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Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande

Edition numérique

Félix CHAVANNES

Le Mireour du Monde,
Manuscrit du XIVe siècle
découvert dans les archives de la
Commune de La Sarra

Dans MDR, 1845, tome 4, p. 1-279

© 2019 Société d’histoire de la Suisse romande

 

LE MIREOUR DU MONDE

MANUSCRIT DU XIVe SIÈCLE
découvert dans les archives de la Commune de La Sarra,
et reproduit avec des notes par Félix Chavannes, V. D. M.
Membre de la Société d'histoire de la Suisse romande

 

LAUSANNE
LIBRAIRIE DE GEORGES BRIDEL, ÉDITEUR. 1845.

 


 

/1/

CI COMMENCE LE MIREOUR DU MONDE.
ET, PREMIÈREMENT, DES DIX COMMANDEMENS DE LA LOY, DONT LES TROIS PREMIERS NOUS ORDENNENT A DIEU, ET LES AUTRES SEPT A NOUS PROISMES 1.


Le premier Commandement que Dieu commanda est tels: TU N'AURAS MIE DIVERS DIEX; c'est à dire: Tu n'auras Dieu se moi non, ne 2 aoureras ne serviras; et ne mettras mie ton espéranche fors en moy. /2/ Quer chil qui met son espéranche principalment en créature, péche mortelment et fait contre cest Commandement. Tels sont cheus qui aourent les ydoles, et font leur diex de créatures queles que eles soyent.

Contre chest Commandement péchent cheus qui trop aiment leur trésor, or ou autres choses terriènes; et qui, en ches choses trespassans, mettent tant leur cuer et leur espéranche, que il en oublient leur créateur et laissent, qui tous ches biens leur a prestés. Et pour che, le deussent servir et merchier, et, seur toute chose, amer et honourer —. Voylà comme chest premier Commandement nous ordonne. —


Le secont Commandement 1.

Le secont Commandement est tel: TU NE PRENDRAS MIE LE NON DE TON DIEU EN VAIN. Et cest à dire: Tu ne jureras mie pour nient, et sans bonne cause. /3/

Chest meismes deffent nostre Sire en levangile, que on ne jure ne par chiel, ne par terre, ne par autre créature. Mais en bonne cause puet-on jurer sans péchié: comme en jugement, où on demande serment de vérité: ou, hors de jugement, et en autres bonnes causes et honnestes et pourfitables. En autre manière ne doit-on mie jurer.

Et pour che qui jure, sans raison, le nom nostre Segnour, et pour nient; se il jure faus, à son ensient 1, il se perjure, et si, fait contre chest commandement, quer il jure contre sa constience. Et est à criendre, quant on se perjure apenséement et à délibération.

Mais qui jure, voir à son ensient, et toutevoies, pour nient ou pour aucune malvaise raison, nenne malicieusement, mais légièrement et sans blaphème, il péche vénielment. Mais la coustumanche est périlleuse, et pourrait bien tourner à péchié mortel cui ne sen garde. Dont, cheli qui jure horriblement de nostre Segnour ou des Sains, et les despite 2 ou en dit blaphème que ne tarde mie à recorder, péche mortelment; ne il ne puet mie dire raison qui l'en puist escuser. Et cheus qui plus la coustument, plus péchent. /4/


Le tiers Commandement

Le tiers Commandement est tels: GARDE QUE TU SAINTEFIE LE JOUR DU SAMEDI. Chest à dire: tu ne feras nule de tes besoignes ne de tes ouvraiges que tu seuls 1 faire as autres jours. Mais tu te reposeras et garderas, pour miex entendre à prier et à servir ton Créatour qui se reposa au septisme jour des euvres que il avait faictes es six jours devant, es quies il labeura et ordena le monde. Chest commandement accomplist espérituelment chil qui garde à son povoir la pais de la conscience pour Dieu servir plus sainctement. Dont chest mot Samedi, que les Juis appelent Sabbat, vaut autant comme repos.

Chest Commandement ne puet garder espérituelment qui est en conscience de péchié mortel; quer telle conscience ne puet estre à pais, tant come elle soict en tel estat. En lieu de Samedi qui estroitement estait gardes en la vies loy, establi Saincte Eglyse le Dyemenche à garder en la nouvel loy; quer nostre Sire i resuscita de mort à vie. Et pour che, le doit on garder saintement, /5/ et estre en repos des œuvres de seur-semaine, et plus des œuvres de péchié, et entendre plus as œuvres espérituel et au service nostre Seignour, et penser à son Créateur, et li prier et merchier de ses biens. — Et chil qui brisent le diemenche et les autres festes sollempniex qui sont establies en Saincte Eglyse, péchent mortelment. Quer il font contre le Commandement de Dieu devant dit, et de Saincte Eglyse. He! ce n'est par aucune necessité que Saincte Eglyse otroie; mais plus péchent cheus qui employent le Diemenche et les festes en péchié, en lécheries et en autres outrages contre Dieu.

Ches trois Commandemens nos ordennent à Dieu espéciaument.


Le quart Commandement.

Le quart Commandement est tel: « HONNEURE TON PÈRE ET TA MÈRE, QUER TU EN VIVRAS PLUS LONGUEMENT SEUR TERRE ». Chest commandement nos amoneste que nos nos gardons de courrouchier père et mère à enstient; quer chil qui deshoneure père et mère à tort ou les maudit ou leur nuist par malice, péche mortelment, et brise chest commandement. /6/

En chest meisme Commandement est entendu lonneur que nos devons porter à nos pères esperituels: chest à cheus qui ont la cure de nos enseigner et de nos cors garder. Et chil qui ne veut obéir à cheus qui ont la cure de li, quant il ensegnent le bien que on est tenu afaire, péche griefment; et che puet estre inobédience qui est péchié mortel.


Le quint Commandement.

Le quint Commandement est tel: « TU NOCHIRAS MIE » —. Chest Commandement deffent que li uns nochie mie lautre par venjanche, ne pour le sien avoir, ne pour autre mauvaise raison, quer cest péchié mortel. Mais ochirre les malfaiteurs pour justise faire et garder, et pour autre bonne cause, loist 1 bien selonc la loy à cheli qui faire le doit et tenu y est. En chest commandement est deffendu péchié de haine et de rancune, et de grande ire; quer ainsi dist lescripture: « qui het son frère, il est homicide, quant est de sa volenté; et /7/ péche mortelment chil qui porte ire vers autri longuement. Quer, tele ire, longuement tenue et envieillie en cuer, est rancune qui est péchié mortel, et est contre chest Commandement. Et encore péche plus chil qui fait ou pourcache honte ou dammage à autri à tort, ou est à conseil ou en aide de murdre, pour li venjier. Mais ire ou indignation qui passe légièrement, sans parfaite volenté et sans consentement de nuire à autri, n'est mie péchié mortel.


Le sixisme Commandement.

Le sixisme Commandement est tel: « TU NE FERAS MIE AVOUTRIE »: chest à dire, que tu ne dois mie avoir compaignie carnelment autri fame. En chest commandement nous est dévéé 1 péchié de char que on appelle généraument luxure, qui est lun des sept péchiés mortieux. Ja soit che chose qu'il y ayt aucunes branches qui ne soient mie péchiés mortiex, si comme sont maint mouvements de char, que on ne puet mie du tout eschiver; /8/ et cheux, on doit restraindre et réfréner tant comme on puet, nenne eux nourrir ne pourcachier par outrage de bouire et de mengier, ne par mauvaises pensées trop longuement tenues, ne par mauvais attouchemens; quer en teles choses peut avoir péril. En chest Comandement est dévéé tout péchié contre nature, en quelconque manière qu'il soit fait, ou en sa propre personne, ou en autre.


Le septisme Commandement.

Le septisme commandement est tel: TU NE FERAS MIE LARRECHIN. Chest Commandement nos dévée à prendre et à retenir autri chose par mauvaise raison, quele que ele soit, contre volenté de cheli à qui ele est. En chest commandement est dévéé rapine, usure, et bareter 1 autri, pour le sien avoir. Et chil qui font contre chest Commandement sont tenu à rendre che quil ont de lautri mauvaisement, se il sèvent à qui; et se il ne sèvent à qui, il sont tenu à donner pour Dieu, et à /9/ faire par le Conseil de Sainte Eglyse. Quer, qui retient lautri à tort, par mauvaise raison, il péche mortelment s'il ne le rend là où il doit, s'il le set et le puist faire; ou, s'il ne le set, par le conseil de Saincte Eglyse.


Le huitisme Commandement.

Le huitisme Commandement est tel: TU NE DIRAS NUL FAUS TESMOIGNAGE ENCONTRE TON PROISME —. En chest Commandement nos est dévéé que on ne mente, ne ne parjure, ne en jugement, ne hors jugement, pour nuire ne pour aider à autri, et que on ne mesdie d'autri, en cause de lui empirier sa bonne renomée ou la grace qu'il a, quer chest péchié mortel. Et contre chest Commandement font chil qui mesdient des preudommes par derrière à bon ensient, par malice, que on appelle péchié de détraction. Et chels aussi qui loent les malvais et les fols de leurs mauvaisetiés et de leurs folies seues, veues et oïes; qui est apelé péchié de adulation ou de losenge, quant on leur dit en leur présence fauseté ou menchonge, et quant chil de qui on parle n'est présent; quer tous tels sont faus tesmoins.


/10/

Le neuvisme Commandement.

Le neuvisme Commandement est tel: TU NE DÉSIRERAS MIE LA FAME TON VOISIN PROISME, NE NE CONVOITERAS EN TON CUER — Chest à dire: Tu ne convoiteras mie à faire péchié de ton cors. Chest Commandement dévée désirier et consentement d'avoir compagnie carnelment à toutes femmes hors de mariage. Et la diférence de chest commandement et du sixisme si est, que le sixisme commandement dévée le fait par dehors, mais chestui dévée le consentement par dedans. Quer le consentement d'avoir compaignie à femme qui n'est sienne par le mariage, est péchié mortel, selon la Saincte Evangile qui dit: Qui voit femme et la convoite en son cuer, il a ja péché en ce de cuer. Chest chi à entendre de consentement après pensée 1.


/11/

Le dixisme Commandement.

Le dixisme Commandement est tel: TU NE CONVOITERAS CHOSE QUI SOIT A TON PROISME. Chest Commandement dévée volenté d'avoir autri chose par mauvaise raison. En chest Commandement est dévéé envie d'autri bien ou d'autre grace; quer tele envie vient de mauvaise convoitise; et le convoitement chertain et apensé est péchié mortel, et contre chest commandement.

Mais convoitise légière d'avoir autri chose, par bonne raison, n'est mie péchié mortel. Et se il a aucuns mouvemens mauvais, sans volenté et sans consentement de damagier autri, n'est mie péchié; et se il i a péchié, il est vénial, chest-à-dire, digne de perdon.


/12/

/13/

CE SONT 1 LES DOUZE ARTICLES DE LA FOI CRESTIANE.

Chi commenchent les articles de la foy crestiane, que chascun crestien doit croirre fermement, que autrement il ne puet estre saus 2, puisqu'il a sens et raison.

Et sont douze, selonc le nombre des douze Apostres qui les establirent à tenir et à garder, à tous cheux qui /14/ veulent estre sauvés; dont le premier appartient au Père, les autres deux ensuivans au Fix, le quart au Sainct Esperit. Quer chest fondement de foy, croirre en la Saincte Trinité: chest, el Père, el fils, el Sainct 1 Esperit, un Dieu en trois personnes. Or sont contenu ches articles el credo que les douze Apostres firent, dont chascun i mist du sien. 2


Le premier Article.

Le premier article est tel: « Je croi en Dieu, le Père tout-puissant, Créateur 3 du chiel et de la terre » — En che doit on entandre qu'il fist les créatures qui sont au chiel et en terre. Chest article i mist Sainct Pierre 4.


/15/

Le secont Article.

Le secont apartient au fils, quant à sa déité ou essence; chest à dire, en che que il est, et est tel. — Je crois ihucrist nostre Segnour fils Dieu le père. En chen doit-on entendre et croirre que il est semblable et égal à Dieu le père, en toutes choses qui apartiennent à la déité; et est une meisme chose avec le père, fors la personne, qui est autre que la personne du père —. Et chest article y mist Sainct Johan l'Evangelistre — .


/16/

Le tiers Article.

Le tiers article, et les cinq autres après qui ensièvent, apartiennent au fils selonc Sumanité; chest à dire, selonc che que il est homme, et prist vraiement nature d'omme mortel. Dont el dit article est contenu que il fut conchu par l'euvre et par la vertu du Sainct Esperit, nenne par l'euvre d'omme. Mais que la Virge Marie tousjours fu virge et enterine, et avant, et après. Chest article i mist Sainct Jaques le frère Sainct Johan —


Le quart Article.

Le quart article apartient à sa passion; chest-à dire, que il soufri sous Ponce-Pilate, qui estait payent et Juge en chel temps en ihérusalem, de par les Romains. Sous cheli, fu ihucrist jugié à tort et mis el sépulcre. Chest article i mist Sainct Andrieu.


/17/

Le quint Article.

Le quint article si est, que il deschendi en enfer après sa mort, pour trairre et délivrer les ames des Sains pères, et de tous cheux qui, dès le comenchement du monde, moururent en bonne foy et en espéranche quil serait sauvé par li. Quer, pour le péchié du premier père, convenait que tous deschendissent en enfer, et là atendoient les bons en chertaine espéranche que ihucrist le fils Dieu les vendrait délivrer, selonc che que il avait promis par les prophètes. Et pour cheste raison veut-il, après sa mort deschendre en enfer; chest à entendre, en chele partie oû li Sains estaient, nenne en chele partie oû li dampnés estoient, qui estoient mort en leurs péchiés et en leurs mescréandises. Jcheus n'osta-il mie; quer il sont dampnés perdurablement. Chest article i mist Sainct Phelippe 1.


/18/

Le sixisme Article.

Le sixisme article est de la résurection — chest que, au tiers jour de sa mort, pour acomplir les Escriptures, resuscita de mort à vie, et s'aparut à ses desciples, et leur prouva sa resurrection en moult de manières. Chest article i mist Sainct Thomas — .


Le septisme Article.

Le septisme est que, au carantisme jour de sa résurection, quant il ot mengié avec ses deciples, devant els tos monta es chiex, chest à dire, seur tous les chiex. Chest de seur toute créature qui est es chiex, jusques à la destre Dieu le Père oû il siet. Chest article i mist Sainct Bartelemieu.


/19/

Le huitisme Article.

Le huitisme article est, qu'il vendra jugier les vis et les mors au jour du jugement, et les bons et les mauvais, et rendra à chascun selonc che qu'il ara déservi en chest siècle —. Che sont les articles qui apartienent au Fis. Chest article i mist Sainct Mathieu — .


Le neuvisme Article.

Le neuvisme article, et les autres après, apartienent au Sainct Esperit. Chest article est que, nos devons croirre que le Sainct Esperit est l'amour et le don du père et du fils, de qui nous vient tout le bien de grâce. Qu'il est un meisme Dieu, une meisme chose avec le Père et le Fis. Chest article i mist Sainct Jaques, le frère Sainct Symon 1.


/20/

Le dixisme Article.

Le dixisme article est tel: Je croi saincte Eglyse général et la communion des Sains, et de tous les prudommes qui sont et seront, jusques en la fin du monde, assemblés en la foy iuchrist. Et en chest article sont entendus les sept sacremens de Sainte Eglyse: baptisme, confirmation, le sacrement de l'autel, pénitenche, ordre, mariage, la saincte derraine unction. Chest article i mist Sainct Symon.


Le onzisme Article.

Le onzisme article est croirre remission de péchiés, que Dieu donne par la vertu des saincts sacremens de Saincte Eglyse. Chest article i mist Sainct Jude, le frère Sainct Symon 1 — .


/21/

Le douzisme Article.

Le douzisme article est croirre la général résurrection des cors, et la vie perdurable; che est la joie de paradis que Dieu dourra à cheus qui le serviront par foy, et par bonnes euvres.

Chest article donne à entendre son contraire: chest la paine perdurable que Dieu a appareillée as dampnés.

Chest article doit estre entendu en tele manière: que chascun, soit bon, soit mauvais, sera au jor du Jugement resuscité de mort à vie, en son propre cors où il ara vescu, et rechevra son guerredon en cors et en ame, selonc che que il ara deservi en cheste vie. Et pour che, seront les bons glorefiés en cheli jour, en cors et en ame, en vie perdurable. Et les mauvais seront dampnés perdurablement en cors et en âme. Et qui che ne croit pas, il est en péril d'avoir dampnation, et du cors, et de l'ame. Chest article i mist Sainct Marc l'Evangelistre 1.


/22/

/23/

CI COMMENCE DES VICES QUI SONT LES SEPT PÉCHIÉS MORTIEX, ET PREMIÈREMENT EN GÉNÉRAL, ET APRÈS, EN ESPÉCIAL, DE CHASCUN, ET DES BRANCHES QUI EN NAISSENT. ET CHASCUN LES DOIT SAVOIR.

Qui ne donne que aime, ne prent que desire. Joie, lééche et bonne vie voudrait chascun avoir, et le desire. Et nul ne veut la mauvaise vie laissier. Nul n'est si fol qui ne donast volentiers mauvaise robe pour bone; et toutes autres choses dourrait-on volentiers, le mauvais pour le bon, et un mauvais cuer pour un bon, et une mauvaise ame pour une bonne. Et pourcoi ne donez /24/ vous une mauvaise amour pour une bonne? Fol! dit le sage: que t'a meffait ton âme! Pour quoi la hes tu si cruelment? Qu'est-il en ton hostel que tu ne voussisses avoir bon, se n'est une femme, ne enfans, ne cote, ne chemise non noir, ne chauces, ne chauçons? Et pour coi ne veus tu ainsi avoir bone amour et bone vie? Tu ne prises nient plus ton âme que un mastin, en regart de tes euvres.

La bonne amour fait bon le cuer; la bone vie fait bone l'âme. Pour che, te di, et te loe, et te pri, que se tu veus à bien venir, et avoir paix et joie, et lééche en che siècle et en l'autre, si pren au comenchement bien garde à cui tu done l'amour de ton cuer. Quer chest le plus bel trésor que tu aies. Qui ton amour a, il a ton cuer; et qui ton cuer a, il a quenques tu as. Si comme on seut dire: « qui le vilain a, il a la proie » Pour che, demande Dieu ton amour.

L'amour si est comme la rachine de l'arbre; et si, comme Dieu dit en l'Evangile: de bon arbre, bon fruit: aussi, de mal arbre, mal fruit. Ainsi de bonne amour, bonne vie, et de mauvaise amour, mauvaise vie. Pour che dist bien St Augustin « que vertu est amour bien ordenée. »

L'une amour est charïté, qui est rachine de touz biens. L'autre, convoitise, qui est rachine de touz maus. L'une aemplist le chiel oû sont les esleus, l'autre aemplist enfer oû n'a amour ne ordenanche.

De ches deux rachines naissent deux arbres, dont li /25/ un est dit arbre de vie, pour che que son fruit donne vie, et la garde sans mourir. L'autre si est appelé arbre de mort, pour che que son fruit donne mort qui ne puet mourir. Ce nous monstre bien Adam et Eve qui des arbres ne voudrent gouster, ains mangièrent de l'arbre deffendu, et mourir les convint, et leurs hoirs après eux.

De ches deux arbres te veul-je monstrer, à l'aide de Dieu, les grans branches et les getons, et la nature et la vertu des deux arbres et des fruits, pour che que tu eslises le bon, et le mauvais fuies et hées; et c'est la première lechon qu'il convient scavoir, qui cheste clergie veut aprendre: chest à savoir son cuer garder, et joie avoir et bonne vie mener.

Quer le commenchement de vraie joie et de bonne vie, est pais de cuer, si comme je t'ai devant dit, et seurté de conscience. Et tu ses bien que un grant Roy, qui veut que ses royaumes soit bien gardés, et en pais et en joie, à trois choses penser li convient: premièrement, à ses anemis desconfire et mestre sous pié, les mauvaises lois de sa terre abatre, et après, affirmer ses chastiaux et bien garnir; après, faire droict, et tenir droicture.

Hé! certes, grand Royaume garde qui son cuer garde, qui est plus grant que tout le monde; et grant Roy est qui bien le sait garder.

Nos anemis sont les péchiés; les mauvaises loys, si comme dist St Pol, sont les vices du cuer et du cors. Nos forterèches sont les vertus. Les garnisons de chest chastel sont les bones euvres. Qui veut vivre hautement /26/ comme Roy, primes li convient les péchiés destruire, les vices du cuer abattre, qui sont les mauvaises coustumes. Après, firmer son cuer de bones vertus, qu'il n'ayt garde de nient qui l'y puist troubler le cuer, et garnir de bones euvres. Après, tenir justice, que larrons ni males gens n'y sourdent, et puis vivre en bone pais et en bone joie, comme fist le sage Salemon; et ainsi a il le Règne Dieu en li, chest à dire, le commenchement de chele vie qui nos maine el règne de Paradis. Et Saint Pol dist « que che n'est pas boire ne mengier, mais justice et pais et joie en Saint Esperit ». C'est à dire: justement vivre, et en béle pais et joie en Saint Esperit, nenne qui viègne du monde ne de la char. Quer qui pris est a pais, pour che que le monde veut et que sa char requiert, c'est laide pais et doloreuse joie. Aussi comme il est de cheli qui pour che a pais que il s'est rendu à ses anemis. Mais de belle victoire vient belle pais. Or comment vaincra ses anemis, qui ne les connaist? Pèrilleusement va en batalle, qui ne connoist ses adversaires. Premièrement doit ses anemis conoistre, et puis, mestre poine à eux destruire. Et qui veut faire un bel vergié en un lieu plain d'orties, premièrement li convient les mauvaises herbes oster, et les mauvaises rachines estirper, puis les bones entes planter. Cuer bien afaitié est comme délicieux vergié. Mais le cuer du pécheur, si comme dist Salemon, est aussi comme une gaste vigne, et un champ désert plain d'orties et de ronches.


/27/

La male rachine, si comme je t'ay dit, est amour laide et désordenée. Ceste rachine gète plus de branches de péchié que on ne pourrait nombrer. Quer male herbe croist volentiers. Ce sont les tisons du feu d'enfer, quant ils sont mortiex, ou de peurgatoire quand ils sont véniaux. Dont il avient que l'arbre de péchié a plus de getons que li arbre de vertu; quer, en plus de manières on puet forvoyer que droit aler, et mestraire, que à droit traire. Les sept branches principaux qui de la male rachine naissent, chest les sept vices principaux ou capitaux, desquels issent 1 tous les péchiés que on fait.

Le premier vice est ORGUEL, et les autres sont ENVIE, PARECHE, IRE, LUXURE, AVARICE et GLOUTERNIE. Toutes ches branches issent d'amour désordenée, et de mauvais desir. Li orguelleux désordenéement desirent li autéche. Li envieux, autri damage. Li yreux, qui fel sont, desirent d'autri venjanche. Li parêcheux, repos et oyseuse. Li avers, avoir. Li luxurieux, dêlice de rains. Li glous, délit de gueule.

Quant chest amour est si grant, et chest desir est si grant et si ardant qu'il passe l'amour de Dieu, et fait trespasser les commandemens de Dieu, adont est-il apelé péchié mortel. Quer il tue l'âme, et li tolt 2 sa vie, che est Dieu, qui est la vie de l'ame, aussi comme l'âme qui est la vie du cors. /28/

Péchié mortel est guerre mortel; et qui le fait, il a guerre mortel contre Dieu emprise. Et pour che, est-il apelé mortel.

Ches sept desirs, et ches sept manières d'amours sont pour che désordenées, que li homs aime che que il ne devrait mie aimer plus que chen que il devrait aimer.


De Orguel, et des autres.

Orguel fut le premier péchié qui onques fust, et pour che, est-che le comenchement de tous péchiés; quer orguel si brisa premièrement compagnie et ordre, quant Lucifer li angie, pour sa grant biauté et pour son grant sens, volt estre dessus les autres angies; et il fu Déable, et toute sa compaignie.

Encor li ressemblent li orguelleux qui compaignie et ordre deffont et brisent, quant il veulent estre dessus les autres, et plus estre loés et prisiés que les autres qui miex valent. Dont li orguelleux et li envieus aiment che que il ne doivent point aimer, et desirent che que il ne devrait mie desirer, chest à dire, mal ou abaissement de leurs proismes. /29/

Li parecheus aiment poi 1 che que il devrait molt amer, chest Dieu, pour qui il ne veut faire ou poi, ou nient: DIEU à cui il devrait servir de tout son cuer et de tout son povoir, et amer de toute sa vertu.

Li aver, et li lécheur, et li glout de gueule, et li lécheur de cors ont amour désordenée; quer il aiment trop che que il devrait poi aimer, chest le délit de char et les biens temporeus.

Mais, quant ches desirs et ches amours ne sont mie si grans que ils passent l'amour de Dieu, si comme il avient quant on quiert son preu ou son délit, ou honeur au monde, mais ne mie si ardaument que on veuille les commandemens Dieu trespasser; che apèlons-nous péchié vénial, chest-à dire péchié perdounable. Quer pour tex 2 pèchiés, on n'est mie dampné, se la mauvaise amour ne monte plus haut. Mais il seront molt chier comptés ou en chest siècle, ou en l'autre. Et pour nos chastier et retraire de ches péchiés et de ches amours, nous bat Dieu, et nous envoie maladies, meschéances, et nous soustrait les biens temporeus.

Chascune de ches sept branches, quant le Deable les peut planter en cuer, croist et espant et molteplie sans mesure et sans nombre, et devient aussi comme un rousoi ou un espinoi, ou comme une vigne qui est gaste, /30/ qui porte venin en lieu de vin. Qui veut donc sa vie amender et son cœur appareiller, primes li convient les ronches, chest les péchiés, rentrenchier à la sarpe de la langue de confession; et les mauvaises rachines, et les mauvaises accoutumanches, et les mauvais désiriers du tout extirper; et tantôt, le bon gardignier ihucrist y plantera bonnes entes: ce sont les bonnes vertus.

Qui ches sept branches et les getons qui en naissent ne connaist, ja ne pourra se à droit confesser, ne son cuer parfaitement espurgier ne espuisier; ne sara de quoy il doit à Dieu merchi crier, ne de quoy il le devra merchier. Et pour che, te veuil ichest mireour monstrer, que tu ti puisse souvent mirer, et les taches de la fache de ton cuer soutilment raviser; et saches tes défautes amender et tes péchiés ramembrer, en remirant ta conscience; et toi plainement confesser, et ta vie et ton cuer ordener; et que tu soies si mirés en tous costés, que tu voies tous tes fais aussi plainement que tu verroies ta fache en un miréour. Et pour che doit-on apeler cest livre le mireour du monde, pour che que on i mire ses péchiés. Or te pri-je pour Dieu, si chier comme tu as le salut de ton ame, que tu métes très bien ton cuer à entendre et à écouster. Et quant tu orras aucun vice ou aucun péchié dont ta pensée te repregne, connais ton meffaut, et crie à Dieu merci. Et des autres que je te montrerai, dont Dieu te garde, rent li graces et merchis, et le loe de cuer.


