RECHERCHES SUR LES SIRES DE COSSONAY, ET SUR CEUX DE PRANGINS, ISSUS DE LEUR FAMILLE.
Nuls vestiges romains n’ayant jusqu’à présent été trouvés à Cossonay, on peut en inférer que l’endroit ainsi nommé n’existait pas alors que le pays de Vaud était sous la domination romaine. D’un autre côté, la situation élevée de cette petite ville, qui domine la vallée de la Venoge, lui donnait quelqu’importance au moyen-âge. Aussi, la trouve-t-on déjà au onzième siècle la propriété d’une famille illustre et puissante, qui en portait le nom, et dont l’histoire se lie à celle de la patrie vaudoise. Le but de cette notice est de consigner ce que les chartes nous ont transmis d’elle.
Quelques généalogistes 1 ont pensé que la famille des /6/ sires de Cossonay était une branche de celle de Grandson, si puissante dans notre patrie sous les Rodolphiens. Si cette supposition est fondée, la séparation des branches doit avoir eu lieu à une époque bien reculée, puisque Uldric de Cossonay, tige connue de sa famille, dans une charte de l’année 1096 qui va nous occuper, dit qu'il possède son alleu de Cossonay, en paix, dès son aïeul et son bisaïeul jusques au jour d’alors. Or, le bisaïeul d’Uldric vivait sûrement dans la seconde moitié du dixième siècle. Et si même nous ne prenons pas ces expressions à la lettre, nous ne pouvons leur donner d’autre sens que celui d’une possession immémoriale, c’est-à-dire de plusieurs générations. D’ailleurs, qui nous assure que cette possession ne fût pas encore plus ancienne? La nuit du temps enveloppe l’origine de la maison de Cossonay. Nous hasarderons plus tard une conjecture sur ce point et nous contenterons, pour le moment, de l’observation que les sires de Cossonay ont occupé un rang distingué parmi les dynastes de la patrie vaudoise dès la fin du onzième siècle et, suivant toute probabilité, même déjà auparavant. « Il est certain, » remarque un auteur 2 compétent dans la matière, « que Cossonay a été considéré comme l’une des plus anciennes terres du pays de Vaud, et que, même dans un temps, elle a prétendu la primauté dans les revues et le militaire sur les autres terres seigneuriales, telles que Rolle, Aubonne, Montricher et autres. »
ULDRIC.
Cette charte de l’année 1096 est, à notre connaissance, la plus ancienne qui fasse mention des Cossonay, et elle nous donne une opinion favorable de leur position à cette époque reculée. Uldric de Cossonay (Uldricus de Cochoniaco), du consentement de sa femme Sophie, de ses fils Willelme et Humbert, et de ses frères Seybold et Willelme, y donne à Dieu, aux saints apôtres Pierre et Paul, au monastère romain et aux moines qui y habitent, l’église de Cossonay avec toutes ses appartenances en dixmes, champs, prés, cours et chutes d’eaux, terres cultivées et incultes et tout ce qui appartient à l’autel, située entre la Venoge et l’Aubonne et fondée dans le propre alleu d’Uldric (in proprio allodio meo), qu’il possède en paix, dès son aïeul et son bisaïeul jusques au présent jour. Il fait cette donation pour le salut de son âme, de celles de ses père et mère et aussi de tous ses prédécesseurs , « afin », dit-il, « que Dieu tout-puissant ait pitié de nous dans ce siècle et dans le siècle à venir. » Il promet à Dieu d’observer perpétuellement la même paix dans ce /8/ qui dépend de Vufflens 3 que dans l'église de Cossonay. Il donne en outre à celle-ci, pour le service du monastère romain, de ses propres biens qui n'appartiennent pas au sanctuaire, les dixmes de toute la terre (potestatis) de Cossonay, qui lui reviennent, ainsi que les dixmes de son propre labeur 4 et de celui de sa mère; excepté, cependant, celles qu'il a inféodées à ses chevaliers (militibus) 5 . Il lui accorde encore l'usage de ses forêts et de l'eau de la Venoge /9/ pour autant qu’elle se trouve dans ses possessions et dans celles du sire Conon de Bansins 6 , son parent. Si quelqu’un a augmenté d’une manière utile les biens donnés par Uldric, que cela serve au monastère romain; et, si quelqu’un, serf ou libre, tenant son fief ou son alleu, ou ses dixmes, veut donner quelque chose pour son âme à la même église, il le concède de tout son cœur. De toutes ces choses sont garans Conon de Bansins, son consanguin, qui même a concédé, pour son âme, au monastère romain, tout ce qu’il possédait dans cette église, ne s’y réservant absolument rien; et Dalmace de Rocha 7 , signifer 8 de la présente donation, et /10/ Narduin de Ferrerias 9 , fils de Vuitgert. Témoins, les devanciers du château de Cossonay 10 , savoir: Boson, Conon, Asmadée, Payen, Beroard de Aziaco (d’Agiez?), et beaucoup d’autres dont Uldric ne se rappelle pas maintenant les noms. Toutes ces choses ont été conduites à effet l’an de l’incarnation 1096, indiction IVe, sous le règne de l’empereur Henry le jeune, fils d’Henry 11 .
Tel est le contenu de cette charte remarquable, la seule qui nous apprenne quelque chose d’Uldric de Cossonay. La femme de celui-ci se nommait donc Sophie et il avait pour fils Willelme et Humbert.
HUMBERT I.
Humbert possédait la terre de Cossonay et celle de Prangins, située dans l'ancien comté des Equestres; aussi prend-il tantôt le nom de Cossonay et tantôt celui de Prangins 12 , dans les chartes peu nombreuses qui font mention de lui 13 .
Humbert de Goiles 14 avait donné au couvent de Romainmôtier une serve, nommée Walda, et son fils Toringus, ainsi que la postérité qui naîtrait d'eux. Humbert de Cossonay 15 , qui avait des prétentions à la propriété de cette /12/ serve, y renonce et donne à Dieu, à St.-Pierre et au monastère romain, tout droit sur elle, en présence, entr'autres, de Lambert de Prangins 16 . La charte de cette donation ne porte pas de date, mais elle parait être du commencement du 12e siècle 17 .
Nous venons de dire qu’Humbert de Cossonay était sire de Prangins. On ignore si son père Uldric l'avait aussi été, et l'on sait tout aussi peu comment Prangins est devenu la /13/ propriété des sires des Cossonay que Cossonay même. Aucun document ne nous apprend laquelle de ces deux grandes seigneuries formait le patrimoine primitif de la famille à laquelle elles ont appartenu toutes deux à une époque reculée. Car, si la circonstance que le fils et le petit-fils d'Humbert Ier, qui tous deux étaient sires de Cossonay et de Prangins, n’ont pris dans leur sceau d’autre qualité que celle de seigneurs de Prangins, semble indiquer la priorité de cette terre par une cause que nous ne sommes pas à même d'apprécier; d’un autre côté, nous voyons que dans le partage que les deux fils de Jean Ier firent de l’héritage paternel, Cossonay forma la part de l’aîné et paraît ainsi avoir eu la prééminence sur Prangins 18 .
La femme d’Humbert de Cossonay ou de Prangins se nommait Berthe. On ne sait à quelle famille elle appartenait. Les antécesseurs de Berthe avaient tenu en précaire 19 , de l’église d’Agaune (St.-Maurice), des biens à Lutry et dans la ville nommée Erans (Aran). Humbert de Prangins pria humblement (humiliter rogavit) les chanoines de cette église, tant séculiers que réguliers, de les lui concéder, ainsi qu’à Berthe et à Wuillelme, un de leurs fils. Le prieur Hugues, les chanoines, et Amédée de Blonay, leur avoué, /14/ ayant tenu conseil, accédèrent à sa demande, à la condition que la cense serait augmentée et qu'il paierait annuellement, à la fête de tous les saints, sept sols, accompagnés d’un râteau et d’une fourche (ratorium et forcipes). A la mort d’Humbert, de Berthe et de Willelme, la précaire retournera à l’église, sans empêchement de la part de leur postérité et parenté. En cas de négligence du paiement de la cense, elle (l’église) rentrera dans ses droits sur les choses concédées. Humbert paiera aux chanoines cinquante sols en signe de rénovation. Les témoins de cette concession, faite à Agaune, dans le cloître de St.-Maurice, le 9e des Kalendes de juillet 1142, sont: Vuido d’Alinges, Varnerius de Bex 20 , Pierre de Cossonay 21 , Guillaume Drogo de Cossonay, Falcon, vidomme de St.-Maurice, et autres 22 . Nous observerons que ces prestariæ, soit remises de biens à terme, devinrent, en général, héréditaires; ainsi retrouverons-nous peut-être dans la concession de l’église d'Agaune au sire Humbert, l’origine d’un domaine de vignes que les sires de Cossonay possédaient à Lutry et à Aran, et qui, à l’extinction de leur race, passa, ainsi que la baronnie, à la maison de Savoie, qui l’aliéna 23 . /15/
Une bulle du pape Lucius II, adressée à Humbert de Prangins, nous apprend que celui-ci avait fait le pèlerinage de Rome, respectueusement visité la ville de St.-Pierre, soumis à la garde du prince des apôtres sa personne et ses terres, fait hommage au St-Siége et s’était engagé à payer la redevance annuelle d’un besant d’or, en signe de dépendance. En récompense, le pape lui donne sa bénédiction apostolique, le prend sous sa protection et l’admet lui, ses fils et leurs successeurs, au nombre des héritiers du prince des apôtres.
Cette bulle est du 5me des Ides de mai (11 mai) 1142 24 . Devons-nous voir dans l’hommage d’Humbert de Prangins au pape Lucius une déférence, suite de sa dévotion, ou ne fut-il pas plutôt prêté en évitation d’un autre dont il était menacé, peut-être de celui au duc de Zæringen? N’oublions pas combien la domination des recteurs de la Bourgogne Transjurane était repoussée par les dynastes Vaudois.
Le monastère de Ste.-Marie de Bonmont, de l’ordre de Citeaux, probablement fondé du temps du sire Humbert, au pied du Jura, non loin de son château de Prangins, était l’objet de nombreux dons de la part de la noblesse des environs. Humbert ne resta pas en arrière. De concert avec sa femme, il lui donna la grange 25 et les vignes de Clarens 26 . /16/ Cette donation est rappelée dans la bulle du pape Alexandre III en faveur de Bonmont, de l’an 1164 27 .
Bonmont ne fut pas seul l’objet des largesses d’Humbert de Prangins: il avait confirmé (laudaverat) au monastère de St.-Oyen de Joux (St.-Claude) et au prieuré de Divonne la possession des dixmes de Divonne, et au prieuré de Nyon celle des dixmes de Signy, du territoire d’outre Boiron et de Villar 28 .
Il est probable qu’il fut aussi le fondateur du prieuré de Cossonay 29 . /17/
Nous connaissons trois fils a Humbert de Prangins ou de Cossonay: Pierre, Willelme, connu par la charte de 1142, et Girold 30 .
PIERRE.
Comme son père, Pierre fut sire de Cossonay et de Prangins. En cette dernière qualité (dominus de Prangins), il confirma au monastère de Bonmont tous les dons que lui avaient faits son père Humbert et sa mère (de Pierre), entr’autres , de la grange de Clarens et de tout son territoire. Il les augmenta, et, en présence d’Arducius, évêque de Genève, de Guillaume Albrici, doyen, de Gaultier, chapelain, de Pierre de Trelai (Trelex) 31 de Pierre de Cosonai (Cossonay) 32 , /19/ et d’Aymon de Senaclens 33 , il lui donna tout ce qu’il possédait au Montlaçon (in Montelatiano) 34 , soit dans la terre de Jean Oliveri, ainsi que les pentes (pendentia aquarum) que les frères de Bonmont avaient cultivées de son temps, à Clarens, excepté pourtant les côtés du bois appelé Pinetum (pins), que, au jugement de l’évêque de Genève, de Pierre de Trelai et de Pierre de Cosonai, il retint pour la fortification (munimentum) de son château (castelli). Ensuite, en présence du même Pierre de Trelai, d’Anselme, sénéchal 35 , d'Humbert de Grallei (Grailly ou Greilly) 36 , /20/ de Lambert de Prangins 37 , chevalier, de Brunard et d’Amédée, mayeurs (villici), il donna encore au même monastère, en souvenir de son âme, de celles de son père, de sa mère, de son frère Girold et de ses antécesseurs, tout ce qu’il avait au même Montlaçon, dans la forêt nommée terre de Boscherans (terra de boscheranis), depuis le ruisseau qui coule entre le territoire de […] de Montlaçon jusques à l’eau au-dessous de Burtigny (britiniaco), appelée Sorone (Serine) et jusqu’à la fontaine de Serauber; consentant, si quelqu’un de ses hommes 38 possédait dans ces limites, que les moines de Bonmont en fissent l’acquisition par donation, par achat, ou par échange. Et afin que le tout demeurât ferme /21/ et ratifié, le sire Pierre en fit rédiger un écrit qu’il fit munir de son sceau, l’an 1164 de l’incarnation 39 .
Or, ce sceau, encore pendant, mérite que nous le mentionnions. Il représente un guerrier à cheval, tenant une bannière. On sait que les sceaux équestres n’étaient employés alors que par les seigneurs d'un haut rang, et l’on n’en trouve guère, d’une dignité inférieure à celle de comte, qui en fissent usage s’ils n’étaient pas issus de famille comtale 40 . Que les Prangins ou Cossonay, pendant plusieurs générations 41 aient scellé avec un sceau équestre, est un fait remarquable qui témoigne de leur rang élevé, ou de leur illustre origine. Les dynastes de Grandson, leurs contemporains, auxquels ils peuvent être comparés sous le double rapport de la puissance et de l’illustration, ont le privilége que leur origine comtale est connue. Qui nous dit que les dynastes de Cossonay, sires de Prangins, de Nyon, et grands propriétaires dans la contrée, ne descendaient pas des anciens comtes de ce mystérieux comté des Equestres, dont l’existence ne nous est révélée que par un très-petit nombre des chartes et dont un seul comte, Anselme, paraît dans une charte de l’année 926? Une pareille supposition, appuyée de la circonstance du sceau équestre 42 , n’a rien d’improbable. /22/
Pierre, sire de Cossonay, fut en mésintelligence avec Roger, évêque de Lausanne; la paix se fit entr’eux, en 1174, par l’entremise de Nicolas, sire d’Estavayé 43 .
Louis de Mont, et Amblare, sa femme, avaient fait donation au couvent de Bonmont de dixmes, tant de vin que de blé, à Bougel (près de Bursins), et dans les environs. Ces dixmes étant mouvantes de la seigneurie d’Ebal de Grandson, celui-ci la lauda et la ratifia, en présence d'Amédée, fils du comte 44 , de Mano, abbé d’Hautcrêt, de Jean, abbé de Théla, de Pierre, sire de Prangins, d’Humbert d’Aubonne, de Pierre de Trelai et de Ponce de Visincei (Vesancy). — Il est remarquable que dans la /23/ charte 45 , qui nous fait connaître ce fait, Pierre de Prangins soit titré sire (dominus de Prangins), tandis qu’Ebal de Grandson, Humbert d’Aubonne, et Louis de Mont ne le sont pas.
Pierre de Cossonay était revêtu, en 1180, de la dignité de chevalier 46 . On ne connaît pas le nom de son épouse.
Elle pourrait bien avoir été Mabilie, fille de Vaucher (Walgherius) de Divonne, le bienfaiteur si ce n’est le fondateur de Bonmont 47 .
Les noms de deux des fils du sire Pierre sont parvenus jusqu’à nous; savoir: de Jean, qui lui succéda et de Jacomed. Celui-ci fut témoin de la laudation de deux fils d'Hugues, sire de Grandson , de diverses donations que leur père avait faites (en 1179) à Magnon, abbé d’Hautcrêt; donations que l’épouse du sire Hugues ratifia au Château de Prangins 48 . Cette dernière circonstance laisse présumer d’étroits liens de famille entr’elle et les sires de Prangins. /24/
L’on trouve encore quelques individus du nom de Cossonay, lesquels, suivant le temps, pourraient être fils du sire Pierre. Ce sont: Thomas de Cossonay, chanoine de Lausanne et cellérier du Chapitre en 1205 et 1208, encore chanoine en 1215 49 ; Richard, son frère 50 ; Rodolphe de Cossonay, prieur de Lutry en 1200 51 , et Ulric de Cossonay, chevalier en 1208 52 . Les documens se taisent sur les rapports qui peuvent avoir existé entr’eux et la maison de Cossonay. Ainsi, nous ne déciderons pas s’ils lui appartenaient ou s’ils étaient issus de ses ministériaux 53 .
JEAN I.
Jean succéda à Pierre, son père, dans la possession de Cossonay et de Prangins. Il fut aussi sire de Berchier ou Bercher.
Les contestations des seigneurs avec les monastères au sujet des donations de leurs prédécesseurs étaient fréquentes. Ordinairement, elles se terminaient par la confirmation ou l'accroissement de ces donations. Souvent, le sacrifice était adouci par une somme d'argent livrée à propos par les moines. Ainsi, Jean, sire de Prangins, ayant donné pour le remède de son âme et de celles de tous ses prédécesseurs, entre les mains de Bernard, évêque de Belley et abbé de St.-Oyen ou de St.-Claude, les dixmes de Divonne à l'église de St-Claude et au prieuré de Divonne, et celles de Signy, du territoire d’outre-Boiron et de Villar au prieuré de Nyon, et ayant juré entre les mains de cet évêque d’observer cette donation, reçut de lui, libéralement (liberaliter), trente-trois livres, monnaie de Genève. Ces dixmes avaient été l’objet d’un grief (querelam) tant de la part du /26/ sire Jean que de celle de ses prédécesseurs contre ces maisons religieuses; cependant, celles-ci les avaient possédées longtemps tranquillement, et même Humbert, ayeul de Jean, leur en avait confirmé la possession. Le sire Amédée de Gex, Willelme de Chablie 54 Anselme, son frère, Vaucher d’Arnai 55 , Anselme de Gralia (Grailly) et d’autres encore furent présens à cette donation 56 . Quoiqu’elle soit sans date, nous devons la rapporter aux dernières années du 12me siècle ou aux premières du siècle suivant, puisque nous savons que Bernard de Thoire et Villars, abbé de St-Claude, fut évêque de Belley depuis l’année 1198 jusqu’à sa mort, en 1207 57 .
Jean, sire de Cossonay, avait des possessions dans le Vully (pagus Villacensis) qu’il obligea, en 1200, à Roger, /27/ évêque de Lausanne, pour la somme de deux cents livres 58 . Comme nous trouvons la postérité du sire Jean en possession, dans le 13me siècle, du château et de la châtellenie de Bellerive, dans le Vully, il est probable que ces possessions avaient seulement été soumises par lui au fief de l’évêque, moyennant la somme ci-dessus rapportée. Peut-être, aussi, avaient-elles été dégagées par le sire Jean, ou par ses successeurs. En 1300, l’évêque Guillaume de Champvent prétendait que les possessions des sires de Prangins dans le Vully étaient de son fief 59 .
Au mois de février 1202, Jean, sire de Cossonay (dominus de Cosonay), à la suggestion de Guillerme (ou Willelme) et de Narduin, surnommés (cognomine) Ferrel, et de Pierre de Plasei, leur parent, scella la confirmation qu’ils firent (sans réclamation) au couvent de Bonmont d’une donation de terres au Montlaçon 60 , principalement au lieu nommé Boschet (boschetum), que lui avaient faite Turumbert, père de Guillerme et de Narduin, et Emarus, leur oncle, pour le salut de leurs âmes. La cinquième partie de ces terres revenait à Pierre de Plasei, du chef de sa mère. Les frères de Bonmont leur avaient donné vingt-six sols pour prix de cette /28/ confirmation, à la condition toutefois que, si Hugues 61 , leur consanguin, revenait du pèlerinage entrepris en terre Sainte (de transmarina peregrinatione crucifixi Jesu redierit) et citait (citaverit) le monastère au sujet des terres données, /29/ Guillerme et Narduin restitueraient au couvent ce qui appartiendrait à Hugues des 26 sols payés. Les témoins de la sigillation du sire Jean furent: Pierre, chapelain de Cossonay, Nantelme de Chabie, Guy de Gomoëns /30/ (Gumoëns) 62 , Pierre de Surpierre (de Suprapetram) 63 , Pierre de Chabie, Pierre de Chesaut (Chesaux), Pierre de Ollens (Oulens) 64 Pierre de Graley (Grailly), Guillerme et Hugues de Grantie (Grancy) 65 , et d’autres encore 66 .
La tendance des couvents était alors d’augmenter leurs propriétés aux dépens des seigneurs possessionés dans leur voisinage, lesquels, de leur côté, s’efforçaient de leur reprendre ce qu’ils avaient attiré à eux. Les sires de Prangins et les frères de Ste.-Marie de Bonmont furent donc souvent en mésintelligence. En voici un premier exemple: Le sire Jean élevait contre Bonmont des prétentions au sujet de plusieurs possessions dont ce couvent était investi et que celui-ci assurait posséder de droit. Une convention eut lieu entre les parties, dans l’église de Genollier, probablement par l’entremise de Nantelme, évêque de Genève, qui nous la fait connaître par une charte de l’année 1204. Par elle, le sire Jean (dominus Johannes) renonce à ses prétentions, et, du consentement de sa femme Agnès et /31/ d'Humbert, son fils, confirme à la maison de Bonmont tout ce qu’elle possède (ce qu’elle a occupé), promettant de la maintenir justement, de tout son pouvoir, contre toutes personnes et de bénignement veiller à ce qui lui sera utile. Il promet également de garantir (omnem varantiam portare) les arbres et les noyers qui sont dans le cimetière de Viz (Vic) 67 , et cela pendant aussi longtemps qu'il tiendra le fief 68 ; et si les frères de Bonmont peuvent acquérir le fief, il y consent. Or, l'abbé de Bonmont ayant prêté au sire Jean vingt-cinq livres de Genève, remboursables au couvent lorsque l’abbé le voudra, celles-ci ne pourront être rendues sinon à la volonté de l’abbé; et lorsqu’elles auront été payées, le sire Jean, pendant quarante jours, ne pourra agiter aucuns griefs contre le couvent. Il se constitue lui-même ôtage pour cette dette avec le seigneur Etienne de Nyon (dominum Stephanum de Niuns) 69 , Humbert, ministral, deux frères, chevanciers de Grailly, et Humbert, Anselme et Vaucher d’Arnai. L’évêque Nantelme et messire Jean scellèrent cette convention, en présence d’Elie, abbé d’Hautecombe, d’Humbert, prieur de Genollier, de /32/ Nantelme d’Aubonne, d’Harduin de Bière, de Girald, Sénéchal de Binnins (Begnins) 70 , et d’autres encore 71 .
La Chartreuse d'Oujon, située sur le Jura, non loin de Prangins, à l’occident du village actuel d’Arzier, dans un lieu âpre et sauvage, fut aussi l'objet des largesses du sire Jean. En 1211, il lui donna en aumône 72 tous les droits qu’il avait ou semblait avoir 73 dans les limites de cette Chartreuse en pâturages, bois, prés, forêts et dixmes et aussi l’usage que les hommes de Begnins avaient dans ces limites 74 . Quelques faibles vestiges de ce couvent sont encore visibles de nos jours. On sait qu’il fut brûlé par les conquérans bernois.
