CARTULAIRE DU CHAPITRE DE NOTRE-DAME DE LAUSANNE
RÉDIGÉ
par le Prévôt Conon d’Estavayer,
(1228-1242).
PUBLIÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS EN ENTIER.
AVEC PRÉFACE, SOMMAIRE CHRONOLOGIQUE, TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES, GLOSSAIRE, FAC-SIMILE ET LA CARTE DU DIOCÈSE DE LAUSANNE,
PAR LA SOCIÉTÉ D’HISTOIRE DE LA SUISSE ROMANDE.
LAUSANNE,
LIBRAIRIE DE GEORGES BRIDEL, ÉDITEUR.
1851
/V/
PRÉFACE
Le recueil qu’on appelle le Cartulaire de l’Eglise de Lausanne, est un manuscrit composé de 136 feuillets en parchemin, format petit in-folio de 9 pouces de hauteur sur 5 à 6 de largeur. L’écriture de plusieurs mains différentes remonte au XIIIe siècle. Le caractère en est serré et d’une lecture assez difficile, même pour un œil exercé. Ce manuscrit fut enlevé aux archives de l’évêché de Lausanne par les Bernois, lorsqu’ils firent la conquête du pays de Vaud en 1536, et déposé dans les archives de l’Etat, où il resta jusqu’au commencement de notre siècle 1. Il passa ensuite à la bibliothèque publique de Berne qui le possède aujourd’hui.
Le manuscrit autographe ne porte aucun titre. Notre historien, Abr. Ruchat, qui en fit usage pour composer son Abrégé de l’histoire ecclésiastique du Pays de Vaud, publiée en 1707, lui donna le nom qui lui est resté et qu’adoptèrent les savants qui l’ont consulté après lui 2. Mais ce titre /VI/ conventionnel ne donne qu’une idée très-incomplète du contenu de ce précieux manuscrit. Nous en dirons autant du titre de « Chronica Lausannensis Chartularii » donné par M. le professeur G. A. Matile aux extraits assez étendus qu’il en a publiés en 1840 1. La division par ordre de matière, adoptée par ce savant éditeur, n’existe point dans le manuscrit, et quoique plus commode pour l’étude, cette méthode a l’inconvénient d’altérer la physionomie de l’original.
Le manuscrit comprend en premier lieu une Chronique abrégée (chronicon breve) ou des annales de l’histoire générale, qui commencent au pontificat du pape Grégoire-le-Grand, soit vers la fin du VIe siècle 2, et se terminent à la mort de l’empereur Otton IV. ao 1218. On trouve ensuite un Pouillé, de l’évêque de Lausanne, soit un tableau des églises, des monastères et des paroisses de ce diocèse, rédigé pour l’année 1228 3. — Puis vient une Chronique des gestes des Evêques de Lausanne, depuis St.-Prothais, siégeant ao 501 4 jusqu’à la double élection de Jean de Cossonay et de Philippe de Savoie en 1240. — A la suite de cette chronique se trouve le Polyptyque des biens du chapitre de la cathédrale de Notre-Dame de Lausanne 5, c’est-à-dire un état des domaines fonciers et des redevances ecclésiastiques formant la dotation de ce chapitre. Il est à remarquer que ce polyptyque ne concerne en aucune façon /VII/ les villes, les bourgs et les seigneuries qui appartenaient à la mense épiscopale et dont l’évêque était seigneur temporel. Ces domaines et ces fiefs sont l’objet d’un recueil particulier, rédigé au commencement du XIVe siècle, sous le titre de Liber feudorum, qui est conservé dans les archives cantonales de Lausanne.
La chronique des évêques, ainsi que le polyptyque, sont entremêlés des copies de divers diplômes des empereurs et des rois, et de nombreuses chartes dont quelques-unes remontent au IXe siècle et descendent jusque vers le milieu du XIIIe. On y rencontre en outre çà et là des annotations de faits historiques concernant la Suisse romande qu’on chercherait vainement ailleurs. Le volume est terminé par un calendrier contenant la liste des Anniversaires 1 institués dans la cathédrale de Lausanne et des fondations faites pour leur célébration.
On voit par cette courte analyse du contenu du manuscrit en question, qu’il appartient à la fois à la catégorie des Chroniques, des Polyptyques ou Terriers et des Calendriers. Mais comme il aurait été assez difficile de trouver un titre qui répondit exactement à son contenu, les éditeurs, en publiant ce manuscrit sous les auspices de la Société d’histoire de la Suisse romande, ont préféré lui laisser celui sous lequel il a été connu jusqu’ici parmi les savants.
Le cartulaire de l’église de Lausanne fut commencé par l’ordre de Conon d’Estavayer, grand Prévôt du chapitre de la cathédrale de Notre-Dame, en 1228 2, sous l’épiscopat de Guillaume d’Ecublens. Le schisme qui, pendant plusieurs /VIII/ années, divisa le chapitre à la mort de ce prélat 1, interrompit malheureusement ce travail. Il ne fut repris qu’après le grand incendie qui, dans l’année 1235, consuma la plus grande partie de la Cité et de la ville-basse de Lausanne 2. Un nombre infini de titres originaux et de documents importants qui devaient servir à composer le cartulaire de l’évêché, furent dévorés par les flammes 3.
Après cet incendie, le prévôt du chapitre, ainsi qu’il nous l’apprend, fit tous ses efforts pour réparer autant que possible cette perte. Il rassembla toutes les pièces qui avaient échappé au sinistre; il consulta les anciennes chroniques et interrogea tous ceux qui par leur âge ou par leur charge pouvaient avoir acquis quelque connaissance des antiquités de l’évéché, dans lesquelles il était très-versé lui-même 4. C’est ainsi qu’il parvint à composer un recueil qui, à la vérité, n’est ni aussi complet, ni aussi abondant en renseignements précieux qu’il l’aurait été, sans aucun doute, si l’auteur avait eu le temps de l’achever avant l’embrasement de la ville épiscopale, mais, tel qu’il nous a été transmis, il n’en est pas moins l’un des documents les plus authentiques et les plus vénérables de l’histoire de la Suisse occidentale.
Le prévôt Conon ou Conrad d’Estavayer, auteur du cartulaire, appartenait à l’une des familles historiques les plus /IX/ anciennes et les plus influentes du Pays-romand. Il était le troisième fils de Renaud II, sire d’Estavayer 1, et allié aux maisons souveraines de Neuchâtel et de Gruyères. Voué dès sa jeunesse à l’état ecclésiastique, le crédit de sa famille lui fit obtenir de bonne heure un canonicat dans le chapitre de Lausanne 2. Il succéda, en 1202, à Nantelme d’Ecublens, évêque de Sion 3, dans la dignité de Prévôt (præpositus) de ce chapitre 4, qu’il gouverna pendant au moins 40 ans 5, avec autant d’habileté que de fermeté, au milieu des troubles et des divisions qui agitèrent son église dans cette période orageuse 6. Telle était la considération dont jouissait ce prévôt, que l’évêque Roger le choisit entre tous, malgré sa jeunesse, pour lui confier l’administration générale de l’évêché, lorsque ce prélat, accablé par son grand âge, résigna ses fonctions épiscopales en 1211, ordonnant en même temps à tous ses officiers temporels d’obéir à Conon d’Estavayer jusqu’à ce qu’un nouvel évêque eût été installé 7. Le chapitre se prévalut ensuite de ce précédent pour s’attribuer le droit d’administrer l’évêché au temporel comme au spirituel, pendant la vacance du siége 8.
