Recherches historiques sur les acquisitions des Sires de Montfaucon et de la maison de Châlons dans le Pays-de-Vaud,
précédées d’une Introduction avec un plan et suivies de Pièces justificatives et de huit tableaux généalogiques de la Maison de Montfaucon
GEORGES BRIDEL ÉDITEUR A LAUSANNE
1857
PAR
M. F. DE GINGINS-LA-SARRA
président honoraire de la Société d’histoire le la Suisse romande.
INTRODUCTION
AUX RECHERCHES HISTORIQUES SUR
LES ACQUISITIONS DES SIRES DE MONTFAUCON DANS LE PAYS-DE-VAUD.
/III/
DESCRIPTION SOMMAIRE DE L’ANCIEN BAILLIAGE D’ECHALLENS
.A l’origine du régime féodal, le plateau du Jorat et du Gros-de-Vaud était partagé entre plusieurs seigneurs ecclésiastiques et séculiers plus ou moins indépendants les uns des autres, tels que l’évêque et le chapitre de Lausanne, les sires de Grandson et de Belmont, les sires de Montfaucon, ainsi que les seigneurs d’Aubonne et de Cossonay. L’ancienne seigneurie d’Echallens, entre autres, a été pour ainsi dire formée de toute pièce par la noble maison de Montfaucon, dont les seigneurs, aussi bon ménagers que vaillants chevaliers, réunirent peu à peu sous leur mouvance directe un grand nombre de fiefs et d’arrières-fiefs épars dans ce district forestier.
Il y a toute apparence que le versant occidental du Jorat, et le territoire d’Echallens en particulier, faisaient virtuellement partie des domaines concédés aux évêques de Lausanne par le dernier roi de Bourgogne et les empereurs dans le XIe siècle 1. Ces évêques et le haut chapitre de /IV/Notre-Dame ont possédé, jusqu’au XVIe siècle, les Grands-Jorats qui dominent la Cité de Lausanne jusqu’à Dommartin et les grands bois qui se prolongeaient depuis là jusqu’à Essertines. Ils revendiquaient, en outre, la mouvance féodale de Bavois, de Chavornay, de Corcelles et de Suchy 1, villages situés sur les pentes occidentales du Gros-de-Vaud, dont les églises paroissiales appartenaient au chapitre de la cathédrale de Lausanne. Un autre indice de la suzeraineté primitive de ces évêques se déduit de la capacité des mesures employées dans le ressort de la châtellenie d’Echallens, où de tout temps on se servit pour les grains de la mesure de Lausanne 2, tandis qu’à Orbe et dans d’autres châtellenies voisines on usait pour ces denrées de mesures particulières et de capacités différentes. Enfin la seigneurie de Bottens, quoique réunie à celle d’Echallens, resta mouvante de l’évêché de Lausanne 3.
D’un autre côté, les sires de Montfaucon, de Cossonay et d’Aubonne soutenaient que leurs possessions dans le Jorat et le Gros-de-Vaud étaient allodiales et ne relevaient d’aucun autre supérieur féodal que l’empereur. Il est vrai que plus tard ils consentirent à convertir ces prétendus alleux en fiefs, et à en faire hommage, soit aux comtes de Savoie soit aux évêques de Lausanne, moyennant certaines /V/ sommes d’argent et d’autres avantages stipulés dans ces hommages 1.
Ces contradictions apparentes s’expliquent par les conflits auxquels la possession du Jorat et du Gros-de-Vaud donna lieu, dans la première moitié du XIIe siècle, entre les partisans des comtes de Bourgogne, possesseurs des terres, ci-devant royales, d’Orbe et d’Yverdon, et les adhérents des ducs de Zæringuen, recteurs impériaux de la Transjurane, qui, par contre, tenaient en leur pouvoir Moudon et la vallée de la Broie 2. L’avénement de Frédéric Ier, dit Barberousse, à l’Empire, ayant mis un terme à ce conflit 3, l’évêque de Lausanne, Amédée de Hauterive, dut transiger avec les seigneurs qui lui disputaient la suzeraineté dans cette région boisée 4. Dès lors le grand plateau des Jorats se trouva divisé féodalement en deux zones, l’une orientale et l’autre occidentale.
La ligne séparative de ces deux zones, partant de la montagne du Châlet-à-Gobet, au-dessus de Lausanne, divisait le Jorat de l’évêque du Jorat dit d’Echallens, et se /VI/ prolongeait du sud au nord entre les territoires communaux de Dommartin, de Sugnens et de Vuarrens, d’une part, et, de l’autre, ceux de Poliez-le-Grand, de Villars-le-Terroir et de Penthéréaz jusqu’à La-Robelaz 1. De ce village le ruisseau du Buron séparait la zone orientale qui reconnaissait la suzeraineté de l’évêque de Lausanne, de la zone occidentale, où le pouvoir de ce prélat se trouvait réduit à la juridiction diocésaine 2, au patronat de quelques cures et à la possession de divers bénéfices ecclésiastiques peu importants, dont il sera parlé plus loin.
Du reste, le mélange des possessions et des droits qu’on rencontre dans ces quartiers élevés et couverts de bois, tient essentiellement à des circonstances locales et économiques, dont l’histoire doit tenir compte. Les grandes forêts du Jorat et du district d’Echallens, désertes ou médiocrement peuplées dans les premiers temps du moyen âge, furent livrées aux XIIe et XIIIe siècles au défrichement du sol et à la culture des terrains vierges. Ces travaux, entrepris en grande partie par des serfs et des colons appartenant soit à divers seigneurs plus ou moins indépendants les uns des autres, soit à des corporations monastiques étrangères, créèrent en faveur des uns et des autres, comme premiers occupants, des droits de plusieurs espèces: 1° droits du seigneur en qualité de propriétaire tréfoncier; 2° droits du tenancier, comme fermier ou abergataire du terrain /VII/ cultivé; 3° enfin, droits du serf ou du colon à son entretien et à celui de sa famille, suivant les usages du régime féodal 1.
Vers le milieu du XIIe siècle, les principales églises de ce district appartenaient déjà à des monastères étrangers. Ainsi l’abbaye de Montbenoit en Bourgogne possédait les églises de Poliez-le-Grand et de Gumoëns-la-Ville, avec les chapelles de Penthéréaz, d’Echallens, d’Oulens et de Villars-le-Terroir. Ces églises et chapelles sont mentionnées parmi celles dont le pape Innocent II confirma la pleine possession à cette abbaye par une bulle en date du 12 avril 1141 2.
L’abbaye de Montbenoit (S. Maria-Montis-Benedicti), habitée par des chanoines réguliers de l’Ordre de Saint-Augustin, avait été fondée au commencement du XIIe siècle, sur les bords du Doubs, dans le val du Saugeois, entre Pontarlier et Morteau, et richement dotée par les sires de Joux (de castro Jurensis) et d’autres maisons nobles de la contrée 3. Elle possédait en outre, en deçà du mont Jura, des biens à Orbe, et l’église paroissiale de Pampigny, dans le décanat d’Outre-Venoge 4. On n’a pas de données certaines /VIII/ sur l’origine des possessions de cette abbaye dans le diocèse de Lausanne; mais il est probable qu’elle date seulement de l’épiscopat de l’évêque Guy de Merlen, qui occupa le siége de Lausanne de 1130 à 1143 1. Ce prélat, originaire du duché de Bourgogne et dignitaire du chapitre métropolitain de Besançon, avant d’être élevé à l’épiscopat, avait continué d’entretenir d’étroites relations avec Narduin, prieur et ensuite premier abbé de Montbenoit 2, et il est vraisemblable que ce fut Guy qui détacha les églises en question de la mense épiscopale de Lausanne pour en gratifier cette abbaye étrangère lorsque le pape Innocent II eut élevé le prieur de Montbenoit au rang d’abbé conventuel 3.