/31/

Ci parole d'Orguel, en espécial 1.

La première branche de la male rachine dont j'ai premier parlé, si est orguel. Orguel si est l'aisnée fille au Déable. Qui ceste fille a, grant part a en l'éritage au déable. Orguel het Dieu et le guerroie de tous les biens que Dieu li a donnés; et Dieu abat orguel et het, et tous les Sains le héent.

Orguel est royne des vices, et mère et nourrice; quer èle garde, nourrist et deffent tous les autres vices. Quer nul pèchié n'est du tout sans orguel, ou sans irrévérence, ou sans despit.

Orguel destruit très-tous les biens que li homs a, et toutes les graces, et toutes les bonnes euvres; quer elle fait d'aumosne péchié, et de vertu vice. Et des biens Dieu, dont on devrait acquerre le chiel, elle fait aquerre l'enfer. L'esprit d'orguel est le premier qui assaut le chevalier Dieu, et cheli qui derrain le laisse. Quer quant il a tous autres vices vaincus, adont l'assaut orguel de ce meisme.

Orguel aveugle l'homme si que il ne se connaist point, /32/ ne ne voit; et si entièrement l'aveugle, que il monstre son orguel par tout: et quant tout le monde le voit, il seul ne le voit ne ne connoist, quer si l'assote du tout. Quer cors et ame il met à essil, et destruit pour nient et pour mains que nient; c'est pour le vent de vaine gloire.

Orguel est le fort et le précieux vin au déable, dont il enyvre les haus hommes, et les biaux, et les sages, et les riches. Ce n'est mie vin à garchonnier, ne à maisine, ne à piétaille 1; mais de grands Ségneurs qu'il en yvre et conferme en leur erreur, si que ne se connaissent point, ne ja à droit ne se confesseront. Et comment ara ja vraie confession, qui son meffait ne connoist point, ne ne voit quant on li dist? Quer che véons-nous toute jour, que une personne qui tout son avoir, et son cors, et son povoir met en beuban 2 et en vaine gloire aquerre, « Je fuys li homs » fera-il du monde où il y a mains d'orguel. Et qui bien regarde à son atour, et à son hostel, et à ses despens, il n'y voit fors vanité et beuban; dont chest la plus périlleuse maladie des autres. Quer il est en molt grant péril à cui tout triacle 3 est tourné en venin. Ainsi fait doctrine et chastiement à l'orguelleux. Et plus le chastie-on et blasme, plus se deffent; quer il dit, ou, « Je ne le fais mie pour mal »: ou « Je ne le cuidoie mie /33/ faire »; ou, « Je ne crerrai ja que ce soit péchié; ou, « Ce chest mal, n'est-ce pas grant mal; à cestui mal fussent ore tous nos maus atournés! » —. Ou il dit « Se je fais mal, encore fait celi pis »; ou « Ce c'est voir 1 que vous dites, dont est tout le monde perdu;» ou « Je sai bien que je fai mal, mais ce poise moi; mais Dieu sait bien mon cuer! » —.

Hé las, comme chi a dur Ségneur cui il convient servir à si grant labour, et à si grant coust, et à tel guerdon, et guerpir 2 son lige Ségneur, et faire des loyauté et traison.

Ceste plante d'orguel, quant elle est enrachinée en cuer molt s'espant, et gète sept getons principax dont chascun se devise en tant de portions que on ne les pourrait nombrer.


Des branches d'Orguel.

Le premier geton est DESLOIAUTÉ; le secont, DESPIT; le tiers, FOURCUIDANCHE, que nos appelons arrogance ou présumption; le quart, FOLEBAERIE /34/ que nous appelons ambition; le quint, VAINE GLOIRE; le six, YPOCRISIE; le septisme, MAUVAISE PAOUR.

A ces sept parties afièrent touz les péchiés qui d'orguel naissent. Et chascune de ches sept branches a molt de petits rainsiaux 1.


La première branche d'Orguel.

La première branche d'orguel siest desloiauté, et a trois branches. L'une est VILENIE; l'autre est FORSÉNERIE. La tierche, RENOIERIE. Il n'est si grant ingratitude ne si grant vilonie comme de ce péchié. Or te veul dire un essample.

Il fu un grant roy puissant, sage, large et courtois, et bon justicier. Un garchon out 2 en son hostel poure et serf. Or avint que chil garchon fut pris as Turs, et dampné à mort. Li roys en out pitié, et grant avoir donna /35/ pour son rachat, et le ramena, et vesti, et franchi, et le fist chevalier et ballis d'une grant terre; et cil li jura foi et loyauté, et li créanta sus la teste à perdre 1.

Or s'en va en sa baillie, et voit sa Ségnorie grande, et monte en orguel.

Un grant baretères s'ajoinst 2 à li, qui ert 3 anemi à son Ségneur, et avec li un grant fouc 4 et molt de forbeteurs qui virent ce balli riche et monté; si le commenchèrent à lober, et atraire à leur cordèle. Chil les croit et s'acompagne à eus, et oublie quenques son Ségneur li avait fait, et li tourne du tout le dos. Or me dit donc, ne fist-il grant vilonie? Certes oïl, et orguel, et desloiauté, et folie; quer à tous les jours du siècle, il le deust amer de tout son cuer pour sa grant franchise, et honourer de tout son povoir, et redouter de tout son sens pour son grant povoir, et pour sa grant justice; loiauté garder, et mercier de ses courtoisies.

Plus fist encor cel musart; quer de che que ballié li avait, et li convenait rendre compte, onques rien n'en fist; neis 5 enquerre la value des rentes, ne des terres, /36/ ne des esplois, ne des issues 1; ains trémela 2 et gasta les biens son Segneur avec les autres barreteurs. Et ne fu-ce grant folie? Oïl voir.

Et plus grant forsenerie fist encore; quer la terre son Ségneur lige il avoua d'autre Ségneur, et le guerroya encore. — Et ne fu-ce grant forsénerie? Et que devrait-on faire de tel ménestrel? Chest ribaut, c'est chascun de nous. Cest grant Roy, c'est Dieu tout-puissant qui me forma le cors de boe, et créa l'âme de nient, pour quoi je devoie estre tout sien.

Quant je nasquis, je fu pris au Déable, et fui poure et serf 3 au péchié, et dampné à mort. Mais li Roys du ciel, par sa bonté et par sa douchour, nenne par bonté qu'il eust en moy plus qu'il ne fait du payen dont il n'a cure, me racheta de son propre sanc et lava en sainct batème, et vesti de robe d'innocence, et franchi du vil servage du péchié et me fist chevalier, quant il m'aorna des graces du Sainct Esperit; et me fist de son hostel et de sa table, c'est de saint autel dont toutes ames vivent.

Il mist en ma ballie cinq choses que l'Evangile apelle cinq besans: le cors pur et innocent; l'âme clère et luisant; le monde et les choses temporeus pour moi servir; le temps pour deservir sa gloire, et sa grace pour moi /37/ aidier. Ces cinq biens me balla-il pour garder et pour gaagner; et je li jurai et vouai, et donnai mes parrains en plèges que foi et loyauté li garderoie, et porteroie honnour comme à mon Ségneur lige, et ameroie seur toutes choses. Et ses biens, qui en ma ballie seroient, molteploieroie à mon pooir, nenne seur ma teste à perdre, mais seur paine de recevoir mort perdurable.

Bien devroie amer si grant Ségnour, et honourer si grant Roys, et redouter si grant justisier, et mercier si large bienfaiteur. Mais, que ai je fait, sitost comme je ving en ma ballie? (cest si-tôt comme je commenchai bien et mal à connaistre.)—. Je vos rendi le mal encontre le bien, orguel contre débonnaireté, vilonie contre courtoisie. C'est la plus grant vilonie qui soit; quer de tant comme la bonté est plus grant, tant est la vilonie plus grande, quant on ne le connaist ou on l'oublie.

Se j'avoie mes deus mains perdues, molt ameroie celi qui les me rendroit. Comment devroie je dont amer celi qui me fist et me donna mains et piés, et cors et âme, et les autres biens que on ne pourrait esprisier. Mais un grant fouc de fourbeteurs, c'est la compagnie des jolis du monde, m'accuellirent en mon enfance; et un maistre bareteur, un deciple de celi qui premier décheut nostre mère Eve, tantost m'esraschièrent du cuer les rachines de sainte paour, et le geton de naturèle amour que je devoie avoir en mon créatour. Et si y plantèrent la joliveté du monde et la folie, et me mistrent en si grant erreur que du tout me bestournèrent, et décheurent, et /38/ enchantèrent. Si que, quand je vi le monde si bel et si plaisant, si tournai tantost le dos à mon droit Ségnour, et le visaige au monde; et les eux fichai en terre, ainsi comme bestes mues. Et si oubliai mon créatour, ne point regardai mon estre; quer je ne regardai, (ne que fait la beste,) ne qui me fist, ne qui j'estoie, ne oû j'aloie. Ains ai vescu jusques au jour duy, que onques à Dieu ne contai ne rendi graces de ses biens ne de ses courtoisies, par mon orguel et par ma vilonie.

En cestui péchié d'orguel et de vilonie que nous apelons ingratitude, j'ai péchié plus de fois que je n'ai vescu de jours; quer il n'est nul jour que je ne rechoie ses bontés plus de mil fois; dont je ne li rens ne gré ne grâce, ne garde ne me doins, ne que li Roys fist des veaus.

De cestui péchié d'orguel et de vilonie est tout le monde plain; et cheus plus seur tous les autres que on apèle gentils et courtois, ce sont cil qui plus sont vilains et desloial. Quer, de tant comme ils ont plus recheu des biens nostre Ségnour, et rechoivent chascun jour, de tant le deussent-il le plus honourer et mercier et amer. A tels gens veul je ore un petit parler, pour che qu'il aprègnent à Dieu à conter et à reconnaistre ses courtoisies, et à amender leurs vilonies.

Or, voulez-vous aprendre courtoisie? mirez-vos en cest mireour, et véez la face de vostre cuer; et se vos i trovez nule tacque de vilonie, pènez-vos de bien laver, ausi que vos feriez le tacque de vostre cors. Quer tel est apelé gentil sous face belle, qui est apelé carogne puant /39/ sous sareu d'or; aussi comme le femier est pourri sous noif negie 1. N'est biauté adroit que de cuer gentil, ne vilonie que de vilain cuer afaitié.

Vilain est qui grant bonté rechoit, et n'en deigne dire grans mercis. Encore est plus vilain qui le nie et oublie; et celle part est trop grant, quant on le rechoit tousjours, et ne vaudrait-on ja oïr parler. Et tous jours, rent-on mal contre bien.

Dont, plaist à hautes gens, quant leur bonté est mal emploiée; certes voire. Mais poi en emploient bien: quer il le donnent as bourdeurs pour un vers de chancon, ou pour une bourde qui leur plaist, pour avoir los qu'il soit larges et courtois, pour le chaitif beuban du monde. Mais ja ne les feront ne ne dourront à ceus qui les déservent. Mais il plaist à Dieu qui est roi de courtoisie, qui tant est larges, qui a les mains tousjours estendues pour donner. Molt li plaist quant on reconnaist ses biens, et on l'en rent graces de bon cuer.

Et bien saches que se tu voulais une fois à li conter chascun jour en oroison pieusement, et recorder, par petites parties, tous ses biens et toutes ses courtoisies, et tes maus encontre et tes vilenies; et puis li rendisses graces et mercis de ses biens, et puis li criasses mercis de tes péchiés; il te vaudrait mieux que porter la haire. /40/ Quer Dieu ne se délite mie en nos tourmens, mais en la bonne volonté et en la vraie amour de cuer. Or te metrai en voie comme tu dois à Dieu conter, et toi confesser.

On dit: l'une bonté l'autre requiert. Qui molt fait pour moi, molt li doie rendre. Et ses-tu comme tu as receu de Dieu? Se tu ne le ses, ja ne saras comme tu le devras amer, ne mercier, ne honourer. Et autre chose ne requiert de toi.

Dieu t'a fait trois manières de bontés: une commune avec tous les autres hommes; une espécial avec tes singuliers amis; une singulière pour toi seulement. Pour la première, tu li dois tant comme le monde vaut. Pour la seconde, tant comme il meisme vaut. Pour la tierce, tant comme tu vaus et tu as vallant. Quant il te fist, s'il vou sist, il t'eust fait un boterel 1 ou un pourcel. Il te fist à sa semblanche Ségneur du monde, hoir du ciel. Quer quenques tu vois à l'œil, tout est fait pour toi servir.

Pour combien quitteroies-tu le servise du soleil et de la lune et des estoiles, tu ne voirroies goute; tu ne pourroies vivre sans l'air une seule heure de jour. Terre, eaue, jour et nuit ne finent de toi servir. Là oû tu dors en ton lict, t'appellent-ils ce dont tu dois vivre; de quoi tu dois autant Dieu amer, comme s'il t'avait tout cest monde donné. « Voire, fais-tu » s'il l'avait fait pour moi seul! » — Hé, faus cuer, et vice! Voudroies-tu estre /41/ Ségneur du monde, par convenant qu'il n'y eust ame fors toi seul? Ja ne menje mie le Roy tous ses biens pour lui. Ja ne voudrait-il mie estre tout seul en France. Certes, se tu estoies ore tout seul el monde, molt ameroies ore qui te rendrait tes parents et tes amis, et les belles compagnies avec cui tu as tes déduis. Se tu dis que tu voudrois estre sire pour toi, je te preuve que tu mens. Pourquoi ensieus-tu la compagnie des autres? Tu vas as caroles 1, tu vas as assemblées, as beubans, es compaignies et es tournois; tu vas en autres vilains lieus. Puisque tu fais ainsi, dont tu mens.

Se tu dis que tu voudroies avoir le monde pour toi seul, or va; aïes le pour toi seul! Tu as tous ces biens que je t'ai dit en ta ballie. Or, va, repon-toi 2, soïes tout seul à tous jours; tu ne feroies rien, tu n'en pourroies rien faire tout seul. Dont dois-tu plus ton créateur amer, pour ce qu'il t'a le monde donné, et tant d'amis et de belles compaignies, que s'il l'eust fait seulement pour toi. Or reconnais ta ségnourie, et ta digneté, et tes richesses. Or ne di jamais que tu soies poure, si comme font les convoiteus et les avers à cui il ne samble que rien soit leur. Il sont vilain, et mal est emploié ce qu'il ont. Il sont aussi come le mastin à cui on rue le morsel, /42/ et tantost l'engloutist, et oublie, et rebée à l'autre; ne point n'a de saveur en ce qu'il prent, tant bée à l'autre ardaument. Ainsi est-il des convoiteus qui plus ardent que léchefrites, et n'ont point de saveur es biens que Dieu leur a donné, tant béent à des autres. Mais tu qui as entendement, pense en ton cuer que qui te dourrait une belle chose, tu li devroies grans mercis. Regarde bel soleil et les estoiles, les fruis et les autres biens qu'il t'a doné, et ne fine toute jour d'envoyer; et, se tu es courtois, tu diras grans mercis à chascun, et ainsi, ne finiras-tu ja de Dieu loer; et ainsi aras-tu tous jours Dieu en cuer; si comme avait li roys David qui disait:« Je loerai tous jours nostre Ségneur; ja sa loenge de ma bouche ne cherra » — .

Encor dois-tu plus à Dieu pour les bontés espéciaux qu'il t'a faites avec cheus qu'il a à sa part esleus; pourquoi il vint en terre, et fu en essil trente-deux-ans. Et plus de doleur, et de honte, et de vilté que nul autre homme soufri, et assez de mésaise. Vendu fu, batu, lié, escharni, escopi 1 et jugié à la plus honteuse mort qui fust. Et tout ce soufri-il pour toi, et pour t'amour avoir. Et miex ama à mourir, que toi perdre. Et puis qu'il t'a acheté, or li dois-tu autant come tu li as cousté, c'est autre tant comme il meisme vaut. Et se tu dis: « Sire, /43/ bien seroit voir que vos dites, se il avait soufert pour moi tout seul. » —

Hé, las, cuer vilain et envieus! Se tu estais pris as Turs ou as Sarrasins, et tous tes amis et tes parens avec; lequel saroies-tu melleur gré, ou celi qui te délivreroit tout seul, ou celi qui délivreroit toi et tes amis, et tes enfans, et ta famme? —

Pourquoi les hes-tu tant, que tu amasses plus Dieu s'il les laissast tous perdre, et aler en enfer; ou de ce qu'il les a sauvés avec toi, pour ce que ta joie soit plus grant quant tu les verras avec toi en paradis?

Or vois-tu donc plus apertement que tu dois amer Dieu plus ardaument, pour la compaignie que tu aras pour accomplir ta joie, que s'il eust la mort souferte pour toi tant seulement.

Pour li rendre gràces de cèle bonté, li disons-nous les sept heures du jour. Et pour ce nomméément est estoré le sacrement de l'autel et de la messe. Et certes molt est mauvais et vilain, et molt a le cuer dénaturé, qui telle bonté oublie, ou qui le puet faire et ne veut dire ces sept heures le jour; ou pour nombre de patrenostres, si comme font ces gens de Cistiaus ou, en autre manière qui le set.

Mais celi est passé mauvais, et outre vilain, qui cele sainte messe puet oïr une fois le jour, et ne le veut oïr. Certes ains est molt hors du sens qui ne dègne recevoir si haut présent comme Dieu qui se donne à nous, et daigne venir toutefois du ciel nos chaitifs visiter, et soulagier, /44/ et deffendre, et nos péchiés perdouner, et nos ames paistre de sa char et de son sanc. Pour laquelle bonté tu li dois autant de rechief comme il meisme vaut. Quer tant dois tu de gràces à ton ami, comme le présent vaut que tu rechois de li. Encor li dois-tu tierce fois au tant d'amour comme il meisme vaut; quer il meisme sera ton lovier en paradis, ce te pramet-il. Et se tu veus à droit cel lovier déservir, il convient que tu faces autant pour li que ce lovier vaut; pour ce qu'il se donna à toi pour toi racheter, et encore se donne-il chascun jour pour te gouverner; et encore se dourra-il à toi pour toi guerredonner. Par trois fois donc li dois-tu autant comme il vaut. Ce ne serait mie rendu, se tu vivoies mil ans, et chascun jour souffrisses la mort pour li. Dont seras tu molt vilain, se ce tant comme tu pues et que tu vaus, ne donnes à li.


La tierce bonté.

Or venons as biens singuliers qu'il t'a fais, pour coi tu le dois molt amer. Si trouvons-nous trois manières de biens, savoir: corporeus, temporeus, et espéritueus. /45/ Tu qui es frans homs, voi que t'a fait Diex. Conte à droit, et reconais les biens qu'il t'a fait sans déserte. Tant a de cens et de milliers de les toi qui les biens corporeus que tu as n'ont mie! Il sont vilain, tu es gentils. Ils sont fiébles et malades, et tu es sain. Il sont contrait, et aveugle, et bochu, dont tu n'as nient. Les uns sont poures et mandians; les autres poures laboureurs; à doleur vivent et à angoisse, et à grande vilté en cest siècle. Tu as esté nourri à la mamelle, sans soins et sans labeur; et sans mésaise as eu quenques mestier est au cors, terres, rentes et ségnories. Chascun jour tu as feste Saint Martin; pour déliter en tes cinq sens, t'a Dieu plus donné que tu ne peusses penser. Regarde comment; et tu verras apertement que tu as en cest siècle un petit Paradis.

Et en droit les biens espérituels, or es garde que Dieu t'a fait. Tu vois tout le monde qui est plain de mauvaistié. Li un sont fol et vice; li autre, ribaut; li autre, larron; li autre si sont lécheur. De ces péchiés et de molt autres, il t'a par sa grâce gardé. Et or me di, que avoies-tu fait pour Dieu? Certes se tu veus conter à Dieu, et considérer à droit tous les biens qu'il t'a donnés, tous les péchiés qu'il t'a perdounés, tous les périls dont il t'a gardé, ton cuer te dira par droit jugement que tu ne ses el monde âme vivant à cui Dieu ait tant fait comme à toi. Et pour ce tu diras « Sire Dieu! je sui la créature mortel qui plus est tenue à toi amer, et mercier et honourer. Mon orguel et ma vilonie je /46/ reconois. De vos biens onques graces je ne rendi à droit. J'ay esté comme le pourcel qui le gland menje, ne point ne regarde à-mont au chesne dont il vient. Com' plus m'aves fait de mes voloirs, et plus vos ay mis en oubli. Je ne suis mie digne de dire la patrenostre: quer je ne fuy mie tel que je vous doie apeler père, com'cil qui sui du tout forligniés et désaeries! » 1.

Qui tèle chancon souvent chanterait, molt plairait à Dieu. Et certes, molt sera chaitif qui pour ce perdra Paradis, qu'il ne veut dire grans mercis.


De forsenerie.

QUI EST LA SECONDE BRANCHE DE DESLOYAUTÉ.

Doux ihucrist! quant je regarde votre grant courtoisie, dont reconois-je mon orguel et ma vilonie. Je suy le balli mauvais dont j'ai parlé par devant. Orguel m'a mis en vilonie, et ce m'a fait petit d'amour. Cuer qui bien aime, à envis 2 oublie. Se je fusse courtois, ainsi comme /47/ il ne fine de moi garder, et à moi penser, aussi ne devroi-je ja finer de li loer tous temps.

Hé Dieu! que ferai au jour du grant justice? — Comment conterai au vrai juge, au Roy de justize? Je fis deux veus en baptesme, et mes parrains pour moi. Il sont moult briés, et si sont moult pesans: CREDO, et ABRENUNCIO.

Quant le Prestre me demanda: veus-tu estre crestien, et avoir baptesme? » Je respondi: volo, c'est à dire: je le veul. Après il me demanda: credis in Deum omnipotentem? Je respondi: credo, c'est à dire: je croi ainsi que vous l'aves dit. C'est à dire: je veue ci, et pramet à Dieu que sa foy et sa loy tien et tiendrai; et seur toute rien 1, de li amer et servir me peinerai.

Ceste foy est vraie, et sauve l'omme.

Après, il me demanda: abrenuncias Sathane, et omnibus opibus ejus, et omnibus pompis ejus? —. Je respondi: abrenuncio, c'est à dire: je reni et forjure le Déable et toutes ses euvres, et toutes ses doctrines, et tous ses péchiés mortiex.

Hé, biau Sire Dieu! qui est-ce qui ces veus et ces convenanches, et vostre foy, et vostre loy a bien gardé? Ce n'est nul; quer le monde est si corrompu, qu'il n'est à paine nul ne nulle, ne père, ne mère, ne parrain, ne marraine qui son fils ne son filleul face entendre sa foy /48/ ne sa loy qu'il doit croirre. Mais les premières choses que les mères ensaignent à leur enfans, chest chanter et caroler aussi comme en despit de baptesme, et abovirent si ces sains vaissiaus nouviaus de folie et de vanité, que à paine i entra jamais la loy Dieu de vérité. C'est autre tel péchié, comme qui metroit porrée ou pois par despit el benoit calice.

Hé! tant a de grans gens el monde, et de vilains barrons qui encore ne sevent leur patenostre, ne leur credo, ne qu'est péchié mortel, ne les dix commandemens de la Loy, ne les vingt-deux points de la Foy 1. Et de ce viennent tous les autres maus. Quer, par ce que tu ne t'ahersis 2 point à Dieu en t'enfance, si comme tu pramesis en baptesme, ne à la bonne doctrine ton cuer dust estre avoiez, quant tu fu jones, ains t'ahersis à la folie du monde et de la vanité; pour ce, t'est-il ainsi mescheu. Quer les autres trois biens que Dieu t'avait balliés, c'est le cors, et l'âme, et le tems du monde, tu as en vanité et en folie employé; et c'est la folie des petits, et la forsénerie des grans.

Folie comencée est folie; et quant elle est maintenue, c'est forsénerie. C'est la SECONDE DESLOIAUTÉ — . Dont ne sont ceus forsenés adroit, qui sèvent bien que il /49/ resont ceux à droit forsenés, qui des biens qui ne sont pas leurs, en font leurs amis et leur Seigneur, dont il leur convendra rendre compte? c'est le temps précieux et les biens temporeus que il ont en garde. Les vertus du cors et les pensées de l'ame gastent et despendent en folie, voyant les eux leur Ségneur, ne point ne se pourvoient de leur compte.

Après, ne rest-ce pas grant folie que tu fais, se tu devoies aler outre mer pour demourer deux ans, tu te pourvoiroies de porter avecques toi quenques tu pourroies de tes biens? Et tu ses bien, et voir est, que tu vas en lonc voiage dont nul ne retourne; et pourroies assez porter, se tu vouloies; et tu n'en as cure, ne rien n'y penses. De tels folies est tout le monde plain.

Se tu eusses jusques au jour d'hui bien emploié tous les biens que Dieu t'avait presté, et sagement despendus; comme fusses ores sage et combles, et comme peusses ores atendre la mort liément 1, et portasses avec toi riche trésor! Seurement peusses à Dieu conter et rendre raison de ta baillie, et attendisses grant loyer oû tu attens grant dampnement, se tu tost ne te repens et amendes. Or as musé, et ton tems usé, ton avoir aloué, et ton tems gasté; et rien n'as conquesté. Pour ce, te loe et pri que tu penses de toi amender, et de conter à Dieu en vraie confession.


/50/

De renoierie.

QUI EST LA TIERCE BRANCHE DE DESLOIAUTÉ.

La tierce desloiauté que cest ballis fist, dont j'ai parlé, ce fut quant il à autre Segnour rendi la terre que il avait en sa ballie, et se mit à autre Segneur. C'est le péchié de renoierie; si comme Sainct Pol dist: cil qui péche mortelment fait homage au Déable, et devient son serf.

Encore dit-il que il est crestien, il le renie par euvre, et monstre que non est. Mais espérituellement est-il en trois manières apelé home renoie et faus crestien: Ou, pour ce que il ne croit mie ce que il doit, ausi come font les Bougres 1; Ou, pour ce que il trespasse la foy que il /51/ croit, si come font les perjures desloiaux, les fois-menties; Ou, pour ce que il croit plus que il ne doit, si come font les devins et devines, les sorchiers et les sorchières. Tous iceus sont hors de la Foy ihucrist.