A la prière des moines de Bonmont, d’une part, et d’Anselme et d’Humbert, chevanciers (milites) de Grailly et de Richard, leur frère, de l’autre, Jean, sire de Prangins (dominus de Prangins), scella, en 1214, le don de ces /33/ trois frères à Bonmont de ce qu’ils possédaient aux hommes (in hominibus) de Gingins qui furent de Chiserai (trois hommes et deux femmes, leurs sœurs) et de leurs héritiers des deux sexes, donation, ou plutôt abandon, pour lequel l’abbé leur avait payé soixante sols 75 . — Le village de Grailly faisait partie des domaines des sires de Prangins 76 et la famille des milites qui en portait le nom était leur vassale. Fréquemment, nous voyons les Grailly assister à leurs transactions. On sait que dans ces occasions les hauts barons étaient ordinairement entourés et assistés de leurs vassaux et ministériaux. La haute fortune à laquelle la maison de Grailly parvint avec le temps est connue 77 . /34/
La convention de 1204, entre messire Jean et Bonmont, n’avait pas terminé leurs querelles et le premier persévérait dans ses prétentions à plusieurs des possessions du couvent dans sa seigneurie. Enfin la paix se fit entre les parties, à Pâques de l'année 1218. Elle fut à l’avantage des moines; car le sire Jean, pour le salut de son âme, de celles de sa femme A (Agnès), de ses fils et de ses filles, de tous ses prédécesseurs et de tous ses successeurs, abandonna en aumône pure et perpétuelle à Dieu, à Ste.-Marie, à la maison de Bonmont et aux frères qui y servaient Dieu, tout ce que cette maison possédait dans l’étendue de sa seigneurie en terres cultes et incultes, prés, vignes, bois, eaux, dixmes, hommes et autres choses quelconques, acquises à quelque titre que ce fut et dont elle se trouvait investie le jour où la paix fut faite entre lui et le couvent. Messire Jean fit cette donation sur l’autel de Ste.-Marie et posa, en témoignage, sa main droite sur l’autel et le baisa, et cela en présence de l’abbé et de tout le couvent, de Hugues, cellérier de St-Claude, des prieurs de Divonne et de Nyon, de Guerric, sire d’Aubonne, du sire de Divonne, de plusieurs chevanciers et autres personnes. Il promit encore de protéger et de défendre le couvent contre toutes personnes, de tout son pouvoir, et de garder ses biens comme les siens propres; même s’ils étaient pris, d’en poursuivre la restitution, tant par lui que par ses hommes. Enfin, s’il lui était fait, soit à ses propriétés, injure ou dommage dans l’étendue /35/ de sa seigneurie, de le réputer être fait à lui-même, ou à son héritier. Tout cela fut confirmé sur les mains de G., jadis abbé de Bonmont et alors racine, par A. (Agnès), femme du sire Jean, par H. (Humbert), J. (Jean) et W. (Willelme), ses fils et par E. (Elisabeth?), sa fille, en présence de R. (Rodolphe), sire de Wufflens, de R. (Rodolphe), chevancier de Wufflens, de R., chevancier de St. Saphorin, de G. d'Ecublens, de Cicars de Bussens 78 , de Conon de Cossonay 79 , de F. de Treslai, de B., ministral de Cossonay et de plusieurs autres personnes tant ecclésiastiques que laïques. Messire Jean déclara que, si quelqu'un de ses héritiers et successeurs avait l’audace d’aller à l'encontre de sa donation, il encourrait la colère de Dieu tout-puissant et serait privé à jamais de l'héritage paternel.
En retour de cette concession, l’abbé et le couvent accordèrent au sire Jean, à sa femme, à ses fils et à ses filles, la participation aux bonnes œuvres du couvent, tant en veilles qu’en offices divins, en observation de la discipline de l’ordre, en prières et en jeûnes, afin que, par ces bonnes œuvres et par celles du sire Jean et de sa famille, Jésus-Christ leur pardonne le mal qu'ils ont et /36/ auront fait tant au couvent qu’en d’autres choses 80 .
Le sire Humbert de Wufflens (le châtel) ayant engagé, en 1222, au couvent de Romainmotier l’avouerie d’Apples et tout ce qu’il possédait dans cet endroit justement ou injustement, pour trente livres lausannoises, Jean, sire de Cossonay, se porta fidéjusseur de cette mise en gage 81 . L’année suivante, il scella, à la prière de Guillaume, sire de Wufflens (le châtel), la confirmation que fit celui-ci à ce couvent d’un don de Reymond, son père 82 . Déjà, en 1210, messire Jean avait apposé son sceau à un abandon fait par Jean de Wufflens au même monastère 83 .
La même année (1223), messire Jean fut témoin 84 de la cession que les frères Humbert et Willelme de Disy 85 , chevaliers, firent au couvent de Romainmotier, moyennant quatre livres (qu’ils acceptèrent des biens de l’Eglise), de leurs prétentions à un homme de Disy (nommé Rod. /37/ Charbini) 86 . Cette transaction eut lieu à la Chaux, dans la cour des Templiers (in curia templariorum). — On sait que le village de la Chaux, dans la seigneurie de Cossonay, appartenait à l’ordre militaire et religieux du Temple qui y avait un établissement. Cet ordre célèbre le possédait par suite de donations des sires de Cossonay 87 , donations qui doivent provenir du sire Jean lui-même, ou de Pierre, son père, ou d’Humbert, son ayeul, puisque l’ordre du Temple ne fut définitivement constitué qu’en l’année 1127 88 . L’ordre de St.-Jean de Jérusalem, émule et rival de celui du Temple, avait également des biens et un établissement dans la seigneurie de Cossonay. Le domaine seigneurial de /38/ Croze 89 , dans la riante vallée de la Venoge, était sa propriété, ainsi que des terres au village de Villars-Ste.-Croix 90 . On n'en connaît pas l'origine.
Nous avons dit que Jean, sire de Cossonay et de Prangins, l’était aussi de Berchier. On ignore à quel titre il possédait cette seigneurie, située dans le cœur du pays de Vaud, et qui était un alleu. Elle demeura la propriété de la maison de Cossonay jusqu’à son extinction. Comme sire de Berchier, Jean de Cossonay eut différend avec le chapitre de Lausanne à l’occasion du meurtre de deux de ses sujets, l’un de Cossonay, l’autre de Berchier, commis par deux hommes et des filles du village de Vuarrens, dont la seigneurie appartenait au chapitre. En représailles, les gens de Berchier pillèrent et brûlèrent Vuarrens, à plusieurs reprises, aidés de ceux de Belmont, leurs voisins, dont la seigneurie appartenait aux dynastes de Grandson. Ces désordres durèrent longtemps. En 1228, Girard et Henry de Gumoëns, chevaliers, furent, avec d’autres, nommés arbitres entre le chapitre et messire Jean 91 . Enfin, le chapitre procura la /39/ paix à ses sujets, en 1230, moyennant quarante livres que les meurtriers furent obligés de payer au sire de Cossonay 92 . Celui-ci ne doit pas avoir survécu longtemps à cette pacification, puisqu’en 1235 ses fils étaient en possession de ses seigneuries. — Messire Jean fut un des dynastes les plus puissant de la patrie vaudoise au commencement du 13me siècle. Le partage de sa succession entre ses fils diminua la grandeur de sa maison. L’un d’eux, cependant, homme d’église, lui donna un nouveau lustre en montant sur le siège épiscopal de Lausanne où l’appela le parti national, en opposition à Philippe de Savoye, son concurrent. Son élection témoigne de la considération dont jouissait alors la maison de Cossonay.
Nous avons vu que la femme du sire Jean se nommait dame Agnès 93 ; elle vivait encore en 1235 94 . On ignore sa famille. Les documens nous apprennent qu’il laissa quatre fils et plusieurs filles, savoir:
1o Humbert, l’aîné, tige de la maison de Cossonay proprement dite.
2o Willelme ou Guillaume, auteur de celle de Prangins.
3o Jean. Voué à l’église, Jean de Cossonay était chanoine de Lausanne en 1220 et chantre du chapitre en 1230 95 . /40/
Il prend cette dernière qualification lorsque, en 1235, il lauda et scella une donation du sire Guillaume de Prangins, son frère, au couvent de Bonmont, de sa part aux dixmes de Burtigny, de Marchissy et de Vic 96 . On sait que la dignité de chantre était la seconde du chapitre, dont le prévôt était le premier dignitaire 97 . Boniface, évêque de Lausanne, ayant résigné son évêché en 1239, le chapitre ne s’accorda point sur le choix de son successeur. Une partie élut Philippe de Savoye, primicier de Metz et frère du comte Amédée, quatrième du nom. Mais l’archevêque de Besançon et l'évêque de Langres, que le pape Grégoire IX avait adjoints au chapitre pour faire l’élection de l'évêque, n’ayant pas approuvé ce choix, une autre partie du chapitre élut le chantre Jean de Cossonay. Cette double élection produisit de grands maux, chacun des concurrens voulant et pouvant faire valoir ses droits à main armée. Tandis que Philippe ou ses partisans occupaient la ville haute, soit la cité, Jean de Cossonay, avec ses frères et ses amis, s’empara de la ville basse. Les villes de Berne et de Morat se déclarèrent pour l’élu du peuple (c’est ainsi qu’on désignait Jean de Cossonay) et lui envoyèrent un renfort d’un millier d’hommes. D’un autre côté, Pierre de Savoye amena six mille hommes au secours de son frère, et Aymon de Faucigny, son beau-père (de Pierre), assiégea la ville. Ces diverses troupes désolèrent Lausanne 98 . Conon d’Estavayé, prévôt du chapitre, s’interposa entre les combattans, et, par sa médiation, /41/ Jean de Cossonay prit possession du siège épiscopal. Toutefois il ne fut reconnu par tout le corps du chapitre qu'au bout de quelques années. — La possession commune de l’hommage du château d’Estavayé, dont une moitié avait été acquise par Jean de Cossonay de Guillaume d’Estavayé et de ses neveux, et l’autre moitié par Pierre de Savoye, devint une cause de dissension entre ces deux adversaires déjà mal disposés l’un pour l’autre. La guerre ne tarda pas à éclater et fut vivement soutenue de part et d’autre. Le prince Pierre, assisté d’Aymon, quatrième du nom, sire de Faucigny, son beau-père, fit irruption à Lausanne et paraît avoir eu le dessus dans cette lutte qui se termina par la paix conclue à Evian, le 29 mai 1244, par l’entremise de cinq médiateurs 99 . Notre évêque y céda plus qu’il ne reçut 100 . Il prit aussi l'engagement de faire observer l’hommage lige que son frère Humbert, sire de Cossonay, avait prêté le même jour au prince Pierre 101 . — En 1246, l’évêque Jean acquit du chapitre de Besançon ses droits sur /42/ Cully, Riez et Bremblens 102 .— Il engagea, en 1254, la jurisdiction temporelle de l'évêché de Lausanne au sire Aymon de Faucigny, pour trente mille sols genevois, à condition, toutefois, que les châteaux de l’évêque seraient gardés par les vassaux de l’église et que ceux-ci jureraient fidélité tant à l’évêque qu’au sire de Faucigny. — Cependant Pierre de Savoye avait pris pied ferme dans le pays de Vaud et sa puissance y devenait de plus en plus prépondérante. Aussi l’évêque Jean, qui le considérait comme le plus capable de protéger l’église de Lausanne et de l’enrichir, lui concéda-t-il, dans le courant de l’année 1260 et après avoir liquidé en partie l’hypothèque par lui donnée au sire de Faucigny, la moitié de ses droits, temporels (revenus, justices et droits) sur la cité, sur la ville et sur la banlieue de Lausanne, concession qui était limitée à la vie du prince 103 . — Jean de Cossonay fut en différend avec son chapitre au sujet de la jurisdiction sur le prieuré de St.-Maire. Une prononciation d’arbitres (1261, août) le condamna et décida que l’évêque n’avait que le droit de confirmation sur ce prieuré 104 . — On rend à Jean de Cossonay le témoignage d’avoir été un homme doux et dont l’épiscopat fut favorable à son église 105 . Il mourut sur la fin de l’année 1275, peu de temps après que le pape Grégoire X, qui s’était rendu à Lausanne pour s’y aboucher avec l’empereur Rodolphe de Habsbourg, y eut fait pompeusement, en présence /43/ de ce Souverain, d’un grand nombre de princes et d’un concours immense de personnes, la dédicace de la belle cathédrale de Lausanne nouvellement rebâtie 106 . Cette consécration paraît avoir eu lieu le 19 d’octobre de cette même année 107 .
4o Amédée. Ce quatrième fils de messire Jean se voua également à l'église. On le trouve chanoine de Lausanne en 1220 108 . En 1235, il approuva la donation que fit alors son frère Guillaume au couvent de Bonmont.
5o Isabelle 109 . Elle épousa Pierre, co-seigneur d'Estavayé, chevalier, qui ne vivait plus en 1222 110 . Il était fils de Nicod, aussi co-seigneur d’Estavayé 111 .
6o Une autre fille désignée dans la charte de 1218 (voir plus haut) par la lettre initiale E., peut-être Elisabeth.
On trouve encore un Guillaume de Cossonay, prévôt du chapitre de l’église de Neuchâtel en 1249 112 , lequel, suivant /44/ le temps, pourrait avoir été fils du sire Jean Ier. On sait que les dignités de l’église étaient souvent le partage des cadets des grandes maisons. Toutefois, aucune charte ne le dit fils du sire de Cossonay.
MAISON DE COSSONAY PROPREMENT DITE.
HUMBERT II.
Nous avons vu Humbert ratifier la convention que fit le sire Jean, son père , en 1204, avec le couvent de Bonmont , ainsi que sa donation à ce monastère en 1218.
En 1235, Humbert , sire de Cossonay (dominus de Cossonay) , approuva le don que fit à ce même couvent son frère Vuillelme, sire de Prangins, de ce qu’il possédait aux dixmes de Burtigny, de Marchissy et de Vic, laudation d’autant plus nécessaire que ces dixmes étaient de son fief 113 . Contesson, femme du sire Humbert, et Jean, leur fils, l’approuvèrent aussi 114 . Ainsi l'héritage de messire Jean se trouvait alors partagé entre ses fils. L’aîné, Humbert, possédait la Seigneurie de Cossonay, et Vuillelme ou Guillaume, celle /46/ de Prangins 115 . Berchier entra dans le partage de l’aîné 116 . Trois ans plus tard (en 1238), Humbert donna son consentement au don du sire Vuillelme au couvent de Romainmotier des dixmes de Dullit et de Verney et de la part de celles de Vinzel et de Bursins que le prieuré de ce dernier endroit y percevait 117 . Ces dixmes étaient également du fief du sire Humbert 118
Nous arrivons a l'époque où messire Humbert, sans doute contraint par les circonstances, fit hommage lige 119 , pour sa seigneurie de Cossonay, au prince Pierre de Savoye, surnommé le petit Charlemagne. On se rappelle qu’Uldric de Cossonay, donnant, en 1096, l'église de Cossonay au couvent de Romainmotier, remarque qu’elle est fondée dans son alleu 120 , expression qui nous indique qu’alors Cossonay n’était pas fief. Il ne faut cependant pas en conclure que les /47/ ancêtres d’Uldric, qui avaient possédé cet alleu en paix, fussent entièrement indépendans des souverains du pays. Ainsi que les Grandson et autres dynastes de la patrie vaudoise, qui exerçaient dans leurs propriétés la plupart des prérogatives de la souveraineté, les sires de Cossonay relevaient immédiatement du second royaume de Bourgogne. Après la mort du dernier Rodolphe, leur position fut la même à l’égard de l’empire, son héritier. Forcés, sûrement, de se soumettre aux recteurs de la Bourgogne Transjurane 121 , ils recouvrèrent leur immédiateté à la mort du dernier des Berthold et la perdirent de nouveau lorsque l'établissement de Pierre de Savoye dans le pays de Vaud obligea messire Humbert à se reconnaître homme lige de ce prince. Cet hommage semble avoir été la conséquence de la paix que l’évêque Jean, son frère, conclut à Evian avec le petit Charlemagne (le 29 mai 1244) et qui termina leurs différends, puisqu’il fut prêté le jour même et que l’évêque prit l'engagement de le faire observer 122 . La seigneurie de Bercher n’y fut pas comprise et resta alleu comme précédemment.
Pierre de Savoye n’était pas le seul suzerain du sire Humbert: le comte de Genève, l’archevêque de Besançon et le sire de Gex l’étaient aussi. Ceci nous conduit à parler de l’hommage qu’il prêta à l’archevêque. /48/
Par une charte datée de la fête de St.-Barnabé 1246, Jean, par la grâce de Dieu, évêque de Lausanne, fait savoir que son cher frère Humbert, sire de Cossonay, a fait hommage, en sa présence, à Besançon, à vénérable père Vuillelme , par la grâce de Dieu, archevêque de cette ville, et reconnu tenir en fief de lui Nyon et la ville nommée Pormentor (Promenthoux), depuis la fontaine du milieu du chêne jusqu'à la maladière de Nyon, et le lac depuis le rivage devers Nyon jusqu’au milieu du lac, et le péage, et la pêche trois jours de la semaine, et la quête des poissons 122 bis pendant le carême, et les dixmes depuis le canal de Brussins (Bursins) jusqu’à la pierre de Moray 123 . Item, qu’il a reconnu être homme lige de l’archevêque, avant tous autres, des deux côtés du Jura (citra Juram versus Bisuntinum et ultra Juram), sauf la féauté du sire de Gex et le fief du comté (comitatus) de Genève qui s’étend depuis le ruisseau appelé l’eau de Perengin (Prangins) jusqu'à la fontaine nommée Brallons 124 . — Le sire de Prangins tenait également en fief /49/ du siège archiépiscopal de Besançon, vingt livres de terre 125 , à Etrelle 126 , proche (juxta) Mont 127 .
On ignore et l'origine de cette mouvance de l'archevêque et l’époque où les dynastes de Cossonay parvinrent à la possession de ces fiefs. A la vérité, on ne connaît pas d'hommage antérieur à celui de 1246. Toutefois, si nous nous rappelons qu’Humbert Ier, sire de Cossonay et de Prangins, bisaïeul d’Humbert II, avait confirmé aux maisons religieuses de St.-Claude, de Divonne et de Nyon, la possession de diverses dixmes dans les environs de Nyon, nous en tirerons la conséquence que, pour les dixmes du moins, l’hommage du sire Humbert ne portait pas sur des choses de concession nouvelle.
Une contradiction apparente semble se présenter ici. C'est Humbert qui prête hommage à l’archevêque, pour Nyon, Promenthoux, les dixmes et les autres choses mentionnées dans son hommage, et cependant, c’est son frère Willelme, sire de Prangins, qui tient ces divers fiefs. C’est que la coutume de Bourgogne, que suivaient les dynastes de la patrie vaudoise, voulait que l’aîné des fils fût seul porteur des fiefs /50/ de la succession paternelle vis-à-vis du suzerain, et que les autres tinssent de l'aîné, en fief, la part qu'ils en obtenaient. Le même fait se retrouve chez les dynastes de Grandson, où l’on voit les branches cadettes de cette illustre famille prêter hommage à l'aînée pour leurs terres 128 . Nous avons maintenant l'explication de l’approbation du sire Humbert du don de son frère Willelme aux couvens de Bonmont et de Romainmotier, en 1235 et 1238, de diverses dixmes comprises dans les limites indiquées dans l’hommage de 1246.
La féauté envers le sire de Gex, réservée par le sire Humbert, portait sur le château et le mandement de Prangins 129 . Du temps d’Humbert de Cossonay, la seigneurie de Prangins faisait partie de la terre de Gex 130 . On sait que celle-ci était un démembrement du comté de Genève et que la première race de ses seigneurs était issue de la famille des comtes de ce nom. Quiconque a étudié le moyen-âge sait /51/ combien les rapports du vasselage étaient compliqués; et, à vrai dire, ils ne nous paraissent souvent tels que parce que nous ignorons les causes qui les produisaient.
En mars 1247, Humbert, sire de Cossonay, scella l’abandon que fit Willelme de Wufflens, dit Gras, chevalier, en faveur du couvent de Romainmotier, de ses prétentions à une vigne au territoire de Bussy 131 .
Messire Humbert tenait en fief du sire de Salins une rente hebdomadaire de cinq sols. Jean, comte de Bourgogne, sire de Salins, reconnaissant ce fief, l’augmenta, et le portant à vingt sols estevenans par semaine assigna cette rente sur le revenu de son puits de Salins. Dans cette charte, datée du jour de la purification de la Vierge 1250, le comte Jean de Bourgogne appelle Humbert, sire de Cossonay, mari de sa feue nièce (quondam maritus neptis nostræ) 132 .
Un traité de paix, conclu le 10 juin 1250, avait mis fin à la longue guerre du prince 133 Pierre de Savoie contre le comte Guillaume de Genève et son fils Rodolphe. Il porta un coup sensible à la puissance des comtes de Genève. Une conséquence de ce traité fut l’injonction, donnée le 12 juin suivant, par le comte Guillaume aux barons et autres nobles hommes, ses vassaux, de reconnaître le prince Pierre, auquel il remettait, entr’autres, le château des Clées, en gage de la somme de dix /52/ mille marcs d'argent qu'il devait lui payer 134 . Le sire de Cossonay reçut du comte de Genève l'ordre de prêter serment au prince Pierre, attendu l'engagement qu'il en avait pris 135 . Nous avons vu qu'il tenait en fief de lui la contrée située entre le ruisseau de Prangins et la fontaine de Brallons 136 .
Depuis cette époque (1250), il n'est plus fait mention du sire Humbert. Sa femme (en 1235) se nommait Contessons, ainsi que nous l'avons remarqué. Est-ce elle qui était la nièce de Jean l'ancien, comte de Bourgogne? Le nom de cette nièce a jusqu'ici échappé aux recherches. Elle pourrait bien avoir été une des filles de Béatrix, dame de Marnay, sœur du comte Jean, et de Simon, sire de Joinville et sénéchal de Champagne, son mari 137 . Messire Humbert eut de Contessons un fils nommé Jean, qui approuva, en 1235, le don de son /53/ oncle Willelme, sire de Prangins, à l'abbaye de Bonmont 138 . Cependant ce fut Jaques, un autre de ses fils 139 , qui lui succéda.
JAQUES.
Les documens qui font mention de ce successeur du sire Humbert II sont peu nombreux.
Au nombre des familles feudataires des sires de Cossonay se trouvait celle de Senarclens, dont nous avons remarqué que, dans le siècle précédent, un membre avait été témoin d’une donation de Pierre, sire de Cossonay et de Prangins, au couvent de Bonmont. Dès le 13e siècle, elle s’était divisée en deux branches qui avaient partagé les fiefs qu’elle tenait au village dont elle portait le nom. Jaques, sire de Cossonay, accorda à l’une d’elles que sa maison serait franche, noble et exemple de toute servitude, de subside et de charge d’hommage 140 . /55/
En 1267 (15 oct.), Conon, dit Ferrens de Pentala 141 au diocèse de Lausanne, ayant donné en aumône perpétuelle au couvent de Bonmont sa part de la grande dixme de Bretignye (Burtigny) 142 , et reçu, à cette occasion, trente-deux livres de Genève de l’abbé et du couvent, promit que, lorsqu’il y aurait dans le château et dans la seigneurie (in castro et dominio) de Cossonay un seigneur ferme et stable, il lui ferait approuver cette donation et le constituerait garant d’icelle, et jusque-là il établit deux autres fidéjusseurs 143 . Le sire de Cossonay était alors Jaques. Pourquoi donc n’était-il pas ferme et stable dans son château et dans sa seigneurie? C’est qu’à cette époque il était ou prisonnier /56/ du comte Pierre de Savoye, ou privé par lui de sa seigneurie. Le comte Pierre était en guerre avec Rodolphe de Habsbourg (depuis empereur), qui voulait dépouiller Marguerite de Savoye , sœur de Pierre et veuve d’Hartmann le vieux, comte de Kibourg, de ses terres et de ses châteaux dans la Suisse allemande 144 . Plusieurs des principaux seigneurs du pays de Vaud, que le petit Charlemagne avait contraints ou engagés à lui prêter hommage, profitant de la conjoncture s'étaient ralliés à Rodolphe 145 . Cette levée de boucliers eut pour résultat la défaite des coalisés devant le château de Chillon 146 , et nos anciennes chroniques racontent que le comte de Gruyère, avec plusieurs seigneurs du pays de Vaud, et dans le nombre celui de Cossonay, y furent faits prisonniers. Cet événement doit s'être passé dans la seconde moitié de l’année 1265 ou environ 147 . Il est donc probable que, lors de la donation de Conon Ferrens de Pentala, le sire Jaques était encore prisonnier ou privé de sa seigneurie. La nécessité de l’approbation de cette donation par le sire de Cossonay nous prouve que son objet était du fief de celui-ci. Or, ce fief provenait de l’héritage des sires de Prangins.
