LES FIEFS NOBLES DE LA BARONNIE DE COSSONAY
ÉTUDE FÉODALE
PAR
M. L. DE CHARRIÈRE
Membre de la Société d'histoire de Suisse romande
GEORGES BRIDEL ÉDITEUR A LAUSANNE
1858
/1/
INTRODUCTION.

Nonobstant les déclamations passionnées faites dans le siècle passé, et même encore dans celui-ci, contre la féodalité, les esprits justes et réfléchis reconnaissent aujourd’hui qu’elle a été un puissant moyen de civilisation et le système social le mieux adapté à l’état d’anarchie dans lequel la société était tombée sous les faibles successeurs de Charlemagne. Ce système empêcha, on peut le dire, l’anéantissement de la société. C’est grâce à lui que la population de nos campagnes se trouve, en majeure partie, propriétaire des terres qu’elle cultive. Qui eût empêché les magnats francs et burgondes de faire cultiver par leurs serfs les vastes terres qu’ils possédaient, et de suivre en cela l’exemple des Romains, leurs prédécesseurs, dont les villas étaient peuplées de leurs esclaves? L’usage des tenures, introduit par la féodalité, prévint ce malheur. Les faibles, les petits, trouvèrent un appui, une protection chez ceux à qui les attachait le lien féodal. Sans doute que les conditions de ces tenures furent dures dans le principe, et il n’aurait pu en être autrement. Peu à peu, cependant, elles s’adoucirent, les bases des acensements s’élargirent, /2/ l’hommage rural, dans notre pays, tomba avec le temps en désuétude, et l’on arriva graduellement à l’emphythéose perpétuelle, condition générale des terres dans les deux siècles qui ont précédé notre révolution de 1798. Or, le bail emphythéotique constituait, en faveur de l’abergataire, un véritable titre de propriété, puisqu’il pouvait toujours disposer des biens abergés, sous réserve de l’accomplissement des conditions de l’abergement, c’est-à-dire du paiement annuel d’une cense relativement peu élevée, et de celui du laud, que l’acquéreur acquittait en cas d’aliénation des assignaux de la cense.
Le système féodal, qui a duré tant de siècles et jeté des racines si profondes, mérite d’être étudié. Le même, quant au fond, dans la plus grande partie de l’Europe, il différait néanmoins dans ses détails, suivant les contrées où il était appliqué. Nous ne sachions pas que ce sujet ait encore été particulièrement traité quant à notre pays, et c’est le motif qui nous porte à publier le Mémoire qu’on va lire, traitant des fiefs nobles de la baronnie de Cossonay. Il nous a semblé qu’il complèterait nos travaux précédents sur cette partie du Pays de Vaud, laquelle a été l’objet constant de nos investigations historiques.
On sait que le système féodal prit naissance sous les princes Carlovingiens successeurs de Charlemagne. Il se développa dans le cours du IXe siècle, et l’on admet généralement que, en France du moins, il se trouvait entièrement formé vers la fin du même siècle et qu’alors /3/ chacun avait pris sa place dans la nouvelle organisation sociale. Il en fut sans doute de même dans les pays voisins en particulier dans l’Helvétie romande, alors soumise au sceptre des rois de la Bourgogne transjurane.
La question de la formation des grands fiefs, soit des grandes seigneuries du Pays de Vaud, n’a point encore pu être éclaircie. Il est vraisemblable que cette formation eut surtout lieu lors de l’extinction de la race royale des Rodolphiens, et l’on doit supposer que plusieurs familles de dynastes, apparaissant chez nous au XIe siècle, étaient issues des anciens comtes du pays, ainsi que le fait est positif à l’égard des seigneurs de Grandson. Les ancêtres de ceux de Cossonay avaient possédé, dès le temps des Rodolphiens, la contrée qui forma la seigneurie dont ils portèrent le nom, puisque le sire Uldric de Cossonay, donnant, sous l’année 1096, l’église de Cossonay au couvent de Romainmotier, déclara qu’elle avait été fondée dans son propre alleu, possédé en paix (c’est-à-dire sans contestation) dès le temps de l’aïeul et du bisaïeul d’Uldric 1 .
