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Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande

Edition numérique

Frédéric de GINGINS-LA-SARRAZ

Note sur l’année de la mort de Rodolphe Ier roi de Bourgogne jurane

Dans MDR, 1865, tome XX, pp. 391-396

© 2022 Société d’histoire de la Suisse romande

/391/

NOTE SUR L’ANNÉE DE LA MORT DE RODOLPHE Ier

ROI DE BOURGOGNE JURANE 1 .

 


 

Les historiens ne sont pas parfaitement d’accord sur l’année de la mort de Rodolphe Ier, roi de Bourgogne jurane, couronné à St. Maurice en Valais en 888. Les uns disent qu’il mourut en 911, d’autres reculent sa mort jusque dans l’année 912, tandis que quelques-uns semblent flotter entre ces dates 2 , évitant de se prononcer sur cette question. Nous tâcherons de l’éclaircir.

La chronique mise en tête du Cartulaire du chapitre de la cathédrale de Lausanne indique l’année 911 comme ayant été celle de la mort de ce roi, et ajoute qu’il mourut le dimanche 25 d’octobre (Ruodulphus Rex † anno Domini DCCCCXI. die Dominica viij. kal. novembris) 3 . — Les Annales de Flavigny, qui semblent avoir copié la chronique de Lausanne, répètent que le roi Rodolphe décéda en 911, le dimanche, huitième jour des calendes de novembre (25 octobre) 4 . — A. Delbene, auteur d’une Histoire de Bourgogne /392/ transjurane (1608), dit, d’après d’anciens manuscrits (testantur duæ pervetustæ historiæ manuscriptæ), que Rodolphe mourut le huit des calendes de novembre (25 octobre) l’an de la nativité (a partu Virginis) 911, (undecima supra nongentesimum) 1 .

Ces témoignages, qui sembleraient devoir lever tous les doutes, sont, au contraire, ceux qui ont fait naître l’incertitude qui règne parmi les modernes sur l’époque de la mort du premier roi de Bourgogne jurane. Les dates indiquées plus haut, loin d’être concordantes, répondent au contraire à deux années différentes de l’ancien calendrier. En effet, le huit des calendes de novembre (25 octobre) de l’an 911, tombe sur un vendredi 2 et non sur le dimanche, premier jour de la semaine, lequel s’est rencontré par contre avec le 25 octobre en l’année 912, suivant l’Art de vérifier les dates 3 . — Or tous les auteurs anciens que nous avons cités s’accordent sur ce point que Rodolphe mourut un dimanche, le huit des calendes de novembre (25 octobre). Il suit de là que les historiens qui ne se sont attachés qu’à l’année indiquée dans les chroniques, en faisant abstraction du jour et du mois, ont fixé la mort de Rodolphe Ier à l’an 911; tandis /393/ que ceux qui, avec plus de raison, ont donné la préférence au jour de la semaine, combiné avec le quantième du mois, sans s’arrêter au chiffre de l’année, placent sa mort à l’an 912, suivant le calendrier moderne.

On sait que la chronique du chapitre de Lausanne, ainsi que le cartulaire, est une compilation faite dans la première moitié du XIIIe siècle par le prévôt de ce chapitre, Conon d’Estavayer, à la suite de plusieurs incendies qui avaient détruit une partie des titres originaux de son église, et que cette compilation n’est rien moins qu’exempte d’erreurs. Il est donc nécessaire de contrôler cette chronique et de consulter des documents d’une date plus ancienne, pour fixer l’époque de la mort du roi Rodolphe Ier.

Le continuateur des Annales alemanniques et de Saint Gall, qui vivait au Xe siècle, et qui par conséquent était contemporain de l’événement, raconte à l’an 912 que Rodolphe (Ier), roi de Bourgogne, s’étant avancé jusqu’à Bâle, « pour protéger ses frontières contre une invasion des armées de Charles le Simple, roi de France, et de Conrad Ier, roi de Germanie (qui se disputaient la possession de l’Alsace et de la Lorraine), revint dans ses propres foyers, et qu’il mourut dans cette même année 912, laissant sa couronne à son fils du même nom, qui lui succéda 1 . »

Hermann le Contract, moine de Reichenau, célèbre historien, qui écrivait dans la première moitié du XIe siècle, place aussi la mort de Rodolphe Ier à l’an 912 et parle de la comète qui apparut au commencement de la même /394/ année 1 . — Ces témoignages, antérieurs d’un ou deux siècles à la chronique du cartulaire de Lausanne, méritent d’autant plus de confiance qu’ils sont accompagnés de circonstances qui concourent à appuyer la date de l’année à laquelle ces anciens annalistes ont placé la mort du monarque dont nous parlons.

