APPENDICE
NOTICE SUR CHILLON,
EN PARTIE EXTRAITE DES MÉMOIRES HISTORIQUES
de Feu M. A. J. de Rivaz,
chanoine de la cathédrale de Sion,
par Charles-Louis de Bons,
secrétaire l'état du canton du Valais.
Et pius est Patriae fata referre labor.
AVIS.
La Notice sur Chillon, lue par M. Charles-Louis de Bons, dans la réunion de la Société d’histoire tenue à Chillon le 8 septembre 1842, devait être placée en tête d’un volume de Mémoires et de Pièces détachées, commencé la même année, et dont l’achèvement a été retardé par des publications de plus d’étendue. Ce n’est pas sans regret que nous avons laissé en arrière cette Notice intéressante. Nous sommes heureux de pouvoir l’ajouter à la livraison de cette année. Comme elle se trouve avoir été composée avec des caractères différents de ceux qui ont été plus récemment adoptés, nous nous sommes vus obligés de la placer à la fin de cette livraison, sous forme d'appendice.
Une liste des châtelains de Chillon, transcrite dans les archives de Turin par M. François Forel, nous a paru devoir être jointe à la Notice de M. de Bons, qu’elle sert à compléter.
CHILLON.
Parmi les constructions que le moyen-âge turbulent et guerrier éleva dans la Suisse occidentale à la garde de ses conquêtes ou peut-être à la défense du territoire, le Château de Chillon mérite une attention particulière comme œuvre d’art et en raison des souvenirs historiques qui s’y rattachent.
Cet édifice a été si souvent décrit qu’on ne nous permettrait pas de le faire passer de nouveau sous les yeux des lecteurs. Jadis, les ponts-levis ne s’abaissaient guères que devant quelque haut baron revenant d’expédition à la tête de ses hommes d'armes ou pour livrer passage à quelque important prisonnier d’Etat, dont on voulait faire perdre les traces. Il fallait avoir un nom doux à l’oreille du prince, ou porter au front un cimier bien connu sur les champs de bataille, pour être admis sans difficulté à errer dans les vastes salles du château ou à s’asseoir au banquet ducal. Le populaire contemplait de loin ces hautes et massives tourelles qui n’avaient que des secrets effrayans pour lui et qui pesaient sur ses destinées comme sur les flots du Léman. Aujourd’hui la vieille demeure féodale est /8/ devenue le rendez-vous de toutes les nations; suzerains, chevaliers, vassaux et pélerins ont passé sans retour pour faire place à une foule uniforme, railleuse et pourtant avide de toucher sans frémir à ces redoutables choses d'autrefois. Chillon a été fouillé, exploré, analysé, depuis ses combles d'où l'œil s'égare au loin sur un riche panorama de montagnes jusqu à ses cryptes sans cesse retentissantes de l'éternel murmure des eaux.
Ce n'est donc pas du temps présent que nous avons à parler aujourd'hui: on repousserait avec raison des tableaux que tous les yeux peuvent voir, et, pour ainsi dire, toutes les mains palper. Notre récit n'apprendrait rien à personne.
Mais il est une autre spécialité d’études qui peut offrir de l'intérêt aux amis de la science historique.
Les archives du canton du Valais fournissent le moyen de jeter parfois une assez vive lumière sur les premiers âges de Chillon. Grâces à ces précieux dépôts, trop peu connus, on pourra soulever en partie le voile qui recouvre son glorieux passé. Nous allons au moins tenter l’entreprise, sans nous laisser rebuter par l'aridité des détails dans lesquels un travail de cette nature doit nécessairement descendre.
830 — 1564.
On ignore en quelle année furent jetés les fondemens de Chillon.
Deux auteurs 1 disent qu'il fut bâti en 1238, par un prince de la maison de Savoie. Guichenon l’attribue, ainsi que celui de Martigny et plusieurs autres, au Comte Pierre. — Ces assertions sont erronées. /9/
Si l’on en croit un écrivain du IXme siècle, l’Abbé Pascase Radbert, Chillon peut revendiquer quatre siècles de plus d’existence.