Quoi qu’il en soit, l’abbaye de Montbenoit resta en pleine possession de ces églises, situées dans le district féodal d’Echallens, jusque vers la fin du XVe siècle, avec tous les droits de patronat, de collation, de dîmes et de fruits qui y étaient attachés, à l’exception des fonds et des revenus que cette abbaye avait aliénés avec le temps, soit à titre de fiefs soit à titre d’emphithéose ou d’abergement. Ajoutons, pour n’avoir pas à revenir sur ce sujet, que les Bernois et les Fribourgeois étant devenus seigneurs des terres d’Orbe et d’Echallens, conquises en 1476 sur la maison de Châlons, dans la guerre de Bourgogne, le couvent de Montbenoit, /IX/ redoutant peut-être les effets de ce changement complet de domination, remit à l’abbaye du Lac de Joux 1 tous les droits de patronat et de cure sur les églises que ce couvent possédait dans le diocèse de Lausanne, avec les fonds, les dîmes et les revenus qui en dépendaient. Dès lors l’abbaye du Lac de Joux réunit ces possessions à celles qu’elle avait déjà dans le territoire d’Oulens; elle en prêta hommage (comme cessionnaire de l’abbaye de Montbenoit) 2 aux villes souveraines de Berne et de Fribourg, jusqu’à l’époque de la Réforme, que suivit la sécularisation des couvents en 1536.
L’église de Gumoëns-la-Ville était, au XIIe siècle, le chef-lieu d’une vaste paroisse, dont les chapelles d’Oulens, d’Echallens, de Villars-le-Terroir et de Penthéréaz n’étaient que des succursales 3. Mais dès la fin du même siècle cette ancienne paroisse fut divisée. Les chapelles d’Oulens, d’Echallens et de Penthéréaz furent élevées par les abbés de Montbenoit au rang d’églises paroissiales 4. Quant à Villars-le-Terroir, sa chapelle resta une annexe de l’église /X/ paroissiale d’Echallens. Poliez-le-Grand est déjà mentionné comme chef-lieu de paroisse dans la bulle papale de 1141, citée plus haut. L’érection de ces chapelles en églises paroissiales dénote évidemment un accroissement plus ou moins considérable de la population dans ces districts forestiers, et notamment à Echallens, dont la position centrale au milieu du plateau du Jorat, soit du Gros-de-Vaud, se prêtait à un développement plus rapide.
Les quernets ou reconnaissances prêtées par les abbés de Montbenoit et ensuite par ceux du Lac de Joux pour leurs biens dans la seigneurie d’Echallens, montrent que ces biens ne consistaient pas seulement dans le patronage des églises et dans les dîmes et autres redevances ecclésiastiques: ils comprenaient, en outre, des propriétés immobilières, des cens et d’autres rentes féodales avec la juridiction inférieure sur les tenanciers 1. Les sires de Joux, comme fondateurs de l’abbaye de Montbenoit, ensuite les sires de Montfaucon, étaient Avoués ou Gardiens héréditaires des propriétés et des droits de cette abbaye, soit en deçà soit au delà du mont Jura 2. Le titre d’Avoué (advocatus) impliquait, comme on sait, l’exercice de la haute et moyenne justice sur les domaines de l’église et sur ses vassaux et tenanciers; en sorte que, dans le fait dont il s’agit ici, la juridiction de /XI/ l’abbé et de ses officiers se réduisait au pouvoir de contraindre ses tenanciers directs à payer leurs redevances et à remplir leurs obligations envers l’abbaye; la juridiction pénale et l’exécution des criminels jugés à mort, ainsi que la suite de guerre et d’autres attributs du pouvoir public ou seigneurial, restant de plein droit dans les mains de l’Avoué ou protecteur armé du monastère 1.
L’Avouerie ou la Garde de Montbenoit fut (ainsi que tous les offices de cette espèce) considérée comme un fief et soumise aux mêmes lois. Les sires de Joux durent en prêter hommage à la maison de Châlons-Arlay (1246-1250) qui retint la mouvance des domaines de la maison de Joux situés au delà du mont Jura 2. Quant à la garde des églises et des biens que l’abbaye de Montbenoit possédait en deçà de ces monts dans le district d’Echallens, elle passa à la maison de Montfaucon à une époque encore indéterminée, mais qu’on peut fixer à la seconde moitié du XIIIe siècle. Dès lors cette garde avec la juridiction et tous les droits utiles et honorifiques que la coutume y attachait firent partie des indominures du château d’Echallens 3. /XII/
D’autres corporations religieuses, étrangères à la localité ou au pays, possédaient de toute ancienneté des églises curiales et des chapelles rurales dans le ressort du château d’Echallens. Ainsi l’église d’Assens avec la chapelle de Cugy, près Morrens, sa filiale, appartenait à l’abbaye d’Abondance en Chablais 1, à laquelle cette église paraît avoir été donnée par Girard de Faucigny, évêque de Lausanne (1108-1128). Le couvent de Romainmotier avait fait bâtir un oratoire soit une chapelle sous le vocable de Saint-Barthélemi, au village qui en a pris le nom, pour l’usage des colons qui cultivaient les terres que ce couvent possédait dans le territoire de Gumoëns-le-Châtel et dans ceux de Bretigny, d’Oulens et d’Eclagnens 2. On a dit, plus haut, que l’abbaye du Lac de Joux avait à Oulens un prieuré rural (soit une grange entourée de fonds cultivés) auquel appartenait le droit d’usage et de parcours dans la vaste forêt de Bioley-Orjulas, et dans la châtellenie d’Echallens 3. L’église de Bottens appartenait à l’abbaye de Montheron, qui, dès sa fondation (1143), fut dotée du domaine du Buron, près de Penthéréaz, où ce couvent possédait des hommes, des terres et des censes foncières 4. /XIII/
Quant aux paroisses environnant à l’Ouest, au Nord et à l’Est l’ancienne seigneurie d’Echallens, savoir, Bavois, Chavornay, Suchy, Essertines, Vuarrens et Sugnens, leurs églises appartenaient à l’évêque et au chapitre de Notre-Dame de Lausanne, avec leurs fonds, leurs dîmes et leurs revenus de toute nature.
Après avoir donné un aperçu de l’état de la contrée au point de vue ecclésiastique, tel qu’il s’offre à nous dans les XIIe et XIIIe siècles, nous passerons à l’exposition sommaire de son état politique ou féodal. On sait que, dans cette période du moyen âge, le développement civil et matériel d’une contrée partait de l’église ou du château, en rayonnant du centre vers la circonférence, particulièrement dans les régions agrestes et sauvages, comme le district d’Echallens, où la plus grande partie du sol était occupée par les débris de plusieurs grandes forêts, entrecoupées de clairières marécageuses, dont le défrichement n’a pu être opéré qu’à l’aide de bras étrangers à la localité et de moyens tirés des quartiers plus riches et plus avancés dans la culture du sol.
Ces anciennes forêts, dont on retrouve aujourd’hui les vestiges dans des massifs de bois diversement nommés, appartenaient, aux Xe et XIe siècles, au domaine de la couronne ou de l’Etat, qui en réservait une partie pour l’usage du roi, sous le nom de bois banalisés ou royaux (forestæ, en allemand Forst), et livrait l’autre aux usages publics, moyennant certaines redevances fiscales (forestagium). On peut les grouper sous quatre chefs principaux, savoir:
1° La forêt de Dommartin (Silva Sancti Martini) 1, qui, /XIV/ depuis le village de ce nom, se prolongeait au nord, sur les territoires actuels de Sugnens, de Fey et de Rueyres;
2° Les grands bois de Vuarrens et d’Essertines, qui couvraient les territoires de ce nom, entre les rivières du Sauteruz et du Buron 1;
3° Les bois du Buron, entre cette rivière et le Talent, qui occupaient en partie les territoires de Gumoëns et de Penthéréaz;
4° Enfin, l’ancienne forêt d’Orjulaz, sur la rive gauche du Talent. Les bois d’Orjulaz, dans la commune de Bioley, ne sont qu’un faible reste de cette vaste forêt qui occupait, au XIIe siècle, la plus grande partie des territoires communaux d’Oulens, de Bretigny, de Bioley et d’Etagnières 2.
De ces anciennes forêts, les deux premières appartenaient dans le moyen âge au domaine de l’évêque et du chapitre de Lausanne, tandis que les deux dernières étaient demeurées dans le domaine du roi et de ses grands vassaux.