La connaissance approfondie que ce prélat avait acquise /X/ par ses études des anciennes chartes de priviléges octroyées autrefois à l’église de Lausanne par les rois de Bourgogne, lui fournit les moyens de revendiquer pour le clergé et le peuple de l’évêché la liberté d’élire leur évêque 1, droit qui se trouvait déjà remis en question par les papes 2. Cependant le désir de maintenir les priviléges de son église le porta à faire une démarche qui eut des suites incalculables, et qui tourna en sens inverse de ses prévisions. Après la mort de l’évêque Guillaume d’Ecublens 3, le chapitre de Lausanne, comme administrateur pendant la vacance du siége, crut nécessaire de se procurer au dehors un appui contre les empiétements et la turbulence des vassaux et des sujets de l’Eglise 4. Il s’adressa pour cela à un prince dont la renommée commençait à poindre sur l’horizon, mais qui à cette époque était simplement prévôt de la Collégiale de Ste-Ourse d’Aoste et de l’église de Genève. Nous voulons parler de Pierre de Savoie, septième fils de Thomas Ier, comte souverain de Maurienne et du Piémont. Le chapitre lui déféra, en 1229, l’administration générale de l’évêché, tant au spirituel qu’au temporel 5, et ouvrit ainsi à ce prince habile autant que valeureux la voie par laquelle il assura plus tard sa domination sur le pays de Vaud. /XI/
Le prévôt Conon d’Estavayer, qui autrefois avait fait ses études à l’université de Paris, s’était de nouveau rendu dans cette capitale au mois d’octobre 1222 1, accompagné de plusieurs jeunes chanoines de son chapitre, parmi lesquels nous citerons Jean de Blonay et Conon de Fonts, qui appartenaient à la haute noblesse du pays 2. Après avoir obtenu un canonicat, ces jeunes néophytes allaient, selon l’usage, compléter leurs études théologiques dans cette célèbre université.
Dans ce voyage, qui se prolongea jusque vers l’automne de l’année suivante 3, notre prévôt eut l’occasion de connaître un personnage qui plus tard fut appelé à occuper le siége épiscopal de Lausanne, savoir Boniface 4, écolâtre de la cathédrale de Cologne, qui à l’époque dont on parle enseignait les arts libéraux et la théologie à l’université de Paris 5.
Le roi Philippe-Auguste mourut pendant son séjour dans cette capitale 6. Conon d’Estavayer assista aux funérailles du monarque dans la basilique de St.-Denis. Il nous a transmis dans le cartulaire des détails très-curieux sur cette cérémonie, ainsi que sur les dernières paroles et le testament de ce grand roi, détails, qui, dit-il, lui avaient été communiqués par des personnes très-éminentes de la cour /XII/ de France, avec lesquelles il entretenait à ce qu’il paraît des relations assez intimes 1.
En faisant connaître ici le rang que le prévôt Conon d’Estavayer occupait dans son église, et la considération dont il jouissait dans son pays ainsi que dans les cours étrangères nous donnons en même temps la mesure de la confiance que mérite le cartulaire dont il est, sinon l’auteur, au moins le rédacteur principal 2. Nous ne voulons pas dire par là que son œuvre soit exempte d’erreurs; elles sont au contraire assez nombreuses dans la chronique abrégée qui se trouve au commencement du cartulaire 3. On en rencontre même plusieurs dans les autres parties du recueil. Mais ces erreurs portent principalement sur les dates ou sur des faits étrangers au diocèse de Lausanne et qui remontent à des époques reculées et assez obscures 4. De pareilles fautes se rencontrent au reste dans tous les manuscrits du moyen-âge et n’ôtent rien à leur valeur relative.
L’histoire ou les gestes des évêques de Lausanne forme sans contredit la partie la plus intéressante de notre cartulaire, vu qu’on ne possède aujourd’hui aucun ancien document qui puisse le remplacer pour les temps antérieurs au XIIIme siècle 5. Il existe à la vérité un autre exemplaire de /XIII/ la chronique de ces évêques intitulée Chronicon breve Episcoporum Lausannensium qui est plus connue sous la dénomination de son ancien possesseur Abr. de Mierre, ancien magistrat de la ville de Moudon 1. Mais ce manuscrit n’est au fond qu’une contrefaçon du cartulaire du prévôt Conon, laquelle paraît avoir été faite en l’année 1513, par un clerc du diocèse dont le nom est resté inconnu 2.
Les diplômes des empereurs carlovingiens et des rois de Bourgogne-Jurane, entremêlés en assez grand nombre dans le texte du cartulaire sont d’un prix infini pour l’histoire de l’Helvétie occidentale, d’autant plus que les originaux ont péri par l’effet du temps ou ont été consumés par le feu qui, à deux reprises différentes, embrasa la ville de Lausanne 3. La transcription de ces diplômes et d’autres chartes reproduites dans le même recueil, paraît avoir été faite avec fidélité, sauf peut-être quelques noms propres mal rendus et quelques dates chronologiques dont la concordance n’est pas toujours exacte, et appelle l’examen de la critique. Tout cela suppose que le prévôt Conon avait déjà réuni les principaux éléments du cartulaire dont il /XIV/ avait entrepris la composition, lorsque les documents dont il s’était servi furent dévorés par les flammes.
Parmi ces documents il nomme deux recueils principaux dont la perte ne saurait être trop vivement regrettée, savoir « quidam liber Episcopi Lausannensis », soit un cartulaire où se trouvaient rapportés les anciens diplômes des rois et des empereurs, ainsi que les chartes des évêques et des bienfaiteurs de l’Eglise de Lausanne, et l’ancien calendrier de cette Eglise « Kalendarium beate Marie Lausannensis » 1.
Certains traits qu’on rencontre çà et là dans le manuscrit, prouvent la bonne foi des auteurs du cartulaire. Ainsi lorsqu’à la suite des différends que l’évêque Boniface avait eus avec le chapitre, ce prélat lui annonça sa détermination de résigner son siége par une lettre datée de Rome de l’année 1239; il allégue entre autres motifs la confusion qui règnait dans l’Eglise de Lausanne en disant « non valui curare Babilonem » : cette épigramme qui est suivie d’autres paroles plus ou moins blessantes pour le chapitre et pour son chef, le prévôt Conon, se trouve néanmoins textuellement rapportée dans le cartulaire où la lettre en question est transcrite tout au long 2.
L’autorité du cartulaire ne saurait donc être mise en doute pour les faits qui se rapportent à l’évêché de Lausanne, et principalement pour ceux qui appartiennent à l’époque où il vécut. Pour les faits antérieurs il s’appuie sur le témoignage de ses prédécesseurs 3. Né dans la /XV/ seconde moitié du XIIe siècle, le prévôt Conon d’Estavayer avait, comme on l’a dit, succédé à cette charge à Nantelme d’Ecublens qui lui-même avait remplacé Arducius de Faucigny, mort évêque de Genève en 1185, après avoir occupé pendant près de 80 ans la dignité de prévôt du chapitre de Lausanne 1. Ces témoignages réunis embrassent ainsi une période d’un siècle et demi. La dernière charte qui termine le cartulaire de Lausanne est datée de l’an 1242 2, et le prévôt Conon mourut (ou résigna) bientôt après. Il était déjà remplacé en 1247 dans sa charge par le prévôt Amédé, fils du comte de Genève 3.
Indépendamment des notions qui concernent l’histoire de cet évêché, le cartulaire peut servir avec d’autres documents de la même époque 4, à l’étude de la topographie ancienne de la Suisse occidentale renfermée entre l’Aar, le Jura et le lac Léman.
Le polyptyque proprement dit occupe à lui seul la plus grande partie du cartulaire 5. Il renferme de nombreux renseignements sur l’état des mœurs, sur les progrès de la culture et des défrichements, sur la condition des personnes et des terres, sur le développement du système féodal, sur le servage de la glèbe, ainsi que sur les redevances et /XVI/ services acquittés par les vassaux et les tenanciers du chapitre de Lausanne. Le cadre d’une préface dans lequel nous devons nous renfermer ici, ne comporte pas une analyse détaillée et approfondie des données que le cartulaire pourrait fournir à cet égard. Cette analyse devra former l’objet d’un travail spécial et plus étendu pour lequel les prolégomènes du polyptyque d’Irminon et du cartulaire de Saint-Père de Chartres, publié par M. Guérard de l’Institut, présentent le plus savant et le plus excellent modèle 1.
