, avant de se séparer, elle entendit la bulle d’excommunication lancée par les prélats contre tous ceux qui enfreindraient le pacte juré.
En se propageant de province en province, la Trêve de Dieu recevait plus ou moins de durée; au synode de Montriond elle fut prolongée de manière à embrasser les trois quarts de l’année. Ainsi elle durait, chaque semaine, du mercredi au soleil couchant jusqu’au soleil levant du lundi suivant, et, de plus, chaque année, depuis l’Avent jusqu’au huitième jour après l’Epiphanie, reprenant à la Septuagésime jusqu’au dimanche de Quasimodo.
Afin de fortifier ce pacte pacifique, les évêques s’engagèrent entre eux à se dénoncer réciproquement, même par écrit, les violateurs de la Trêve, afin qu’il ne leur fût pas possible d’échapper aux châtiments de l’Eglise en passant furtivement d’un diocèse dans un autre, et, comme l’union fait la force 1 , ils se promirent de réunir tous leurs efforts pour l’amour de Dieu et le salut du peuple, afin d’assurer le maintien de la Trêve, sans avoir égard à leurs préférences ou à leurs animosités particulières.
Nous ne dirons que quelques mots en passant de l’établissement /414/ de la Trêve-Dieu en Angleterre par Edouard le Confesseur, vers l’an 1042, et en Belgique, en 1071, dans un concile tenu à Liége; mais nous signalerons l’opposition qu’elle trouva en Normandie, où les chefs de ce peuple guerrier refusèrent d’admettre une coutume contraire à leurs habitudes de brigandage et de piraterie. Quelques prélats de la Neustrie, en particulier l’évêque de Cambrai, soutinrent, en 1041, dans une assemblée générale, que l’institution de la Trêve de Dieu appartenait au pouvoir séculier, et que les évêques, en la proposant, empiétaient sur les prérogatives de la puissance royale 1 . Ce ne fut qu’en 1067 que Guillaume le Conquérant obligea ses sujets du continent à la recevoir et à l’observer 2 .
La protestation de l’évêque de Cambrai eut pour résultat de faire comprendre aux princes temporels la nécessité de se mettre eux-mêmes à la tête du mouvement de réforme dont les prélats avaient jusque-là pris l’initiative sans leur concours. Ils virent dans la Trêve de Dieu un moyen puissant de réprimer le fléau des guerres privées qui ruinaient et compromettaient sans cesse leur autorité. Henri III, empereur et roi de Bourgogne, fut le premier souverain de la chrétienté qui mit la Trêve de Dieu au rang des lois politiques de ses états. Dans une diète, tenue à Constance en 1043, il monta lui-même en chaire, et, après avoir défendu sévèrement les gages de bataille et les défis particuliers, il prescrivit l’observation de la Trêve de Dieu, appelée dès lors pax publica, la paix publique, en allemand Landfrieden 3 . /415/
Cette loi générale fut confirmée dans les mêmes termes par l’empereur Henri IV au synode de Mayence, en 1083 1 . Aux châtiments spirituels des évêques contre les infractions à la paix jurée, les souverains ajoutèrent des peines temporelles très graves, telles que le bannissement perpétuel, la confiscation des patrimoines et des fiefs, l’amputation de la main, et même la peine de mort.
La loi de la Trêve de Dieu pénétra peu à peu dans le droit provincial et les coutumes locales de plusieurs pays. C’est ainsi qu’on la retrouve dans les coutumiers de l’Anjou, de la Normandie et de la Flandre; l’esprit en est conservé dans le code de loi intitulé le Miroir de Souabe 2 , qui régissait non-seulement la Souabe et la Suisse allemande, mais encore la Lorraine, l’Alsace, la Franche-Comté, les principautés de Montbéliard et de Neuchâtel, et même la Suisse romande 3 .
Le chapitre XXIX du droit féodal est intitulé: Des Jors paisibles; il y est dit: « Ils sont IV jors en la semaine qui sont plus forts (saints) que li autre. C’est li Joudi, Vanredi, Sambadi et la Dimoinge … Ces IV jors … doit chascon avoir pais et tranquillité. Cil qui farait outrage et forfait à ces jors … on ne le doit guerantir, c’est droit. » Cela signifiait qu’il était déclaré forbanni.