Les dynastes de Cossonay ont eu, relativement parlant, de nombreux milites, soit vassaux, dans leurs diverses seigneuries, surtout dans celle de Cossonay même. La charte de la donation, dont nous venons de parler, au couvent de Romainmotier, avec laquelle commence l’histoire de leur maison, nous montre le sire Uldric /4/ faisant sa donation en présence, entre autres, des milites du château de Cossonay, à savoir: de Boson, de Conon, d’Amédée, de Pagan, de Beroard d’Agiez et de plusieurs autres, dont le sire Uldric ne se rappelait plus les noms (lorsqu’il fit rédiger la charte de sa donation). Celui-ci y mentionne encore ses milites, lorsqu’il excepte les dîmes qu’il leur a inféodées de celles de toute la terre (potestatis) de Cossonay qu’il concède au prédit couvent 1 .
On sait que les obligations des milites envers leur suzerain ne se bornaient pas au service militaire, soit à desservir l’hommage lorsqu’ils en étaient requis, mais qu’ils devaient, en outre, l’assister de leurs avis, prêter présence à ses transactions, se porter garants de ses engagements et paraître à sa cour. Les chartes émanées des dynastes de Cossonay nous montrent ces seigneurs entourés, jusque vers le milieu du XIIIe siècle, de milites de leurs diverses seigneuries. Nous mentionnerons, dans le cours de ce Mémoire, ceux d’entre eux qui appartenaient à celle de Cossonay. L'Introduction du droit romain et la rédaction des chartes par des notaires jurés firent cesser cet usage. On cessa bientôt aussi de désigner les vassaux nobles sous le nom général de milites, qui fut alors exclusivement réservé aux personnes décorées de la dignité de la chevalerie. Les biens que ces vassaux tenaient en fief du château de Cossonay ont formé les fiefs nobles de la baronnie de ce nom, /5/ modifiés selon les temps et les circonstances. C’est à faire connaître ces fiefs et dans quels biens ils consistaient, que notre Mémoire est destiné.
On trouve, dans le XIIe et le XIIIe siècle, quelques individus qui ont porté le nom de Cossonay et paraissent avoir appartenu, pour la plupart, à l’ordre des milites. Nous croyons devoir les faire connaître ici, quoique nous les ayons déjà indiqués ailleurs, mais, à la vérité, incomplétement 1 . Le premier d’entre eux qui apparaisse est Amédée de Cossonay (de Coseiniaco), témoin, vers la fin du XIe siècle ou au commencement du siècle suivant, d’une donation de dame Amisa de Asclens au couvent de Romainmotier 2 . La place qui lui est assignée parmi les témoins de cette charte après le mayor Landri, interdit la supposition qu’il appartenait peut-être à la famille des dynastes de Cossonay. C’est lui, nous ne le mettons pas en doute, qui, sous le nom d'Amédée, figure parmi les milites du château de Cossonay présents à la donation du sire Uldrich au couvent de Romainmotier. (Voyez la page précédente.) Il nous paraît probable qu’il tenait quelque chevance à Cossonay même, ce qui motiva le nom qui lui est attribué. Nous le tenons pour la souche de la famille des milites de Cossonay. Le cartulaire du chapitre de Lausanne mentionne, sous la date du 6e des ides d’octobre, l’anniversaire de P., miles de Cossonay, pour lequel se payaient 12 deniers 3 . Il s’agit /6/ sans doute ici de Pierre de Cossonay, témoin, en 1142, du sire Humbert de Prangins (et de Cossonay), et, sous