Messire Jaques, cependant, rentra en possession de Cossonay, car, au mois de juillet de l’année 1271, il en prêta hommage au comte Philippe de Savoye 148 , frère et successeur du comte Pierre. /57/
Jaques de Cossonay, qui était parvenu a la dignité de chevalier, ne vécut plus longtemps dès lors 149 . Il laissa un fils mineur, Jean, sous la tutelle de dame Jordane, sa mère. Celle-ci appartenait, selon toute apparence, à l'illustre famille vallaisanne de la Tour-Châtillon 150 . Elle possédait le /58/ vidommat d'Ollon, ainsi que les biens seigneuriaux dans cet endroit, qui, plus tard, ont formé la seigneurie de la Roche-d’Ollon 151 , et prêta hommage pour le tout, en 1276, à l’abbé de St.-Maurice d’Agaune 152 . Elle était aussi 153 co-dame /59/ de Bex 154 — Dame Jordane de Cossonay fut inhumée dans l'église de la bienheureuse Marie de Lausanne, dans la chapelle de Marie. 155 .
JEAN II.
Sire de Cossonay, de Berchier, de l’Isle et de Surpierre 156 , Jean, second du nom, fut longtemps sous la tutelle de dame Jordane, sa mère. Aussi, voyons-nous celle-ci agir soit de concert avec lui, soit seule, lorsqu’il est question des intérêts de la seigneurie de Cossonay.
Ainsi, en 1274 (4 mai), dame Jordane scelle, avec les chevaliers Girard et Pierre de Disy, frères, l’aveu que fait Pierre, dit Pans de Grancie, donzel, de n’avoir aucun droit à la dixme de St.-Pierre de Senarclens appartenant à l’église de Romainmotier, et d’avoir mis à tort la main sur elle 157 . Ainsi, encore, elle appose son sceau à la vente que font au couvent de Romainmotier Perrin Aubertet, de Cossonay, et Perrette, veuve de Vuillelme de Rue (de Rota), bourgeois de Cossonay, et ses fils, de tout ce qu’ils possèdent /61/ dans la ville (villa) et au territoire de Mont-la-Ville 158 . Et, en 1279, noble dame Jordane, dame de Cossonay, scelle la confession que fait Jean de Senarclens, donzel, fils de feu Rodolphe de Senarclens, chevalier, de tenir du prieuré de Cossonay divers biens à Senarclens, sous la cense annuelle de six sols, et la dixme des légumes de cet endroit, sous celle d'un muid de blé 159 .
Les sires de Cossonay avaient précédemment donné en aumône pure et perpétuelle au prieuré de Cossonay, pour le salut de leurs âmes, leur dixme de Chiblie 160 . Dame Jordane et Jean, sire de Cossonay, son fils, confirmèrent cette concession (1282, nov.) et mirent le prieuré en possession de cette dixme, lui imposant en même temps l’obligation de donner chaque année, la veille de l’octave de la St-Martin d’hiver, dans la soirée, un repas (unum convivium) dans le prieuré à huit prêtres et à pareil nombre de clercs 161 .
La même année (1282, déc.), le chapitre de Lausanne /62/ ayant remis à vie à Othon de Chanvent 162 , l'un de ses chanoines, le château de St.-Prex et le village de Crans (au diocèse de Genève), avec leurs appartenances, sous diverses conditions et moyennant la cense annuelle de cent livres lausannoises, celui-ci donna des fidéjusseurs du payement de cette cense, qui furent: Girard de Chanvent, frère d’Othon, Pierre, curé de Moudon et Falcon de Salins, tous trois chanoines de Lausanne, chacun d'eux pour dix livres; Jaques, curé d’Ornie (Orny), aussi pour dix livres; le sire Humbert de Montferrand (sire de la Sarraz), pour vingt livres; Jean, sire de Cossonay, par ordre (de mandato) de dame Jordane, sa mère, pour pareille somme; enfin Henry, mayeur de Lausanne, Jean, fils de Jaques Bonhomme (boni hominis), citoyen de Lausanne, et Jaques, fils d’Hugonin dit Poloz, aussi citoyen de cette ville, chacun pour dix livres 163 . /63/
En 1286, dame Jordane de Cossonay scella la vente que fit alors au prieuré de Cossonay Girard de Cognay 164 , donzel, de la sixième partie des dixmes du village de Disy, pour le prix de dix-huit livres lausannoises 165 . C'est la dernière fois que nous la trouvons nommée à Cossonay.
A l’époque où nous sommes parvenus, le pays de Vaud, en majeure partie du moins, avait été remis en apanage par Amédée, cinquième du nom, comte de Savoye, à son frère Louis de Savoye, sous la réserve de la souveraineté 166 . Mais, la seigneurie de Cossonay n’avait pas passé sous la suzeraineté du baron de Vaud. Le comte Amédée avait retenu à lui l’hommage du comte de Gruyère et ceux des sires de Cossonay et de Châtel (St.-Denis) 167 .
Les seigneuries de Cossonay et de la Sarraz se confinaient des côtés du nord et de l’occident 168 . Il devait en résulter des frottemens fréquens: c’était inévitable entre seigneurs d’une /64/ puissance et d'une position semblables. Cependant il était de leur intérêt, dans les conjonctures d'alors, non-seulement de vivre en paix, mais encore d’être étroitement unis. Aussi les deux sires firent-ils, en décembre 1292, un traité d’alliance, en présence de l’évêque de Lausanne et probablement par son intermédiaire, puisque l’on doit supposer que Guillaume de Champvent 169 , dans la prévision de la guerre qu’il soutiendrait bientôt contre Louis de Savoye, mit de l’intérêt à unir deux seigneurs qui devaient être ses alliés. Ecoutons comment s’exprime le traité: Guillaume, par la grâce de Dieu, évêque de Lausanne, fait savoir que nobles hommes (viri nobiles) Jean, sire de Cossonay, et Jean, sire de la Sarraz 170 , se sont constitués en sa présence et ont fait les conventions et confédérations suivantes: Primo, ils se sont réciproquement promis, par serment prêté sur le Saint corps de Christ 171 , pour eux et leurs héritiers à perpétuité, de s’aider (juvare) l’un l’autre de tout leur pouvoir, et de se secourir dans les guerres et nécessités qui pourraient leur survenir, réservé, toutefois, la féauté envers leurs seigneurs. Item, de ne point soustraire et attirer leurs gens et sujets de leurs terres réciproques. Item, le sire de la Sarraz a promis de ne réclamer aucun droit sur certaine joux (juriam) 172 , depuis le Mont-Tendre 173 vers la Chardena /65/ (nom d’une montagne à pâturer, au-dessus de l’Isle) et de n’exercer aucune seigneurie dans ces limites; et, de son côté, celui de Cossonay s'est engagé à ne réclamer aucun droit dans la ville de Quarnens (Cuarnens) 174 et dans son territoire, ni dès la ville de la Coudre 175 vers l’abbaye du lac de Joux, ni depuis le Mont-Tendre vers cette abbaye, à l’exception de la Chaux de Coliat 176 . Item, les deux sires se sont promis secours et toute force (totam vim) lorsqu'il voudraient construire des villes (villas), des forts (fortalicia) ou des châteaux (seu castra), savoir, celui de Cossonay dans ses limites prémentionnés, et celui de la Sarraz dans les lieux prénommés, dans les limites de son avouerie (de l’abbaye du lac de Joux). Le sire de Cossonay a pris encore l’engagement de ne réclamer aucun droit dans l'avouerie de l’abbaye (du lac de Joux) appartenant à celui de la Sarraz et de ne pas attirer sur ses terres (retrahere super se) les hommes de cette abbaye. Enfin, tous deux ont promis l’observation perpétuelle et inviolable des conventions sus-exprimées 177 . /66/
Nous ne pensons pas que ce traité fût seulement destiné à régler quelques difficultés que le voisinage de leurs terres avait fait naître entre les deux sires. Nous lui attribuons une portée plus étendue. Effectivement, la haute noblesse vaudoise n'était pas alors animée envers la maison de Savoye des sentimens de dévouement et d'affection qu'on lui a vus depuis. L’établissement de cette maison dans la patrie vaudoise était récent et l'hommage de plusieurs de ses dynastes n’avait pas été volontaire. De plus, ces mêmes dynastes étaient mécontens d’avoir passé, pour la plupart, sous la suzeraineté de Louis de Savoye. À cette époque, les sires de Prangins et de Nyon, proches parens du sire de Cossonay et issus de sa maison, étaient dépouillés de leurs propriétés 178 par le comte Amédée et par le baron de Vaud. Or, cet exemple était propre à effrayer le jeune sire de Cossonay et à le porter à conclure une alliance avec le sire de la Sarraz pour les éventualités d’une guerre. Peut-être, faut-il attribuer à ces mêmes sentimens le traité de combourgeoisie que le sire Jean fit, en 1294, avec la ville de Fribourg en Uechtland, traité par lequel il s’astreignit à perpétuité, par serment, comme vrai bourgeois et selon les bons us et coutumes de Fribourg, envers l’avoyer, les consuls et la communauté de cet endroit et promit de donner conseil, aide et faveur à ses combourgeois /67/ de Fribourg, comme un bourgeois est tenu de le faire, contre toutes personnes, excepté contre l’illustre comte de Savoye et le vénérable évêque de Lausanne 179 . N’oublions pas que Jean de Cossonay était sire de Surpierre, près de Fribourg, ce qui pouvait lui faire trouver de l’avantage dans sa bourgeoisie.
En 1295, la guerre éclata entre l’évêque de Lausanne et Louis de Savoye, baron de Vaud 180 . Nous l’appellerons une guerre d’indépendance, soutenue par l’évêque de concert avec la noblesse vaudoise contre la maison de Savoye. Cette tentative d’échapper à la domination de celle-ci fut la dernière. Le sire de Cossonay y prit une part active et fut, avec Humbert de Thoire et Villars, sire d’Aubonne, le principal coadjuteur de Guillaume de Champvent 181 . Outre ces deux seigneurs, l’évêque eut encore pour alliés le chapitre de Lausanne, Othon, sire de Grandson, Pierre, sire de Champvent, Pierre de Grandson, sire de Belmont, et Pierre, coseigneur d’Estavayé. Aymon, Pierre et Jean de Prangins, dont la famille avait été récemment dépouillée par Louis de Savoye, se joignirent, avec d’autres nobles, à Humbert de Thoire et Villars. On vit du côté du baron de Vaud le comte (Rolin) de Neuchâtel, le sire (Guillaume) de Gex, le sire de Montricher (quoique issu de la maison de Grandson), les Bernois et les Fribourgeois. Les détails et les vicissitudes de cette guerre ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Le Samedi, 3 juillet 1297 182 , une trève fut conclue entre les parties. /68/ Elle devait durer jusques à la quinzaine après la St.-Michel. L’évêque y fit comprendre le chapitre de Lausanne et les seigneurs de son parti, nommés plus haut. Humbert de Thoire et Villars, les trois donzels de Prangins et ses adhérens; et Louis de Savoye, les seigneurs ses alliés, et, dans le nombre, Philippe de Savoye. On convint que, si quelqu’un faisait infraction à la trève, elle n’en durerait pas moins, mais que le violateur serait puni à l'arbitre de Richard de Duyn, sire de Wufflens, et de Guillaume, sénéchal de Lausanne, élus garans du traité par les parties 183 . Bientôt après la paix se fit entre l'évêque et Louis de Savoye, par l’entremise de Jean de Chalon, sire d’Arlay, qui prononça que le baron de Vaud payerait à l’évêque la somme de treize-cents livres et donnerait des fidéjusseurs, entre les mains du sire d’Arlay, pour sûreté de ce paiement. Ceux-ci furent effectivement donnés en 1298 184 . Quant au sire de Cossonay, dont il n’est pas parlé dans la trève dont Ruchat nous a conservé les détails, il fit sa paix avec Louis de Savoye /69/ par un traité particulier 185 , qui paraît avoir été conclu en 1297 186 .
La pacification opérée par l’entremise du sire d’Arlay avait été incomplète et bien des points étaient restés en litige. Un nouveau traité de paix, conclu en 1300 187 , dans la tour d’Ouchy, en présence et par l’intermédiaire du comte Amédée, termina la querelle entre l'évêque et Louis de Savoye, et entre celui-ci, d’un côté, et Humbert, sire de Villars, Gauthier de Montfaucon, sire d’Orbe et d’Echallens, les sires de Grandson, de Champvent, de Belmont et de Cossonay, et Pierre d’Estavayé, de l’autre. Les dispositions de ce traité portent surtout sur des choses de détail. On y lit que Louis de Savoie reprochait au sire de Cossonay d’attirer les hommes du sire (Rol) de Montricher dans sa bourgeoisie et dans sa garde; et aussi, que celui-ci se plaignait que le sire de Cossonay le trouvait dans la possession de l’avouerie de Villar 188 et ne le laissait pas user de ses coutumes; /70/ que ses gens l'empêchaient d’user de la joux (de la montagne), pâturaient la chaux d’Eschona, et même étaient venus sur la montagne du Croset, appartenant à sa seigneurie, en avaient pris les produits et battu les bergers, etc. Sur cela il est ordonné qu'Humbert de la Sale, juge du Chablais et du Genevois, et Jean de Rossillon, députés spéciaux du comte, établis du consentement des parties pour examiner et éprouver leurs griefs réciproques et y faire droit, doivent s’enquérir des plaintes du sire de Montricher et décider à leur sujet ce qui leur semblera juste, et que ce qu’ils ordonneront soit fermement exécuté. Qu’à l’égard des sujets reçus dans la bourgeoisie du sire de Cossonay, il ne leur en arrivera rien, mais que, s’ils y veulent demeurer, le sire de Montricher pourra user de leurs biens et de leurs héritages 189 . A l’occasion de ces griefs du sire de Montricher contre celui de Cossonay, nous observerons qu’il était son vassal pour des fiefs qu’il tenait de lui 190 , et que, même plus tard, le donjon du château et de la forteresse de Montricher était fief du château de Cossonay 191 .
C’est probablement pendant la guerre dont nous venons /71/ de parler qu’il faut placer l'expédition entreprise par l’évêque de Lausanne et par le sire Jean, son allié, contre le sire Henri de Villarzel 192 , qui refusait de reconnaître ses châteaux de Villarzel et de Châtelard en fief de l’évêque. Elle se termina par la prise de ces châteaux 193 , qui furent réunis au domaine épiscopal 194 . Villarzel et Surpierre sont voisins. /72/
Nous attribuons, d'une part, aux relations d’alliance qui existaient entre messire Jean et l’évêque de Lausanne, et de l’autre, aux dépenses auxquelles l’entraînait la guerre dans laquelle il jouait un rôle actif, le changement qu’il opéra, en 1299, dans la nature de sa seigneurie de Berchier, qu’il convertit en fief de ce prélat, de pur et franc alleu qu’elle avait été jusqu’alors, moyennant cinq cents livres qu’il reçut de lui. En conséquence, le sire Jean reconnut tenir en fief de l’évêque le château et les châtellenie, territoire et district de Berchier, les dixmes de Thierrens et de Pailly, les fiefs que tenaient de lui Pierre de Berchier 195 , Jean de Gumoëns, fils du chevalier Guidon, les frères Guillaume et Pierre de Villars-le-terroir 196 et Jaques, fils de Vuillelme de Berchier, et tous les revenus et les autres choses qui appartenaient à ce château 197 . Messire Jean réserva la féauté envers l’illustre comte de Savoye. Il fut convenu que, lorsqu’il n’y aurait qu’un seul héritier dans la maison et dans la seigneurie /73/ de Cossonay, il ne serait tenu qu’à une seule fidélité 198 , tant pour le fief de Berchier que pour l'autre fief de l’évêque, mais que, s’il y en avait deux, chacun en rendrait une pour le fief qu’il tiendrait 199 . Nous croyons que ce second fief consistait dans les vignes de Lutry et d’Aran, dont nous avons précédemment parlé.
En 1291, Aymonnet Frelions 200 , donzel, avait prêté hommage lige au sire Jean pour divers fiefs, entr’autres pour la tierce part de la dixme de Villars-Boson 201 . Guy de Moiry avait été exempté par lui, en 1296, de l'hommage, du service et de l’usage auxquels il était astreint pour les fiefs qu’il tenait de lui 202 . Enfin, en 1298, messire Jean /74/ avait permis à Jaquet de Pampigny 203 , donzel, son vassal, de construire une maison forte au village de ce nom 204 et il avait reçu (en juin) son hommage lige pour ce qu'il tenait tant à Pampigny qu’à Torclens 205 , à Mauraz, à Eschenoz 206 , à Villars-Boson et à Bournens 207 .
En 1302 (février), Jean, sire de Cossonay, reçut un bourgeois et juré de sa ville de l’Isle et de Chabie 208 . Cette circonstance /75/ insignifiante nous conduit à parler de la seigneurie de l'Isle, située au pied du Jura, à l'occident de celle de Cossonay 209 . Les documens se taisent sur l'époque et la manière dont elle est devenue la propriété des sires de Cossonay, qui paraissent l'avoir déjà possédée à une époque fort ancienne 210 . Dans notre opinion 211 , elle s’est formée des possessions de ce sire Conon de Bansins, que nous avons vu paraître, en 1096, dans la donation d'Uldric de Cossonay au couvent de Romainmotier, lesquelles, par suite de sa parenté avec Uldric, peuvent bien avoir passé à la famille de ce dernier 212 . L'Isle, au moyen-âge, était un bourg entouré de /76/ fossés et fermé de portes 213 . Ses habitans portaient le titre de bourgeois. Cet endroit ne paraît pas avoir été compris dans l'ancienne châtellenie de Cossonay 214 , 215 .
Jean II, sire de Cossonay, qui était aussi décoré de la dignité de chevalier 216 , décéda dans la fleur de l'âge, puisqu'il ne vivait déjà plus en 1306 217 . Sa femme, qui lui survécut, était Marguerite de Villars, fille d'Humbert, quatrième du nom, sire de Thoire et de Villars, aussi d'Aubonne et de plusieurs autres lieux, et de Marguerite de la Tour-du-Pin 218 .
Nous lui connaissons trois fils et deux filles:
1. Louis, qui succéda à son père. /77/
2. Humbert, encore vivant en 1323 et dont nous aurons occasion de parler.
3. Aymon. Ce fils du sire Jean nous offre l'exemple, fréquent au moyen-âge, d'un homme d’église qui n’a point renoncé aux choses du monde. On le trouve souvent nommé dans les transactions qui concernent la seigneurie de Cossonay et il y prend le titre de co-seigneur de cet endroit, dont nous savons, cependant, que son frère Louis était le seigneur dominant 219 . En 1333, il était chanoine de Lausanne, et, à la mort prématurée de son frère Louis, les enfans de celui-ci furent mis sous sa tutelle 220 . Nous trouvons Aymon de Cossonay pourvu, en 1337 et 1338, de la riche cure de St.-Martin, de Vevey 221 , dont le titulaire était à la nomination du chapitre de Lausanne. Il fut un des arbitres qui terminèrent (1338, 6 juin) le différend survenu entre Jeanne de Savoye, veuve de Guillaume de Joinville, sire de Gex, et Hugard, son fils, tant au sujet de la délivrance des terres de son douaire que de la tutelle d'Eléonore de Gex, sa /78/ fille 222 . Il semblerait, d’après un document de l’an 1345 223 , qu’Aymon, co-seigneur de Cossonay, était alors commandeur de la Chaux; il avait peut-être obtenu la jouissance de cette commanderie, située dans la seigneurie de Cossonay 224 . Lui et Jean, son neveu (fils aîné de son frère Louis), sont titrés sires (domini) de Cossonay dans une prononciation d’arbitres (du 18 février 1350), rendue dans une difficulté entre eux et les donzels de Wufflens-la-ville, au sujet de la jurisdiction sur les hommes et les possessions de ceux-ci, au village de ce nom 225 . En 1355, Jean, roi de France, menacé par le roi d’Angleterre, qui était descendu à Calais, ayant demandé du secours au comte Amédée VI de Savoye: ce prince y fut en personne, suivi de la fleur de la noblesse de ses états. Amé (Aymon), sire (co-seigneur) de Cossonay, /79/ était au nombre des chevaliers bannerets de sa suite 226 . Le roi d’Angleterre repassa la mer et cette expédition n’eut pas de suite. Ainsi donc, quoique chanoine et curé, Aymon de Cossonay avait cependant accompagné son suzerain à la guerre. Notre chanoine fut bientôt après promu à l’évêché de Lausanne 227 . Il permit, en 1359 (21 mai), aux habitans de Cully de clore leur ville de murailles, et d’y tenir marché le jeudi 228 . Ce fut sous son épiscopat que le plaid général (placitum generale) de Lausanne fut arrêté, le 3 mai 1362 229 . L’empereur Charles IV ayant accordé au comte de Savoye le vicariat impérial sur tous les évêchés qui étaient dans ses états, l’évêque Aymon protesta contre cette concession 230 , qu’à sa prière l’empereur révoqua 231 . Il accorda, en 1374 (4 mai), de grandes immunités aux chanoines de /80/ Notre-Dame de Lausanne 232 . Et, du consentement du chapitre de la cathédrale et des bourgeois, il accorda aussi que les dernières appellations fussent décidées par le comte de Savoye 233 . Aymon de Cossonay, évêque de Lausanne, testa le 4 mai 1374, et mourut au commencement de l'année suivante 234 . Depuis son élévation sur le siège épiscopal, on ne lui voit plus prendre le titre de co-seigneur de Cossonay.
4. Johannette, qui épousa, en 1323, Humbert de Billens , sire de Palaisieux 235 . Les bourgeois de Cossonay payèrent l'aide a l’occasion de son mariage.
5. Helène ou Eléonore. Celle-ci épousa Pierre de la Palud, chevalier, sire de Varembon, en Bresse, et d’autres lieux 236 , lequel fit, le 10 novembre 1339, quelques fondations dans l’abbaye de Chassagne pour l’âme d’Eléonore /81/ de Cossonay, sa défunte femme 237 . Ce mariage donna lieu aux prétentions des sires de Varembon à la succession de la maison de Cossonay, lors de son extinction.
On ne sait à qui rattacher un Amédée de Cossonay, qui moyenna (circa 1301), avec François de Colombier, un accord entre l’abbé de St.-Oyen de Joux et Amédée de Villars, sire d’Aubonne, au sujet de certaines montagnes 238 indivises entre eux. Il peut avoir été frère du sire Jean, ou, plus probablement, son cousin, issu d’un fils du sire Humbert II 239 .
LOUIS I.