Nous devons nous borner ici à faire observer que les renseignements contenus dans cette partie du cartulaire de Lausanne se rapportent à des époques fort diverses qu’il est important de ne pas confondre. En étudiant le cartulaire on doit distinguer entr’elles les formes, les usages et les prestations qui remontent à la période du régime carlovingien ou bénificiaire 2 et celles qui appartiennent au système féodal, lequel au XIIIme siècle, avait déjà prévalu parmi nous comme dans tous les pays voisins. Il convient même de distinguer une 3me période intermédiaire pendant laquelle s’opéra la transition du premier de ces régimes au dernier 3.
Plusieurs paragraphes de notre cartulaire commencent par ces mots : « Tempore Karoli Magni, etc; » « Tempore Ludovici imperatoris filii Karoli magni etc. 4, » qui nous /XVII/ reportent au IXme siècle. D’autres tels que ceux-ci : « Hec est carta de Terra quam Mainerius Episcopus dedit Capitulo… regnante Chuonrado rege » concernent le Xme. 1 D’autres enfin « Hec sunt capitula que Dux Bertholdus juravit » 2 appartiennent au XIIme. Il est souvent parlé dans le même chapitre du cartulaire de beneficium, de prestaria quinquennia, de mansi, de mancipia et de coloni qui se rapportent à la période carlovingienne, et un peu plus loin, sous la même rubrique, de fiefs, feuda, de vassaux, homines ligii, et de tenanciers ou serfs du chapitre, homines Capituli 3, formes et dénominations qui, au contraire, appartiennent à la période féodale.
En ce qui concerne, au XIIIe siècle, l’état du servage dans les terres de l’évêché de Lausanne, voici quelques exemples qui peuvent en donner une idée. Le nommé Guillaume Cotez de Donmartin, serf du chapitre, après avoir enlevé secrètement tous ses effets s’était lui-même enfui de son domicile. Les officiers du chapitre se mirent à sa poursuite, et l’ayant saisi ils le ramenèrent à Donmartin, où on lui fit jurer de ne soustraire à l’avenir ni sa personne ni son pécule sans la permission du chapitre. 4 Après quoi on le mit sous la surveillance de cinq notables de Donmartin qui répondirent de lui chacun pour dix livres. Cet exemple suffit pour montrer l’existence d’une classe de serfs de corps dans /XVIII/ les terres du chapitre et du droit de poursuite exercé contre les fugitifs.
Ces serfs se vendaient et se donnaient parfois sans leur tenement. Ainsi le chevalier Gaucher de St.-Martin vendit au chapitre de Lausanne deux hommes qui lui appartenaient à Pailly 1. Le même donna en aumône au même chapitre deux autres hommes à Chapelle près de Moudon 2. En 1233 le chapitre ayant procédé à une nouvelle répartition des prébendes canonicales, le village et la terre de Vuarens échurent au prévôt Conon d’Estavayer qui, à cette occasion, frappa une taille extraordinaire sur 33 hommes de cette terre 3. Il y avait en outre dans le même endroit quelques abergataires (abergiours) qui payèrent la taille comme les autres, en raison des terres qu’ils tenaient du chapitre 4, quoiqu’ils ne fussent pas serfs de corps.
La bâtardise devenait une cause de servitude. Ainsi Ulrich, fils d’un homme libre, forestier de Crissier, fut obligé de se reconnaître l’homme propre du chapitre (recognovit capitulum pro domino), parce qu’il était né d’une concubine (cujusdam mulieris non legitime) 5. Guy de Gumoens et Guillaume son frère, chevaliers, donnèrent en 1212 en aumône au chapitre de Lausanne trois tenements avec les hommes qui les cultivaient et leur postérité à Gumoens (dederunt tria tenementa cum hominibus supra manentibus et /XIX/ heredibus eorum) 1. En 1233 Pierre, fils de Guillaume de Chablie (ou de l’Isle) vendit au chapitre pour 61 sols Humbert, dit le blanc, avec son tenement (Humbertum et tenementum suum) 2.
A cette époque les affranchissements n’étaient pas très-fréquents surtout parmi les ressortissants du chapitre 3. Il est à remarquer que le servage était déjà fort adouci dans les domaines de l’église dont le régime était moins oppressif et surtout moins arbitraire 4 que dans les terres des seigneurs laïques, où les serfs gémissaient sous le poids des guerres privées. Aussi ces derniers tâchaient d’amasser un petit pécule pour obtenir de leur seigneur à prix d’argent la permission de se fixer dans les terres de l’Eglise 5 comme le fait voir une charte du XIIIe siècle suivant laquelle un homme de Crissier nommé Outard, sujet du seigneur de St.-Martin aurait payé à ce dernier 20 sols de ses propres deniers pour devenir homme du chapitre 6. Le chevalier Guillaume d’Ecublens ayant élevé des prétentions sur Pierre, fils de Jean de Crissier, il céda celui-ci à l’Eglise de Notre Dame de Lausanne, à condition que le chapitre tiendrait le dit Pierre pour homme libre (eum pro homine libero haberet) 7. Au reste la condition des hommes de l’Eglise et du chapitre de Lausanne n’était point partout la même, soit que l’on compare les localités entr’elles, soit qu’on /XX/ considère entr’eux les habitants du même village 1. Les charges qui pesaient sur eux variaient et se réglaient suivant les usages locaux (consuetudines) 2, ou selon les chartes de concession et les anciens terriers du chapitre 3. Parmi les redevances et les prestations acquittées au XIIIme siècle par les hommes et les tenanciers des terres de l’Eglise de Lausanne, on remarque la dîme (decima), la cense (denarii censuales), le terrage (terragium), la taille (tailla), les panées (manaides 4 panes), les chapons (capones) et plusieurs espèces de corvées (corvatæ) 5. Les officiers inférieurs (ministri) du chapitre, tels que les forestiers (forestarii) 6, les majors ou maires (villici, majores) 7, les collecteurs de dîmes (decimatores) 8, et les inspecteurs de vendanges (vindemiatores) 9 composaient une classe nombreuse et aisée de petits féotiers, dont la condition, intermédiaire entre le servage et la liberté, était néanmoins supérieure à celle des serfs du chapitre que le cartulaire désigne ordinairement sous le titre de homines /XXI/ ou villani nostri 1. Les ministériaux, libres quant à leur personne, n’étaient assujettis qu’en raison de leur office (ministerium). Ainsi le collecteur des dimes (decimator) du terroir de Mézery était tenu de demeurer dans ce village, de surveiller en personne les travaux des champs (agriculturam exercere) sous peine d’être privé de son emploi et du tenement qui en formait le salaire, dans le cas où il aurait quitté le village pour habiter la ville de Lausanne et y prendre la bourgeoisie 2.
Au-dessus des ministériaux du chapitre se plaçaient les ministériaux de l’Evêque, soit par l’importance des fiefs attachés à leur office, soit parce qu’ils étaient investis d’une compétence juridique plus étendue. Dans le nombre nous citerons le (dapifer) 3 sénéchal, le maire (villicus) 4 et le sautier (saltarius) 5 de Lausanne, le haut-forestier du Jorat 6, le vidomne (vicedominus) de Crans 7, ainsi que les maires (majores) d’Avenches et de Lutry 8. De même que les milites dont on parlera tout-àl’heure, ces ministériaux de l’Evêque en tant que souverain temporel, appartenaient pour la plupart par leur naissance à la noblesse du second ordre. Leurs offices étaient héréditaires en ligne directe et jusqu’à un certain degré en ligne collatérale, sous réserve d’une nouvelle investiture et d’un nouvel hommage à prêter au /XXII/ chapitre 1, auquel le recipiendaire devait payer une finance d’entrée appelée placitum, dont le montant variait suivant l’importance du fief 2.