l’année 1164, de Pierre, sire de Prangins (et de Cossonay), fils du précédent 1 . Guillaume de Cossonay, fils de dame Ingla, apparaît, sous l’année 1154, comme garant d’une donation de Guillaume d’Ecublens à l’abbaye de Montheron 2 . Le titre domina attribué à la mère de Guillaume de Cossonay semble indiquer que celui-ci appartenait à la famille des seigneurs de ce nom. Il aurait été alors l’un des fils du sire Humbert (I), dont l’épouse, sous l’année 1142, était à la vérité Berthe 3 , mais qui pouvait avoir été marié précédemment avec dame Ingla. Le cartulaire de l’abbaye de Montheron cite encore, sous l’année 1184, en qualité de témoins, Gaucher de Cossonay et Pierre li dont de Cossonay 4 . Celui-ci n’était autre que Pierre, le seigneur de Cossonay 5 . Conon de Cossonay, chevalier, fut, sous l’année 1214, témoin d’une donation des milites de Grailly au /7/ couvent de Bonmont 1 . Etienne de Cossonay assista, avec d’autres témoins, à la pacification opérée en 1227 entre le prévôt du chapitre de Lausanne et les frères d’un homme du sire Jean de Cossonay, à Crissier, tué par un serviteur du prévôt, le sire de Cossonay agissant, dans cette circonstance, avec et pour les dits frères 2 . Etienne et Conon de Cossonay, chevaliers du diocèse de Genève, sont cités sous l’année 1228 3 . Deux ans auparavant (1226, 13e des Kal. de juillet), ils avaient été présents, avec un grand nombre d’autres témoins, au traité intervenu entre le sire Aymon de Faucigny et l’évêque de Lausanne, au sujet de l’avouerie de Lausanne 4 . Enfin, le chevalier Cuanun (Conon) de Cossonay est encore cité, sous l’année 1236, 12e des Kal. de mai), parmi les témoins du désistement d’Amédée, sire de Gex, en faveur du chapitre de Genève, de ses droits au village de Moëns 5 . Il paraîtrait ainsi, d’après les circonstances que nous venons de rapporter, que les chevaliers Etienne et Conon de Cossonay étaient fixés dans les seigneuries que les dynastes de ce nom possédaient au diocèse de Genève. Dans celui de Lausanne, Nantelme, miles de Cossonay, avait donné au chapitre de Lausanne une cense en /8/ deniers que lui devait Albert de Saint-Saphorin, outre la Venoge 1 . Il est nommé Nantelme de Cossonay, chevalier, dans une charte de l’année 1228 (il ne vivait plus à cette date) 2 , et porte le nom de Villerens sous les années 1221 et 1226 3 . Hugues de Cossonay, chevalier, et son fils Pierre, après avoir contesté une donation, qui comprenait des biens appartenant au chésal de Vuillerens, faite à l’abbaye du Lac de Joux, finirent par la reconnaître sous l’année 1239 4 . Ce sont les derniers milites du nom de Cossonay qui apparaissent dans les documents. A cette nomenclature, déjà passablement longue, il faudrait peut-être ajouter: Thomas de Cossonay, chanoine de Lausanne et cellérier du chapitre, lequel fonda, sous l’année 1208 (juin), son anniversaire dans la cathédrale de Lausanne 5 ; Richard, son frère; Rodolphe de Cossonay, prieur de Lutry en 1200, et Ulric de Cossonay, chevalier, en 1208 6 .
Quelques-uns des vassaux du château de Cossonay étaient aussi possessionnés dans d’autres seigneuries de leur suzerain. C’était, entre autres, le cas des Ferrel de Cossonay, famille marquante de milites, que nous /9/ aurons l’occasion de mentionner plusieurs fois dans le cours de ce Mémoire 1 .
