Quelques éclaircissements sur l’histoire des sires de Cossonay et de Prangins
par
M. Louis de Charrière
Membre de la Société d’histoire de la Suisse Romande.
(Voyez Mémoires et Documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande, Tome V.)
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L’histoire des sires de Cossonay et de Prangins présente, au treizième siècle, quelques points obscurs. Nous en avons touché quelque chose dans notre ouvrage spécial sur ces dynastes. Depuis cette publication, nous avons pris connaissance de quelques documents qui se trouvent aux archives royales de Turin, lesquels, s’ils n’éclaircissent pas ces points, y apportent cependant quelque lumière.
Du temps de Pierre de Savoie, qui acquit à sa maison le Pays de Vaud, la noblesse vaudoise se présente dans l’histoire comme divisée en deux partis: l’un, savoisien, l’autre opposé au petit Charlemagne, du moins aussi longtemps que la prépondérance de celui-ci ne supprima pas toute résistance. La maison de Cossonay, depuis la lutte de Jean de Cossonay contre Philippe de Savoie au sujet de l’évêché de Lausanne, apparaît toujours plus ou moins du côté anti-savoisien, en dépit de sa parenté avec la maison de Savoie 1 , /148/ et toutes les concessions de l’évêque Jean portent un certain caractère d’extorsion de la part de Pierre de Savoie. Cette opposition amena plus tard la chute de la branche cadette de la maison de Cossonay, celle des sires de Prangins et de Nyon, et elle apporta, nous le croyons, une grave perturbation dans sa branche aînée. Il est nécessaire de reprendre les choses de plus haut.
Humbert, sire de Cossonay, chef de sa maison, contraint sans doute par les circonstances, dut prêter hommage lige à Pierre de Savoie. On ignore sur quoi porta cet hommage, mais le suzerain ne paraît pas avoir été bien assuré de la fidélité de son vassal, puisque, le 29 mai de l’année 1244, à Evian, l’évêque Jean, frère du sire Humbert, et le sire Amédée de Montfaucon (beau-frère de celui-ci, probablement) s’en portèrent les garants, l’évêque déclarant toutefois que cette garantie n’obligeait que sa seule personne et non les évêques ses successeurs 2 . Peu auparavant (1244, 19 avril), le comte de Gruyère avait prêté hommage lige, à Romont, à Pierre de Savoie 3 ; événement sans contredit remarquable, puisque l’on vit, dans cette circonstance, un comte, jusqu’alors souverain, devenir le vassal d’un prince, d’une famille fort illustre à la vérité, mais qui n’avait alors d’autre titre que celui de chevalier et qui dépendait lui-même de /149/ son frère aîné le comte de Savoie. Le sire Humbert de Cossonay était aussi le vassal du comte Guillaume de Genève, l’antagoniste déclaré de Pierre de Savoie. Le comte Guillaume lui avait inféodé, en 1235, le château et la seigneurie de Vufflens 4 , et, dans la seigneurie de Nyon, une certaine étendue de terrain mouvait du comté de Genève 5 . Sous l’année 1225, l’on trouve déjà le sire de Prangins (c’était alors le sire Jean Ier, aussi seigneur de Cossonay, père d’Humbert) dans le nombre des vassaux du comte de Genève, qui furent les garants d’une convention conclue alors entre ce comte et le sire Aymon de Faucigny 6 . Vassal, tout à la fois, du comte de Genève et de Pierre de Savoie, la position du sire de Cossonay devenait naturellement critique par suite de l’inimitié de ses deux suzerains.
Le sire Humbert de Cossonay paraît avoir encore vécu en 1252 (avril) 7 . On lui connaît deux fils: Jean, qui lauda, en 1235, avec son père Humbert et sa mère Contesson, une donation de dîmes faite par son oncle Guillaume, sire de Prangins, à l’abbaye de Bonmont 8 , et /150/ Jaques, qui fut avec le temps sire de Cossonay. Celui-ci apparaît pour la première fois, en janvier 1250, dans le nombre des témoins et des garants de Rodolphe de Rue, alors que ce seigneur remit à Pierre de Savoie, à Moudon, le château et le mandement de Rue, et les reprit de lui en fief 9 . Jean, qui était l’aîné, dut naturellement succéder à son père dans la majeure partie de l’héritage paternel, et si nous ne l’avons pas placé, dans notre publication, parmi les sires de Cossonay, c’est que nous ne connaissions pas encore une charte de l’année 1264, dont nous parlerons bientôt.
