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Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande

Edition numérique

Louis VULLIEMIN

Coup-d’œil sur les études et les publications de la Société d’histoire de la Suisse romande

Dans MDR, 1849, tome VIII, Mélanges, p. 5-21

© 2020 Société d’histoire de la Suisse romande

COUP-D’ŒIL SUR LES ÉTUDES ET LES PUBLICATIONS DE LA SOCIÉTÉ D’HISTOIRE DE LA SUISSE ROMANDE.

par M. L. Vulliemin.

Trois ans bientôt se sont écoulés depuis que j’eus l’honneur de présenter à votre Société un coup-d’œil sur ses publications. Depuis ce jour vous avez ajouté à vos études sur l’histoire de la patrie. Vous avez continué à vous réunir deux fois l’an pour resserrer le lien qui vous unit et mettre en commun le fruit de vos travaux. Vos réunions paisibles et cordiales ont continué de l’être même en des temps où la plus vive agitation régnait à l’extérieur. Persuadés que votre Société ne subsiste qu’à la condition d’être fidèle à son but, et étrangère aux débats du jour, vous avez tenu les portes du lieu qui vous rassemble toujours fermées à la politique, toujours ouvertes à la science et à l’amitié. Permettez-moi, Messieurs, de vous en féliciter. Grâces à la marche que /6/ vous avez suivie, vous avez pu poursuivre en paix votre œuvre. Vous avez fait des pertes sensibles. Vous avez vu des hommes qui vous étaient chers s’éloigner de leur patrie; mais grâces au nœud qui nous lie plusieurs sont demeurés, sur une terre étrangère, fidèles à la Société romande; ils continuent de recevoir vos publications et n’ont pas renoncé aux rapports qui les unissaient à vous. Dans les douze années de son existence, notre Société a vu souvent la mort moissonner dans ses rangs. Nous ne comptons plus parmi nous un général De La Harpe, un Louis Secretan, un doyen Bridel, un Correvon de Martines, un Kuenlin, un de Mulinen, un Cherbulliez, un Daniel-Alexandre Chavannes; de deux-cents vingt-deux membres, portés sur le catalogue de la Société, soixante nous ont été enlevés par la mort ou par les circonstances; et cependant cette Société n’a pas, depuis son origine, cessé de s’accroître, toujours recrutée de membres nouveaux.

Les derniers mois ont été marqués pour nous par une perte que nous avons vivement sentie. Nos yeux cherchent vainement ici Frédéric de Charrière. Ce cœur aimant et généreux, cet esprit aimable, cette grâce originale, cet amour antique et naïf de la patrie vaudoise, ce sens juste et droit, cette intelligence ornée de connaissances diverses et des fruits d’une patiente investigation, laisseront longtemps un grand vide dans nos réunions. J’ai vécu dans l’intimité de Frédéric de Charrière. Je l’ai toujours vu sensible, ouvert au bien, facile à émouvoir, et jamais je n’ai surpris chez lui un mouvement d’irritation, une parole de haine. Je n’ai pas connu de caractère plus libre d’amour-propre. Toujours je l’ai vu consciencieux et indulgent, sévère pour lui-même et d’une inépuisable bonté. Il se /7/ donnait, sans exiger de retour. Il était savant et ne montrait aucune prétention. Il aimait l’étude pour elle-même, et, chez lui, l’amour de l’étude se confondait avec l’amour de la patrie. Il chérissait la liberté et se plaisait, dans ses recherches historiques, à en suivre les traces. C’est lui qui nous a révélé ce qu’ont fait les anciens monastères pour l’affranchissement des paysans, pour l’amélioration de la culture et pour le développement du droit communal. Après avoir écrit, les chartes en main, l’histoire du petit empire monacal de Romainmotier, il avait commencé celle de l’abbaye de Haut-Cret, dont les moines laboureurs ont défriché les monts de Lavaux, et celle du monastère de la reine Berthe, à l’abri duquel ont grandi les franchises de la ville de Payerne. Nous attendions de Frédéric de Charrière toute cette partie de l’histoire du Pays de Vaud, qui se rattache le plus immédiatement à l’origine de nos communes et des premières franchises populaires. Ces études restent inachevées. Telles qu’elles demeurent, elles forment une belle partie du monument que vous vous efforcez d’élever à notre patrie. On y trouve, en même temps qu’une consciencieuse exactitude, quelque chose de ce qui prêtait tant de charme à l’esprit de de Charrière, tant d’attrait à son caractère. Nous qui l’avons connu, nous aimons à y retrouver des traces de la chaleur de son cœur, de son abandon, de sa fine bonhommie, de sa douce et constante gaîté.


