NOTE SUR LES ALLIANCES MATRIMONIALES DES COMTES DE GENEVOIS
GUILLAUME Ier, HUMBERT Ier ET GUILLAUME II, SES FILS 1 .
En examinant les chartes qui se rapportent aux alliances matrimoniales des comtes de Genevois, et particulièrement celles qui ont été recueillies et publiées avec beaucoup de soins et de labeurs par feu M. Ed. Mallet, dans les Mémoires et Documents de la Société d’histoire de Genève 2 , nous nous sommes aperçu de certaines erreurs, jusqu’ici admises comme des faits démontrés par les auteurs qui se sont occupés de l’histoire de ces anciens comtes.
Guichenon, dont les Tables généalogiques 3 sont fort peu exactes, a été généralement suivi par Lévrier 4 , qui, de plus, confond très mal à propos le comte Guillaume Ier, mort dans les dernières années du XIIe siècle, avec son fils puîné, Guillaume II, qui vivait encore à la fin de l’an 1252 5 . — /398/ Le système de Lévrier a été adopté par les Bénédictins 1 , et cette circonstance a sans doute contribué à donner à ce système plus d’importance qu’il n’en méritait, et à induire en erreur même les savants les plus consciencieux.
I
Amédée Ier, comte de Genevois, étant mort à la fin du mois de juin 1178 2 , laissant de Mathilde, sa femme, deux fils et une ou deux filles, Guillaume Ier, leur fils aîné, succéda à son père dans le gouvernement du comté de Genevois; Amédée, le puîné, fut seigneur de Gex et l’auteur de cette branche de la maison de Genève. L’une des filles du comte Amédée Ier était mariée à Henry premier du nom, sire de Faucigny 3 . La seconde, Béatrix, paraît avoir été la femme d’Ebald IV, sire de Grandson, et la mère d’Aymon, évêque de Genève (de 1216 à 1260), que Guillaume II, comte de Genève, qualifie de consanguin (consanguineus meus) 4 dans son testament.
On ignore à quelle maison appartenait leur mère, Mathilde, femme du comte de Genevois Amédée Ier 5 , et on ne sait sur quel fondement Lévrier dit qu’elle était dame de /399/ Gex, fille de Pons, seigneur de Cuseau, et de Laurence de Senecey 1 . Pons, second du nom, mari de Laurence, vivait encore en 1227, et on ne lui connaît qu’une fille, Alix, qui, à cette époque, était mariée à Amédée II, sire de Coligny 2 . La supposition de Lévrier est donc inadmissible, car elle repose sur un anachronisme évident. Pons II était fils de Pons premier du nom, sire de Cuseau, fondateur de l’abbaye de Grand-Vaux dans le Jura, en 1172 3 , lequel, par conséquent, était contemporain du comte Amédée Ier de Genève; celui-ci ne pouvait pas avoir épousé sa fille, déjà mère de plusieurs enfants en 1153. Pons Ier était mort quand son fils Pons II confirma la fondation de Grand-Vaux en 1207 4 . Ni l’un ni l’autre de ces sires de Cuseaux n’ayant eu des possessions dans le pays de Gex, ils n’ont pu transmettre à leurs filles ou à leurs sœurs ce qu’ils ne possédaient pas eux-mêmes. Ainsi Mathilde, comtesse de Genevois, n’était pas issue de la maison de Cuseau, comme Lévrier l’a prétendu fort mal à propos.
II
Guillaume Ier, comte de Genevois, fils aîné d’Amédée Ier, était né avant l’an 1153; à cette date il avait même déjà atteint l’âge de discernement 5 . Du vivant de son père il fut associé au gouvernement des domaines héréditaires de sa /400/ maison. Au mois d’août 1177, Guillaume, fils du comte de Genevois, fit au prieuré de St. Maire de Lausanne une donation de quelques serfs et de leur ténement à Boulens, près de Moudon 1 , dans le pays de Vaud, où son père et son aïeul avaient des propriétés considérables et la principale autorité 2 . Cette donation est souscrite par Guillaume Ier et son propre fils Humbert, qui devait être âgé lui-même d’au moins 14 ans, pour que son intervention fût jugée nécessaire à la régularité de l’acte 3 . Humbert était donc né vers l’an 1160, et, à cette époque, Guillaume, son père, se trouvait déjà marié à une dame dont le nom et l’origine sont problématiques.