Conrad Ier, roi de Germanie, couronné à Forcheim au mois de novembre 911, ne parut en Alsace qu’au mois de mars de l’année suivante 2 , pour s’opposer aux progrès du roi de France, Charles le Simple, qui, après avoir conquis la Lorraine, s’était avancé jusqu’à Rufach, dans la haute Alsace, où ce prince donna une charte en faveur de l’église de Toul, datée du 12 février de l’an 912, selon le style moderne 3 . Cette guerre entre les souverains de France et de Germanie, sur les frontières de Bourgogne, paraît avoir été la cause qui détermina le roi Rodolphe Ier à s’avancer en armes jusqu’à Bâle, pour prévenir toute invasion de son propre territoire. Cette expédition, dont il est parlé dans les Annales de Saint Gall, que nous venons de citer, eut positivement lieu dans les trois ou quatre premiers mois de l’an 912 (nouveau style), Conrad Ier n’ayant été élu roi de Germanie que sur la fin de l’année 911.

Cette même année 912 fut donc réellement celle de la mort du premier des rois Rodolphiens, et ceux qui mettent /395/ cet événement à l’an 911 se trouvent en désaccord avec les données les plus certaines de l’histoire du Xe siècle.

Du reste, les diplomatistes expérimentés ont observé que, parmi les nombreuses notes chronologiques qu’on rencontre dans les anciennes chartes, les dates qui indiquent le jour de la semaine avec le quantième du mois sont ordinairement celles qui méritent le plus de confiance. En effet, ces dates étant d’un usage journalier et populaire, se présentent sur-le-champ et pour ainsi dire d’elles-mêmes à l’annotateur, sans qu’il ait besoin de consulter le calendrier, dont l’usage n’était pas, dans ces temps reculés, aussi général qu’au jourd’hui. — Il n’en était pas de même des autres notes chronologiques, telles que l’Indiction, le nombre des années du règne, etc. 1 pour lesquelles, à défaut de tables, comme celles des Bénédictins, ou d’une connaissance des temps peu commune alors, il fallait des efforts de mémoire ou des calculs compliqués, qui pouvaient facilement donner lieu à beaucoup d’erreurs 2 .

On a cherché à fixer l’année de la mort de Rodolphe Ier d’après le nombre des années de Rodolphe II, son fils et son successeur immédiat. Mais, pour que cette méthode conduisît à un résultat certain, il faudrait savoir si ces années /396/ se prenaient depuis la mort du père ou depuis le couronnement du fils, si l’on comptait seulement les années entières et révolues ou celles qui avaient déjà commencé à courir.

Le cartulaire de Lausanne nous a conservé une charte datée du samedi Xe jour des calendes d’octobre, de la VIIIe année après la mort (post obitum) du roi Rodolphe Ier 1 . Le dixième des calendes d’octobre, soit le 22 septembre, se rencontre avec le samedi en l’année 921 (nouveau style) 2 . Par contre la 8e année du règne de Rodolphe II ferait remonter la mort de Rodolphe Ier à l’an 914 ou 913, en ne tenant compte que des années entières, finissant au 25 octobre.

Les éditeurs du document publié sur les manuscrits du baron Zurlauben, l’ont rapporté à l’an 919, pour le faire concorder avec la huitième année comptée dès l’an 911, qui, suivant eux, fut celle de la mort de Rodolphe Ier. Mais en l’année 919, le 22 septembre fut un mercredi et non un samedi, comme il est marqué dans la charte. Cet exemple suffit pour faire voir que les notes des années du règne de Rodolphe II ne peuvent guère servir à fixer celle de la mort de Rodolphe Ier. Nous pensons que, jusqu’à preuve du contraire, il vaut mieux s’en tenir aux Annales contemporaines de Hermann le Contract, qui tendraient à fixer à l’année 912 (nouveau style) la mort du premier de nos rois de Bourgogne.