/8/

PUBLICATIONS.

1.

Vos recherches de ces dernières années ont, comme les précédentes, embrassé tout le champ du passé de la patrie romande.

L’Helvétie celte et romaine a continué d’être l’objet des études de MM. Baron et Troyon. M. Baron vous a fait, chaque année, de nouveaux rapports sur les monnaies, et les objets d’art antique, découverts dans notre sol. M. Troyon, de retour de ses voyages dans le Nord, ne s’est pas borné à vous faire connaître ses nouvelles explorations en Suisse; il vous a fait part de rapprochements qu’il a conçus, d’idées générales auxquelles il est parvenu. L’étude de plusieurs classes de tombeaux, et de plusieurs matières, la pierre, le bronze et le fer, employées successivement, lui ont permis de distinguer les couches diverses des peuples qui se sont succédés sur le sol de l’Europe et les développements de l’art chez les populations primitives. Il suffit souvent à M. Troyon de quelques traits, bien constatés, pour créer une histoire par delà les temps historiques. Tel peuple a embaumé ses morts, tel autre a eu l’usage de l’ustion; autres mœurs, autres races; et lorsque ces usages se rencontrent chez le même peuple, M. Troyon distingue encore la race d’avec la race, le vainqueur d’avec le vaincu, le noble d’avec le plébéien. Notre savant ami ne néglige pas de recueillir la riche légende qui plane encore autour des monuments de l’antiquité, et, dans ce champ de l’imagination, /9/ il recueille de nouvelles données sur la marche des peuples de l’orient vers l’occident, sur la superposition des races, sur le mélange et la perpétuité des traditions. Dans notre patrie, il a surtout cherché l’écho des traditions antiques dans les villages reculés, cachés dans le voisinage des bois ou renfermés dans les montagnes; contrées immobiles où se perpétuent fidèlement les souvenirs des anciens âges. Il les a retrouvées tantôt dans les contrées froides du Jorat et tantôt au pied de la chaîne jurassique.

C’est au pied du Jura que M. Blavignac vient récemment de retrouver des traditions d’origine scandinave, qui nous transportent dans le monde enchanté de la mythologie de l’Edda. Il vient de publier, dans les Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, le fruit de ses découvertes faites à Bérolles. Un tertre voisin de ce village, l’antique Berula, porte encore le nom de Nernetzan, le champ des Nornes. C’est sur ce monticule que, suivant les récits populaires, les dieux de l’ancien monde, devenus les démons du moyen-âge, se rassemblent aux sons d’une musique enchantée, pour y fêter le sabbat. Le ratelier se charge de vaisselle d’or et d’argent. La table ronde se couvre de mets délicieux. Durant tout le festin, un cheval gris décapité, le cheval de la déesse Freia, circule autour de l’assemblée. Puis les démons, formant autour de la colline une ronde gigantesque, dansent jusqu’à ce que, ombres folles et légères, ils se dispersent dans les airs.

La collection des inscriptions antiques du pays, dont s’occupe M. le professeur Wiener, viendra jetter, par un nouveau côté, de la lumière sur les premiers âges de notre patrie.

/10/

II.

Le moyen-âge, cet âge de vigueur et d’une confusion apparente, dont les faits si compliqués seront ramenés par une étude approfondie à un petit nombre de lois simples et fécondes, a continué d’être pour nous un sujet d’études sérieuses.

M. Rickly n’a point perdu de vue l’édition de la Chronique de Marius, dont il s’est chargé. Il s’en occupe à Berne, son nouveau domicile. Il m’a témoigné, en quittant Lausanne, son désir de conserver les rapports qui l’unissaient à vous, et son intention de continuer à prendre une part active à vos travaux.

Vous êtes près d’avoir réalisé le vœu, formé dès l’origine de votre Société, de publier le Cartulaire de Lausanne, base de vos études sur la Suisse romande dans le moyen-âge. L’achèvement de cette tâche approche de son terme, et nous avons lieu de croire qu’elle sera terminée de manière à répondre à l’attente que vous en aviez conçue. Une copie exacte du manuscrit original a été faite à Berne par M. Jahn. L’impression se poursuit à Lausanne, sous les soins de M. Martignier. Un don de 500 francs, fait par le gouvernement vaudois, a couvert en partie les frais d’une entreprise considérable. MM. Rickly et Frédéric de Charrière ont joint leurs soins à ceux de M. Martignier pour la correction des épreuves d’impression. Une introduction historique et critique, une table des noms de personnes et de lieux, un dictionnaire des mots difficiles, parmi lesquels plusieurs sont propres au Cartulaire de Lausanne, et une table chronologique, dont M. Forel a bien voulu se charger, donneront à /11/ une publication d’un intérêt général toute la valeur qu’elle pouvait avoir. Déjà, Messieurs, vous avez reçu la première partie du Cartulaire; la seconde vous sera distribuée avant la fin de l’année.