C’est sur le sol de ces forêts domaniales et aux dépens de leur étendue primitive que les églises, les châteaux et les nombreux villages des Jorats, du district d’Echallens et même du Gros-de-Vaud, ont été fondés peu à peu. L’époque de leur fondation est encore incertaine; néanmoins, l’étude des premières chartes qui font mention de ces localités /XV/ habitées, indique qu’elle ne remonte guère au delà du XIIe siècle. Même à cette époque plusieurs de ces villages, aujourd’hui plus ou moins florissants et entourés d’une certaine étendue de terrains cultivés, ne consistaient que dans une ou deux fermes isolées au milieu des bois 1. Ce n’est que dans la première moitié du siècle suivant que certaines localités de ces régions agrestes et sauvages obtinrent de leurs seigneurs respectifs des chartes de concession qui supposent qu’elles venaient de se constituer en communes rurales séparées des communes voisines 2.
Aucun document connu jusqu’ici ne fait mention d’Echallens, antérieurement à la bulle du pape Innocent II, de l'an 1141, dont on a parlé plus haut 3. Ce village, peu considérable, n’avait alors qu’une simple chapelle (Capella de Charlens) filiale de l’église baptismale de Gumoëns 4. Cette chapelle fut cependant érigée en église paroissiale vers la fin du même siècle, ce qui indique qu’Echallens était en voie de prendre l’importance qu’il acquit plus tard comme chef-lieu de la seigneurie féodale du même nom, importance que lui assignait naturellement sa position /XVI/ centrale au milieu des possessions de la maison de Montfaucon.
L’époque de la construction d’un château près de la bourgade ouverte d’Echallens est incertaine. Aucun document antérieur au milieu du XIIIe siècle ne fait une mention expresse de ce château 1. A cette époque, il faisait déjà partie du domaine féodal des Montfaucon, soit qu’il eût été bâti par les seigneurs de ce nom, à la fin du siècle précédent, soit que cette construction fût l’œuvre de leurs vassaux dont les sires de Montfaucon rachetèrent ensuite les droits utiles pour les réunir au domaine éminent 2. Quoi qu’il en soit, ce château, situé à une portée de mousquet du bourg actuel, au bord d’un escarpement au pied duquel coule le Talent, fut presque entièrement rebâti à neuf par Louis de Châlons, prince d’Orange, vers le milieu du XVe siècle. Ce prince fit élever une seconde tour, dont la partie inférieure subsiste à l’angle méridional de l’ancien château 3. Il venait à peine d’être rebâti et agrandi lorsqu’il fut pris et incendié par les Suisses en 1475, en même temps que les châteaux voisins de Saint-Barthélemi, de Bavois et de Belmont 4. L’ancien château fut réparé au milieu du siècle suivant pour servir de demeure aux baillis bernois et fribourgeois 5. Plus tard, dans la première moitié du XVIIIe siècle, ces deux Etats /XVII/ firent bâtir à neuf le corps de logis qui occupe le nord de l’enceinte du château actuel 1.
Au XIIIe siècle, le lieu d’Echallens comprenait le château (castrum), le bourg (burgus) et le village (villa) d’Echallens. L’église paroissiale occupait, dans le village, l’emplacement de l’église mixte actuelle, située au levant de l’enceinte du bourg, à la droite de la route cantonale de Lausanne à Yverdon 2. A cette époque reculée, le bourg proprement dit était déjà entouré d’une clôture et fermé de portes aux deux bouts de la rue principale 3. Plus tard, vers le milieu du XIVe siècle, Girard de Montfaucon, seigneur d’Orbe et d’Echallens, agrandit cet ancien bourg, le réunit au château et entoura le tout ensemble d’une ceinture de murailles et de fossés. Ces travaux étaient à peine achevés lorsque la population fut décimée par la peste (juin 1348-1349). Le fléau ayant cessé ses ravages, Girard et dame Jaquette de Grandson, sa femme, octroyèrent au bourg d’Echallens les franchises de la ville de Moudon (a° 1351) 4.
Dès lors ce bourg se repeupla rapidement; les habitants, affranchis de toute taxe arbitraire, purent se livrer avec sécurité à l’industrie et au commerce, qui, en même temps, augmentaient les revenus de la seigneurie. Echallens devint, de fait comme de nom, le chef-lieu d’un district féodal assez étendu, et le principal marché des denrées et du trafic /XVIII/ du plateau du Jorat et du Gros-de-Vaud. Le seigneur y prélevait un péage dont l’existence remontait déjà au milieu du siècle précédent. Plusieurs moulins et d’autres usines, ainsi que des étangs poissonneux alimentés par les eaux du Talent, formaient une autre branche du revenu de la terre. Echallens fut en outre le siége de la justice civile et criminelle de toute la châtellenie, où se jugeaient en dernier ressort tous les procès débattus dans les cours des vassaux de la seigneurie.
A trois quarts de lieue du bourg d’Echallens, vers le sud-ouest, s’élève le château de Saint-Barthélemi, d’où la vue s’étend au loin et domine tout le plateau environnant. Ce château est mentionné, pour la première fois, sous le nom de Gumoëns-le-Châtel (Castrum de Gomoens), dans une charte de la seconde moitié du XIIe siècle 1. Il fut bâti au milieu des bois, sur un mamelon que la rivière du Talent environne de trois côtés. Son nom primitif se rapporte à celui de l’ancienne paroisse de Gumoëns-la-Ville dans laquelle il était compris avant le démembrement de cette grande paroisse 2. Ce château, appelé plus tard Gumoëns-Saint-Barthélemi (1404), et enfin Saint-Barthélemi tout court (1518), a pris le nom de la chapelle voisine, dédiée à Saint-Barthélemi, dont on a fait connaître plus haut l’origine. /XIX/
Ebald, fils puiné de Jacques, seigneur de Gumoëns-le-Châtel, ayant reçu en 1265 du couvent de Romainmotier à titre de fief-ferme, et sous certaines conditions, des fonds et des ténements dépendants de la chapelle de St-Barthélemi dans les territoires de Bretigny et d’Eclagnens, avec leurs tenanciers, ce seigneur se sépara de son frère aîné, qui possédait Gumoëns-le-Châtel, et fit bâtir pour lui au pied de ce château une maison-forte (domum), entourée de murailles et de fossés, dont il reste quelques ruines dans le village actuel de Bretigny sous St-Barthélemy 1. Dès lors, l’ancienne terre de Gumoëns-le-Châtel se trouva partagée en deux fiefs nobles, dont l’un dépendait du château dessus de Saint-Barthélemi, et l’autre du château dessous, soit de Bretigny 2. Du reste, l’un et l’autre relevaient directement du château d’Echallens. Au commencement du XVe siècle le Châtel-dessus de Saint-Barthélemi appartenait à Jaquette, fille unique et héritière de Jean de Gumoëns-le-Châtel, femme de Henri de Chissey, qui prêta hommage de ce château à Marguerite de Montbéliard, dame d’Echallens (23 avril 1404) 3. Il passa ensuite, par les femmes de la maison de Chissey, aux nobles Champion, et de ceux-ci à la maison /XX/ de Pesme, qui le reconnut en 1518 comme un fief mouvant directement du château d’Echallens 1. Dans le même temps (1404), Jaquet de Gumoëns, issu d’une branche collatérale des seigneurs de ce nom, possédait la maison forte, soit Châtel-dessous de St-Barthélemi, dont il prêta, de son côté, hommage à Marguerite, dame d’Echallens, sa suzeraine 2. Le Châtel-dessous parvint ensuite à Perronette de Gumoëns-le-Châtel, mariée en premières noces à Nicod de Lugrin et secondement à Jean d’Aubonne, laquelle en prêta reconnaissance au château d’Echallens (a° 1518) 3, pour elle et pour ses enfants issus des deux lits, qui transmirent ce fief à leurs descendants 4.