Il paraît toutefois que, du vivant même de son père, Jaques de Cossonay était devenu le possesseur des fiefs que le sire Humbert tenait du comte de Genève, puisque, sous la date du 29 juin 1250, le comte Guillaume et son fils Rodolphe ordonnèrent à messire Jaques de Cossonay (domino Jacobo de Cossonay), de faire hommage à Pierre de Savoie pour les fiefs qu’il tenait d’eux, et cela à raison de l’hypothèque donnée par ce comte à Pierre de Savoie, /151/ laquelle comprenait tous les fiefs lui appartenant entre l’Arve et la Dranse à l’orient du lac de Genève et entre la Cluse de Gex et le pont de Barges 10 . Ainsi le sire Humbert de Cossonay avait cédé au second de ses fils les fiefs qu’il tenait du comté de Genève. Cinq années plus tard (1255, samedi après l’octave de la Purification de la Vierge), Jaques de Cossonay, fils d’Humbert, fit, à Romont, hommage lige à Pierre de Savoie, pour quatre-vingts livrées de terre situées dans le voisinage de Cossonay, et les reprit de lui en fief 11 . Ces quatre-vingts livrées de terre (d’annuelle rente) formaient, pensons-nous, la part de Jaques de Cossonay à la seigneurie de ce nom, dont il était ainsi le coseigneur, tandis que son frère Jean en était le seigneur dominant. On ne trouve point d’hommage de ce dernier à Pierre de Savoie. Le 22 septembre de l’année 1264, Jean, sire de Cossonay et de Prangins et ses fils confessent n’avoir aucun /152/ droit à la maison de Commugny (située dans le voisinage de Coppet), acquise, à titre d’échange, par Pierre de Savoie, de l’abbaye de St.-Maurice 12 . Il est permis de supposer qu’ils en avaient de légitimes et que cette renonciation fut forcée 13 . La seigneurie de Prangins, à cette époque, était possédée par le sire Guillaume, oncle paternel du sire Jean de Cossonay; et si celui-ci prend aussi ici le titre de sire de Prangins, ce ne peut être que parce qu’en sa qualité de chef de sa maison, il avait, selon la coutume de Bourgogne, la suzeraineté de cette seigneurie 14 . Sous l’année 1267 (15 octobre), un vassal du château de Cossonay, nommé Conon Ferrens (Ferrel, plutôt) de Penthalaz, donnant, à l’abbaye de Bonmont, sa part à la dîme de Burtigny, déclare que, lorsqu’il y aura dans le château et dans la seigneurie de Cossonay un seigneur ferme et stable, il (Conon) lui fera lauder sa donation et l’en constituera le garant 15 . Ces quelques lignes nous montrent qu’une grande perturbation avait eu lieu dans la seigneurie de Cossonay, de laquelle le sire Jean avait été, paraît-il, dépossédé. Mais, que s’était-il /153/ passé? On ne saurait guères admettre une lutte entre lui et son frère Jaques quant à la possession de cette seigneurie. Sans doute que la part de chacun d’eux à la succession paternelle avait été réglée dès longtemps. Les motifs de la catastrophe du sire Jean doivent se chercher, croyons-nous, dans son opposition au comte Pierre de Savoie, soit qu’il n’ait pas voulu lui prêter hommage lige pour Cossonay, soit que, de concert avec les ennemis de ce comte, il ait pris part à quelque entreprise qui amena pour lui la perte de sa seigneurie. Dans nos Recherches sur les sires de Cossonay, alors que nous ne connaissions pas encore la charte de 1264 mentionnée plus haut, nous attribuons au sire Jaques la part prise par un sire de Cossonay à la ligue des seigneurs vaudois contre le comte Pierre, ligue qui aboutit à leur défaite devant Chillon. Dans cette hypothèse, cette part concernerait plutôt le sire Jean. Toutefois nous devons avouer que depuis les investigations consciencieuses de M. le colonel Wurstemberger sur l’histoire de Pierre de Savoie, notre foi dans le fait d’armes de Chillon a faibli, puisqu’il ne peut point se prouver diplomatiquement 16 , et que les détails que les chroniques savoisiennes en donnent sont tous puisés dans /154/ Champier, qui en est la première autorité. D’un autre côté, la non-existence de ce fait ne se prouve pas non plus; ainsi la question reste indécise. Quoi qu’il en soit, le sire Jean resta privé de sa seigneurie de Cossonay, qui passa à son frère Jaques. Celui-ci prêta hommage, en 1271 (juillet), pour Cossonay, au comte Philippe de Savoie 17 , frère et successeur du comte Pierre. On a vu que Jaques avait déjà prêté hommage lige, en 1255, à Pierre de Savoie, pour quatre-vingts livrées de terre situées dans le voisinage de Cossonay; il était donc, paraît-il, moins ennemi de la domination savoisienne que son frère. On trouve même deux vassaux du château de Cossonay (nommés Ferrel de Cossonay et Guy de Moiry) parmi les gentilshommes qui accompagnèrent le comte Pierre au camp de la reine Eléonore à Dam, d’où un débarquement devait s’opérer pour la délivrance du roi Henri III d’Angleterre. Le comte Pierre leur fit une largesse, sous la date du 30 septembre 1264 18 .
