NOTE SUR LE TEMPS ET LE LIEU OÙ MOURUT LE COMTE MICHEL ET SUR LES PRÉTENDUES ANCIENNES CHRONIQUES GRUÉRIENNES.
On a dit, en citant la chronique de Sébastien Franke, auteur contemporain du comte Michel, que celui-ci mourut dans l’hôpital de Bruxelles, le 2 mai 1576, et qu’il fut enseveli dans la cathédrale de cette ville, où l’on aurait vu sa tombe portant la grue et cette inscription:
Hic jacet Michael comes Gruyeriæ 1576.
Mais la Chronique universelle de Franke, qui mourut en 1545 (suivant le Conversations-Lexicon), n’ayant été continuée que jusqu’à l’année 1565, elle n’a pu fournir aucun renseignement sur la fin du comte Michel 1 .
Suivant une autre version, un capitaine suisse au service de France aurait vu, vers la fin du siècle dernier, dans l’église paroissiale d’Amiens, une pierre tumulaire avec cette épitaphe:
Cy gyt Michel le dernier comte de Gruyère.
(Voir les Etrennes fribourgeoises pour 1809, p. 161.)
Monsieur Garnier, secrétaire perpétuel de la Société des antiquaires de Picardie, a eu l’aimable complaisance de faire appel à ses honorables collègues, de consulter les histoires locales, de revoir quelques manuscrits contenant un bon nombre d’épitaphes et deux obituaires de la cathédrale d’Amiens; Monsieur Garnier n’a rien trouvé touchant le comte Michel. Il y a donc lieu de croire que l’indication des Etrennes fribourgeoises est fausse et qu’il y a eu /534/ confusion. Le nom d’un étranger illustre n’eût point passé inaperçu. Dans une simple paroisse on l’eût remarqué. Dans la cathédrale les obituaires en auraient certainement fait mention. (Lettre d’Amiens, du 7 janvier 1854.)
Nous n’avons obtenu de Bruxelles aucune information sur le lieu d’une tombe que nous étions intéressé à découvrir.
Dans son recueil de « Matériaux pour l’Histoire de la Gruyère en général et pour celle du Val de Charmey en particulier, » le conseiller Bourquenoud (mort à Charmey en 1837) a fait la remarque « que les historiens qui placent la mort du comte Michel à l’an 1570 se sont trompés, attendu qu’on a des lettres de ce prince jusqu’en 1576 (nous n’en connaissons aucune qui soit d’une date postérieure à la date du testament de 1572), qu’on a reçu son acte mortuaire, et que le contenu de ce document est dans le Protocole du Conseil de Fribourg, séance du 29 mai 1570. »
Feu M. Kuenlin, propriétaire du manuscrit Bourquenoud (aujourd’hui entre les mains de M. le conseiller Jacques Remy, à Bulle), a vu dans ce passage une erreur ou du moins une contradiction, car à la date qu’il croyait fausse il a substitué celle du 2 mai 1576, attribuée à Sébastien Franke.
Voici le contenu de l’acte dont parlait Bourquenoud, c’est-à-dire l’Extrait du protocole de la séance du Conseil de Fribourg du lundi 29 mai 1570.
« Rathsmanual, n° 101.»
Uff Montag den 29 May.
« qui pluris optavit aut minor fieri is nunc æqualis sepulchro conditus saciatus quiescit. »
« Domini Michaëlis quondam Comitis Gruyeriæ obitus a Domino Prothonotario de Gruyeria patefactus, qui balivo indicavit dictum Comitem ante duos menses elapsos in quodam castro Comitatus Burgundiæ, Thalonie appellato, obiisse, ideoque (se) pietatis amore et originis suæ debito impulsus (impulsum), exæquias (exsequias) funerales lubenti pioque animo et affectu celebrandas duxisse. Quod Domini et Patres Friburgenses non tristi vultu a dicto prothonotario acceperunt:
Deus sit animæ propitius. »
Ce qui suit est écrit d’une main et d’une encre différentes:
« Resurrexi et cum imperatore lego. »
« redivivus tandem morte raptus in februario die fyinie 1575. »
(Transcrit et communiqué par M. le capitaine F. Chassot, aide-archiviste d’Etat à Fribourg, 3 octobre 1857.)