La seconde livraison des Chartes, statuts et documents concernant l’ancien évêché de Lausanne, vous a été adressée. Osons espérer que MM. de Gingins et Forel, à qui nous devons cette belle publication, songeront à la compléter en nous donnant la collection des Chartes de nos principales communes.

M. Louis de Charrière a complété son étude sur les Sires de Cossonay par la Chronique de la ville de Cossonay, œuvre d’une consciencieuse érudition.

L’histoire de l’homme se réfléchit dans celle de la terre. Au moyen-âge surtout, où la société s’était incorporée au sol, où presque toutes les relations sociales s’exprimaient par les relations territoriales, la connaissance de l’état des terres est une condition première de la connaissance de l’histoire. L’investigateur qui, par une étude sérieuse et intelligente, est parvenu à se rendre compte des mouvements de la propriété, à travers les phases diverses d’une période historique, possède aussi la clef des mouvements qui se sont accomplis durant cet âge à la surface du sol. Aussi quelle clarté n’a pas été jetée par M. de Gingins sur la question, longtemps et vivement agitée, de l’origine des libertés helvétiques, par son Mémoire sur l’état des personnes et des choses au 13e siècle dans le canton d’Uri! Après avoir étudié cette matière sur la scène de la Suisse primitive, il l’a fait sur la scène de la Suisse occidentale, et vous a lu un Mémoire sur l’état des personnes et des terres dans l’Helvétie romande dans le moyen-âge. /12/

M. de Gingins nous a donné encore une Notice sur Orbe, première partie d’une étude sur les possessions de la maison du Château-Guyon dans le Pays de Vaud. Il a publié dans les Mémoires de l’académie de Turin un Mémoire sur les comtes de Biandrate, qui, dans le 13e et le 14e siècles, ont été les seigneurs d’un vaste territoire, situé sur les deux versants du Simplon et dans le Haut-Valais.

M. Martignier vous a lu l’histoire des Sires de Wufflens.

M. Hisely a complété son beau recueil de Chartes concernant les comtes de Gruyères et nous promet de nous donner, avant qu’il soit longtemps, l’histoire du pays de Gruyères et de ces rois pasteurs.

L’histoire des monastères du Pays de Vaud ne restera pas inachevée. Celle de l’abbaye de Payerne est un legs que M. Frédéric de Charrière fait au frère avec lequel il avait les mêmes goûts, les mêmes études communes. M. Louis de Charrière croira, en écrivant, entendre encore la voix de celui dont il réalisera la pensée. Il se retrouvera avec lui en communauté d’idées et d’intérêt; et notre sympathie, qu’il en soit certain, le suivra dans ce travail, qu’il va poursuivre dans l’amour de la patrie et dans l’amour fraternel. Peut-être essaiera-t-il aussi d’achever le travail commencé sur l’abbaye de Haut-Cret.

Il est, Messieurs, sur le versant du Jura, au sein d’une forêt épaisse, un dernier reste d’une de ces maisons, asile de la prière et du travail pendant des âges de violence. La terre aura bientôt complétement enseveli les derniers débris du couvent d’Oujon, qui florissait, entre Saint-Cergues et Arzier, en des temps où ces villages n’étaient pas encore. Un jour que je me promenais dans ses lieux solitaires, mon regard fut frappé par la forme d’une légère élévation qui se /13/ dessinait à la surface du sol et rappelait celle d’un habitation. Les broussailles, amies des ruines, attestaient le séjour de l’homme dans ces lieux. Auprès de l’enceinte jaillissait une source d’eau pure. Il me souvint de la tradition, qui faisait couler une eau miraculeuse auprès de la maison des moines. Je savais que, du voisinage, on venait encore puiser pour les malades de l’eau à la bonne fontaine. C’était donc là ce qui restait d’une maison religieuse qui a possédé, dans le comté des Equestres, des terres considérables et a puissamment contribué aux progrès de la culture dans la plaine et sur les monts. Quelques chartes, conservées dans nos archives cantonales, nous faisaient connaître vaguement l’existence et les destinées du couvent d’Oujon, lorsque un Cartulaire tout entier de ce monastère a été retrouvé dans les archives de Chambéry. Ce Cartulaire renferme 84 pages de chartes et embrasse un espace d’un demi-siècle (1200-1247). M. de Gingins en ayant eu connaissance dans un voyage en Savoie, a obtenu de S. S. l’archevêque de Chambéry, la permission de transcrire et celle de publier le Cartulaire d’Oujon. La transcription s’achève, grâce à l’offre généreuse de M. Hisely de s’en charger, et le Cartulaire trouvera prochainement sa place dans le recueil de nos documents.