Nous avons remarqué que le sire Jean II mourut peu avancé dans sa carrière, aussi ses enfans étaient-ils mineurs lors de son décès.
En 1308 (juillet), Marguerite de Villars et Louis (Ier) de Cossonay, son fils, accordèrent à Pierre de Duyn, chevalier, la faculté de bâtir une maison forte dans la paroisse de Vullierens et tout ensemble un bourg, et cela en augmentation de fief. Pierre de Duyn et ses successeurs en prêteront hommage au sire de Cossonay, lequel, de son côté, les maintiendra et les protégera, ainsi que ceux qui dans la suite habiteront cette maison forte, et de même le bourg et ses habitans 240 . Telle est l’origine du château de /83/ Vullierens. Pierre de Duyn tenait le fief de Vullierens par inféodation du sire Jean de Cossonay. Les anciens titulaires de ce fief étaient milites des sires de Cossonay 241 .
Louis Ier, sire (dominus) de Cossonay, pour lui et ses frères, donna, en 1311 (déc.), au prieuré de ce lieu, l’hôpital de Cossonay, fondé par ses ancêtres, avec tous ses biens et ses revenus 242 , sous la réserve du droit épiscopal et de celui de la cure de Cossonay, et, en faveur du donateur et de ses successeurs, de celui de seigneurie. Le prieur (c’était alors Pierre de Rougemont) prit de son côté l’engagement d’édifier (à ses frais) une chapelle dans l’hôpital, de procurer la consécration d’un cimetière et de construire une maison convenable pour y exercer l'hospitalité accoutumée, y recevoir et y récréer les pauvres, comme par le passé et mieux encore. Aussi, de tenir deux moines, en sus du nombre ordinaire, pour le service de la chapelle et du cimetière 243 . Si, dans l’espace de six années, le prieur n'a pas rempli ses engagemens 244 , la donation du sire Louis sera de nul effet. Celui-ci s’engagea à la faire approuver par ses frères Humbert et Aymon 245 . — Comme, cependant, /84/ l'obligation d'entretenir un moine (il n'est plus question de deux ) était onéreuse au prieur, le sire Louis, dix années plus tard (1321, mai), lui 246 accorda la faculté, mais seulement à vie, de faire desservir l'hôpital et sa chapelle par un chapelain séculier 247 , que le prieur instituerait et révoquerait à volonté 248 .
Une difficulté qui s'était élevée entre frère Guillaume de Pierrafeux, commandeur au pays de Vaud des maisons de l'ordre hospitalier de St.-Jean de Jérusalem, autrefois des Templiers, d'une part, et la communauté du village de la Chaux, de l'autre, fut assoupie par des compositeurs amiables 249 en présence 250 de Louis, sire de Cossonay, en décembre 1315 251 . Elle portait sur la demande du commandeur aux habitans de la partie du village située à l’occident /85/ de Veyron 252 ayant des bêtes pour la charrue, de trois corvées annuelles et du charriage, à la Chaux, de ses vins de Benay 253 et de Roman 254 , ce à quoi la communauté se refusait. Il fut convenu que ces habitans feraient une seule corvée annuelle de charrue, mais qu’ils seraient tenus au charriage du vin. Messire Louis apposa son sceau à cette convention 255 .
Jean II de Cossonay, comme nous l'avons observé, était sire de Surpierre. Or, antérieurement à l'année 1316, ses fils (Louis, Humbert et Aymon) avaient vendu cette seigneurie, pour le prix de trois cents livres, à Guillaume d'Estavayé, archidiacre de Lincoln, lequel, à cette date, la céda à Othon, sire de Grandson 256 . Les vendeurs s'étaient réservé le droit de rachat 257 , dont eux ou leurs successeurs /86/ firent usage, puisque, vers le milieu du même siècle, Surpierre appartenait au fils du sire Louis et au chanoine Aymon, son oncle 258 .
Le comte Amédée V de Savoye, après avoir fait la paix avec le comte de Genève, continuait la guerre contre le dauphin du Viennois (Guy VIII). Dans l’arrière-automne de l’année 1322, il assiégeait le fort château de la Corbière, sur les bords du Rhône, près de Chalex. Il s’en rendit maître trois jours après Noël, à la suite de quarante-deux jours d'un siège opiniâtre. Dans l'armée assiégeante se trouvaient Louis (II) de Savoie, avec les gens du pays de Vaud, Pierre de Gruyère et le vidame de Sion, les Blonay, les Cossonay, les Rarogne, les Villars et les Pontverre 259 . Or, ces Cossonay ne peuvent être que messire Louis ou ses frères; peut-être tous les trois.
Quoique les fils du sire Jean II n’eussent pas partagé l’héritage paternel et que même Louis, l’aîné, fût le seigneur dominant 260 de Cossonay, ses frères Humbert et Aymon avaient néanmoins part à cette seigneurie 261 . Il pouvait en résulter des paiemens d'aides multipliés pour leurs sujets de Cossonay, qui devaient désirer qu’il y eût quelque chose /87/ de réglé à cet égard. En 1323, il y avait même mésintelligence entre Louis et Aymon, sires de Cossonay, et tous les bourgeois et jurés de la ville et châtellenie, à l’occasion de l’aide qu'ils leur demandaient pour la dot de leur sœur Johannette, mariée à Humbert de Billens, sire de Palaisieux 262 . La convention suivante mit fin à ce différend:
1o Le cas advenant que le sire de Cossonay veuille doter sa fille ou sa sœur, issue de légitime mariage, les bourgeois paieront cent et dix livres lausannoises pour l’aide. Bien entendu qu’en cas de secondes noces, ils ne paieront pas l’aide une seconde fois.
2o Lorsque le sire de Cossonay sera promu à la chevalerie 263 , les bourgeois lui paieront cent et dix livres lausannoises pour l’aide.
3o Lorsque le sire de Cossonay passera la mer en pèlerinage pour se rendre en Terre-Sainte, les bourgeois lui paieront cent et dix des mêmes livres pour l’aide. Mais ils n’auraient rien à payer de plus si le même sire faisait le voyage d’outre-mer plusieurs fois.
Si la seigneurie de Cossonay 264 se partage entre les deux frères (Louis et Aymon) ou leurs héritiers, les bourgeois ne seront tenus de payer les aides qu’à un seul seigneur. /88/
Le cas du payement de celles-ci se présentant, le sire de Cossonay donnera aux bourgeois un de ses officiers (de familiaribus) pour gager ceux qui ne voudront pas payer leur part.
Louis et Aymon, pour eux et leurs héritiers, concèdent aux bourgeois et à tous les jurés de Cossonay, qu'ils ne seront pas tenus à leur payer des aides plus fortes que celles qui ont été fixées, et ils renoncent à en exiger d'eux aucune pour fait d'acquisitions 265 . Il promettent par serment de maintenir cette convention vis-à-vis de leur frère Humbert, et ils reconnaissent d'avoir reçu des bourgeois et des jurés deux cent et vingt livres lausannoises, dont cent et dix pour la dot de leur sœur Johannette et le reste pour les dépenses de la pacification de la présente discorde 266 . /89/
L'année suivante (1324, juin), Louis, sire de Cossonay, fit un arrangement avec le couvent de Théla (Montheron), au sujet du partage des dixmes (grandes et petites) de Bottens. Il fut convenu que le couvent les recueillerait, puis qu’elles se partageraient en deux parts égales, une pour le couvent et l’autre pour le sire de Cossonay et ses participans à ces dixmes, c’est-à-dire François et Jacques de Colombier, frères, et Jacques (fils d’Henry) de Berchier, donzels. Aymon, frère de Louis, approuva cette composition 267 . Alors le sire de Cossonay n’était pas encore chevalier 268 .
La même année (1324, jeudi après la St-Martin d’hiver), le sire Louis concéda à la communauté de l’Isle l'ohmgeld (argent de setier) qu’il percevait à raison de son château de l’Isle (castri sui de Insula). Cette concession bienveillante avait quelqu’importance. On sait que l’ohmgeld (appelé longuelt dans le pays de Vaud) était une redevance qui se percevait sur chaque setier de vin vendu en détail 269 . On le met au nombre des droits régaliens mineurs. /90/
Louis, sire de Cossonay, et Simon, humble prieur de Lutry, moyennèrent une convention, en 1326, entre le prieur de Cossonay (c’était encore Pierre de Rougemont), qui agissait tant pour lui que pour la cure 270 , et les paroissiens de Cossonay. Le différend qui y donna lieu portait sur diverses redevances exigées des paroissiens par le curé et qui leur paraissaient onéreuses 271 .
Messire Louis doit avoir soutenu une guerre contre Jean de Rossillon, évêque de Lausanne, et contre ses alliés, dans laquelle quelques habitans de Wufflens-la-ville furent maltraités. Il fut indemnisé de cette perte 272 On ne connaît ni la cause, ni l’époque de cette mésintelligence. Jean de Rossillon occupa le siège épiscopal de 1324 à 1341 273 . Ce prélat fut aussi en guerre avec le comte Pierre de Gruyère 274 . /91/
Le sire Louis prend le titre de chevalier dans une vente que, de concert avec son frère Aymon, il fit, en 1329, à Etiennet de Mex, dit Horaz 275 , donzel, pour le prix de quarante livres lausannoises, de trois muids de froment de cense perpétuelle, assignés sur son moulin de Penthallaz 276 . Les donzels de Mex prêtaient hommage lige aux sires de Cossonay pour leur maison forte de Mex 277 .
Louis, sire de Cossonay, de l’Isle et de Berchier, chevalier, mourut, comme son père, dans un âge peu avancé (il ne vivait plus en 1333), laissant plusieurs enfans d'Isabelle de Grandson, dont leur oncle Aymon, chanoine de Lausanne, fut tuteur. Isabelle était fille de Pierre II de Grandson, sire de Belmont et de Blanche de Savoye 278 . Elle leur procura l'avantage de la parenté de la maison de Savoye, dont la domination sur le pays de Vaud s’était entièrement affermie. Isabelle de Grandson survécut de longues années à son mari et testa en faveur de ses enfans, en 1366 (3 janvier), en présence de Pierre, vidomme de Moudon 279 . /92/
Les enfans qu'elle donna au sire Louis sont les suivans:
1o Jean, sire de Cossonay, successeur de son père.
2o Guillaume, homme d’église, prieur de Payerne en 1356 et 1363, et vraisemblablement auparavant de Perroy 280 . Il fut père d’Aymon de Cossonay, donzel, auteur de la branche bâtarde de la maison de Cossonay, dont nous parlerons plus tard.
3o Louis, d’abord sire de Berchier, et ensuite de Cossonay à la mort de Louis II, son neveu, quoique celui-ci eut laissé plusieurs filles. Nous reviendrons sur lui.
4o Girard, sire de l’Isle, chevalier. En 1355 (15 février), il fit un accensement à l’Isle, que Jean, son frère, sire de Cossonay, lauda (1362, décembre) 281 . Girard légua par testament quarante livres (libratas) de terre, d’annuelle rente, à l’église de St.-Paul et au prieuré de Cossonay 282 . Il prédécéda son frère Jean qui fut son héritier 283 .
5o Agnès, qui ne paraît pas avoir contracté d’alliance. /93/ Elle légua aussi dix livres annuelles de terre 284 à l’église de St.-Paul et au prieuré de Cossonay. Son frère Jean succéda à ses biens 285 .
Le partage de la succession du sire Louis entre ses enfans, offre la preuve que le droit de primogéniture n’était pas suivi dans la famille de Cossonay. Observons néanmoins que, lorsqu’il n’y avait pas de partage, l’aîné des fils prenait le titre de sire de Cossonay, quoique les autres eussent part à cette seigneurie, et que, lorsqu’il y avait partage, l’aîné avait Cossonay et les puinés d’autres terres de la succession.
JEAN III.
Nous avons déjà observé qu’Aymon, co-seigneur de Cossonay et chanoine de Lausanne, prit en main la tutelle des enfans du sire Louis, son frère. On le trouve agissant encore en cette qualité en 1344 286 .
Jean, troisième du nom, sire de Cossonay et de Surpierre, fit le voyage de Terre-Sainte 287 et parvint de bonne heure aux honneurs de la chevalerie 288 . En conséquence, les bourgeois /95/ et les jurés de la ville et de la châtellenie payèrent deux cent et vingt livres pour ces deux cas d’aide. Son oncle Aymon et ses frères Guillaume et Louis 289 reconnurent (1346, février) qu’ayant ainsi satisfait à leurs obligations, ils ne pourraient être tenus à un nouveau paiement de ces mêmes aides tant que le sire Jean vivrait. Celui-ci et ses frères confirmèrent en même temps la convention (de 1323) de leur père et de leur oncle avec les bourgeois, et tant Aymon que le sire Jean promirent que, lorsque Girard, le troisième fils du sire Louis (Ier), serait armé chevalier et passerait la mer, il n’exigerait aucune aide des bourgeois 290 .
En 1348 (25 novembre), Aymon de la Palud 291 , sire de Varembon, et Jean, sire de Cossonay, son cousin germain, firent un traité par lequel ils s’assurèrent réciproquement leurs biens dans le cas où l’un d’eux mourrait sans postérité légitime. Ce traité devait aussi s’étendre à leur postérité, en sorte que, si celle de l’un des contractans venait à s’éteindre, la postérité de l’autre succéderait à ses biens 292 . Nous verrons les suites de cette convention. /96/
Le village de Wufflens-la-ville, dans la baronnie de Cossonay, avait sa famille féodale 293 . Or, Jean et Johannod de Wufflens-la-ville, donzels, oncle et neveu, étaient en différend avec Aymon et Jean, sires de Cossonay 294 qui prétendaient, en vertu du droit commun, comme seigneurs supérieurs (tanquam ad dominos superiores), avoir le mère et mixte empire et l'omnimode jurisdiction à Wufflens, sur les hommes de ces donzels et sur les biens de ceux-ci (des hommes), prétention que les donzels repoussaient. Les chevaliers Girard de Cuarnens et Guillaume de Pampigny, arbitres communs, terminèrent, en 1350, la difficulté par la décision qui suit:
1o Jean et Johannod de Wufflens et leurs successeurs ont dès à présent, à Wufflens, bamp, clame et saisine tant sur leurs hommes et leurs possessions que sur ceux qui habitent sur les possessions de ces donzels.
2o Les sires de Cossonay ont la connaissance des délits passibles de punition corporelle ou de mutilation des membres, commis par ces hommes et par ces habitans, ainsi /97/ que l'exécution des criminels, mais les biens des délinquans appartiendront aux donzels de Wufflens.
3o Les sires de Cossonay ont aussi la connaissance des délits de même nature, commis par les avenaires (étrangers) sur les biens des donzels et l'exécution des criminels. Dans ce cas, la moitié des biens des délinquans appartiendra aux sires de Cossonay et l'autre moitié aux donzels.
4o Les bamps et les clames faits ou encourus hors du territoire de Wufflens-la-ville, par les mêmes hommes des donzels de Wufflens, soit par ceux qui habitent sur leurs propriétés, seront payés aux sires de Cossonay 295 .
C’est donc la haute jurisdiction criminelle, ou le mère empire, qui est reconnue appartenir aux sires de Cossonay par cette prononciation. Ceux-ci étaient, on le comprend, jaloux de ce haut droit de seigneurie; aussi se le réservaient-ils ordinairement lorsqu'ils faisaient des concessions de jurisdiction à leurs vassaux. Le même Jean, sire de Cossonay, faisant (1358, 25 juillet) avec François de Bettens, donzel, son homme lige avant tous seigneurs, un contrat relatif aux possessions feudales de celui-ci à Bettens, se reserve l'appel, l'exécution des criminels, ainsi que la punition et les biens des avenaires délinquans 296 . Citons, encore, /98/ les villages de Boussens, de Sévery, de Disy, de Cottens, dans la seigneurie de Cossonay, où les familles féodales qui en portaient le nom exerçaient la jurisdiction qu’elles tenaient en fief du sire de Cossonay, toutefois, avec réserve en faveur de celui-ci, du droit de dernier supplice 297 .
En 1357, messire Jean confirma à Guillaume de Senarclens, donzel, les immunités de la maison forte de Senarclens, que Jaques, sire de Cossonay, avait jadis concédées à ses prédécesseurs 298 . Il remit (1364, 9 juin) aux prud’hommes (c’est-à-dire à la communauté) de l’Isle la messeillerie de cet endroit 299 . Et, en 1366 (15 nov.), il vendit aux donzels de Mex deux muids et six coupes de froment, de cense annuelle et perpétuelle, qu’il assigna sur la dixme du village de Penthallaz 300 . Dans ces diverses /99/ transactions, il agit en qualité de sire de Cossonay 301 , sans la participation de son oncle Aymon, alors évêque de Lausanne. Probablement qu’en montant sur le siège épiscopal, ce dernier lui avait cédé sa part de la seigneurie.
Quoique le sire Jean eût succédé aux biens de son frère Girard, sire de l’Isle, et de sa sœur Agnès, il n’avait pas acquitté leurs légats à l’église de St.-Paul et au prieuré de Cossonay: «in assectando fuit morosus,» dit la charte 302 . Il les trouvait, sans doute, excessifs. Cependant il ordonna à Louis, son fils et son héritier, de réparer ce tort et de payer ces légats en les augmentant 303 .
Jean, sire de Cossonay, de l’Isle et de Surpierre, chevalier, ne vivait plus en juillet 1369 304 . Il avait contracté une alliance illustre en épousant, en 1343 (10 nov.), Louise de Montbéliard, fille d’Henry, comte de Montbéliard, sire de Montfaucon, d’Orbe et d’Echallens, et d'Agnès de Chalon-Bourgogne 305 . Elle avait eu cinq mille florins de dot 306 , /100/ qui avaient été assignés partie sur le château et la seigneurie de l'Isle, dont, en conséquence, elle fut dame durant sa viduité 307 , et partie sur la seigneurie de Cossonay. Pour cette seconde part d'assignation de dot, son fils Louis lui céda (à vie) le village de Gollion, avec le mixte empire 308 . Sa mère Agnès de Bourgogne, comtesse de Montbéliard, lui légua (testament du 7 juin 1364) soixante livres estévenantes d'annuelle rente, sa vie durant 309 . Son frère Etienne, comte de Montbéliard, lui avait prêté, ainsi qu'au sire Jean, son mari, trois cents francs, qui n'étaient pas encore /101/ remboursés en 1376 310 . Louise de Montbéliard survécut non-seulement à son mari, mais encore à son fils et à sa fille. Elle testa le 17 juillet 1383 et institua héritières de ses biens, par égale portion, ses quatre petites-filles Louise, Jeanne, Claudine et Nicolette, filles de son fils Louis (II), sire de Cossonay, et Nicolette, aussi sa petite-fille, fille de feu Guillaume, sire de Montagny-les-Monts, et d'Isabelle de Cossonay; les substituant les unes aux autres si elles mouraient avant l'âge de pouvoir disposer de leurs biens. Son testament contient un grand nombre de legs pieux 311 , dont le plus considérable est celui de vingt /102/ livres annuelles et perpétuelles de terre 312 à la chapelle de la bienheureuse Vierge, dans l'église de St.-Paul de Cossonay, ainsi qu'à l'autel que les sires de Cossonay y ont construit 313 ; chapelle dans laquelle elle veut être inhumée, dans la tombe des sires de Cossonay, avec le sire Jean, son mari bien-aimé. Elle nomme pour exécuteurs testamentaires Henry de Montbéliard, sire d'Orbe, son neveu, et Louis, sire de Cossonay et de Berchier, son beau-frère 314 , suppliant ce dernier, ainsi que révérend père en Christ Guy (de Prangins), évêque de Lausanne, d’interposer leur autorité à son testament, afin qu’il reçoive son plein effet 315 .
Louise de Montbéliard rendit le sire Jean père d'un fils, Louis, qui lui succéda, et d'une fille, Isabelle, qui épousa Guillaume, sire de Montagny-les-Monts 316 . Celle-ci testa /103/ en 1382 317 ; elle et son mari ne vivaient plus à la date du testament de Louise de Montbéliard.
LOUIS II.
Ce fils et successeur du sire Jean obtint, en 1369 (6 juillet), de Guillaume de Grandson, sire d’Aubonne et de Ste.-Croix, son grand-oncle 318 , la franchise du péage et du pontonage de la rivière de l’Aubonne, tant pour lui que pour ses sujets de la seigneurie de Cossonay 319 . Guillaume de Grandson accorda ce privilége « à son bien-aimé neveu, » moyennant cent et vingt florins d’or 320 . Comme messire Louis possédait, d’héritage de ses prédécesseurs, le village de Luins 321 , à la Côte, avec un vignoble considérable, cette concession avait quelqu’importance pour lui. Dans /105/ plusieurs des villages de la seigneurie, les sujets immédiats 322 du château de Cossonay étaient astreints aux charrois annuels de Luins, pour amener le vin de leur seigneur 323 .
Messire Louis prit part à plusieurs des expéditions du comte Verd (Amédée VI de Savoye). Ainsi, en 1371, il se trouvait dans l’armée que ce valeureux prince leva pour secourir Othon de Brunswick, mari de la reine Jeanne de Naples, alors en guerre avec Galeas Visconti, prince de Milan, en qualité de tuteur des enfans du marquis de Montferrat. Dans cette armée se trouvaient également Guillaume et Jean de Grandson, le premier, sire de Ste.-Croix, et le second, de Pesmes, en Bourgogne. Othon de Brunswick, enfermé dans la ville d’Asti, alors assiégée et fort pressée par les Milanais, conjura le Comte Verd de lui envoyer du secours. Guillaume de Grandson, le sire de Cossonay, et Girard de Grandmont, avec cent chevaux, pénétrèrent dans la place après quelques escarmouches. Il y eut ensuite un combat partiel devant Asti, dans lequel Eudes de Villars, Jean de Montfaucon, Boniface de Challant, Louis de Cossonay, Iblet de Montjouvet et plusieurs autres seigneurs se distinguèrent. Les Milanais voyant le danger de s’engager dans une bataille et la difficulté de prendre Asti, en levèrent le siège et se retirèrent dans le Milanais 324 . /106/
Quelques années plus tard (1376), le sire de Cossonay se trouvait avec les comtes de Neuchâtel, de Nidau, d’Arberg et de Gruyère, le sire de Grandson, les Blonay, les Montfaucon et bien d'autres encore, dans l'armée avec laquelle le comte Verd secourut Edouard de Savoye, évêque de Sion, que les Vallaisans avaient chassé. Après avoir forcé la ville de Sion, à la suite d'un siège opiniâtre, pris les châteaux de Tourbillon, de la Mayorie, de Seya, de Montorge et d'Ayent, le comte Amédée rendit à l'évêque tout ce qu'on lui avait pris et le remit sur son siège épiscopal 325 .