Cet auteur nous apprend que Louis le pieux y fit enfermer Walla, Abbé de Corbie, son parent. Il ne donne pas, à la vérité, le nom de la prison du prélat disgracié, mais il la désigne de manière à ne pouvoir s'y méprendre, en la plaçant dans un souterrain entouré d’eau, d’où l’on ne pouvait apercevoir que le ciel, le Léman et les Alpes Pennines. — Ce fait est de l’an 830. 2 /10/
Une Charte d’Humbert III, Comte de Savoie, en faveur de l’Abbaye de Haut-Crêt, nous démontre d'ailleurs qu’il était déjà debout en 1157 3 . Pierre de Savoie n'est donc pas son fondateur et ce que les historiens précités disent des constructions que ce prince fit exécuter en 1238 ne doit s’entendre que de réparations ou d'adjonctions aux bâtimens existant à cette époque.
Chillon passa des empereurs Carlovingiens aux Rois de Bourgogne, puis aux empereurs qui en furent les héritiers, ensuite aux Comtes de Beley et d'eux aux Comtes d'Aoste et de Maurienne, premiers Comtes de Savoie. Il faut intercaler dans cette liste les Evêques de Sion, comtes et préfets du Valais, sans doute entre les successeurs des Rois de Bourgogne de la première race et les princes de la maison de Savoie. Plusieurs documens authentiques établissent le droit de suzeraineté des successeurs de St Théodule sur le château de Chillon et les terres avoisinantes. Selon toutes les vraisemblances, les mêmes princes à la générosité desquels les Evêques de Sion dûrent la souveraineté de la Vallée Pennine leur octroyèrent l'importante citadelle qui en défendait l'entrée.
L'Eglise de Sion, comme seigneur de Chillon, était en même /11/ temps seigneur de Montruz (Montreux), grande et populeuse paroisse assise sur le penchant d’un côteau voisin. Il est même certain que les Evêques de Sion possédèrent quelque temps les terres qui, plus tard, composèrent la baronnie du Châtelard, 4 mais il n’est pas à présumer qu’ils en firent la conquête avant le XIIIme siècle. On croit que cette belle prise fut la conséquence d'un diplôme 5 de l’Empereur Guillaume d’Orange, par lequel l’évêque Henri est autorisé à faire la guerre à l'empereur Frédéric II que le Pape venait de déposer au Concile de Lyon et à s'emparer de tout ce que le sort des armes ferait tomber dans ses mains, rière la petite Bourgogne et le pays de Vaud.
On trouve Montreux dénommé parmi les terres que l'Eglise ou le Chapitre de Sion possédait au XIme siècle. Voici en quels termes cette paroisse est désignée dans un très-ancien rôle conservé aux archives de Valère et qui est bien certainement du siècle suivant.
Viviaco (Vevey) XII nummos.
Monasteriolo, decimam panis et vini Episcopi.
In monte quæ dicitur Morcles etc. etc.
Le 6 Avril 1295, Boniface de Chaland, Evêque de Sion, inféoda à Girard d'Oron, Doyen de l’Eglise de Valère, la seigneurie du Châtelard, « a Clusa de Chillon usque ad aquam quæ dicitur Vivesia ... excepto jus præsentationis rectorem Ecclesiæ de Mustrux, ... en se réservant toutefois le droit de réachat. Dix-sept ans plus tard, en 1312, l’Evêque Aymon vendit ce /12/ droit de réachat à Girard d’Oron, fils de Pierre d’Oron, Conseigneur de Vevey et neveu du Doyen Girard.