Tandis que les chartes d’Oujon dormaient dans les archives de Savoie, une autre recueil de pièces intéressantes pour l’histoire de notre patrie, reposait parmi les manuscrits de la bibliothèque de Berne; nous voulons parler du Rapport fait sur la Visite pastorale, ordonnée en 1453 par l’évêque de Lausanne, Georges de Saluces, dans toute l’étendue de son diocèse. Déjà M. le curé Meyer de Saint-Jean en avait transcrit la partie relative à Fribourg et l’avait /14/ publiée dans les Archives fribourgeoises. M. Fetscherin, de son côté, songeait à extraire pareillement du volume des Visitationes la partie concernant le canton de Berne, et il l’a publiée dès lors dans les Archives de la société bernoise. Nous eussions voulu que le Rapport pût paraître en entier, et non par fragments; nous eussions aussi voulu pouvoir confier, en ce qui nous concerne, le soin de cette publication à M. Meyer, qui l’avait commencée avec une pleine intelligence du sujet qu’elle traite; nous nous fussions avec plaisir associés pour ce but à la Société d’histoire de Fribourg; mais l’état de notre caisse, et l’obligation d’achever des publications commencées avant de songer à en entreprendre de nouvelles, ne nous ont pas permis, jusqu’à ce jour, de donner suite à cette pensée.

Un mémoire de M. Louis Carrard nous a retracé, d’après Cibrario, l’administration du Pays de Vaud sous la maison de Savoie.

M. Poncet, ancien sous-préfet à Gex, nous a lu une étude sur les Comptes de la chatelainie de Gex et un Essai sur la législation pénale en vigueur dans la baronie de Gex pendant le moyen-âge.

Dans une œuvre qui appartient à la fois à la littérature et à l’histoire, dans son drame de la Mort d’Albert d’Autriche, M. Gaullieur a fait revivre à nos yeux les événements au milieu desquels la Confédération suisse a pris naissance.

Enfin, Messieurs, deux demandes de M. Chaponière ont été prises par vous en considération.

M. Chaponière voudrait voir compléter les publications, dont les Evêchés de Genève et de Lausanne ont été l’objet, par une publication semblable sur l’Evêché de Sion, et il a témoigné le désir que votre bureau s’entendît, pour y /15/ parvenir, avec les hommes qui, dans le Valais, s’intéressent à l’histoire nationale. Nous n’oublierons point l’accueil que vous avez fait à ce vœu et chercherons les moyens d’en amener la réalisation.

La seconde des propositions de M. Chaponière avait pour but la publication d’un Extrait des Manuels du Conseil de Lausanne dans le moyen-âge, source précieuse pour l’histoire de cette cité. Espérons que nous verrons bientôt quelqu’un des membres de notre Société entreprendre ce travail.

III.

L’histoire des temps plus rapprochés des nôtres n’a pas été négligée. M. Frédéric de Charrière nous a fait connaître Lausanne comme centre protestant dans le 18me siècle. — M. Gaullieur nous a donné des études sur la satyre politique à cette même époque. Il nous a lu des lettres de Bonstetten, du grand Haller. Il nous a fait connaître Favrod, de Château-d’Œx, et l’estime que Haller faisait de ce botaniste, qui le secondait dans ses travaux. — M. Kohler, de Porrentruy, nous a fait part de ses recherches sur le patois de l’évêché de Bâle, sur les Noëls, sur la satyre et, en général, sur la poésie populaire de cette contrée. Ce sont les études qu’il a faites sur ce sujet que vient de publier la Société jurassienne d’émulation. — M. Favey, de Lasarraz, a écrit une Notice sur la vie et les ouvrages de Michel Brandoin, de Vevey, peintre spirituel, original, qui, le premier, sut saisir les traits divers qui caractérisent les costumes suisses et les mettre à la mode. On ne savait point généralement que, parent de Brandoin par alliance, M. Favey possédait à Lasarraz une galerie de ses tableaux. — M. P.-A. Exchaquet /16/ a déposé parmi nos pièces des notices généalogiques, et une biographie de son grand-père, ingénieur distingué, auteur d’un Dictionnaire estimé des ponts et chaussées et de nombreux Mémoires sur des matières d’utilité publique. Cette notice trouvera quelque jour sa place dans le recueil de biographies vaudoises, auquel vous avez résolu de travailler, accueillant la proposition que M. Baron vous a faite sur ce sujet. — Nous avons entendu quelques pages sur le père Girard, empruntées à une Histoire de l’instruction primaire dans le canton de Fribourg, par M. Berchtold. — M. Charles Eynard nous a lu quelques pages intéressantes, tirées de la Vie de Madame de Krudner, son sujet d’étude dans les dernières années.

