DEUXIÈME APPENDIX.
Dans un travail du genre du nôtre, le champ s’élargit à mesure qu'on le cultive. Nous nous trouvons ainsi dans le cas de consigner, dans un nouvel appendix, divers faits que nous avons encore recueillis et qui peuvent jeter quelque jour sur notre sujet.
Lorsque Roger, évêque de Lausanne, rendit (à Lausanne), en 1180, à noble homme (nobili viro) Uldric de Neuchâtel, son fief, situé dans les terres allemandes et romandes, et qu’il règla les clauses de cette inféodation, les témoins de cette transaction furent, entr’autres: Esso de Granges, Rodolphe de Montagny, Conon d’Estavaiel (Estavayé), Pierre (sire) de Cossonay, Jaques d’Aubonne et Pierre d’Escublens, tous chevaliers 1 .
Jean, sire de Prangins, déclare (ou confesse) que tout ce que (quidquid) Jean de Genollie (Genollier) tient en fief /382/ de lui dans le château et dans la ville (villa) de Genollie, il le tient lui-même de l’illustre sire de Gex, et cela en augmentation d’un autre fief pour lequel il est vassal du même sire. Au nombre des témoins de cette confession se trouvent: les chevaliers Rodolphe de Livron, Humbert de Rossillion et Hugues de Meges, les donzels Jaques d’Aubonne, Jaques de Trescour, et Jean de Genollie (nommé ci-dessus), le curé de Crassier et plusieurs autres personnes, tant ecclésiastiques que laïques 2 . — Quoique la date de cette déclaration ne soit pas indiquée, on doit cependant l’attribuer au sire Jean de Prangins, fils aîné du sire Guillaume et petit-fils de Jean Ier, sire de Cossonay et de Prangins 3 .
Dame Galienne Destres (d’Estrées), veuve d’Artaud, sire de Mont, chevalier, tenait, par suite de l’assignation de dot qu’il lui avait faite, le fief que les prédécesseurs d’Artaud avaient tenu du sire de Prangins, et que Jean, sire des Monts, chevalier, du consentement de son frère Henry, avait reconnu, en 1318 (veille de l’Epiphanie), en faveur Louis II de Savoye, sire de Vaud 4 . Le tiers du château, soit du Molar (castri seu molaris) de Genollier, le bois de Ruery et une certaine quantité d’hommes et d’hommages à Genollier appartenaient à ce fief, pour lequel Galienne Destres prêta reconnaissance, en faveur du comte Amédée VIII de Savoye, /383/ le 27 novembre 1403, sur les mains du commissaire Jean Balay 5 .
Nous avons parlé (pages 175 et 181) des contestations de Béatrix de Savoye, dame de Faucigny, avec le comte Amédée V de Savoye, au sujet de l’hommage du sire de Prangins. Béatrix fondait probablement ses prétentions sur la transaction suivante: En 1277 (vendredi avant les nones de février), noble femme (nobilis mulier) Lionette, dame de Gex, avait soumis au fief d’illustre dame Béatrix, comtesse de Viennois et d’Albon, et dame de Faucigny, les propriétés ci-après nommées 6 , qu’elle possédait de pur alleu 7 ; et, en conséquence de cet assujétissement, elle avait reconnu les tenir perpétuellement en fief lige de Béatrix et de ses successeurs. Ces propriétés étaient: la suzeraineté (dominium) du château de Châtillon, en Michaille, et tous les droits que dame Lionette avait dans ce château et dans son mandement, ainsi que tout ce qu’elle possédait de suzeraineté (et quidquid dominii habebat) dans la Michaille; le château (castrum) de la Cluse (de Clusa), avec ses droits et ses appartenances; le château de Pomer; la suzeraineté du château d’Estoz-rout et celle des choses que messire Rodolphe de Livron tenait de la dame de Gex; la suzeraineté des châteaux de St.-Jean (probablement de Gonvelles) 8 , de /384/ Fleyer (Fleis), de Poulier, de Greillier 9 , de Prangins, de Genolier 10 , de Mont-Richer 11 , et de la maison forte de Golay, avec leurs droits, appartenances, fidélités et usages; et généralement tout ce qu'elle possédait d'alleu dans les diocèses de Genève et de Lausanne 12 . En retour de cette concession, Béatrix avait fait remise à la dame de Gex de neuf cents livres viennoises, que celle-ci lui devait pour la dot de ses filles Béatrix et Agnès. De plus, elle lui avait /385/ fait cession de ses droits et prétentions (de Béatrix) à tout ce que Lionette tenait et possédait, soit par elle-même, soit par d’autres, dans le mandement de Berseya (Versoy?), et dans la paroisse de St.-Loup (Sancti Luppi), jusques à la Cluse (ad Clusam), en hommes, dixmes, terres, prés, bois, usages et autres choses quelconques, s’en réservant, néanmoins, la directe seigneurie. Cette transaction, à laquelle le dauphin Jean, comte de Viennois et d’Albon, fils de Béatrix, et Pierre, fils de Lionette, avaient donné leur consentement et que Béatrix, la dame de Gex, son fils Pierre, et le révérend évêque de Grenoble avaient scellée, avait eu lieu à Vsilie (Vizille), en présence d’un grand nombre de témoins, tant ecclésiastiques que laïques (parmi ceux-ci le chevalier Humbert de Rossillion et le donzel Yblet de Mont) 13 .