Le titre de Miles ou chevalier est attribué dans notre cartulaire à une classe nombreuse de gentilshommes occupant dans l’échelle féodale un rang plus élevé que les ministériaux. Quand ce titre se trouve mis avant le nom de la terre ou de la famille de celui qu’il concerne, il désigne le principal feudataire ou vassal de l’endroit 3; quand il vient après, il indique souvent que le titulaire avait été admis dans l’ordre de la chevalerie 4; dans ce dernier cas le titre de miles, chevalier, était honorifique plutôt que féodal. Cependant cette distinction n’était pas très-exactement observée dans les chartes de ce temps 5; vers la fin du XIIIme siècle elle s’effaça même tout-à-fait et le chevalier-vassal fut considéré comme l’égal du chevalier-profès. On peut en dire autant des petits feudataires nommés domicelli, ou /XXIII/ donzels 1 dans le pays romand, titres que l’on donnait aussi aux fils des nobles qualifiés de damoiseaux jusqu’à ce qu’ils eussent été armés chevaliers 2.
La puissance des seigneurs terriens et la dignité de leur terre étant estimée en raison du nombre de leurs vassaux en état de porter les armes, la classe des milites et des domicelli se multiplia aux XIIe et XIIIe siècles. Chaque village du pays, ou à peu près, avait son chevalier et ses donzels 3, qui adoptèrent comme nom de famille celui de la localité où leur fief était situé. Ces arrières-fiefs étaient béréditaires, mais à défaut de descendance mâle, ils faisaient retour au seigneur dominant 4.
A cette époque, la souveraineté du territoire de la Suisse romande se trouvait partagée entre l’évêque et le chapitre de Lausanne, les comtes de Genève, de Neuchâtel et de Gruyères, les sires de Faucigny et de Montfaucon et une douzaine de grandes familles dynastiques qui ne reconnaissaient pas d’autres souverains que les empereurs d’Allemamagne 5. Le titre de dominus, sire ou seigneur, ne se donnait alors qu’aux dynastes ou chefs de ces grandes familles 6, /XXIV/ dont les principales s’étaient élevées sur les débris du dernier royaume de Bourgogne. Elles avaient adopté et transmis à leurs descendants le nom de leur principale seigneurie 1. Cet exemple fut suivi plus tard par leurs vassaux (milites, domicelli), possessionnés dans le même endroit; c’est pourquoi on trouve assez souvent dans notre cartulaire plusieurs familles portant le même nom de maison, qui n’avaient entr’elles aucune communauté d’origine, et dont les unes étaient vassales de l’autre 2. Pour n’en rapporter qu’un exemple, les dynastes ou sires, domini, de Cossonay avaient des vassaux, milites, portant comme eux le nom de cette petite ville, où ils étaient les principaux officiers du seigneur dominant 3. Cette similitude de noms et de surnoms répand une certaine confusion dans la généalogie des anciennes familles et le rang qu’elles occupaient dans l’échelle sociale, principalement lorsque la petite noblesse commença à se substituer à la grande, qui disparut progressivement dans les siècles suivants.
Ces explications préliminaires, déduites du rapprochement de divers textes épars dans ce volume, pourront servir à faciliter l’étude du cartulaire.
Après avoir indiqué la condition des personnes nous dirons quelques mots de l’état des mœurs. Le duel juridique subsistait de plein droit au XIIIe siècle 4 et notre cartulaire /XXV/ en rapporte plus d’un exemple curieux. Ainsi un nommé Fulchars ayant été accusé de vol (furto) par Pierre d’Essertines en 1218, à défaut de preuve testimoniale le prévôt du chapitre permit le combat singulier entre l’accusé et son accusateur, et, chose étrange, le duel eut lieu en présence de ce dignitaire de l’Eglise et des deux chanoines prébendiers d’Essertines 1. Quand l’Eglise laissait subsister des coutumes aussi barbares dans ses propres domaines, peut-on s’étonner que les seigneurs laïques eussent recours au sort des armes pour venger leurs offenses et vider leurs querelles particulières. Aussi les guerres de château à château et même de village à village n’étaient pas rares dans le pays et toujours accompagnées de calamités plus ou moins grandes. Le cartulaire ne parle que des guerres que l’Eglise de Lausanne eut à soutenir contre les seigneurs du pays, tels que le sire de Montagny 2. Ce seigneur ayant ravagé les terres du chapitre à Granges, près de Payerne, fut excommunié avec ses adhérents et ses terres mises à l’interdit 3. La sentence ne fut révoquée par l’évêque de Lausanne qu’à la suite d’une paix par laquelle le seigneur de Montagny céda au chapitre des dîmes à Villarzel pour la valeur de 170 livres à titre de dédommagement 4. /XXVI/
La guerre intestine qui éclata à Lausanne en 1240 entre l’élu Jean de Cossonay et Philippe de Savoie, primicier de Metz, son concurrent à l’évêché, menaça la ville d’un nouvel embrasement; les moulins de la cité et plusieurs maisons furent incendiées par les deux partis, et cette guerre fratricide coûta la vie à une trentaine de personnes sans compter plus de 300 blessés 1. Il ne s’agissait pourtant que de donner un évêque à l’Eglise de Lausanne et un pasteur aux peuples du diocèse.
Le peuple des campagnes n’était pas moins prompt à recourir aux voies de fait les plus violentes, dans les querelles qui s’élevaient fréquemment entre les habitants des villages voisins. En 1228 les gens de Vuarens ayant à se plaindre de ceux de Berchier et de Belmont, avaient tué à Vuarens même deux hommes, l’un de Cossonay l’autre de Berchier. En représaille de ce meurtre, les paysans de Berchier, accompagnés de ceux de Belmont, se portèrent en tumulte sur ceux de Vuarens, pillèrent le village, y brulèrent dix maisons et revinrent chez eux chargés de butin 2. Là dessus le chapitre de Lausanne auquel appartenait le village de Vuarens porta ses plaintes à la dame de Belmont et au sire de Cossonay qui était seigneur de Berchier. Les torts étant réciproques et les coupables très-nombreux, on recourut à un arbitrage pour pacifier ce différend qui compromettait gravement la tranquillité du pays. Le neveu du ministral de Vuarens, sa fille et d’autres auteurs du meurtre des deux hommes du sire de Cossonay, en furent quittes /XXVII/ pour payer à celui-ci une composition de X sols et les gens de Vuarens XL sols 1.
Les actes de vengeance personnelle n’étaient pas rares parmi le peuple et les bourgeois, et ordinairement suivis de représailles plus ou moins meurtrières.
Rod. Develles de Donmartin ayant blessé Lambert de Sugnens, W. dit Cotez, probablement allié de ce dernier, le vengea en blessant le premier. La querelle ne s’arrêta pas à cette double effusion de sang, et plus tard le susdit Lambert blessa à son tour le père de Rod. Develles 2. Informé de ces désordres le prévôt Conon, accompagné de deux chanoines, se rendit à Donmartin, fit comparaître les coupables devant lui, leur fit jurer de garder la paix entre eux et se contenta de leurs serments et de celui de leurs cautions, sans leur infliger aucune punition 3.
Quand de tels excès se commettaient dans les bourgs et les villages habités, on peut bien croire que les routes étaient peu sûres et qu’on ne voyageait que bien accompagné et bien armé. Le cartulaire fournit mainte preuve de ce fait, non-seulement pour ce qui est du Pays-romand, mais encore pour ce qui concerne les contrées voisines. L’évêque de Langres, écrivant en 1230 au chapitre de Lausanne où il était attendu pour présider à l’élection d’un nouvel évêque, s’excuse en alléguant les immenses difficultés et les périls d’un aussi grand voyage 4. D’un autre /XXVIII/ côté, les chanoines de Lausanne s’étant transportés jusqu’à Besançon, parlent également des dangers de la route et de la nécessité de se faire accompagner d’une nombreuse escorte 1. Ce qui frappe le plus dans ce tableau de la société, c’est bien moins la violence des mœurs que l’absence de la répression et l’impunité des crimes et des délits commis contre les personnes et la propriété.