Dans l’origine le village de Gumoëns-la-Ville, chef-lieu d’une vaste paroisse, était la résidence de plusieurs familles de chevaliers (milites) et de ministériaux (ministri), dont les possessions étaient éparses dans le Jorat et le Gros-de-Vaud 5. Loin de former une seigneurie compacte, son territoire était alors partagé en plusieurs chevances ou arrière-fiefs, relevant de divers supérieurs ecclésiastiques et laïques indépendants les uns des autres. Ces arrière-fiefs furent /XXI/ successivement réunis à la mouvance directe du château d’Echallens. Dans le XIIe siècle et jusqu’à la fin du XIIIe on trouvait à Gumoëns-la-Ville:
1° Les fiefs nobles des chevaliers (milites) de Gumoëns 1;
2° Les fiefs nobles des chevaliers (milites) de Cicon 2;
3° La chevance des majors (Villici) de Gumoëns 3;
4° La chevance des Grillards, Donzels (Domicelli) de Gumoëns 4;
5° Enfin, le domaine non fieffé de la cure de Gumoëns-la-Ville, qui dépendait de l’abbaye de Montbenoit 5.
L’église adoptant les errements du régime féodal avait inféodé à des laïques la majeure partie de ses propriétés, terres, dîmes et censes fonciers, en réservant toutefois la portion nécessaire à l’entretien du culte et des édifices religieux, ainsi qu’à celui des curés et des vicaires 6. Les propriétés de l’abbaye de Montbenoit et des autres églises, dans le district d’Echallens, se trouvaient ainsi divisées en domaine propre ou non fieffé, et en domaine fieffé, dont les tenanciers étaient tenus, soit envers le supérieur du /XXII/ couvent soit envers le patron de l’église, d’en prêter hommage et de s’acquitter des services stipulés dans les chartes d’inféodation. Il y a donc toute apparence que plusieurs vassaux de ce district 1, et ceux de Gumoëns-la-Ville en particulier, tenaient primitivement leurs fiefs de l’abbaye de Montbenoit, et, plus tard, des seigneurs auxquels cette abbaye avait transmis ses droits. Ceci paraît à peu près certain en ce qui touche les chevaliers (milites) de Cicon, que cette abbaye comptait au nombre de ses premiers bienfaiteurs 2. Quant aux majors de Gumoëns-la-Ville, on sait que le titre de major ou maire, villicus en latin, désignait l’officier qui était chargé d’administrer les domaines ruraux d’un seigneur ecclésiastique 3.
Berthold de Neuchâtel, évêque de Lausanne, ayant acquis pour le prix de dix-sept livres, la quatrième partie de la dîme de la paroisse de Gumoëns-la-Ville 4, cette portion des anciennes dîmes du territoire forma, sous la mouvance des évêques de Lausanne, un nouveau fief, que les successeurs de Berthold sur ce siége inféodèrent plus tard aux nobles de Gumoëns 5, fondateurs du couvent de Montheron, /XXIII/ qui tenaient déjà de l’église de Lausanne la foresterie des grands Jorats. D’un autre côté, Guy et Willelme de Gumoëns, chevaliers, ayant eu des démêlés avec le chapitre de la cathédrale, donnèrent à ce chapitre, à titre de dommages-intérêts et d’aumône, trois ténements à Gumoëns-la-Ville avec les ténementiers et leur postérité, pour un accommodement fait entre eux en 1212 1. Dans le même temps le chapitre inféodait à Guy de Fontaine le fief de Villaret devant Gumoëns, dont Girard de Gumoëns, doyen et chanoine de Lausanne 2, avait fait l’aumône à Notre-Dame avant sa mort, et que Willelme de Gumoëns, dit le Roux, disputait au chapitre 3.
A Eclagnens on trouvait, à la même époque, deux fiefs mouvants de divers seigneurs, savoir: 1° Le fief (firman) de la chapelle de Saint-Barthélemi, dont on a parlé tout à l’heure. Il comprenait, en 1265, six chefs de famille avec leurs ténements, sur lesquels le seigneur n’avait cependant que la juridiction inférieure 4. 2° Les biens et les revenus non fieffés de la chapelle de Saint-Barthélemi rière /XXIV/ Eclagnens, Gumoëns-le-Châtel, Bretigny et Oulens, qui formaient la prébende du chamérier (camerarius) du couvent de Romainmotier, chargé d’entretenir la chapelle et d’y faire célébrer chaque semaine une messe en mémoire des bienfaiteurs et des seigneurs d’Echallens 1. 3° Le fief des Grillards, donzels d’Eclagnens, ancienne famille dont il est déjà fait mention dans les chartes du XIIe siècle 2. Cet arrière-fief relevait de messire Barthélemi de Cicon, dit de Gumoëns, qui vendit en 1285 pour sept livres estevenants à Gauthier, sire de Montfaucon, seigneur d’Orbe et d’Echallens 3, la mouvance de ce fief. Dès lors cette portion du village d’Eclagnens et le fief des Grillards en général releva directement du château d’Echallens 4.
Entre Gumoëns-la-Ville et Bavois s’élevait jadis un château ou plutôt une maison forte (domum fortem), appelée Gumoëns-le-Jux ou Le Crau, qui a donné son nom au village voisin. Il y a toute apparence que cette maison forte fut bâtie sur l’emplacement d’une ancienne tour qui existait déjà au XIIe siècle sous le nom de Turris de Thela, ou Tour-de-Talent. Elle appartenait en 1184 à la noble famille de Gumoëns, bienfaitrice du couvent de Montheron 5. /XXV/ Quoi qu’il en soit, la maison forte de Gumoëns-le-Jux était déjà démantelée et inhabitée vers le milieu du XVe siècle, et les Suisses consommèrent sa ruine en y mettant le feu pendant la guerre de Bourgogne (1475) 1. Dès lors, ce château ne fut jamais rebâti. Au sud-est du village, près du mamelon sur lequel il était assis, on voit encore les restes des fossés et remparts qui l’environnaient 2.
Humbert de Gumoëns, damoiseau, avoué de Montheron et haut-forestier de l’évêque dans les Jorats, se voyant sans enfants, avait vendu ou cédé entre-vifs au duc de Savoie Amédée VIII, soit au pape Félix V, sa maison forte de Gumoëns-le-Jux, avec les bois de Vaud (nemus vallis) et tout le fief qui en dépendait dans la châtellenie d’Echallens, sous réserve de la jouissance viagère. Après la mort de Humbert, le duc Louis de Savoie, fils et successeur d’Amédée, revendit cette maison forte, avec toutes ses appartenances, à messire François de Gumoëns-la-Ville, seigneur de Bioley-Magnod, pour la somme de cent ducats d’or, par acte daté du 27 décembre 1447 3. Le 5 janvier de l’année suivante, Louis de Châlons, prince d’Orange et seigneur d’Echallens, ratifia cette vente comme seigneur dominant du fief de Gumoëns-le-Jux 4. En même temps, François de /XXVI/ Gumoëns acquit des hoirs des nobles François Cuaneti, donzel, le manoir paternel que ceux-ci possédaient de toute ancienneté au haut du village de Gumoëns-la-Ville. Ce manoir, appelé dès lors le Châtel-dessus 1, devint la maison seigneuriale de la terre de Gumoëns-le-Jux. Cette terre demeura dans la maison des nobles de Gumoëns jusqu’à Claude, fils unique de Pierre de Gumoëns-le-Jux, qui, par son testament du 19 janvier 1619, légua le fief de Gumoëns-le-Jux avec sa maison de Gumoëns-la-Ville à Jaqueline, sa sœur, femme de Daniel Châlon, donzel de Cully, qui transmit cette terre à ses enfants 2.
Les seigneuries particulières, de même que les territoires de plusieurs villages du Jorat, s’étaient, sinon formés, au moins fort agrandis aux dépens de l’étendue des grands bois environnants, qui, dans l’origine, n’étaient point compris dans les anciennes circonscriptions paroissiales des églises voisines. Tandis que les grandes terres de Bavois, de Belmont, de Pailly et de Berchier formaient autant de seigneuries compactes et pour ainsi dire d’un seul tenant, les seigneuries de Saint-Barthélemi, de Gumoëns-la-Ville et de Gumoëns-le-Jux 3 n’offraient au contraire qu’un /XXVII/ assemblage de membres de fiefs et de tenures, de dîmes et de censières dispersées et entremêlées dans diverses localités de l’ancienne châtellenie d’Echallens. Ces seigneuries particulières, semblables aux cases d’un échiquier, s’étaient formées peu à peu en rattachant au manoir patrimonial du possesseur ces chevances de diverses sortes.