Les conquêtes de Pierre de Savoie et les guerres fréquentes que se firent au moyen âge les Evêques de Sion et les Comtes de Savoie amenèrent à la longue bien des changemens dans l’étendue de leurs états respectifs. La fortune souriait alors aux princes de cette maison. La Comté de la Tête du lac, dont St. Maurice fut la capitale, s’était érigée sur les débris de ces Nantuates indomptés qui osèrent se mesurer à Octodure avec les vieilles phalanges de Galba. Mais l’invasion étrangère ne devait pas se borner là: d’année en année, elle pénétrait dans la vallée Pennine. Du haut de leur château de Montorge, les Evêques de Sion purent voir, à une lieue de leur capitale, l’impétueuse Morge couler sous les lois d’un nouveau souverain. Le jour arriva enfin où leur souveraineté sur Chillon ne fut plus qu'illusoire et où cet antique boulevard de l’héritage de St. Théodule recevait une garnison savoyarde.
On ne sait rien de l’événement ou de l’arrangement qui détacha de la couronne épiscopale le beau fleuron que Berne devait plus tard arracher à son tour aux Comtes de Savoie. En prenant possession de Chillon, ceux-ci se reconnurent tenus à en prêter foi et hommage, comme d'un fief de l’Eglise de Sion, et l’histoire qui se tait sur les causes de ce changement, montre à de fréquens intervalles, des traces de la suzeraineté que nos Evêques s’étaient retenue sur cet important domaine.
Au traité de l’Evêque Landri et du Comte Thomas, de l’an 1221 ou 24, 6 il est stipulé que l’Eglise de Sion ne doit faire service au Comte que jusqu’au ruisseau de l’Eau froide, 7 et au sommet du Mont-Jou, sauf pour le fief de Mœrell (de Morgiâ); que si cependant quelque personne puissante venait à attaquer Chillon, l’Evêque devra employer toutes ses forces à le défendre. /13/
On voit, par le Transact de 1233, 8 entre l’Evêque Landri et Aymon de Savoie que Chillon était à cette époque de l'arriére fief de l'Eglise de Sion. Ceci est assez important pour que nous citions textuellement:
« Episcopus Sedunensis Regalia recepit a dicto Domino Aymone, sicut prædecessores sui a Comitibus Sabaudiæ recipere consueverunt. — Aymo vero feodum de Chillon et quid quid est de feodo, recepit et recognovit ab eodem Episcopo, sicut prædecessores sui facere consueverunt ... 9 »
« Cum autem Amœdeus, Comes Sabaudiæ, quod actum est inter Aymonem fratrem suum et Ecclesiam Sedunensem super Regalibus et super feodo de Chillon laudaverit et approbaverit et litteras de rato dederit ... »
Le mélange des terres et juridictions de l’Evêque dans le Valais savoyard et du Comte dans le Valais épiscopal donnait lieu fréquemment à des brouilleries qui ne tardaient pas à dégénérer en hostilités. Afin de les prévenir à l'avenir, Pierre de Savoie et l'Evêque Henri convinrent, dans le traité de 1260, que le second remettrait au premier tout ce que l'Eglise de Sion possédait de la Morge à Chillon et en particulier dans la paroisse de Montreux et plus bas, contre Lausanne et Genève, se réservant seulement les fiefs et fidélités que les Comtes de /14/ Savoie et de Genève lui devaient; — qu’en échange, Pierre de Savoie abandonnerait tous les fiefs que ces princes avaient dans le Valais épiscopal, entre autres la Comté de Mœrell (de Morgia.)
Mais ce traité fut invalidé par Urbain VI qui y vit une lésion énorme pour l’Eglise de Sion. Philippe de Savoie, successeur de Pierre, sur les instances du chapitre diocésain, consentit à le mettre à néant et à replacer toutes choses sur l’ancien pied.
Le mercredi après la St Martin de l’an 1268, le Comte Philippe et l’Evêque Henri se prêtèrent les hommages réciproques, aux granges de Martigny.
Une cérémonie semblable s’accomplit le 2 Août 1293, entre Boniface de Challand et Amédée V. Le Comte reconnut entre autres tenir en fief, de l’Evêque, le château de Chillon, avec le fief annexé (probablement Montreux.)
Le même prince et Aymon de Chatillon se prêtèrent mutuellement les mêmes hommages, le 17 des Kalendes de Janvier 1308, ainsi que Amédée VIII et Guillaume de Rarogne, en 1415.