Le plus grant orguel qui soit, c'est BOUGRERIE. N'est-ce mie grant orguel, quant un vilain 1 ou une vielle qui ne seut onques sa patrenotre à droit, cuide plus savoir de divinité que tous les clers de Paris, et plus cuide valoir que tous les moynes de Cistiaux, et ne veut croirre que Dieu sache faire chose en terre que il ne puist entendre. Dont, pour ce qu'il ne peut entendre ne voir comment un homme entier puet estre en cele oublée que le prestre tient à l'autel 2, pour ce ne veut-il croirre que ce soit vraiement le cors Dieu. Et pour ce, est-ce drois que il ait un tel jugement come Lucifer son maitre, qui tantost s'enorguelli contre Dieu, et devint Déable, et chay et feu d'enfer. Aussi est-il drois que il soient tantost mis el feu 3. /52/

L'autre manière de renoier si est FAUS TESMOIGNAGE, ET FOY MENTIE 1. L'home qui ment sa foy et se perjure à ensient, n'est mie Crestien à droit, fors aussi comme un faus denier entre autres deniers.

La tierce manière est quant on croit autre chose que la foy n'enségne, come font les sorchières et ceux qui les croient, et qui croient es charmes et es contrevues 2 que les vieilles dient. /53/

Le Déable se paine tosjours de la vroie foy corrompre, et de faire l'omme croirre poy, comme fait le bougre, ou poy comme la sorchière à cui le Deable enseigne tant de renoieries plus orribles et plus grans, aucunes fois, que n'est ce que le bougre croit. De ceste renoierie sont coupables tous ceux et toutes celes qui font et croient ce que tex Deables enseignent, qui ont renoié la Foy Crestiane et le batesme. Et s'il avient souvent ce qu'eles dient, à ce respont Saint Augustin, que Dieu le seufre pour deux raisons: l'une, pour esprouver la foy des bons, pour ce qu'elle soit de plus très grant mérite, de ce qu'on ne croit mie à telles illusions. L'autre, pour ce que c'est drois jugement, que le Déable ait povoir de ceus décévoir et metre en mescréandise, qui la vraie foy laissent, et se prennent à li et à ses euvres. Or, t'ai-je monstré les trois manières de desloyauté. Or t'y mire, et esgarde que nule de ces téches ne soit en toi; et te paine de loyauté garder envers ton droit Segnour ihucrist, qui tant de biens t'a fait.


/54/

La seconde branche principale d'Orguel.

La seconde branche de l'estoc 1 d'orguel si est DESPIT; c'est quant on ne degne porter honneur là oû on le doit. Or, dois savoir que tu dois porter honeur premièrement à Dieu; puis à sa douce mère 2, puis as sains angies et as sains, puis as gens.

A Dieu premier, comme à ton Créatour. Et dois penser que tu es le poure garchon que le Roy apele en son servise, et si veut que tous jours soit devant li. Or te convient penser, se tu es sage, que tu es aussi come le serjant 3 qui sert devant le Roy à sa table, qui tous jours a l'eul à son Segneur. Ainsi faisait le Roy David qui disait « Sire, je ai tous jours les eux à toi, aussi come le bon serjant à son Segneur, ou la chambrière les mains à sa dame ». Et c'est un des plus grans sens qui soit et qui plus retrait de péchié, quant homme pense qu'il est devant les eux nostre Segnour, qui tout voit et mest /55/ en escript, plus diligaument que nul jaloux ne face de sa fame, neis les pensées du cuer. Dont ceux qui ont net le cuer ont un tel honte se Dieu voit en leur cuer une pensée vilaine, come tu aroies se le monde véoit tes vilains membres. Dont tu dois garder soigneusement que tu ne faces devant li ce que tu ne feroies devant un home, et nomméement là oû ses précieux cors repose.

Et pour ce, quant tu entres el moustier, tu dois penser que tu entres en la chambre le Roy du Ciel, devant le barnage 1 du Paradis, pour ta besongne faire. Et pour ce, y dois-tu estre à grand crenieur et à grant proière de de ta propre querèle avancier 2, et pour parler au Roy et à la Royne, la douce dame de Paradis.

Quer à la court li Roy,
Chascun y est pour soi.

Et pour ce, pues-tu savoir comme ceus sont fol, et péchent durement et griefment, qui rient et trufent 3 de-devant le cors ihucrist et sa douce mère, et devant le barnage de la grant-court de Paradis, là oû il deussent à Dieu merci crier, et à sa mère leur besoigne monstrer. /56/ Et ceus qui onques me treuvent courte messe ne longue fable; qui plus volentiers oient de Parceval et de Rollant ou d'Olivier 1; ou jouent as tables 2 et as dez; ou il vont veoir un sot, ou un singe, ou un enfantomeur, ou as bastiaux 3 oû molt de gran péchié gist. Or, pense pour Dieu, et n'est-ce grant despit de Dieu, quant tu ne veus aler au moustier pour celi veoir qui chascun jour vient des ciex pour toi veoir; ne tu ne veus oïr sa Parole, quant il parle à toi; ne tu veus parler à li en oroison. Et se tu y parles, quant tu dis ta patrenotre, tu li vens l'asne, quant tu li dis; quer au dire tu li tournes le dos, c'est la pensée 4. /57/

Hé las, dous ihucrist! en quel despit es-tu, hui est le jour 1, par ta soufranche, et par ta débonaireté; quer il plait plus à oïr le servise au Déable, et une carole, dès le midi jusques à mie nuit, que une messe oïr, ou un sarmon qui ne dure que un poi.

Bien est acomplie la parole du Prophète Ysaie qui dit:« Mes fis que j'ai souef 2 nourris et essauciés 3, il m'ont en despit ». Molt het l'homme qui de li ne puet oïr parler en bien, et poi l'en chaut se on en dit honte devant li. Aussi est-il de ceux qui un sarmon ne puest oïr; et se on jure de Dieu vilainement devant eux, ne leur en chaut. En ce dois-tu Dieu honourer, et monstrer que tu l'aimes, que tu oies volentiers de li parler, et oies son service. Et se tu pues, quant tu ois la messe, qu'il ait un présent de toi, une ofrande qui petit vaut, et qui plus présente que tu ne cuides. Et si commande Dieu en la viés Loy: « Garde, fait-il, que tu à voide main ne viègnes à moi ». Après, ne vien pas devant li en abit qui li desplaise, par quoi tu li fasses honte, come font ces dames qui se pèrent aussi come s'elles fussent à vendre. Quer, quant eles doivent parler au Roy, elles portent les ames son anemi vestues; et c'est une raison pour /58/ quoi nule feste n'est à droit gardée. Quer, plus est la feste haute, plus se paine-on de li parer; nenne en guise que on doie plus plaire à Dieu, mais en manière que on doit plus plaire à son anemi, c'est au monde qui tous jour le guerroie.


Comment on doit garder les festes.

Tu dois savoir que aux jours de Feste tu dois faire quatre choses: Oïr la messe ou le Sarmon, se on le fait; visiter les malades, aumosne faire plus largement, faire oroison plus longuement.

Aussi dois-tu honourer Dieu et ses amis, nenne faire feste de trémeler, ne baler, ne caroler, si come font li Sarrasin devant leurs ydoles. Mais ce sont les jours en la semaine que on fait à Dieu plus de honte. Après, tu dois oïr au Diemenche les comandemens et les festes annoncier, et oïr nommer les excomeniés, pour ce que tu les puisses eschiver. Et c'est grant despit de Dieu, quant pour les défenses de ses menistres, ne veut-on eschiver un homme à cui on lairrait à parler un an, pour une /59/ buffe 1, se il li avait donnée. Mais c'est trop grant despit, quant l'escomenié, soit à droit, soit à tort, ne se daigne garder devant Dieu de venir au moustier, aussi come pour escomenier les gens. C'est aussi comme celi qui est banni de France, se s'enbattait en la sale à Paris, devant li roys, par devant ses barons, pour li faire honte. Après tu dois Dieu honourer des biens qu'il te donne chascun an; dont il t'a donné les neuf parties, et la dixisme retient à son œus 2. Après Dieu, tu dois honourer sa mère, en dire ses eures, se tu les ses, et son servise oïr; nomméement au Samedy, car cel jour est sien espéciaument.

Après, tu dois honourer les angies; nomméement celi qui te garde de l'anemi. Dont Sainct Bernard dit: « En quelconques lieu que tu soies, porte honeur à ton angie; et garde que tu ne faces devant li ce que tu ne feroies devant moi. C'est une chose qui moult te doit retraire de faire vilonie de péchié, quant tu as si grant digneté que Dieu t'envoye son angie pour toi servir. ».

Après, si comme dist Saint Jaques, tu dois porter honneur à tous hommes, et muli despire, neis un Sarasin; ains le dois honourer pour l'amour de Dieu à cui ymage il est fais. Un grant Segneur ne doit mie despire son garchon; quer tel garde ton cheval qui vaut miex à droit prisier que toi. Se tu es chevalier, pour ce ne dois /60/ tu mie despire celi qui son pain gaaigne à sa houe 1; ains dois penser que il a le melleur du gieu parti 2. Quer il convient labourer en cest siècle avec les hommes, ou en l'autre avec les Déables. Il gaagne tous jours, et tu pers. Il amasse, et tu despens. Il se pourvoit, et tu n'en fais riens.

Se tu es une grant dame vestue de soie ou d'autres dras riches, tu ne dois mie despire ta poure voisine. Quer quant nous vendrons à la grant feste oû nous alons plus que le trot, on ne fera mie feste de la sarpilière, mais de ce qui est dedens. Pour ce dont, ne doi-je nuli despire. Quer chascun est mon frère germain, nenne sans plus d'Eve et d'Adam, ains est fils Dieu le mien Père; et dit aussi bien sa Patrenotre, comme je fais. Et est aussi bien fils de Sainte Eglyse, ma mère, comme je suy. Et un mesme héritage nous attendons. Pour ce ne doi-je nuli despire, mais amer et honourer comme mon frère germain par deux fois, et croirre de chascun qu'il vaille miex de moi.


/61/

La tierce branche principal d'Orguel.

La tierce branche d'orguel est ARROGANCE, que on appelle forcuidance: quant homes cuide plus de li que droit. Et ce puet estre en deux manières: Ou, quant il cuide valoir plus qu'il ne vaut, plus savoir qu'il ne set, plus pooir qu'il ne puet. Ou, en autre manière encor, quant il cuide plus valoir, plus savoir, plus pooir que nul autre.

Cest péchié est proprement la fortereche au Déable, parquoi il se défent si fort, qu'il n'a garde de nuli. Et en cele tour il garde le trésor des autres vices qu'il a conquis sus l'âme. C'est quant Dieu dist en l'Evangile:« Quant le fort armé garde son chastel, il garde et tient en pais quenques il tient, et quenques il a dedenz. Quer l'orguelleus fourcuidié déable li tolt toute sa mémoire; quer il li fait tant penser as vertus que il cuide avoir, que il ne li puet souvenir neis de li meisme, ne que il est, ne que il devendra. Dont on pourrait aussi bien parler à un asne comme à li, ou à un tel homme conseiller. Dont il avient que à paine nul se confesse bien et à droit.—.


/62/

Le premier geton d'arrogance.

De ceste branche ist le premier geton de FOL MAINTIEN. C'est que uns homs ne deigne seoir el renc as autres, et fait souvent aucune chose desguisée, de quoi on parole.


Le secont geton.

Après vient VANTANCHE, qui est un péchié molt lait à Dieu et au siècle. Le venteur est cheli qui ne set chanter fors de li meisme. Il pert quenques il fait, aussi come la geline qui encuse son œuf par son cresteler, quant ele a pus.

Cest péchié est fort lait à celi qui par sa propre bouche se vante. Mais il double, quant il loe les losengiers. Et aucuns, pour crier leurs oublêes 1, en font leur /63/ avocas qui pour eus mentent, et perdent leur ames autressi 1.


Le tiers geton.

Le tiers geton si est DÉRISION et gaber soi d'autrui, si comme de ceux qui pour Dieu fuient les péchiés. Ceux sont proprement prévos au Déable, qui li gardent ses prisonniers. Et quant un en eschape, il queurent après à grant harou, et le ramainent arrière en la prison de péchié. Ceux sont compaignons Hérodes qui, pour la haine de Dieu, tua les innocens; quer ils ochient les âmes qui commencent à bien faire. Ceux font pis à Dieu que ceux qui le mistrent en crois, quant il li tolent les âmes que il conquist par sa mort; aussi comme de celi qui toldrait au poure home son loier que il gagne en la vigne à fouir. Et briefment, il héent si Dieu, et aiment le déable, qu'il ne puevent seufrir que le déable perde, ne que Dieu gaagne.

Ceus guerroient le Sainct Esperit, et veulent estaindre /64/ la grâce de Dieu. Et de tel péchié dist Dieu: qu'il n'ert 1 ja perdouné, ne en cest siècle, ne en l'autre. Ains respondront de toutes les âmes que il auront destournées de bien faire. —


Le quart geton.

Le quart geton est RÉBELLION. C'est quant li homs est rebelle à ceus qui son bien li veulent.

S'on le reprent, il se défent. S'on le chastie, il se courrouche. S'on le conseille, il ne croit mie, fors son sens. Hé Dieu! come cil a périlleux maladie, qui ne puet soufrir que on aroise 2 à li, et à cui médecine devient venin. Quer de ce que on li dit pour son preu, il fait son dammage. Cest péchié double tous les autres, et fait valoir deux, quant il s'escuse et se deffent. Or est le péchié doublement confirmé; pour ce di-je que c'est /65/ vice est la tour au déable, et la garde de son trésor; et le fait reposer en son cuer. Hé Dieu! dist St Bernart, quant dira-il les péchiés de son cuer que on ne voit, qui ceus ne veut regehir 1 qu'il a fait apertement; ains se défent au bec et as ongles?


La quarte branche principal d'Orguel.

La quarte branche principale d'orgueil est FOLEBAERIE: c'est mauvais désirier de haut monter, que nous apelons ambition.

Cest vice est la paiele de fer au déable en quoi il fait ses fritures et ses mets délicieus.

Quer, aussi come Dieu a joie, et se délite en ses martyrs qui pour li soufrent martyre, aussi le déable est liés de ceux qu'il puet tormenter.

Hé Dieu! combien il y a de ceus par mi le monde, que le Déable tourmente et frit comme cretons en paiele, par ambition, qui tourmente ses escoliers que je vois as /66/ grans rentes coloier 1: ambition qui tant les fait au crasset 2 veiller, que il sont plus secs que cretons en paiele.

Si tourmente ces ypocrites et ces chevaliers, qui tant ont tourment, que il dient: se nous soufrions ce pour Dieu, nous serions plus martyrs que St Lorens.

Ambition est le trébusquet 3 au Déable dont il abat les chités, les abbayes, les Eveschiés, neis la tour St. Pierre à Rome. Ambition est la première lechon que le Déable donne à ses escoliers.

Tout au commencement, il leur crieve le destre eul, c'est la destre entention; et leur laisse le senestre, c'est convoitise et ambition.

Li homs fu fais pour estre en la compagnie Dieu. C'est le plus haut estat où homs puist baer. A ceste hautesce doit-il tendre par nature, et coloier; et si fait-il quant il a le destre eul, c'est la droite entencion de venir à perfection. Mais cest eul li criève le déable, si qu'il ne puet si haut regarder. Et pour ce, si le fait as petites choses baer que il voit de l'eul senestre, ce est as honeurs du monde. Quer il li met la roe de fortune au devant, et li monstre, sans plus, celi costé oû il voit ceus /67/ qui montent ou qui sont montés; et il li repont l'autre partie de la roe, si qu'il ne voit point ceus qui trébuschent ou sont descendu. Et pour ce le fait-il tant baer au monter, que au descendre ne puet baer ne penser.

Hé las! comme ore le déchoit et aveugle, que il ne pense ne entent comment il montera lentement, et comme il cherra soudainement! Un arbre met bien cent ans à monter; et en une heure de jour chiet, ou est coupé. Ainsi est-il des richesses du monde,

« On y monte à grant loisir,
On y est à grant paour,
On descent à grant dolour,
Et ce est fait en une heure de jour. ».

Hé Dieu! combien a d'espines poignans en ceste branche! comme il y a de périls et de péchiés, anchies que on soit en haut monté! —.

Se nos regardons ces cités, ces tours, ces Eglyses cathédraus, ces abbayes royaus, où dame fortune est qui tourne plus tost ce dessous-dessus que molin à vent: que verrons nous, fors espines poignans qui poignent la gent? De ce vient losengier et mentir souvent, comme font ceux qui veulent plaire.

Après, il veut que on le tiegne à prudomme; si convient qu'il face l'ypocrite. Si sera martyr au déable.

Après ce, vient DÉTRACTION, d'alever blasme à celi qui veut traire arrière, pour ce que il li puist nuire. /68/ Puis, vient ENVIE et DÉSIRIER LA MORT D'AUTRI qui tient ce à quoi il bae.


La quinte branche d'Orgueil.

La quinte branche d'Orgueil est VAINE GLOIRE; c'est plaisance de vaine loenge d'aucune grace que il cuide en soi. Et quant li homs veut estre loé de ce dont il doit Dieu loer, en ce apert-il bien que vaine gloire est larrecin et desloiauté; quer ele emble et tolt à Dieu ce qui sien est, et ce qu'il veut que nous li rendons de tous ses biens, c'est gloire et loenge.

Quer ainsi est le gieu parti: que quenques nous faisons et disons, que Dieu y ayt part; qu'il ayt l'houneur et nous le preu; et qu'il en ayt le los, et nous le loyer. Et se nous li tolons la sienne partie, nous perdrons tantôt la notre. Les autres vices font faire les maus, et cil corromt et destruit tous les biens.

Vaine gloire est le vent qui fait les grants merveilles, qui noie les grans nois en la mer, qui abat les tours et les clochiers, et trebusche en la mer d'enfer ceux qui cuident estre aseur, comme tour seur roche. /69/

Vaine gloire est le denier au déable dont il achate les beles derrées 1 que il treuve en la foire de cest monde; si comme ces chevaliers qui à riens ne pensent, fors que à acquerre le los de cest monde et la vaine gloire. Et pour ce perdent-ils la vraie gloire. De ce n'estuet-il 2 nuli douter; et ne pourquant 3, il dient que l'une gloire ne tolt pas l'autre. Et sans doute il dient voir, en une manière; quer moult serait sot et nice 4 qui dirait que tous les chevaliers fussent perdus et dampnés, qui tant sont au siècle prisiès; ce serait damage.

/70/

De la Vanité

QU'EST EN CHEVALERIE.

CHEVALERIE est moult bel ordre et moult haut en Sainte Eglyse; quer il doit la Foy Dieu et Sainte Eglyse garder. Par qui pays est gardée, et Justise tenue. Par qui le peuple vit en pays et clergie; et les relegions et Dieu servis et honourés. Et qui vraiement y a s'entention, et y adresse sa paine et sa prouesse, il tient à droit son ordre et sa religion. Il est « chevalier Dieu, et son soudoyer », si comme dist St. Johan Batiste. Ses terres et ses rentes ne sont fors soudées, et il a ses gages que Dieu li donne pour li vivre, tant comme il est en l'ost de cest monde. Après il li rendra son grant loier, et li dourra le sien denier, c'est la vraie gloire du ciel, quant il vendra en son pays.

Et pour ce, ne demeure-il mie qu'il n'ait le los et la gloire du monde au double, quant on le crie à bon chevalier, et avec ce, prud'omme en Dieu.

Mais ceuz font honte à tout preud'ommes et à Dieu, et dampnent chevalerie, qui despendent plus que leurs terres ne valent; puis taillent et raedent la poure gent, et les mettent en plégeries, et font cheir es prisons des usuriers; et les mettent en escomeniemens, et leur font leur fois mentir et perjurer, aussi comme eus meismes /71/ font. Quer ne font force de mentir, ne de vérité tenir, neis qu'il puissent trouver chevance pour faire leurs outrages et leurs festes, et lours biaus hestex tenir, et paistre leurs faucons et leurs menestreux, pour eux desguiser plus de sept fois en l'an, en robes et en lorains 1. Quer ils ont Dieu si adossé, que de ses commandemens ne leur est-il riens.

Il n'oent mie matines trois fois l'an; et quant il vont oïr messe, il font plus leur damage et celi d'autri que leur preu. Quer il ne se puevent coi tenir ne que singe; rient, gabent, boutent, sachent 2 l'un l'autre, accolent les damoiselles; et parmi tout ce, leur est la messe trop longue. La parole Dieu ne peuvent oïr; et plus est la feste haute, tant se painent plus de Dieu courroucher, et de monstrer leur orguel et leur grant beuban. Il queurent quinze lieues pour veoir une feste, et gieus et caroles. Bonne vegile, ne quatre-temps, ne karesme il ne font force de brisier; ains les enfraignent toute jour l'un pour l'autre, et se vont prendre par compaignie, si comme fist Kobridous. Il menjent plus de sept fois le jour, toutes les fois qu'il en ont talent, comme font brebis ou enfans. Il font leur Dieu de leur ventre. Nule aumosne ne font, quer il ne peuvent. Nule oroison ne dient, quer il ne veulent. Et quant on leur blasme leur folie, /72/ si mettent tout sus chevalerie, et dient: « Nous convient aussi faire comme les autres. Voulez-vos que nos nos fachons huer, et que nos fachons le papelart? Au bon cuer va tout. Dieu set bien qui bon pélerin est ».

Hé Dieu! à quel honte il mettent la haute ordre de chevalerie, qu'il veulent dire que nul ne puet estre bon chevalier, s'il montre par dehors qu'il veuille Dieu servir et amer, s'il n'est sers as mauvais, en quel jugement il s'est du tout mis. Ainsi y mettent cors et ame, et avoir, tant que leur hostel en devient gaste, et leurs maisines en ont grans deffautes. De ce viennent les biaus atours; et se desguisent et se deffigurent en tant de manières, que Dieu ne les recognoistra au jor du Jugement; si comme il dit en l'Evangile: « Je ne sai qui vous estes, ne je ne vous fis mie si fais et si faites ». Et, sans falle, plus metent les fols et les foles de cure à paistre les eux des musarts, que à paistre leur propre cors. Et plus se doutent 1 que les eux des gens ne soient mal servis, qu'il ne font de eus meismes, qu'ils ne soient mal peus 2. /73/

Et briefment à parler, tant fait on de péchiès pour plaire au monde par biauté de cors, et par bel atour de hors, que nul n'y pourrait nombre mettre. Quer tous jours trouve-on nouveles desguiseures; et tout ce est Vanité.


De la Vanité de la langue.

Moult est précieus le don de bonne langue et de bel langage. A tex dist le Deable tout privéement: «Tu as moult bien parlé! Nul ne dirait ce que tu as dit! ». Ou il le fait dire apertement par ses desciples qui de cel mestier li servent; ce sont les losengiers, qui sont boutellier du roy d'enfer, de clare et de piment.

Ha! comme il escoute volentiers, et comme il a cest denier prest, pour paier cel bon avocat qui la langue a si plate et loberesse, et plus affilée que rasour de Guingant, quant volentiers il s'embat dessous l'ourme au Diemenche, ou entre ceus qui fovent en la vigne, et entre ces commères à leur huis! En tel lieu sont molt amées ces bourderesses, loberesses, flateresses langues pour la compaignie resbaudir; et grant gloire ont ceus ou celes qui miex sevent servir de bourdes et de menchonges /74/ et de mesdis. Petit pensent à ce que Dieu dist: « que de chascune parole oyseuse leur conviendra rendre raison au jour du Jugement ».

Diex! que il va volentiers à ces grant assemblées, à ces festes, à ces cours que on tient pour los et pour beuban aquerre 1. Là est-il Rois et Syre, comme cil qui fait toute l'assemblée.

Là se paine chascun d'obéir à li, es manières que il cuident miex vanité monstrer et vaine gloire aquerre. Si que, neis à la messe qui tant est courte, est Dieu plus guerroié à la fois que honouré. Quer tant y a de monstre, et de salus, et d'accolées, que nul n'y puet à ses pechiés penser, ni proier Dieu.

Là ont leur joie et leur gloire ceux qui se sevent bien servir du flael de la langue, pour les autres esbatre et faire rire. Là ne veulent mie sans plus parler de paroles oyseuses; mais ceux sont plus loé et plus meistre, qui miex sevent en godant mentir, et mesdire, et escharnir icheus qui Dieu servent, et fuient ces festes et ces vanités. Là ont leur gloire ces menestrex qui ne finent de Dieu guerroyer de la grâce que Dieu leur a donnée de biau parler. Ceux sont proprement deciple à l'esprit de vaine gloire en cui escole il ont été norris, et qui leur /75/ ensaigne à dire ces biaus mos et ces biaus chans que il ont si prestement en bouche, aussi comme le Sainct Esperit ensaigne et fait parler ses preecheurs.

Pense en quel péril ceus sont qui ne sont mie Segneurs de leur langue! Quer il l'ont piece à 1 donnée au Déable qui en fait son chalemel; et ce deust estre chalemel au Sainct Esperit. Pour ce di-je que c'est grant miracle quant tele gent vienent à bone fin, pour Dieu loer, en chantant et en parlant.

Dieu a deux graces mises en la langue: parler et chanter. Si come dist St Bernart: « nule chose ne représente si l'estat de l'autre siècle, ne l'office des angies en terre, come font cil qui liément et de bon cuer chantent et loent Dieu ». Mais vaine gloire veut avoir toutes les beles chançons.

Trois manières sont de chançons. Les unes sont pour Dieu loer et ses sains; les autres sont pour li soulagier de biaus dits et hounestes; les autres, de joliveté et de folie, qui sont les estoupes de luxure, pour alumer le feu de lécherie es cuers. Et partout s'embat cele vaine gloire; quer c'est le vent qui par tout vente. Quer à paine chante li homs nule fois, que li Déable ne li doinst de son chucre rosat 2 qui moult est dous et savoureus. /76/ Et c'est toute sa paine et s'entencion de faire tout au commencement, ou en mi lieu, ou en la fin, que le service Dieu est perdu, et devient service au déable.

Les chançons de Sainte Eglyse ne plaisent mie à Dieu pour la noise 1 que les clers font, mais pour les saintes paroles qui y sont, et pour la dévocion que les clers et les autres gens qui les oient y font. « Toutes les fois » dist Saint Augustin « que je me délite plus en la douçour du chant que en la sentence des paroles que on dit, je péche griefment. »

Mais en ces chançons qui sont de fole amour, que on chante à ces caroles, là n'y a mie sans plus péchié de vaine gloire; ains est proprement le service as chanoines et as nonnains d'enfer. Et ceus et celes qui en tex chans et tex caroles se mettent du tout, il font proprement le servise au Déable. Et grant vaine gloire ont ceux qui miex sévent servir en tresques 2 et en chançons.