Guichenon 4 et Lévrier 5 ne donnent qu’une femme à Guillaume Ier et la nomment Béatrix; le dernier ajoute « qu’elle était de la maison de Valpergue en Piémont. » A la vérité ce renseignement, en ce qui concerne l’extraction de Béatrix, est plutôt fondé sur une tradition que sur des documents certains; ceux-ci se bornent à nous faire connaître le nom de baptême de cette comtesse de Genevois 6 . Elle soutint avec beaucoup d’intrépidité, en 1179, un siége long et opiniâtre dans la forteresse de La Roche, où elle s’était renfermée avec un enfant de cinq ans et Humbert, fils aîné du comte, qui commandait la garnison de cette forteresse, /401/ en attendant que le comte Guillaume Ier, leur époux et père, vînt les délivrer du danger imminent de tomber au pouvoir de l’ennemi 1 .
Ce siége et les principales circonstances qui donnèrent lieu à la fondation de la chartreuse de Pommiers sous Salève, sont attestés par un acte authentique de l’an 1179 2 . Or si l’on fait attention à l’écart de près de 15 ans qui ressort entre l’âge des deux fils du comte Guillaume qui figurent avec leur père dans ce document historique, on ne peut s’empêcher de penser que la comtesse Béatrix était la seconde femme de ce comte, d’autant plus que celle-ci survécut pendant plus de 20 ans à son mari 3 . Il faudrait en conclure que Humbert, fils aîné de Guillaume, était issu d’une première femme de ce comte de Genevois.
Cette première femme du comte Guillaume Ier, qu’on assure être sortie de la maison de Valpergue, peut, suivant le temps, avoir été fille du comte Gui de Canavais (Guido comes de Canavise), dont les descendants adoptèrent le nom de Valpergue, sous lequel ils s’illustrèrent par la suite, en deçà comme au delà des Alpes. Ce comte Guido vivait en 1141 avec sa femme Citaflora, fille elle-même d’un seigneur lombard, nommé Azon 4 , que les chroniqueurs mettent au /402/ nombre des ancêtres des Visconti, seigneurs de Milan 1 . Ce comte Guido de Canavais entreprit, en 1142 ou 1143, le voyage d’outre-mer, pendant lequel il confirma sur l’autel du saint sépulcre à Jérusalem une donation faite précédemment à la commune municipale de Verceil 2 .
Le mariage de Guillaume, fils aîné du comte Amédée de Genevois, avec une fille du comte Guido de Canavais ou de Valpergue, conclu sous les auspices du comte de Maurienne, Humbert III, pourrait d’autant mieux être admis, sinon comme prouvé, du moins comme très probable, que les comtes de Canavais étaient eux-mêmes feudataires des comtes de Maurienne, souverains du Piémont 3 . Ce mariage pourrait en outre expliquer, mieux qu’on ne l’a fait jusqu’ici, pourquoi Guillaume Ier, comte de Genevois, fut, sous divers prétextes, enveloppé par l’empereur Frédéric Barberousse dans la disgrâce du comte de Maurienne Humbert III, dont la seconde fille était fiancée avec Humbert, fils aîné du comte Guillaume 4 . Ces alliances matrimoniales /403/ ont pu faire pencher le comte de Genevois vers le parti de la ligue des cités lombardes hostiles au pouvoir de l’empereur en Italie. Celui-ci, de son côté, chercha à susciter des embarras domestiques aux princes qui s’étaient montrés, directement ou indirectement, partisans de cette ligue. Quoi qu’il en soit, les sentences de bannissement et de confiscation rendues contre ces deux princes temporels par la chancellerie impériale, au profit des évêques de Turin et d’Aoste, comme des évêques de Genève et de Lausanne, demeurèrent sans effet, du moins en ce qui touche l’autorité du comte de Genevois, soit dans les comtés de Genève et de Vaud, soit dans le pays de Gex 1 .