A cette époque, et par suite d’une transaction passée le jeudi après l’assomption de l’an 1317, entre le Comte Amédée et Girard d’Oron, le fief de l’Evêque de Sion, sur la Vidamie de Montreux, se trouvait partagé en deux seigneuries: le premier venait en effet de céder au second le quartier qui s'étend de la Baie de Montreux à la Veveyse et avait reçu en compensation la portion entre cette Baie et Chillon.
Depuis 1415, les traités ne font plus mention ni de ces hommages ni de ce château.
Il est à remarquer que dans la plupart des traités, l’Evêque prête hommage pour le grand chemin, depuis la croix d’Octan jusqu’aux sources du Rhône, ainsi que pour le droit de Chancellerie et pour la Comté de Mœrell. Les actes postérieurs se taisant pareillement sur ces droits des princes de Savoie, n’est-on pas fondé à conjecturer qu’ils furent échangés contre le château et le fief de Chillon?
Les Comtes de Savoie aimaient le séjour de Chillon. Un grand /15/ nombre de leurs chartes en sont datées. A en juger par la qualité des témoins présens à la promulgation de ces actes, la cour qui les y suivait ou qui se formait autour d’eux devait être illustre et brillante.
Quelquefois aussi, ce fut le palais qu’ils choisirent dans les circonstances les plus importantes de leur vie de souverain.
Amé V, dit le grand, y épousa Sybille de Beaugé, le mardi après l’octave de St Jean Baptiste de l’an 1272. 10
Le jour de St Thomas de l'an 1283, Amédée de Savoie y fut salué Duc d’Aoste, du vivant de son oncle le Comte Philippe, et deux ans plus tard, Comte de Savoie.
L’octroi de la baronnie de Vaud à un prince de la maison de Savoie et la soumission du Bas-Valais firent perdre à Chillon une partie de son importance première: de place frontière il tomba au rang de ces forteresses de second ordre qui n'ont plus à répondre que de la fidélité du peuple sujet. Les grandes émigrations avaient cessé; les armées prenaient d’autres routes; il ne passait guères dans le voisinage que des caravannes de pélerins, s'en allant pieusement assister à la consécration de quelque basilique romaine ou à la célébration du jubilé séculaire. On ne guerroyait plus autant par monts et par vaux et si parfois il y avait bruit et trémoussement au logis du prince, c’était aux bons jours où il venait requérir foi et hommage de ses grands vassaux ou lorsqu’un nouveau gouverneur prenait paisiblement possession de sa châtellenie.
Bien des années s’écoulèrent ainsi. Le temps qui mine tout sapait lentement la domination que Pierre de Savoie s’était créée sur les rives de ce beau lac qui le virent mourir. Des jours mauvais étaient venus, le peuple grandissait, il soufflait du côté de Berne un vent chargé de tempêtes. Déjà vers le milieu du XIVme siècle, le besoin d’argent avait nécessité l’aliénation de plusieurs privilèges très-importans de la Chatellenie de Chillon: de petits seigneurs avaient acquis, à beaux deniers, le droit du glaive et de la potence. 11 Malgré ces démembremens /16/ successifs, le ressort du Châtelain était encore très étendu au moment où éclata la révolution de 1535, car tous les lieux des mandemens d’Aigle et de Monthey qui n'avaient pas de seigneurs particuliers, étaient de sa juridiction.
Chacun connaît l’histoire de l’occupation du pays de Vaud par une armée bernoise ainsi que celle de la délivrance de Bonivard qui, durant six années, était resté enchaîné dans un souterrain où le jour pénétrait à peine. Le Chroniqueur a narré ces grands événemens: que pourrait-on ajouter à son récit qui eût le même charme et offrît le même intérêt?