Les chapitres XXX, XXXI et XXXII traitent des forbannis, de ceux qui doivent jurer la paix, et de ceux qui sont chargés de la faire observer. Le chapitre XL traite spécialement « de la pais des princes et des chastiaux. » Il y est dit /416/ que plus les princes ou seigneurs ayant château-fort sont puissants, plus ils sont tenus de tenir en paix le pays. Le chapitre XLII détermine les peines portées contre « celi qui romp la pais; » au nombre de ces peines se trouve l’amputation de la main. La Trêve de Dieu fut en outre prolongée et étendue aux Quatre-Temps, au jour de fête de tous les apôtres, même à la veille et au lendemain, à tous les jours de jeune, et généralement à tous les jours fériés prescrits par les canons de l’Eglise 1 .
Dès les premières années de son régne l’empereur Frédéric Barberousse rendit plusieurs édits, de 1156 à 1158, pour faire exécuter à la rigueur la Trêve de Dieu. On la jurait dès l’âge de dix-huit ans, et ce serment se renouvelait tous les cinq ans jusqu’à l’âge de soixante-dix. Celui qui refusait le serment était mis hors la loi; l’infracteur était proscrit, ses biens passaient à ses proches, et, en cas de meurtre, il encourait même la peine capitale 2 .
Les fameux statuts de l’empereur Frédéric II, promulgués à Mayence en 1234, démontrent que, si à la vérité les guerres privées subsistaient encore malgré l’institution destinée à en restreindre les effets et la durée, cependant les ordonnances de la Trêve de Dieu tenaient lieu de régle générale dans les suspensions d’armes que les seigneurs et les chevaliers concluaient fréquemment entre eux 3 . /417/
Ces statuts furent confirmés à peu près dans les mêmes termes par l’empereur Rodolphe Ier, en 1281, sous la dénomination allemande de Landfrieden 1 .
Les pontifes romains ne restèrent point étrangers à l’établissement de la Trêve de Dieu, instituée d’abord par les conciles provinciaux; le Cartulaire de Lausanne nous montre le synode de Montriond s’appuyant d’un bref du pape. En Lorraine et en Alsace, le pape Léon IX la fit promulguer en 1051 2 . Urbain II ordonna l’observation de la Trêve de Dieu à toutes les nations de la chrétienté, lorsque, au concile de Clermont, en 1095, ce pontife publia la première croisade pour la délivrance de la Terre Sainte 3 . Cette garantie de paix et de sécurité pour leurs familles donnée aux croisés, qui s’éloignaient pour longtemps de leurs foyers, dut augmenter le nombre de ceux qui se dévouèrent au succès de la guerre sainte.
En résumant les diverses phases que subit la Trêve de Dieu dans le cours du moyen âge, on remarque que le principe de cette institution, émané du pouvoir ecclésiastique, passe plus tard dans la constitution politique de l’Etat, s’incorpore au régime féodal et se rattache indirectement à l’origine de la chevalerie, mais sans avoir avec elle d’autre rapport que celui qui doit résulter, avec le temps, du développement des idées et du progrès social. La Trêve de Dieu fut un premier triomphe remporté par l’ordre moral sur la force brutale. Les croisades naquirent du réveil de l’humanité /418/ et poussèrent jusqu’au fanatisme la foi religieuse. La chevalerie qui leur succéda tempéra l’exaltation pieuse et joignit à l’héroïsme de la gloire personnelle le culte de la beauté et la fidélité à l’honneur.
C’est ainsi qu’une coutume qui touche à la barbarie des premiers siècles se lie par des transformations successives aux institutions modernes, et qu’elle contribua, selon toute apparence, à hâter le progrès de la civilisation.
NOTE EXPLICATIVE.
Le Cartulaire de Lausanne n’indique point d’une manière précise l’année où se tint le synode de Montriond convoqué par l’évêque, Hugues. Mais on a fait remarquer plus haut que la Trêve de Dieu proclamée dans cette assemblée n’avait pu s’établir dans nos contrées que vers la fin de l’an 1036. — D’un autre côté, quoiqu’il y ait divergence dans les deux parties du Cartulaire, au sujet de l’année de la mort du prélat qui dota la Transjurane de la Trêve de Dieu, néanmoins elles s’accordent sur ce point essentiel, qu’il décéda le mercredi, veille des kalendes de septembre, soit le 31 août. (Cartulaire de Lausanne, édit. Matile, 1re part., pag. 13: « Obiit … pridie kalendis septembris feria quarta; » et 2me part., pag. 30: « Obiit II° kal. septembris feria quarta. ») Or cette coïncidence du mercredi 4e jour de la semaine avec le 31e jour du mois d’août, ne se rencontra, à cette époque, qu’en 1037. Et nous adoptons cette année comme date certaine de la mort de l’évêque Hugues. Il faut conclure de là que l’assemblée de Montriond se tint dans l’automne de l’an 1036 ou au printemps de l’an 1037.