Hé las! quel doulour, quant on fait le servise au Déable par tout si liément, et à si grant coust, et à si grant destrucion de cors et d'ame, et nien ne couste, ce semble. Et le service nostre Segnour on fait si laschement /77/ et si parecheusement! Et nepourcaut, on veut estre si bien loé, si come il apert à ces grans Eglyses, que à paine y a-t-il gens qui viene premièrement pour Dieu. Mais adont, quant il cuident gaagner, tost et volentiers y queurent, ou quant il cuident estre prisié pour leur miex chanter.

Ainsi maine vaine gloire tex gens qui ont receu les biaus dons de Dieu pour li servir, et pour conquerre grant couronne el ciel. Et il en usent mauvaisement, et veulent avoir le los du monde, et achatent la vaine gloire de ce dont ils eussent la vraie gloire plus légièrement asses, et à moins de paine.


De la Vanité

QUI EST AUX BIENS DE FORTUNE.

Quant Dame Fortune a eslevé homme en haut, et à sa roe si tornée, qu'il est venu à honour et à richesse, or est en haut assis come molin à vent seur la haute montaigne; et là, ventent tous les douze vents de vaine gloire qui assaillent ce chaitif, et le font peiner de gloire acquerre et d'honneur. Or le font fier; or /78/ despit son voisin qui miex vaut de li, pour ce que il a mains d'avoir. Or se paine de bel hostel tenir. Or se paine de festoier. Or, a si donné son chaitif cuer au siècle, que plus li couste à donner dix sols pour Dieu, que à despendre dix livres en un jour en beuban et en vaine gloire. Et despent en outrages pour doner à un riche home à mengier, dont il peust cent poures soustenir toute la journée. — .

Hé Dieu! com ci a grant péril d'ames à ceux qui ainsi se glorefient en tex choses: nomément as clers qui tiex choses font, et tex largesces de ce qui n'est mie leur, ains est du patremoine Ihucrist. Et nostre Sire dist en l'Evangile: « quant tu fais feste, n'appele pas les riches qui te puevent appeler, mais les poures qui n'ont dont il te puissent appeler, ne guerredonner. » — Et ceux font tout le contraire. Quer plus est li homs riche, et mains en a de mestier, tant le feste-on volentiers.

Après il ne li soufrit mie que on le serve si come homme; mais aourer l'estuet come Dieu. Et tant y a d'agenouillemens et de CHIPOES (?) que plus convient la maisine agenouiller, que il ne fait un moyne cloistrier devant Dieu. Un jone singe à enchanteur ne fait mie tant de singeries, ne de saus, ne de tours, comme il convient de faire devant eus.

Après, es belles robes il ont leur très grant gloire. Saint Grégoire si dit « s'en précieuses robes n'eust péchié, ja Dieu n'eust blasmé le riche homme en l'Evangile, qui fu enfoui en enfer, de ce qu'il estait vestu de /79/ pourpre; ne il n'eust loé St Johan qui estait vestu d'esclavine 1. » —

Grant force font d'avoir la sarpilière belle, et du fardel ne leur chaut, c'est l'âme qui dedans leur cors est. Après, ont tant de robes oiseuses qui ne font fors les huches emplir; et tant les gardent, que les vers les menjent. Ou pour avarice, ou pour beuban, ou pour diverses robes vêtir, il voient les poures trembler de froit, qui deussent avoir le relief de leurs robes, aussi comme de leurs tables. Mais il n'y ont ne part, ne lot; quer orguel les achate et les donne as menestreus, pour acheter los et vaine gloire. Hé! las, charité les emploiast miex, quer ele en achetast gloire vraie.

Après, il en sont à la fois fin frepier; quer il les vendent plus chier que il ne feroient en un marchié. Quer il les donent à leurs serjans ou à leurs ouvriers. Et là oû li ouvrier a bien desservi vingt sols, est-il tout lié quant il en puet avoir un gainement de quinze sous.

Après, tant font de curiosités et de desguisemens, que c'est merveille: boutons, orfrois 2, cotes ridées, estroites manches, chauces détrenchiées, décolées à bouclettes d'argent. S'il n'eust grant péchié à tels trufes, cuides-tu que Dieu s'en prist si près garde, qui tout mest /80/ en son escript, et note quenques nous faisons et pensons, plus cent fois qu'un jalous de sa femme. Dont il dist par son prophète Ysaie, là oû il reprent les dames et les damoiselles de leur grant apareil: « Il vendra, dist-il, un jour, que Dieu leur ostera leurs coiffes, leurs guinples, leurs queuvrechiefs, leurs fremaus 1, leurs anniaus, leurs chapiaus. » Après, l'appareil des bras, des mains, des piés, des chemises qui sont si déliées, que on puet veir les bras et leur char parmi ». Neis les aguilles dont il attachent leurs guinples, les espaingues et les mireours, n'oublie-il mie.

Se il n'eust péchié en tels choses, pourquoi les nombrast Dieu si soigneusement en son livre, fors que pour ce qu'il dist ailleurs, où il parle d'une telle ame qui en tex afaires avait sa vie usée? » Tant, fait-il, comme elle out de joie en cuer, tant li donnez de doleurs au cors, et de tourmens en l'ame crueus et orribles ».


/81/

De Losengiers.

Après, vient le cri et le los de foles langues qui chantent quenques cel chaitif desire à oïr, et l'eschaufent en l'amour du monde, et l'aveuglent et enchantent, comme fait l'enchanteur qui fait, au lieu d'une culeuvre, que ce soit un coulon 1. Quer il li font à entendre de li que ce n'est-il mie. Et il les croit assez miex que li meismes; et croit que li cisne soit noir, et le corbel blanc; que il est preus et hardis, là oû il est couars comme un lièvre. Quant il est un escorcheur de gens, adont est-il bon justisier. S'il est mols et négligens, adont est-il le plus débonaire qui vive.

Il font de mal bien, et de péchié font-ils aumône. Tous songes li tournent à bien; tout est bien fait et dit quenques li assotés fait et dit. « Pleut-il? » fait li sire à son serjant; « oïl, sire, fait-il, se vos voulez ». Aussi les aveuglent-ils et desrobent de tous biens temporeus et esperitueus. Quer le mol vent est losenge qui desroba le pélerin, et despoilla de son mantel; dont on conte un essample.

Il avint que bise et mol vent firent gageure d'un pélerin /82/ tollir son mantel. Bise comencha à venter, et celi à trembler. Et comme plus ventait, et celi plus entour li son mantel estraignait. Après, le mol vent venta. Et celui s'eschaufe et se despoille, et gète son mantel à son col; et un estourbellion vente et liève; si emporte son mantel.

Bise, qui est un vent dur et aspre, est vérité qui est tant dure, et aspre, et haïe, nomméement as ces grans cours. Quant cel vent vente, c'est quant on dit vérité. Chascun se restraint et tramble, et a paour, et repont tous ses biens, et se regarde en humilité. Mais losenge est le chaut vent de midi qui eschaufe le cuer et eslève, et le fait desréer, et tous ses biens monstrer. Et ne se donne garde que il pert tous ses biens, si comme fist Sédéchias li roy de ihérusalem, nenne lui sans plus, mais ses hoirs, et tous ses trésors que il avait, pour ce que il les monstra as losengiers qui à li vindrent de par li Roy de Babiloine. Si l'en convint fuir, et fu pris et toute sa gent, et ihérusalem destruite; si come il est contenu es lamentations Jérémie le Prophète. —(?).


/83/

De la batalle d'Umilité

ET DE VAINE GLOIRE.

Certes, c'est la plus noble batalle qui soit en terre, d'Umilité et de vaine gloire. Humilité dit: repon tes biens, que on ne les voie, que tu ne les perdes par vaine gloire. Et vaine gloire li dit encontre: or es tu le plus humble qui soit.

Humilité s'aperchoit, et dit: — or, as-tu pas vaine gloire? or, t'en confesse! — . Vaine gloire le rassaut: — or, es-tu bien confés; pou a de gens qui tel péchié facent, qui s'en confessent. —. Or se courrouche humilité, et brait, et crie. Après revient vaine gloire, et dit: — or as-tu molt bien plouré, et or es-tu bien de Dieu, qui si grant plente de 1 lermes as plourées, et dévocion t'a donnée.—. Humilité revoit ceste pensée; si en est dolante, et de ceste meisme doleur le rassaut /84/ vaine gloire. Ce est la guerre du Lohren garni qui ja n'ara fin (?)— .

Un essample te veuil conter, pour ce que je veuil que tu saches combien tu péches par vaine gloire, et quant c'est péchié véniel, et quant c'est péchié mortel.

Une pucéle entra en une forest, et chai en mains des robeurs qui la honnirent et robèrent, et trairent pour mettre à mort. Le fils du Roy du pays passa par illeuc, et en out pitié, et se combatti à ces larrons; mais molt i fut navré. Il commencha à amer ceste damoiselle, et la baigna, et vesti, et gari, et l'espousa, et en fist Royne; et en fu jalous comme homs puet estre de sa femme. Et la faisait garder soigneusement à ses haus hommes. Et quenque ele faisait ou disait, trestout notait come jalous seut faire.

Un vavasseur avait en la terre, faus et malicieus, qui le guerroiait, et héoit, et nuisait quenques il pooit. Quant il vit la très grant amour que le roy avait à cele dame, et l'oneur que il li portait: pour li plus grever, il se voult accointier de la royne, et li monstra samblant d'amour. Mais celle n'en out que faire au premier, ains destournoit son cors de li, come prudefemme. En ce fist-elle comme bone dame. Mais après avint que, petit à petit, elle escouta ses blanches paroles; mais le cuer n'y estait point. Et en tant, faisait-elle bien; mais n'estait mie du tout sans péchié, quant ses paroles créoit; quer il héoit son Seigneur.

Après fist celle dame pis; quer cel mènestrel et ses /85/ messages commencha à recevoir et à faire feste; et bel s'appareilloit en leur venue, et semblant d'amour leur alait monstrant, encor n'en fust pas le cuer; quer à son mari elle voulait foi porter et garder.

Après il avint que celi et ses messages alèrent tant à l'entour celle dame, qu'ele mist son cuer à li et à ses paroles, et l'escoutait molt volentiers, et li donnait de ses joiaus, et grans depens faisait pour li. Mais, toutes voies, aimoit son Segnour, mais nenne si loialment come elle deust.

Après, avint qu'elle l'ama tant de son cuer, que la compaignie son Segnour comencha ennuier, et de li, et des siens; et molt li grévait quant il estait avec li. Les richesces dont elle estait dame elle despendait, et mestait en li; et tant torna à son Segnour le dos, que molt li ennuiait, quant il le convenait entendre à li et à son service. Et liée estait et envoisiée 1, quant elle estait avec cel ménestrel, et avec ceus qui de par li venaient; si que tous ses desiriers estaient à plaire à eus.

Or garde, pour Dieu, que celle Royne ne soit la tienne âme, qui tant aime la gloire du monde et le los.

Tu ses que quant tu entras en la forest de cel monde, tu estais poure, laide, hydeuse et despite, et chais es /86/ mains des larrons d'enfer qui à la mort d'enfer te voulaient entraire. Mais le Fils le Roy du Ciel out pitié de toi, et miex ama à morir que toi perdre. Il se combati pour toi à ces larrons, si qu'il y fut navré à mort. Il te recoust, et lava de son sanc en batesme, et te gari par l'oignement du Sainct Esperit, et te vesti de robe d'innocence; et du ciel te fist royne, et dame du monde. Et te donna de ses joiaux, ce furent trois manières de biens: NATUREX, TEMPOREX, ESPERITUEX; et te fist garder à ses angies, et servir et norrir plus soigneusement que onques ne fist jalous de sa famme.

Cel vavasseur qui tant het ton Segnour Ihucrist, c'est le monde qui tant est poure orgueilleus, que Dieu het, ce dist Salemon. Et Saint Jaques dist: « Qui veut estre amis du monde, il convient qu'il soit anemi de Dieu ». Et Saint Jehan dist: « Qui aime le monde, il ne puet avoir l'amour de Dieu ». Et Dieu dist en l'Evangile: « Nul ne puet servir à deux Segneurs ».

Ceste haine est si confermée, que quant Dieu pria à la mort pour ses Apostres, et pour ceux qui le crucefioyent, il dist: « Biau père, je te pri pour eus; mais pour le monde ne te pri je point ». Dont est forte cele haine, se on ne veut perdouner, neis à la mort.

Hé! Dieu cor, pleust ore à ton benoit fils, que tous ceus qui cest escript verront, seussent bien et entendissent la parole que tu deis, par Ezéchiel le Prophète, à une âme que tu amoies, qui pour l'amour du monde avait t'amour laissiée, selonc l'essample que nous avons /87/ ci-devant mis: comment tu nous fais à savoir que tu feras à tex gens à la mort, et au jour du jujement: comment tu li recordes tes biens et tes courtoisies, et li reprens aigrement ses maus et ses vilenies: et les menaces orribles que tu li fais des paines et des tourmens qu'elle a desservi!

« Rachine de male nature, dist nostre Sire, engendreure de Chanaan » — c'est à dire, desloiaus et serve.

Or, m'entend, âme forligniée! membre-toi quant tu fus née, tu fus laide, et povre, soullie et toullie en sanc de péchié, vil et orde, et dégetée. Je te vi en ordure, poure et nue. Je oi pitié de toi. Si te lavai et gari, et vesti, voire de robe précieuse de divers couleurs, et te donai quenques il apartient à femme accésiner 1; c'est à dire, tous les dons du Saint Esperit. Et te norri de miel et d'oile, et de pain de fourment; et te donai richoise, honeur et biauté. Et t'amai, et tespousai, et tins chière et honourée et en grans délices. Et tu me rendis mal contre bien. Quer pour la grant biauté que je t'avoie donée, tu foloias, et amas les fils d'Egypte, c'est à dire, les fils du monde. Et aussi, comme fait la fole famme, tu t'abandounas à tous ceux qui à toi venoient; tu les amoies, et faisoies feste de mes biens et des richoises que je t'avoie dounées; et dounoies loiers à ceux qui avec /88/ toi estoient et entroient, contre la coustume des femmes légières.

Escoute l'Escripture qui dist: « Tu fus tous tems abandonée en tex lécheries, et en tiex avoutrises ». Et entend bien que l'amour du monde et la vaine gloire il apelle lécherie, et avoutrise 1 —.

Dont aprés il menace et dist: « Pour ce que tu as faites ces desloiautés, je te jugerai comme on doit faire home murdrier et femme bordelière, c'est à dire: honteusement, et cruelment. Et amènerai seur toi tous ceus que tu as amés et que tu as haïs, c'est à dire: homes et angies, et déables. Et descouvrirai toutes tes ordures devant eus, et te livrerai es mains as déables qui orent honte de tes ordures et de tes desloiautés; quer tu as passé le péchie de Sodome et de Gomore qui péchièrent contre nature carnelment. »

Ainsi as tu fait contre nature espérituelment; quer orguel est bien contre nature espérituelment, quant homme qui est de boe, péche par orguel et par vaine gloire.

Or te pri, pour Dieu, que tu penses à ces paroles que Dieu dist, qui sont molt épouventables et pesantes. Et si te ravise bien en mon essample, et tu trouveras cinq estats dont l'un fust bon, et les quatre mauvais. Et pour ce, pourras-tu veoir ques péchies vienent de vaine gloire, et trouveras ainsi comme quatre degrez. /89/

Ceste dame fuyoit et haoit cel ménestrel et sa compaignie. En cest estat sont ceuz et celes qui Dieu ament loiaument, et fuient et héent beuban du monde et la vaine gloire.

Après, ele l'escoutait; mais le cuer n'y mestait pas. En cel estat sont ceus et celes qui le los du monde ne quièrent point, quant il sont seul et seules, ains se tiènent humblement, et servent Dieu. Et quant il sont avec ceux du monde, si se conferment à eus, et font samblant que cele vie leur plaise, encore en soient-ils dolans en cuer, de ce que leur convient faire, ce leur samble.

Après, ele li donnait de ces joyaux, et recevait molt volentiers li et les siens, encore amast-elle son Ségneur delez 1. En cest estat sont ceus et celes qui les biens et les graces que Dieu leur a données mettent el service du monde volentiers, et de cuer; et nepourcant, il servent Dieu de costé à la fois, plus par paour que d'amour vraie; ceux ci vivent en péril.

Après, elle tourna à son Ségnour le dos; quer triste estait delez-li, et moult li griévait son servise; et liés et joiax estait avec l'autre, et rien ne li griévait quenques elle faisoit pour li. De ceux, n'est il mie doute qu'ils ne soient en dolereux estat.

Or recorde bien cest essample, et regarde en quel des cinq estats tu es, et combien tu péches par vaine gloire.


/90/

La sixisme branche principal d'Orguel.

La sixisme branche principal d'orguel est YPOCRISIE. Et vaut autant comme Sororeure 1. Ypocrite est seuroies.

Dont, à parler comunément, chascune chose est ypocrite, qui est belle dehors, et laide dedens; par ceste raison est apelé le monde ypocrite, et seurore.

C'est chose aperte, si come il est escript el livre de Job: « Quer la joie de l'ypocrite, c'est du monde, ne dure que un moment. ».

C'est vraie chose que le monde est ypocrite, et sorores; quer nous véons el monde, c'est en ceus qui aiment le monde, richesse dehors, poureté dedens, et molt de si faites 2 choses. Et pour ce dist la Sainte Escripture: « Qu'il n'y a point de vérité el monde ».

Et, proprement, les ypocrites sont ceus qui font les prudommes, et ne le sont mie: qui plus forcent à avoir le nom de prudomme, que la vérité et la sainteté. /91/

Ceste ypocrisie se devise en trois branches: La première est de ceux qui en répostailles 1 font leur ordure, et par dehors font le prudomme. Ceus apelle Dieu en l'Evangile, double dorés, qui apparent par dehors biaus, et par dedens sont plains d'ordure et de pueur, et de pourreture; et si sont, ce dist: « agnel par dehors, et leu par dedens ». Or, pense as coustumes de l'agnel, et au cuer du leu, et aprendras à connoistre tel gent. Et tout aussi, comme le plus fort anemi que l'aignel ait, c'est le leu; aussi les plus pesmes 2 anemis que les sains homes aient, ce sont les papelars et les faus ypocrites. Si comme il parut bien el vrai agnel Ihucrist; quer les plus fors anemis, les fors agaiteurs 3, les plus cruels accuseurs qu'il eust, ce furent les ypocrites.

Mais il convient bien que tu saches que tous ceux qui font leurs péchiés coiement, ne sont mie ypocrites; mais ceux qui péchent en repostaille, et si font les papelars, et veulent estre tenus pour preudommes. Quer, qui son péchié choile 4 et queuvre, pour ce que il ne corrumpe ses prochains par mauvais essample, en ce fait-il bien.

La seconde branche d'ypocrisie est, quant l'homme, /92/ en appert, et nenne en privé, fait les bonnes euvres et les grans pénitances, pour ce que le monde les voie, pour acquerre los, et nom de prudomme. Ce sont les singes au déable qui molt les fait rire par leurs sinjoiemens, et quant il contrefont les prudommes.

Ce sont proprement les martyrs au déable, que il crucefie et tourmente de moult de manières, par veiller, par jeuner, par aler en langes 1, par port haire, par aumosnes faire. Mais ce ne font-il mie, se ce n'est en lieu oû on les voie; et pour ce, leur couste-t-il molt; quer avient tous jours que tous ypocrites sont avers. Ceus sont trop fols; quer de bon métal il font fausse monnoie et de ce dont il peussent le ciel acheter, ils achatent l'enfer. Pour ce dist Dieu en l'Evangile: « Pourcoi perdez-vos vos bones euvres? vos les peussiez vendre molt chier ».

La tierce branche d'ypocrisie est de ceux qui soutilment en haut veulent monter. Ceux font quenques prudomme doit faire, si que nul ne le puet conoitre; si comme Dieu dist en l'Evangile: « On ne puet connoistre l'arbre, fors par le fruit, de quel nature il est ». Tout aussi ne puet nul connoistre ceux-là jusques à dont que ils soient parcreu, et qu'ils soient montés, et que ils doivent fruit porter. /93/

Or adont monstrent-ils leurs vices qu'ils atapissoient 1 en la racine d'orguel, si comme avarice, et malice, et autres mauvais fruits; par quoi on connoit que li arbre ne fu onques bon, et que tout fu ypocrisie et feintise, quenque ils avaient devant monstré.


La septisme branche principal d'Orguel

C'EST MAUVAISE PAOUR.

La septime branche principale se devise en deux rainséles, dont plus de maus naissent, et plus de péchiés, que on ne saurait nombrer.

L'une branche est de mal faire; l'autre, de laissier le bien à faire.

Hé Dieu! quens biens lesse-on à faire pour ceste /94/ paour, et pour ceste vergoigne! Tant a par le monde de gens qui tout autre vie menassent, et autrement se mantenissent, se il osassent, que il ne font. Tant plus volentiers alassent au moustier, et plus longuement y demourassent, et oïssent le sarmon, et souvent se confessassent, et portassent humble abit, et molt autres manières de biens feissent, ce ne feust ceste vergoigne.

Et d'autre part, toute la revèse 1, quant on leur demande: Pourcoi faites-vous ce? ils répondent à une fois: « Certes, ce poise nous, Dieu le set bien; nous savons bien que nous faisons mal, mais nous n'oserions autri chose faire pour le siècle. Voulez-vos que nos nos fachons huer, et tenir pour béguins? Tout le monde nous courrait sus.».

Pour ce, n'est-ce pas merveille se Dieu het le monde. Quer à li ce sont rendus clers et lays; et si les a le monde si trais à sa cordèle, et fait convers et converses de son ordre, voire qu'ils sont tous en obédience, et portent ses armes et son abit, et ont Dieu leur propre Ségneur délaissié. Neis les clers et les Prestres qui deussent estre de son hostel, et qui vivent de son pain 2.


/95/

Pourquoi le péchié d'Orguel fait à fuir,

ET POURQUOI ON LE DOIT HAÏR.

Nous avons longuement parlé du vice d'orguel, et des branches qui en issent, et des rainsiaus qui issent des branches. Or dirons et metrons aucunes raisons pour quoi le vice d'orguel fait à fuir, et pour quoi on le doit haïr, et pourquoi il fait souverainement à blasmer.

Premièrement, orguel fait à haïr et à blasmer: que s'il y a aucun bien en la personne, et que orguel y entre, orguel boute tous ces biens hors. Or, si comme dist St. Augustin, « Orguel se paine de destruire et de perdre tous biens, et toutes bonnes vertus; et oû que orguel soit, nul bien n'y puet entrer, ne ne veut que nul y entre.». Et Sainct Grégoire dist que: « Aussi que humilité aféblie et destruit tous vices, et assemble et enforce toutes vertus, aussi orguel toutes vertus destruit et afole ». Et aussi, que « Humilité n'est mie seulement vertu, mais est avec vaissiaus pour les autres garder ». Aussi orguel n'est mie seulement mal, ains est avec empèchement de tous biens. Dont un saige dist à Alixandre que il savait orguelleux: « Dieu est appareillé /96/ de donner à toi sapience; mais tu n'as lieu où tu le puisses recevoir, c'est à dire: Il n'y a point d'umilité en toi; ains y est orguel qui ne laisse entrer nulle sapience en toi ». Quer, aussi comme dist aillours la Sainte Escripture « La Sapience de Dieu n'entra ja en âme de mauvaise volenté plaine, ne en cors plain de péchiés ».

Dont tu qui convoites ton salut, aies tous jours en ton cuer encontre orguel, sur ton chief, le cornuel de la crois, que tu ne t'eslièves par orguel.

Après, orguel est l'enseigne par quoi le déable recoignoist les siens des autres. Quer, si come on list el livre de Job: « Le déable est roy seur les orguelleux »; et St. Grégoire dist que « Le plus certain signe que ceux qui seront dampnés aient, est orguel, et humilité de ceux qui seront sauvés ». Dont, en grant dolour et en grant paour doit estre qui se connoist orguelleux.

Après, li orguelleus het Dieu, et le veut surmonter, et tollir sa Ségnourie. Que il hée Dieu, il appert: car il ne veut avoir nul Souverain dessus li; et ainsi ne veut il avoir Dieu à Souverain, ne à Seigneur. Et aussi convoite-t-il à estre samblable à Dieu, quant il desire à avoir Ségnourie sur autri, et ne veut estre subjet à nuli; et ainsi veut-il tollir à Dieu sa Ségnourie.

Et de ces orguelleux dist David « L'orguel de ceux qui te héent s'esliève tous jours »: quer l'orguelleux veut à Dieu soustraire ce que Dieu veut espéciaument avoir, c'est gloire. Et en ce deshonore-il nostre Seigneur, (nenne pour avoir la gloire du Paradys), mais la gloire /97/ des biens qu'il a receu de Dieu, ou des biens que Dieu euvre en li et par li.

Nostre Dame dist el magnificat, que « Nostre Seigneur déposa et abaissa du siége les orguelleux, et si essaucha les humbles, et fist seoir haut ». Dieu het aussi les orguelleux, et c'est drois; car ils le héent, si comme nous avons devant dit. Quer l'orguelleux veut tollir à Dieu ce qui sien est, c'est sa gloire; si comme il dist: « Je ne dourrai mie, fait-il, ma gloire à autri »; et li orguelleus dist: « Et je la me donne. »

Et si li orguelleus veut aussi tollir à Dieu sa Ségnorie; quer l'orguelleux veut prendre vengeance de tous ses torfais 1; et il le devrait laissier à Dieu qui rendra à chascun selonc ce qu'il ara desservi. Et pour ce, dist-il par un Prophète: « Je retien vengeance à moi ».

Et pour ce que nous avons parlé de gloire, et que on sache que est vraie et vaine gloire, vous devez savoir qu'il est une vraie gloire que bons prudommes ont de leur conscience, qui ne cuident estre en nul péchié mortel, si comme dist St Pol. Et si dist-il aillours: « Je ne suis de rien si certain, que je cuide estre sans péchié mortel; et néquident, je ne m'ose mie en ce justefier. Quer Dieu qui tout voit et tout set ce qui est fait, et ce qui est à faire, voit en moi telle chose, et connoist que je ne connois mie ». Et pour ce, nul ne se doit trop justefier; /98/ quer nul ne set se il est digne del amour nostre Ségnour, ou de la hayne. Quer nul ne puet estre certain en cest siècle se il sera sauvé, ou se il sera dampné; quer tel est huy sans péchié, qui tost y cherra, se Dieu espéciaument ne le garde. Et tel est huy bien pécheur qui tost sera juste, quant Dieu plaira.