Ce fut le 29 Mars 1536, après deux jours de siège seulement, que Chillon fut pris par les Bernois et les Genevois. Il n’y eut pas de résistance sérieuse. Le Châtelain s’enfuit lâchement. Un seul homme, si l'on en croit la tradition, jeta un reflet de gloire sur les derniers momens du règne des ducs de Savoie rière le pays de Vaud. C’était un de Blonay. On raconte que, fort attaché à la religion de ses pères et à ses anciens maîtres, il se précipita à cheval dans le lac pour échapper à la flottille qui entourait le château, gagna la rive du Chablais à la nage et fut reçu à la cour avec la plus rare distinction. Le peuple s’empara de cette merveilleuse prouesse et la raconta au loin: il ne lui vint pas dans la pensée que rien pût être impossible à la fidélité et au courage!
L’ours de Berne étend pour la seconde fois sur Chillon sa griffe redoutable et maintenant il ne le laissera de longtemps échapper. Il n’y a guères plus de cinquante ans que, descendu des forêts natales et encore tout meurtri de la mêlée de la Planta, 12 il a cherché à prendre pied sur les bords du Léman. Forcé trop tôt de se retirer, il s’est éloigné à pas lents. Du haut /17/ des monts qui dominent Vevey, il a jeté à la baronnie de Vaud de longs regards de convoitise, de vifs adieux de regrets. Sans doute il s’est dit: Je reviendrai! car le voilà revenu en effet. Cette fois, Berne conservera sa conquête et un joug nouveau s'appesantira, durant deux siècles et demi, sur le peuple libre qui possède aujourd’hui Chillon et saura le garder, envers et contre tous!
On ne perd pas un pays comme celui de Vaud sans chercher à le reprendre, aussi le Duc Philibert-Emmanuel entra-t-il en négociation avec la république de Berne pour être remis en possession de ses états. Le prince offrit cent mille écus de Vevey, de la Tour de Peilz, Villeneuve, etc., anciennes dépendances de son Comté de Chablais et promit de raser Chillon. Ces propositions furent rejetées. Berne rendit, par le traité de 1564, le pays de Gex, les mandemens de Thonon et de Ternier et tout ce qui avait été conquis au delà du Léman, mais garda le pays de Vaud, et le littoral du Rhône et du lac, de St. Maurice à Vevey. On convint que le milieu des eaux servirait de limites entre les deux états.
Nous voici arrivés aux temps actuels.
DROIT DU SEIGNEUR
et juridiction du Châtelain de Chillon.
Nous croyons avoir dit que la juridiction du Châtelain de Chillon était l'une des plus importantes et des plus lucratives du Comté du Chablais.
Les droits du Seigneur étaient aussi considérables et s'étendaient au loin.
On a vu, par le traité de 1221 ou 24 que l’Evêque de Sion était tenu de défendre Chillon, en cas de guerre, avec toutes ses forces.
Deux ans auparavant, en 1219, le Comte Thomas réglait avec l’Abbaye de St. Maurice leurs droits respectifs sur la vallée de Bagnes. Il fut reconnu que: habet etiam ibidem Comes equitationes et manopora ad Castrum de Chillon 13 .
Port-Vallais et le Bouveret où les Abbés de St. Michel de Cluse avaient la basse juridiction étaient du ressort de Chillon. Le Châtelain en percevait chaque année dix poules.
Vouvry dont les Abbés de St. Maurice et les de la Tour avaient été, les premiers Seigneurs et les seconds Vidondes, au XIIe et au XIIIe siècle, eut ensuite des Conseigneurs de plusieurs familles, comme les Tavelli de Granges, les de Rovéréa de Bex, les Quartéry de St. Maurice et les du Fay de Monthey, mais pour la justice criminelle, cette paroisse ressortissait au Château de Chillon jusqu'en 1358, époque à laquelle Amédée VI en gratifia les Tavelli. Chaque feu, au plan, lui payait annuellement un gros, et, en mont, dix deniers. /19/
On voit, par un titre de 1272, qui est le Role de ce que devaient les hommes de Vouvry au Comte de Savoie, que les droits du Seigneur rière cette paroisse consistaient en trois jours de corvées de manœuvre à Chillon, la cavalcade ou chevauchée, du chanvre pour les cordes du pont-levis, et une portion des ours tués. Le saulthier cependant était exempt de toutes redevances, sauf la cavalcade.