Il ne paraît pas possible que le protonotaire Dom Pierre de Gruyère ait annoncé dans le mois de mai 1570 la mort du comte Michel, qui songeait alors à se faire rétablir. On sait qu’au mois d’octobre de cette année celui-ci requit les villes de Berne et de Fribourg de lui rendre le comté de Gruyère et que sa demande fut appuyée par une lettre de l’empereur. Michel semblait alors ressusciter et revivre pour la Gruyère. C’est à cette circonstance que font allusion les mots resurrexi et cum imperatore ... redivivus, et non pas à la nouvelle de sa mort qui aurait été annoncée prématurément au protonotaire et par celui-ci au bailli de Gruyère.
L’Extrait qu’on vient de lire est écrit en grands caractères et d’une autre main que celle du protocole; elle est cependant de la même époque. On la rencontre plusieurs fois dans le protocole de 1570 et dans ceux des années suivantes.
(Lettre de M. Chassot, du 6 octobre 1857.)
Kuenlin a transcrit à la marge du manuscrit Bourquenoud (p. 120) et publié dans l’ouvrage qui a pour titre: Die Schweiz in ihren Rittenburgen (t. Ier, p. 318) un autre document, que des recherches assidues aux archives de l’Etat de Fribourg n’ont pu faire retrouver. C’est la lettre que le bailli de Gruyère écrivit au Conseil de Fribourg lorsqu’il eut appris du protonotaire la mort du dernier comte de Gruyère. Cette lettre, datée de Gruyère, le 26 mai 1570 (sic), annonçait aux seigneurs de Fribourg que le mercredi précédent le protonotaire Dom Pierre de Gruyère avait fait dans cette ville, au son des cloches, les funérailles du comte (das Begräbniss halten lassen), que le bailli lui ayant demandé comment il avait été informé de la mort du comte, il lui répondit qu’un messager venu de la Bourgogne lui avait annoncé que le comte de Gruyère était mort, il y avait deux mois, au château de Thalomé, appartenant à un seigneur de cette province. Dom Pierre ajoutait à ce renseignement qu’il avait fixé le jeudi 7 juin pour célébrer un /536/ service funèbre. Or le 7 juin tombait un jeudi, non pas en 1570, mais en 1576.
S’il y avait deux mois que Michel avait quitté la vie lorsque Dom Pierre fut informé de cet événement, Michel était mort vers la fin de mars 1576, peut-être au mois de février.
En effet, la dernière ligne de l’Extrait du protocole du 29 mai 1570, d’une autre main, qui semble vouloir rectifier une erreur commise par la première, dit que Michel fut enlevé par la mort dans le mois de février de l’an 1575.
Cette indication chronologique donne lieu à l’observation suivante.
L’annonce de la mort du comte venait de la Haute-Bourgogne, dite autrement la Franche-Comté. Or dans cette province l’usage de commencer l’année à Pâques subsista encore longtemps après la réforme du calendrier et l’ordonnance de 1564, qui voulait qu’en France, par conséquent dans le duché de Bourgogne, on commençât l’année le 1er janvier. Ce ne fut qu’ensuite d’un édit de Philippe II, roi d’Espagne et comte de Bourgogne, rendu le 31 juillet 1576, que l’on commença, dans le comté, l’année au 1er janvier. (Voy. l’Art de vérifier les dates, t. II, p. 15, note 2.) D’où il suit que d’après l’indication donnée ci-dessus le comte Michel serait mort avant Pâques de l’année 1576, suivant notre manière de compter.
La date de la mort du dernier comte de Gruyère nous paraît suffisamment établie. Ce qui demeure inexpliqué et peut-être inexplicable c’est l’année que porte le protocole que nous avons cité; car celle que l’on donne à la lettre de Fruyo est apparemment une erreur de copiste qui d’un six aura fait un zéro.