Après, il est une plus vraie gloire, c'est quant la sainte âme sent la douceur du Sainct Esperit en son cuer et que le Sainct Esperit « donne tesmoignage à son esprit que nous sommes fils de Dieu, et que nous serons perchonniers de la gloire des ciex, qui est la très vraie gloire. » — .

Vaine gloire est devisée en gloire dyabolique et humaine. La première est, quant aucun se glorefie en son malisce, et de ses mauvaises euvres.

Humaine gloire est devisée en gloire CHARNELLE, et gloire ESPIRITUELLE. La charnelle est la gloire du monde, qui est en belles vesteures, en richesses, en honneurs. La gloire esperituelle est la gloire des ypocrites, de quoi nous avons devant parlé.

Ceste vaine gloire charnelle et esperituelle fait molt à blasmer, et poi a prisier: quer les riches de cest siècle et les orguelleus ressamblent au bois pourri qui, par nuit, luist cler, et par jour nient. Ainsi font-ils. Ils luisent par dehors en cest siècle, pour leurs richesses et leurs noblesses; mais au jugement, leur oscurité aparra devant Dieu et devant les angies.

La gloire des orguelleus si n'est que fiens et vers. /99/ Huy sera haut élevée, et demain on ne le sara oû trouver. La gloire du pecheur est sa char qui est un sac plain de puant ordure, et viande de vers.

Dont chascun doit vaine gloire despiter, meismement tout religieus. Quer, si comme dist St Jérome « La première vertu du moyne est despire le jugement, et la gloire, et la loenge des hommres. Et ne s'en doivent mie esjoïr, mais troubler; à l'essample de la benoite virge Marie qui se troubla quant li angie li dist qu'elle estait plaine de grâce, et qu'elle estoit benoite par devant toutes autres ».


Des remèdes contre le péchié d'Orguel.

Nous avons parolé et monstré, par plusieurs raisons, pourquoi le vice d'orguel fait à blasmer, et que on le doit fuir et hair souverainement. Or dirons et monstrerons aucuns remèdes contre cest vice, par quoi, qui y voudra bien et diligaument prendre garde, plus légièrement le pourra eschiver, et soi garder.

Le premier remède contre orguel et vaine gloire, est /100/ répondre et mucier 1 aucun bien, si on le fait ou le veut faire. Quer, si comme dist un Saint « Muce, fait-il, et repon les biens que tu fais; et se tu ne les pues du tout en tout celer, aies en ton cuer volenté du répondre et du céler. Or, aussi comme le tresor que plusieurs sêvent est tost amenuisié, aussi est la vertu del homme, que chascun voit, tost perdue.

Le second remède est considérer et descendre en lui meisme; et se on le löe, il connoist ses défautes, et il ara anchies 2 honte se on le loe, que gloire. Quer il se connoistra autre, et verra que c'est fausse loenge, et que il n'est mie tel. De quoi Boëce dist « Ceus que on loe, et sont faussement loés, ont honte et vergoigne de ces fausses loenges.».

Le tiers remède est que: quant on ofre à un homme gloire, il la doit rendre et donner au roy de gloire à qui elle est. Si comme dist David « Sire, dist-il, la gloire soit à toi, nenne à nous ». —. Et qui à ce s'acoustumerait, vaine gloire n'arait mie si grant vertu, comme elle avait devant.

Après, ils sont autres remèdes contre orguel, en général.

Premièrement, on doit regarder à meilleur de soi, /101/ ce dist Sainct Grégoire « Aussi comme le regart à pire de soi est atisement d'orguel, aussi est le regart à meilleur de soi cause d'umilité ».

Un autre remède est de compaginer et d'estre volentiers avec les humbles. Quer, si comme on list en Ecclésiastes « Aussi comme celi qui compaigne l'orguelleux devendra orguelleux; aussi, qui compaigne l'umble, il devendra et sera humble ». Et David dist el Sautier « Tu seras saint avec les sains, et innocens avec les innocens; et avec les pervers et les malvais, tu deviendras pervers et malvais.».

Après, un autre remède est considérer et regarder à la vilté et à l'ordure de son cors. Premièrement, à la vilté de sa conception qui est la très plus vil ordure qui soit.

Après, il est un sac tout plain de fiens, et en la fin sera cendre, et viande as vers.

« Et comment s'enorguellira qui tous jours telle ordure porte »? si comme dist St Jérome. Et Michéas le Prophète dist « Humiliatio tua in medio tui ». C'est à dire: Hom's! t'umilité est en milieu de toi ».

Un autre remède est l'essample de l'umilité Ihucrist. Quer, si comme dist St Augustin « La médecine contre orguel à l'homme, est l'umilité Ihuchrist ».

Dont doit avoir home honte d'estre orguelleus, quant le créatour de toutes choses est fait humble: premièrement, en s'incarnation; après en s'umble conversation; et jusques à la mort se voult-il humilier pour nostre rédemption. /102/

Après, autre remède est le considérer du Jugement nostre Seigneur, qui sera espéciaument contre les orguelleux, et les Ségneurs, et les Puissans de ce monde. Car, si comme dist David, « Nostre Sire rendra habondamment tourment as orguelleus ». Et aillours, dist la Saincte Escripture « Que les grans de cel monde seront puissamment tourmentés. »

Le deerrain remède que nous metrons est: Considérer nos misères et nos enfermetés. Quer de par nostre esprit nous sommes si fébles, et si pou vertuex, que à une légière temptacion et une volage pensée nous ne povons contrester, ne résister, ne une petite parole soufrir ne soustenir humblement. Et ainsi, nos perdrons tost tous nos biens que nos avons fais, se Dieu n'a miséricorde de nos.

De par nos cors nous sommes si fébles et si poures, que neis as puces ne pouvons résister ne nos deffendre. Dont Sainct Augustin dist « Un homme te dist un blasme; tu t'en courrouces, et en as despit. Les puces ne te laissent dormir, et tu ne t'en pues deffendre ».

Et après, nostre chaitif cors devendra cendre et poudre. Qui bien penserait à ces choses, il arait bien raison de li humilier.


/103/

D'Envie

Envie ne mourra ja, ce dist-on piéça; et comment ce est voir, je le te dirai.

Le premier péchié qui onques fust fait, ce fut orguel, qui jeta Lucifer du Ciel, et le fist déable. Le second fut envie qu'il out de l'omme, qui fut fais pour avoir l'éritage qu'il perdit.

Et ceste envie si fist home péchier; et « par cest péchié vint la mort au monde » si come St Pol dist.

La mère de la mort si est envie; et pour ce la mort l'aime, et elle li. Ne la mort n'a nul pooir sus li. Quer « Quant la mort morra au jour du jugement, si come St Pol dist, adont comencera envie sa vie et sa Ségnourie sans fin; mais ce sera en enfer où envie ne morra ja ».

Quer un des grans tormens que ceus aront qui là seront, ce sera envie qui ja ne morra. Ils auront envie de Dieu et de ses sains, et de ceux qu'ils aront connus en cest siècle poures, et despis, quant ils les saront en Paradis.

Et tu pues savoir en quel estat li envieus est; quer il puet estre tout seur d'avoir enfer; quer il a ja les erres d'avoir la provende d'enfer. Il en a ja la pension en deux manières: par les tourmens que il a en la doleur des /104/ biens que il voit avoir les autres, et en la paour qu'il a de ce qu'il doute 1 que miex ne leur viégne.

En ce pues tu veoir que, de tous pécheurs, c'est le plus maleureus; quer les autres pécheurs ont aucune joie ou aucun délit en cest siècle; et celi a ici enfer, et en l'autre siècle en attent un autre.

Après, c'est le plus deffiguré; quer c'est celi qui à droit ressemble le déable son père, qui n'aime rien fors que autri mal, ne ne hée rien fors que autri bien. Et tu ses bien que amour fait l'âme ou belle ou laide.

Après, c'est le plus désespéré; quer il het et guerroie proprement le St Esperit qui est fontaine de tous biens. Et Dieu dist que « qui péche contre le St Esperit ja merci ne ara, ne en c'est siècle, ne en l'autre ».

Après, c'est le plus aveugle; quer tout bien, toute joie, toute clarté l'aveugle, comme fait le solail la cauve-souris.

Après, c'est le plus dénaturé; quer, si comme dist St Denys. « C'est bien à qui toutes choses aiment et desirent par nature; mais celi het le bien par nature et par tout, et dolans est li envieus quant il voit le bien. Ils héent l'omme pour le bien qui est en li, et le mal il desire et aime que il deust haïr par nature ».

Le cuer del envieus est si bestorné et enchanté du déable, que toutes ses vertus sont corrumpues en li; /105/ dont par la raison, qui est l'euil du cuer, quenque il voit et entent il bestourne et pervertist, et entent en mauvais sens; quer non mie Diex, mais le déable, li a donné mauvaise entention.

De ceste rachine naissent tant de mauvais péchiés de cuer que on ne saurait nombrer; quer ils ne finent de faire faus jugemens sur autri; les euvres ils jugent, et dampnent l'entention.

Après, li envieus a trois manières de venins en euvres, aussi comme il a en cuer et en bouche; quer il destruit à son povoir, soit en fais, soit en dits, tous les biens soient petits, soient grans, soient moiens, soient parfais. Quer, si comme dist Dieu en l'Evangile « Le bien si a trois estats. Il est premièrement comme en herbe, puis en espi, puis est meur ». Ensement 1, ils sont aucuns biens qui ont bon commencement de venir avant, et pourfiter; ces biens sont aussi comme en herbe. Les autres sont aussi comme en espi, qui bien pourfitent. Les autres sont qui sont parfais, et feront moult de biens. Tout ce bée li envieus à destruire et à honnir.

Pour ces trois manières de biens estaindre il n'est nule trahison, nule desloiauté que li envieus ne face, se il puet. Et ce témoignerai-je par l'essample de trois malices trop grandes; l'une fut de Hérode le roy, qui tua /106/ les innocens. Quer, par l'envie que il ont de Ihucrist, pour li estaindre, qui estait ancore aussi comme en herbe et en bon commencement de bien faire, il fist tant de murdres, et si cruels.

L'autre envie fut du déable contre Eve qui estait en fleur, et estat de bien pourfiter.

La tierce fut l'envie des Juis contre Ihucrist qui estait en estat de perfection, et faisait tant de biens, qu'il estait comme l'arbre parcreu en fruis murs; et ils pourcachièrent que il fu vendu, et pendu.

Se tu veus savoir quel fruit li arbre d'envie porte, et quels péchiés naissent de l'estoc d'envie, regarde à la malice d'Erode, et à la soutiveté au déable, et as desloiautés as Juis; et verras qu'il n'est desloiauté, ne murdre, ne traïson, ne péchié si orrible comme sont cheus qui naissent de l'estoc d'envie.


Ce sont les remèdes que nous metrons encontre le péchié d'Envie.

Le premier remède est que l'home doit mettre s'amour en tex biens, (ce sont les biens Dieu) que plusieurs peuvent aussi légièrement avoir, comme fait un /107/ tout seul. Dont St Grégoire dist « Le juste homme, pour ce qu'il ne convoite nient chose qui soit en terre, ne set avoir envie de bien ne de profit que autre ait ».

Après, un autre remède est: considérer quelle amour nous devons avoir l'un à l'autre; quer toute créature, par nature, aime son semblable. Dont nous devons tous amer l'un l'autre; quer nous sommes tous samblans, et sommes tous d'une nature et frères. Quer tous sommes dessendus de un père et de une mère, Adam et Eve. Nostre Sire créa tous les angies ensemble, mais il vousist que nous dessendissions tous d'un père et d'une mère; par quoi nous eussions plus grand amour ensamble.

Après, nous sommes frères espérituels: quer nous sommes d'un père, nostre Segnour Ihucrist, et d'une mère, Saincte Eglyse, et tendons tous à avoir un meisme héritage, la gloire des ciex. Et sommes tous compagnons espérituelment, et espéciaument tous les justes sont compagnons et en perte, et en gaaigne. Dequoi David dist:« Sire, dist-il, je suis compaignon de tous ceus qui te craignent » Et c'est bien raison; quer nous tous sommes membres d'un chief qui est Ihucrist. Quer aussi comme dist Sainct Pol, « Comme en un cors nous avons plusieurs membres, et n'ont mie tous nos membres une meisme euvre. Quer ce que la bouche fait, les eux ne le font mie, et aussi des autres. Ainsi nous plusieurs sommes un cors en Ihucrist. Et aussi comme nos membres ont compassion l'un de l'autre, si que l'un est blécié, /108/ les autres s'en deulent et li aident ». Quer quant la bouche se plaint, les mains le remuent et tastent doucement, et les eux le regardent en pitié et pleurent par compassion et par doleur; et aussi devons nous avoir l'un de l'autre qui sommes membres Ihucrist.


De Ire.

Le tiers vice capitaus est IRE: et dois savoir que il est une ire qui est vertu, que les sains homs ont encontre péchié. Quer ils le héent et guerroient comme leur anemi mortel qui Adam leur père, et tous leurs parens qui de li sunt issus, mist à mort.

Une autre ire est qui est vice, quant on se courrouche sans raison. Et dois savoir que cest vice a cinq degrés, en diverses manières de personnes, et cinq degrés en diverses manières d'ire.

Quer ils sont aucuns qui tost se courroucent et de légier oublient leur courrous; et ceux sont bons.

Uns autres sont qui de légier se courroucent, et n'oublient mie si de légier leur courrouz; et ceux ne sont mie si bons. /109/

Li tiers sont, qui atart se courroucent, mais durs sont à apaier; ceux ne sont mie si bons.

Li quart sont qui de légier se courroucent, et quant il sont iriez, nul ne les puet apaier; ceux sont mauvais, et tiex appèle-on félons.

Li quint sont qui ne se courroucent mie longuement; mais quant il sont courrouciés, jamais la félonie ne leur istra du cuer. Ceus sont crueus, et ceus apèle-on crueus félons.

Ceux-ci ont guerre de toutes pars: dedens, dehors, dessus, dessoure. Quer quatre manières de guerres que li homs a sont les quatre branches principaus qui issent de la nature de ceste épine.


La première Meslée,

ET LA PREMIÈRE BRANCHE PRINCIPAL.

La première guerre que le fel a, c'est par DEDENS, c'est à dire, à soi meismes: à s'àme, et à son cors.

A s'âme; quer, quant ire le seurporte, elle gète hors le Sainct Esperit qui ne se repose fors en lieu paisible, et si rechoit le déable qui n'aime fors hostel plain de /110/ noise et de discorde. Dont, du Temple du Sainct Esperit il fait mahommerie 1 au déable; quer il gète hors tous les biens, et il met ens tous les maus. Et ainsi entrent el cuer et abitent les vices qui ne tourmentent mie sans plus l'ame, ains travaillent le cuer et destruient. Quer il li taulent le dormir et le repos, le boire et le mengier, et li font boullir le cuer comme chaudière.

Ce voit-on toute jour; et avient souvent que par ire chiet-on en ague 2 et en frénésie, et en muert-on à la fois.

Quant ire surmonte, elle met homme en tèle tristrèche et en tèle désespéranche, que il se pent ou noie. Las! tant de guerres cel chétif a! —

La seconde Guerre.

La seconde guerre qu'il a c'est dessus li, c'est à Dieu.

Quer ils sont uns fols, uns forsenés qui, quant il leur /111/ meschiet, il en demandent à Dieu les coupes, et jurent de Dieu, et en dient quenques il puevent penser de honte et de lait, et gètent sous le pié le denier, et passent seur la crois par despit, et renoient Dieu plus de cent fois le jour. Si leur samble qu'il face ou trop froit, ou trop chaut, ou trop pluie, ou trop sécheresse, ou se il leur envoie maladie ou poureté pour eus chastier, il murmurent ou laidongent Dieu, ainsi comme un garçon.


La tierce Guerre.

La tierce guerre que li ireus a c'est contre ce qui dessous li est, à sa femme, et à sa maisine, neis as bestes mues.

Quer quant ire le sourporte, il bat sa femme et ses enfans qui rien ne li ont meffait, son chien, son chat. Il tourne ce-dessus-dessous, et brise pos et hénas 1, et quenques il tient as mains. Et n'est-il mie bien hors de sens? aumosne feroit qui le lieroit.


/112/

La quarte Guerre.

La quarte guerre est à ses voisins, par dehors, et à ses prochains qui sont entour li. Il en naist premièrement contens et despit, et puis rancune qui demeure el cuer. Après haine, puis meslée, et puis desirier de vengeance, et puis homecide, et puis guerre mortel.

Le premier rainsel de ceste branche si est, TENÇON. De cestui dirons-nous entre les autres péchiés de la langue.

Après la tençon demeure la rancune el cueur; quer le déable qui de cestui mestier sert, li dit en son cuer « Voire! il t'a dit ce; et pour coi ne li respons tu ausi? Certes, tu li diras encore, et n'est-il tel et quel. Molt fu hardis, quant il à toi se prist. Honnis soies-tu se tu ne t'en plains à tes amis. Si vera-on lequel ara plus grant pooir, ou toi, ou li! » —.

Et cel chaitif se cuide dormir, et tourne et retourne, ore à destre, ore à senestre.

« Par mon chief, fait le déable, encore ne dormiras-tu mie, se je puis. Maleureus! te lairas-tu si défouler? Certes tu parleras le matin à sa maisine, si qu'il te pourra bien entendre. » —. En tele manière atise le déable le feu de rancune. /113/

Après la rancune et la descorde, se veut-on vengier; et est péchié molt grant. Quer c'est tolir à Dieu ce que il a retenu à son œus, proprement. Quer trois choses il a proprement retenues à soi, que il ne veut donner ne à homme ne à angie: gloirre, jugement et venjance. L'orguelleus li tolt sa gloirre; li envieus qui juge le cuer, son jugement; l'ireus sa venjance comme sa haute justice. C'est un des péchiés du monde plus perilleus; quer se un homme tue son père ou l'Apostole de Rome, plus tost pourra avoir perdon que celi qui se sera vengié, et ara tué son anemi mortel.

C'est un péchié dont il vient molt de maus. Quer quant un homme se veut vengier d'un autre, il met toute s'estude à li damagier par mesdire, par plait, par paroler, par quenqu'il puet. Et ne se prent on mie au malfaiteur seulement; mais à son neveu ou à son cousin ou à sa maison ardoir, ou à sa vigne estirper.

C'est le péchié au roy Herode qui, pour la hayne que il avait à Ihucrist, fist tuer tous les enfans du pays; quer il se doutait de chascun que ce ne fust celi qui devait estre roy des Juis, et par qui il perdist son royaume. Mais cestui assaut les créatures Dieu, les blés, les vignes, les maisons qui rien ne li ont meffait ne nuire ne li puevent. Et pour ce, n'est-ce mie mervelle se tex gent meurent de male mort, aussi comme fist le roy Herode.

De cest péchié naissent les homecides et les guerres dont il issent tant de maus mortels, que on ne les porrait /114/ nombrer. Quer tu ses bien que, tantost que l'homme est mors, tous ses parens le veulent vengier, et sont en hayne et en péril, et eus et tous les leurs, et ceus qui par amour, ou par haine, ou par loier, ou par paour leur veulent aidier à ce faire.—. Et combien sont plus haus homs ceus qui s'entreguerient, plus y a de maus et de grans péchiés. Tu veois toute jour avenir que, pour une guerre qui est entre deux riches hommes, il muert plus de mil hommes: moustiers ja brisiés, viles arses; abbayes, priorés, grenches 1 destruites, hommes et femmes et enfans essiliés et desiretés, et menés à pain querre.

Cest grand Seigneur, qui tout ce a pourcachié par son orguel, et par son malice, ou par hayne ou par convoitise, quant ara-il pénitance faite de tous ces maus et de tous les péchiés qui li gisent sur le haterel 2?

Certes, s'il eust pris un homme en une de ses viles qui ore sont destruites par li, qui eust une vache emblée, ou un homme mort, ou un moustier brisié, ou une femme enforcie; … il l'eust pendu par la gueule. Et quentes harts cuides-tu qu'il ait desservies, qui en enfer l'attendent, pour tant de cas 3, de arsins 4, de pressiures 5, de sacrilèges, de desertemens que il a fais? « Pour ce, /115/ dist l'Escripture, que les grans Segneurs aront touz les grans tourmens, et les grans jugemens aussi » —


Du remède contre Ire.

Or est drois, quant nous avons parlé du vice d'ire, que nous mettions aucuns remèdes par quoi on sache et puisse réfréner sa propre ire.

Le premier remède est: penser à la passion nostre Seigneur. Dont St. Grégoire dist: « Se nous pensons à la passion nostre Seigneur, (c'est la mort amère que il soufri pour nous) en nostre remembrance, nous n'arons nul chose à soufrir que nous ne portons débonnairement, et souferions doucement pour l'amour de li ».

Le second remède est: que on se taise, et que on ne responde nient à celi qui dit ou fait aucun repreuche, ou aucune vilonnie.

Dont Salemon dist en proverbes « Qui ne respont rien au félon et sor, il adoucist la félonie » .

Dont on list en la vie des Pères, d'un Sainct Père. On li demanda pourquoi les anemis le doutaient tant. Il respondi que très-dont qu'il fu fais moine, il proposa /116/ en son cuer que jamais parole felonesse n'istroit de sa bouche.

Le tiers remède est: considérer que quenques nous avons à soufrir, est de l'ordonnance nostre Seigneur. Quer si un hom pense et veut à un autre mal, si ne li puet-il faire, se Dieu ne l'en donne povoir; et tèle fois, est à la dampnation de celi qui fait mal à autri, et au salut de celi qui le seufre, s'il le prent en patience.

Et ce doist estre grant soulas as justes; quer toute tribulation est aussi comme un bevrage médecinable que li très saige mires donne à boire à ses amis; si comme il fist au bon Job qui disoit en ses graciemens « Se nos avons receuz les biens de Dieu, que nous avons tant receuz sans nombre, pourquoi ne recevrons aussi les maus? Dieu les nous donne, Dieu les nous tolt; aussi,à sa volonté, et aussi comme il li plaist. Benois soit Dieu de quenques il nous fait ».

Le quart remède est considérer nos propres défautes. Quer quant l'omme connoist en li ses propres défautes, et il veut que on le déporte en icèles, il doit aussi autri plus volentiers déporter en ses défautes. Dont Salemon dist « Le soufraiteux est miséricors ». Et pour ce, aucuns se courroucent légièrement des défautes d'autri, pour ce qu'ils ne connoissent mie en eus les leurs. Et de ce dist St. Augustin « Tu te courrouces à ton serjant quant il méfait; courrouces-toi à toi meisme quant tu meffais ».

Le quint et deerrain remède que nous mettons est: considérer et penser à nostre fin, et à la mort, et que /117/ nous devendrons après la mort. Dont Ecclésiastes dist:« Ramembre-toi de la fin deerraine, et laisse toute ire et toute hayne; et si te souviégne du jugement nostre Ségneur qui est si épouvantable; et ne te courrouce mie à ton prochain. Quer qui en cest siècle ne perdourra toutes félonies et toute hayne, il n'aura ja perdon de ces péchiés, ains aura dampnation perpétuelle avec Judas et Hérode, et les anemis.»


De accide 1.

Or dirons du quart vice chapital, qui est apelé accide, et vaut autant comme mauvaistié, tristrèche, langueur, annui de bien faire; qui fait que homs /118/ n'aime fors uiseuse 1 et repos, dormir, et vivre comme pourcel.

Pour tel homme confondre et faire honte, et contre cest vice crie quenques il est en ciel et en terre: le soleil, la lune et les estoiles qui ne cessent, de nuit comme de jour, de courre et recourre moult grans journées, pour faire le commandement Dieu, et pour homme servir; après, la terre qui ne fine de fruit porter, les herbes, les arbres qui servent chacun jour de leur mestier et de leur povoir; après, les bestes mues, dont Salemon envoya au fourmi, pour sens aprendre, le parécheus.

Après, les laboureours et les poures gens qui tant seufrent pour leur vie pourcachier, crient contre le parécheus.

Après les sains qui tant ont souffert de tourmens, et les angies qui ne cessent de Dieu loer.

Après les bonnes gens qui tant seufrent de pénitance pour l'amour Dieu; dont Lucifer qui entre euls volt seoir, fut bouté hors de Paradis.

Après, le fils Dieu qui tant soufri de paine, tant comme il fu en terre, non mie pour mestier qu'il en eust, mais pour nous monstrer et donner essample de travellier. Quer en l'ostel Dieu n'a nul uiseus.

Hé Dieu! comme doit avoir très grant honte homme et femme qui en ceste vie vit, qui ne s'esveille à tant de /119/ cris, et esvigourer ne se veut à tant d'essamples, ne pour paour d'enfer, ne pour l'amour de Dieu.

Cest vice est une male rachine qui gète molt de males branches; et tiex homs est aussi comme terre qui ne porte fors orties.


Le premier rainsel

Le premier rainsel est TÉVETÉ 1, de qui naissent, ce samble, tous les autres, quant l'omme aime petit et tévement ce qu'il deust amer durement et ardaument. C'est amour désordenée qui l'afoiblist et anientist, et lasse à tout bien faire. Et de ce avient-il que une vellote qui va à une potence 2 est plus forte à pénitance faire que n'est un biau Jouvenciaus qui semble fort comme champion, ou un chevalier qui vainc un tournoiement. Quer riens ne donne tant de force comme amour. Et quant elle faut, force faut. /120/

Yaue téve fait mal au cuer, et fait vomir; et ceste téveté fait l'omme abhominable et téve à Dieu, si que il le vomist, et le gète hors de son hostel et de son service, comme dist St Johan l'Evangélistre en l'Apocalypse.

Quant le pot est tiéve, les mouches s'y assiéent molt plus volentiers qu'en autre point. Et quant il bout, elles l'eschivent volentiers, pour ce qu'il est trop chaut. Et quant le four est tiève, li ribaut y entrent volentiers. Aussi font les déables. Tantost entrent el téve cuer; lâ se baignent et reposent, comme on fait en yaue téve.


Le second rainsel.

Le second rainsel est TENDRÉCHE; quer, quand le déable entre el cuer, comme le ribaut el four, coute li convient pour li reposer. Celle coute 1 est la tendréce, et le mollesce de l'omme ou de la femme.

Lâ gist et chante, et se déduit, et enchante ceste chaitive âme et li dist « Tu as esté trop suéf nourri; tu es /121/ de trop faïble complexion. Tu ne pourroies ce soufrir, vellier, traveiller, jeûner, matin lever, et ces autres durtés que ceus seufrent, qui ce ont appris. Tu seroies tantost mort. Il n'a rien qui santé n'a. Bon chastel garde qui son cors garde. Il te convient robe néte, chaude en hiver, et froide en esté. Garde-toi de ces froides viandes, et seur toutes riens, de boivre mauvais vin; quer il atrait les mauvaises humeurs, et le bon vin nourrist le cors, et fait bon sanc. ».