Louis, sire de Cossonay, se fit prêter par la majeure partie de ses nombreux vassaux les hommages qu'ils lui devaient. Et d'abord, Humbert de Colombier, chevalier, baillif de Vaud, s'acquitta de ce devoir (1371, 9 sept.) pour la maison forte de Vuillerens et tout ce qui en dépendait 326 ; /107/ de même, pour sa maison forte de Colombier et, entr'autres choses, pour le mère et mixte empire (avec le dernier supplice) et la jurisdiction qu'il avait sur ses hommes de Colombier et de Villars (sous Yens) 327 . Ensuite, dans les années 1377, 1378 et 1379, trente-trois autres hommages lui furent également prêtés 328 par trente-six vassaux 329 , qui se reconnurent ses hommes liges avant tous seigneurs (precunctis dominis) et promirent de desservir l'hommage autant que cela serait nécessaire, et comme il est convenable (tociens quociens opus fuerit prout decet). Quelques-uns réservèrent /108/ la fidélité qu’ils devaient à un autre seigneur 330 Les fiefs que tenaient ces divers vassaux se trouvaient à Cossonay et dans les villages ou territoires d’Echichens, de Lussery et de Villars-Lussery, de Colombier , de Romanel, d’Aclens et du Villars-d’Aclens 331 , de Chinaul 332 , de Disy, de Penthallaz, de Penthaz, de Daillens, de Bettens, de Bournens, de la Chaux et d’Itens, de Sauveillame 333 , de /109/ Wufflens-la-ville, de Cottens, de Senarclens, de Gollion, de Sullens, de Bremblens, de Vuillerens, de Pampigny, de Torclens 334 , de Montricher et d'Eschonoz, de Mauraz, de l’Isle et de Chabie, de Villars-Boson, de Sivirier (Sévery), de Grancy, de Mex, de Villars-Ste.-Croix, de St.-Saphorin (sur Morges), de Boussens, d’Oulens, d’Etagnières, de Yens, de Ferreire, de Moyri, de Cuarnens, de Luins (à la Côte), et de Surpierre 335 . De ces divers endroits, les uns 336 faisaient entièrement partie de la seigneurie de Cossonay; d’autres 337 n’y appartenaient qu’en partie, et d’autres 338 , enfin, ressortaient /110/ d'autres seigneuries, mais les sires de Cossonay y avaient des mouvances. On sait combien tout était morcelé au moyen-âge. L’on ne trouvait guère de seigneuries où les divers droits féodaux fussent dans les mains d'un seul seigneur. Les jurisdictions, même, étaient très-partagées 339 . C’est /111/ une véritable mosaïque de droits que nous offre le moyen-âge, faisant un contraste frappant avec notre époque d’unité et d’uniformité. L'hommage se prêtait personnellement ou par procuration. Le vassal plaçait sa main dans celle de son suzerain, en recevait l’accolade (manus inter manus osculo oris interveniente) 340 ; puis, l'investiture du fief lui était accordée par la remise d'un guidon ou d'un glaive. Après cette cérémonie, un notaire dressait un acte de l'hommage 341 .
Plusieurs des vassaux des sires de Cossonay ne sont pas compris dans l'ndication que nous venons de donner. Citons les sires de Challant, par exemple, qui l'étaient pour /112/ des fiefs à Bussigny et à Ecublens 342 ; les donzels de Mont et de Mollens, pour des fiefs à Bière, à Mollens et à Ballens 343 ; le chevalier Aymon Guichard, pour des fiefs à Cossonay et dans les environs; les sires de Montricher, pour des fiefs qu’on ne peut désigner, et d’autres encore. De plus, la seigneurie de Berchier avait aussi ses vassaux 344 , ainsi que celle de Surpierre 345 . 346 . On le voit, les sires de Cossonay avaient une vassalité bien nombreuse.
Pour son fief, le vassal était tenu au service militaire envers son suzerain, lorsque celui-ci le requérait. Il le devait à cheval et le prêtait personnellement (du moins, à /113/ l'époque qui nous occupe) 347 . C’était là le privilége du porteur de fiefs nobles, tandis que l’hommage pour fiefs ruraux se desservait à pied 348 . Suivant l’étendue de leurs fiefs, les vassaux étaient seuls ou accompagnés d’un ou de plusieurs hommes d’armes. Ceux d’entr’eux qui tenaient en fief des hommages conduisaient leurs hommes à la bannière de leur suzerain. Nous sommes privés de lumières sur les obligations particulières des vassaux de la seigneurie de Cossonay sous le rapport de la fréquence du service et de sa durée. A cet égard, il devait y avoir de l’inégalité entr’eux, résultant de celle de leurs fiefs. Lorsque le contrat primitif du suzerain avec le vassal ne fixait pas les obligations de celui-ci, on y suivait sûrement la coutume établie dans la patrie de Vaud 349 . Il y avait des cas où le vassal servait à ses propres /114/ dépens et d’autres aux dépens du seigneur 350 . Le féauté lige emportait l'obligation, pour le vassal, de servir son suzerain contre tous et de le tenir pour son unique seigneur. En conséquence, il ne pouvait pas entrer dans l'hommage d’un autre sire sans sa permission spéciale 351 , sinon il s’exposait à perdre son fief. Les fiefs simples astreignaient à des devoirs moins rigoureux que les fiefs liges. Nous avons remarqué que ceux de la baronnie de Cossonay appartenaient à cette dernière espèce 352 et que leurs détenteurs étaient hommes avant tous seigneurs de ses sires. Les seigneurs, on le comprend, mettaient du prix à augmenter le nombre de leurs vassaux. Aussi arrivait-il parfois que, moyennant certains avantages, ils engageaient des possesseurs de franc-à-laud à entrer dans leur vasselage. On les voit vendre des censes ou d’autres biens sous la condition que l’acquéreur les tiendrait d’eux en fief lige. Volontiers, ils se réservaient le droit de rachat, mais alors ils spécifiaient /115/ que, ce cas arrivant, la somme payée serait employée à une autre acquisition qui serait de leur fief lige 353
En 1380 (11 janvier), Louis, sire de Cossonay, faisait partie du conseil du comte de Savoye, siégeant à Morges 354 . Sa mort prématurée, arrivée en Italie, l’empêcha de remplir les ordres de son père à l’égard de l’église de St.-Paul et du prieuré de Cossonay 355 . L’époque de son décès doit être placée entre les 27 février et 17 juillet 1383 356 . Peut-être messire Louis avait-il accompagné le comte Verd dans son expédition au royaume de Naples, dans laquelle ce vaillant prince trouva la mort 357 .
Louis, sire de Cossonay et de Surpierre, avait épousé Marguerite d'Oron, fille d’Aymon, sire d’Oron et de Bossonens, chevalier, et de Philiberte de Chevron 358 . Elle était /116/ veuve de François, sire de la Sarraz 359 . Marguerite d’Oron le rendit père de quatre filles:
1. De Louise de Cossonay, qui épousa Jean de Challant 360 et fut dame de Cossonay après la mort du sire Louis III, son grand-oncle.
2. De Jeanne de Cossonay, femme de Jean de Rougemont, chevalier, fils aîné d’Humbert, sire de Rougemont et d’Usie, et d’Alix de Neuchâtel (en Bourgogne) 361 . Jeanne fut dame de Cossonay après sa sœur Louise. Avec elle s’éteignit la maison de Cossonay.
3. et 4. De Claudine et de Nicolette de Cossonay, qui moururent avant leurs sœurs aînées, sans alliance. Claudine testa en 1394 362 .
A la mort du sire Louis II, ses filles n’héritèrent pas ses seigneuries qui passèrent à son oncle Louis, sire de Berchier 363 , alors seul mâle de sa maison. La coutume du pays de Vaud pour les grands fiefs, qui était celle de Bourgogne, /117/ donnait un privilége aux agnats mâles sur les femmes 364 , mais celles-ci succédaient à défaut des premiers. Nous verrons ces mêmes filles de Louis II succéder à leur grand-oncle Louis III; nous devons donc en conclure que la maison de Cossonay suivait la coutume de Bourgogne et non la loi salique, comme le faisait la maison de Gruyère, cette loi excluant absolument les femmes.
Louis III de Cossonay fut tuteur de ses petites nièces. En 1386 (15 mai), il fit un accensement de terres situées à Villars-Boson et agit, dans cette circonstance, tant pour lui-même que pour Louise, Jeanne et Claudine, filles de feu noble homme Louis, sire de Cossonay, son cher neveu, et pour Nicolette, fille de feu noble homme Guillaume, sire de Montagny-les-Monts, ses pupilles. Une des conditions de cette transaction porte que le censier et ses successeurs, qui seront perpétuellement hommes liges avant tous seigneurs du sire Louis, de ses pupilles et des leurs, devront toujours résider sur les terres de ceux-ci et dans la ferme (grangia) qui leur a été accensée. S'ils n’observent pas cette condition , ils deviendront leurs hommes taillables à miséricorde et ils pourront les contraindre, en quelque lieu que ce soit, par prise et détention de leurs corps et de leurs biens 364 bis .
LOUIS III.
Ce troisième fils de Louis Ier et d’Isabelle de Grandson fut appanagé de la seigneurie de Berchier. Nous le trouvons chevalier en 1371. Parent des comtes de Savoye par sa mère 365 , il posséda la confiance d'Amédée VI et de son fils Amédée VII, qui lui en donnèrent des preuves. Ainsi, le premier de ces princes ayant fait une prononciation (1381) entre le prieur de Payerne (Pierre Vincent) et ses sujets de Baulmes qui s’étaient révoltés, établit pour fidéjusseurs du tout Humbert de Colombier, baillif de Vaud et Louis de Cossonay, son consanguin 366 (du comte). Ainsi encore, lorsque ce prince, atteint de peste, fit son testament au château /119/ de St.-Etienne (au diocèse de Bitonte, dans le royaume de Naples), laissant l’administration générale de ses états à Bonne de Bourbon, son épouse, pendant la minorité de son fils, il établit pour exécuteurs de sa dernière volonté l'abbé de St.-Michel de la Cluse, Guillaume de Grandson, sire d’Aubonne, Louis de Cossonay, sire de Berchier, Humbert de Colombier, seigneur de Vuillerens et six autres seigneurs de ses états 367 .
Nous avons déjà remarqué qu’à la mort de Louis II, son neveu (en 1383), et quoiqu'il laissât quatre filles, le sire de Berchier le devint de Cossonay. En 1384, il était lieutenant général et gouverneur de la Savoye pour le comte Amédée VII 368 .
Louis, sire de Cossonay, et le couvent de Romainmotier furent en différent au sujet du mère et mixte empire et de la juridiction sur les hommes et les possessions que ce monastère avait au village de Wufflens-la-ville (dans la seigneurie de Cossonay). Un traité, conclu le 11 juillet 1385, le termina. En voici les principales dispositions:
Le couvent aura sur ses hommes et ses possessions bamp, barre, clame, saisine et vendes 369 , mais si l’un de ces hommes commet un délit passible de la peine capitale ou de la mutilation des membres, le nonce du couvent appellera celui du sire de Cossonay pour assister au jugement et lui remettra incontinent le coupable en chemise, pour /120/ faire exécuter la sentence, soit pour agir à sa volonté (aut ad faciendum voluntatem domini de Cossonay; c’est le droit régalien de grâce). Ceux des biens meubles et des héritages du délinquant qui sont mouvans du couvent appartiendront à celui-ci; les autres biens meubles dont le sire de Cossonay sera en possession (qui essent penes nos dominum) lui demeureront. Si l’acteur, ou le rée, se trouve grevé par la sentence de la cour du nonce du couvent, il y aura appel au châtelain de Cossonay dans le cas où il s’agira des acquisitions récentes du couvent à Wufflens et non autrement 370 . Les hommes du couvent travailleront aux fortifications de la ville et du château de Cossonay lorsque tous les hommes du mandement y travailleront. Enfin, ils suivront la chevauchée avec tous les autres hommes de la seigneurie de Cossonay et non autrement 371 . Ce traité assura au sire de Cossonay la supériorité et le ressort sur les possessions du couvent à Wufflens.
En 1387, Louis, sire de Cossonay et de Berchier, prit chaudement parti pour ses ressortissans de Cossonay contre la ville de Morges. Plusieurs individus, tant nobles que bourgeois, de la ville ou du mandement de Cossonay, avaient des propriétés dans le mandement de Morges. Or, le châtelain de cette ville voulait, pour cette raison, les obliger à contribuer pour la fortification (et la réparation) de la ville de Morges, fondant cette prétention sur une concession /121/ du comte Amédée VI d’après laquelle toute personne ayant des propriétés dans la châtellenie de Morges était tenue de contribuer, avec les bourgeois et les habitans de cette ville «donec sit fortificata et completa.» Ceux de Cossonay opposaient les louables us et coutumes de la patrie de Vaud, disant que, jusqu’alors, ils n’avaient pas contribué pour cette fortification, que leurs biens n’étaient pas dans l’enceinte des murs de la ville, et que, dans les autres bonnes villes, les possessions extérieures ne contribuaient pas pour la fortification. Dans l’intérêt de ses sujets, le sire de Cossonay recourut au comte de Savoye, tandis que Morges s’adressa à Bonne de Bourbon qui, pendant sa régence, avait confirmé à cette ville la concession du feu comte, son mari, et elle écrivit, en sa faveur, au baillif de Vaud. Amédée, sur la plainte de son très-cher consanguin 372 le sire de Cossonay, manda (1387, 9 mai) au baillif (de Vaud) Rod. de Langin, de prendre sur cette affaire toutes les informations nécessaires, et, tout en respectant les coutumes de la terre de Vaud, de faire à son égard ce qui lui paraîtra raisonnable. Enfin, après plusieurs délais, ce procès fut jugé à Moudon, par la cour baillivale, et ceux de Cossonay furent totalement absous du giect à eux demandé 373 .
Louis III avait à acquitter les engagemens de ses prédécesseurs envers l’église de St.-Paul et le prieuré de Cossonay. Il le fit noblement et eut égard à la recommandation du sire Jean, à son fils Louis (II), d’augmenter les légats de son frère Girard et de sa sœur Agnès. A la date du 1er décembre /122/ 1387, il donna à cette église et à ce prieuré 374 soixante livres de terre, d’annuelle et perpétuelle rente, qu’il assigna sur des censes directes des villages de Sullens, de Bournens, de Daillens, de Bettens, de Penthallaz, de Penthaz, d’Ascens, de Senarclens, de Lussery, de la Chaux et d’Itens, sur sa part aux dixmes de Penthallaz et de Lussery et sur le revenu du forage du vin 375 et des langues des bœufs et vaches 376 dans la ville de Cossonay. A ce don, il ajouta celui d’une cense annuelle de huit setiers de vin au village de Luins. En retour, messire Louis exigea que le nombre des moines du prieuré fut augmenté de trois, que le prieur et six moines chantassent (con nota) dans l’église de St.-Paul (c'était celle du prieuré) toutes les heures canoniales, et qu’après la première heure chantée, ils célébrassent journellement, à l’autel de la chapelle de la bienheureuse Vierge Marie, des sires de Cossonay, une messe de requiem pour le salut de son âme et de celles de ses prédécesseurs 377 . Cette grande donation place Louis III parmi les /123/ bienfaiteurs du prieuré de Cossonay auquel il remit encore, à la même date, la receverie (receveria) 378 de la dixme de Disy, un bois au territoire de cet endroit 379 et un champ contenant quatre poses, et cela en compensation de légats et de fondations jadis faits à l’église, au prieuré et à l’hôpital de Ste.-Marie de Cossonay, par le donzel Mermod de Disy et par sa sœur Johannette, dont l’héritage était échu au sire Louis, soit à ses prédécesseurs 380 .
Quoique messire Louis fut avancé en âge, on le trouve remplissant en 1391, à Genève, une place importante pour le comte de Savoye 381 et ce prince lui donna une grande preuve d’estime lorsqu'il établit, par son testament du 1er novembre 1391, jour de sa mort, Bonne de Bourbon, comtesse douairière de Savoye, sa mère et Louis, sire de Cossonay, pour exécuteurs de sa volonté. De plus, instituant héritier universel Amédée de Savoye, son fils unique, encore mineur, il laissa sa tutelle à la même Bonne de Bourbon, à condition qu’elle prendrait conseil du sire de Cossonay 382 . C’est une distinction flatteuse pour ce dernier d’avoir été nommé seul à une telle fonction et préférablement à tant /124/ d'autres seigneurs distingués des états du comte Amédée 383 .
Messire Louis vécut encore quelques années dès lors. Sa mort doit être survenue dans la seconde moitié de l’année 1394, ou au commencement de la suivante 384 . Déjà, en 1387, il avait fait son testament par lequel il avait institué héritières de ses biens Louise, Jeanne et Claudine, ses petites nièces, filles de Louis (II), sire de Cossonay et de Marguerite d’Oron, leur substituant Nicolette, fille de Guillaume, sire de Montagny. A celle-ci, il avait substitué un des mâles de la famille de Varembon (de la Palud), qui donnerait, alors, 4000 florins d’or au sire de Varax 385 ; au sire de Varembon, le même sire de Varax, et enfin, à ce dernier, un des enfans de Jean de Varax. Ces substitués devaient porter les armes pures 386 de Cossonay. Il y avait /125/ légué à Marguerite de Salabruche, sa femme, son château de Berchier avec tous ses droits 387 . Le donzel Aymon, bâtard de Cossonay (fils de Guillaume, prieur de Payerne, son frère), y avait reçu plusieurs légats 388 . Enfin, sûrement à cause de la minorité de ses héritières, il y avait confié la direction de ses biens à Guy de Prangins, évêque de Lausanne 389 . Quant à sa sépulture, il l’avait ordonnée dans l’église de la bienheureuse Marie de Lausanne et dans la chapelle de Marie, auprès de dame Jordane de Cossonay 390 . Par la mort de Louis III, la ligne masculine de la maison de Cossonay se trouva éteinte. Ce seigneur distingué fit dignement la clôture de la série des sires de sa famille.
Marguerite de Salabruche, sa femme, qui ne lui donna pas d’enfans, était fille de Simon, comte de Salabruche ou plutôt de Sarbruck, sire de Commercy, et de Marguerite de Savoye 391 , et ainsi proche parente de la maison de Savoye. Elle testa en 1394 (septembre), et institua héritier de tous /126/ ses biens au duché de Bourgogne et dans le diocèse de Langres, au-delà de la Seine, Odon, sire de Grancey, chevalier, et son seigneur mari de tous ses autres biens. Elle fit un légat à Marguerite de Bène, donzelle, pour ses services 392 , et un autre à Aymon, bâtard de Cossonay 393 . Enfin, elle ordonna sa sépulture dans la tombe construite par son mari dans l’église de la bienheureuse Vierge Marie de Lausanne 394 . Marguerite de Salabruche paraît avoir prédécédé messire Louis 395 .
LOUISE.
À messire Louis III succéda Louise de Cossonay, l'aînée de ses petites nièces, femme de Jean de Challant, sire de Cossonay à cause d’elle. Tous deux confirmèrent, en 1395 (12 avril), aux donzels Girard et Guillaume de Senarclens, les franchises de la maison forte de cet endroit 396 . Louise, dame de Cossonay, descendit bientôt dans la tombe sans laisser de postérité 397 .
JEANNE.
A la mort de sa sœur, Jeanne, femme de Jean de Rougemont, chevalier, devint dame de Cossonay. Elle le fut aussi de Berchier, de l’Isle et de Surpierre.
Longtemps la mémoire de dame Jeanne a été en bénédiction à Cossonay. Les habitans de cette ville ayant cruellement souffert d’un grand incendie dans lequel les lettres de franchises qu’ils tenaient de leurs seigneurs avaient péri, dame Jeanne, pour guérir leurs blessures et leur rendre courage, donna, du consentement de son mari Jean de Rougemont, sire de Cossonay, aux nobles, bourgeois et habitans de la ville et de la châtellenie de Cossonay, un code de libertés et de franchises étendues (celles de la ville de Moudon) 398 . Cette importante concession est du 14 avril /129/ 1398. Elle y confirma 399 à la communauté de Cossonay la possession de l’ohmgeld et de la guette 400 ou du froment des veilles, deux revenus de conséquence et qui firent longtemps la meilleure partie du sien (de la communauté); et tandis que dans d’autres seigneuries les lauds ou vendes se payaient souvent au 6e ou au 10e denier, elle les fixa, pour Cossonay, au 20e denier, soit au cinq pour cent 401 402 .
La même année (1398), dame Jeanne de Cossonay prêta hommage à l’évêque de Lausanne pour son château de Berchier 403 . Ayant contracté une dette envers Iblet, sire de Challant, elle lui vendit, en 1399, pour l’acquitter, la seigneurie de Surpierre pour le prix de huit mille florins, sous réserve, néanmoins, du droit de rachat 404 . /130/
Il y avait, dans le territoire de Cossonay, non loin de la route tendant à la Sarraz, un lieu inculte, d’une étendue considérable, nommé le marais de Graverney. Dame Jeanne, du consentement de Jean de Rougemont, concéda à la communauté de Cossonay la permission de disposer de ce pâquier comme des autres prés du territoire, l’autorisant à l’aliéner et à l’accenser (1404, 23 août) 405 . Cette concession porta d’heureux fruits 406 .
Henry du Petit (de Parvo), châtelain de Cossonay, avait fait saisir et détenait sans clame et adjudication deux malfaiteurs (Jean Ancheynoz et Hensilly Rellioux). Or, les bourgeois de Cossonay s’étaient émus de cette circonstance, qu’ils estimaient contraire à leurs franchises et aux coutumes du pays et du lieu. Sur leurs représentations, Jean de Rougemont accorda (1404, novembre) à la communauté de Cossonay des lettres testimoniales de non-préjudice au sujet de cette arrestation 407 .
La même année (1404, octobre), Jean de Rougemont, sur la requête que lui adressa la communauté de Cossonay, permit que pendant trois années consécutives toutes les viandes qui se vendraient au mazel (boucheries) de la ville le seraient au poids d'Aubonne, ainsi que cela se pratiquait dans plusieurs bonnes villes de la patrie de Vaud, et cela sous certaines conditions qui témoignent du soin que l’on prenait alors de la police des boucheries 408 . /131/
Comme celle de ses sœurs, la carrière de Jeanne, dame de Cossonay, fut courte. Etant malade, elle fit son testament le 6 avril 1405, au comté de Bourgogne, où elle se trouvait alors. Après y avoir ordonné sa sépulture dans la chapelle fondée et dotée par ses prédécesseurs dans l’église paroissiale de Cossonay 409 , fait un légat à cette chapelle 410 , fixé le nombre des chapelains à convoquer pour le jour de ses funérailles 411 , ainsi que le luminaire à fournir ce même jour 412 et les services religieux qui s’y célébreront, et aussi fait divers legs pieux 413 , elle y lègue à l’illustre comte de Savoye cent sols, pour une fois; pareille somme au révérendissime évêque de Lausanne; vingt-cinq florins d’or, pour tous leurs droits, à chacun de ses très-chers frères Nicod et Aymon de la Sarraz, le premier, sire de ce lieu, et le /132/ second, sire des Monts; pareille somme et pour la même raison à chacun de ses très-chers consanguins les sires de Varembon et de Varax; trente florins à Aymon, bâtard de Cossonay; dix florins à Clémence, sa nourrice, veuve de Girard de Conay 414 ; semblable somme à son cuisinier 415 , et elle institue héritier universel son bien-aimé mari et seigneur Jean de Rougemont, chevalier. Jaques de Dampierre, curé de Rougemont, Perrin de Molans, Aymon, bâtard de Cossonay, donzels, et Guillaume de Noseroy (autrement de Boujaille), châtelain de Cossonay, sont nommés par elle exécuteurs testamentaires 416
. 417 .Ce n’était pas sans raison que dame Jeanne faisait des legs au comte de Savoye, à l’évêque de Lausanne, à ses frères les sires de la Sarraz et des Monts, et à ses parens les sires de Varembon et de Varax. Privée d’enfans, elle savait qu’ils pourraient prétendre à sa succession et voulait prévenir, de leur part, la plainte d’avoir été oubliés et le droit qu’ils pourraient inférer de cet oubli. L’époque de la mort de dame Jeanne de Cossonay n’est pas connue. Elle ne survécut pas longtemps à son testament, cependant elle vivait encore à la date du 28 mars 1406 418 . Avec elle s’éteignit /133/ aussi, dans la ligne féminine, l'illustre maison de Cossonay. La prévision que son riche héritage serait disputé à son mari dut répandre de l’amertume sur ses derniers jours.