Ces redevances sont déterminées, d'une manière encore plus précise, dans une reconnaissance en date du 6 Juin 1491. Cet acte énumère:
1o Les bans du sang, du vol et du brigandage, excepté les trois jours du plaid général de l'Abbé de St. Maurice, seigneur ordinaire de Vouvry, qui les a durant ces trois jours.
2o Le droit de chasser l'ours une fois par an, entre la fête de St. Michel et la Toussaint, dans le bois de Liginières. — Chaque feu doit y envoyer un homme pour battre le bois et garder les passages. Si l'ours sort du bois par la faute des gardes, ceux-ci auront un bon de 60 sols à supporter. Et si les hommes de Vouvry prennent un ours ce jour-là sur leur territoire, ils en doivent les honneurs au Duc, savoir: la peau, les pattes, la tête, la cuisse à l’entour de l'arche et le badellum.
On y lit en outre:
3o Chaque feu doit au Duc deux deniers maurisois de fruneria, excepté trois albergemens. —Il y avait en ce temps-là 66 feux, ce qui portait le tribut à 9 sols 9 deniers.
4o En outre, deux deniers par feu pour le chanvre des ponts-levis.
5o Chaque feu de la plaine (il y en avait 32) doit en sus un fasceau de foin par an ou deux deniers. — Les feux de la montagne payaient au lieu de foin 1 denier par an.
6o L’Alpe de Verney doit, pour droit de garde de chaque fruitière (il y en avait deux) un fromage et un sérac.
7o Item, deux sols, monnaie de Lausanne, in omnibus lagis quæ fuerunt vel sunt apud Vauvriacum. /20/
8o Pour les jours de montagnes de Riedanoir et de Saveroz, la cavalcade à leurs dépends.
9o Vouvry reconnaît tenir des seigneurs Ducs la forêt de Plain bois, excepté les chênes et les melèses qui sont de ban ducal.
Et enfin 10o, le tribut de 5 sols maurisois qu’on payait autrefois au Métral est garanti au seigneur duc.
Nous nous sommes un peu étendus sur ce titre, afin de donner une idée de la diversité des redevances aux quelles les peuples étaient assujétis à cette époque et aussi pour montrer avec quelle sollicitude les princes d'alors réglaient la police de leurs chasses périlleuses.
Vionnaz formait au moyen âge une seigneurie qui appartenait au prieuré de Lutry, mais qui relevait de Chillon sous plusieurs rapports. Toutefois, ni le Baillif du Chablais, ni le Châtelain de Chillon n’avaient le droit de saisir et de barrer les biens des hommes de cette paroisse, encore moins de connaître des causes criminelles, même du vol, de l'adultère et de l’homicide, si ce n'est au défaut des officiers du Prieur. Celui-ci avait seul le droit de pêche, de vanel et d’usine sur les rivières et torrens. D’un autre côté, le Comte de Savoie, haut seigneur de Vionnaz, n’en pouvait taxer arbitrairement les ressortissans et leur devait au contraire aide et protection, moyennant les tributs stipulés.
Des lettres-patentes d’Amédée V, de l’an 1293, énumèrent en détail les droits du Prince. — On y lit que Vionnaz doit au Châtelain de Chillon , 50 miches de pain blanc et 3 setiers de vin, pour la garde promise, — quatre pains de 4 livres, quatre fromages et deux setiers de vin, lorsque le Comte chasse en personne dans une forêt située dans la plaine de Vionnaz, — une manœuvre annuelle de trois jours, à ses dépends, au château de Chillon, — un chapon ou un denier annuellement par maison, — du chanvre pour les ponts-levis, etc. etc.
Vionnaz avait à cette époque un Métral (Mistralis), espèce de juge subalterne dont l’office s’est perpétué jusqu’à la révolution de 1798. Cet officier relevait du Châtelain de Chillon, sous la /21/ domination savoyarde et du gouverneur de Monthey, sous celle des Dixains du Haut-Valais.