On a vu que le sire Jean de Cossonay avait des fils, mais on ignore le nom de leur mère. Ces fils ne rentrèrent point en possession de la seigneurie de Cossonay. Celle-ci, à la mort du sire Jaques, passa à son fils Jean de Cossonay, alors sous la tutelle de Jordane de la Tour-Châtillon, sa /155/ mère. Nous croyons retrouver l’un des fils du sire Jean, dépossédé, dans cet Amédée de Cossonay qui fut, vers l’année 1301, l’un des entremetteur d’une convention passée entre l’abbé de Saint-Oyen de Joux et le sire d’Aubonne, au sujet de certaines montagnes indivises entre eux 19 ; et un second, dans ce moine Henri, consanguin du sire Jean de Cossonay (fils de Jaques), auquel il prêta, en 1302, cinquante livres lausannoises, sous l’hypothèque des censes de la seigneurie de Surpierre 20 . Ce moine Henri est sans doute le donzel Henri de Cossonay, cousin du sire Jean, mentionné par la collection de Mulinen 21 . Enfin c’est probablement à cette branche déchue, quoique l’aînée, de la maison de Cossonay, qu’il faut rattacher un Jean de Cossonay, abbé de Fontaine-André dès 1308 à 1320 22 , et un Jeannod de Cossonay, mari, en 1322 (avril), d’Alexie, fille de Conon de Belmont, lequel assigna alors à l’abbaye de Montheron, avec dame Jaquette sa belle-mère et son épouse Alexie, une cense que son beau-père Conon avait léguée à ce couvent 23 . Nous retrouverons peut-être le sire dépossédé de Cossonay lui-même, dans ce Jean, sire de Prangins, lequel rechercha la protection de Rod. de Habsbourg, roi des Romains, et fit hommage à ce prince, en 1284 (samedi avant la fête de St.-Grégoire), sur les mains de son baillif Rolet de Corbières, pour le château de Bioley et la châtellenie de Prangins 24 . /156/ Et ce qui nous conduit à cette supposition, c’est la circonstance qu’une des clauses de cet hommage porte: que le baillif du roi des Romains serait tenu d’assister le sire Jean et ses enfants, de toutes ses forces, aux propres dépens du roi, dans leur droit, afin qu’ils pussent recouvrer ce qu’ils devaient posséder et en être réinvestis 25 . Ceci s’applique parfaitement, il faut l’avouer, à la position du sire dépossédé de Cossonay. Paraissant pour la première fois, dans les chartes, en 1235, il eût été sans doute assez âgé en 1284; toutefois sa longévité n’aurait rien eu d’extraordinaire 26 . Mais d’autres objections se présentent. Et d’abord le sire Jean ne possédait pas le domaine utile de la seigneurie de Prangins, mais ses droits dans cette seigneurie se bornaient à ceux de suzeraineté auxquels il pouvait prétendre comme chef de sa maison. En outre, le fils aîné du sire Guillaume de Prangins, frère du sire Humbert de Cossonay, se nommait aussi Jean, et paraît dans plusieurs chartes dès 1249 jusqu’à l’année 1276 inclusivement 27 . A la mort du sire Guillaume, son père, il devint seigneur de Prangins, et laissa plusieurs enfants de son épouse Isabelle de Greysi 28 . On ignore la date de son décès; mais s’il était encore vivant en 1284, l’hommage prêté par Jean, sire de Prangins, au roi des Romains, pourrait aussi le concerner, /157/ surtout si l’on considère que les démêlés de Béatrix, dame de Faucigny, fille du comte Pierre, avec le comte Amédée de Savoie, au sujet de l’hommage du sire de Gex, rendaient critique la position du sire de Prangins, vassal de celui de Gex 29 . Le fils second du sire Guillaume de Prangins, Aymon, sire de Nyon, prend, dans deux chartes de la même année 1284 (toutes deux du dimanche après la fête de St.