Les seigneurs de Cossonay avaient des vassaux d’un rang plus élevé que celui des milites, à savoir: les seigneurs de Vufflens, de Montricher et de Vuillerens. Les rapports de féauté des premiers sont très obscurs et peu définis. Sous l’année 1210, Jean, sire de Cossonay, apposa son sceau à un abandon de biens fait par Jean de Vufflens en faveur du couvent de Romainmotier 2 . Lorsque l’épouse et les enfants du même seigneur de Cossonay laudèrent, en 1218, une donation de biens de ce seigneur à l’abbaye de Bonmont, R. (Reymond), seigneur de Vufflens, et R., miles de ce château, figurèrent parmi les témoins de cette approbation 3 . A la prière de Guillaume, seigneur de Vufflens, celui de Cossonay (Jean) scella, en 1223, la confirmation, faite par le premier, d’une donation de son père Reymond au couvent de Romainmotier 4 . Le sire Humbert de Vufflens 5 ayant, l’année précédente, du consentement de son épouse et de ses fils, Aymon et Reymond, engagé au même /10/ couvent l’avouerie d’Apples, pour 30 livres lausannoises, valant 12 marcs d’argent, le sire Jean de Cossonay s’était porté, envers Romainmotier, le fidéjusseur de cette mise en gage et en avait scellé la charte 1 . On cite l’inféodation faite, sous l’année 1235, par le comte Guillaume de Genève, au sire Humbert de Cossonay, fils de Jean, du château et de la seigneurie de Vufflens 2 . Toutefois, cette inféodation ne peut avoir concerné que le domaine direct, soit la mouvance de cette seigneurie, puisque Guillaume, seigneur de Vufflens, apparaît encore sous l’année 1240 3 . Le chevalier Guillaume de Vufflens, dit Gras, ayant abandonné au couvent de Romainmotier ses prétentions à une vigne située au territoire de Bussy, dans la seigneurie de Vufflens, Humbert, seigneur de Cossonay, scella la charte de cet abandon sous l’année 1247 4 . L’établissement de la domination de la maison de Savoie dans le Pays de Vaud fit cesser, paraît-il, les rapports de vassalité des seigneurs de Vufflens envers ceux de Cossonay 5 . /11/
On ignore à raison de quels fiefs les seigneurs de Montricher étaient vassaux de ceux de Cossonay, mais cette vassalité ressort de l’hommage prêté, en 1289, par Jacques, seigneur de Montricher, à Othon, comte palatin de Bourgogne, sire de Salins, et de celui que prêta, pour Montricher, son fils Raoul à Louis de Savoie, en 1297. Dans l’un et l’autre, la féauté due, entre autres, au seigneur de Cossonay, est réservée 1 .
Parmi les fiefs du château de Cossonay, celui de Vuillerens tenait le premier rang. Nous lui consacrerons un article spécial dans notre Mémoire. Possédé par l’illustre maison de Duin, il passa ensuite aux nobles de Colombier, qui obtinrent du duc de Savoie son élévation au rang de seigneurie de bannière.
Dans la seigneurie de Cossonay, comme ailleurs, les fiefs nobles avaient été concédés par le seigneur, ou bien ils étaient la suite d’assujettissements faits à son profit. Les contrats primordiaux des seigneurs de Cossonay avec leurs milites ne se retrouvent guère 2 ; mais on verra, par notre Mémoire, qu’au XIVe siècle, les donzels de Bettens, de Boussens, de Sévery, de Mex, etc., assujettirent au fief des seigneurs de Cossonay leurs propriétés situées dans les localités dont ils portaient le nom, soit une partie de ces propriétés, et cela en retour d’avantages qui leur furent accordés. Nous reconnaîtrons /12/ peut-être dans les vassaux de la seigneurie de Cossonay, possédant la juridiction sur leurs hommes et leurs possessions, ceux d’entre eux qui avaient soumis leurs francs-alleux au fief du seigneur de Cossonay; car, d’un côté, la juridiction, dans le principe, était la suite de la propriété 1 , et d’un autre côté, le suzerain n'inféodait guère cette juridiction, qu’il considérait comme son droit le plus éminent. Les sires de Cossonay prétendaient que, dans leur seigneurie, le dernier supplice, soit la haute juridiction criminelle, leur appartenait en vertu de leur supériorité.
Nous trouverons quelques fiefs désignés comme antiques, paternels et aviques (soit avitiques). Ils ne jouissaient pas de prérogatives honorifiques plus étendues que les autres fiefs nobles; mais, comme ils étaient censés provenus d’assujettissements volontaires et non de concessions, ils échappaient, le cas échéant, à la commise, soit à la confiscation, leurs fruits seuls étant passibles du séquestre lorsque les possesseurs de ces fiefs négligeaient d’en remplir les devoirs. Les cas de commise se présentaient plus fréquemment qu’on ne le pense peut-être.