Mais l’Extrait du même protocole nous conduit à d’autres observations, qui ont quelque valeur. Il a donné naissance à un passage assez remarquable transmis par F. J. de Castellaz, qui l’a tiré d’un écrit qu’il désigne sous les noms d’ancien livre et de Manuscriptum, et que des écrivains romans, parlant de la Gruyère, ont pris, sans le connaître, pour une vieille chronique de ce pays.
Puisqu’on a cité des ouvrages de ce genre avec un air d’érudition qui impose, il convient de donner au public quelques renseignements sur ces prétendues sources de l’histoire.
Voici d’abord le passage dont nous avons parlé:
Michael — « multis peragratis terris se contulit in quoddam /537/ castrum in Burgundia situm, Thalome dictum, apud consanguineos, in quo supremum diem obiit 29 maii 1570. Tunc venerabilis dominus Petrus de Grueria nuntiavit obitum magnifici domini Michaelis, comitis de Grueria, domino ballivo Carolo Fruyo, qui gratis et avidis auribus hæc nova excepit et velociter per nuntium et litteras civitati de Friburgo manifestavit, et domini nostri de Friburgo gavisi sunt gaudio magno, valde, de morte eiusdem domini comitis Michaelis. Desolatione magna desolata est Grueria, ploratus et ululatus (auditi sunt) in Grueria et in omnibus finibus eius. Domini de Friburgo indignati sunt indignatione magna, nimis. »
Il suffit de rapprocher les deux textes latins pour se convaincre que le second n’est que l’amplification du premier. Le passage en italique a été emprunté, cela est évident, au prophète Jérémie, XXXI, 15, ou à l’Evangile selon saint Matthieu, II, 18. Il servait à la composition d’un petit tableau qui, dans l’intention de l’auteur, devait soulever les passions et irriter le peuple contre ses nouveaux souverains.
Nous avons signalé, au t. Ier, p. 264, un autre exemple curieux de la propension des moines à se servir des textes de l’Ecriture pour exalter certains faits et frapper les esprits. Il s’en présentera bientôt un troisième.
Le récit qu’on vient de lire est un canevas que des écrivains de la Suisse romande ont brodé à l’envi. L’auteur était probablement un moine gruérien. Son style et les mots « domini nostri, » nos maîtres, accusent son état et son origine. Il partageait l’impression de ses compatriotes, qui étaient mortifiés et blessés d’avoir dû, au lieu de former un canton libre, descendre au niveau des sujets d’une ville dont ils avaient été les combourgeois et les alliés. Mais à qui imputer ce changement? D’abord au prince qui par ses fautes avait précipité la ruine de sa maison, puis à diverses circonstances qui avaient préparé la catastrophe. Il ne faut donc point prendre au sérieux ce qu’on a dit de ces regrets universels dont Michel aurait été l’objet plus de vingt ans après sa chute. Les Gruériens avaient-ils été si heureux sous le règne de celui qu’ils appelaient un seigneur volontaire, capricieux et despote?
Le bailli de Gruyère, au dire de notre anonyme, informa LL. EE. de Fribourg des sentiments que leurs sujets de Gruyère avaient /538/ manifestés à l’occasion du service funèbre célébré par Dom Pierre. Les seigneurs de Fribourg se montrèrent bien courroucés. « Mais, dit Castellaz, on ne jugea pas à propos d’aigrir les esprits dans les commencements d’une nouvelle domination. » Notez que c’était la vingt-deuxième année du règne de LL. EE. de Fribourg sur la Basse-Gruyère! « Depuis ce jour. » dit encore un de nos écrivains, « les Gruériens cessèrent d’espérer un changement à leur sort.» On ne dit pas ce que les Gruériens pouvaient espérer si Michel eût été rétabli.
Mais revenons à l’anonyme. Quelle confiance pouvait-il mériter? Castellaz (on le voit dans son ouvrage que nous citerons) avait tiré le récit qui nous occupe d’un livre manuscrit, en latin, appartenant à une famille de Gruyère, éteinte depuis longtemps. C’est dans le même « Manuscriptum » qu’il a puisé la scène pathétique de la Chavonne (voir au présent volume, p. 424), que des écrivains ont reproduite avec une prédilection marquée et qui, nous l’avons prouvé, n’est qu’un roman.