Plusieurs villages et hameaux se sont élevés sur le sol défriché de certains mas de bois détachés des anciennes forêts domaniales et concédés à des couvents ou à des particuliers. On citera comme exemple les villages actuels de Bretigny, de Malapalud, du Buron et de Montandrey, de Bretigny-sur-Morrens et de Cugy, dans les Jorats. Les nobles de Gumoëns, bienfaiteurs de l’abbaye de Montheron (de Thela), avaient donné à ce nouveau monastère une partie du bois des Alloux (au Petit-Buron), la Condemine, appelée Grand-Buron, avec des terres et des serfs à Penthéréaz 1. D’un autre côté, les seigneurs de Fonts avaient cédé à l’abbaye tous leurs droits sur leur bois de Hautefin, soit de la Chauchy, confinant d’un côté au Buron, et, de l’autre, aux grands bois de Vuarrens 2. Les religieux de Montheron bâtirent une grange, soit un ou plusieurs corps de ferme, au /XXVIII/ centre de ce mas, près du grand ruisseau du Buron qui a donné son nom à ce domaine. Cette grange est déjà mentionnée parmi les possessions de l’abbaye dans la bulle que le pape Alexandre III octroya à ce couvent en 1177 1. Le mas du Buron parvint à la ville de Lausanne en 1536, à la suite de la sécularisation de l’abbaye de Montheron. Il contenait alors 130 poses de champs, 60 poses de prairies et une cinquantaine de poses de bois 2.
Le mas de Montandrey, désigné sous le nom de terre de Saint-André dans les anciennes chartes, avait été donné par les nobles de Villars-le-Terroir à l’abbaye de Montheron, avec les bois environnants 3. Plus tard, les donzels de Villars ayant accru ce domaine d’un mas de bois contigu limité par le Sauteruz, l’abbaye leur inféoda la totalité du mas de Montandrey à charge d’hommage-lige et d’un cens de deux muids de froment (a° 1281). Il fut stipulé en même temps que l’abbaye prélèverait la dîme sur les bois inféodés, s’ils venaient à être extirpés et mis en culture 4. Les nobles de Colombier, descendants de N. Girard de Villars-le-Terroir, prêtèrent hommage en 1311 à l’abbaye de Montheron pour le mas de Montandrey et pour quatre /XXIX/ hommes taillables de Villars-le-Terroir,avec leur ténement 1. Vers la fin du même siècle (a° 1378), Humbert de Colombier, seigneur de Vullierens, chevalier, petit-fils de Girard de Villars-le-Terroir, donzel, légua à l’abbaye de Montheron: 1° trois muids de cense de vin du Dézaley; 2° une cense annuelle, de mille harengs fumés, pour la pidance du couvent; et 3° quarante sols de cense assignés sur son pré du Franoz à Villars-le-Terroir 2. Les héritiers de messire Humbert voulant se libérer de ce legs considérable rétrocédèrent à l’abbaye la totalité du fief de Montandrey par un acte daté du 28 août 1388 3. Ce domaine parvint, en 1536, à la ville de Lausanne, en même temps que celui du Buron 4.
Le territoire actuel de Villars-le-Terroir renferme deux autres mas, dont il est parlé dans les anciens documents comme constituant des fiefs mouvants du château d’Echallens, savoir, la grange de Jor ou d’Orjux, et les bois de Magnens ou Manens. La grange de Jor appartenait aux nobles de Gumoëns-le-Jux, qui en léguèrent une portion à l’abbaye de Montheron (a°1360-1361) 5, et qui lui vendirent le reste (a°1405) pour le prix de 25 livres, monnaie de /XXX/ Lausanne 1. Les bois de Magnens et le ténement de même nom, situés entre les ruisseaux du Sauteruz et de la Lèchiére, appartenaient, à la fin du XIIe siècle, au chevalier Dalmace de Giez, dit de Sugnens, officier fieffé des sires de Montfaucon 2. Ceux-ci revendiquaient la mouvance de ce fief, dont l’abbaye de Montheron venait de faire l’acquisition. Cette abbaye abergea, par la suite, le ténement des planches et bois de Magnens à divers particuliers de Villars-le-Terroir 3, principalement aux Métraux de ce village, qui avaient pris le nom de cet office rural, devenu héréditaire dans leur famille 4. Du reste, le fractionnement de la propriété féodale existait au même degré dans les autres territoires communaux du ci-devant bailliage d’Echallens. La commune de Poliez-le-Grand et les habitants francs ou taillables de ce village étaient répartis féodalement entre le Prieuré de Lutry 5, l’abbaye de Montheron 6 et celle du Lac-de-Joux 7, sans compter les possesseurs laïques et leurs vassaux. Il en /XXXI/ était de même des villages de Penthéréaz, d’Oulens, d’Eclagnens, de Bioley-Orjulas, d’Assens et d’Etagnières.
Le morcellement du territoire de l’ancien bailliage d’Echallens s’explique, du reste, par la nature de son sol jadis couvert de grands bois et de taillis. Vers la fin du XIIe siècle, la majeure partie de ce territoire forestier appartenait aux sires de Montfaucon, comtes de Montbéliard et seigneurs d’Orbe 1. Ceux-ci avaient remis l’administration et la garde de leurs forêts, soit à des gentilshommes vassaux (milites) 2, soit à de simples ministériaux (ministri), habitants libres et francs des villages voisins de ces forêts 3. Ces officiers fieffés prélevaient une part dans les produits des bois, ou recevaient en fief des quartiers plus ou moins étendus de terrains boisés, avec faculté de les défricher et de les mettre en culture, soit par eux-mêmes soit par leurs propres tenanciers, à charge du service féodal et de certaines prestations réservées en faveur du seigneur dominant ou tréfoncier 4.
Les nobles de Gumoëns tenaient le premier rang parmi les feudataires des sires de Montfaucon dans le district d’Echallens. Cinq personnes du nom de Gumoëns figurent /XXXII/ déjà comme vassaux et cofidéjusseurs de Richard, comte de Montbéliard, et de Gauthier de Montfaucon, son frère, dans l’accommodement fait, en 1199, entre eux et l’abbaye de Montheron, au sujet de la propriété féodale du Buron, des bois de Magnens au territoire de Villars-le-Terroir, et de la dîme des Saugeales au Jorat 1. Parmi ces personnages on distingue noble Girard de Gumoëns, qui, bientôt après, fut investi par les Montfaucon, si ce n’est du châtel et de la terre de Gumoëns-Saint-Barthélemi, au moins d’une partie de la forêt domaniale d’Orjulas et de la garde générale de cette forêt. C’est ce qui résulte clairement d’un document de l’an 1230 environ, par lequel Girard, qui se dit en même temps seigneur (dominus) de Gumoëns et vassal d’Amédée, sire de Montfaucon 2, certifie que le comte Richard, père d’Amédée, avait accordé naguère à l’abbaye du Lac-de-Joux, pour sa grange d’Oulens, le droit d’usage et de pâturage dans sa forêt d’Orjulaz (in nemore de Oriola).
Venaient ensuite les nobles de Cicon, qui, de la Franche-Comté, étaient venus s’établir à Orbe 3 et, de là, dans le district d’Echallens, où ils tinrent des fiefs nobles à /XXXIII/ Gumoëns-la-Ville 1 et à Eclagnens, ainsi qu’il a été dit ci-devant. Il paraît même qu’une branche de cette ancienne maison franc-comtoise 2 prit le nom de Gumoëns, ce qui répand quelque confusion dans l’histoire généalogique de cette dernière maison. Un autre rameau des Cicon prit le nom de Willafans, et donna plusieurs châtelains à Echallens 3. Ce rameau des Cicon existait encore au XVIe siècle, et tenait des biens à Eclagnens et à Chavannes, quoique bien déchu de son ancienne fortune 4. On a parlé des nobles donzels de Villars-le-Terroir, qui devinrent seigneurs de Colombier-sur-Morges et qui, sous ce nouveau nom, ont tenu un rang distingué dans la patrie de Vaud, comme gouverneurs ou baillis pour les princes de Savoie 5 et comme preux chevaliers.