M. Recordon, de Vevey, a déposé dans vos archives le journal manuscrit de J.-Jacob Salchli, officier vaudois au service de France, qui a pris part aux principales expéditions militaires et à plusieurs des grandes batailles du commencement du siècle dernier (1703 à 1719).

Vous connaissez tous, Messieurs, le beau fait d’armes de ces trente Suisses du régiment d’Ernst, qui, fidèles au vieil honneur, refusèrent, en 1791, de se laisser désarmer, et qui, poursuivant fièrement leur chemin à travers plusieurs provinces et des populations soulevées, ne déposèrent leurs armes qu’arrivés à la frontière de leur patrie 1 . Le capitaine Sterky, de Morges, commandait ces braves. Au départ pour l’Amérique de Henri Sterky, fils de ce chef héroïque, j’ai cru devoir lui demander copie des pièces qu’il possédait sur la retraite des trente, et ces pièces réunies à telle autre /17/ que je me trouvais posséder, seront déposées dans vos archives.

Les deux fragments que nous a lu M. Verdeil, l’un sur l’âge héroïque de la chevalerie vaudoise, l’autre sur la part que les milices du pays de Vaud ont prise à la seconde guerre de Willmergen, font partie de son Histoire du canton de Vaud. Nous avions sur l’histoire de ce canton des ouvrages estimables, mais tous écrits avant les recherches auxquelles vous vous êtes livrés. Sans méconnaître la valeur de ces écrits, nous éprouvons le besoin de voir les annales de notre patrie retracées au point de vue de nos jours, et avec l’aide des pièces que vous avez livrées à l’historien qui voudrait tenter une œuvre nouvelle, et c’est à ce besoin que M. Verdeil vient de répondre. Bientôt, grâces à lui, nous pourrons lire une Histoire du canton de Vaud plus riche, plus complète et plus approfondie que ne pouvaient être celles qui ont été écrites plus anciennement. Le jour viendra d’en exprimer notre reconnaissance à M. Verdeil; aujourd’hui, je crois pouvoir vous féliciter d’une entreprise qui peut, à juste titre, être regardée comme l’un des fruits des travaux de notre Société.

Je ne vous parle pas du Dictionnaire patois, legs du doyen Bridel. M. Moratel achève le travail qu’il a entrepris dans le but de compléter l’œuvre du vieillard, premier guide et premier patron de la Société romande. Vous n’ignorez pas l’étroit rapport qui lie l’étude d’une langue aux destinées du peuple qui la parle, et nous formons sans doute un même vœu pour la publication prochaine de ce monument, à la fois historique et littéraire.

/18/

RÉSOLUTIONS ÉMANÉES DE LA SOCIÉTÉ.

Deux résolutions principales ont été arrêtées par notre Société dans le cours de ces trois dernières années.

Vous avez demandé à votre Commission de publication d’éditer chaque année, autant du moins qu’il se pourrait, auprès d’un volume de chartes et de documents, un cahier de pièces diverses et de mémoires écrits en langue française. Plus d’une fois déjà la demande en avait été faite; elle pouvait être renvoyée sans péril lorsque plusieurs feuilles périodiques, la Feuille du canton de Vaud, la Revue Suisse, d’autres journaux encore, recevaient le compte-rendu de nos séances et publiaient les Mémoires que nos sociétaires nous avaient lus; mais plusieurs de ces journaux ayant cessé de paraître, vous avez transformé la proposition qui vous avait été faite en résolution, et il y sera fait droit. Le cahier de Mémoires en français, qui sera publié annuellement, recueillera aussi nos procès-verbaux. Veuillez, Messieurs, regarder les deux notices que j’aurai eu l’honneur de vous présenter, sur les travaux des douze premières années de votre Société, comme une introduction, qui devenait nécessaire, à la publication régulière qui sera faite à l’avenir du compte-rendu de vos séances.