Nonobstant le nombre relativement assez grand de fiefs qui mouvaient du château de Cossonay, le domaine de ce château était resté néanmoins considérable. Les documents ne nous font guère connaître les aliénations /13/ que les anciens seigneurs de Cossonay peuvent en avoir faites en les fieffant. Peu nombreuses encore sous les ducs de Savoie, leurs successeurs, ces aliénations s’augmentèrent sensiblement sous LL. EE. de Berne, lesquelles, ainsi que nous le rapporterons, fieffèrent, surtout à dater du milieu du XVIIe siècle, la majeure partie du domaine du château de Cossonay, à des conditions favorables pour l’Etat. Ce fut, de la part de Berne, une mesure purement fiscale. Il s’agissait, pour LL. EE., d’éviter des frais de recette, de rénovations et d’autres, puis d’échanger des revenus parfois casuels contre des rentes fixes. Sous le régime bernois, les divers villages de la baronnie de Cossonay, à peu d’exceptions près, devinrent des seigneuries particulières, ainsi que cela sera développé dans notre Mémoire. Berne en favorisa la formation. Une loi, appelée de réintégrande, facilita la réunion des fiefs précédemment divisés 1 .
Diverses portions du domaine des seigneurs de Cossonay passèrent, vers l’époque de l’extinction de leur maison et sans que l’on sache à quel titre, aux seigneurs de Challant, qui les aliénèrent. C’est ainsi que les villages d’Aclens et de Romanel, acquis de François de Challant, seigneur de Montjouvet, par le chevalier Henri de Colombier, seigneur de Vufflens, furent annexés plus tard par celui-ci à sa seigneurie de Vuillerens, et que des hommes et des hommages, des censes et des rentes, /14/ avec la juridiction et la directe seigneurie, tant à Préverenges qu’à Monnaz, acquis d’Iblet, seigneur de Challant, père de François, par le même chevalier Henri de Colombier, furent tenus par lui et par ses successeurs sous la mouvance du château de Morges, avec une partie de la terre de Colombier. D’autres biens de même nature, à Bussigny et Ecublens, pareillement procédés des seigneurs de Cossonay, furent vendus, par le même sire Iblet de Challant, chevalier, à noble François de Russin.
Des notions certaines et précises sur les fiefs nobles de la baronnie de Cossonay se puisent dans les rénovations qui en ont été faites à différentes époques et qui seront la base de notre travail. La plus ancienne, et partant la plus intéressante, est celle que stipula, en faveur de noble et puissant homme Louis, seigneur de Cossonay et de Surpierre, fils de défunt seigneur Jean de Cossonay, chevalier, Martin (Quartier) de Loës, notaire public et juré de la cour épiscopale de Lausanne. Celui-ci la commença le deuxième jour d’avril de l’année 1377 (style dominical), indiction quinzième prise avec la même année. Elle renferme trente et quelques reconnaissances, dont plusieurs cependant sont inachevées (ce qui indique que le notaire ne les regardait pas comme complètes), et offre quelques particularités qu’on ne retrouve pas dans les rénovations subséquentes. Ainsi, en général, le vassal, après avoir reconnu et spécifié son fief et fait hommage à son suzerain, y reçoit /15/ de celui-ci l’investiture de ce fief 1 . Ainsi, encore, lorsqu’un vassal reconnaît, parmi les biens de son fief, des hommes, des hommages, des tailles, des censes ou d’autres revenus, ces hommes et ces censiers, présents à la reconnaissance, affirment qu’elle est conforme à la vérité, en ce qui les concerne. La rénovation de Martin de Loës n’est pas complète. Nos archives cantonales en possèdent la grosse.
Après que la maison de Savoie fut parvenue à la possession de la seigneurie de Cossonay, le notaire Mermet Pipin, de Morges, commença, en sa faveur, une rénovation de Cossonay 2 , que son fils Pierre d’Etoy et Etienne Grillion, tous deux de Morges, continuèrent et achevèrent. Ces commissaires des extentes de Cossonay y travaillèrent sous le duc Amédée VIII et son fils le duc Louis. La grosse de leur rénovation ne se retrouve plus, mais la rénovation suivante, celle de Quisard, nous apprend quels furent les vassaux de la baronnie qui reconnurent leurs fiefs sur leurs mains.
Michel Quisard, de Massongier, au mandement de Ballayson, demeurant à Nyon, notaire public, commissaire et receveur des extentes et reconnaissances de Nyon, Morges et Cossonay, fit la rénovation des fiefs, tant nobles que ruraux, du château de Cossonay, en /16/ faveur de l'illustrissime prince et seigneur Charles-Jean-Amédée, duc de Savoie et de ses successeurs. Il commença celle des fiefs nobles au mois de juin de l’année 1493 et la continua jusqu’à l’année 1500, inclusivement (et même plus tard). Michel Quisard était un notaire fameux, et sa rénovation, qui est la plus complète de celles qui nous restent, se trouve aussi dans nos archives cantonales.