On voit par les franchises d'Aigle, confirmées le 28 Juillet 1392, par Bonne de Bourbon, Régente et Tutrice d’Amédée VIII que les sindics, conseillers, familliers et receveurs de ce bourg étaient nommés par ses bourgeois, en présence du Châtelain de Chillon.
Une autre preuve de la dépendance d'Aigle résulte d’un titre des archives de Quartéry, de l’an 1358. On y trouve la liste des hommes et des terres dont Amédée VI gratifie les frères de l'Evêque Guichard Tavelli 14 ; puis, après avoir parlé de la cession du Vice-dominat d'Aigle, dont la chambre des comptes et les rapports du Châtelain de Chillon évaluent les revenus à VI livres IV sols maurisois, l'acte ajoute: quæ omnia sunt in Castellania Chillonis.
Enfin un grand nombre d'ordonnances des princes de Savoie où se trouvent constamment désignées les Châtellenies de Chillon, de Monthey, de St Maurice, de Sembrancher, de Saillon et de Conthey, sans jamais y voir paraître des Châtelains d'Aigle quoique ce bourg eût une bourgeoisie, prouvent, ce nous semble, d'une manière positive, que le gouvernement des quatre mandements d'Aigle ressortissait au château de Chillon, — que son Châtelain y était juge d'appel et y rendait seul la justice criminelle ou au moins mettait seul à exécution les sentences de mort.
On a cru longtemps que Bex appartenait à la Châtellenie de St Maurice, mais il semblerait que cette importante paroisse faisait partie au contraire de celle de Chillon. Deux titres, des archives de la ville de St Maurice, l'insinuent fortement. — Le premier qui est de 1323, est un legs pie, de Jean de Bex, donzel, tombé malade à St Maurice, en la maison d'Humbert de Colombey, d'une coupe de froment de cens annuel, pour le /22/ luminaire de l’Eglise de St Sigismond. — On voit par le second (1326) que Humbert de Colombey, devenu l’héritier du testateur, ne se pressait pas pour acquitter ce legs. Le juge du Chablais, Jean de Allodiis, y ordonne au Châtelain de Chillon de faire remplir la volonté du défunt; à ce défaut, de saisir les biens que l’héritier récalcitrant possède rière le territoire de Bex.
Quant à Vevey, il parait par plusieurs chartes des archives de Saillon et de Leytron, promulgués par les Comtes de Savoie, que cette ville se trouvait vis-à-vis du Château de Chillon dans une position analogue à celle du bourg d’Aigle, au moins pendant quelque temps.
Les titres que nous venons d'analyser permettent de croire que le Châtelain de Chillon était pareillement juge au criminel dans toutes les seigneuries qui appartenaient à l’Abbaye de St Maurice dans le gouvernement d’Aigle, au prieur de Lutri et à l’Abbé de Cluse, dans le gouvernement de Monthey, et que leurs Vidondes n'avaient que la basse juridiction. /23/
Châtelains de Chillon.
Nous terminons cette notice en donnant les noms de quelques uns des Châtelains de Chillon. Cette liste n’est point complète et ne pouvait pas l’être, faute de posséder les élémens nécessaires pour un travail de cette nature. On l'a composée en annotant soigneusement les noms de ces personnages importans, à mesure que la lecture d'anciens documens les faisait connaître.