Dans l’ordre civil les procès étaient fréquents et se traînaient volontiers en longueur, ce qui déterminait souvent les parties à recourir aux voies de fait pour se faire justice par elles-mêmes. C’est pour cela qu’on préférait généralement recourir à la voie des arbitres ou amiables compositeurs librement choisis par les deux parties, comme on l’a vu plus haut. Le cartulaire nous montre dix procès terminés de cette manière contre un jugé par les cours de justice seigneuriales. Sous ce rapport le chapitre de Lausanne ne présentait pas de meilleures garanties contre la chicane et les expédients dilatoires que les cours séculières. On citera comme exemple le procès qui s’éleva en 1225 entre le chapitre et Jordan, sire de Belmont. Il s’agissait de trois anneaux de prix que ce dernier avait remis deux ans auparavant en gage pour 60 sols au sacristain du chapitre qui alors avait les clefs du trésor 2. Le chapitre repoussa la demande du sire de Belmont en alléguant entre autres que le trésorier était seul en droit de recevoir un dépôt au nom /XXIX/ du corps et que le dépôt en question n’ayant pas été fait entre les mains du trésorier, le chapitre n’en était pas responsable 1. Le procès ayant ensuite été porté à la cour de l’Evêque 2, composée du chapitre, des vassaux (milites) et des bourgeois, le sire de Belmont demanda que les chanoines fussent exclus de la cour, comme étant partie intéressée dans la cause 3. Cette demande ayant été rejetée, le sire de Belmont se retira en protestant contre tout jugement; mais la cour passa outre, le condamna par contumace et le débouta de sa demande 4.
L’ardeur des croisades auxquelles la haute noblesse et la chevalerie du Pays-romand avait déjà pris une part active dans le siècle précédent subsistait encore au XIIIme 5. La chronique des évêques de Lausanne nous apprend en effet que Berthold, fils du comte Ulric de Neuchâtel qui occupait ce siège épiscopal depuis l’an 1211, et qui s’était déjà croisé en 1217, faisait des préparatifs pour prendre part à la délivrance de la Terre-Sainte, lorsqu’il mourut subitement en 1220, le jour même qu’il avait fixé pour son départ 6. Soit /XXX/ comme évêque, soit comme grand seigneur temporel, l’exemple de ce prélat dut entraîner un grand nombre de nobles et de vassaux à se croiser avec lui, et le cartulaire ainsi que d’autres documents du même temps nous font connaître plusieurs chevaliers 1 du pays qui, animés du même zèle, donnèrent ou engagèrent aux églises une partie de leurs terres pour subvenir aux frais considérables du voyage d’outre-mer et pour obtenir des prières à l’effet de conjurer les périls inséparables d’une telle entreprise 2. On citera comme exemple le chevalier Guillaume de Villens qui en partant pour la croisade 3, en 1220, engagea au chapitre de Lausanne les dîmes qu’il avait à Granges pour deux marcs d’argent 4. Quelque temps auparavant (vers l’an 1202, Pierre, fils de Turumbert, maire (villicus) de Saint-Prez avait eu avec le chapitre de vifs démêlés à l’occasion de certaines dîmes que son père avaient naguère engagées à l’Eglise pour la somme de cent sols lausannois 5. Désireux de se réconcilier avec le chapitre avant de se mettre en route pour la Terre-Sainte, Pierre lui abandonna toutes ses prétentions et lui céda les dîmes en question à perpétuité 6.
Passons maintenant aux renseignements topographiques que renferme le cartulaire. L’Evêché de Lausanne était limité par les diocèses de Constance au levant, de Bâle au /XXXI/ nord, de Besançon au couchant, de Genève et de Sion au midi. Ses bornes principales étaient formées par les eaux de l’Aar, le mont Jura et le lac Léman 1. Partant des glaciers du canton de Berne où l’Aar prend sa source, la ligne de démarcation suivait le courant de cette rivière jusqu’au dessous de Soleure 2, à l’endroit où elle reçoit la Siggeren 3, près du village d’Attiswyl qui était du diocèse de Bâle. De ce point septentrional la ligne en question, tournant à l’occident suivait les croupes les plus élevés du mont Jura ou le partage des eaux, jusqu’à l’endroit où la petite rivière de l’Aubonne surgit au pied de ces montagnes, près du village de Bière et va se décharger dans le lac près d’Allaman 4. Cette rivière ainsi que le lac Léman au midi séparaient l’évêché de Lausanne de celui de Genève 5. Du côté du diocèse de Sion, le torrent de l’Eau Froide (Aqua Frigida) qui a sa source au-dessus du mont Arvel et déverse ses eaux dans le lac Léman près de la porte orientale de Villeneuve marquait la limite entre ce diocèse et le nôtre 6. Depuis le mont Arvel, la chaîne des Alpes bernoises formait entre les deux évêchés une haute barrière, jusqu’au glacier de l’Aar d’où l’on est parti 7. /XXXII/
Au commencement du tableau des églises et des monastères de l’évêché de Lausanne qui forme la seconde partie de notre recueil, on lit « Hec fecit scribi Cono prepositus, ao. Domini 1228, octava nativitatis beate Marie. » 1. La rédaction de ce Pouillé paraît avoir été entreprise à la suite d’une nouvelle subdivision du diocèse de Lausanne, déterminée elle-même par l’importance toujours croissante des deux villes de Fribourg et de Berne fondées à la fin du siècle précédent par les ducs de Zähringen, recteurs de la Bourgogne transjurane. Après la mort du dernier recteur, Berthold V. (ao. 1218 2), elles avaient obtenu de l’empereur Frédéric de notables priviléges3 qui engagèrent l’évêque diocésain, Guillaume d’Ecublens à conférer à ces villes 4 le rang et le titre de chefs-lieu de deux nouveaux doyennés dont le nombre qui auparavant paraît avoir été de sept fut dès lors porté à neuf 5.
La carte ecclésiastique du diocèse de Lausanne, jointe à ce volume représente cet évêché divisé en neuf doyennés (decanatus)6 suivant le tableau dressé par les soins du prévôt /XXXIII/ Conon d’Estavayer en 1228. Il comprenait alors plus de 300 églises paroissiales 1; on y comptait en outre sept abbayes, vingt-deux prieurés conventuels, six prévôtés avec ou sans chapitre, trois collégiales, treize hospices dépendant du Grand St.-Bernard, quatre de l’ordre de St.-Jean de Jérusalem, un des templiers et un de l’ordre teutonique 2. La majeure partie de ces établissements religieux, ainsi que les divisions ecclésiastiques indiquées dans le cartulaire, subsistèrent, sauf quelques modifications peu importantes, jusqu’à l’époque de la réforme protestante au 16me siècle 3.
La majeure partie des domaines et des fiefs appartenant à l’église de Lausanne étaient situés dans le diocèse du même nom. Cependant nous voyons, soit dans le cartulaire du chapitre, soit dans d’autres documents de la même époque, qu’elle avait en outre quelques possessions assez importantes dans les évêchés voisins de Genève 4 et de Constance 5, de même que dans la Bourgogne Eduenne 6 et en Alsace 7. Tous ces biens et leurs revenus étaient répartis entre l’évêque et le chapitre de Notre-Dame et formaient /XXXIV/ deux masses (menæs) distinctes et administrées séparément, savoir l’une par l’évêque et ses propres officiers, l’autre par le prévôt et le chapitre 1. Ainsi qu’on l’a déjà remarqué, notre cartulaire ne parle que de la portion du domaine de l’église affectée à l’entretien des chanoines, (mensa canonicorum), et ne mentionne qu’occasionnellement celle qui appartenait à la mense épiscopale (mensa episcopalis) 2.