Si, maintenant, nous jetons un coup d'œil d'ensemble sur ce que nous connaissons de l’histoire des ancêtres de dame Jeanne, nous n’en trouverons aucun qui ait laissé de lui un souvenir néfaste, mais plusieurs, au contraire, qui ont fait à leurs ressortissans des concessions utiles et proportionnées au temps où ils vivaient. La maison de Cossonay s’éteignit à l’époque où la noblesse dynastique, perdant de son lustre, se confondait avec la noblesse ministériale ou vassale. La grande différence qui, dans le principe, avait existé entr’elles tendait à s’effacer. Au nombre des causes qui ont amené ce résultat, il faut mettre l’appauvrissement de la première et les restrictions que les souverains, jaloux de son antique influence, ont apportées successivement à ses privilèges. Cet appauvrissement fut la suite des trop nombreuses inféodations qu’elle fit de ses vastes domaines 419 , de ses dons répétés aux églises et aux maisons religieuses, du partage de ses possessions, des charges militaires qui pesaient /134/ sur elle, des croisades et des guerres fréquentes où ses bannières la conduisaient et où elle voulait paraître avec un éclat conforme à sa haute naissance.
Plusieurs prétendans à la succession de dame Jeanne de Cossonay la disputèrent à Jean de Rougemont. Et d'abord Guy de la Palud, sire de Varembon, qui fondait ses prétentions sur le traité de succession mutuelle qu’avaient fait, en 1348, Jean, sire de Cossonay, et Aymon de la Palud, sire de Varembon, père de Guy; puis, le sire de Varax, consanguin de la maison de Cossonay 420 , Aymon de la Sarraz, sire des Monts, frère utérin de dame Jeanne, et Marguerite d’Oron, sa mère, alors femme de François de Challant, sire de Châtel-St.-Denis et de Montjouvet. Pendant que ces divers prétendans se disputaient l’héritage de la maison de Cossonay, le comte Amédée (VIII) de Savoye avait pris possession de Cossonay et de l’Isle, qu’il revendiquait comme suzerain et à raison de la vacance du fief 421 . L’évêque de Lausanne, suzerain de Berchier, ne paraît pas avoir suivi cet exemple. /135/ Probablement que Jean de Rougemont s'était arrangé avec ce prélat, auquel il vendit (circa 1407), pour trois mille livres de France, le droit de rachat qu'en qualité d'héritier de dame Jeanne il avait sur la seigneurie de Surpierre 422 . Rougemont se hâta aussi de vendre 423 à Jean (III) de Châlon-Arlay, prince d'Orange, ses droits aux bourg, château et forteresse de Berchier 424 . Mais, peu après, celui-ci se vit dépouillé de cette acquisition par Aymon de la Sarraz, sire des Monts 425 . Rentré en sa possession avec l’appui du comte de Savoye, le prince d’Orange obtint l’agrément de l'évêque de Lausanne comme suzerain du fief, et l'abandon pour le prix de quatre cents écus d’or, de la cinquième partie du domaine utile de cette seigneurie qui appartenait au prélat (1409, 24 juillet) 426 . /136/
A la date du 14 novembre 1409, le conseil du comte Amédée de Savoye rendit, au château de Morges, une sentence dans la cause amiablement pendante (amicabili vertente) entre le sire de Varembon (Guy de la Palud), d’une part, et le sire de Varax, le sire de Bossonens 427 au nom de son épouse, le sire des Monts et le sire Jean de Rougemont, de l’autre, au sujet de la succession de dame Jeanne de Cossonay. Sur la production faite par le sire de Varembon des lettres de la donation réciproque des sires Jean de Cossonay et Aymon de la Palud, le conseil du comte, en reconnaissant la validité, lui adjugea la moitié de la succession du sire Jean de Cossonay 428 , l’autre moitié restant aux enfans (c’est-à-dire à leurs héritiers) de Louis, fils du sire Jean 429 .
Le sire de Varembon vendit, en 1412 (6 octobre) 430 , au comte de Savoye, pour le prix de six mille florins de petit poids, cette moitié des biens du sire Jean de Cossonay que le conseil du comte lui avait adjugée, ainsi que tous ses droits, à raison d’icelle, dans les châteaux, bourgs, villes, /137/ villages, châtellenies, mandemens et ressorts de Cossonay, de Villars-Boson 431 , de l’Isle, de Surpierre et de Berchier 432 . Sûrement cette vente fut forcée, puisque le comte était déjà en possession de Cossonay et de l’Isle. Varembon ne vendit autre chose que ses droits à la moitié de ces deux seigneuries. Il ne possédait rien en réalité ni à Berchier, ni à Surpierre, qui avaient été aliénés, et Berchier, d’ailleurs, était du fief de l’évêque de Lausanne. Ainsi s’explique le bas prix de la vente.
On ignore comment les autres prétendans disposèrent de l’autre moitié de la succession de dame Jeanne. On doit croire que le comte de Savoye acquit aussi leurs droits, si toutefois ils purent les faire valoir contre lui. Jean de Rougemont /138/ retourna en Bourgogne, où la mort de son père le rendit co-seigneur d’Usie 433 . Il contracta de nouveaux liens en épousant Marguerite de Chauvirey, dame de Buxières 434 . En 1409, il se trouva au siège de Velexon, et l'année suivante il fut du nombre des gens d’armes assemblés par le duc de Bourgogne contre la ligue des partisans du duc de Berry. Chevalier banneret, il passa en revue, le 31 août 1417, à Beauvais, avec la troupe qu’il commandait 435 . Il mourut bientôt après, sans postérité 436 . En qualité de son héritier, Thiebaud de Rougemont, archevêque de Besançon, son frère, disputa la seigneurie de Cossonay au duc de Savoye, qui alléguait son droit de suzerain par suite de la vacance du fief. Guillaume de Challant, évêque de Lausanne, arbitre de leur différend, adjugea, en 1421, Cossonay avec toutes ses dépendances au duc, à charge par lui de donner une indemnité pécuniaire à l’archevêque 437 . Cette circonstance nous montre que les droits de Jean de Rougemont n'avaient pas été liquidés de son /139/ vivant. Ainsi se termina cette longue affaire, et le duc resta possesseur tant de la baronnie de Cossonay que de la seigneurie de l’Isle 437 bis .
Avant de passer à la branche cadette de la maison de Cossonay, celle des sires de Prangins, nous donnerons une courte notice sur la branche bâtarde qui a porté le nom de Cossonay.
BRANCHE BATARDE DE COSSONAY.
I. Elle a pour auteur cet Aymon de Cossonay, donzel, que nous avons déjà nommé plusieurs fois et qui doit avoir été fils de Guillaume de Cossonay (fils du sire Louis Ier), prieur du riche prieuré de Payerne 438 . Le prieur Guillaume eut encore une fille nommée Antoinette, veuve, en 1396, d’Aymon Dompgirard, bourgeois de Cossonay 439 , et remariée avec /141/ Jean du Tourel, aussi bourgeois de Cossonay. Celle-ci testa en 1409 440 .
Les derniers sires de Cossonay, qui voyaient leur maison s’éteindre, firent divers dons au bâtard Aymon. Ainsi Louis III, en 1383, lui donna vingt livres de terre de rente annuelle, assignées sur des hommages à Itens et sur des biens à Wufflens-la-ville et à Bussigny, sous la condition que s’il mourrait sans descendans mâles, quinze retourneraient au château de Cossonay 441 . Et par son testament (de l’an 1387) il lui légua vingt autres livres de terre, assignées à Senarclens et à la Chaux, sous semblable condition, ainsi que sa maison des Lombards, à Cossonay 442 . Marguerite de Salabruche, femme du sire Louis, lui légua de même deux livres de terre 443 , et dame Jeanne de Cossonay, qui le nomma un de ses exécuteurs testamentaires, lui octroya, en 1398 (10 octobre), son affouage (affocagium suum seu son affoyer) dans la forêt de Seppey 444 , suivant que l’état de cette /142/ forêt le requerra 445 . Cette concession devait s’étendre aux successeurs d’Aymon 446 .
Le donzel Aymon de Cossonay tenait, en qualité d’usufruitier des biens de Marguerite, sa défunte femme, fille de Guillaume, bâtard de Grandson, chevalier, la moitié de la dixme de St.-Pierre à Senarclens et de celle des légumes de cet endroit, pour la totalité desquelles Jean de Senarclens, donzel, avait jadis prêté reconnaissance aux Prieurés de Romainmotier (pour celle de St.-Pierre) et de Cossonay (pour celle des légumes), sous la cense annuelle de cinq muids de blé pour la première et d’un muid pour la seconde 447 . Or, Aymon refusait à ces maisons religieuses le paiement de la part de cense qu’il leur devait. Un arbitrage le condamna (1407) à acquitter celle du prieuré de Cossonay 448 et, par la médiation d’amis communs, voulant décharger sa conscience et complaire aux religieux, il reconnut (1416) tenir du prieur Jean de Seyssel et de son couvent (de Romainmotier) /143/ la moitié de la dixme de St.-Pierre, sous la cense demandée de deux muids et demi de blé 449 .
Aymon résidait à Cossonay. Il y prenait une part active aux affaires de la communauté; son nom figure dans la plupart des transactions de l'époque, et toujours il y est placé avant tous les autres 450 . S’étant remarié et ayant des enfans de sa seconde femme, il eut avec Pierre, son fils du premier lit, une grave mésintelligence au sujet des biens de la mère de celui-ci 451 . Elle nécessita une prononciation entre eux (1434, 2 octobre) et un partage de biens, par lequel ceux qu’Aymon avait à Senarclens passèrent à son fils 452 . Aymon, bâtard de Cossonay, vivait encore en 1440 (pénultième /144/ d’août) 453 . De sa première femme Marguerite, fille de Guillaume, bâtard de Grandson 454 , chevalier, et de Louise de Berchier, il avait eu un fils, Pierre, et trois filles, Antoinette, Jeanne et Alexie, que leur grand’mère maternelle Louise de Berchier, alors femme du donzel François de Gumoëns, seigneur de Bioley-Magnoud, avait substitués, par son testament de l’an 1408, à Guillaume de Grandson, chevalier, son fils 455 . De sa seconde femme Marguerite, fille de Guillaume de Lavigny 456 , chevalier 457 , Aymon avait eu aussi un fils, Rodolphe, et une fille, Guillemette. Par son testament du 2 juin 1435 458 , il avait institué celui-ci son héritier 459 et l’avait chargé de doter sa sœur lorsqu’elle serait en âge d’être mariée; il avait aussi fait des legs à Pierre, /145/ son fils aîné et ordonné d'être inhumé dans la chapelle des sires de Cossonay, devant leur tombe.
II. Pierre de Cossonay, donzel, acquit en 1436, de Guillaume de Senarclens, donzel, la maison forte de Senarclens 460 et sûrement aussi les domaines et les fiefs qui y étaient attachés 461 . Il y fixa sa demeure. En 1445, il reconnut tenir du prieuré de Cossonay la moitié de la dixme des légumes de Senarclens 462 . Son refus de payer à celui de Romainmotier la cense qu'il lui devait pour celle de St.-Pierre lui attira, la même année, une sentence d'excommunication 463 . Il mourut bientôt après, laissant d'Etiennaz Lovat (probablement Louvet, ou le Louvet), sa femme, fille de Jean, deux fils, Pierre et Jean, et une fille, Nicolette, qui épousa Rodolphe de Mont, donzel de Cossonay 464 . Etiennaz fut tutrice de ses trois enfans et reconnut, en cette qualité, à la /146/ date du 7 janvier 1452, la dixme qu’ils tenaient à Senarclens du couvent de Romainmotier 465 .
III. Pierre de Cossonay, seigneur de Rurey (au diocèse de Besançon) 466 , a acquis un nom historique dans la patrie de Vaud, par le sort cruel que lui firent subir les Suisses à la prise du château des Clées, dont il était le commandant de la part de Jaques de Savoye, comte de Romont et seigneur du pays de Vaud, lors de la guerre de Bourgogne. Dans la garnison de cette forteresse se trouvaient cinquante et un hommes de Cossonay, choisis (electi) pour s'y rendre le 11 octobre 1475 467 . Le 23 du même mois, de bonne heure, un détachement de l’armée suisse, fort de mille /147/ hommes et accompagné d'un certain nombre d’archers, partit d’Orbe sous la conduite d’Henri Dittlinger, de Berne, d’Hans Vegeli, de Fribourg, et d’Urs Steger, de Soleure. Arrivé aux Clées, il trouva cette petite ville réduite en cendres par la garnison qui s’était retirée dans la forteresse. Sur la sommation à elle faite de se rendre, elle demanda la libre sortie, qui lui fut refusée. Les préparatifs nécessaires terminés, les Suisses donnèrent l’assaut. Repoussés avec perte, ils parvinrent, lors d’une seconde tentative et secondés par les archers, dont les traits dirigés d’une main sûre atteignaient les assiégés lorsqu’ils paraissaient sur les créneaux et aux meurtrières, à escalader les murailles et à pénétrer dans l’enceinte de la forteresse. Alors la garnison découragée se retira en hâte dans la tour principale. Suivie de fort près par les assiégeans, elle perdit une trentaine d’hommes avant que d’avoir pu atteindre ce lieu de retraite, où, vivement pressée et ne voyant aucun moyen de salut, elle demanda merci, mais inutilement. Les Suisses repoussèrent même l’offre plusieurs fois répétée de ces malheureux, de se rendre, tout en se soumettant à perdre la vie par le glaive. On voulait qu’ils périssent de la main des assiégeans dans la fureur de l’assaut. Alors retentirent dans la tour les cris de détresse de deux prisonniers, qui suppliaient leurs compatriotes de ne pas les sacrifier. Cette circonstance engagea les Suisses à offrir à la garnison de se rendre, à la vérité sans merci, mais on lui promettait le délai nécessaire pour se confesser. Cette offre cruelle fut acceptée et la garnison ouvrit incontinent l’entrée de la tour. Elle se composait encore de soixante et dix hommes, qui furent conduits à Orbe le même soir et traduits devant un conseil de guerre. Celui-ci commença ses fonctions par condamner à la décapitation /148/ cinq des gentilshommes qui étaient dans la garnison prisonnière, comme auteurs de violences exercées contre les ressortissans suisses. Parmi eux se trouvait Hugues de Gallera, auparavant commandant du château de St.-Croix 468 et que le trait d’un archer avait grièvement blessé à l'assaut des Clées. Lorsqu’on voulut exécuter la sentence, et que les prisonniers tous rangés en cercle sur la place où ils devaient recevoir la mort attendaient leur triste sort, il ne se trouva point de bourreau. 469 . On demanda, alors, aux prisonniers, si l’un d’entre eux, auquel on ferait grâce de la vie, voulait en remplir les fonctions. Plusieurs s’offrirent et l’on choisit un allemand 470 , valet du commandant Pierre de Cossonay, qui s’acquitta avec habileté de sa charge. Après l’exécution des cinq gentilshommes, l’obscurité de la nuit empêcha la continuation de cette scène d’horreur. Les autres prisonniers furent enfermés dans une tour étroite où dix-neuf d’entre eux trouvèrent la mort, étouffés par la vapeur de chaux non éteinte qui s’y trouvait par hasard. Le lendemain, cinq prisonniers furent encore exécutés, et, dans le nombre, Pierre de Cossonay qui avait inutilement offert une forte rançon pour sauver sa vie. Le sang versé avait assouvi la rage des vainqueurs. Ils accordèrent aux autres prisonniers la vie et la liberté. Cinquante-cinq hommes de la garnison avaient péri à l’assaut de la forteresse, non compris ceux qui avaient /149/ été jetés par-dessus les murailles 471 . Des cinquante et un hommes de Cossonay, vingt-trois trouvèrent la mort dans cette sanglante expédition 472 . Ainsi périt, le 24 octobre 1475, dans la fleur de l'âge et par la main de son propre valet, l'infortuné Pierre de Cossonay, victime de la barbarie de l'époque et de la férocité des Suisses. Les historiens disent qu'il était bel homme et d’une taille élancée 473 . Il n’était pas marié. 473 bis .
IV. Jean de Cossonay, donzel, seigneur de Rurey et d’Ornans-les-Granges, fut l’héritier universel de son frère Pierre. En 1476 (17 décembre), il reconnut au prieuré de Romainmotier la moitié de la dixme de St.-Pierre, à Senarclens 474 ; et, l’année suivante, au prieuré de Cossonay, sa part de celle des légumes. Alors, il possédait aussi les biens du donzel Humbert de Cossonay, son cousin, fils de Rodolphe, son oncle, qui l’était du bâtard Aymon et de Marguerite de Lavigny, sa seconde femme 475 . Jean de Cossonay fut écuyer de /150/ Philippe de Savoie, comte de Bresse et de Baugé 476 . Châtelain de Cossonay pour le duc de Savoye 477 , on le trouve, en 1495 ( 18 juillet), au nombre des conseillers de cette ville 478 . En 1496 (9 décembre), il prêta hommage au duc de Savoye pour les fiefs nobles qu’il tenait du château de Cossonay à Senarclens, à Grancy, à Gollion, à Itens, à Vuillerens, à Wufflens-la-ville et à Bussigny 479 . Il fonda dans l’église de Cossonay, sous le vocable de St.-François, une chapelle de ses propres fief et directe seigneurie 480 , et légua au clergé de cette église sa dixme de Senarclens 481 . Sa mort est postérieure au 22 mai 1504 482 . Il avait épousé, en 1480, Louise, fille de Georges de Luyrieux, chevalier, seigneur de Montverant et de Prangins (en Bresse), et de Françoise de Belmont 483 . Il en laissa quatre enfans: François, qui fut son héritier, Guillaume, qui mourut jeune, Rose, femme de Guillaume de Bionnens, donzel de Cossonay, et Claudine, femme 1o de Benoît de Monthey, donzel, mayor de Boussens, et 2o de Claude de Dortans, seigneur de l’Isle et de Berchier. Louise de Luyrieux survécut à son mari.
V. François de Cossonay, écuyer, seigneur de Rurey en /151/ 1509, fit un abbergement de terres à Grancy en 1514 (11 février) 484 . Il mourut sans postérité 485 , jeune encore, en Italie, et ses deux sœurs héritèrent ses biens qu’elles partagèrent en 1522 (8 janvier) 486 . A Rose advint la maison forte de Senarclens, avec les domaines qui en dépendaient 487 , les censes dûes à Senarclens, à Cossonay, à Gollion et à Wufflens-la-ville 488 , le four bannal de Senarclens, l’affouage au bois de Seppey 489 , les hommes, les hommages et les censes d’Itens, la moitié des vignes de Bussigny et de Gollion, celle des censes de Bussigny et celle des dixmes que les deux sœurs tenaient de leurs ancêtres à Berchier, à Rueyres et dans d’autres lieux du voisinage 490 . La part de Claudine comprit, entre autres, une maison forte à Berchier 491 les /152/ immeubles qui appartenaient aux deux sœurs tant à Berchier qu’à Fey, à Rueyres et lieux du voisinage; les censes et revenus annuels dûs dans ces trois endroits et à Pailly, à Thierrens, à Correvon et lieux voisins; l’affouage hérité de leurs ancêtres dans les forêts du domaine de la seigneurie de Berchier 492 , un chesal (unum casale) appelé maison de Prangins (Pryngin), situé dans le bourg de Berchier 493 , etc. 494 . C’est l’héritage des anciens milites de Berchier qui avait passé à la branche illégitime de la maison de Cossonay 495 .
Après la conquête bernoise, Amé Mandrot 496 , procureur-patrimonial de LL. EE. dans le pays de Vaud, molesta Rose de Cossonay, exigeant d'elle, vu l’extinction de la descendance masculine du bâtard Aymon, la remise de quinze des vingt livres de terre que le sire Louis III avait jadis données à celui-ci, sous condition de retour au château de Cossonay si cette descendance venait à s’éteindre. Rose s’adressa au gouvernement bernois, lui exposant qu’ayant acquis (en 1543) pour le prix de quatre cents florins, des /153/ commissaires chargés par Leurs Excellences de la liquidation des biens ecclésiastiques dans le pays de Vaud, les censes et les autres biens dont son père avait doté la chapelle qu’il avait fondée dans l'église de Cossonay, elle n’était par conséquent pas tenue à la restitution demandée. LL. EE. trouvèrent ses raisons bonnes et ordonnèrent à leur procureur patrimonial de cesser ses instances 497 . En 1548 (8 avril), elle prêta hommage à LL. EE. 498 pour les fiefs nobles qu’elle possédait et qui mouvaient du château de Cossonay, et reconnut, à cette occasion, être hommeresse lige de LL. EE. 499 . Veuve et sans enfans, elle les vendit peu de temps après 500 , ainsi que la maison forte de Senarclens et ses autres biens, aux nobles Claude et Gauchier Farel, de Gap, frères du célèbre réformateur de ce nom 501 , dans la famille desquels ils ne restèrent pas longtemps 502 . Dame (c’est le titre qui lui est donné dans les actes) Rose de Cossonay mourut en septembre 1554, à Cossonay 503 . Avec elle s’éteignit /154/ aussi, dans sa branche bâtarde, la maison de Cossonay. Sa sœur Claudine l’avait prédécédée 504 *
MAISON DE PRANGINS.
GUILLAUME.
Nous avons fait observer que des deux fils du sire Jean Ier, Humbert, l’aîné, sire de Cossonay, fut l’auteur de la maison ainsi nommée, et Guillaume ou Vuillelme, le second, de celle de Prangins.
Les documens qui font mention du sire Guillaume sont surtout relatifs à ses donations à Bonmont et à ses démêlés avec ce couvent. — En 1235 (février), il lui abandonna sa part aux dixmes de Britinie (Burtigny), de Marchisie (Marchissy) et de Vizo (Vic), qu’il lui avait engagées pour quarante-cinq livres genevoises; et les moines compâtissant à ses nécessités, lui donnèrent encore cinquante-cinq livres lausannoises 505 . Cette donation est une vente déguisée. /156/
La même année (1235, juin), messire Guillaume de Prangins donna son consentement à la mise en gage que fit Etienne de Changins, en faveur du couvent de Bonmont, pour le prix de cent sols, de ce qu’il possédait aux dixmes de Signie (Signy) 505 bis .
Peu d’années après (1238) 506 , Guillaume, sire de Prangins, du consentement de sa femme Elisabeth et du sire Humbert de Cossonay, son frère, donna au prieuré de Romainmotier 507 les dixmes de Deluy (Dullit) et de Verney, ainsi que la part de celles de Vinseyz (Vinzel) et de Bursins que le prieuré de Bursins percevait 508 . Ces deux donations, et d’autres encore dont nous parlerons, prouvent que, quoique le sire Humbert de Cossonay reconnût tenir en fief de l'archevêque de Besançon (hommage de 1246) les dixmes depuis la pierre de Mouray jusqu’au canal de Bursins, elles étaient cependant possédées par le sire Guillaume, qui était aussi sire de Nyon. Nous avons expliqué que cet hommage de l’aîné des frères était conforme à la coutume de Bourgogne. /157/
Girard de Cracye (Crassy), chevalier, ayant fait don au couvent de Bonmont (1245) du tènement de Girod, fils de Jaques Canar de Diluyz (Duiller?), et d’autres choses encore, messire Guillaume, par la volonté et à la prière du chevalier Girard et de Jean, donzel de Cracye, qui approuvait cette donation et le lui disait de vive voix, la scella en confirmation d’icelle et en témoignage de vérité 509 .