| 1198 | Pierre de Balma. Archives de l'Abbaye de St-Maurice. Titre concernant Bagnes. |
| 1204 | Uldric de St Brancher. |
| 1208 | Guillaume d'Orsières; Chevalier, présent à la rédaction d'une Charte du Comte Thomas, en faveur de l'Abbaye d'Abondance. |
| 1217 | Pancrace. |
| 1224 | Uldric de St Brancher, présent au traité conclu entre l'Evêque Landri et le Comte Thomas. |
| 1228 | Vuiffred. Archives de l'Abbaye. |
| 1236 | Hugues. |
| 1238 | Martin. Il est présent à un accord entre la ville et l'Abbaye de St Maurice. — Gallia Chr. Tome XII. |
| 1240 | Gui ou Anselme d’Amélin. |
| 1263 | Hugo Grandi-montis. (de Grandmont en Bugey.) |
| 1265 | Guido Bovardi. |
| 1266 | Le même Hugo. — Gallia Christ. Entelinus de Amelino ou Amarino. |
| 1275 | Guido Bovardi. |
| 1279 | Le même. Dipl. Montis-Jovis et Abbatiæ Agaunensis. /24/ |
| 1285 | Anthelme Porterii. — Archives de l'Abbaye, Recueil Charleti, Tome I. |
| 1308 | Amédée de Chatillon. Même Recueil p. 308. |
| 1315 | Jean Reynourdi. |
| 1326 et 27 | Le même. Arch. de l'Abbaye. |
| 1336 | Louis de Chappelin. |
| 1353 | Richardus de Donno petro (Dompierre?) Archives de l'Etat et de Valère, Titre concern. Vionnaz. |
| 1392 | Roulet Tavel. Il était Châtelain ou Gouverneur de Tourbillon avant 1424. A cette dernière date, il était baillif de l’Evêque à Lausanne. |
| 1471 | Noble Michel Leiderii, Vice Chatel. |
| 1504 | Bertrand de Duin. Etrenn. Helvét. de 1807. |
| 1513 | Antoine de Beaufort, seigneur de Hégry. — Le dernier. |
Autre liste des Châtelains de Chillon
,tirée des inventaires de la cour des comptes à Turin,
vol. 69, folio 5 à 40, communiquée par M. François Forel.
| Hugues de Grandmont | 1260-1266 |
| Aymon de Sallanche | 1266-1267 |
| Antelme d’Ameyssin | 1271-1272 |
| Guy Bocard | 1274-1279 |
| Guillaume Portier | 1283-1286 |
| Guillaume de Septimo | 1286-1288 |
| Roudet Siriodi | 1289-1291 |
| Guillaume de Septimo | 1292-1297 |
| Thomas de Conflens | 1297-1298 |
| Rodolphe de Montmayeur | 1300-1304 |
| Amed de Chatillon | 1304-1310 |
| Jean de Bagnol | 1310-1316 |
| Hugues de la Rochete | 1316-1318 |
| Aymonet Curbaud | 1317-1320 |
| Jean Renard | 1320-1330 |
| Aymon de Verdon | 1330-1335 |
| Humbert Provana de Chatillon | 1338-1342 |
| Guillaume, seigneur d'Entremonts | 1342-1343 |
| Humbert, bâtard de Savoie | 1343-1346 |
| Guillaume de Montbel, (seigneur d’Entremont) | 1346-1347 |
| Les héritiers du précédent | 1347-1348 |
| Aymon de Pontverre, seigneur d’Aspremont | 1350-1351 |
| Jean, seigneur de La Chambre | 1351-1352 |
| François, seigneur de La Serra | 1352-1362 |
| Aymon et François, fils et héritiers du précédent | 1362-1363 |
| Gay Thomas, seigneur de St-Triphon /26/ | 1363-1364 |
| Jean de Blonay, seigneur de St-Paul | 1366-1382 |
| Les héritiers du précédent | 1382-1383 |
| Estienne Guerrit | 1383-1384 |
| Jean de Blonay | 1384-1398 |
| Jacques Champion | 1398-1402 |
| Amed, fils et héritier du précédent | 1402-1403 |
| Amed de Challand | 1404-1422 |
| Jacques et Guillaume, fils et héritiers du précédent | 1423-1427 |
| Guillaume Bertrand | 1427-1429 |
| Hugonin Leydier | 1429-1431 |
| Robert de Montagnard | 1431-1439 |
| Janin Léon | 1439-1443 |
| Claude de Challes le jeune, seigneur de Montherminod | 1443-1479 |
| Les héritiers du précédent | 1481-1497 |
| François de Gingins | 1499-1501 |
| Georges, baron de Menthon | 1502-1508 |