Le chapitre de Notre-Dame de Lausanne était régulièrement de trente chanoines, dont dix prêtres, dix diacres et dix sous-diacres 3. Néanmoins les biens et les revenus du chapitre ne formaient que quinze prébendes (prebende canonicales) 4, de manière que chaque prébende fournissait à l’entretien de deux chanoines, associés aux bénéfices de la même prébende 5. L’évêque étant lui-même chanoine du chapitre, il avait sa part dans la distribution des prébendes 6. Les dignitaires (personatus) du chapitre, savoir le prévôt, le trésorier et le chantre, jouissaient en outre de certains bénéfices particuliers attachés à leur charge 7.
Ces prébendes et ces bénéfices étaient considérés comme de véritables fiefs, et les chanoines en faisaient foi et /XXXV/ hommage à l’évêque leur supérieur, comme les autres feudataires de l’ordre laïque 1. Les chanoines du chapitre de Notre-Dame de Lausanne appartenaient pour la plupart par leur naissance aux plus nobles familles du pays romand 2. Les maisons souveraines elles-mêmes ne dédaignaient pas de solliciter pour leurs fils puînés un canonicat dans ce haut chapitre. On a parlé de Berthold, fils du comte de Neuchâtel, ainsi que d’Amédée, fils de Guillaume, comte de Genève 3. Thomas et Pierre de Savoie, fils du comte de Maurienne Thomas 1er, furent aussi l’un après l’autre chanoines de Lausanne 4. Ces chanoines cumulaient fréquemment avec leur canonicat des bénéfices étrangers; on citera Jaques d’Aubonne qui fut en même temps archidiacre de l’église de Chartres 5.
Ces faits suffiraient pour faire présumer que les domaines et les revenus du chapitre de Lausanne étaient considérables et assuraient à ses membres une existence proportionnée à leur naissance. Quoiqu’il en soit, notre cartulaire pourrait au besoin fournir quelques-uns des éléments nécessaires pour évaluer ces revenus, en supputant la rente annuelle /XXXVI/ et moyenne de chacune des quinze prébendes canonicales du chapitre, et en additionnant leur produit 1.
Le prix des denrées ou des redevances payées en nature ainsi que les valeurs des monnaies d’argent ayant cours dans l’évêché au commencement du XIIIe siècle 2, se trouve indiqué dans plusieurs endroits du cartulaire.
On a déjà fait observer que le cartulaire de Conon d’Estavayer renferme un certain nombre de documents dont les dates remontent aux IXe, Xe et XIe siècles 3. Les valeurs vénales et les mesures de surface et de pesanteur dont il est parlé dans ces documents sont celles qui étaient usitées sous le régime carlovingien et qui dès le XIIme siècle furent remplacées par d’autres dont l’usage s’est maintenu dans nos contrées pendant toute la durée de l’ère féodale. Dans ces anciennes chartes l’étendue des domaines est évaluée d’après le nombre des manses ou des tenures qu’ils contenaient 4. On sait que la contenance du manse (mansus), appelé mas, meix ou mex parmi nous, était très-variable 5. Il est parlé dans le cartulaire de manses contenant chacun soixante jugera de terres arables 6. Mais il s’agit de manses royaux /XXXVII/ ou seigneuriaux (dominicales), et le manse rural (servilis) était en général de bien moindre étendue. Dans certains passages du cartulaire il paraît comme l’équivalent du lunagium (ou lunaticum) ou quantité de terrain qu’une charrue pouvait labourer dans l’espace d’un mois lunaire 1. Or le lunage équivaut à environ 16 ou 17 poses mesure vaudoise 2, quantité qui dans ce pays représente l’étendue de la propriété de nos petits cultivateurs aisés. Les dénominations de colonica et de colongeria ou colonge sont également employées dans le cartulaire comme synonymes de mansus, mas ou tenement rural 3. Mais le plus souvent la contenance des domaines cultivés est évaluée d’après leur produit en deniers, ou le nombre de muids de blé ou de charretées de fourrage qu’ils pouvaient produire dans une année 4. Pour mesurer les terrains de moins grande étendue, tels que les cheseaux (casali) ou jardins, on se servait de la perche (pertica) 5 et de la verge (virgata) 6 dont on ne connait pas bien la longueur. Ces différents modes d’évaluation et les termes qui leur correspondent, appartenaient au système carlovingien qui était déjà tombé en désuétude à l’époque où notre cartulaire fut composé. /XXXVIII/
Les chartes du IXme, Xme et XIme siècle que renferme ce recueil, nous font voir que dans l’ancien système la plupart des prestations et des redevances foncières s’acquittaient en nature 1, et plus rarement en monnaie d’argent tel que le sol et le denier 2; quelquefois le contribuable avait la faculté de payer ses redevances soit en nature, soit en argent, à son choix 3. Ces observations peuvent également s’appliquer à la période de transition qui marque le passage du système carlovingien au régime féodal. Certains usages qui remontent à cet ancien système ainsi que les termes qui lui étaient propres 4 reviennent dans des actes contemporains de Conon d’Estavayer, auteur de notre cartulaire, actes où certaines pratiques surannées se trouvent quelquefois mentionnées en même temps que les usages nouvellement établis 5.
La division progressive des héritages et des fiefs, et le morcellement des terres qui en fut la conséquence, nécessita l’adoption de mesures agraires de moindre superficie. L’ancien jugerum et le journal (jornalis), subsistèrent dans certaines localités 6, mais le mansus et le lunagium, furent /XXXIX/ généralement remplacés par la pose (posa) 1 dans toute l’étendue du pays romand, tant pour les terres arables que pour les vignes 2.
On croit pouvoir admettre que la pose ou journée de labour d’une charrue était à peu près la même au XIIIe siècle que dans les suivants 3. Mais cette contenance variait d’un endroit à l’autre dans une certaine limite qui ne dépassait pas un cinquième. La pose de Lausanne exclusivement employée dans le ressort de cette ville impériale et même ailleurs, contenait 500 toises carrées de 9 pieds de Paris. Celle de Morges 400 toises même mesure. A Cossonay on comptait par toises de 11 pieds de roi de 360 à la pose, ce qui revient à 396 toises de 9 pieds. Celle d’Orbe contenait 360 toises pour la vigne, 450 toises pour les champs et 540 pour les prairies, la toise toujours comptée à raison de 9 pieds de Paris 4. La pose se divisait en 8 ouvriers appelés fossoriers (fossorari) pour la vigne 5. /XL/
La contenance des prairies s’évaluait par seitorées et fauchées (falcatæ), c’est-à-dire par la quantité de pré qu’un faucheur pouvait faucher en un jour. Mais, dans notre cartulaire, les prairies sont ordinairement évaluées d’après le nombre de charretées (carratæ) de foin qu’elles pouvaient produire chaque année 1. De même pour les vignes dont la contenance est souvent exprimée par le nombre de mesures de vin qu’elles rendaient en moyenne 2. La cense acquittée pour une pose de champ était ordinairement d’un sol 3; celle d’un pré produisant un char de foin, VI deniers 4. Les vignes du chapitre étaient généralement cultivées à moitié produit, outre une redevance acquittée par le vigneron pour son habitation, soit en nature soit en deniers 5.
Les remarques que nous avons faites sur les mesures agraires et les redevances foncières s’appliquent également aux monnaies mentionnées dans les actes du cartulaire antérieurs au XIIe siècle, où il est souvent question de la livre d’or, aussi bien que de la livre d’argent 6. On voit par une /XLI/ charte de l’an 893 1 que le premier de ces métaux précieux était proportionnellement beaucoup plus rare qu’il ne le fut après la découverte de l’Amérique, puisque vers la fin du IXe siècle une livre d’or équivalait à vingt livres d’argent 2, tandis que de nos jours le rapport entre la valeur de ces deux métaux est comme 1 à 15 1⁄2.
Pendant tout le temps que dura la ferveur des grandes croisades, l’or monnayé paraît avoir entièrement disparu dans nos contrées. Les actes du cartulaire postérieurs au XIIe siècle ne font nulle mention de monnaies de ce haut métal, et indiquent même une grande rareté des espèces d’argent; la majeure partie du numéraire avait été emportée par les croisés pour subvenir aux frais du voyage d’outre-mer.