Messire Guillaume élevait des prétentions sur un certain chesal où les moines de Bonmont avaient, d’habitude, un moulin, sous leur grange de Montlaçon. En 1249, il y renonça totalement du consentement de sa femme, dame Alix, et de son fils Jean, et, en concédant au couvent le pouvoir d’y faire construire un moulin et un battoir quand il le voudrait, il prit l’engagement que nulle personne excepté lui (le sire Guillaume) ne pourrait avoir ni moulin, ni battoir, entre le sien (du sire Guillaume) et celui de Coster 510 . Il ferma toute voie à la chicane 511 en statuant que lui et les siens 512 n’empêcheraient pas les hommes de sa terre de moudre au moulin de Montlaçon. Les religieux payèrent de cent sols cette complaisance du sire Guillaume 513 .
Ses querelles avec Bonmont recommencèrent bientôt, et cette fois elles portaient tant sur les dixmes anciennes que les moines avaient dans les paroisses de Crassy, de Grens, de Vic et de Burtigny, et que le sire Guillaume disait appartenir /158/ à son fief, que sur les dixmes des novalles 514 de ces mêmes paroisses, auxquelles les religieux prétendaient par autorité apostolique. Encore, sur la grange de Clarens et sur certaines terres, tant de cette grange que de celle de Montlaçon 515 , que le sire Guillaume disait appartenir à sa seigneurie. En 1253, cette mésintelligence fut pacifiée de la manière suivante: « Messire Guillaume, sur l’exhortation d’hommes de bien, entrevoyant la volonté de Dieu et le bien futur de son âme, renonce à vexer les religieux, principalement parce qu’il a compris qu’en vertu des privilèges apostoliques ils doivent percevoir les dixmes novalles dans les paroisses où ils perçoivent les anciennes, et qu’il a entendu, par la lecture des chartes des religieux (faite en sa présence), que Jean, son père, et d’autres ses antécesseurs ont jadis donné en aumône perpétuelle à la maison de Bonmont le droit qu’elle a à la grange de Clarens et aux terres contestées. Voulant donc tendre aux religieux une main libérale, du consentement de sa femme Alix et de Jean, son fils, il leur a cédé et abandonné, en libre et perpétuelle aumône, pour le salut de son âme et de celles de ses prédécesseurs et de ses successeurs, les dixmes anciennes et novalles, présentes et futures, des paroisses de Crassy, de Grens, de Vic et de Burtigny 516 . Il leur a confirmé la possession de celles des autres dixmes de son fief qu’ils ont entre la pierre de Maurai et la chinaul de Bursins, et leur a abandonné le /159/ droit qu’il disait avoir à la grange de Clarens 517 , aux terres spécialement contestées et à celle qu’ils tiennent à côté de leur vigne de Signy 518 . En outre, regardant à l’utilité et à la tranquillité des religieux, par amour pour Dieu et pour la bienheureuse Vierge qu’ils servent fidèlement 519 , voulant aussi se préserver de péché ainsi que ses héritiers, il a confirmé au couvent de Bonmont tout ce qu’il tenait à titre d’aumône, d’achat, d’échange ou autrement, le jour où la charte de la présente convention a été rédigée, tant de lui et de ses hommes que de ses prédécesseurs et de leurs hommes 520 , voulant qu’en vertu de cette confirmation le couvent possède le tout à perpétuité, à titre d’aumône, que ces possessions provinssent de son alleu ou de son fief. Messire Guillaume et son fils (Jean) ont juré sur les saints Évangiles de ne pas fatiguer 521 à l’avenir le couvent au sujet des choses cédées et ont promis, par serment, la maintenance, à laquelle seront aussi tenus ses héritiers 522 . Ensuite, il s’est soumis, si c’est nécessaire et que les frères de Bonmont le requièrent, à ce que le seigneur évêque de Genève 523 le contraigne, lui et ses /160/ héritiers, par la censure ecclésiastique, à l’observation de la présente convention 524 . »
Ces détails font bien connaître le caractère opiniâtre du sire Guillaume; comme d’ordinaire le couvent eut raison; mais il y a lieu d’être surpris de la ténacité du sire de Prangins à lui disputer des choses que ses prédécesseurs lui avaient données et, à diverses reprises, confirmées, et que lui-même avait aussi, en partie, confirmées, ainsi que c’est le cas pour les dixmes de Burtigny et de Vic.
En 1255, messire Guillaume, à la prière de Guy de Mont 525 , son homme, scella la vente que fit celui-ci 526 au couvent de Bonmont, pour le prix de cinquante sols, d’un pré qui était de son alleu, situé dans la profonde vallée 527 . Et outre les cinquante sols, les moines lui donnèrent une tunique de la valeur de cinq sols, des souliers et autres chaussures 528 . Ce trait de mœurs mérite d’être remarqué. Les ouvriers étaient rares alors, et les plus habiles se trouvaient, sans doute, dans les couvens. Guillaume était aussi sire de Mont; nous en verrons la preuve. Or, ce Mont, qu’il distingue des autres en l’appellant le sien 529 , nous paraît être /161/ Mont-le-vieux 529 bis, duquel dépendaient Burtigny et Marchissy qui appartenaient à la seigneurie du sire Guillaume 530 . Guy de Mont était sûrement un chevancier du château de Mont. /162/
L'année 1258 nous offre une nouvelle transaction entre le sire Guillaume et le couvent de Bonmont. Il lui remit en gage, pour le prix de 20 livres de Genève, ses dixmes (decimas nostres, dit-il) de Quinsins (Coinsins), et cela du consentement du chapelain de cet endroit 531 . Pour fidéjusseurs, il donna Pierre, miles de Promentoux et Jean Favre (fabrum), dit de Chiseray, obligés par serment, prêté sur les saints évangiles, à tenir otage à Nyon, si les religieux étaient molestés au sujet de ces dixmes 532 .
Bonmont était toujours prêt à profiter des nécessités d’argent du sire de Prangins. En voici un nouvel exemple: En 1259, du consentement de sa femme Alix, de ses fils Jean et Guillaume et de ses filles Isabelle et Agnès, messire Guillaume lui vendit le moulin de Burtigny vulgairement nommé dou Coster, situé sur la Sorone (Serine) et le chesal du moulin de Lusinie ainsi que le cours de la Sorone et des eaux qui y affluent 533 , depuis le pont de Begnins 534 jusqu'à la source de la Sorone et des autres eaux de sa seigneurie qui y déversent. Il prit l'engagement, pour lui et ses héritiers, /163/ de ne construire 535 ni moulin, ni autre artifice, sur le cours de ces eaux dans les limites fixées, de ne pas les détourner de leur lit 536 , et de ne pas empêcher ses hommes de fréquenter les moulins 537 des religieux. Ceux-ci pourront construire un moulin et tout autre artifice dans les limites désignées, même sur le terrain du sire Guillaume 538 . Tout cela fut vendu et concédé aux religieux pour le prix de quatre-vingts livres genevoises, desquelles le sire Guillaume en reçut soixante et dix, et il les tint quittes des dix autres pour dix sols de cense qu’il devait leur assigner pour l’aumône de son père 539 . Et comme il y avait contestation entre lui et les religieux au sujet des dixmes novalles de Marchissy 540 , il leur abandonna celles-ci perpétuellement 541 . A cette occasion, lui, sa femme et ses enfans leur confirmèrent toutes les investitures (possessions) mouvantes du chesal et de la seigneurie de Prangins (a casali et dominio de Prangins) 542 , que le couvent tenait 543 /164/ le jour de la rédaction de la charte de la présente concession 544 .
Bonmont ne jouit pas tranquillement de sa nouvelle acquisition. Agnès, veuve de Pierre Vaultier (Walteri) de Nyon et ses enfans 545 , aux prédécesseurs desquels noble homme (vir nobilis) Guillaume, sire de Prangins, leur très-cher seigneur, avait assigné le moulin de Lusignie pour les droits qu’ils avaient aux (in) moulin et fours de Nyon, molestèrent le couvent; et le sire Guillaume, tant pour garantir le moulin aux religieux que pour satisfaire Agnès, lui assigna, en 1263 (août), vingt-huit coupes de blé (à la mesure de Nyon) à percevoir annuellement sur son moulin de Viz (Vic) 546 , en présence, entre autres, de Pierre de Colonges, chevalier et de Berthod de Oisins (Eysins), vidomme de Nyon 547 .
La même année (10 des kal. de juin), messire Guillaume avait scellé la donation entre vifs de Girard Renerj, de Nyon, son homme libre, au couvent de Bonmont, pour l’entretien et la chevance (chivancia) personnels qu’il en recevait, d’une /165/ vigne à Eysins et d’une portion de la vigne de Manens 548 .
Jean, fils aîné du sire Guillaume, avait épousé Isabelle de Gresie (Greysier ou Greysi). Or, elle avait livré à son beau-père 549 quarante livres de Genève. C’était un prêt ou plutôt une part de sa dot. Pour cette somme, le sire Guillaume lui avait donné en gage (1262, juin) quinze muids de blé 550 à percevoir annuellement sur ses dixmes de St.-Livres (de sancto liberio), de Begnins, de Duelie (Duiller), de Benai et de son château de Mont (de monte castello nostre, dit-il) 551 . Lui et son fils Jean s’étaient astreints par serment à faire à Isabelle (ou à son mandataire) bonne garantie de ce gage, et, dans le cas où ils ne la feraient pas 552 , à lui rendre les quarante livres dans le terme d’un mois après qu’ils auraient failli à leur engagement, ou bien à tenir otage, à sa réquisition, en lieu sûr et à leurs propres dépens, jusqu’au paiement de cette somme ou à la maintenance du gage. Pour fidéjusseurs, messire Guillaume avait constitué 553 les donzels Etienne de Begnins, pour quinze livres, Jean de Trelex, pour quinze livres et Renaud de Greilli, pour dix livres, qui devaient 554 , à défaut du sire Guillaume et de son fils, tenir otage en lieu sûr, à la réquisition d’Isabelle 555 . /166/ Celle-ci avait encore livré au sire Guillaume soixante autres livres, pour lesquelles il lui avait engagé le village de Marchissy 556 . Et, en sus de cette assignation, du consentement de son fils et à la date du 12 des kal. de nov. 1262, il lui avait fait donation entre vifs, en présence, entre autres, d’Uldric, abbé de Bonmont 557 , de tous les revenus (fructus) qu’Isabelle percevait de plus dans les gages qui lui avaient été donnés 558 .
En 1265 (mars), messire Guillaume, à l'instance d’Humbert, d’Etienne, de Jaquet et d’Anselme de Gingins, fils du chevalier Pierre, et d’Agnès, leur mère, apposa son sceau à la vente qu’ils firent au couvent de Bonmont de la quatrième partie de la forêt de Gingins (ce quart était situé au territoire d’Arnex), et d'une cense de six deniers, le tout pour le prix de cinquante sols genevois 559 . Et en 1266 /167/ (10 des kal. de janvier) il lauda aussi une vente des fils (Hugues, Nicolas, Pierre et Anselme) d'Etienne de Changins au même couvent, du consentement de leur mère Mentie, de certaine pièce de terre arable située au-dessus de la grange d’Oisins et qui était de sa seigneurie 560 . 561 .
Ses démêlés avec ce monastère ne l’empêchèrent pas de lui faire une donation sur son lit de mort. Par acte daté de Nyon (1267, ides de sept.), malade de corps, mais de bonne et saine mémoire, Guillaume, sire de Prangins, chevalier 562 , en vue de Dieu, et pour le salut de son âme, légua à l’église de Ste.-Marie de Bonmont et aux frères présens et futurs, trente sols genevois de cense (annuelle), en aumône pure et perpétuelle et les assigna sur deux chesaux appartenant à son libre et propre alleu 563 , et cela pour célébrer annuellement son anniversaire dans cette église et faire ce jour-là une pitance générale au couvent 564 . Il mourut dans le même mois 565 . /168/
Quoiqu'en n'en trouve pas la preuve, on ne peut guère supposer que le sire Guillaume ait évité l'hommage au comte Pierre de Savoye 566 , auquel son frère Humbert et les autres dynastes de la patrie de Vaud avaient dû se soumettre; du moins, pour quelqu'une de ses seigneuries qui n'était pas mouvante de l'archevêque de Besançon ou du sire de Gex 567 . Il ne prend, ordinairement, que la qualification de sire de Prangins, mais il possédait d'autres châteaux, entre autres celui de Mont (à la Côte) que nous croyons être Mont-le-vieux 568 , et celui de Bioley, situé entre Begnins et Burtigny et dont on distingue encore très-bien l’emplacement 569 . Peut-être ces deux châtellenies dépendaient-elles de la seigneurie de Prangins. Il est fort probable qu’il possédait la seigneurie /169/ de Grandcour, et, dans le Vully, le château et la châtellenie de Bellerive qu'on trouve dans les mains de ses enfans. Enfin, il était sire de Nyon 570 . Le mandement (soit le district) de cette ville était considérable. Il s'étendait de la terre de Gex à celle de St.-Prex 571 , et de l’eau de l’Orbe, du lac des Rousses et de la Valserine jusqu’au milieu du lac 572 . De plus, si la bannière du mandement (de Nyon) sortait pour la chevauchée du seigneur ou autrement, les bannières des seigneurs de Mont-le-vieux et de Mont-le-grand, de Coppet, de Prangins et de Rolle étaient tenues de l'accompagner s’il plaisait à la ville 573 . Il en était ainsi au XVme siècle (1439). Cette étendue de mandement existait-elle déjà, alors que les Prangins étaient sires de Nyon? Cela paraît probable. Il en serait donc résulté une suzeraineté de leur part sur les sires des Monts et de Coppet. Ne perdons pas de vue qu’il avait existé (au Xme siècle) un comté des Equestres dont Nyon était le chef-lieu, qu’il s’étendait dès l'Aubonne au fort de l’Ecluse 574 et que les sceaux équestres des sires de Prangins et de Cossonay paraissent indiquer une descendance de la famille qui l’avait possédé 575 . /170/
Les chartes nous apprennent les noms de deux femmes du sire Guillaume, sans nous indiquer les familles auxquelles elles appartenaient: 1o d’Elisabeth, qui l'était en 1238 576 ; 2o d’Alys ou Alix, en 1249 577 . Celle-ci lui survécut. En 1267, Alexie (ou Alix), dame de Prangins, veuve du sire Guillaume et tutrice de son fils Aymon, confirma un legs au territoire de Ves, proche de Mont, fait par son défunt mari à l’abbaye de Filly 578 . Le sceau dont elle se servit dans cette circonstance représente une fleur de lys.
On connaît au sire Guillaume les enfans suivans:
1. Jean, qui fut sire de Prangins.
2. Aymon, qui le fut de Nyon.
3. Guillaume.
4. Isabelle.
5. Agnès.
Nous connaissons ces trois derniers par la laudation qu’ils firent, en 1259, de la vente des moulins du Coster et de Lusignie au couvent de Bonmont.
JEAN,
fils aîné du sire Guillaume, nous est connu par les chartes de son père, en faveur de Bonmont, des années 1249,1255 et 1259, ainsi que par celles de 1262, relatives aux sûretés que celui-ci donna à Isabelle de Greysi, sa belle-fille, pour la somme de cent livres de Genève. Nous le croyons issu d’Elisabeth, la première femme du sire Guillaume 579 , à la mort duquel il devint sire de Prangins et seigneur de Bioley, de Mont et d'autres terres, tandis que Nyon fut le partage de son frère Aymon. Il confirma, en 1267, le legs que messire Guillaume avait fait à l’abbaye de Filly 580 . /172/
Jean, sire de Prangins, consentit en 1271 (samedi avant la fête St.-Nicolas, à Bursins) à la vente que fit Guia, veuve de Thomasset de Vincet, dit de St.-Bonnet 581 , à frère Vuillelme, prieur de Vallorbe, d’une vigne au territoire de Dullit (Deluis), pour le prix de vingt-sept livres genevoises, bonnes, et la scella 582 .
En 1272 (4 des ides de janvier), il vendit au couvent de Romainmotier 583 tout ce qu’il possédait ou devait posséder 584 à Bursins, pour douze livres genevoises, bonnes. Il s’en réserva le rachat, avec la clause, toutefois, qu’il ne pourrait, en ce cas, l'aliéner de nouveau 585 sans le consentement du couvent. Pour fidéjusseur, messire Jean donna Jaques, coseigneur d’Aubonne 586 , et il renonça à réclamer des religieux les produits des choses vendues (fructuum predictorum venditorum), qu’il donna en aumône pour le salut de son âme et de celles de ses parens 587 . /173/
En 1282 (2 juin), Amédée II, comte de Genève, céda à Béatrix de Savoye (fille du comte Pierre), dame de Faucigny, l'hommage du sire de Gex 588 en échange de l'hypothèque que le feu comte Pierre avait sur divers châteaux du Genevois 589 . Or, le comte de Savoye (Amédée V) ne voulait pas reconnaître cette cession 590 , et il pouvait résulter de ce conflit une fâcheuse complication pour le sire de Prangins, vassal de celui de Gex. C'est sûrement la raison qui porta messire Jean à rechercher la protection de l’empereur Rodolphe de Habsbourg et à soumettre à ce monarque, en 1284 (Samedi avant la St.-Grégoire), son château de Bioley et sa châtellenie de Prangins 591 . Ecoutons les termes de sa convention avec ce grand prince:
Rolet de Corbières, baillif et avoué (advocatus) de Lausanne pour sérénissime prince Rodolphe, par la grâce de Dieu, roi des Romains, toujours Auguste, fait savoir que noble homme Jean, sire de Prangins, a fait hommage, sur ses mains, à ce prince et à ses enfans, soumettant à sa domination le château de Bioley avec toutes ses appartenances et la châtellenie de Prangins, réservé trois hommages auxquels il est astreint, savoir: au seigneur archevêque de /174/ Besançon 592 , au comte de Savoye 593 et au sire de Gex. Rolet de Corbières, de la part du roi, a reçu le sire Jean et ses enfans, avec leurs droits et propriétés, dans la garde (défense et protection) du roi, promettant de bonne foi de les protéger selon le droit et de les défendre. Le baillif (Rolet) est tenu de les assister de toutes ses forces aux propres dépens du roi, dans leur droit, afin qu'ils puissent recouvrer (recuperere) ce qu’ils doivent posséder et en être réinvestis. Il a aussi promis que lorsque le sire Jean fera son hommage sur les propres mains du roi, ou de l’un de ses enfans, sa féauté sera récompensée (feodum subministrabitur) soit dans sa propre personne, soit par la possession de terres (in privata persona vel terrarum possessio) et cela à l’arbitre du baillif et de deux amis de Jean. Mais si le baillif et les gens du roi ne prêtent pas assistance au sire Jean, ou si le fief n’est pas augmenté, les présentes conditions ne seront d’aucun poids et l’hommage au roi nul 594 .
Il paraît donc que les Prangins avaient été dépouillés de quelque chose qu’ils voulaient ressaisir par l’assistance du baillif impérial 595 . La suite nous prouvera que l'hommage /175/ du sire Jean à Rodolphe de Habsbourg ne lui fut d'aucune utilité. L'éloignement de ce prince du pays de Vaud, les soins et les guerres qui l’absorbaient et la puissance toujours croissante de la maison de Savoye, rendirent sa protection illusoire. On sait que Rodolphe ne négligeait aucune occasion d’accroître la puissance de sa famille. L’empire n'était pour rien dans cet hommage; il n’y était question que de la maison de Habsbourg.
On vient de voir Jean, sire de Prangins, soumettre à la domination de Rodolphe la châtellenie de Prangins. Cependant, la même année, son frère Aymon, alors sire de Nyon, prend, dans deux transactions avec le couvent de Romainmotier, le titre de sire de Prangins et agit en cette qualité. On ne possède pas la clef de cette énigme 596 .
Les querelles de Béatrix, dame de Faucigny, avec le comte Amédée (de Savoye) recommencèrent et les deux parties se disputèrent l’hommage du sire de Prangins, qui, vraisemblablement, se trouvait compris dans la cession que le comte de Genève avait faite à Béatrix en 1282 597 . Celle-ci, vieille alors et aspirant au repos, envoya en avril 1289, le prieur de Contamines et un autre député vers le comte pour l'engager à remettre leur différend à un jugement d’arbitres, et ainsi on posa les armes 598 . On ignore si messire Jean vivait encore à cette époque et par conséquent si c'était lui, ses enfans ou le sire Aymon, son frère, qui tenaient alors la seigneurie de Prangins. La date de son /176/ décès n’est pas même connue approximativement 599 . Indépendamment de Prangins, de Biolay et de Mont (le vieux), il était seigneur de Grandcour, de Bellerive, de Greysi et de Sessens (ou Cessens) 600 .
Sa femme, nous l’avons vu, était Isabelle de Greysi (ou Greysier), de la famille distinguée de ce nom, issue de la maison souveraine de Faucigny 601 ; elle lui apporta le château et la châtellenie de Greysi 602 , ce qui laisse présumer en elle l’héritière de la branche aînée de sa famille 603 . Isabelle ne vivait plus en 1299 (15 des kal. d’avril).
Messire Jean laissa plusieurs enfans:
1. Pierre ou Perronet.
2. Jean, chanoine de Genève 604 . /177/
3. Humbert, vivant en 1301.
4. Ancellie on Ancellesie.
5. Brianca 605 .
6. Alise, femme de Guillaume de Charères 606 .
7. Perrette ou Perronette, femme de Pierre (IV), comte de Gruyère 607 .
Nous parlerons d’eux après avoir rapporté ce qui concerne le sire Aymon, leur oncle.
AYMON.
Aymon, second fils du sire Guillaume, fut, à la mort de son père, sous la tutelle de dame Alix, sa mère 608 . A peine celui-ci avait-il fermé les yeux, que, du consentement de sa mère et nonobstant l'exception de minorité, il fit cession (donation, 1267, 16 septembre) au comte Pierre de Savoye du fief que Jean de Greilly tenait de lui 609 .
Aymon de Prangins eut la ville de Nyon dans la part qui lui échut de la succession paternelle; il s’en nomme déjà seigneur en 1267 610 . L’archevêque Oddon de Besançon céda, en octobre 1272, le domaine direct de cette terre à Philippe, comte de Savoye 611 . En conséquence, en 1279, /179/ Aymon prêta hommage lige au comte Amédée V pour Nyon et pour les dixmes 612 .
Il accorda la même année, à Richard du Nant, de Nyon (et à ses héritiers), l'exemption du forage du vin qui pourrait être déposé dans sa maison 613 .
En 1284 614 , messire Aymon conclut deux transactions avec le couvent de Romainmotier dans lesquelles il se nomme sire de Prangins 615 , circonstance d'autant plus difficile à expliquer 616 que, la même année, à une date un peu postérieure, son frère Jean prend le même titre déjà porté par lui dans d'autres circonstances 617 . On se souvient que la chinaul 618 (le canal) de Bursins formait, du côté du nord, la limite des domaines des sires de Prangins et de Nyon 619 . /180/ Or, Aymon, prieur de Romainmotier, avait construit, à Bursins, un fort (fortalicium), qui portait ombrage au sire Aymon et qui devint l’objet d’un différend entre lui et le prieur Gaufred, successeur d’Aymon, en même temps que certaines terres 620 que le chevalier Guillaume de Pleasie 621 avait cédées au couvent et que le sire Aymon disait être de son fief. Celui-ci, par l’intercession d’hommes de bien, se désista de ses prétentions 622 moyennant cinq chars de vin (carratis vini) que lui donnèrent les religieux 623 . Par la seconde de ces transactions, messire Aymon reçut dans sa garde (et tutelle), pour quatre années consécutives 624 , le couvent de Romainmotier et tous ses biens (où qu’ils fussent) et promit de les défendre et de les garder (de bonne foi) contre toutes personnes, comme il ferait de ses propres biens, réservé la garde de l’illustre comte de Savoye. En retour, les religieux lui promirent, pour chaque année de garde, un char de vin aux vendanges 625 .