Une seconde résolution est née du besoin de prêter à vos réunions un intérêt nouveau. Vous avez décidé d’accueillir les questions d’une valeur historique qui seraient de nature à appeler des recherches ou à fournir une matière à la discussion dans le cours de vos séances. Une première /19/ question, proposée par M. Martignier, sur la formation des grands fiefs dans l’Helvétie romane, est restée à l’ordre du jour. Un premier sujet de recherche vous a été proposé par M. Hisely, qui vous a demandé de vouloir vous intéresser à apprendre ce que sont devenues les archives du prieuré de Broc, dans le comté de Gruyères.

RAPPORTS DE LA SOCIÉTÉ EN SUISSE ET A L’ÉTRANGER.

Il ne me reste plus, Messieurs, qu’à nous féliciter de la continuation de nos bons rapports avec les sociétés et les hommes auxquels nous sommes unis par un but commun. Nous avons continué de faire échange de nos publications avec les sociétés historiques de la patrie suisse et avec quelques sociétés de France, de Belgique et d’Allemagne. Plusieurs écrivains nous ont adressé, en témoignage de leur sympathie, leurs publications historiques. Vous avez reçu de M. Zellweger, son Histoire des relations diplomatiques de la France avec les cantons suisses; de M. Kopp, son Histoire de la Confédération; de M. Pictet de Sergy, son Histoire de Genève; de M. Jahn son Mémoire sur des monnaies antiques découvertes près de Bienne; de M. Fetscherin, son étude sur le Procès de Frischherz; de M. Matile, ses Etudes sur la loi Gombette. Vous vous êtes empressés de souscrire au fac-simile de la charte connue sous le nom de Testament de la reine Berthe, dernière publication de M.Matile avant son départ pour l’Amérique, et vous avez ainsi donné un dernier témoignage de votre intérêt à un homme qui, dans sa nouvelle patrie, restera l’objet de nos regrets.


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Tels sont vos rapports et tels ont été vos travaux dans le cours des trois années qui viennent de s’écouler. Ni l’agitation des temps, ni les pertes douloureuses que vous avez faites, n’ont ralenti votre activité. Le sol s’est ébranlé sous vos pas, sans que le découragement, qui a pénétré dans bien des sociétés, ait arrêté vos efforts. Vous n’avez pas, comme naguère, pu prolonger dans la sécurité le cours de vos veilles; mais cependant vos études ont souffert moins que bien d’autres études littéraires. Il est dans le spectacle d’un vaste mouvement des peuples un grand intérêt pour l’histoire, et une grande source d’instruction pour l’historien. Le déroulement d’une époque nouvelle éclaire d’une nouvelle lumière toutes celles qui se sont déroulées dans le champ du passé. C’est ce qui arrive surtout dans les sociétés avancées. Le regard qui, du sein de ces sociétés, se reporte vers les âges, d’enfance et de jeunesse des nations, embrasse avec plus d’étendue la scène des choses humaines. Les sociétés humaines s’épanouissent comme la fleur. Comme la fleur, elles ont, dans un ordre plus élevé, leurs transformations et leurs métamorphoses. Le sacerdoce est le calice qui réchauffe leur enfance. La royauté, la première, s’en dégage; puis les diverses classes sociales courent, l’une après l’autre, à l’émancipation, jusqu’à ce que, parvenue à son plein développement, la société se fane ainsi que la fleur et qu’elle tombe en terre, en laissant à des âges nouveaux les germes de sociétés nouvelles. C’est à l’heure de ce dernier développement qu’il est intéressant de suivre la loi sous laquelle se sont accomplies /21/ les destinées d’une humanité. L’esprit qui se livre à ces recherches y puise quelque chose de la paix qui se trouve dans l’initiation aux vues providentielles. Il se dégage des liens du temps. Affranchi de vaines craintes, il se livre avec plus de confiance à la main qui gouverne le monde. Aussi, Messieurs, n’avons-nous pas de peine à comprendre que les Grecs, qui ont fait d’un front serein l’attribut de toutes les muses, en aient fait plus spécialement l’attribut de la muse de l’histoire.

L. Vulliemin.

Mont-Rose, 20 juin 1849.

Notes:

1 Voyez l’Histoire de la Confédération suisse, Tome XV, page 457.[retour]