Après la conquête du Pays de Vaud par les Bernois, Amé Mandrot, de Rances, bourgeois d’Yverdon, notaire public, procureur patrimonial et commissaire des fiefs nobles du Pays de Vaud, fit la rénovation de ceux de la baronnie de Cossonay, entre les années 1540 et 1550. Mandrot était versé dans les matières féodales, toutefois sa rénovation, dont la grosse existe encore (aux archives cantonales), ne peut pas être considérée comme complète.
Vers la fin du même siècle, c’est-à-dire depuis l’année 1586 jusqu’à l’année 1600 inclusivement, les commissaires Claude Gaudin et Etienne Favre, d’abord, puis après eux Jean Pastor, notaire de Vufflens-le-Château, rénovèrent les fiefs nobles de la baronnie de Cossonay, en faveur de LL.EE. de Berne. La grosse de leur rénovation existe encore 1 . On doit regretter que la plupart des reconnaissances n’en soient pas spécifiques et c’est sans doute parce que LL. EE. la /17/ considéraient comme insuffisante qu’Elles en firent faire une nouvelle, entre les années 1620 et 1630, par leur commissaire général du Pays de Vaud, Nicolas Bulet, bourgeois d’Yverdon, à l’instance de spectable, prudent et honoré seigneur Jean Steck, du Grand Conseil de la ville de Berne et général pour le service de LL. dites EE. dans leur Pays de Vaud 1 . La rénovation de Bulet nous paraît bien incomplète 2 .
Enfin, une rénovation des fiefs nobles de Cossonay eut encore lieu vers la fin du dix-septième siècle, à l’instance de Jean-Frédéric Steck, premier commissaire de LL. EE. et rénovateur de leurs fiefs nobles dans les bailliages de Morges, Nyon et Romainmotier, par Claude Rolaz, notaire, receveur de Morges et commissaire des prédits fiefs nobles. La grosse de cette rénovation, qui fut la dernière, ne se retrouve plus 3 . On rencontre bien dès lors des quernets, soit reconnaissances, isolés, mais pas de grosses.
Le dénombrement des fiefs nobles du bailliage de Morges, sous les années 1674 et 1675 et dont un volume existe dans nos archives cantonales, nous a été fort utile pour la composition de notre Mémoire. Nous /18/ avons donné ailleurs quelques explications au sujet de ce dénombrement 1 .
Les lauds pour les fiefs nobles, dans la baronnie de Cossonay, se payaient sur un pied plus élevé que pour les fiefs ruraux. La charte des franchises, concédées, en 1398, à la ville et à toute la châtellenie de Cossonay, par Jeanne, dame de ce lieu, avait spécifié que le seigneur (de Cossonay) percevrait, pour le laud des fiefs ruraux, le cinq pour cent, soit le vingtième denier, tandis que celui pour les fiefs nobles se payerait sur le pied précédent. Or, ce taux était le vingt pour cent, soit le cinquième denier 2 . Il est probable qu’antérieurement à la concession de ces franchises, le laud pour les fiefs ruraux, mouvants du château de Cossonay, se payait au sixième denier, pied général des lauds dans la baronnie de Cossonay.
La mesure de Cossonay était celle dont on se servait dans l’ancienne seigneurie de ce nom et dans ses dépendances. Il y en avait de deux espèces: la bourgeoise , qui était la plus fréquemment usitée 3 , et la villageoise, plus forte d’un tiers que l’autre. A Cossonay deux quarterons formaient la coupe, et douze coupes équivalaient au muid. Le bichet, d’un usage peu fréquent chez nous, était la moitié de la coupe, d’où il résulte que le bichet et le quarteron avaient /19/ la même contenance. Le quarteron de Lausanne et celui de Cossonay étaient pareils. La considération de l’espèce de la mesure est surtout importante lorsqu’il s’agit d’établir les dépendances d’une seigneurie. Sous le régime bernois, alors que la seigneurie de Cossonay fit partie du bailliage de Morges, LL. EE. adoptèrent fréquemment, dans cette seigneurie, l’usage de la mesure de Morges, exemple qui fut suivi parfois par des particuliers. Lorsque, dans le cours de ce Mémoire, nous ne désignerons pas l’espèce de la mesure, il sera toujours sous-entendu que nous voulons parler de celle de Cossonay.