Les monnaies qui avaient cours légal dans l’évêché au commencement du XIIIe siècle sont celles de Lausanne et de Genève dont la valeur relative était assez variable 3. Ces monnaies étaient :
1o Le marc d’argent (marca argenti) de huit onces (uncias) 4. /XLII/
2o La livre d’argent (libra) de 20 sols ou le double du marc 1.
3o Le sol (solidus) contenant 12 deniers.
4o Le denier (denarium).
5o L’obole (obolus) ou le demi denier 2.
De ces diverses monnaies le denier et l’obole ou demi denier étaient les seules espèces courantes, les autres ne figuraient que comme monnaie de compte 3.
La monnaie frappée sous l’évêque Roger à la fin du XIIe siècle était d’un titre très-bas, puisqu’il fallait 44 sols ou 528 deniers pour faire le marc d’argent 4. Berthold de Neuchâtel, son successeur, cassa cette monnaie en 1216 5, et en fit fabriquer une nouvelle d’un titre plus élevé. Sur un poids de 12 deniers soit 288 grains de métal, ces nouveaux deniers contenaient quatre deniers et demi (ou 108 grains) d’argent fin et sept deniers et demi (ou 180 grains) de billon ou de cuivre 6. Dix-sept sols et six deniers (210 deniers) de cette monnaie pesaient un marc de huit onces 7. /XLIII/ Néanmoins la valeur de cette monnaie et le poids intrinsèque du marc d’argent restait encore bien inférieur à sa valeur nominale, puisqu’il ne renfermait en réalité qu’un tiers environ d’argent fin. A l’époque dont il est question, le marc d’argent coûtait 50 sols tournois 1, tandis qu’aujourd’hui il vaut au moins 50 francs de France, ce qui supposerait qu’au XIIIe siècle la valeur intrinsèque du sol était égale à 20 sols ou un franc monnaie actuelle 2. Mais on doit tenir compte de l’abaissement du pouvoir de l’argent qui est quatre fois plus faible qu’il ne l’était à la fin du XIe siècle; en sorte que la valeur commerciale du sol aurait été d’environ quatre francs de France et celle du denier d’argent de 33 1⁄2 centimes 3.
Notre cartulaire ne donne que très-peu de renseignements précis sur le prix vénal des denrées et des autres objets qui pourraient servir à contrôler la valeur commerciale que nous attribuons ici aux monnaies du XIIIe siècle. Cependant nous voyons qu’en 1244 année de grande cherté des denrées la coupe 4 (cuppa) de froment coûta quatre sols, et celle d’avoine 17 deniers 5, ce qui porte le prix de la coupe de froment à 16 francs et celle d’avoine à 5 fr. 60 centimes. /XLIV/ Ces prix se rapprochent beaucoup de ceux que ces denrées atteignent chez nous dans les années de cherté des grains 1.
En 1202 le cheval que montait le valet de l’évêque Roger fut estimé à IV livres ou 320 francs de France 2. En 1237 un mouton se rachetait pour VIII deniers ou 2 fr. 66 centimes 3. Dans le même temps un ferra, poisson du lac Léman coûtait un demi denier ou une obole (17 cent.) 4 et un jambon 1 sol 8 deniers, (6 fr. 65 cent.) 5
L’évêque Roger acquit en 1202 une maison à Lausanne pour le prix de IX livres et XV sols; une autre pour VI livres, et une troisième pour XXX sols 6. Le prévôt Conon d’Estavayer dépensa cent vingt livres pour rebâtir sa maison à la Cité après l’incendie de l’an 1219, et le mobilier qu’elle contenait consumé dans celui de l’an 1235 fut estimé à 80 livres 7.
Vers le même temps on trouve que trente livres lausannoises valaient autant que douze marcs d’argent 8; c’est-à-dire qu’il fallait donner deux livres et demi pour un marc d’argent. Il suit de là que la valeur intrinsèque de la /XLV/ livre lausannoise était égale à 20 francs, en comptant le marc de huit onces au prix actuel de 50 francs, valeur qui s’accorde avec celle de la monnaie frappée sous l’évêque Berthold 1.
On a lieu de penser que la monnaie de Lausanne éprouva de nouvelles dépréciations 2 dans le cours du XIIIe siècle 3 et qu’elle ne se releva qu’après le milieu du 14e. A cette époque la monnaie était frappée au titre de onze deniers et une obole d’argent fin; le denier pesait 24 grains et on en taillait douze au marc d’argent de roi 4.
Les mesures de capacité employées dans notre cartulaire sont, pour les grains, le modius ou muid et la coupe 5 cuppa; la contenance de ces mesures était probablement la même au 13e siècle qu’au siècle suivant, et telle que nous la trouvons indiquée dans le commentaire du plait général de Lausanne 6 pour toutes les localités où ce statut était en /XLVI/ vigueur. Le muid (modius, mensura bladi) se divisait en douze coupes (cuppas); la coupe en deux bichets (bichetum) ou demi-coupes; le bichet en deux quarterons (quarterones) ou quarts de coupe. Il suit de là que le muid de blé mesure de Lausanne contenait 48 quarterons 1. Néanmoins la contenance du muid n’était pas la même dans les autres districts du diocèse. Chaque mandement avait ses mesures particulières 2 dont nous ne pourrions pas nous occuper ici sans dépasser les bornes d’une introduction. Il suffira de remarquer que quoique le muid (modius) de grain se divisât ordinairement en 12 coupes, cependant la coupe contenait suivant les localités tantôt deux quarterons à ras (ad rasum) tantôt deux quarterons à comble (ad comblam), faisant trois quarterons à ras 3 et qu’en outre la contenance du quarteron ou du bichet variait d’un endroit à l’autre. Il suit de là que la quantité de grain contenue dans un modius différait considérablement d’un mandement à l’autre 4. /XLVII/
On trouve la même diversité dans les mesures employées pour les liquides et pour le vin en particulier. Dans les possessions du chapitre situées au delà de l’Aubonne, dans le diocèse de Genève, on faisait usage des mesures de cette cité 1, tandis que dans les vignobles de Lavaux on se servait de celles de Vevey 2. A Lausanne l’unité de mesure pour les vins était le sextarius ou setier. Douze setiers faisaient un muid (modius) 3. Le setier se divisait en demi ou quart de setier. Le quart de setier s’appelait coupe (cuppa) et contenait huit pots. Par conséquent le setier contenait 32 pots et le muid de vin 384 pots 4. Mais nous ne connaissons pas la capacité de l’ancien pot ou de la pinte de Lausanne, par rapport au nouveau pot vaudois, lequel est plus faible d’un cinquième que l’ancien pot de Berne 5 qui avait prévalu à Lausanne et dans le pays de Vaud depuis le milieu du XVIe siècle 6. /XLVIII/
A la suite de l’inventaire des biens du chapitre dans lequel nous avons puisé les renseignements qui précédent, on trouve un recueil des miracles 1 opérés dans l’église de Notre-Dame de Lausanne par la vertu des reliques de la Vierge Marie, patronne de cette Eglise, lesquelles on conservait soigneusement et qui chaque année attiraient un grand concours de pélerins du pays et des contrées environnantes. L’usage de conserver par écrit la mémoire des miracles arrivés dans une église était assez commun au moyen-âge 2; il découlait naturellement du culte exagéré rendu aux saints et de la croyance implicite que l’on avait dans le pouvoir surnaturel des reliques pour la guérison des maladies et des infirmités corporelles.
Ce recueil intitulé miracula nous apprend d’abord que pendant qu’on rebâtissait la cathédrale de Lausanne, les reliques de la bienheureuse Vierge Marie étaient restées déposées dans une chapelle construite en bois 3. Ce grand œuvre interrompu par l’incendie de l’an 1219, dont on a parlé, étant à peu près achevé en 1232 4, les reliques de la Sainte-Vierge furent transportées avec de grandes solennités de l’endroit où elles reposaient depuis 59 ans dans la nouvelle basilique de notre Dame 5 et placées sur l’autel de la /XLIX/ chapelle du précurseur St. Jean Baptiste 1. Cette cérémonie s’accomplit le samedi 3 avril, veille du dimanche des Rameaux 2 en présence d’un nombreux concours de peuple, venu de toutes les contrées environnantes pour assister à cette translation et pour avoir part aux guérisons miraculeuses opérées par le contact de ces reliques vénérées 3.