Les revenus des forêts seigneuriales étaient de plusieurs sortes. Ils consistaient d’abord dans certaines redevances annuelles, acquittées par les habitants ou manants des villages environnants, en raison du droit qui leur avait été concédé par le seigneur de couper dans sa forêt tout le bois de chauffage et de marinage nécessaire à leurs besoins domestiques, et d’y faire paître leurs troupeaux dans certaines saisons de l’année 6. Cette redevance se payait à raison /XXXIV/ du nombre des feux (focum facientes); elle consistait, pour les uns, dans une coupe d’avoine (aveneria), et, pour les autres, en un pain de quatre livres (paneteria) 1, outre la finance d’argent (forestagium), qui variait suivant l’étendue des droits concédés. Venaient ensuite les redevances acquittées par les usagers pour la faculté de recueillir dans les bois le miel, la cire et les essaims des abeilles sauvages 2, de récolter le gland et la faine, et de chasser le menu gibier. On trouve des concessions faites dans la première moitié du XIIIe siècle, par les nobles de Gumoëns, aux habitants et manants des villages de Corcelles, de Ropras, de Peney, de Villars-Mendras, de Villars-Tiercelin et de Sugnens, concernant l’usage (usum) des bois du Jorat-Oriental appartenant à l’évêque de Lausanne, dont ces nobles tenaient en fief la foresterie du Haut-Jorat 3. Ces droits d’usage multiples /XXXV/ et variés, qui exigeaient de la part des gardes-forestiers (forestarii) et autres préposés une surveillance continuelle, donnaient lieu à de fréquents abus, et les contrevenants encouraient des amendes (banna) et d’autres peines plus graves. De là l’institution d’une juridiction forestière, attribuée aux officiers fieffés du seigneur auquel la forêt appartenait.
Enfin, une autre source de revenu des forêts consistait dans la permission accordée par le seigneur, comme propriétaire tréfoncier, de faire des essarts dans les limites de sa forêt, c’est-à-dire d’extirper quelque portion du sol forestier pour le convertir soit en terres labourables soit en prairies. Le produit éventuel de ces terrains défrichés ne pouvant guère être apprécié d’avance, le seigneur imposait au concessionnaire l’obligation de lui payer la dixième partie de tous les fruits 1. De là vient peut-être la constitution d’une sorte de dîme, dont l’origine purement féodale paraît n’avoir rien de commun que le nom avec la dîme ecclésiastique 2. Cette dîme forestière, qui se confondit plus tard /XXXVI/ avec les grandes dîmes (decimam magnam), se prélevait sur de grands districts appelés dîmeries (Receveria), embrassant des terrains appartenant à plusieurs circonscriptions paroissiales différentes, sur lesquels les églises n’avaient droit à la dîme que pendant les trois premières années 1. Ces grandes dîmeries rappelaient en quelque sorte l’étendue primitive des anciennes forêts domaniales.
Le ci-devant bailliage d’Echallens présentait plusieurs grandes dîmeries féodales de cette nature. Telle était la grande dîme d’Assens, autrement dite de Vaux (Vuas en latin), qui se prélevait anciennement sur les quartiers détachés de la partie méridionale de la forêt d’Orjulaz, soit dans les territoires de Bioley, d’Assens, de Malapalud et d’Etagnières, concurremment avec la dîme du curé d’Assens 2. Le territoire d’Oulens et le versant occidental de la terre d’Echallens formaient de même une dîmerie assez étendue 3. Plus tard, ces deux Recéveries de dîmes furent réunies en une seule et formèrent ensemble un fief unique, relevant directement du château d’Echallens 4. Les sires de Menthon, /XXXVII/ qui, en reprenant ce fief de dame Marguerite de Montbéliard, dame d’Orbe et d’Echallens, s’étaient engagés envers cette noble dame à lui livrer à chaque mutation du seigneur ou du vassal, une mule blanche ferrée d’argent, obtint de Louis de Châlons, prince d’Orange, successeur de Marguerite, dans la seigneurie d’Echallens, que cette mule fût remplacée par un faucon-gentil, c’est-à-dire parfaitement dressé à la chasse 1. Lorsqu’Echallens eut été conquis par les villes souveraines de Berne et de Fribourg, les sires de Menthon vendirent leur fief de la dîme d’Oulens et d’Etagnières à N. Pierre Faulcon, chevalier fribourgeois, pour la somme de six mille florins d’or, qui équivalent à plus de cent mille francs de notre monnaie 2. A cette époque, les dîmes inféodées par l’Eglise et les dîmes curiales 3 étaient partagées entre les curés et divers tenanciers laïques, tandis que les dîmes forestières constituaient dans l’ancienne seigneurie d’Echallens un fief distinct et particulier 4.
Ces exemples, qu’on pourrait multiplier au besoin, nous expliquent pourquoi certains fonds étaient chargés d’une double dîme: l’une cléricale, dont l’origine est fort connue, et l’autre, fondée par les seigneurs tréfonciers dans leurs propres alleux (in allodiis laïcorum), soit à leur profit, soit au profil des églises et chapelles dont le patronage leur /XXXVIII/ appartenait en propre 1. Quant aux dîmes prélevées sur les terrains nouvellement défrichés, elles se confondirent avec les novales; quoique, dans le principe, ce mot ne dût s’entendre que des terrains remis en culture après un temps de repos plus ou moins long (ager de novo ad culturam redactum). A Epalinges, et dans d’autres localités du Jorat, le haut chapitre de Lausanne prélevait la dîme simple sur les esserts jusqu’à ce que la charrue y eût passé; après quoi, il percevait double dîme 2: l’une seigneuriale et l’autre paroissiale. Après la conquête du Pays-de-Vaud (1536), les villes de Berne et de Fribourg décrétèrent que les dîmes des novales en général appartiendraient pendant les trois premières années aux églises paroissiales, après quoi elles seraient de plein droit réunies aux grandes dîmes 3, c’est-à-dire aux dîmes seigneuriales.
Afin d’encourager le défrichement des bois et la culture des terrains improductifs, et d’augmenter ainsi leur revenu, les seigneurs tréfonciers associèrent à ces entreprises leurs vassaux et d’autres tenanciers auxquels ils inféodèrent une partie de ces terrains, avec une portion déterminée de la dîme et des services fonciers acquittés par le cultivateur. /XXXIX/ Dès le XIIe siècle, les dîmes seigneuriales des Jorats et du Gros-de-Vaud se trouvaient divisées et subdivisées en parties aliquotes entre le seigneur tréfoncier (dominus fundi), ses vassaux et ses arrière-vassaux (milites, ministri).
En 1154, la dîme du territoire de Pailly était divisée en deux parts, dont Henri de Gumoëns tenait l’une en fief des sires de Belmont 1, et dont l’autre part avait passé, en 1177, à Richard, seigneur de Saint-Martin 2. La dîme du territoire de Montheron, qui appartenait à Humbert, sire d’Aubonne, se trouvait inféodée aux nobles de Gumoëns pour une moitié, aux nobles d'Ecublens pour un quart, et pour un quart aux chevaliers d'Eclépends dits Grasset 3. Dans le même temps, le sire d’Aubonne avait engagé à messire Ulric de Gumoëns, chevalier, la dîme d’Echallens pour cent sols, que ce dernier avait prêté au premier 4. Plus tard, ces dîmes, de même que les dîmes curiales, entrèrent dans la circulation; elles furent achetées et revendues, soit à prix d’argent soit contre le payement d’une cense annuelle et fixe 5: circonstance qui ne permet guère de remonter à l’origine de chacune de ces différentes natures de dîmes, ni de les suivre dans leurs divers changements de main. L’abbaye de Montheron avait acquis par échange des nobles de Bière la moitié de la dîme de Vaud, dont nous avons parlé plus haut, qui se prélevait /XL/ dans les finages d’Assens, de Malapalud et autres localités du Jorat (en 1385) 1. Un peu plus tard, en 1422, elle acquit pour le prix de 200 écus d’or (environ 10 000 fr.) un autre quart de la même dîme des chevaliers d’Yvory de Salins 2, le dernier quart de la grande dîme appartenant aux nobles de Chissey, seigneurs de Gumoëns-St-Barthélemi, dont les descendants en prêtèrent reconnaissance aux hauts seigneurs d’Echallens en 1518 3. Les dîmes des autres territoires communaux de ce ci-devant bailliage étaient divisées et subdivisées de la même manière entre les églises, les couvents, et divers particuliers de l’ordre laïc 4.