Par foi, veci vroie merveille! Le déable est physicien devenu. Aussi encraisse-il ses pourciaus contre sa feste que il fera, quant il mouront.

Hé las! com' ci est mal fizicien. Les autres garissent les malades; et cesti fait, des haitiés 1 malades, et lan guereus; et les gète en telle paralysie, qu'ils ne se puevent aidier de membres qu'ils aient; et les fait fort malades, et languir et morir de honteuse mort. Quer celle mort est molt honteuse, quant on se tue à ses deux mains; et cela avient pour ce que le cors est si Ségneur et si maistre, et tant demande de repos et de délices, qu'il en pert le talent de mengier, et tout délit, et tout repos; et, en la fin, le cors et l'âme.


/122/

Le tiers rainsel.

Le tiers rainsel est UISEUSE, qui est un grant péchié; quer c'est contre le commandement que Dieu fist à Adam. Quer il li commanda et li dist que il labourast, et qu'il vesquist de sa sueur.

Et si est grant péril; « Quer, si comme l'Evangile tesmoigne, quant le déable treuve l'homme uiseus, il a congié de li tempter, et d'entrer en li, comme il fist es pourciaus; et y maine ses sept compaignons, et y est maistre, et tient l'escole. Quer quant il le treuve uiseus, il le mest en euvre.

Il li fait premièrement, penser vilonnies; et puis, desirer lécheries et malices.

Après, uiseuse est molt grant péchié; quer homme uiseus qui son tems pert, il pert la plus prétieuse chose qu'il y ait, et ce qu'il ne recouvrera jamais: les biens qu'il peust faire, et le loyer qu'il peust conquerre.


/123/

Le quart rainsel.

Le quart rainsel est le vice de PESANTEURE. Quer quant l'omme est pesant, il n'aime fors gésir, et la moitié de sa vie pert et despent en dormir.

Molt blasme nostre Sire ceste vie en l'Evangile, et commande que nous veillons et ourons souvent; si comme il meismes nous donna essample, qui les jours despendait en preschant, et les nuits en ourant.

De cestui vice issent trois manières de péchier. Quer premièrement, ils péchent de ce que tant aiment le repos, qu'il ne leur samble onques qu'ils aient asses dormi; ains se complaigent tous jours que ils ne peuuent dormir.

Après, que es heures que ils deussent miex veiller, adont dorment-ils plus volentiers, c'est as matines, quant ils deurrent Dieu proier et loer. Si comme nous tesmoignent les escriptures et les créatures; si comme les oysèles qui chantent au matin, et loent Dieu si doucement.

Après, que si à envis, et si parécheusement se lièvent pour Dieu servir. Ils aiment miex à perdre trois messes que une sueur, quant elle vient au matin.


/124/

Le quint rainsel

Le quint rainsel est MAUVAISTIÉ. C'est quant l'omme gist en péchiés qui moult li grièvent, et s'accorde as temptacions qui l'assallent.

Cestui ressamble au mauvais qui miex ame pourrir en une orde prison parfonde, que d'avoir la paine de monter les degrés, et aler s'en. Et à Naaman le mésel 1, qui ne se voulait baigner en eaue froide pour estre gari de mêsélerie. Et à ceux dont raconte Sainct Ysaïe, qui voient les déables qui les desrobent et emportent tous les biens que ils ont, aussi légièrement comme on fait les œus de la geline de son ni; et n'ont pas tant de vertu que ils meuvent les èles pour eus défendre, comme fait la gelène contre l'escoufle 2; ne qu'ils euvrent la bouche pour crier, comme fait le mastin qui abaye le larron, et enchace par son abay.

Une autre mauvaistié nous montre David le prophète, de celi qui tient le pain, c'est la parole Dieu, toute jour /125/ en sa bouche, comme font les clers et les cloistriers, et muert de faim, pour ce qu'il oublie à user, c'est à mettre à euvre.

Et n'est-ce grant mauvaistié de celi qui, nenne ses oreilles sans plus, mais son cuer qui mieux vaut, ame miex à laissier mangier as mouches, que li défendre, c'est à dire, as mauvaises pensées et as mauvais desiriers, pour ce qu'il ne se puet ne ne veut movoir à nul bien faire? — Et de celi qui veoit le dégout de la maison, c'est les cures du monde, qui li crièvent l'eul, pour ce qu'il ne veut torner l'eul destre vers la paroi? — Et de celi qui gist en son lit, c'est en son délit 1; qui est tout épris du feu de péchié, et laisse ses piés ardoir (c'est ses volontés qui portent l'âme, comme font les piés le cors) pour ce qu'il n'a pas tant de vertu qu'il les puist à soi traire?—. Et quant gaagnera tel hom Paradis, par paréche, qui ne se puet des mouches défendre, ne ses piés à soi cachier, ne son chief tourner vers la Paroi, ne son pain maschier?


/126/

Le sixisme rainsel.

Le sixisme rainsel est PUSILLANIMITÉ, c'est foible cuer. En cest vice sont ceus qui ont paour de nient; qui n'osent commencier bien à faire, qui paour ont que Dieu ne leur falle. Et pour ce est-il drois qu'il leur falle; et si fera-il, se dist Salemon.

C'est la paour de ceuz qui n'osent aler par nuit, ains crient 1, et si ne sévent pour quoi. C'est une paour comme de songe.

Un home songe qu'il li convient passer un pont de glace ou de voirre, et en a si grant paour, qu'il en meurt tout vis. Et si n'a mie paour de son anemi mortel qui, par vérité, est desseure sa teste, l'espée traite.

Cesti ressamble à celi qui n'ose entrer el sentier de bonne voie, pour le limeçon qui li monstre ses cornes; ou l'enfant qui n'ose aler la voie, pour les oisons qui siflent, et font samblant qu'ils li queurent sus. Quer le déable si n'a povoir contre celi qui est en grâce, fors de sifler, et, en guise de Limeçon, monstrer ses cornes.

Mais quant il tient l'âme dessous li, il est fort et cruel, comme est l'unicorne.


/127/

Des remèdes qui sont contre le vice d'accide.

Quant nous avons parlé du vice d'accide et de parèche, si dirons et metrons aucuns remèdes contre cest vice.

Le premier remède est: que on soit tous jours embesoigné en aucune bone euvre, par quoi le déable ne truist 1 mie l'omme uiseus, si comme dist Sainct Jérome; quer en molt grant péril est hom uiseus.

Et de ce list-on de St. Antoine, qui estait en sa celle et en son hermitaige, qui fu tempté du pechié de accide. Et il dist à nostre Ségneur « Sire, je desire à estre sauvé; mais vaines pensees me tourmentent et ne me laissent. Démonstres-moi que je ferai, et comme je me doie sauver. » .

Et il vit un ange nostre Ségneur, en fourme d'omme, qui estait samblant à li, qui tordoit une corde, et puis se levoit, et aloit en oroison: et puis se rasséoit à son /128/ euvre, et puis se levoit, et aloit en oroison. Et li dist « Antoine, fai ainsi; si sera sauvé ».

Pour ce a donné nostre Sire plusieurs membres à l'omme, et divers, pour ce que il se serve de tous. Dont aucune fois doit-on servir nostre Ségneur en chantant, en li loant, en li rendre grâces de sa bouche; et des mains, en labourant et en escrivant. Dont, si comme dist St. Pol « qui ne labeure, il ne doit rien mengier ». Et Ecclésiastes dist « Fai et euvre sans délai quenques ta main puet faire. Quer en enfer ne seront nules euvres, ne raison, ne sapience; ne science n'y sera pour li défendre ne escuser; quer le serf qui sait la volenté de son Ségneur, et il ne le fait, sera batu de molt de tormens ».

Le second remède est: considérer les paines d'enfer, et la gloire perdurable.

De ce dist St. Augustin « Se le labour t'espovente, regarde le loier que tu en aras ».

De ce avons-nous essamples en la vie des Pères, d'un frère qui vint à son Abbé, et il li demanda pourquoi il estait accidieus en sa celle —. Pour ce, dist-il, que tu n'as mie veu le loier que nous attendons et espérons, ne les tourmens que nous doutons. Quer se tu les avoies bien diligaument regardés, se ta celle estait toute plaine de vertus jusques à ton col, tu seroies en ta celle sans accide. ».

Le tiers remède est: estre en la compaignie de bons; quer ceux qui sont parécheus à bien faire, il leur est besoing qu'ils aient tiex en leur compaignie qui, par /129/ leur essample et par leur doctrine, les enluminent, et entichent 1 à bien faire et par leur oroison leur aident.

Le quart remède est: considérer les périls oû nous sommes en cest siècle.

Trois manières de périls font l'omme veller, et des tourner de dormir: péril d'yaue, de feu, et de larrons. Esquex périls nos sommes espérituelment en tout tems. Il n'est nul jour que aucune onde de mauvaise pensée ne s'embate en nos cuers, et que le feu de aucuns mauvais desiriers n'embrase nostre conscience et nos cinq sens, qui devraient estre nos serjans, et nous garder.

Et ils nous sont larrons, et nous desrobent de nos biens.

Le quint remède, et le derrain que nous mettrons est: requerre la gràce de Dieu. Dont, quant aucun se sent accidieus et parécheus à bien faire, il doist estre en oroison, et empètrer à Dieu grâce sans la quelle nul ne puet nul bien faire. Si comme nostre Sire dist en l'Evangile « Sans moi, fait-il, c'est sans ma grâce, vous ne povez rien faire » laquelle grâce boute hors tout accide. /130/

Scipion li aufricains qui fu un des plus sages payens, et des plus preus, volentiers estait huiseus et seul; molt pensait, et petit parloit. Et quant on li demandoit qu'il faisoit quant il estoit seul et huiseus, il respondoit ainsi « Je ne suis onques mains seul que quant je suis seul, ne mains huiseus que quant je suis huiseus ». Moult a fait ceste parole à maint homme bien, et encore fera; et molt a esté loée et de sains et de philosophes.

Tulles, qui fu un des grans philosophes que onques fust-il, recorde ceste parole, et molt la loe et dist « Hé Dieu! com'ci a haute parole de preudomme, et vallant, et saige, qui monstre que quant il est huiseus, adont est il plus embesoigné. Quer adont traitait et ordenoit les grans besoignes et les grans querèles; et quant il estoit seul, adont n'estoit-il onques mains seul; quer il estoit avec le meilleur ami qu'il eust, c'estait avec li-meisme à cui il parlait privèement. Dont deux choses qui métent le fol en douleur et en annui, métoient cesti en soulas et en joie, qui sont uiseuse et solitude ».

Ceste parole reprend St Ambroise, et la loe, et dist ainsi « N'est pas mestier que Cypion ait apris tout seul à estre nient seul, quant il est seul, et nient huiseus, quant il est huiseus. Ceste parole est vraie en preudomme crestien, sage et juste. Quer quant il est seul, adont est il plus privéement avec Dieu. Et quant il est huiseus, adont traite-il des grans besoignes et querèles, et tient son parlement entre li et Dieu. Et pour ce, dist Sénèque, que rien ne vaut tant à homme qui à Dieu bée com poi /131/ parler à autri, et molt à li meisme ». Et St Bernart dist « que li preudoms n'est onques si aaise comme en son hostel, c'est quant il est privéement en sa conscience avec li meisme. Quer adont parole-il avec le plus vrai ami qu'il ait, c'est avec li mesme.».

Mais le mauvais hom et le fol treuve en li meisme un mauvais hostel, et un mauvais hom, et un fol; et à son anemi mortel il parole. Et de ce avient-il que il sont tant de gent qui ne sévent estre en repos ne sens; quer il ne treuvent point de soulas en eus dedens, et pour ce, le querent-ils dehors. Et pour fuir huiseuse, jouent as dez, as tables, oient romans plains de flabes, dient les trufes et les risées, et font grant gast 1 et grant largesce du tems précieus dont ils aront encore molt grant soufraite 2, et perdent les biens qu'ils peussent et deussent faire; et perdent le trésor du cuer précieus, et l'aemplent de vanité. Ils euvrent leur chastel, et les anemis y entrent.

Ils apèlent ces paroles-ci huiseuses; mais elles ne sont /132/ mie sans plus huiseuses et damageables, comme celles qui voident le cuer de tous biens, et le raemplissent de vanité et de tous maus; comme celles dont il convendra rendre raison de chascune devant Dieu, au jour du Jugement, si comme Dieu dist en l'Evangile.

Et est à savoir que autre chose est parole huiseuse, et parole nuiseuse, et parole deshonnète.


De fole ferveur.

Aussi comme accide est péchié, aussi est fole ferveur et indiscrète.

Ils sont aucuns qui ne veulent en aucune chose condescendre à leur char, ains s'affolent par Jeunes, par veilles, par pénitances qu'ils font sans discrétion.

Et est très grant péchié; quer, comme dist St Bernart « Qui destruit ainsi son cors, et aféblist par indiscréte ferveur ou ardeur de bien faire, si que les biens espéritueux en soient empéchiés, il oste à son cors povoir et force de bien faire, à son esprit bon désirier, à son prochain bon essample, à Dieu honneur. Et est sacrilége; quer il a violé et viole le temple nostre Ségneur, c'est /133/ le cors. Et en toutes ces choses il est coupable envers Dieu.

Saint Pol dist que « Nostre servise doist estre raisonnable « c'est à dire: par discrétion et par raison veut Dieu que on le serve. Il veut que on destruie les vices, et non le cors par trop grant pénitence encarchier 1, mais par raison, et atemprement 2. Après, de fole ferveur, et de indiscrète, en vient souvent orguel et vaine gloire. Dont, nul ne doit son cors destruire, mais par raison gouverner; et que les jûnes et les pénitances soient faits par discrétion et en humilité, et que le cuer ne s'eslève dont il se doit humilier.

Et samble à aucuns qu'il ne puissent estre sains, se il ne sont homecides de leur cors par Jeunes et par pénitances. Et leur samble con doit soustraire as fils Dieu la sustance et la viande du cors, eus qui seroient dignes de mengier or, et de boivre basme. Si comme dist Sainct Bernart: « Donne moi, dist-il, un tel deciple comme fu Tymotéus, et je le paistrai d'or, et abeuverai de basme. ».

Et, néquident, es viandes doit-on molt douter le délit; quer souvent prent-on trop de viandes délicieuses, et par trop grant ardeur. Mais on doit et puet en prendre /134/ ce que besoin est à la soustenance du cors, si que on puist servir son créatour, et loer, et gracier; et que on ne les prégne mie en trop grant ardeur, ne par trop grant quantité. Et qui ainsi les prent, ce n'est mie péchié, ains est anchies mérite. Mais ils sunt aucuns qui sunt as autres bons et miséricors, et à eus sunt mauvais et cruels. Et, qui est mauvais à li, à cui est-il bons?

Sainct Bernart dist que « On ne doit mie tous jours croire, ne aemplir, ne faire toute sa bonne volenté, ains la doit-on gouverner et réfréner par raison ».


De Avarice.

Le quint vice capital est avarice, qui plus règne el monde que nul autre péchié, au tems qui ore queurt; par quoi il paroit bien que le monde enviellist, et est en son deerrain aage. Quer il est ainsi de l'omme comme du monde.

En l'omme, quant il est jeune, régnent plus luxure et joliveté que autres vices. Quant il est el moien aage, orguel et ambition y règne; et quant il est vieil, avarice et convoitise. /135/

Et le monde aussi, en son premier aage, fu corrompu de luxure, pour quoi le déluge vint, et noia tout.

Après régna orguel et ambition, tant comme les quatre Empires furent en leur Ségnourie, li uns après l'autre: primes, le Caldeu; après, celi de Grèce qui li Caldeu vainquirent; après, les Gréjois; après, les Romains.

Or est venue dame Avarice en la fin, qui ore est dame, et royne, et maitresse du monde. Quer, si comme dist Salemon « A l'avoir obéist tout le monde ». Et Jérémie dist que « Dès le petit jusques au plus grant, tous estudient en avarice. »

Ceste maitresse a moult grant escole, et moult d'escoliers, et de haus et de bas, et ce toutes manières de gens. Neis ceux qui ont voué à vivre sans propriété, requeurent à l'escole d'avarice 1; par quoi il paroit bien que la fin du monde aprosche; quer il art 2 tout d'avarice. Et le Sainct dist que « Quant l'omme enviellist, les autres vices enviellissent. Mais tant comme l'omme plus envieillist, tant en li plus avarice ajoulist 3 ».

Avarice est amour d'avoir désordenée. Et cest désordénement se monstre en deux manières: en acquester ardaument, et en retenir estraignaument et despendre /136/ escharsement 1. Ce sont les deux branches principaux qui de céle male racine issent, dont la première est apelée convoitise.—.

Convoitise est cèle beste mervelleuse que le Sainct vist en Apocalypse, qui avait chief de lyon, cors de liupart, et piès d'ours; et avait sept testes et dix cornes. Et seur li séoit une fole femme et desloial, qui avait à nom Babiloine, la mère des malices et des vices qui sont en terre. Et estoit acesmée d'un pourpre d'or, et tenait en sa main un bevrage dont elle abevroit toutes les gens.

Ceste femme est dame avarice qui enyvre et assote tout le monde. Le bevrage qu'elle tient en sa main est cler comme or; c'est LE SENS DU MONDE dont chascun veut boire. La beste seur la quelle elle siet est convoitise, qui a chief de Lion; quer les chevetains 2 du monde sont convoiteus, et fiers, et cruels comme lions. Et si avait le cors comme liupart, qui est tout vair 3 de male put; ce sont les moiens marcheans, les usuriers qui sont faus et plains de baras. Les piés d'ours sont la piétaille qui ne redoutent mal à faire, pour avoir acquerre, nient plus /137/ que li ours fait les coups et les bateures, mains 1 qu'il puist au miel ataindre.

Les sept chiefs sont les sept péchiés mortels qui tous naissent de ceste racine.

Quer ce véons nous apertement que convoitise met l'omme en orguel, et en envie, en ire, en accide, en glouternie, en luxure; si comme il parait en maintes femmes qui, par poureté, font luxure de leur cors.

Et pour ce, dist St Pol « qu'elle est racine de tous maus ». Les X cornes sont X manières de péchiés de convoitise: aussi comme X rainséles.


Le premier rainsel d'avarice.

E premier est SYMONIE; c'est quant on veult acheter les choses espérituels: ce sont ceus qui vendent et achatent les ordres et les autres sacremens de saincte Eglyse. Et ceus qui, par leurs dons ou par leurs promesses, ou par force, font tant que eus ou /138/ autres sont esleus as dignetés de sainte Eglyse, et ont les parroches ou les benefices, ou entrent en relegion. Je ne devise mie les divers cas qui sont en Symonie, pour ce que il apartienent plus as clers que as lais; et cest livre est fait proprement pour laie gent, qui en trois poins especiaument se doivent garder de cest péchié. Li uns est quant il veulent aidier leur amis as dignetés de Sainte Eglyse; l'autre, quant il donent les provendes qui sont de leur deu; le tiers quant il vendent leurs enfans en abayes. En ces trois poins à la fois il donent ou rechoivent mauvais dons ou mauvaises proière, ou mauvais service: et ainsi péchent par Symonie.


Le secont rainsel.

Le secont rainsel d'avarice est SACRILEGE; c'est quant on brise ou traite vilainement les choses saintes, ou les personnes ou les lieus beneois de Ste Eglyse. Et ce fait faire convoitise souvent: si comme ces prestres, pour gaagnier, chantent deux messes le jour, et ceux qui rechoivent le cors nostre Segneur en péchié mortel. Il font plus grant sacrilege que se il le ruoient en la boe. /139/

De ces péchiés ne sont mie quites ceus qui dépendent les biens de sainte Eglyse en orguel et en lécherie, et en autres mauvais usages; ne ceus ne celles qui pregnent de ceus qui de doner n'ont pooir. Ne ceus aussi qui retiennent ou forceilent 1 ou paient mauvaisement leur rentes, les ofrandes et les autres rentes de Ste Eglyse.

Ce n'est mie sans plus larrecin, mais sacrilége, qui est assez plus grant péchié. Itel péchié font ceus qui par convoitise brisent les festes con doit garder: quer les Sains y ont leur franchise, aussi comme le lieu et les personnes.


Le tiers rainsel.

Le tiers rainsel est MALIGNETÉ; ce est quant l'omme est si desloial, que il ne resoigne 2 à faire un péchié orrible, ou grant damage à autri, pour petit de conquest; si come ceus qui, pour deniers, apèlent ou font apeler le déable, et font les enchantemens, et gardent /140/ en l'espée 1; et ceus qui ardent viles et moustiers, et font cent livres de damage où il n'ont une derrée de pourfit. Et ces charetiers qui emblent ces vins es tonniaus, et pour deus sestiers que il engloutent, honnissent de vin dix livrées. Tiex manières de gent sont tenus à restorer tout le damage que il font à autri à tort. Et ne sont-il bien hors du sens, et plus malheureus que autres pécheurs qui emportent le péchié dont autre a le preu, et sont tenu à rendre ce que d'autres ont eu.


Le quart rainsel.

Le quart rainsel est RAPINE; et le plus grant cruauté des autres, est de ceus qui desrobent les mors: quant le fis desrobe le père, ou le père le fils, ou le baron sa femme, ou la femme son baron. De tant come il ont /141/ esté plus amis en leur vivant, a tant sont ils plus anemis à la mort. De cestui péchié ne sont pas comptés les mauvais exequteurs qui les testamens soustraient, et mettent en non-chaloir, et oublient les chaitives ames qui ardent en purgatoire par leur défaute.

A cestui péchié appartient le péchié de ceux qui voient les poures gens mourir de faim, et n'en ont pitié que de chiens; et de ceus qui tolent les loiers à ceus qui les servent. Cest péchié est compains à homecide. Et St. Jaque dist qu'il crie harou devant Dieu, aussi come fait le sanc del homme que on ochist. Tiex sont ceus qui ne veulent paier ce qu'il doivent; qui tant sèvent de tours et de guiles 1, que on ne les set par oû tenir. Il rompent convenances et promesses, et foy, et loy, et seremens; ne ne puet on avoir droit de eus. Ceus sont pires que robeurs; quer ce que li robeur emportent ne couste rien à requerre; mais ce que il paient mauvaisement couste assez à requerre. Et en la fin, tel fois est, on pert et coust et chatel. Et tout ce sont-il tenu à rendre à ceus de qui il l'ont eu.


/142/

Le quint rainsel.

Le quint est LARRECIN. Il sont aucuns larrons apers de qui on fait iustice, quant on les tient. Et il sont uns larrons couvers qui emblent les héritages: si comme ceus qui remuent les bonnes 1, et qui se font frans, et il sont serf. Et si sont uns petis larronciaus qui n'ont mie le cuer d'embler grant choses, mais à leur voisins emblent leur poules, garbes en aoust, et autres choses, dont on escomenie.

Et si sont uns larrons privés qui n'emblent mie à estranges gens, mais à leur Segneurs.

A cesti péchié apartient le péchié de ceus de religion qui sont propriétaire, fors tant que leur péchié est plus que larrecin; quer il sont larrons et sacrilèges, et coupables de veu enfraint.

En ceste clergie a avarice moult de deciples; quer en tous mestiers et en toutes mercheandises a trop guile, barat et larrecin. Pour ce dist Dieu en l'Evangile que « Sa maison est sainte Eglyse, et on en fait fosse à larrons »; quer chasçun estudie à engiginer 2 son compagnon.


/143/

Le sixisme rainsel.

Le sixisme est USURE, qui est larrecin; fors que tant y a à dire entre usurier et larron, que li lerres, quant il emble en une vile, n'emble mie en une autre. Li usurier emble en plus de cent viles ensamble. Li lerres n'emble mie tos jours; ce fait l'usurier, neis en dormant. Et dist l'Escripture que « Quanques on puet penser de preu temporel que celi qui preste atent et prent pour le prest, soit en don, soit en service, soit en autre bonté, tout est usure ».

Et si sont usuriers PRESTANS: si comme ceus qui, par dessus le chastel, prennent leurs montes.

Et si sont usuriers RETENANS; ceus qui ne veulent rendre ce qu'ils ont de leurs antecesseurs qui gaagnié l'ont par usure.

Ceus sont en grant péril; quer il ne veulent connoistre ne croirre que il soient tenus à rendre ce que il n'ont mie gaagnié; ains seulent dire: « Qui la brace, si le /144/ boive ». Et nous leur disons que autrement va la chancon; quer nos disons « Qui le bevra, il le paiera ».

Et si sont uns usuriers qui ne daignent prester de leur mains, ains font prester à leur voisins, leur enfans, leur cousins. Tiex sont les haus homes qui soustiennent les Juis, et les caoursins 1, pour les dons et pour les raencons que il en ont.

Si sont uns usuriers mercheans que on apèle TAVERNEURS: et ceste pestilence est en eus, de acheter vil et de vendre plus chier pour le terme; et est espandue par le siècle. Si que à peine est-il nule mercheandise oû il n'ait un poi d'usure, neis en denne 2 de moustarde; quer celi qui apportera la maalle, ara gregnieur 3 cuillerée que celi qui acroit.

Si sont uns usuriers par gaagnie, qui baillent leur argent as marcheans, par ainsi qu'il sont compagnon au gaaing, et nient à la perte. Et ceus qui leurs bestes baillent à moitaierie 4, par ainsi que, se aucune des bestes muerent, on i doit mettre aussi vallans; et par autres convenances qu'il pourpensent, plus soutils que nuls clers ne pourroient descrire. /145/

Et si sont uns usuriers de tous mestiers, qui nule besoigne ne font oû il nait aucun poi d'usure. Quer quant il veulent leur vignes faire ou leur terre gaagnier, il resgardent quant la gent sont soufraiteus; adont si font marchié par ainsi qu'il paient les deniers avant, et ont deus denrées d'ouvrage pour I 8 1.

Et si sont uns autres usuriers qui metent les gens en ouvrage sous fuer faire 2. Quant ce vient à vespres, que le poure home ou la poure femme arait deservi X 8 ou VI, si n'en aront que III, ou mains encore. Et avient que il leur en convient prondre leur mauvaises denrées qu'il leur sourvendent ou en pain, ou en vin, ou en autre choses. Et se il avoient leur argent sec, il l'emploieroient miex. Or, ont la poure gent poure jornée, et poure denrée et male. Et sachies c'est contre Dieu durement.


/146/

Le septime rainsel.

Le septime rainsel est CALOIGNE 1, c'est courre sur autri à tort. A cesti péchié apartienent les baras, les tricheries et les faussetés qui arrivent en plait.

