NOTE SUR L’ORIGINE DE LA MAISON DE BLONAY
Le plus ancien titre original qui fasse mention du nom de Blonay, comme surnom de famille, est la charte de liberté donnée à l’abbaye d’Abondance en Chablais, en date de l’an 1108. Au nombre des témoins de cette charte figure en première ligne Amedeus de Bloniaco 1 .
Dans un document bien connu et très authentique, Amédée de Blonay et Girard d’Alinges sont qualifiés par le comte de Savoie de seigneurs principaux de la province de Chablais 2 , ce qui indiquerait déjà que le berceau de la maison de Blonay, de même que ses anciennes possessions aviatiques, était situé sur le côté méridional du lac Léman et non pas sur son bord septentrional comme on le suppose généralement. /250/
De même que les d’Alinges et les de Rovéréa, dont le nom de famille remonte à la même époque, les sires de Blonay suivaient la fortune toujours croissante des comtes de Savoie, souverains du Chablais bien longtemps avant que ces princes eussent étendu leur domination dans le pays de Vaud.
Il est vrai cependant que, vers la fin du XIe siècle, Lambert de Grandson, évêque de Lausanne, donna en précaire 1 (prestavit) à son neveu (nepos) Walcherius ou Vaucher, la terre de Corsier et une partie de Vevey, qui dépendaient du domaine de l’évêché. Le cartulaire de l’église de Lausanne, qui rappelle le fait de cette inféodation 2 , n’ayant été rédigé qu’au XIIIe siècle, il est fort douteux que le surnom de Blonay donné à Vaucher dans ce cartulaire se soit trouvé dans la donation même de l’évêque Lambert, son oncle. Quoi qu’il en soit, il est indubitable que ce Vaucher était de la maison de Blonay et non pas un Grandson ainsi que l’avait imaginé feu M. d’Estavayer, qui, dans son Histoire généalogique des sires de Blonay, le fait fils de Philippe de Grandson, frère de l’évêque de Lausanne, tandis qu’il est positif que le père du Vaucher neveu de ce prélat, se nommait Amédée 3 . Vaucher était par conséquent neveu de Lambert par sa mère, sœur de ce prélat. Vaucher de Blonay avait un frère nommé Amédée, que cet évêque de /251/ Lausanne appelle aussi son neveu dans une charte de Romainmotier de l’an 1090 environ 1 . Le surnom de Blonay ne figure pas dans ces actes, l’usage des noms de famille n’étant point encore généralement adopté dans nos pays.
On voit par là, qu’à la fin du XIe et au commencement du XIIe siècle, les sires de Blonay, déjà puissants dans le Chablais, avaient étendu leurs domaines patrimoniaux depuis les rives du Léman jusque dans la vallée d’Abondance, tandis que, de ce côté-ci du lac, ils ne possédaient encore que quelques fiefs de l’église de Lausanne, provenant de la libéralité de l’évêque Lambert.
Vaucher de Blonay, seigneur de Corsier et de Vevey en partie, paraît n’avoir pas laissé de postérité masculine, et ses biens passèrent à son frère Amédée. Celui-ci, conjointement avec son propre fils Vaucher ou Gauthier (Gwalterius), contribua, en 1134, à la fondation de l’abbaye de Hautcrêt 2 . Amédée de Blonay était avoué (advocatus) de la royale abbaye de St. Maurice en Chablais. Ce fut en cette qualité qu’il confirma la cession que cette grande abbaye fit, en 1137, à celle de Hautcrêt, d’une partie des bois appartenant à la première 3 , ainsi que l’inféodation que le prieur et les chanoines de St. Maurice firent, en 1142, à Humbert, sire de Prangins, de certains fonds à Lutry et à Arans 4 .
Les chartes de St. Maurice font voir que la charge éminente et très importante d’avoué de cette royale abbaye était /252/ devenue héréditaire dans la maison des dynastes de Blonay. Amédée Ier, qui, ainsi qu’on le dira tout à l’heure, fut le père d’Amédée II et de Vaucher, premier seigneur de Corsier et de Vevey, occupait cette charge en 1080 et il en revendiquait la possession à titre de succession paternelle dans une charte qui concerne l’abbaye d’Abondance 1 . Nous avons vu qu’Amédée de Blonay, nommé dans l’acte de 1108, avait des droits importants dans cette vallée; il en résulte, jusqu’à l’évidence, que l’Amédée figurant comme avoué de St. Maurice en 1080 est le même personnage qui paraît en 1108 avec le surnom de Blonay, qui, depuis lors, fut le nom de famille de sa noble et antique maison. Puisque Amédée de Blonay, premier du nom, revendiquait l’avocatie de St. Maurice comme un héritage de sa maison, il est à présumer que cette charge avait déjà appartenu à ses ancêtres.