Du reste, la possession de ces dîmes, quelle que fût leur provenance, n’impliquait aucun droit de seigneurie ou de juridiction sur les lieux où ces dîmes se prélevaient, à moins que cette juridiction (placitum) ne fût expressément comprise dans la première inféodation 5. Nous ferons remarquer en même temps que les seigneurs vassaux de St-Barthélemi et Bretigny, de Gumoëns-la-Ville, de Gumoëns-le-Jux et de /XLI/ Mex, non plus que les autres vassaux de l’ancienne châtellenie d’Echallens, n’avaient généralement qu’une juridiction inférieure sur leurs fiefs et sur leurs propres tenanciers; à l’exception du seigneur de Gumoëns-le-Châtel (Saint-Barthélemi) qui possédait dans le mandement de ce château l’omnimode juridiction civile et pénale, à la réserve du dernier supplice. Il avait, en outre, la connaissance (cognitionem) des délits commis par ses propres tenanciers demeurant hors des limites de ce mandement 1.
Le seigneur de Gumoëns-le-Jux avait l’omnimode juridiction dans l’enceinte des murailles de cet ancien château ruiné, à l’exception toutefois du dernier supplice, de mutilation de membres, et de la juridiction souveraine 2. Par contre, les seigneurs de Gumoëns-la-Ville, dessus et dessous, de même que le seigneur de Saint-Barthélemi (dessous) et Bretigny, n’avaient qu’une juridiction patrimoniale dans leur propre manoir et sur leurs hommes de corps 3. Il en était de même dans la seigneurie de Mex (ou May), divisée en deux fiefs principaux, qui, après avoir /XLII/ relevé du château de Cossonay, furent réunis à la mouvance directe du château d’Echallens, à une époque qui est encore incertaine. Les co-seigneurs de Mex possédaient sur leurs fiefs respectifs l’omnimode juridiction, sauf le dernier supplice et le ressort ou l’appel, réservé au supérieur féodal. Ils étaient tenus, ainsi que leurs gens, de contribuer, comme les autres vassaux du ressort, aux fortifications et à la garde du château d’Echallens 1. Il suit de tout cela que le seigneur d’Echallens avait seul la haute juridiction criminelle et le dernier supplice dans toute l’étendue du ressort de cette ancienne châtellenie; qu’on appelait à sa cour suzeraine de toutes les causes civiles et pénales jugées dans les cours inférieures des vassaux et des possesseurs ecclésiastiques, qui tous, sans distinction d’état ou de rang, prêtaient hommage-lige au seigneur d’Echallens, et le reconnaissaient pour leur supérieur féodal direct et immédiat, sans autre réserve que les services et la fidélité qu’ils pouvaient devoir à d’autres seigneurs pour les biens qu’ils tenaient dans les lieux situés hors de la châtellenie d’Echallens.
On a déjà vu que les nobles de Gumoëns, feudataires /XLIII/ des sires de Montfaucon pour les terres ci-devant mentionnées dans le ressort d’Echallens, étaient en même temps vassaux de l’évêque de Lausanne pour une partie de leurs biens patrimoniaux à Gumoëns-la-Ville, pour la foresterie du Jorat et des bois de Vernand, et pour l’avouerie de Montheron 1. Plusieurs membres de cette noble et ancienne famille tenaient, en outre, des fiefs, savoir: des sires de Belmont, à Pailly 2; des sires de Cossonay, à Berchier; des sires d’Oron, à Boussens; des seigneurs de Duyn et de Vufflens, à Colombier et à Bussy, et des seigneurs d’Aubonne, pour les biens qu’ils avaient à Bavois et à 3.
La condition des personnes et des terres dans l’ancienne châtellenie d’Echallens éprouva plusieurs changements dans l’espace de temps compris entre le XIIe et le XVe siècle. Au commencement de cette période, on trouve encore un certain nombre de petits propriétaires plus ou moins libres disposant de leur personne et de leurs biens, meubles et immeubles, avec le consentement du seigneur dominant qui représentait alors la personne du souverain ou l’Etat 4. /XLIV/ Ces petits propriétaires ne tardèrent pas à modifier leur première condition en prenant des terres en abergement ou à cens, des grands propriétaires fonciers, tels que les seigneurs, leurs vassaux (milites) et les couvents. De là, une classe intermédiaire de cultivateurs, libres quant à leur personne, mais engagés dans la servitude quant à la terre qu’ils exploitaient. Ils sont appelés homines casati et rustici dans les chartes du XIIe siècle, et, plus tard, francs-habergeants, censitaires 1, et leur ténement rural casamentum, aberjamentum, ou abergement. Quoique cet assujettissement à la terre eût ravalé la condition originelle de ces hommes libres (pagenses) à celles des gens de mainmorte, cependant les redevances que les premiers acquittaient au seigneur ou propriétaire tréfoncier, étaient fixes et déterminées par la coutume ou par les contrats, tandis que les serfs de corps et de bien (homines ligii vel proprii ou mainmortables) étaient, en outre, assujettis à la taille, c’est-à-dire à un impôt personnel plus ou moins arbitraire 2. Cette différence essentielle subsista pendant toute la durée du moyen âge dans le district d’Echallens comme ailleurs. On trouvait des tenanciers libres et francs, mêlés avec les hommes taillables, /XLV/ dans les villages de Penthéréaz, de Villars-le-Terroir, de Poliez-le-Grand, de Bottens, d’Assens et d’Oulens 1.
Sous ce rapport, la condition des sujets de l’église et des couvents n’était pas meilleure que celle des sujets et des seigneurs laïques. Ainsi, par exemple, les habitants de Froideville au Jorat et de Boulens près Berchier, villages appartenant à l’abbaye de Montheron, étaient pour la plupart taillables à miséricorde de corps et de bien une fois par année (semel in anno) 2. Les habitants mainmortables de ces villages, serfs de l’abbaye, ne pouvaient tenir des terres d’un autre seigneur, ni contracter bourgeoisie ailleurs, ni se mettre eux et leurs biens en la sauvegarde d’autrui 3. L’affranchissement de la servitude taillable et de la mainmorte à Boulens 4 et à Froideville par l’abbaye, ne remonte /XLVI/ qu’au milieu du XVe siècle; ce dernier village fut entièrement libéré « a jugo, nexibus et servitutis tallie ad misericordiam, » par l’abbé Jean de Chesaux, en 1455 (16 mars), moyennant quarante-trois florins d’or, petits poids, et quatre sols (environ 1000 fr. de notre monnaie), que les mainmortables de Froideville payèrent au couvent. Dès lors, ceux-ci purent disposer à volonté de leur personne et de leurs biens comme les hommes francs, en continuant toutefois à s’acquitter des redevances foncières affectées sur leurs immeubles 1.
En élevant le bourg d’Echallens au rang de commune libre et franche sous la coutume de Moudon (1351), Girard de Montfaucon, seigneur d’Orbe et d’Echallens, affranchit à perpétuité les bourgeois et les habitants de ce bourg de la taille et de la mainmorte, dont cette localité n’était pas absolument exempte auparavant 2. Parmi les habitants de ce bourg on rencontre même plus tard des forains qui ne participaient pas à la franchise du lieu: ainsi, par exemple, Pierre et François de Gumoëns, seigneurs de Bioley-Magnod, avaient à Echallens un homme taillable et mainmortable qu’ils affranchirent vers l’an 1480, à condition qu’il resterait avec sa postérité homme libre et franc des nobles de Gumoëns, et leur payeraient les aides (auxilia) selon la coutume du pays, savoir: l’aide de chevalerie, de mariage de leurs filles, du voyage d’outre-mer ou de pélerinage, de rançon, et en cas d’acquisition d’une nouvelle seigneurie 3. /XLVII/
Cependant, tandis que les uns obtenaient leur affranchissement de la mainmorte, d’autres, au contraire, se donnaient personnellement avec tous leurs biens à leur seigneur ecclésiastique ou laïque. Ainsi le nommé Jean Jourdannaz, de Gumoëns-le-Jux, se donna volontairement, corps et biens, à l’abbaye de Montheron en 1412, sous les conditions accoutumées dans de telles circonstances 1. Quant aux charges qui pesaient sur les ténements ruraux et aux services dont les tenanciers étaient tenus de s’acquitter envers leur seigneur direct, les uns et les autres variaient suivant la coutume locale, la condition des personnes et la nature des terres. Les tenanciers mainmortables de Penthéréas, par exemple, devaient, en premier lieu, les usages (usagia, consuetudines), comprenant la dîme et le terrage (à raison de deux gerbes sur 12), la panéterie et l’avoinerie, à raison d’une coupe par ménage ou par feu et un chapon par année, non compris la taille annuelle. Ils devaient, de plus, la corvée, ou journées de charrue et de faux trois fois l’an, sans compter plusieurs petites redevances comprises sous le nom de pélucheries 2. Les redevances et services des libres ténementiers, censitaires ou francs-abergeants, étaient réglés par les baux emphytéotiques et les contrats d’abergement 3. /XLVIII/ Les habitants de certaines localités devaient annuellement plusieurs focages dont l’objet était différent, savoir: 1° en raison de l’habitation sur un fonds appartenant primitivement au seigneur du lieu, et de la protection que l’habitant recevait de celui-ci; 2° en raison de la jouissance des terrains communaux concédés par le seigneur tréfoncier; enfin, en troisième lieu, à cause du droit d’usage, soit d’affouage et de pâturage dans les forêts domaniales d’un autre seigneur 1.