Maintenant, rappelons-nous qu’Aymon de Prangins, sire de Nyon, avait prêté reconnaissance, en 1289, pour tout ce que le sire de Gex affirmerait être du fief de Béatrix de Faucigny 14 ; que, selon Cibrario, le comte Amédée de Savoye et son frère le sire de Vaud s’étaient unis, en 1292 (septembre), pour s’emparer des fiefs dont l’hommage était /386/ contesté, alliance qui avait amené la catastrophe de la maison de Prangins; et qu'enfin, en 1293 (mai), Béatrix avait cédé au comte de Savoye toutes ses prétentions sur les terres situées au delà du lac et du Rhône, vers le Jura, y compris l'hommage du sire de Gex. Il résulte clairement, pensons-nous, de ces diverses circonstances, que la maison de Prangins fut la victime des contestations du comte Amédée avec Béatrix, contestations auxquelles la transaction de 1277 n’était peut-être pas étrangère et que le comte Amédée refusait, possible est-il, de reconnaître en tout ou en partie, ainsi qu'il ne voulait pas admettre la cession que le comte Amédée II de Genève avait faite à Béatrix, en 1282, de l’hommage du sire de Gex, en échange de l’hypothèque que le feu comte Pierre de Savoye avait sur plusieurs châteaux du Genevois.
Aymon de Prangins, le sire dépossédé de Nyon 15 , suivit, après la mort de Louis Ier de Savoye, sire de Vaud, l’exemple de son neveu Jean de Prangins, et des sœurs de celui-ci Alise et Brianca. Il paraît avoir traité avec Louis II, sire de Vaud, fils et successeur de Louis Ier, et lui fit cession de ses droits sur Nyon, Prangins, Mont, Bioley, Grandcour et /387/ Bellerive, moyennant la somme de cinquante livres lausannoises, bonnes, une fois payée, et la rente viagère et annuelle de quatre-vingts des mêmes livres. Ce prince assigna cette rente sur le péage des Clées, par acte daté de Nyon, dans la maison des frères mineurs, le jeudi avant la fête de Marie-Madelaine de l’année 1306 16 .
On ignore si Perronet de Prangins et sa sœur Ancellie finirent aussi par s’arranger avec la maison de Savoye. Ce cas paraît probable.
Après que, par la force des armes, la maison de Savoye se fût emparé des propriétés de celle de Prangins, Louis Ier, sire de Vaud, nous l’avons rapporté, avait (en 1294) un châtelain (Pierre Chochet, chevalier) à Bioley 17 . Or, on trouve Guillaume de Savoye, fils de ce même Louis Ier, appanagé de la seigneurie de Bioley, pour laquelle il prêta hommage à son frère Louis II en 1315 (4e des ides de juillet) 18 . Nous ignorons si ce Bioley est celui qui provenait des sires de Prangins, ou bien si c’est de Bioley-Magnoud que Guillaume de Savoye était seigneur 19 . /388/
Nous ferons observer encore que le nom de Nions se lit sur un sceau de Louis II de Savoye, sire de Vaud, qui accompagne un acte de l’année 1302 20 . De cette circonstance, Cibrario infère que ce prince portait peut-être, du vivant de son père, le titre de sire de Nyon 21 .
Nous croyons devoir faire, dans cet appendix, une remarque au sujet de ce Guillaume de Cossonay, prévôt du chapitre de Neuchâtel, dont nous avons précédemment parlé (page 43). Nous avons emprunté au chancelier de Montmollin (Mémoires sur le comté de Neuchâtel, tome II, page 110) ce que nous en avons rapporté. Cet auteur indique une démarche faite par ce prévôt et quelques chanoines, auprès du comte Berthold de Neuchâtel, pour obtenir de lui la prestation du serment d’usage au sujet des franchises des bourgeois. D’un autre côté, l’auteur des Monuments de l'histoire de Neuchâtel (M. Matile), qui possède une parfaite connaissance des archives de l’Etat de Neuchâtel, nous affirme qu’elles ne contiennent aucun document faisant mention du prévôt Guillaume de Cossonay, ni de la démarche qui lui est attribuée.
