RECHERCHES HISTORIQUES SUR LES ACQUISITIONS DES SIRES DE MONTFAUCON ET DE LA MAISON DE CHÂLONS DANS LE PAYS-DE-VAUD.
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AVANT-PROPOS.
Parmi les grands barons originaires des provinces voisines de la Suisse, qui, sous l’empire du régime féodal, étendirent leur domination sur les terres du pays romand, les sires de Montfaucon 1 et les princes d’Orange de la maison de Châlons-Arlay, tiennent le premier rang, soit par l’illustration de leur race et l’importance des seigneuries qu’ils ont possédées sur les deux versants du mont Jura, soit enfin par le rôle éminent qu’ils ont joué dans l’histoire de la patrie de Vaud.
La maison de Montfaucon avait pris son nom d’un antique château féodal dont les vastes ruines se voient encore à l’est de Besançon, sur une montagne qui domine la rive gauche du Doubs 2 Ce château paraît /4/ avoir été construit ou restauré dans la première moitié du onzième siècle par Conon de Montfaucon, que les chartes contemporaines mentionnent parmi les principaux seigneurs de la haute Bourgogne 1 .
Cent-vingt villages dépendaient de la mouvance du château de Montfaucon, et les fiefs de la maison de ce nom, presque souveraine dans les montagnes du Jura, s’étendaient depuis les portes de Besançon jusqu’aux limites du val de Morteau et même au delà dans le Val-de-Ruz et la seigneurie de Valangin 2 .
Amédée I, seigneur de Montfaucon, petit-fils de Conon, et neveu de Hugues de Montfaucon, archevêque de Besançon, imposa spontanément à son fils aîné Richard II l’obligation de reconnaître la suzeraineté de l’église métropolitaine de St.-Etienne pour le château de Montfaucon, en reconnaissance de l’aide que l’archevêque Hugues (III) de Bourgogne lui avait prêté pour recouvrer les terres de son patrimoine qui lui avaient été /5/ enlevées par Pierre, seigneur de Ceys 1 . Dès lors le château de Montfaucon devint un fief de l’archevêché de Besançon.
Dès la fin du XIme siècle et dans le XIIme, les sires de Montfaucon s’étaient alliés aux maisons les plus illustres de l’Alsace et de la Transjurane. — Amédée premier du nom avait épousé une sœur de Berthold évêque de Bâle (mort en 1139) et de Rodolphe I comte et seigneur de Neuchâtel (en Suisse) 2 . L’évêque Berthold érigea en fief, en faveur de ses neveux Richard, Hugues et Amédée de Montfaucon, la seigneurie d’Asuël, dans le pays d’Ajoie, et leur permit d’en distraire une portion pour fonder et doter l’abbaye de Lucelle (vers 1124) 3 . Richard II, fils d’Amédée sire de Montfaucon, épousa, vers le même temps, Sophie fille de Thierry II comte de Montbéliard, et d’Ermentrude, fille de Guillaume II, comte de Bourgogne 4 . Amédée II fils aîné de Richard II de Montfaucon, succéda à son aïeul maternel le comte Thierry II dans le comté de Montbéliard, qui relevait immédiatement du St.-Empire romain 5 .
Ces alliances portèrent d’emblée la maison de Montfaucon /6/ au rang des dynasties princières et quasi souveraines entre les Vosges et le mont Jura.
Hugues et Amédée de Montfaucon, frères puînés de Richard II, furent les auteurs de deux branches de la maison de Montfaucon, dont chacune subsista plus ou moins longtemps sous des noms différents. Hugues dit de Charmoille (de Calmilis) ou d’Azuël transmit le nom de ce fief à ses descendants, et Amédée ayant fait bâtir le château de Neuchâtel (près Pont-de-Roide) en prit le nom 1 et fut la souche des grands-sires de Neuchâtel-en-Bourgogne.
Plus tard, à la fin du XIIme siècle et dans le suivant, les sires de Montfaucon étendirent leur domaine en deçà du mont Jura, où ils ont possédé les seigneuries d’Orbe, d’Echallens, de Bottens, et de Montagny-le-Corbos; des droits sur la ville et le château d’Yverdon, et des fiefs à Bavois, à Corcelles-sur-Chavornay et à Suchy 2 . Après avoir porté l’éclat de son nom et la renommée de sa vaillance chevaleresque dans toutes les croisades d’outremer et plus tard en Angleterre, en Pologne et dans le royaume de Naples, cette antique et noble race s’éteignit dans les mâles par la mort prématurée de Henri de Montfaucon, dernier fils d’Etienne comte de Montbéliard, qui eut la douleur de survivre /7/ à ce fils unique tué à la célèbre bataille de Nicopolis en 1396 1 . Henri ne laissait que des filles, qui après la mort du comte Etienne, leur aïeul (1397), partagèrent entre elles l’immense succession des Montfaucon-Montbéliard 2 .
A la suite de plusieurs transactions qui seront expliquées plus loin, les terres de la maison de Montfaucon situées en deçà du mont Jura parvinrent à l’illustre et puissante maison de Châlons-Arlay, par Jeanne de Montbéliard, l’une des quatre petites-filles du comte Etienne, mariée à Louis de Châlons prince d’Orange. Aux possessions patrimoniales des Montfaucon dans le pays romand, Louis de Châlons réunit en outre la baronie de Grandson, confisquée par le comte de Savoie sur les dynastes de ce nom, ainsi que la terre de Cerlier dans le pays allemand 2 . La maison de Châlons conserva ces riches possessions jusqu’à l’époque des guerres qui éclatèrent en 1475 entre le duc de Bourgogne Charles-le-Téméraire et les Suisses.
Après leurs célèbres victoires de Grandson et de Morat (1476), les confédérés s’emparèrent définitivement des domaines appartenant à la maison de Châlons, dont ils formèrent les bailliages de Grandson, d’Orbe et d’Echallens. Ces bailliages furent gouvernés en commun pour les villes souveraines de Berne et de /8/ Fribourg jusqu’à la révolution de 1798, et à l’incorporation définitive de ces trois bailliages communs dans le territoire du canton de Vaud.
Notre travail sur les possessions des sires de Montfaucon et de la maison de Châlons dans la Suisse romande est précédé d’une introduction destinée à faire connaître l’état antérieur du district d’Echallens 1 . Il est accompagné d’un tableau généalogique détaillé et aussi exact que possible de la maison de Montfaucon-Montbéliard, tableau dont nous devons la communication à feu notre savant et excellent ami M. Ch. Duvernoy, de Montbéliard, qui avait consacré la meilleure partie de sa laborieuse vie à la recherche des documents épars qui servent à l’histoire des comtes de Montbéliard et de la maison de Montfaucon; documents qu’il nous a communiqués avec sa libéralité ordinaire, en y ajoutant les renseignements propres à rendre notre travail moins imparfait. Ces communications nous ont été d’autant plus utiles que les archives du pays de Vaud ne renferment qu’un fort petit nombre de documents remontant à l’époque des sires de Montfaucon et de la maison de Châlons.
On suppose que les archives d’Orbe ont été transportées au château de Nozeroy en Franche-Comté 2 , ou dispersées pendant la guerre de Bourgogne. Diverses /9/ pièces relatives à la suzeraineté des comtes de Bourgogne sur cette petite ville vaudoise existaient dans les archives de la Chambre des comptes et du parlement de Dole, d’où elles ont passé dans celles du département du Doubs à Besançon 1 .
Les principaux documents inédits que nous avons pu recueillir seront publiés à la suite du présent travail, dans les Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande.
Lausanne décembre 1855.
F. de Gingins.