Or on trouve effectivement qu’elle appartenait, moins de douze ans auparavant, à un grand seigneur du Chablais, nommé Otton. La charte qui en fait foi est datée de l’an 1068 2 . Elle porte que Burchard, abbé de St. Maurice, inféoda à la famille d’Otton, avoué (advocatus) de son monastère, la terre d’Attalens (au pays de Vaud), et reçut en échange, du seigneur Otton, le domaine d’Antagne près de Bex, qui lui appartenait.
L’inféodation fut stipulée en faveur d’Eldegarde, femme d’Otton, et de l’un de ses fils, nommé Valcherius ou /253/ Vaucher, et, à leur défaut, à ses autres fils 1 . A la vérité, les frères de Vaucher ne sont pas nommés dans l’acte par leur nom de baptême, mais on a tout lieu de penser que l’un des fils d’Otton fut ce même Amédée qui succéda à celui-ci comme avoué de St. Maurice. Quant à Vaucher, fils d’Otton et d’Eldegarde, qui fut le premier seigneur d’Attalens, il paraît avoir été la tige des sires d’Oron qui tinrent la terre d’Attalens et une partie de celle d’Oron en fief de l’abbaye de St. Maurice 2 , et ne démentirent point l’origine commune que nous croyons pouvoir leur donner ainsi qu’aux sires de Blonay.On a fait connaître l’origine des domaines que les seigneurs de Blonay en Chablais acquirent sur le bord septentrional du Léman, dans le district de La Vaux. A ces domaines ils ajoutèrent, dans la première moitié du XIIe siècle, les dîmes de ce district, que les évêques de Lausanne leur inféodèrent selon l’abus du temps 3 .
Amédée II de Blonay, avoué de St. Maurice en 1142, mourut bientôt après, laissant deux fils:
1° Vaulchier ou Gauthier (Walcherus ou Gualterus) l’aîné, qui figure déjà avec son père Amédée dans la fondation de Hautcrêt en 1134, et 2° Willelme, qui fut chanoine et doyen du chapitre de Lausanne. L’un et l’autre confirmèrent, en 1164, les donations de leur père Amédée à Hautcrêt 4 . Gauthier II hérita, de son père, l’avouerie de l’abbaye de St. Maurice 5 et la garde du château de Chillon, que le comte de /254/ Savoie lui avait probablement engagée en partant pour la croisade 1 . Gauthier lui-même paraît avoir fait le pèlerinage de Jérusalem en 1161 environ 2 . Il était de retour en 1168, date à laquelle, avec le consentement de sa femme Burchane, de ses fils Pierre et Guillaume et de son frère Willelme (chanoine de Lausanne), il engagea à Gauthier, abbé du Lac-de-Joux, les dîmes de vin et de grain qu’il levait à Chexbres, pour le prix de 30 livres lausannoises (environ 3000 francs de notre monnaie) 3 , dans le but, sans doute, de rembourser les dettes qu’il avait contractées pour subvenir aux frais de son voyage d’outremer. Bientôt après il fut en outre obligé, pour satisfaire ses créanciers, de vendre à Roger évêque de Lausanne les dîmes qu’il tenait en fief de l’église épiscopale à La Vaux de Lutry, pour le prix de 128 livres (environ 13 000 francs) 4 .