De ce fait nous déduirons deux conséquences; la première, c’est qu’à l’époque où écrivit notre anonyme, on n’avait plus à Gruyère qu’un souvenir vague de l’acte qui s’était accompli en 1550 sur la place de la Chavonne, à l’extrémité de la petite cité féodale, et qu’on ne songeait pas à chercher dans les archives locales un fait important, que la légende avait altéré; la seconde, c’est que le « livre » qu’on s’imagine avoir été une ancienne chronique de Gruyère ne méritait qu’une confiance problématique.
« Le manuscrit dont j’ai parlé, » dit Castellaz à propos du désastre de la maison de Gruyère, « compare la haute noblesse qui occupait autrefois le sol de l’Helvétie à la grande statue que Nébucadnézar vit en songe. La Confédération suisse qui, presque inconnue dans ses commencements, était limitée par les tristes rochers des premiers Cantons, est la petite pierre qui se détachant de la montagne frappa les pieds du colosse et le renversa. » « Lapis solutus de monte percussit statuam in pedibus et redacta est quasi in favillam et lapis factus est mons magnus. » Daniel, II, 34, 35.
Cette citation vient à l’appui de ce que nous avons présumé du caractère et de la tendance de l’anonyme. Son manuscrit n’était point une chronique (Castellaz n’aurait pas manqué de le désigner par son nom), mais plutôt un discours emphatique de quelque prêtre. /539/
Quant à la Chronique de Castellaz, que plusieurs ont citée sans l’avoir jamais vue, voici ce qu’il en est. François-Ignace de Castellaz, magistrat de Gruyère, homme instruit, voulant occuper ses loisirs, fit un recueil de choses qu’il a intitulé: « Abrégé de l’histoire des guerres et gouvernements helvétiques, ou Annotations sur l’histoire du païs, tirées de divers manuscrits, 1751. » C’est un volume in-folio, une informe compilation, dont Mœsching, Stettler, d’Alt et quelques autres chroniqueurs ont fourni le principal fonds. La seconde partie de ce volume, que nous avons parcouru, a pour titre: « Fragments généalogiques et hystoriques de la maison des comtes de Gruyère tirés de divers manuscrits et autheurs. » Castellaz a dit lui-même (fol. 246, soit p. 492 du volume): « Cette généalogie est très défectueuse. Voyez mon nouveau recueil fait en 1772. »
Cette simple indication suffit à démontrer qu’il n’a pas existé de vieille chronique de Gruyère dont Castellaz fût l’auteur ou qu’il eût reproduite. Son nouveau recueil se compose de « Notes généalogiques et historiques des maisons de Gruyère, d’Ogo, de Montsalvens, d’Oron et de Corbières, tirées des chartes et monuments de l’évêché de Lausanne, de l’abbaye d’Hauterive, du clergé, de l’église, bourgeoisie et hôpital de Gruyère, des chartreuses de la Part-Dieu et de la Val-Sainte. »
Ce sont, en effet, des notes ou de courtes notices. La plupart ont été tirées de diverses archives, et quelques-unes empruntées à Stettler, à d’Alt et à l’anonyme dont nous avons parlé. Ce recueil, fait avec discernement, eût pu servir de base à un Essai historique sur le comté de Gruyère. Malheureusement les copies de cette chronique sont fort altérées. L’original ayant disparu, on ne peut les corriger qu’à l’aide de documents authentiques.
Un siècle avant Castellaz, un magistrat de Gessenay, nommé Christian Mœsching, qui mourut en 1670, avait composé une histoire de son pays: « Chronik der Landschaft Saanen. » Cet ouvrage, a dit G. E. de Haller, dans sa Bibliothèque d’Histoire de la Suisse, est un étrange pêle-mêle, où l’on ne trouve que peu de renseignements utiles. — Nous avons également parcouru cette chronique, et nous n’en avons usé qu’avec discrétion.