Depuis l’érection du bourg d’Echallens en commune libre et franche (a° 1331), cet endroit comprit deux catégories d’habitants: les bourgeois, demeurant dans l’enceinte du bourg d’Echallens, et les forains, qui habitaient hors de l’enceinte et dans les hameaux de Mulinel, de la Coulisse, des Tuilières, etc. 2. Les charges que la communauté bourgeoise d’Echallens acquittait au seigneur du château sous la maison de Montfaucon, s’élevaient, en 1403, à vingt-quatre livres, quatre sols et un obole en argent, et trois muids, deux coupes et demie de froment en nature, outre le forage (ohmgeld) du vin. Du reste, les bourgeois d’Echallens jouissaient de toutes les libertés et franchises de Moudon, /XLIX/ octroyées en même temps par les sires de Montfaucon à la ville d’Orbe 1. Parmi ces franchises, l’une des plus importantes consistait dans l’exemption des lods et ventes, ou droits de mutation. Les bourgeois d’Echallens disposaient librement de leurs meubles et immeubles renfermés dans l’enceinte du bourg, quelle que fût leur valeur, moyennant une coupe de vin pour chaque vente 2. Ces franchises furent confirmées et maintenues par tous les seigneurs d’Echallens des illustres maisons de Montfaucon, de Montbéliard et de Châlons, et, plus tard, par les villes souveraines de Berne et de Fribourg. Ces villes concédèrent, en outre, au bourg d’Echallens, les mailles du vin vendu en détail, soit une obole par pot, par acte du 10 février 1582 3, puis, la totalité de l’ohmgeld ou du forage du vin amené dans le bourg, moyennant une cense annuelle de trente florins, et la cession d’une maison convenable pour y assembler la justice (11 février 1605) 4.
La bourgeoisie d’Echallens obtint encore du souverain deux foires annuelles, qui se tenaient, l’une huit jours après la Saint-Martin d’hiver, et l’autre le lendemain de la fête de la Résurrection. Deux ans après, elle obtint, de plus, un marché hebdomadaire et un banc de boucherie. La première concession est du 8 octobre 1643, et la seconde du 2 septembre 1645 5. Dans l’intervalle (4 mars 1644) elle avait obtenu du même souverain le droit d’usage et de coupage /L/ dans les bois du Jorat dit d’Echallens, au-dessus de Lausanne 1. Le four banal du bourg d’Echallens fut abergé à perpétuité à la bourgeoisie par LL. EE. de Berne et Fribourg en 1560, moyennant un cens annuel de cinq coupes de pur froment à livrer chaque Saint-Martin au château d’Echallens, et à charge d’entretien. Le four extérieur, abergé aux Gaudard d’Echallens, n’était point compris dans cette concession 2. Les bourgeois d’Echallens avaient l’exercice de la police locale et la faculté d’imposer des amendes pour contravention à cette police. Ils étaient exempts de la pénible corvée de fournir et charrier le bois nécessaire pour l’exécution des criminels, corvée qui pesait sur les autres communes de la châtellenie 3.
Quant aux possessions des bourgeois situées hors de l’enceinte du bourg, elles étaient soumises aux mêmes redevances que celles des habitants de libre condition. Les forains devaient au seigneur la taille personnelle ou réelle, les corvées, la panéterie et l’avoinerie, selon leur état, et celle de leur tenure 4. Tous, sans distinction, payaient la dîme simple ou double, quand le terrage était compris dans cette redevance 5. Chaque année, à la mise des dîmes du château d’Echallens, les adjudicataires étaient tenus de donner un repas à la bourgeoisie de ce bourg, y compris les femmes /LI/ veuves; charge qui fut convertie plus tard en argent à raison de huit batz par homme et quatre batz par femme veuve 1.
De même que les autres vassaux et francs tenanciers de la châtellenie, les bourgeois d’Echallens étaient tenus au service militaire appelé la chevauchée, qui consistait dans l’obligation imposée à tout homme valide de suivre en armes et à ses propres dépens pendant huit jours consécutifs la bannière du seigneur allant en guerre. Le seigneur pouvait retenir ses hommes sous les armes au delà de ce temps; mais, dans ce cas, il était obligé de les défrayer et même de les indemniser de la perte de leurs chevaux, quand ils servaient à cheval 2. En 1450, les arbalétriers d’Orbe et d’Echallens suivirent en armes Louis de Châlons, leur seigneur, dans la guerre de Dauphiné, sous la conduite du capitaine Pierre de Romainmotier dit de Jougne, chevalier, qui possédait des fiefs à Oulens 3.
Quoique bien incomplets, les renseignements qui précèdent suffiront pour faire comprendre comment les sires de Montfaucon, devenus seigneurs d’Orbe d’abord, puis d’Echallens, ont pu former de toute pièce cette dernière seigneurie, qui n’existait pas auparavant. Le fractionnement de la propriété féodale dans cette région forestière /LII/ présentait, pour arriver à ce résultat, des facilités qu’on n’aurait pas rencontrées, au même degré, dans une contrée plus avancée dans la culture du sol. Les Montfaucon n’ont pas eu besoin, pour atteindre leur but, de recourir à des moyens violents ou oppressifs. Le procédé qu’ils suivirent avec sagesse et persévérance consistait à consolider et à rattacher à un centre unique les fiefs détachés et épars qui relevaient déjà de leur suzeraineté, et à en acquérir d’autres avec l’argent qu’ils tiraient, non du pays, mais de leurs riches domaines de la Franche-Comté. Il consistait, en outre, à concentrer en leurs mains et à fixer au siége de leur château d’Echallens, la haute et moyenne justice civile et pénale de tout le ressort sur lequel s’étendait leur domination, en rachetant les droits de ceux qui exerçaient sur leurs héritages et leurs fiefs une juridiction mixte ou inférieure.
Lausanne, juin 1855.
F. de Gingins.
PLANCHES:
Plans du Bourg d'Echallens et de son château

FIGURE I. — Plan du bourg d’Echallens en 1856.
A. L’ancien château d’Echallens, reconstruit en partie sous les gouvernements de Berne et de Fribourg, vers l’an 1719.
B. Porte surmontée d’une tourelle qui se trouvait, avant 1350, à l’extrémité occidentale du bourg primitif; — en démolition en 1856.
C. L’église paroissiale reconstruite, après l’an 1719, sur l’ancien cimetière du bourg primitif, en dehors de l’enceinte de 1350.
D. Nouveau pont construit sur le Talent, sur la route tendant à Orbe, en 1854.
E. Pont du Talent établi en 1850 sur le nouveau lit de la rivière, dont l’ancien lit est pointillé; — route tendant à Yverdon.
NB. L’enceinte des murs et fossés construite en 1350, autour du bourg et du château, est marquée au trait.

FIGURE II. — Plan du château d’Echallens en 1856.
L’aile du nord a été prolongée vers l’orient en 1719, à partir de la seconde tour, qui fait saillie dans le mur du château.