Accueil

Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande

Edition numérique

Frédéric TROYON

Habitations lacustres des temps anciens et modernes:

Avant-propos

Dans MDR, 1860, tome XVII, pp. V-XII

© 2022 Société d’histoire de la Suisse romande

HABITATIONS LACUSTRES DES TEMPS ANCIENS ET MODERNES

PAR

FRÉDÉRIC TROYON

Conservateur des antiquités au Musée cantonal à Lausanne; membre de la Société d’histoire de la Suisse romande, de la Société générale d’histoire suisse, de la Société helvétique des sciences naturelles, etc.; membre honoraire de la Société des antiquaires de Londres et de la Société archéologique du grand-duché de Luxembourg; correspondant de l’Institut archéologique de Rome, de la Société impériale des antiquaires de France, de la Société des antiquaires de Normandie, de l’Académie royale des belles-lettres, de l’histoire et des antiquités de Stockholm, des Sociétés archéologiques de Vilna, de la Poméranie, de Berlin, de Schwérin, de la Thuringe, de Mayence, de Sinsheim, de Zurich, de la Société neuchâteloise d’utilité publique, de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, de la Classe des beaux-arts de la Société des arts de Genève et de l’Association florimontane d’Annecy.

XVII planches, 380 figures.

LAUSANNE

GEORGES BRIDEL ÉDITEUR

1860


 

/V/

AVANT-PROPOS.

La découverte des habitations lacustres de Meilen, sur les bords du lac de Zurich, faite par M. le Dr Ferd. Keller, pendant l’hiver de 1853 à 1854, est le point de départ de recherches nombreuses qui n’ont pas tardé à s’étendre sur la plupart des lacs de la Suisse. Ces explorations ont été couronnées de succès, mais elles sont loin d’être achevées. Plusieurs savants les poursuivent dans d’autres pays. M. Wilde, membre de l’académie royale de Dublin, a publié, en 1857, les résultats de recherches pareilles, entreprises en Irlande dès l’année 1836. Quelques passages des auteurs anciens et les rapports de voyageurs modernes montrent que les constructions sur pilotis, élevées au-dessus de la surface des eaux, se retrouvent dans des pays et dans des âges très divers. De toutes parts surgissent des données nouvelles qui viennent étendre le champ des investigations. /VI/

Peut-être se demandera-t-on si la publication d’un ouvrage systématique sur ces découvertes récentes n’est pas quelque peu prématurée. On voit en effet se multiplier chaque année le nombre des emplacements occupés par les peuplades lacustres, dont on commence à retrouver les traces depuis le sud jusqu’au nord de l’Europe. De nouveaux renseignements s’ajouteront à ceux qui ont été recueillis, mais on possède déjà un ensemble de faits suffisant pour prévoir les résultats de recherches ultérieures.

Les antiquités lacustres à elles seules permettraient difficilement d’arriver à des données positives sur les peuples auxquelles elles remontent, si on ne les rattachait pas aux monuments tumulaires qui recouvrent les mêmes débris d’industrie. Les sépultures de l’antiquité ont été l’objet de nombreuses recherches, et les découvertes faites récemment dans les lacs viennent confirmer les inductions tirées d’un autre ordre d’observations. C’est par l’étude des tombeaux que les antiquaires du Nord ont constaté les conquêtes successives de l’industrie, qui débute par l’emploi de la pierre à laquelle succède le bronze, travaillé longtemps avant de savoir utiliser le fer. Les emplacements lacustres présentent déjà à cet égard des résultats parfaitement identiques.

Avant 1841, j’avais établi la même classification pour les sépultures du canton de Vaud, antérieures à l’ère /VII/ chrétienne 1. On a pu, pendant plusieurs années, envisager ces déductions comme prématurées, mais, aujourd’hui, aucun observateur sérieux ne saurait douter que la Suisse n’ait eu son âge de la pierre, de même que les pays du Nord. Les armes, les ornements et les ustensiles de l’antiquité déposés dans les tombeaux, ou perdus dans les eaux, sont les produits d’un genre de culture analogue dont les divers degrés répondent bien plus à des époques différentes de développement qu’à des individualités nettement distinctes pendant la même période. Les débris des habitations lacustres complètent donc ceux que renferment les sépultures, et ces dernières présentant des modes variés qui proviennent de religions diverses et par conséquent de peuples différents, permettent de rechercher l’origine des familles habituées à élever leurs demeures au-dessus de la surface des lacs.