 

NOTES:

Note 1, page 391: V. Anzeiger. Décembre 1861, pag. 53. [retour]

Note 2, page 391: Voyez l’Art de vérifier les dates, tom. II, pag. 430. Edit. inf. 1783. [retour]

Note 3, page 391: Mém. et Docum. de la Société d’histoire de la Suisse romande, tom. VI, pag. 8. [retour]

Note 4, page 391: Annales Flaviniacenses et Lausannenses, ad an. 911. Hoc anno, obiit Ruodulphus rex, die Dominico 8. Kalend. novembr. (Pertz, Mon. Germ. Script., tom. III, pag. 151.) [retour]

Note 1, page 392: Delbene, de regno Burgundiæ Transjuranæ, lib. I, pag. 16. Suivant M. de Zurlauben, au lieu du VIII des calendes de novembre, il faudrait lire le XIII (20 octobre) qui tombe un dimanche de l’année 911. (Voir Zapf, Monum., pag. 40, N° 20, et pag. 42, note 3.) Mais on ne comprendrait pas que cette erreur de chiffre se trouvât répétée dans les manuscrits que nous avons pu citer, et dans Delbene, qui écrit le mot octavo en toutes lettres. [retour]

Note 2, page 392: Art de vérifier les dates. En l’année 911 la lettre dominicale était F. Voir le Calendrier perpétuel, pag. 19. [retour]

Note 3, page 392: Ibidem, pag. 31. Lettre dominicale D. [retour]

Note 1, page 393: Annales Alamannici, d. d. anni 912. « Rodulphus, rex Burgundiæ ad civitatem Basileam, et inde ad propria. — Stella Cometis, Rodulphus rex obiit felici exitu; filiusque ejus rex nomine patris elevatus. » (Pertz, Monum. German., tom. I, pag. 55.) [retour]

Note 1, page 394: Hermani Contracti Chronica, ad an. 912: « Cometæ hoc anno visi. Rodulfuus, rex Burgundiæ obiit, et Rodulfus filius ejus, regni ullius jura disposuit annis 25m. » (Pertz, loc. cit., Script., tom. V, pag. 112.) [retour]

Note 2, page 394: Diplôme de Conrad Ier pour l’abbaye de St. Gall, daté du 12 mars, de l’an 912, Indiction XV, anno regni primo. (Neugart, Cod. diplom., tom. I, pag. 500, N° 682.) [retour]

Note 3, page 394: Voir Don Calmet, Hist. de Lorraine, tom. I, pag. 335. [retour]

Note 1, page 395: On trouve une charte datée du mercredi 24 avril (viij. kal. Maji) 911 (Litt. Dominic. F) de la 25e année du règne de Rodolphe Ier (Cartulaire de Lausanne, loc. cit., pag. 345) qui ferait remonter le commencement de son règne avant l’année 888, c’est-à-dire depuis la déposition de Charles le Gros, dans l’automne de 887. [retour]

Note 2, page 395: Nous en citerons quelques exemples qui concernent Rodolphe II: Scheidius, Origin. Guelf., tom. II, pag. 112, 113, Nos 31 et 32: 1° An. ab incarnatione 922, 3 nonas decembris, anno regni in Burgundia XI. In Italia I. Indictione XI. Papiæ. 2° Idem VI, Idus decem. ann. regni in Burgundia XII. Indict. X. Papiæ. [retour]

Note 1, page 396: Cartulaire de Lausanne. Datavi die Sabati X. kalend. octobris, anno VIII. post obitum Rodulphi regis, regnante fllio sua D. Rudolpho rege. (Mém. et Doc., etc., tom. VI, pag. 82 et 83.) Zapf, Monum., tom. I, pag. 40, N° 20. [retour]

Note 2, page 396: Lettre dominicale G. [retour]


 

 

 

 

 

 

 

 

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