-Mathieu, apôtre; l’une datée de Prangins), qui nous font connaître deux transactions de ce dynaste avec le couvent de Romainmotier, le titre de sire de Prangins 30 . Et, par une troisième charte, du 15 novembre de cette même année, il confirme à l’abbaye de Bonmont la vente des moulins du Coster et de Lusigny que lui avait faite son père 31 . Ces deux moulins étaient situés dans celle des seigneuries de Mont qui appartenait aux sires de Prangins. Ces trois documents ne permettent guères de douter que le sire de Nyon ne le fût aussi de Prangins. Aucune mention n’y est faite de son frère Jean, ni des enfants de celui-ci, ce qui est d’autant plus difficile à expliquer, que nous voyons, sous l’année 1299, une des filles de Jean de Prangins abandonner, à son frère Perronnet, la part qui lui revenait, dans la succession de son père et de sa mère, aux châteaux et /158/ châtellenies de Mont, de Bioley, de Prangins et autres 32 . Ces châteaux, d’un autre côté, se trouvaient, en 1292, dans les mains du sire de Nyon, leur oncle, à l’époque de la catastrophe de celui-ci, alors que le comte Amédée de Savoie et son frère le sire de Vaud les assiégèrent et les prirent, ainsi que la ville de Nyon 33 . On sait qu’ils les gardèrent; ainsi la cession de la fille de Jean de Prangins portait seulement sur ses droits et prétentions à ces châteaux. Et, pour le dire en passant, cette catastrophe du sire Aymon de Nyon fut amenée, croyons-nous, par la part qu’il prit, en faveur du comte de Genève et du Dauphin de Viennois, dans la querelle de ces deux seigneurs avec le comte de Savoie, laquelle dégénéra en hostilités 34 . Cette conduite imprudente fut sans doute la conséquence de l’esprit d’opposition à la maison de Savoie qui paraît avoir animé sa famille dès le /159/ temps de Pierre de Savoie. Le pot de terre se brisa contre le pot de fer. En 1267, le sire Aymon de Nyon, encore mineur, avait dû céder au comte Pierre l’hommage que lui devait Jean de Greilly 35 .
Quant à la branche des seigneurs de Cossonay, nous voyons le sire Jean, fils du sire Jaques, être l’un des adhérents de son oncle l’évêque Guillaume de Champvent, dans la guerre que ce prélat soutint contre Louis de Savoie, sire de Vaud. Depuis cette époque, la puissance toujours croissante de la maison de Savoie fit cesser toute opposition de la part des dynastes de la patrie de Vaud. Le sire Louis (Ier) de Cossonay, fils du sire Jean, en épousant Ysabelle de Grandson, petite-fille de Louis Ier de Savoie, dut naturellement se rapprocher de cette maison souveraine, et l’on voit les comtes de Savoie traiter toujours de consanguins les fils issus de ce mariage. L’un de ceux-ci, Louis, 3e du nom, d’abord /160/ sire de Bercher, puis de Cossonay, vaillant chevalier, jouit de la confiance des comtes Amédée VI et VII, qui l’un et l’autre le nommèrent exécuteur de leur volonté dernière. Le comte Rouge, entre autres, voulut que Bonne de Bourbon, sa mère, tutrice de son fils, prît conseil du sire Louis de Cossonay quant à cette tutelle. Celui-ci était alors lieutenant général de Savoie en deçà des monts, charge qu’il remplissait déjà en 1384. Son dévouement à la maison de Savoie n’empêcha point le bruit public de l’accuser, ainsi qu’Othon de Grandson, de participation à la mort prématurée du même comte Rouge 36 . Ne faut-il pas voir dans cette accusation, calomnieuse selon nous, une conséquence de l’ancien esprit d’opposition des dynastes de Grandson et de Cossonay à la maison de Savoie? Avec le sire Louis s’éteignit la maison de Cossonay dans sa ligne masculine. Le sire Louis II, son neveu, auquel il avait succédé, avait suivi le comte Verd dans plusieurs de ses expéditions chevaleresques et trouvé la mort en Italie 37 .
Eclaircissement relatif a la situation de celui des châteaux de Mont qui appartenait aux sires de Prangins.