C’est en suivant cette classification, d’après la matière prédominante dans l’industrie, que j’ai groupé /VIII/ les découvertes lacustres dans des âges divers. L’exposition des faits est toujours précédée des considérations nécessaires pour en justifier l’ordre et pour en faire saisir l’intérêt. Il se peut que de nouvelles recherches assignent à tel emplacement une occupation plus ancienne ou plus récente que je ne l’indique; toutefois ces rectifications partielles ne modifieront guère mes observations générales.

Après avoir classé et reproduit toutes les données à ma portée sur les habitations lacustres des temps anciens et modernes, j’ai été conduit à rechercher, dans la seconde partie de cet ouvrage, les résultats qui me paraissent découler de l’ensemble des découvertes faites jusqu’à ce jour, soit dans les eaux, soit sous la surface du sol.

Un certain nombre de lecteurs préféreraient sans doute trouver moins de détails. Ma tâche aurait été de beaucoup simplifiée en me restreignant aux emplacements lacustres les plus caractéristiques, mais ce travail est avant tout une étude qui doit reposer sur des données aussi complètes qu’il est possible de les recueillir; d’autre part la géographie des temps anciens et les questions relatives à l’accroissement de la population seraient privées de renseignements qu’il n’est pas superflu d’accumuler quand il s’agit de reconstruire un monde dès longtemps oublié. /IX/

La Commission de publication de la Société d’histoire de la Suisse romande ayant bien voulu me demander ce volume pour sa collection de Mémoires et de Documents, j’étais par-là même invité à réunir tous les matériaux qui peuvent servir à jeter quelque jour sur les âges antéhistoriques, et l’on ne saurait limiter cette étude aux frontières de l’ancienne Helvétie.

Il est à peine nécessaire d’ajouter que je n’ai point la prétention d’avoir épuisé mon sujet. Plusieurs questions ne recevront leur solution qu’à la suite de travaux spéciaux commencés depuis peu. L’ethnologie, la zoologie, la géologie, la minéralogie, la botanique, la chimie et d’autres sciences ont encore de précieux renseignements à fournir. Cet ouvrage est ainsi bien loin d’être complet, mais, s’il contribue à soulever des questions trop négligées jusqu’à présent et à les faire résoudre par une critique vraiment scientifique, les labeurs qu’il a coûtés ne seront pas perdus.

Je me fais un devoir d’exprimer ma reconnaissance aux personnes qui m’ont aidé dans mon travail. M. F. Forel a mis avec obligeance à ma disposition les objets qu’il a recueillis à Morges. J’ai pris plusieurs dessins dans la collection publique d’Yverdon, confiée aux soins de M. Rochat. M. le Dr Clément, à St. Aubin, MM. Rey et de Vevey, à Estavayer, et M. le professeur Desor, à Neuchâtel, m’ont fourni divers renseignements. /X/ J’ai surtout profité de la riche collection de M. le colonel Schwab, à Bienne, auquel je dois d’intéressantes indications. J’ai pris aussi plus d’un dessin dans les collections de M. Jahn, à Berne, de M. le Dr Uhlmann, à Munchenbuchsee, et de la société des antiquaires de Zurich. C’est essentiellement aux rapports de M. le Dr Keller que j’ai emprunté les détails relatifs aux découvertes d’habitations lacustres de la Suisse orientale. J’ai cherché à ne négliger aucune donnée de quelque importance publiée par ce savant, qui a rendu de grands services à l’archéologie suisse. Quant aux appréciations historiques, les mêmes faits doivent conduire à des résultats analogues, plusieurs de ceux-ci sont évidents pour chacun, cependant il est des points importants qui peuvent donner lieu à des interprétations différentes.