A cesti péchié apartienent les baras, les tricheries et les faussetés qui amènent en plait. En ceste clergie a dame avarice molt grande escole, et de clers et de lais, qui estudient et es drois et es lois, nenne pour tenir, mais pour pervertir. De cesti péchié sont coupables les faus plaignans qui travallent à caloigner a tort, qui quièrent les fausses péticions, ou les faus iuges, ou les non sachans, ou les lointains, les fausses lettres, les faus tesmoing. Et tous autretiex sont les fuitis, qui fuient et noient ce que droit est; et gètent baras et delaiemens pour tolir à autri ce qui leur est; et treuvent plus de tours pour fuir, qu'il n'a de ruelles en Paris.

Itex sont les faus tesmoing qui deseritent les poure gens, et leur tolent qui vaut mil mars, pour gaagnier cinq sols qu'il ont pour eus perjurer et pour leur ames /147/ perdre. Et si font plus de mal deux mauvais tesmoins que tout un pays ne peut amender.

Les faus notaires refont molt de mal par convoitises; quer il font les fausses leitres, et prennent pour leurs notes dix tant qu'il ne deservent.

Les faus advocas péchent en molt de manières; quer il rechoivent les mauvaises causes à ensient, et enseignent les malices, et dient les menconges et alléguent les drois perversement, et destourbent la pais à faire, et prenent les grans salaires, et perdent les querèles par négligence et par non sens.

Les faus Juges aussi péchent, quant il pendent plus d'une part que d'autre, ou pour avoir, ou pour hayne, ou pour amour, ou pour proière, et rechoivent les dons pour les querèles sans raison; et font faire les grans despens, et prennent d'une part et d'autre.

En toutes ces manières de fausseté et de caloigneries, quant ce vient au jugement de l'ame, toutes ces personnes devant nommées ne sont pas tenues seulement à rendre ce qu'il ont mauvaisement receu, mais tout le damage que les autres par eus ont eu.


/148/

Le huit rainsel.

Le huit rainsel est BOISDIE 1: c'est quant les gens sont aliés ensamble, et devraient garder foy et loiauté l'un à l'autre, et il se painent et estudient coment il pourront leur compaignons engiginer. En ceste escole a dame avarice assez escoliers.

On doit garder foy et loiauté envers Dieu. Ceste aliance est tos jours, d'une part, ferme; quer en Dieu n'a barat ne boisdie. Mais il est molt souvent boisdiés; quer qui est celi qui, sans boisdie et sans faintise, met cuer et cors, et tans, et sens à li servir.

Tous sommes de la maisine Cayn de cui avarice commença, qui ofri à Dieu les garbes voides et petites. O Dieu du ciel, qui nous vestez et paissiez, et trouvez quenques mestier nous est, comme nostre avarice nos fait de honte et de boisdie! Tu nous donnes les robes neuves, et nous ne te voulons rendre les vieilles! Tu nous donnes à mengier et nous te toulons tous relief! Tu nous aemplis nos greniers, et tu muers de faim devant nos ex! Tu nous donnes d'an en an quenques terre porte, et les /149/ neuf pars ne nous soufisent mie; ains te tolons ta disime que tu as retenue à ton oeus, en signe que tu es sire de tout. O biaus dous Ihucrist, qui par ta mort conqueris les rentes que les clers ont es Eglyses, pour toi henourer et servir, et tes poures soustenir: comme tu as petite part de ce qui tien est! A paine te lesse on glaner en ton champ propre! Tout emporte orguel, et glouternie, et luxure, et avarice. Tu ses bien escouter; aussi saras tu bien conter, quant il leur convendra rendre raison de ce qu'il aront receu!

Entre Prélas et subjès doit avoir grande aliance, et entre les princes et ceus qu'il ont à governer.

Devers les Prélas et lés Segneurs terrieus, (de loiaument garder leur subjès et deffendre, governer, conseller et aidier) les subjès doivent obéir et servir.

Entre le maistre et le deciple redoit avoir grande aliance; et tous ceus qui doivent soigneusement, et sans péchié, ensegnier leur desciples.

Après il sont molt de manières de gent et de compaignies qui ne gardent ne foy ne loiauté à leur compaignies. Li larron jugeront tel gent au jour du jugement; quer li larron, quant il ont emblé, gardent foy et loyauté l'un à l'autre. La loiauté de compagnie est escripte el cuer de l'omme, et est en deus poins de la loi de nature; dont lui dist ainsi « Garde que tu ne faces à autri ce que tu ne voudroies que on te fist ». L'autre point si dist ainsi « Ce que tu veus, par raison, que autre te face, garde à ton pooir que à autri faces ». /150/

Se je savoie toutes les boisdies qui mainent toutes les compaignies que il y convient, je seroie plus sage que mestier ne me seroit. Et se je les vouloie mettre en escript, mon livre seroit plus plain que mestier ne seroit, ne que il devroit.


Le neuvisme rainsel.

Le neuvisme rainsel est GUILE et barat. Or sont il uns grans bareteurs, si comme ces grans Segneurs qui prennent les dons et les services de ceus qui mestier ont de leur aides; et tous jours prennent, et tous jours promettent; et, en la fin, n'y a fors plume et paroles, teles comme dist renart à l'aloette.

Et si sont uns autres fors bareteurs, si comme ces losengiers qui tant dient de blanches et de noires, qui ont si les langues aroies 1 de mentir et dire quenques on veut oïr, et font acroire que le cigne soit noir et les cornelles blanches. Aussi comme fist renart que il vit tout /151/ noir tenir une pièce de fourmage en son bec. « Ahy! dist-il, gentil oisel, come tu es blanc et bel! Se tu savoies chanter, tu aroies tous les oisiaus passés! Et celi s'esjoï. Adont, euvre le bec pour chanter … et le fourmage li chiet, et renart le hape. ». Cest des flabes Esopet; mais l'essample si n'est mie flabe. Ains est bon et vrai que tels renars et tels lobeurs emportent les rentes et les grans dons; et sont tous maistres de ces grans cours « OU IL NE FAUT QUE UNE CHOSE, » si comme Seneque dist « c'est que on die vérité » —.


Le dix rainsel.

A la deerraine branche de convoitise apartiennent tous les mauvais mestiers que on aprent et maintient, pour gaaigner. Si comme de ces faus courretiers qui ne finent de gent engiginer, et de ces champions qui s'entretuent pour deniers, et ces faus monoiers et de ceus qui font les dés et les chapiaus de fleurs.

Or avons nommé et nombré les rainsiaus qui issent de la racine de convoitise. Si parlerons de la seconde branche qui est apelée proprement Avarice.


/152/

La seconde branche principal d'avarice.

Li convoiteus sont prenans; li avers tenans. C'est un vice molt périlleux, quer homme tenant est tenu.

Les richesses le tiennent, comme fait le lachon l'oisel, le chartre le larron 1.

Le riche n'a mie les richesses, fors aussi comme le larron a la hart au col, et les buies es piès; quer il ne puet mouveoir ne main pour donner, ne pié pour aller; fors là oû elles commandent.

Et com' plus y a de richesses, tant est plus fort lié et carchié 2 de paours et de pensées, de doleurs et de péchié; et tous jours va de mal en pis.

Cest péchié est vil, et ors, et honteus; quer tel homme tout le monde hue et monstre au doit, et toutes les créatures l'accusent et li courront sus au jour du Jugement. Quer toutes sont faites pour servir à l'home, et /153/ pour aidier l'une à l'autre, Mais li aver laisse toute compaignie, et vit par li comme home escomenié: et s'est mis el plus vil servage, et el plus dur qui soit, contre Dieu, et contre raison, et contre nature. Quer les richesses dont il a fait son Dieu ne sont fors fiens et boe; et ce qu'il deust fouler sous piés il a si eslevé seur son chief, qu'il n'y ose atouchier, ne mouvoir, ne prester, ne donner, ne vendre, ne despendre.

Or esgarde com'cel péchié aveugle home. Il aime ses richesses plus que s'âme, et néquident, il les met oû il set bien que il les perdra, et ne les veut mètre oû il set bien qu'il ne les perdra ja. De ce dont il pourrait acheter le ciel et vivre aaise et à honneur, il achate enfer, et vit à honte et à mésaise.

Cest péchié met home en la fosse as larrons, et en la forte prison que le déable ait, oû il n'a fors un pertuis par oû on en ist, par rendre et par départir. C'est péchiéest molt grief à ceux qui les richesses ont de droit aquest. Si que nostre Sire nous monstre en l'Evangile du ladre et du riche homme qui fu dampné, nenne pour ce qu'il eust ne tollu, ne emblé, mais pour ce qu'il ne vouloit départir rien as poures, ne au ladre qui gesoit à sa porte.

Mais cest péchié est dix tant plus grief à ceus qui les biens Dieu ont; ce sont les biens de Sainte Eglyse dont il ne sont mie Ségneurs, mais gardes sans plus, et dispenseurs seur les poures à cui sont proprement quenques les Eglyses ont. Et quant ces avers retiennent ou despendent en mauvais usages, ce n'est mie sans plus /154/ avarice, ains est larrecin, et roberie, et sacrilége, si comme dient les sains.

De ceux qui tiennent averment ce qu'il ont gaagné desloiaument n'est mie ci parolé. A ceux je ne di pas qu'il puissent riens donner de ce qui leur n'est mie.

De ceux est la rieuille 1 donnée el viel Testament et el nouvel est confermée, si que chascun le puet légièrement entendre; quer il leur convient ou rendre ou pendre.

Nostre Sire dist en l'Evangile que celi déable qui est Sire de celi qui est aver, et qui tient escole d'avarice a à nom Mammona. A cesti et à Dieu ensamble ne puet-on bien servir; et n'est pas mervelle, quer il sont contraires, et leur volonté, et leur service, et leur commandement, et leur doctrine. Dieu enseigne vérité, loiauté, justice; et celi enseigne fausseté, traison, boisdie. Dieu commande et dist: « De ce que tu as par loiauté acquis donne et preste volentiers, et fai ton preu et ton trésor el ciel; et ce que tu as à tort n'est pas tien, ren le à ton povoir ».

Mammona commande, et dit tout le contraire. « Ce que tu as, tien le bien. Tant as, tant vaus. Se tu es poure, tu seras plus vil tenu que un chien qui n'est garni 2; il est honni. Tu ne ses qu'à l'euil te pent. Moult aventures puevent avenir: famine, chierté, maladie, diverses /155/ besoignes. A la bonne fin va tout. Se tu n'as riens, que porras tu faire à la mort pour t'âme? Veus-tu que tes enfans soient ribaus? ou pues-tu faire gregneur aumosne que eus aidier »?—.

Par tel enortement l'enchante tant, que il li tolt du cuer pitié, et miséricorde, et charité, c'est l'amour de Dieu et de son prochain. Et quant il li a du cuer esrachié la racine de pitié, adont le fait-il adroit escolier, et li enseigne ses commandemens, ses engiens et ses baras pour acquerre et amasser; les regrateries 1 et les soutilletés, pour estraindre et pour esprimer. Et tant li fait cel avoir amer, que il ne li laisse neis son saoul mengier; et l'aver ne criens ne ne croit home nul, ne ne doute blame, ne honte, ne la mort, ne le jour du Jugement, ne enfer.

Or vois tu à quelle mort li avoir maine l'aver, et à quelle fin. La fin est male, la départie est juste. Le déable emporte l'âme, les vers la charoigne, les parens l'avoir. Les déables se combatent pour ceste âme tourmenter, qui miex miex; et les vers, d'autre part, pour la charogne dévorer; les parens, pour son avoir haper. Et si n'y a nul de ces trois compaignons qui sa part donnast pour les deux autres.


/156/

Des choses qui donnent achoison au péchié d'avarice.

Nous avons parlé de plusieurs manières d'avarice; or dirons des choses qui donnent achoison de cest péchié.

La première chose est la compaignie des convoiteus et des avaricieux. Quer aussi comme le vif charbon esprent les mors 1, s'ils sont mis ensamble, aussi font les convoiteus et les avers ceus qui les compaignent. Quer ainsi comme dist Ecclésiastes: « Qui atouche à la pois, il se souille; et qui compaigne l'orguelleus, il devient orguelleus ». Et pour ce dist encore « que on ne tiégne mie compaignie au riche, c'est à l'aver ». Dont Sénéque dist « l'éssample de l'avaricieus et du luxurieus a fait molt de maus faire ».

Une autre chose et trop grant amour à la gloire, et à l'onneur mondaine.

Une autre, c'est la desordenée amour à ses enfans. Et certainemens, ce n'est mie amour as enfans d'amasser et d'acquerre mauvaisement richesces; ains est anchies /157/ hayne, quer ils mainent eus et leurs enfans en enfer.

Si en mettrons un essample d'un usurier qui avait deux fils. Li uns ne voult rien avoir de son père, pour ce qu'il savait qu'il l'avait mauvaisement acquis, et alla estre heremite. Li autre demoura avec son père; et, son père mort, il out son remanant. Poi de tems après, il mourut. Quant l'ermite sout que son père et son frère furent mors, si en fu moult courroucié; quer il tenait certainement que ils fussent dampnés. Et fit oroison à nostre Ségnor que il li révèlast l'estat où ils étoient. Il fu ravi et mené en enfer, et les vit issir d'un pis 1 tout embrasé, mordant l'un l'autre; et disait le père à son fils: « Tu sois maudis! quer pour toi fu-je usurier, et sui dampné ». Li fils redisait à son père « Mais tu soies maudis! quer se tu ne l'eusses mauvaisement aquis, je ne l'eusse mie mauvaisement retenu, et ne fusse mie dampné. »


/158/

Des remèdes contre le vice d'avarice.

Quant nous avons parlé du vice d'avarice, et des choses qui donnent achoison au péchié d'avarice, si dirons et mettrons aucun remède par quoi on puet cest vice eschiver.

Le premier remède est penser tous jours ou souvent à la mort. De quoi Sainct Ambroise et St Jérome dient « légiérement despite, et n'acoute riens à ces choses temporeus, qui pense tous jours que il li convient mourir. Quer il set bien que il n'emportera rien, quant il morra, et que tout li convendra laissier ». Dont, la mort monstre apertement toutes richesces, toutes délices à despiter, et toute gloire mondaine. Quer il n'est nul qui, s'il estait certain que il mourra dedens huit jours, qui se meist jamais en paine de ces choses avoir, se il avait sens en li, ne raison. Et il n'est nul qui ait huit jors de repit, non un jour, non une seule heure.

Un autre remède est considérer et penser à la poureté Ihucrist. De ce dist St Bernart « C'est grant abusion, quant un petit ver, c'est chacun homme, veut estre riche, pour cui Dieu voult estre poure. Que il fu poure, il apparut quant il prist nostre poure nature, et soustint /159/ en li toutes pouretés que nous soufrons en cors, tant come il estoit homme, fors péchié, ignorance, et maladie.» —.

Un autre remède est considérer, penser et désirer les richesces du ciel. De quoi St Grégoire dist « On a en vilté les choses temporeus quant on convoite et desire les biens esperituels, c'est la grant gloire du Paradis ».

Le deerrain remède que nous mettrons est, que li homs, par aumosnes et par oroisons, et par autres biens et euvres de misericorde, puist empétrer grâce à Dieu. Laquelle grâce souffis à celi qui l'a, à délivrer de tous maus et de tous las de convoitise et d'avarice. Dont nostre Sire dist en l'Evangile: « que c'est trop fort d'entrer le riche el règne des ciex ». Et les Desciples distrent « Qui pourra donc estre saus? » Et nostre Sire respondi « Ce ne puet estre que l'omme convoiteus par soi se puisse délivrer de ses richesses, et se puisse retraire de sa convoitise ».

Et pour ce, fait molt à douter le péchié de convoitise et d'avarice, duquel Dieu, par sa grâce, nous voille tous délivre, Amen!


/160/

De Luxure.

L'escripture dist « que le déable se dort en péchié de luxure, pour ce que, en cesti péchié, on li rent l'âme et le cors entièrement; et de tous les membres que li homs a, il li fait offrande et service: et pour le grant conquest que il y a. Quer ès autres péchiés, il prent les gens un et un; mais en cesti, il les prent deus et deus, et à la fois quatre et quatre: ceus qui le péchié font, ceus qui le pourchacent, tous ceux qui ce soustiennent. Je ne di pas de la mére qui vent sa fille, ne du mari qui seufre sa femme; quer c'est traison à murdre. Après, le Prestre et les Justices qui seufrent les bordiaus et les mauvais hostiex; de tous les péchiés que on y fait il sont compaignons et perchonniers.

Or dirons du remède contre péchié de luxure.

Qui se veut garder du péchié de luxure, il convient que il se garde des achoisons qui atraient et amainent à cel péchié. Et espéciaument encontre cest péchié a trois remèdes; quer le péchié de luxure est aussi comme le feu. Quer, comme le pot à la porée est en costé le feu, et il bout si fort que il s'en fuit et va par desseure; il y a trois remèdes: ou on gète de l'eaue froide dedens le /161/ pot; ou on soustrait de la busche du feu; ou on trait le pot arrière le feu. Aussi doit-on faire contre le péchié de luxure. Quer quant on se sent tempté, un conseil est de courre à l'eaue froide de geter sus li, ou li geter ens 1; ou il doit prendré bonne descipline, ou avoir en mémoire les paines que on dessert de tel péchié. Si comme on treuve en la vie des pères, d'un preud-homme qui fu griefment tempté d'une femme que il avait herbegié en son hostel, pour Dieu. Et quant il se senti ainsi tempté, il aluma une chandèle, et arst tous ses dois. Et par cel grief que il soufri en ses dois, il fu délivré de celle temptacion; et miex ama sans dois aler en paradis, que à tout dois aler en enfer.

Le secont remède encontre cest péchié, est que on soustraie au cors trop délicieus boires et mengiers; et espéciaument de ceus qui esmeuvent plus à luxure: si comme sont fors vins, et fortes sauces et poignans.

Le tiers remède est que li homs s'eslonge du feu de luxure; si comme dist St Pol et le nous enseigne là oû il dist: « Fuies fornicacion, ne l'aprochies mie ». Quer aussi comme dist St. Ambroise « Encontre tous autres vices peut-on l'en estriver, et aler à l'encontre, et avoir batalle de près; mais de cesti ne se puet on si bien deffendre, comme par fuir ».

Trois raisons sont par quoi on doit cest péchié fuir: /162/ La première raison est que luxure est feu, et l'omme est aussi comme fain et estoupes. La seconde raison, pour ce que cest pèchié est trop ort 1; et aussi, comme il ne fait pas bon nuiter à un homme qui est tout plain de boe, quer on se honniroit, aussi se doit-on traire arrière et fuir cel péchié, pour la honte de li. La tierce raison est que il ne se fait mie bon combatre de près à son anemi qui est tel, que comme plus l'aproche-on, plus croist sa force: c'est luxure; et plus pert sa force cil qui va encontre cel anemi.

Aussi doit on fuir les lieus oû on puisse veoir femmes, ne estre veu de femmes; et especiaument les lieus oû l'en mène caroles sont molt à fuir, pour les péchiés que on y fait et puet faire. Et ceus qui les mainent, et ceus qui les regardent meffont.

Et que ce soit grant péchié de caroler, et grant mal, St Augustin le tesmoigne et dist que « c'est miex fait au Diemenche arer et fouir, que caroler ». Quer, puisque on deffent labour de cors as Diemenches et as festes, qui pourrait estre à l'onneur de Dieu fait, ou à son pourfit propre, ou à son prochain; comment donques fu onques à nuli cel labour de caroler otroié, qui est au deshonneur de Dieu et de ses sains, et à la dampnation de li et de ses prochains? … non fu onques.

Après, ceus qui carolent font contre les commandemens /163/ et les sacremens de Sainte Eglyse, en molt de manières.

Premièrement, il font contre le sacrement de baptesme; quer il trespassent les convenances que leurs parrains eurent en convenant à Dieu en baptesme. Quer leurs parains distrent pour eus « qu'il renonchoient au déable et à toutes ses euvres, et à toutes ses processions ».

Les processions au déable sont caroles; et ceus et celes qui les mainent sont moines et nonnains au déable; et ceus et celes qui les regardent et qui sont entour, sont aussi comme les convers et les converses au déable, et partent à tous les maus que ceus font qui les caroles mainent; et tel fois est, font il pis.

Que les caroles sont les processions au déable, il apert parceque on tourne au senestre costé. De quoy la Sainte Escripture dist: « Les voies qui tournent à destre connoist Dieu; celes qui tournent à senestre sont perverses et mauvaises, et les het Dieu » .

Encontre le sacrement des ordres font ceus qui mainent les caroles, et sont aussi comme les singes au déable; quer il font tel service au déable comme font les clers et les prestres à Dieu. Et souvent par leur chant et par leur caroles est le chant de Sainte Eglyse depecié 1; quer souvent avient que ceus qui devoient estre à vespres et au moustier, demeurent as caroles. /164/

Contre le sacrement de mariage péchent aussi ceus qui font les caroles; quer là a molt d'achoisons de faire contre la loiauté de mariage, et molt d'esmouvemens par molt de chancons que on y dit et chante.

Il font aussi contre le sacrement de confession; quer on deffent et doit deffendre à ceus et à celes qui se confessent le caroler. Quer tous ceus et toutes celes qui carolent font péchié de tous leurs membres: en passer cointement 1, en bras démener et hochier, en chanter, en paroler deshonètement, en oïr, en veoir, en cointes aournemens et jolis; dont il péchent mortelment, et font ceus et celes qui les voient, péchier mortelment par leur nobles atournemens, et les esmeuvent à péchié de luxure et à dampnement.


De Glouternie.

Le deerrain vice est glouternie. Cest vice plaist molt au déable; quer, si comme dist l'escripture, « Il dort tous jours es moistes lieus, comme fait pourcel; les /165/ seurs lieus il fuit, c'est à dire, les sobres cuers ». Dont nos lison en l'Evangile, que Dieu donna congié au déable d'entrer es pourciaus; et quant il y fu, il les noya en la mer; en segnefiance que, ès gloutons qui mainent vie de pourcel, il a congié d'entrer, et d'eus noier en la mer d'enfer, et de eus faire tant mengier, qu'il crièvent, et tant boire, qu'il se noient.

Quant li champions a sou compagnon abatu, et il le tient par la gueule, à envis se reliéve. Aussi est-il de celi que le déable tient par tel vice; et pour ce volentiers li queurt il à la gueule, pour li estrangler, comme le leu à la berbis; aussi comme il fist Adam et Eve en paradis, et comme il cuida faire Ihucrist el désert.

Cest vice desplaist molt à Dieu; quer il fait molt grant honte, quant il fait son Dieu d'un sac plain de fiens: c'est de son ventre que il croit plus que Dieu, et ame, et sert.

Dieu li commande à jeuner; et le ventre li dit: Non feras, certes; ains mengieras longuement et atrait ». Dieu li commande à matin lever; le ventres qui delez-li gist li dit: « Non feras! je sui trop plain, dormir m'es tuet … le moustier n'est mie lièvre … il m'atendra bien! ».

Et quant il a tant dormi qu'il ne puet plus, si se liève, et commence ses matines et ses proières: « Hé Dieu! que mengera-on huy! trouvera-on huy à mengier chose qui vaille »?—. Après ses matines, commence ses laudes: « Hé Dieu! comme nos eusmes bon vin er soir! ne onques /166/ — mais tèle viande ne vi ». — Et comme pleure-il ses péchiés? « Hélas! dist-il j'ai à nuit esté mort! trop fu fort cel vin d'er soir; la teste m'en deult 1! Ja ne serai jamais aaise si arai beu! ».

Ci a mauvais Dieu. Cesti maine l'omme à grant honte; si comme il appert à ces ribaus que tout le monde het et hue.

Premier, est taverneur; puis, joueur as dés. Or, vent le sien, puis devient larron, ribaut; or houlier 2 ou lerre, si le pent-on.

Comment il se maine à poureté, ce voit on chascun jour avenir. Il fait vendre terres, herytages; deshériter ses enfans: l'avoir il tolt, le cors il honnist. Il li tolt le repos, le dormir, le povoir de jeuner et de Dieu servir. Il le fait fiéble, et pesant, et malade, et le maine à la mort.

Cesti péchié devise St Grégoire en cinq branches; quer en cinq manières péche-on en glouternie, par mengier ou par boire: ou, parce que on mengie devant heure, ou sans mesure, ou trop hastivement, ou trop ardaument, ou trop délicieusement.

Cest vice est molt lais à jone home; mais il est trop grief à home d'aage. Dont Ysaie le prophète dist: « Enfans de cent ans soit maudis ». Il apèle enfans celi ou /167/ cele qui vit comme enfès, qui tos jours veut avoir le pain en la main.

Tu dois savoir que, aussi que c'est péchié de trop matin mengier, que aussi est-ce péchié de trop tart souper, se on ne le fait pour aucune nécessité. Dont ces gens qui ament tant à veiller par nuit, et gastent le tems en huiseuse, et couchent tart et lièvent tart, péchent en moult de manières. Primes: en ce que le temps il gastent et bestournent, quant il font de la nuit jour, et du jour nuit. Et teles gens maudit Dieu par son prophète Ysaie; et el sautier le dist: « Tu dois le jour bien faire, et la nuit Dieu loer et henourer.». Et el livre de Job Dieu loe moult le sens du coc: « qui va se couchier au soleil escousant et à mie nuit se resbaudist et commence à chanter. Et au jour ne s'oublie mie de matin lever, de querre sa viande, de ses gelines garder ». Mais ceus ne font ne l'un ne l'âutre; quer il pert le jour et la nuit.

Après, en tex velleries on fait molt de maus: jouer as eschès, as tables; et dit-on molt de gas et de folies. Ainsi gaste le chaitif et son tans et son sens, et si courrouce Dieu, et griève son cors, et plus l'âme.

Pour ce sont ceus beneures qui, d'enfance, sont doctrinés de mener bonne vie ordenée et honeste; de coucher tempre et lever matin, comme font toutes relegions, et comme font les oisèles qui nous enseignent à lever matin et à Dieu loer. /168/

Ceux qui vivent selonc fisique 1 tiennent la mesure Ypocras, qui est petite et estroite; dont il sont souvent pales et maigres. Quer il ne font la volenté de la char ne de l'âme, ne ce que Dieu veult, mais ce que Galien commande.

Ceus qui vivent selonc honesteté, ceus tiennent la mesure de raison, et vivent honourablement au siècle, qui mengient atans et à heure, et prennent en bon gré ce qu'il ont, et courtoisement et liément.

Ceus qui vivent selonc ce que leurs péchiés requièrent, tiennent tèle mesure que on leur carchie en pénitance.