Une partie de la chronique de Mœsching se retrouve dans l’opuscule de F. J. Kohli: « Versuch einer Geschichte der Landschaft /540/ Saanen, 1827. » Cet essai n’est pas dénué de tout intérêt. Cependant il a été composé sans critique. C’est un court résumé où l’erreur et la fable se mêlent à la vérité. On y lit, par exemple, que Michel après son désastre s’enfuit chez les Espagnols (nach Spanien, p. 35), et, ce qui est moins excusable, que les princes de sa maison avaient régné onze cents ans (p. 37), d’où il suivrait que l’origine du comté de Gruyère remonte au milieu du cinquième siècle; théorie neuve, à coup sûr, et propre à flatter l’orgueil national! L’assertion de Kohli a passé, avec d’autres erreurs, dans certains ouvrages qui jouissent d’une bonne réputation.
Ces exemples, qu’il nous serait facile de multiplier, servent à prouver qu’à certaine époque le peuple n’avait plus qu’un faible souvenir de ce qui s’était passé dans sa patrie, qu’il n’avait ni la connaissance exacte ni l’intelligence des faits dont se composait son histoire, que les préventions, faussant son jugement, altéraient le caractère des événements; d’où il est résulté ce que nous voyons aujourd’hui, que le roman et l’histoire se sont confondus.
A défaut d’anciennes chroniques, la Gruyère a, nous le savons, des légendes et des traditions.
La légende ne saurait prétendre à une grande confiance, parce qu’elle est surnaturelle et qu’elle n’est pas assez sérieuse. « Elle enchante les imaginations crédules (a dit M. Saint-Marc Girardin), elle n’oblige pas les consciences sévères et éclairées. » Voyez, par exemple (tome 1er, p. 264), la légende dont quelque clerc, apparemment notre anonyme, a paré l’histoire des deux héros gruériens.
Quant aux traditions elles sont, en général, de deux sortes, les unes historiques, les autres poétiques. Ces dernières, inventions charmantes d’un âge plus jeune que le nôtre, appartiennent essentiellement au domaine de la poésie. Les traditions historiques ont un fond de vérité, qui a subi des altérations en passant de bouche en bouche, ou qui a dû se plier aux exigences d’un système, d’une opinion politique ou religieuse, d’un sentiment individuel, ou même se prêter à l’effet que l’écrivain voulait produire.
Nous allons citer quelques faits de l’histoire de la Gruyère qui ont été altérés par la tradition:
1° Le bel épisode qui se rattache à la fondation du monastère de la Val-Sainte. Voir au tome 1er, p. 142 et suivantes et la note 2 de la page 146. /541/
2°, 3° et 4°. Les faits tirés de la chronique de Mœsching. Ibid. p. 349, 380, 414, 415 et la note 1.
5° Un moine de Rougemont, contemporain du comte Louis, s’avise d’ajouter quelques détails au Fasciculus temporum, et la tradition de prétendre que dans la seconde moitié du quinzième siècle il y avait une imprimerie au prieuré de Rougemont.
6° Dans le même temps le feu, animé par un ouragan, ayant dévoré une partie du château de Gruyère, « les habitants, dit la tradition, accoururent se ranger en de longues files du haut du mont jusqu’à la Sarine, et se tendant les pierres de main en main, ils eurent en un jour réuni les matériaux qui devaient servir à reconstruire l’édifice. » Cette tradition est belle, malgré ce qu’elle a d’exagéré. Mais, en vérité, le peuple gronda lorsqu’on voulut employer ses bras à la restauration du château. Voy. au t. II, p. 141.
7° et 8°. Les faits qui se sont passés à Berne en 1542 (ibid. p. 370 et suivantes) et sur la place de la Chavonne, en 1550 (ibid. p. 424 et suivantes), ont été complétement défigurés par de faux préjugés.
Arrêtons-nous. Il y aurait trop à relever si nous voulions poursuivre cet examen. Il ne faut pas attribuer à l’ignorance du peuple toutes les traditions qui altèrent l’histoire. Il en est qui sont nées d’une susceptibilité nationale, d’autres qui sont des créations de ce don merveilleux (particulier au vrai génie et dans une certaine limite) qu’on appelle l’intuition, le don de divination des hommes et des choses, qui dispense de fortes études et d’observations scrupuleuses. « On ne s’égare pas (a dit Rousseau) parce qu’on ne sait pas, mais parce qu’on croit savoir. »