Vingt-deux années de ma vie ont été consacrées à l’étude des antiquités, à des voyages nombreux dans la plupart des pays de l’Europe et aux fouilles de plusieurs centaines de tombeaux. J’ai exploré une quarantaine d’emplacements lacustres, non sans y mettre beaucoup de temps, bien qu’il ne m’ait pas été possible de les étudier tous avec le même soin. Les observations faites sur le terrain m’ont fourni d’importantes données, et j’ai eu l’occasion d’exposer les résultats de mes recherches soit dans les réunions de plusieurs sociétés scientifiques, /XI/ soit dans des cours publics, donnés de 1848 à 1857, à Lausanne, à Genève et ailleurs 1. Il n’est guère d’idées générales contenues dans cet ouvrage que je n’aie déjà publiées en Suisse ou à l’étranger 2.

Diverses circonstances ont retardé la publication de ce travail, dont la rédaction a été achevée dès les premiers jours de cette année. Quelques mémoires récents ont pu être cités en note ou extraits dans l’appendice, pendant l’impression de ce volume. Les mesures sont indiquées d’après le pied suisse, qui se divise en 10 pouces, et le pouce en 10 lignes. Le pied suisse équivaut à 3 décimètres, en sorte que la toise ou la perche, qui est de 10 pieds, égale exactement 3 mètres. /XII/

Il me reste encore à remercier l’éditeur de cet ouvrage, M. Georges Bridel, pour tous les soins qu’il a eu l’obligeance d’apporter à cette publication.

F. T.

 


 

Notes:

Note 1, page VII: Description des tombeaux de Bel-Air. — Quelques mots sur les antiquités du canton de Vaud, pag. 11 et suivantes. Zurich 1841. — Etant étudiant, lorsque j’écrivis cette notice, les travaux des antiquaires du Nord m’étaient entièrement inconnus, mais, en recherchant les divers genres d’antiquités du canton de Vaud, pour déterminer la période à laquelle devaient remonter les tombeaux de Bel-Air, j’avais été conduit à reconnaître que l’époque la plus ancienne était celle pendant laquelle on ne possédait que des instruments en pierre et en os. Je m’assurai en même temps que plusieurs tombeaux ne contenaient que des objets en bronze qui caractérisaient une deuxième période. Enfin j’envisageais déjà, comme antérieures à la domination romaine en Helvétie, plusieurs sépultures qui renfermaient le fer et le verre. [retour]

Note 1, page XI: Revue suisse, XIIe année, pag. 221. Neuchâtel 1849. [retour]

Note 1, page XI: Journal de la Société vaudoise d’utilité publique. Lausanne. 1839, pag. 183. 1842, pag. 217. — Mémoire sur les Antiquités du canton de Vaud, inséré dans les Gemälde der Schweiz. Der Kanton Waat, von L. Vulliemin, Ier Band, S. 39-87, 1847. — Revue archéologique, septembre, 1854, pag. 373. Avril, 1855, pag. 51. Août, 1856, pag. 310. — Om antiquariske fund i Schweiz’s indsœr, af Antiquarisk Tidskrift, Kjöbenhavn, 1854. — Statistique des antiquités de la Suisse occidentale, articles insérés dans l’Indicateur d’histoire et d’antiquités suisses. Zurich, année 1855 et suivantes. — Fornforskning i Schweitz. Stockholm, 1856. — Revue universelle des arts. Antiquités lacustres. N° de juin 1856, pag. 265. Antiquités helvétiennes. N° d’octobre 1856, pag. 81. — Bibliothèque universelle de Genève. Archives des sciences physiques et naturelles. Ossements et antiquités du lac de Moosseedorf, mai 1857. — Habitations lacustres de la Suisse. Lausanne, juillet 1857, notice reproduite par quelques journaux étrangers et par le Journal de Genève, du 30 septembre au 2 octobre 1857. — Rapport sur la collection d’antiquités du musée cantonal, à Lausanne. Décembre 1858, publié dans le Journal de la Société vaudoise d’utilité publique, N° 8, 1859. — Ancient Lake-Habitations. The Ulster Journal of Archæology, July, 1859, pag. 179, etc. [retour]