Celui des châteaux de Mont qui était la propriété des sires de Prangins, et duquel dépendait une seigneurie étendue, est désigné, dans une charte de l’année 1301, sous le nom de castrum dudo de Monz 38 . Cette seigneurie de Mont étant celle qui a été distinguée, avec le temps, par l’épithète de Mont-le-vieux, nous avons dû naturellement inférer de cette circonstance que les belles ruines qui dominent le village de Bugnaux, à la Côte, et qui sont effectivement celles du château de Mont-le-vieux, nous offraient les débris de la forteresse des sires de Prangins, et nous avons exprimé cette opinion dans notre publication sur ces dynastes 39 . Nous ne savions, du reste, comment expliquer ce nom Dudo, que nous supposions avoir été défiguré par quelque copiste. Aujourd’hui, grâce à l’obligeance de l’un des membres de notre Société d’histoire, fixé dans cette contrée 40 , nous sommes à même d’en donner l’explication et de préciser la situation de ce château fort. Selon les renseignements certains qu’on nous a donnés, un château de Mont, ignoré même aujourd’hui de la plupart des habitants de la contrée et éloigné environ de dix minutes, du côté du Jura, de celui qui dominait le village de Bugnaux, existait au bord /162/ 162 du chemin Remi, qui conduisait de Burtigny, par Prévondavaux (profunde vallis), à Châtel, Mont, etc. Tout-à-fait dans le voisinage du lieu où il était situé, se trouve, de nos jours, une maison foraine qu’on appelle aux Dudes, et ce nom nous explique le Dudo de la charte de l’année 1301. La charrue passe maintenant sur l’emplacement de ce château et l’on ne voit sur la surface du sol aucun vestige de lui, sinon des morceaux de ces grosses tuiles qu’on trouve dans les ruines de tous les anciens bâtiments. Cependant un vieillard, propriétaire de ce champ, raconte que, du temps de son père, on pouvait, en y creusant, distinguer, dans les fondements, des compartiments, une cour pavée, etc., mais qu’on n’y a jamais fait de fouilles 41 . Voilà, nous ne saurions le mettre en doute, le château de Mont des sires de Prangins, qui était situé aux Dudes. Nous ne pensons pas que ce château-ci et celui qui dominait le village de Bugnaux, aient existé simultanément. Ce dernier aura succédé au premier, démantelé, peut-être, lorsque le comte Amédée de Savoie et son frère le sire de Vaud l’assiégèrent et le prirent, en 1292, ainsi que les châteaux de Nyon, de Prangins et de Bioley; et nous présumons qu’il fut édifié par Louis de Savoie, successeur, par droit de conquête, des sires de Prangins, dans leurs seigneuries de Nyon, de Prangins, de Bioley et de Mont 42 . Nous avons fait observer plus haut que la seigneurie de Mont (des sires de Prangins) était /163/ considérable. On manque de données certaines pour en fixer les limites, et il est difficile de préciser ce qui, dans ce quartier de pays formé de plusieurs seigneuries limitrophes qui se trouvaient dans les mains des sires de Prangins, dépendait particulièrement de chacun de leurs châteaux. L’on sait toutefois que leur seigneurie de Mont comprenait une partie de la Côte 43 et le plateau élevé qui la domine, sur lequel sont situés les finages de Burtigny et de Marchissy 44 . Et c’est sans doute comme seigneurs de Mont que les sires de Prangins étaient les avoués du prieuré de Bassins, qui appartenait à l’abbaye de Payerne 45 , et qu’ils exerçaient des /164/ fonctions pareilles, pour celle de Bonmont, dans les villages de Vaud et de Volatar 46 . Ces diverses localités étaient situées dans la seigneurie de Mont. En outre les prieurés de St.-Georges et de Bierre payaient une finance annuelle aux sires de Mont (-le-vieux) pour la sauvegarde, et ces seigneurs avaient le droit de dernier supplice sur les sujets de Bierre de ce dernier prieuré, lesquels ressortissaient à Mont-le-vieux, en suivaient la chevauchée et y fortifiaient 47 . Le prieuré et les hommes de St.-Georges appartenaient également an mandement de Mont (-le-vieux) 48 . Enfin, la grange d’Outard (de Altari), ce beau domaine de l’abbaye de Bonmont situé dans le voisinage de St.-Georges et de Longirod, se trouvait sans doute dans la seigneurie de Mont, puisque Aymon de Prangins, sire de Nyon, scella, en 1291, l’abandon que fit alors le donzel Jean Moschet, fils du chevalier Jaques Moschet d’Echannens (Echandens), au monastère de Bonmont, de ses droits dans cette grange et spécialement d’un gîte soit d’une réception annuelle qu’il prétendait y avoir et que Bonmont lui contestait 49 .