La lecture de notre Mémoire prouvera que, nonobstant la grande extension du système féodal, bien des francs-alleux s’étaient conservés dans la seigneurie de Cossonay, quoiqu’ils y fussent peu importants en général. Nous mentionnerons ceux d’entre eux dont nous avons eu connaissance. Les rénovations ne contenant naturellement rien au sujet des biens de cette nature, plusieurs de ces biens peuvent avoir échappé à nos investigations. Le possesseur d’un franc-alleu ne devait point d’hommage à raison de sa possession, et partant n’était pas tenu aux devoirs du fief, tout comme l’acquéreur d’un franc-alleu ne payait pas de lauds pour cette acquisition. Du reste ce possesseur reconnaissait la supériorité du seigneur dans la terre duquel était situé son franc-alleu et restait soumis aux obligations que lui imposait cette supériorité. On considérait les francs-alleux comme biens nobles. /20/
Nous mentionnerons encore quelques censières pensionnaires soit foncières, se trouvant dans les lieux que nous décrirons et faisant partie de leurs redevances féodales. Cette espèce de censière s’établissait sur des assignaux dont la directe seigneurie n’appartenait pas à celui qui les acensait.
Depuis l’édit rendu, sous l’année 1475, par Yolande de France, duchesse douairière et régente de Savoie, par lequel les fiefs, assimilés aux biens patrimoniaux, furent déclarés vendables comme ceux-ci 1 , on ne vit plus guère, dans la baronnie de Cossonay, de fiefs faire retour au domaine du suzerain.
Voici la division que nous avons adoptée quant à notre Mémoire. Nous y passerons d’abord en revue, sous le rapport des fiefs et l’un après l’autre, les divers lieux qui composaient l’ancienne châtellenie de Cossonay, soit ceux où la juridiction y appartenait au seigneur. C’était là proprement le domaine du château de Cossonay 2 . Après la châtellenie nous traiterons des lieux mixtes, soit de ceux qui, en partie seulement, appartenaient à cette châtellenie, soit au domaine du seigneur; puis, ensuite, des villages qui faisaient partie du ressort de la ville de Cossonay sous le rapport de sa fortification et des frais en résultant et marchaient sous la bannière de cette ville, avec la châtellenie, mais où /21/ cependant la juridiction ne se trouvait pas dans les mains du seigneur de Cossonay, quoique ces lieux appartinssent à sa seigneurie. Nous les ferons suivre d’une notice sur la seigneurie de L’Isle, mouvante du château de Cossonay, mais ayant son propre ressort. En cinquième lieu nous traiterons des lieux démembrés, en 1421, de la baronnie de Cossonay, soit de ceux qui formèrent les possessions de la maison de Colombier (Vuillerens, Aclens, Romanel et Colombier) 1 . Nous terminerons notre Mémoire en nous occupant des divers fiefs nobles, mouvants du château de Cossonay, mais se trouvant situés hors de la seigneurie de ce nom. Les concessions de juridiction, faites par LL. EE. de Berne dans la baronnie de Cossonay, n’apportèrent pas de changements aux anciennes circonscriptions de la châtellenie et du ressort.
Nous craignons fort que le style de notre Mémoire ne paraisse à quelques-uns assez étrange. Nous allèguerons pour notre excuse que nous avons dû nécessairement employer les termes de pratique et les phrases consacrées pour la matière. Supposant nos lecteurs, si nous en avons, déjà initiés à celle-ci, nous ne donnerons point, en conséquence, un cours de droit féodal, accompagné des explications que ce sujet entraînerait. Notre but est de présenter le tableau, puisé aux sources authentiques, de quelques siècles de la période féodale /22/ dans une portion de la patrie de Vaud. Notre Mémoire est donc une simple étude féodale. Nous estimons qu’il est du devoir de chacun de ceux qui peuvent le faire, d’apporter sa pierre pour la construction de l’édifice de notre histoire nationale.