Mais si l’existence de ce prévôt est ainsi révoquée en doute, il est certain qu’un Jean de Cossonex fut abbé de Fontaine-André, dès 1308 à 1329 22 . Il est moins certain /389/ qu'il fût issu de la famille des sires de Cossonay. En effet, Fontaine-André n'ayant pas été un monastère riche et puissant, on ne trouve guère, parmi ses abbés, des individus de grandes maisons. Dans le cas pourtant où notre observation porterait à faux, ce qui est possible, nous serions portés à voir, dans l’abbé de Fontaine-André, un fils ou un frère de cet Amédée de Cossonay, vivant circa 1301 (que nous avons mentionné à la page 81), et peut-être un proche parent du donzel Henry de Cossonay, cousin du sire Jean II (voir note 138). Nous croyons que ce même donzel Henry devint, avec le temps, homme d’église. Par une charte de l’an 1302 (mai), Jean, sire de Cossonay, donzel, confesse devoir au moine 23 Henry, son consanguin, pour cause de prêt légitime, la somme de cinquante livres de Lausanne, bonnes, qu’il promet de lui rendre à la prochaine fête de St.-Michel. Comme complément des engagements qu’il prend au sujet de cette dette et de son rembours, et pour le cas où il y ferait défaut, messire Jean assure à son cousin toutes ses censes de Surpierre, tant en blé qu’en deniers. Il scella cette charte, dont, après son décès, il fut fait, en 1306 (juin), un vidimé, auquel Pierre, prieur de Cossonay et Girard de Chessaux, vicaire de ce lieu, apposèrent leurs sceaux 24 ./390/
Ce titre nous montre qu’alors le sire Jean n’était pas encore chevalier. Il parvint cependant à cette dignité, dont il était revêtu à l'époque de sa mort 25 .
Nous avons précédemment fait observer que, conformément à la coutume de Bourgogne, le sire Humbert (II) de Cossonay était porteur, vis-à-vis du siége archiépiscopal de Besançon, du fief de Nyon et de ses appartenances, mais que son frère Guillaume, sire de Prangins, le reconnaissait de lui. La mort du sire Humbert n’apporta pas de changement à ces rapports de féauté, et les sires de Nyon, de la maison de Prangins, continuèrent à tenir ce fief du sire de Cossonay, chef de leur famille. Nous en trouvons la preuve dans une charte par laquelle l'archevêque et le doyen de Besançon invitent le comte Amédée (V) de Savoye à recevoir, selon l’usage, Jean (II), sire de Cossonay, qu'ils ont, eux, reconnu être leur homme pour le fief de Nyon que le sire de Prangins tient de lui (de Jean), et que l’archevêque et le doyen ont jadis concédé au comte Philippe 26 . Il nous paraît douteux /391/ que le comte Amédée ait fait droit à l'invitation de l’archevêque, puisque, selon Cibrario, le sire Aymon prêta hommage au comte, en 1279, pour Nyon et pour les dixmes, et cela par suite de la cession faite, quelques années auparavant, au comte Philippe. L’hommage du sire Aymon aurait dû être prêté au sire de Cossonay, son parent, qui, de son côté, aurait dû le prêter au comte, et ce dernier au siége archiépiscopal. — L’expropriation de la maison de Prangins par le comte Amédée et son frère le sire de Vaud dut naturellement faire cesser les précédentes relations de féauté pour Nyon, et cela au détriment des sires de Cossonay qui perdirent l’hommage de ce fief. Par suite des arrangements du comte avec le sire de Vaud, Nyon devint la propriété de celui-ci, sous reconnaissance d’hommage envers son frère. Ainsi, Louis de Savoye prit la place d'Aymon de Prangins. Le sire Jean de Cossonay réclama-t-il contre cet arrangement? On l’ignore, mais cela paraît probable. Peut-être la lésion dont il fut l’objet dans cette circonstance ne fut-elle pas un des moindres griefs qui le portèrent à prendre une part active à la guerre qui éclata peu après contre le sire de Vaud. Il est possible que, dans le traité de paix particulier, qui doit avoir été conclu entre lui et Louis de Savoye (en 1297), le différend au sujet de l’hommage du fief de Nyon ait été réglé.
Béatrix, fille du comte Pierre de Savoye, ayant reçu du comte Amédée V mille livres viennoises qu’il lui devait à /392/ cause de l'engagement (responsionis, caution, payement?) qu’elle avait contracté, pour ce prince, envers Aymon de Prangins, sur le château de Nyon et ses appartenances, elle donne quittance de cette somme, le lundi après l’octave de la St-Martin, probablement de l’année 1294 27 . — Ces mille livres pourraient bien être celles pour lesquelles le sire Aymon de Prangins doit avoir offert à Béatrix le fief de son château et bourg de Nyon, et dont il a été parlé précédemment. Il est possible que Béatrix eût prêté cette somme au sire Aymon, sous l’hypothèque de Nyon; que celui-ci eût offert à cette princesse la suzeraineté de cette hypothèque pour se libérer de sa dette; et qu'enfin le comte Amédée, devenu possesseur de Nyon, eût payé la dette contractée par le sire Aymon. Il se pourrait encore que ces mille livres eussent été payées par la princesse pour l’aquisition de la suzeraineté de Nyon, et que le comte les lui eût remboursées après l'arrangement de 1293, qui termina leur querelle. 28 .