Dans le même temps, Gauthier de Blonay confirma la donation faite en 1175 par ses deux fils Pierre et Wuillelme à l’abbaye d’Hauterive, de la dîme des vignes plantées par les religieux de ce couvent aux Faverges sur St. Saphorin. Cet acte fut fait à Corsier sur Vevey 5 , où ce puissant seigneur, parvenu à un âge très avancé, parait avoir fini ses jours au bout de 2 ou 3 ans au plus. Son anniversaire se célébrait dans l’église de Notre Dame de Lausanne, le 12 septembre de chaque année 6 . /255/
Jusqu’ici tous les actes à nous connus des sires de Blonay faits en deçà du lac, sont datés de Chillon, de Vevey, de Corsier ou de Chexbres, et l’on ne trouve aucun document qui suppose l’existence d’un château de Blonay dans la paroisse de la Chiesaz. L’église de ce nom dédiée à la sainte Vierge (B. Mariæ) et le prieuré paraissent antérieurs à ce château et appartenaient primitivement à l’église épiscopale de Sion.
Les sires de Blonay prêtaient hommage à l’évêque du Valais pour cette portion de leur terre, comprise sous la dénomination de vidommat de Blonay 1 . Au XIIe siècle, le chapitre de Lausanne possédait également des fonds dans la paroisse de Blonay 2 , et l’on ne saurait croire que la grandeur de la maison de Blonay, qui, ainsi qu’on l’a démontré, remonte en Chablais au XIe siècle, n’eût pas une source plus ancienne que l’acquisition des divers fiefs dont se forma plus tard la seigneurie de Blonay en deçà du lac. La vraie époque de la construction du château de Blonay se trouve dans un document de l’abbaye d’Hauterive de l’an 1175, en ces termes: « In illo tempore cœperunt Blonay et Fruencia, » en ce temps-là on commença à bâtir les châteaux de Blonay et de Fruence; c’est-à-dire dans le temps où Pierre de Blonay et son frère Willelme donnèrent à Hauterive la dîme des Faverges 3 . Plus tard, entre les années 1208 et 1211, le nouveau château de Blonay fut assiégé par les Allemands, /256/ pendant la guerre qui avait éclaté entre le comte Thomas de Savoie et le dernier duc de Zæhringen 1 .
Ce fut donc Pierre de Blonay, fils de Gauthier, seigneur de Corsier et de Vevey en partie, qui fit bâtir le nouveau château de Blonay, lequel reçut le nom de ses fondateurs 2 , comme le bourg de Blonay à Vevey reçut le sien de ses possesseurs immédiats. Pierre de Blonay n’eut qu’un fils, nommé Vaulcher ou Gauthier, comme son grand-père. Celui-ci prit la croix, et comme il avait besoin d’argent pour passer en Palestine, il engagea à l’évêque de Lausanne, Guillaume d’Ecublens (élu en 1221), pour 190 livres (envi ron 20000 francs), la quatrième partie de Vevey 3 qui formait sa portion d’héritage dans ces quartiers. Il partit ensuite pour la croisade et mourut en Palestine sans postérité connue.
Son oncle paternel, Willelme II, seigneur de Blonay et de Montigny en Chablais, avait épousé Belon, sœur d’Aymon, chevalier (miles) de St. Paul. Il mourut vers l’an 1209, après avoir eu des démêlés assez sérieux avec le chapitre de Lausanne, laissant de sa femme Belon de St. Paul quatre fils, savoir Jean et Willelme, qui furent d’église, Henry, seigneur de Montigny 4 , et Aymon, qui suit.
Henry, assisté de sa mère Belon, veuve de Willelme de Blonay, de son oncle Aymon de St. Paul, chevalier, et de son cousin germain Gauthier, fils de Pierre, seigneur de /257/ Blonay sur Vevey, transigea, au mois de septembre 1210 avec le chapitre de Lausanne, au sujet des dommages faits à l’église par feu son père. Il dut payer au chapitre 25 livres (2500 francs environ) et lui remettre son alleu de Montigny en Chablais, pour le reprendre en fief de l’église de Lausanne sous la redevance annuelle de 5 sols (250 francs environ) 1 . Henry de Blonay mourut sans lignée, et son frère Aymon fut son héritier.
Aymon, seigneur de Blonay en Chablais, hérita en outre de son oncle maternel, Aymon de St. Paul, la terre de ce nom, et il bâtit en 1216 le château de St. Paul sur Evian, avec la permission d’Aymon, sire de Faucigny, seigneur suzerain de cette terre 2 . Il hérita ensuite de son cousin germain paternel, Gauthier II, mort en Palestine, les terres de Corsier et de Blonay sur Vevey. Aymon de Blonay se vit ainsi en possession de tous les domaines de sa famille en deçà et en delà du lac.