La répétition de quelques-uns des faits déjà consignés dans nos précédentes publications, était inévitable pour ne pas interrompre l’ordre de ces faits. Nous aurions désiré qu’il eût pu en être autrement. Quant aux qualifications que nous donnons aux individus apparaissant dans notre Mémoire, ce sont celles que leur attribuent les documents qui nous ont servi de guides.
Des données sur la condition successive des terres et des personnes pendant la période que nous embrassons, se liront dans notre travail et offriront peut-être quelque intérêt. Nous serons souvent appelés à y parler de personnes de condition taillable. Or les obligations et les charges résultant d’une pareille condition ne se trouvent pas consignées dans les rénovations, et il est même assez rare qu’elles le soient dans d’autres documents, parce qu’alors ces obligations étaient suffisamment connues et déterminées. Toutefois notre époque, heureusement pour elle, en a perdu le souvenir. Le nouveau Répertoire des titres de l'abbaye de Montheron, aux archives de la ville de Lausanne, nous offre entre autres l’analyse de deux reconnaissances de taillables, dans lesquelles on trouve quelques détails que l’on chercherait peut-être vainement ailleurs, et que nous rapporterons ici afin d’éclaircir ce sujet. /23/
Sous l’année 1306, un père et ses deux fils, de la Plannavy (cette localité paraît avoir été située dans le Jorat), confessèrent judicialement qu’ils étaient, ainsi que leurs prédécesseurs l’avaient été, hommes taillables de corps et de biens et à miséricorde de l’abbaye de Montheron, et que celle-ci pouvait lever sur eux taille à sa miséricorde et volonté et prendre de leurs biens, comme des siens propres (et à sa volonté). Qu’ils ne pouvaient avoir ni reconnaître d’autre seigneur que la prédite abbaye, leur étant interdit de contracter bourgeoisie soit garde, d’assujettir leurs personnes et de résider hors du lieu de Plannavy. Que la susdite abbaye pouvait les saisir et détenir, eux et leurs biens, à sa volonté (en cas de contravention, sans doute). Enfin qu’elle avait totale juridiction sur eux 1 .
La taillabilité dont il est question dans cette reconnaissance est la personnelle, plus dure que la réelle, puisqu’elle entraînait celle des biens tenus par le taillable de corps. Tous les biens de celui-ci étaient soumis à la servitude de la main-morte.
La seconde reconnaissance que nous avons à citer concerne la taillabilité réelle soit celle des biens. Sous l’année 1397, un individu du village de Morrens confessa qu’il était homme taillable de Guillaume Lamberczon, d’Orbe, demeurant à Crissier et de sa femme Nicole, fille de feu Nicolet de Crissier, donzel, reconnaissant tenir d’eux une maison, à Morrens, avec jardin, /24/ oche et septante-sept autres articles de terrain, le tout sous joug et servitude de taille. Le confessant promit d’acquitter à Morrens, à ses seigneurs, les services et la taille qu’il leur devait et cela à leur miséricorde, volonté et bon plaisir, ainsi qu’ils l’imposeraient. Il promit d’obéir à tous leurs ordres, reconnaissant qu’il lui était défendu de contracter aucune bourgeoisie, de se mettre sous aucune sauvegarde et de prêter hommage à un autre seigneur, sinon de leur exprès consentement. Enfin il contracta l’engagement de procurer de tout son pouvoir l’honneur et le profit de ses seigneurs, d’éviter et d’éloigner leur dommage, et de leur prêter obéissance ainsi qu’un homme taillable y était tenu envers ses seigneurs 1 . La taillabilité réelle avait pour conséquence la condition main-mortable des biens taillables du tenancier, seulement.
Ces deux reconnaissances nous montrent quelle était en droit la condition des taillables au commencement et vers la fin du quatorzième siècle. Hâtons-nous d’ajouter qu’en pratique la rigueur de cette condition était adoucie, ainsi que nous l’avons déjà fait observer dans notre mémoire sur le prieuré et la commune de Baulmes (page 115 et les deux suivantes).