Nous ne les rapporterons pas ici 4; mais nous ferons observer qu’on attribuait particulièrement à la Bienheureuse Vierge, outre la cure instantanée de certaines infirmités comme le mutisme, la cécité et la paralysie des membres, le pouvoir merveilleux de faire tomber les liens des prisonniers qui invoquaient son saint nom et de les délivrer de leur prison 5. Quoi qu’on pense de ces prétendus miracles, on ne peut s’empêcher d’y reconnaître la puissance d’une foi religieuse peu éclairée, mais fortement enracinée dans les mœurs populaires de ce temps reculé.
Notre cartulaire est complété par un calendrier contenant les anniversaires (anniversaria) qui se célébraient chaque jour de l’année dans la cathédrale selon les règles fixées par les anciens statuts de l’église de Notre-Dame de Lausanne 6. Ces anniversaires étaient toujours accompagnés de /L/ distributions de pain, de vin et de deniers faites aux chanoines présents, et constituaient une portion de leurs bénéfices. Le cartulaire ne parle que des distributions d’argent 1, les autres étant, comme il est dit au même endroit, spécifiées dans un autre recueil qui n’est pas venu jusqu’à nous 2.
Parmi ces anniversaires nous remarquerons, au 6 septembre, celui de Rodolphe III, dernier roi de Bourgogne-Jurane et de Provence 3. On y trouve les obits des évêques de Lausanne Burchard d’Oltingen († 1088) 4, Amédée de Hauterive († 1162 ?) 5, de Roger qui résigna en 1211 6 et de Guillaume d’Ecublens († 1229) 7. Nous devons ajouter aussi ceux d’Ardutius de Faucigny, évêque de Genève 8 et de Nantelme d’Ecublens évêque de Sion 9, tous deux successivement prévôts du chapitre de Lausanne. On y trouve encore les anniversaires de quelques princes et de plusieurs seigneurs marquants du pays, tels qu’Amédée, comte de Genève († en 1178) 10, Ebal IV sire de Grandson († vers l’an 1239) 11 et /LI/ Gaucher, sire de Blonay 1, tous bienfaiteurs de l’église de Lausanne.
A la suite du calendrier on a profité du verso du 35e feuillet et du recto du 36e, qui sans doute devait servir de garde au volume, pour ajouter quelques notices qui auraient dû être placées avant la liste des anniversaires 2. L’une de ces notices datée de l’an 1242 concerne les revenus et les biens dont le prévôt Conon d’Estavayer avait la jouissance viagère, outre la prévôté (propositura) et sa prébende (prebenda) de chanoine 3. La dernière enfin datée du premier août de la même année, est une donation de Jean de Cossonay, évêque élu de Lausanne 4.
On ne doit point s’attendre à trouver dans le cartulaire de Conon d’Estavayer l’ordre et la méthode qui présida à la composition du célèbre polyptyque d’Irminon publié par M. Guérard 5, lequel forme à cet égard une exception remarquable 6. Notre cartulaire est tout simplement un recueil de renseignements composé de l’autorité privée et sous la direction immédiate du prévôt de l’église de Lausanne, pour la commodité de l’administration temporelle de son chapitre. Ces renseignements et les actes dont ils sont entremêlés reçoivent leur authenticité de la présence des nombreux témoins dont les noms sont consignés dans ces actes et de leur date certaine qui suppléait à la formalité des enquêtes /LII/ juridiques et des procès-verbaux usités dans la confection des dénombrements et des livres terriers d’une époque plus récente.
Nous ne dirons rien du style et de la mauvaise latinité du cartulaire, ni de la confusion qui règne dans l’orthographe des noms propres de personnes et de lieux, défauts qui ne donnent pas une idée bien avantageuse de l’instruction et de l’habileté des clercs employés par le prévôt à la rédaction de ce recueil. Quoi qu’il en soit, les éditeurs ont eu en vue de reproduire aussi fidèlement que possible le manuscrit original avec toutes les défectuosités qu’on pourrait lui reprocher avec raison, si l’on ne tenait pas compte, comme le veut l’équité, des circonstances désastreuses dans lesquelles il a été composé et que nous avons fait connaître au commencement de cette introduction.
Dans la note qui précède les Annales Flaviniacenses et Lausannenses, publiées par M. Pertz 1, on suppose que le prévôt Conon d’Estavayer avait eu connaissance de ces annales 2 dont le manuscrit remontait au dixième siècle. C’est très-possible, d’autant que notre prévôt a pu aisément visiter la célèbre abbaye de Flavigny, soit en allant, soit en revenant de Paris. Mais nous devons faire observer qu’il ne cite nulle part ces annales parmi les sources où il a puisé pour composer sa chronique, et nous voyons d’ailleurs qu’il n’a point suivi le même ordre, soit dans la chronologie des faits, soit dans la manière de les rapporter 3. Il paraît au contraire, /LIII/ suivant la note de M. Pertz, que le manuscrit des annales de Flavigny avait été réellement transporté à Lausanne dans la seconde moitié du IXe siècle pour les compléter en ce qui concernait cet évêché, et il est assez vraisemblable qu’on se servit pour cela du Liber episcopi Lausannensis in quo erant scripte carte antique regum et imperatorum etc. dont Cuno d’Estavayer déplorait la perte récente 1. Quoi qu’il en soit, les annales dont nous parlons peuvent servir utilement à rectifier certaines erreurs qui se sont glissées dans le travail de notre vénérable prévôt.
Il nous reste un devoir à remplir envers les personnes qui ont pris part à la publication du cartulaire. La copie moderne des archives de Lausanne a été collationnée avec soin sur le manuscrit original conservé à la bibliothèque de la ville de Berne par M. le Professeur A. Jahn. L’impression, exécutée dans les ateliers de MM. S. Genton, Luquiens et Ce à Lausanne, a été confiée aux soins de M. D. Martignier, ancien pasteur, et l’un des membres du comité de publication de la société 2. Messieurs Rickly, ancien bibliothécaire, et Frédéric de Charrières dont la société déplore encore la mort récente, ont secondé M. Martignier dans la tâche ingrate et difficile de corriger les épreuves de l’imprimerie. Malgré tous les soins que les éditeurs ont pris pour purger /LIV/ les épreuves de toute faute, il en est resté un assez grand nombre pour pour nécessiter un errata, fait avec un grand soin par M. Rickly, et qui remédiera autant que possible aux imperfections que renferme le texte.
Le sommaire chronologique qui précède le cartulaire, ainsi que la table alphabétique des matières placée à la fin, sont dûs à la patience de notre collégue M. Fr. Forel qui s’est déjà fait connaître d’une manière bien avantageuse 1 par la publication des documents et statuts de l’Evêché de Lausanne, dont le cartulaire forme en quelque sorte le complément.
Le volume est accompagné d’une carte topographique et ecclésiastique du diocèse de Lausanne, divisé en neuf doyennés ruraux, suivant le pouillé de l’an 1228. La société a adopté comme modèle la carte dressée sous la direction du professeur Matile. M. Alphonse Mandrot de Morges l’a complétée et dessinée de nouveau sur une échelle un peu plus large et plus commode que la première.
En terminant cette introduction, qui pourra paraître un peu longue, nous devons dire un mot du zèle que M. le Professeur Vulliemin, président de notre société, a mis à encourager et à préparer la publication du cartulaire, et du concours que nous a prêté le gouvernement du canton de Vaud en contribuant aux dépenses de cette publication.
Lausanne le 8 Février 1851.
F. de Gingins.