La même année(1284, 15 novembre), Aymon de Prangins, sire de Nyon (il ne prend pas le titre de sire de Prangins), ayant vu certaine lettre (acte) saine, entière, non /181/ coupée et munie des sceaux de feu le seigneur Aymon, évêque de Genève et de noble homme Guillaume, sire de Prangins, son père (d’Aymon), à lui de mot à mot exposée en langue vulgaire (lingua materna), par laquelle le feu sire de Prangins avait vendu aux religieux de Bonmont le moulin du Coster et le chesal de celui de Lusignie, la confirma en tout son contenu à ces religieux, ainsi que les autres lettres émanées de ses prédécesseurs, de quelque membre de sa famille, ou d’autres personnes, concernant leurs biens (des religieux) 626 . Et en récompense, le couvent donna au sire Aymon deux chars de vin de Bougy (bouyais), valant dix livres et plus 627 .
Messire Aymon accorda à la ville et au mandement de Nyon 628 des libertés et des franchises 629 ; mais on ne connaît ni la date de cette concession, ni sa teneur, la charte de ces franchises n’ayant pu être retrouvée.
Nous avons parlé des contestations de Béatrix, dame du Faucigny, avec le comte de Savoye, au sujet de l’hommage du sire de Prangins. On doit conjecturer des événemens qui suivirent que, dans ces démêlés, Aymon de Prangins fut du parti de Béatrix à qui il paraît avoir prêté hommage, en 1289, pour ce que le sire de Gex affirma être du fief de celle-ci 630 . Il offrit même à cette princesse le fief de son château et de son bourg de Nyon, pour mille livres 631 . /182/ C'était braver le comte de Savoye dont il était vassal pour ce même Nyon, depuis la cession de l’archevêque Oddon au comte Philippe. Sûrement que cette vassalité lui était odieuse et qu’il tâchait d’y échapper 632 . N’oublions pas, d’un autre côté, que ceci se passait peu d’années avant la guerre de l’évêque de Lausanne et des dynastes Vaudois contre Louis de Savoye, sire de Vaud. La punition ne se fit pas longtemps attendre. En septembre 1292, le comte Amédée et le sire de Vaud firent une étroite alliance offensive et défensive 633 et la même année, ils convinrent de subjuguer le sire de Nyon, leur ennemi commun 634 . Ils ordonnèrent /183/ de mettre le siége devant Nyon, Prangins, Bioley et Mont. Nyon devait rester au comte, et les autres terres appartenir à Louis de Savoye, avec reconnaissance d'hommage envers son frère 635 . La chose fut exécutée comme elle avait été convenue; mais, l'entreprise accomplie, la discorde naquit entre les deux princes au sujet de la jurisdiction de Nyon et de Mont 636 . Elle se termina par la cession que le comte fit à son frère (1294, 7 déc.) de Nyon et de l'hommage de plusieurs seigneurs au delà de l’Aubonne (vers Gex), contre les châteaux de Contheys, de Saillon et de Riddes, en Vallais et l’hommage de plusieurs seigneurs de ce pays-là 637 . Béatrix de Faucigny s’arrangea aussi avec le comte de Savoye et lui céda, en 1293 (12 au 16 mai), toutes ses prétentions sur les terres situées au delà du lac et du Rhône, vers le Jura, y compris l'hommage du sire de Gex 638 .
C’est ainsi que la maison de Prangins fut dépouillée de son héritage par celle de Savoye, qui le garda 639 . On ignore si Jean, sire de Prangins, vit ce désastre. Dans tous les cas, lui ou ses enfans y furent compris et firent sûrement cause /184/ commune avec le sire Aymon. Les seigneuries de Grandcour et de Bellerive passèrent aussi dans les mains du comte de Savoye ou de son frère 640 . La puissance de la maison de Prangins fut donc brisée et ne se releva plus. On ignore combien de temps messire Aymon survécut à sa catastrophe. Il n'était pas mort en 1293 641 . Nous croyons le retrouver encore dans cet Aymon de Prangins, que le sire de Thoire et Villars fit comprendre, avec deux autres donzels de ce nom (tous trois ses adhérens dans la guerre qu'il soutenait de concert avec l’évêque de Lausanne et d'autres dynastes du pays de Vaud contre Louis de Savoye), dans la trève de 1297 642 . Aucun document ne fait mention de l’épouse du sire Aymon, ni de ses enfans. Nous en concluons qu’il mourut sans postérité. Passons, maintenant, aux enfans du sire Jean, son frère.
PIERRE ou PERRONET,
SES FRÈRES, SES SŒURS,
ET LA SUITE DE LA MAISON DE PRANGINS.
Pierre de Prangins, donzel, avait à se venger de Louis de Savoye. Aussi prit-il une part active à la guerre que Guillaume de Champvent, évêque de Lausanne et plusieurs dynastes Vaudois soutinrent contre ce prince et dont il a déjà été parlé. Il s'y joignit à Humbert, sire de Thoire et de Villars et aussi d’Aubonne, et ce seigneur fit comprendre les donzels Aymon, Pierre et Jean de Prangins dans la trève de 1297. Ainsi, quoique chanoine de Genève, ce dernier avait pris part à la guerre. On ne sait si Aymon était frère de Pierre, ou le sire dépossédé de Nyon 643 . Le traité de paix conclu entre les parties, par l’entremise du sire d'Arlay, adjugea à Perronet de Prangins une rente (annuelle) de vingt livres qui fut assignée 644 ; et dans le traité /186/ de 1300, cette assignation qui, il le paraît, avait souffert des difficultés, fut de nouveau fixée 645 . Nous verrons qu’alors Perronet n’avait pas perdu l’espoir de recouvrer l'héritage de ses ancêtres. Il n’en était pas de même de son frère Jean. Celui-ci avait fait cession, en 1297, à Louis Ier de Savoye, de ses droits sur Prangins, Bioley, Mont, Grandcour, Bellerive et autres terres de sa famille 646 ; exemple que ses sœurs Brianca et Alyse (femme de Guillaume de Charères) avaient suivi la même année en se conformant à la cession de leur frère. Leur sœur Ancellye n’avait pas agi /187/ de même. A la date du 15 des kalendes d’avril 1299, elle abandonna à son frère Perronet la part qui lui revenait à la succession de Jean de Prangins, son père et d’Isabelle (de Greysi), sa mère, aux châteaux et châtellenies de Mont, de Bioley, de Prangins, de Bellerive, de Grandcour, de Greysi et de Sessens 647 , moyennant deux cents livres d’or, reçues de lui pour sa dot 648 et quinze livres d’or, de rente annuelle, assignées par lui (Perronet) sur le péage de Jougne. Cette cession eut lieu au château de Coppet, dans la chapelle 649 , en présence, entre autres, d’Humbert, frère d’Ancellye 650 . Et quelque temps après (1301, 4 des ides de janvier), le même Perronet, en rénumération de services 651 que sa sœur Ancellye lui avait rendus, lui restitua la part des château et châtellenie de Mont qu’elle lui avait précédemment cédée 652 . Ces deux transactions feraient présumer que le frère et la sœur étaient rentrés en possession de leurs biens. Ce n’était pourtant pas le cas. La maison de Savoye, nous l’avons déjà dit, les garda 653 . Il n’était question que de /188/ droits, imprescriptibles à la vérité, aux choses dont on les avait violemment dépouillés. Encore, valait-il mieux les conserver que de les abandonner comme l’avaient fait leur frère Jean et leurs sœurs.
Perronet de Prangins fut marié deux fois: en premier lieu, avec Alexie, fille de Jean, co-seigneur d’Aubonne, qui était sa femme en 1310 654 ; en second lieu, avec Pernette /189/ ou Perronette de Cheseaux 655 . Celle-ci, femme de Pierre de Prangins, intervient, en 1322 (23 janvier), dans l’hommage de Jean et de Perrod de Cheseaux à l’évêque de Lausanne pour le bois de Vernand 656 .
La maison de Prangins, déchue de son éclat précédent, ne se releva plus du coup que lui avaient porté les princes de Savoye. Les documents se taisent sur sa destinée ultérieure, et l’on pourrait même croire qu’elle avait quitté la patrie vaudoise, ou qu’elle s'était éteinte, si l’on ne trouvait encore un Aymonet de Prangins, en 1382 657 , et deux chanoines de Lausanne de ce nom, Guy et Jean, qui tous deux montèrent sur le siége épiscopal de cette ville. — Guy, docteur ès loix, prévôt du chapitre et exécuteur du testament de l’évêque Aymon de Cossonay, son parent, lui succéda en 1375. Il occupa le siége épiscopal pendant dix-neuf ans, fut conseiller du comte Amédée VI de Savoye et mourut en 1394 658 . Nous avons vu que le sire Louis III de Cossonay l'avait nommé son exécuteur testamentaire. /190/ Ce prélat peut bien avoir été fils de Perronet de Prangins. — Jean de Prangins (on ignore le nom de son père 659 ), chanoine et chantre de la cathédrale de Lausanne, fut élu évêque en 1433 et eut pour concurrent Louis de la Palud, nommé par le concile de Bâle. Environ sept années après (1439 ou 1440), il échangea, avec l'autorisation du pape Félix, l’évêché de Lausanne contre celui d’Aoste, et ainsi George de Saluces, évêque de cette ville, le devint de Lausanne. Jean de Prangins passa ensuite à l’archevêché de Nice 660 . En 1445, il fonda dans l’église de Lausanne, son ancienne épouse, une chapelle en l’honneur de Marie-Madelaine. Il la dota de douze livres de revenu et la pourvut des ornements nécessaires. Ce prélat mourut sur la fin de la même année. Son héritier universel fut Antoine de Prez, chantre de Lausanne, en faveur duquel il avait résigné l’évêché d’Aoste 661 . Nous croyons qu’avec Jean de Prangins s’éteignit l’illustre famille de ce nom. Le sceau de ce prélat et celui de l’évêque Guy, portant tous deux l'aigle, armoirie des Prangins et des Cossonay depuis qu’ils avaient cessé l’emploi de sceaux équestres, prouvent qu’ils étaient issus de cette famille.
DÉMEMBREMENT DU DOMAINE DU CHATEAU DE COSSONAY.
Une esquisse rapide du démembrement du domaine des sires de Cossonay, après leur extinction, nous paraît avoir quelqu’opportunité pour terminer notre travail.
Et d’abord disons quelques mots du château fort de Cossonay, dans lequel ils résidaient. Situé à l’angle nord-est de la ville, sur une élévation, dans le voisinage de l’église de St.-Paul et du prieuré, il était protégé du côté du nord par une côte rapide. Entretenu par les ducs de Savoye pendant le XVme siècle, il se dégradait au commencement du siècle suivant 662 . Cependant, il existait encore en 1531 663 . /192/ Lors de la conquête bernoise, sa dégradation avait fait de grands progrès, et Leurs Excellences voyant la difficulté de le réparer, lui substituèrent 664 , en 1556, l'ancien prieuré, qui tint lieu de maison seigneuriale à Cossonay 665 . En 1574, elles remirent, en fief rural, ce qui en restait 666 . On en voyait encore les masures au commencement de ce siècle.
Lorsqu’en 1472 (2 juillet), Jaques de Savoye, comte de Romont et seigneur du Pays de Vaud, remit l’Isle, Villars-Boson et la Coudre (et aussi Rueyres) à François de Glerens, seigneur de Berchier, en échange des château, châtellenie et mandement de Surpierre, il y ajouta le village de Gollion 667 /193/ et des censes considérables 668 aux villages de Sullens et de Bournens 669 . Les ducs de Savoye aliénèrent successivement les fours 670 et les moulins bannaux de Cossonay, les excellentes prairies connues sous le nom de prés de la cour 671 , et les sept poses environ de vignes que les sires de Cossonay avaient possédées au vignoble de Lutry 672 . /194/
Les aliénations de Berne furent encore plus nombreuses. Peu après la conquête, cet état vendit, sous le ressort du château de Cossonay, à N. Robert DuGard, dit de Fresneville, la commanderie de la Chaux et les membres qui en dépendaient 673 . Ensuite, à titre d’inféodation et principalement par voie d’échange, il remit aux personnes que nous allons nommer les droitures et les revenus seigneuriaux suivans.
En 1587 (17 mars), à N. Robert DuGard, neveu et héritier du précédent, la jurisdiction sur les hommes et les biens qui dépendaient de la commanderie de la Chaux 674 .
En 1594 (20 mai), à N. Benjamin Rosset, bourguemaître de Lausanne, la moyenne et la basse jurisdiction du village de Wufflens-la-ville 675 .
En 1597 (24 mai), à N. François Charrière, possesseur des biens de dame Rose de Cossonay, la seigneurie (c’est-à-dire la jurisdiction haute, moyenne et basse) de Senarclens, les hommages de ce village et les revenus que le château de Cossonay y percevait 676 . /195/
En 1661 (12 avril), à N. Marc de Saussure, mayor ou mestral de Boussens, la jurisdiction et la directe seigneurie que le château de Cossonay avait encore dans ce village 677 .
En 1662 (18 avril), à N. Jn Philippe Rosset, fils de Benjamin, le fief du château de Cossonay à Wufflens-la-ville et l'omnimode et générale jurisdiction de ce village 678 .
En 1663 (28 janvier), à N. Jn François Charrière, coseigneur de Penthaz, les censes et les fiefs du château de Cossonay à Penthaz 679 , ainsi que le tiers de la jurisdiction qu’il y avait 680 . Et en 1665 (20 juillet), au même /196/ Jn François Charrière, le village et les censes de Sullens 681 et les deux autres tiers de la jurisdiction de Penthaz avec tous les droits du château de Cossonay dans ce village 682 . Le tout sous le ressort du château de Morges 683 .
En 1672, à N. Ls Fréd. D'Arbonnier, seigneur de Disy, le droit de dernier supplice dans sa terre, des censes et les deux tiers de la dixme de cet endroit 684 .
En 1673, aux hoirs de N. Albert de Gingins, seigneur d'Eclépends, de Villars et de Lussery, les censes du château de Cossonay dans ces deux dernières localités 685 . /197/
La même année, à N. Jn François Charrière, seigneur de Penthaz, les focages de Chavannes-sur-le-Veyron 686 .
En 1674 (7 juillet), à N. Daniel de Chandieu, seigneur de la Chaux et d’autres lieux, la seigneurie d'Itens, ainsi que les censes de ce village, et cela sous l’hommage de la terre de la Chaux 687 .
En 1721 (22 février), à N. Jn Rod. Thormann, patricien bernois, alors possesseur de Sullens, la jurisdiction de cette terre, qui devait relever dorénavant du château de Morges 688 .
En 1724 (20 mai), à N. César Charrière, co-seigneur de Bournens 689 et de Mex, la jurisdiction de Bournens et le droit de dernier supplice, sous la condition que la terre de Bournens ressortirait du château de Morges 690 . /198/
Et enfin à N. Henry de Senarclens, seigneur de Grancy, le droit de dernier supplice, la part de jurisdiction et les revenus du château de Cossonay dans sa terre 691 .
La ville de Cossonay reçut aussi une large part du domaine de ses anciens seigneurs. Déjà (circa 1550), Berne lui avait remis 692 le bois de Vaud contenant environ trente poses et lui avait permis d’y tenir un forestier 693 . Elle obtint encore, en 1664, la moitié (c’est-à-dire environ cent-quarante poses) de la forêt de Seppey, le glandage sur la totalité de cette forêt 694 , les halles de Cossonay avec le droit des ventes aux foires et aux marchés et la moitié de la mestralie de Cossonay (la ville possédait l’autre moitié par les franchises de dame Jeanne) 695 . Et en 1673 (31 juillet), Berne lui inféoda toutes les censes dûes au château de /199/ Cossonay 696 aux territoires de Cossonay et d'Alens 697 , ainsi que la directe seigneurie des assignaux. Comme cet état était informé du désir de la ville d’affranchir son territoire 698 de censes 699 , voulant contribuer à ce bon dessein 700 il lui accorda l'exemption du paiement des lauds pour opérer cet affranchissement et défendit l'établissement de nouveaux fiefs dans le territoire, tant sur les terres qui auraient été affranchies que sur les anciens franc-à-laud 701 . La ville /200/ profita de ce bon vouloir et fixa l’année suivante (6 nov.), à un taux modéré, l’affranchissement des censes qui se trouvaient dans ses mains et dans celles de l'hôpital 702 .
La spécification que nous avons donnée ne comprend que les principales aliénations des biens du château de Cossonay.
Nous ne passerons pas sous silence une autre de ces aliénations, celle de la taillabilité. A l’occasion du renouvellement des extentes du château de Cossonay et sur la supplication que leur en adressèrent ceux des ressortissans immédiats de ce château qui étaient de condition taillable, ou qui tenaient des biens sous hommage taillable 703 , Leurs Excellences affranchirent, en 1574, les personnes et les biens de la taillabilité, et cela moyennant la finance 704 de dix florins par individu taillable de naissance et de semblable somme pour chaque cent florins du capital de ses biens. Ceux de condition libre, mais qui tenaient des biens taillables, payèrent aussi le dix pour cent du capital de ceux-ci. Et pour marque du changement de la condition taillable en condition libre et censière, chaque pose de leurs biens fut chargée de la cense annuelle d’un, de deux, ou de trois deniers 705 . /201/
Quant aux démembremens du ressort du château de Cossonay, il y en eut aussi beaucoup. Nous avons déjà indiqué (note 326 et suivante) les démembremens des seigneuries de Vuillerens et de Colombier, élevées par le duc Amédée VIII au rang de seigneuries de bannière. Les ducs de Savoye et surtout Berne, souverains du pays de Vaud et en même temps seigneurs de Cossonay, mirent moins d’intérêt que les anciens sires à conserver le ressort intact. Il leur était assez indifférent que tel fief relevât du château de Cossonay plutôt que de celui de Morges. Aussi, plusieurs hommages se perdirent-ils peu à peu pour le premier, entre autres ceux des maisons fortes de Mex et d’Echichens, du fief de Sauveillame et bien d’autres encore. La négligence que les commissaires apportèrent parfois dans la stipulation des reconnaissances des fiefs, peut avoir contribué à ce résultat aussi bien que les changemens de mouvance apportés par le souverain même et qui avaient pour cause une répartition territoriale plus naturelle, ou plus à sa convenance. Lors de la révolution de 1798, le corps de la baronnie de Cossonay se composait encore de la ville de ce nom et des communautés de Penthallaz, de Penthaz, de Bournens, de /202/ Sullens, de Boussens, de Senarclens, de Grancy, de la Chaux et d'Itens, de Disy, de Lussery et de Villars-Lussery 706 .
APPENDIX.
Quelques notions sur le sujet que nous avons traité nous étant parvenues trop tard pour être insérées dans notre manuscrit, nous les ajoutons ici.
En 1245, Guillaume, comte de Genevois, engagea à Jean de Cossonay, évêque de Lausanne, sous grâce de rachat et pour soixante livres, le fief qu’il avait à Aubonne 707 .
L’année suivante (1246) l’évêque Jean de Cossonay se trouvait à Besançon, à l’élévation des reliques des saints Ferréol et Ferrut 708 . Cette circonstance nous explique pourquoi ce prélat fut présent à l’hommage que le sire Humbert de Cossonay, son frère, prêta à l’archevêque Guillaume, pour la ville de Nyon et autres choses.
En 1257, le même évêque confirma les donations qu’avaient faites à l’abbaye de Fontaine-André Thierry de Pontareuse et Turumbert, dit Valet, bourgeois de Neuchâtel, de dixmes situées à Rosey, Montésillon et Fréterades. Cette /204/ confirmation est datée d’Orbe, le dimanche après la St.-Nicolas 709 .
Humbert, sire de Cossonay, frère de l’évêque Jean, vivait encore en avril 1252. Alors Renaud, Guillaume et Jean, co-seigneurs d’Estavayer, composent avec Girard et Lambert de Gorgier, damoiseaux, Jean, leur neveu, et leurs aidans, au sujet de plusieurs hommes qui avaient été entr’eux un sujet de discorde. Ils conviennent que, si ces hommes, appartenant aux sires d’Estavayer, causaient du dommage aux damoiseaux de Gorgier, ceux-là (les sires d’Estavayer), d’accord avec H. (Humbert), sire de Cossonay, seraient tenus d’en donner satisfaction entre les mains de Rodolphe, fils du comte de Neuchâtel 710 .
Le dernier jour de janvier de l’année 1300, Guillaume (de Champvent), évêque de Lausanne, Amédée, comte de Genève, Humbert, sire de Thoire et de Villars, Gautier de Montfaucon, sire de Villaufans, Jean, sire de Cossonay, Pierre, co-seigneur d’Estavayer, Othon, sire de Grandson, Pierre, sire de Belmont, Pierre, sire de Champvent, et Etienne de Baulmes, châtelain de Champvent, firent une alliance offensive et défensive contre Louis de Savoye, sire de Vaud, « avec plusieurs conditions d’agir. » Ils apposèrent leurs sceaux à ce traité 711 , qui nous offre une preuve nouvelle /205/ du peu d’effet produit par la prononciation du sire d’Arlay, laquelle avait eu pour objet de terminer la guerre de l’évêque et de ses alliés contre Louis de Savoye. Il nous donne aussi l’explication du nouveau traité de paix, que le comte Amédée de Savoye moyenna quelques mois après entre les parties et dont il a été parlé.
Marguerite de Sarbruck ou Salabruche, femme de Louis de Cossonay, sire de Berchier, chevalier, lui avait apporté une dot de six mille florins 712 . Tous deux, en 1365, donnent quittance au comte Henry de Montbéliard, leur cher seigneur et oncle, d’un écrin ferré, auquel escrinet était une certaine somme de florins, que Marguerite lui avait remis en garde et qu’il a restitué 713 .
En 1373 (juin), Louis de Cossonay, sire de Berchier, chevalier, fut l’une des cautions de Louis, seigneur de Montjoie, envers Thiebaud (VII), seigneur de Neuchâtel (en Bourgogne), promettant en son nom qu’il ne se vengerait ni par lui, ni par les siens, de la détention que lui avait fait subir Jean, évêque de Bâle, dans le château de Blamont; que si le contraire arrive, il promet de se rendre en otage à Lille-sur-le-Doubs, à Blamont ou à Neuchâtel, en personne, avec deux chevaux et à ses frais 714 .
Ce fut le même Louis de Cossonay, sire de Berchier, qui fut le mandataire de Guillaume de Grandson, sire de Ste.-Croix et d’Aubonne, pour recevoir du comte Etienne de Montbéliard la somme de quatorze mille florins d'or, que celui-ci lui devait, ensuite d’un traité conclu par l’intervention /206/ d’Amédée VI, comte de Savoye, pour l’abandon de ses prétentions sur les terres d’Orbe et autres de la maison de Montfaucon dans l’Helvétie romande. La quittance de Guillaume de Grandson porte la date du 21 avril 1381 715 . Il avait déjà reçu quelques jours auparavant (16 avril), pour le même objet, la somme de deux mille florins d’or que le comte de Savoye lui avait payée à la décharge du même comte de Montbéliard 716 . Les prétentions du sire de Ste.-Croix et d’Aubonne sur les terres et seigneuries d’Orbe, Echallens, Montagny et Boutain, provenaient du chef de Jaquette de Grandson, sa parente, femme de Gérard de Montfaucon et mère de Jean de Montfaucon, le dernier de sa branche, mort sans enfans en 1372. Ce Jean était cousin germain d’Etienne de Montfaucon, comte de Montbéliard 717 .