Ceus qui vivent selonc l'esprit, ce sont ceus que amour maine, que le St Esperit enseigne à tenir ordre et raison, et mesure, et relegion. Il ont la Segnourie sus le cors qui est discipline et doctrine, et ne demandent nul outrage; ains fait quenques l'esprit commande, sans murmurer et sans contredit. Tel gens doit on amer, et chiers tenir, et tel cors garder et nourrir.

Cil puet tenir seurement la rieule et la mesure que Dieu donna à ses apostres quant il les envoya preechier, et leur dist ainsi « Partout là oû vous entrés, mengiés et beves ce que vous trouverez; quer bon serjant dessert 2 bien sa viande ». Dont Dieu commanda en la vies loy « que on ne lie mie le musel au buef qui triture le blé en l'aire». /169/

Or pues tu veoir ce que nos avons dit, que le déable a moult d'engiens pour les gens prendre par la gueule, qui de cest mestier sert. Quer, premièrement, il monstre les vins, les viandes qui sont bèles et convenables, si comme il fist à Eve la pomme. Et se ce ne li veut,« Menje, fait-il, et boif 1 comme fait cil et cil; compaignie te convien-il tenir. Veus tu que on se gabe de toi, et que on te tiègne pour papelart»? Ou il li dit « La santé de ton cors tu dois seur toute ries 2 garder. Il n'a rien qui n'a santé. Tu péches griefment se tu es homecide de toi meisme.». Ou il li dist « Regarde toi; tu dois à ton cors sa soustenanche. Regarde les biens que tu as fais; tu n'en menjes pas pour ton cors déliter, mais pour Dieu servir et ton prochain aidier. Tu dois ta force à Dieu, si comme dist David. Et St Pol dist « que pénitance de cors vaut petit, mais euvres de pitié valent trop miex ».

Ces raisons sont si ataignans, que les plus sages et les plus sains en sont à la fois deceus.

Ceste batalle est trop annuieuse: quer on ne le puet mie à un coup rompre, si comme on fait batalle de luxure, par veu de chastée. Mais jusqu'à la fin convient le champ garder; et souvent avient que celui qui cuide avoir ceste batalle outrée, que il chiet après plus laidement. Et pour ce, est la batalle plus périlleuse; /170/ quer le déable recule souvent pour miex saillir, et se repose pour miex férir. Et fait l'omme tant jeuner que il le jète en langour, et en tèle enfermeté que il li convient les grans délices querre; et adont l'assaut-il hardiement et le vainc.

Pour ce list on, au mengier, es maisons de relegion, pour ce que, quant le cors prent sa viande d'une part, que le cuer reprègne sa siève, d'autre part. « C'est la sainte parole Dieu dont l'omme vit » si comme Dieu dist en l'Evangile, quant le déable le tempta de glouternie.

Or as-tu oï les péchiés qui viennent de glouternie et de lécherie? Et pour ce que tiex péchiés paassent en la taverne qui est fontaine de péchié, pour ce te dirai des péchiés et des lécheries de la taverne.


Des péchiés de la Taverne.

La taverne si est aussi comme une fontaine oû péchiés sourdent; quer l'escole au déable y est oû ses petits desciples estudient, et la chapèle oû on fait son service et où on fait ses apertes mervelles, telles comme il apartient au déable. /171/

Vous savez bien que au moustier seut Dieu monstrer ses vertus et faire ses miracles: les aveugles renluminer, les contrais redrecier; as forsenés rendre leur sens, la parole as mus, l'oie aux sours. Mais le déable fait tout le contraire.

Quant le glouton va en la taverne, il y va tout droit et bien; quant il revient, il n'a pié qui le puist soustenir à droit, ains fait d'une voie deus.

Quant il y va, il oït, et veoit, et entent et parole bien; quant il revient, il a tout ce perdu, quer il ne veoit, ne oit, ne entent, ne ne puet parler. Tiex sont les miracles que le déable fait, bieau Sire! Et quelle lecon y lit-on? toute ordure on y aprent, et toute glouternie; mentir, jurer, perjurer, et mesdire des bons; renoier Dieu, houller et tremeler, mesconter et bareter, et mettre à honte l'un l'autre et à poureté. Là sourdent les noises, les tençons, les meslées, les homecides. Or me di, lequel péche plus? ou les desciples, ou les maistres, ce sont les beveurs; ou les taverniers, ou les Segneurs qui les seufrent et les soustiennent? Les Segneurs, qui tant aiment les ventes et les issues de ces tavernes, por les amendes qu'il ont des meffaits que on y fait! Et lequel vaut le miex: ou celi qui tient, ou celi qui escorche? Ceux escorchent Dieu tout vif et desmembrent, et sa douce mère, et tous les sains du Paradis. Et ceus qui les soustiennent sont perchonniers, n'est mie doute, de tous les meffais que l'on y fait. Et certes, se on en deist autant ou feist à leur père charnel, comme on y fait à /172/ nostre père du ciel; et à leur mère, comme on y fait à nostre dame; et à leur garçons, comme on y fait as sains de Paradis, il l'amenderoient chièrement, et conseil y mestroient les Segneurs autre que il ne font.

Par tous ces arbres et ces rainciaus que nous avons nommés, et en tant de branches que nous avons nombrées, a molt de fuelles et petit de fruit.

Or nous doinst Dieu faire tel fruit,
Que nous puission sauver trestuit 1.
Ce nos otroit par sa bonté
Cil qui haut maint 2 en trinité,
Qui vit, et règne et régnera
In seculorum secula.
                      Amen.


/173/

CI COMMENCENT LES PÉCHIÉS DE LA LANGUE, ET APRÈS SONT LES FRUITS QUI PUEVENT VENIR DE LA LANGUE.

Qui veut savoir et penser les péchiés de la langue, il li estuet peser, et contrepeser la parole quelle qu'elle soit, et dont elle naist, et quel mal elle fait. Quer il avient que la parole est péchié en soi, pour ce qu'elle est male. Et si r'avient qu'elle est péchié, pour ce qu'elle ist de de trés mauvais cuer. Et derechef il avient que la parole est péchié, pour ce qu'elle fait grant mal, tant soit-elle belle et polie.

Or dois savoir que la male langue est l'arbre que Dieu maudist en l'Evangile, pour ce que il n'y trouva rien, fors feuilles./174/

Par feulles, en la Saincte Escripture, sont entendues paroles; et aussi, comme c'est forte chose de nombrer toutes les feuilles des arbres, aussi est-il forte chose de nombrer tous les péchiés qui de la bouche naissent.

Nous mettrons dix branches chévetaignes qui de cest arbre naissent; et ces dix branches povons-nous ainsi nommer: HUISEUSE, VANTANCE, LOSENGE, DÉTRATION, MENCONGE, PERJUREMENT, CONTENS, MURMURE, REBELLION, BLAPHÈME —.


Des paroles huiseuses.

Eus qui s'abandonnent trop à parler paroles huiseuses chéent en grant damage, dont il ne s'aperchoivent mie. Quer il perdent le temps précieus dont il aront encore grant soufraite, et perdent les biens qu'il peussent et deussent faire, et perdent le trésor du cuer, et l'emplent de vanité. Ils déqueuvrent le pot, et les mouches y entrent. Ils les appèlent paroles huiseuses, mais non sont; ains sont molt cousteuses, et damageuses, et périlleuses, come cèles qui le cuer voident de ses biens et /175/ le raemplent de vanité, et comme cèles dont il leur convendra rendre conte moult estroitement de chascune devant Dieu, au jour du Jugement, si comme Dieu dist en l'Evangile.

N'est pas petite chose, ne huiseuse, dont il convendra rendre conte et raison en si haute court, comme devant Dieu et tout le barnage du Paradis.

En telles huiseuses paroles péche-on en cinq manières. Quer il sont unes paroles vaines dont ces langues sont si plaines, qui parlent avant et arrière, qui sont comme le batel du molin qui ne se puet taire. Et si resont unes paroles curieuses de ceuz qui tant volentiers content nouvelles, qui mettent souvent le cuer à mésaise de ceux qui escoutent, et font les reconteurs souvent tenir pour faus et pour menteurs.

Après, sont les contes et les beaus dis oû molt ont de vaine gloire ceux qui les sèvent soutivement dire, pour les escouteurs bien faire rire.

Aprés sont les bourdes et les trufes plaines d'ordures et de menchonges, qu'il appèlent paroles huiseuses; mais certes n'en sont, ains sont molt puantes et molt greveuses 1.

Après, resout les gas et les escharnissemens que il dient seur les preudommes et seur les preudefemmes, et seur tous ceus qui bien veulent faire, pour ce qu'ils les /176/ puissent à leur cordèle atraire, et del bien qu'il ont concheu retraire.

Ce ne sont mie paroles huiseuses: quer tu es aussi come homecide se tu, par ta langue, retrais un homme ou un enfant de bien faire. Et t'en sait Dieu autant de gré, que si tu li avoies son fils tué, ou son trésor emblé.


De Vantance.

Après vient le péchié de vantance, qui est molt grant, et molt lait, molt fol et molt vilain.

Il est molt grant, quer celi qui se vante est apertement larron Dieu, et li veut sa gloire tollir, si comme nous deismes piécha.

C'est un mout fol péchié; quer ces biens dont il porrait acquerre le ciel, il donne pour un poi de vent.

Et si r'est molt lait péchié; quer le siècle meisme le tient pour fol, et pour vilain, et pour nice.

En ceste branche a cinq feulles; ce sont les cinq manières de vantance. /177/

L'une est prétérit, c'est à dire de chose passée.

C'est le péchié de ceus qui volentiers racontent leurs euvres et leur prouesces, et ce que il cuident avoir ou bien fait, ou bien dit.

L'autre est de présent; c'est le péchié de ceus qui rien ne font liément, ne ne se painent de bien faire ou de bien dire, fors tant comme on les voit, ou oit, soit en faisant ou en disant, ou en chantant; et se vantent, et vendent pour nient quenque il font. A ce apartient le péchié de ceus qui se vantent des biens que il ont, ou cuident avoir: de leur noblesce, de leur richesce, de leur proesce. Il sont comme le cucu, qui ne set chanter fors de li.

La tierce est le péchié de ceux qui sont fourcuidiés; qui dient, « j'en feroie ce, et ce. J'en feroies les mons et les vaus ».

La quarte si est plus soutive: qui est de ceus qui n'osent pour honte eus loer, mais quenques les autres font et dient trestout blasment, et desprisent, aussi comme rien ne se préist 1 à ce qu'il sévent faire et dire.

La quinte est encore plus soutive: de ceus qui, quant il veulent que on les loe, et ne l'osent dire apertement, il le font à rebours; et font tant l'umiliant, et dient que il sont si mauvais, et si pécheurs, et si nient sachans /178/ (plus trois tant que il ne sont), pour ce que on les loe, et que on les tiégne pour bien humbles.

« Hélas! » dist St Bernart « come ci a dolereuse vantance! Il se font déables, pour ce que on les tiégne pour angies; et se font mauvais, pour ce que on les tiégne pour bons. Ne plus ne les porroit-on courroucier que pour dire, vos dites voir! ».

A ce apartient le péchié de ceux qui quièrent avocat pour eus loer, et pour crier leur oublies, par quel bouche il parlent plus hardiement. — .


De Losenge.

Les losengiers sont les nourrices au déable, qui ses enfants li alaitent, et endorment en leur péchiés par leur biau chanter. Il oignent la voie d'enfer de miel, comme on fait l'ours, pour ce que les pécheurs y voisent 1 plus hardiement. /179/

Cest péchié se divise en cinq parties, qui sont aussi comme cinq feulles en ceste branche.

Le premier péchié est de ces flateurs qui, quenques il voient que celi ou celle que il veulent loer a bien dit ou bien fait aucune chose, tantôt le dient à li meisme, pour ce que il en ait vaine gloire; mais ses maus ne li diront-il ja.

Le secont péchié est: quant il croissent en doublant les petits biens que dient leur enfans que il alaitent, et mettent du leur, tant que il y a plus de menconge que de voir. Et pour ce sont-il appelés faus témoins en la Sainte Escripture.

Le tiers péchié est: quant il font entendre à l'omme ou à la femme que il a en li molt de biens et de graces dont il a nule: et pour ce les appèle l'Escripture enchanteurs. Quer ils enchantent tant l'omme, que il les croit plus que li meisme, et que il croit miex ce que il oit que ce qu'il voit, et ce que il dient de li, que ce que il en sent.

Le quart péchié est: quant il chantent tous jours placebo, c'est à dire « Me Sire dit voir! — Me Sire fait bien! », et tournent tout à bien quanque li homs fait ou dit, soit bien ou mal.

Et pour ce sont-il appelé écho, c'est le son qui es hautes montaignes retentist et s'acorde à quanques on dit, soit bien, soit mal, soit voir, soit faus.

Le quint péchié est: quant les flateurs deffendent, escusent et queuvrent les vices et les péchiés de ceus que /180/ il veulent flater. Et pour ce, sont il appelés en l'Escripture queues: quer il cuevrent les ordures des péchiés des riches homes, pour aucun preu temporel. Dont il sont bien acomparagiés à la queue du goupil 1, pour leur barat, et pour leur tricherie.


De Detraction.

Les losengiers et les mesdisans sont d'une escole. Ce sont les deus seraines dont nous trouvons el livre de NATURE DES BESTES, qu'il sont uns monstres de mer que on appèle Seraines, qui ont cors de femme, queues de poisson, et ongles d'aigles; et si doucement chantent que il endorment les maroiniers, et puis les /181/ deveurent. Ce sont les losengiers qui, par leur biau chanter, endorment les gens en leur péchiés.

Il resont uns autres monstres qui ont à non Seraines, qui queurent comme cheval, et à la fois volent, et ont le venin si fort, que nul triacle n'y vaut rien. Quer ains vient la mort, que on ne sent le mors.

Ce sont les mesdisans dont Salemon dist « qu'il mordent comme serpens en traison, et à un coup en tue trois: celi qui mesdit, celi qui escoute, et celi de qui on mesdit ». C'est la très cruel beste que on appèle hyenne, qui deffuet 1 les gens mors, et les menje. Ce sont ceus qui mordent et menjuient les preudommes de religion qui sont mors au monde. Il sont plus cruels qu'enfer qui ne deveure mais que les mauvais. Mais iceus queurent sus as bons. Dont il passent la truie quant elle a pourcelé, qui trop volentiers mordent homme qui est vestu de robe blanche 2.

Il sont aussi comme la hupe qui en ordure d'omme fait son ni, et s'y repose. Ce sont les escharbos qui les flours fuient, et les fiens aiment.

En ceste branche a cinq feulles: la première, quant il contreuvent la menchonge et le mal, pour autri da magier, et blasme alever . /182/

La seconde est: quant le mal qu'il oient d'autri il recontent, et y ajoustent du leur.

La tierce, quant il estaint, ou mest à nient tous les biens que l'omme fait, et le fait tenir pour mauvais. Cestui menje l'omme tout entier; et les autres ne le menjent mie tout, ains le mordent, et en prennent une pièce.

La quarte branche de ceste feulle est appelée proprement détraction; quant il detrait et recoupe toujours aucune pièce des gens. El des biens qu'il ot dire d'autri devant li, toujours y treuve-il et y met un MAIS.

« Certes, fait-il, c'est voir; il est molt preudomme, et je l'aime molt. Mais … il a tel deffaute en li; ce poise moi! » — .

C'est l'escorpion qui blandist 1 de sa face, et envenime de sa queue.

Le quint est: quant il pervertist et tourne tout en la pire partie quenques il oit et voit que on puet torner en bien et en mal. Et pour ce est-il faus juge et desloial.


/183/

De Menconge.

Menconge fausse l'omme aussi comme on fausse le séel le roy, ou la bulle l'apostole. Et pour ce que tel homme fait fausse monoie, et porte faus séel, sera-il jugié comme faussaire au jour du Jugement.

Le menteur est entre les hommes comme les faus deniers entre les bons.

Le menteur est semblable au déable qui est son père; si comme Dieu dist en l'Evangile: « quer il est menteur, et père des menconges, comme celi qui la première menconge forja: et encore forje-il toute jour ».

Le déable se monstre en moult de fourmes, et se transfigure en moult de guises, pour les gens décevoir. Aussi fait le menteur. Dont il est aussi comme le Gameléon qui vit de l'air, et n'a nient entre ses entrailles fors vent, et qui à chascune couleur qu'il voit, mue la sienne.

En ceste branche à trois rainciaux: quer il sont unes menconges aidans, et unes plaisans, et unes nuisans; et en toutes a péchié. Quer, si comme dist St. Augustin « Celi qui ment, comme que il face bien à autri par sa menchonge, toutevoies il fait son propre damage.». Dont, les menchonges aydant sont péchiés. /184/

Mais les menconges plaisans sont plus grans péchiés; si comme sont les menconges des losengiers, et des menetrex, et des truffeurs qui dient les menconges, et les risées, et les bourdes pour les gens soulagier. Et au dire, et à l'écouster a péchié, n'est mie doute.

Mais les menconges nuisans sont péchés mortiex, quant on les dit à ensient et apenséement pour faire damage à autri. A ceste branche apartiennent toutes les faussetés et les fallaces, les baras et les guiles que on fait et dit parmi le monde, pour autri décevoir et damagier ou en âme, ou en cors, ou en avoir, ou en renommée quelle que èle soit.


De perjurer.

Male chose est mentir, mais plus grant péchié est de soi perjurer.

Trop périlleuse chose est jurer; et pour ce le défend nostre Sire, nenne pour ce que on ne puist en nul point jurer sans péchié, si comme dient les Bougres, mais pour ce que souvent jurer fait souvent perjurer, et souvent /185/ péchier. Quer en sept manières péche-on en sérement.

Premièrement, quant on jure ardaument, c'est par despit, et volentiers; si que il semble que on se délite. Pour ce deffent St-Jaques, nenne le jurer, quant besoing est, mais la volenté et la lécherie de jurer.

Après, quant on jure légièrement, c'est pour rien, et sans raison. C'est deffendu el secont commandement de la Loy que Dieu escript es tables de pierre de son benoit doit.

Après, quant on jure accoustuméement, aussi comme à chascun mot. Quer il sont aucuns si mal enseignés, qu'il ne saroient riens dire sans jurer. Ceus ont Dieu en trop grant despit, quant toute jour, et pour nient l'appèlent à tesmoing de quenque il dient; quer jurer n'est autre chose que appeler Dieu à tesmoignage. Moult doit estre la querèle grande, et raisonnable, et vraie, où on ose si haut Seigneur comme Dieu est, appeler à tesmoing, et li, et sa mère, et ses Sains. Après, quant on jure follement. Et ce avient en molt de manières: quant on jure par ire et soudainement, et ce dont on se repent apres. Ou, quant on jure chose que on ne puet tenir sans péchié; (tiex sermens on doit enfraindre, et faire pénitance du fol serment.) Ou, quant on jure certainement de la chose dont on n'est mie bien certain, ja-çoit ce qu'elle soit vraie. Ou, quant on dist: « Par le soleil qui luist; par cest feu qui ci art »; ou « par mon chief »; ou « par l'ame ma mère ou mon père »: ou autre semblable chose. /186/

Tiex séremens deffent Dieu en l'Evangile. Quer à ce que je veul confermer, je n'y doi pas traire à tesmoing autre que la Souveraine vérité, c'est Dieu qui tout set, nenne les pures créatures qui ne sont que vanités. Et quant je les jure apenséement, je leur porte un des honneurs que je doi porter à Dieu seulement. Mais quant on jure par l'Evangile, on jure par celi à qui les paroles sont qui y sont escriptes. Et quant on jure par les saintes reliques, et par les sains de Paradis, on jure par eus, et par Dieu qui en eus habite.

Après, quant on jure vilainement de Dieu, et de ses sains. En cest péchié sont crestiens pires que Sarrasins, qui ne jureroient pour nule chose, ne ne soufferroient que on jurast devant eus si vilainement de Mahomet, comme font de Ihucrist les crestiens meismes.

Ils resont plus cruels que les Juis qui crucefièrent Ihucrist; quer il ne li brisièrent nul des os. Mais ceux le dépiècent plus menu que on ne fait le porc à la boucherie.

Ceus ne demandèrent riens à nostre Dame, et ceus la dépiècent si vilainement, et li, et les autres sains, que c'est mervelle que crestienté le seufre.

Après, quant on jure faussement, ou quant on porte faus tesmoignage, ou on jure faus à ensient, en quèle manière que ce soit, ou apertement, ou couvertement, par art ou par sophisme.

Molt est grande la débonnaireté de Dieu, quant tel hom' jure ce qu'il set bien qu'il n'est pas voir, ou /187/ pramet chose que il ne veut pas tenir, quant le déable ne l'estrangle tout maintenant. Quer quant il dist « Se Dieu me gart», ou, se Dieu m'ait 1 » et il ment: il se met hors de la garde et l'aide de Dieu.

Or deust, par fin droit, donques perdre sens et mémoire, et cors et avoir, et âme, et quanques il tient de Dieu.


De Contens.

Saint Augustin dist que « rien ne ressemble tant as fais au déable, que tenchier ».

C'est mestier, donques, n'est pas doute s'il plaist molt au déable, et desplait à Dieu qui n'aime fors pais et concorde.

Ceste branche se devise en sept rainsiaus, dont le premier est ESTRIVER: le second, TENCIER; le tiers, /188/ LAIDENGER; le quart, MAUDIRE: le quint, REPREUCHE ou REPROUVER: le sixisme, MANECIER; le septisme, DESCORDE susciter.

Quand le déable voit amour et concorde entre les gens, molt li desplaist. Et pour eus faire descorder, il fait volentiers son povoir à eus faire estriver, et le déable commence le feu d'ire et de mautalent à embraser. Dont, après le contens et l'estrif, vient la noise et la tençon; tout aussi, quant on alume le feu, vient la fumée, et puis la flambe.

Estrif et contens si est quant l'un dist à l'autre « Si est, non est ». « Non fu, si fu ».

Tençon est quant il desmentent l'un à l'autre, et dient grosses paroles.

Après ce, viennent les laidenges: c'est quant l'un point l'autre, et dient grans felonies.

Quer il sont uns felons qui ont les langues plus trancheans que rasour de Guingant, plus isneles 1 que sajètes volans, et plus perchantes que alesne. Tel homme ressamble au porc espi, qui tout est vestu d'alesnes poignans, et est trop fel, et trop tost se courrouce. Et quant il est irié, il lance ces alesnes de son cors, et fiert à destre et à senestre. Aussi ressemblent il au mastin fel qui mort et abaie tous ceux que il puet. /189/

Après, viennent les maudisons; c'est quant l'un maudit l'autre. Et ce r'est si grant péchié, que l'Escripture dit que « Qui maudist son prochain, il est maudit de Dieu ». Et St Pol dist que « Tex gens ne puevent le règne Dieu avoir ». Et Salemon dist que « leur bouches sont comme le pot qui bout au feu, qui espant deça delà s'escume, et eschaude ceus qui sont entour li.

Après viennent les repreuches, qui sont encore plus grans péchiés: quant on repreuve à l'omme ou ses péchiés, ou ses folies, ou sa poureté, ou ses poures parens, ou aucune défaute qu'il a en li.

Après ce, viennent les meslées, et comme les guerres. Mais, seur tous ces péchiès que nous avons nommés, passe le péchié de ceux qui, par leur male langue, soustiennent et mainent les descordes, et esmeuvent les mautalens entre ceux qui sont amis ensamble, et qui destourbent la pays et la concorde. Dieu het trop tex gens, dist l'Escripture.


De Murmure.

Souvent véon avenir que celi qui n'ose respondre ne tenchier, que il commence à murmurer entre ses dens, et à grondiller. Pour ce, après le tenchier, mettons-nous /190/ le péchié de murmure. Comment cel péchié est grant, nous monstre bien la venjance que Dieu en fait et seut prendre, si comme la Saincte Escripture recorde. Quer pour cesti péchié ouvri la terre, et transglouti Dathan et Abyram, et descendirent tous vis en enfer. Pour cest péchié, envoia Dieu un feu du ciel qui art Choré et tous ses compaignons, deux-cents cinquante (CC et L) des plus grans qui fussent en l'ost nostre Ségneur el dèsert. Pour cest péchié, perdirent les Juis la terre de pramission que Dieu leur avait pramise; si que, de II. VI mile que Dieu avait geté 1 du servage au Roy d'Egypte, et que il avait nourri el désert XL ans, de la manne du Ciel, n'entrèrent que deux, sans plus, en la sainte terre, qui eurent à nom Caleph, et Josué. Ains morurent tous à doleur, el dèsert.

C'est péchié a deus branches: l'une est murmure contre Dieu, l'autre, contre homme. Contre homme règne cest péchié en molt de manières: comme serjans contre leur Ségneurs, et bayasses 2 contre leur dames: en enfans contre leur pères et leur mères, en poures contre les riches, en vilains contre les chevaliers, en lais contre /191/ clers et contre prélas; en cloistriers contre les abés, et les prieurs, et les officiaus.

Et naist cest murmurement en tiex personnes: ou, d'inobédience, pour ce que on fait trop dur commandement; ou d'accide, pour ce qu'on est trop parécheus; ou d'impatience, pour ce que on ne fait pas toute leur volentés: ou d'envie, ou de félonie, pour ce que on avance plus les uns que les autres. Et molt d'autres mauvaises racines.

Murmure contre Dieu a encore assez plus d'accoisons dont il ist. Quer homm' qui a perdu grâce et patience, il veut estre maistre seur Dieu. Quer, de quenque Dieu fait en terre, se il ne le fait à sa volenté, tantost murmure contre Dieu et contre ses sains, et chante le Patenôtre au singe, certes mais, la chancon au déable. Quer, ainsi comme le St. Esperit enseigne, et fait ses eslis chanter en leurs cuers le dous cant du ciel, c'est Deo gratias, de quenque il fait, et de quenque il leur envoie: aussi le mauvais esprit fait ses deciples chanter du chant d'enfer, c'est de murmure qui tous jours durra en enfer.

Et quenque Dieu fait, si ce n'est tout à leur gré, tantost en murmurent.

Certes, molt est tel home fol et forsené, qui veut que Dieu li rende raison de quenque il fait. Se il li envoie adversité, poureté, maladie, chier tems, pluie et sécheresse; se il donne à l'un et tolt à l'autre; se tout n'est fait à sa devise, tantôt s'en prent à Dieu et le malgrée. /192/

Et qu'el mervelle, se Dieu se venge de tels gent qui li veulent tollir sa Ségnourie?


De Rebellion.

Male chose est murmure, mais trop vaut pis rebellion.

Rebellion est un vice qui vient de cuer, qui est rebelle, et dur, et rebors 1, et divers: qui tous jours veut que sa volenté soit faite, et sa sentence tenue: qui veut que les autres souploient à li, et il ne souploieroit à nuli. C'est le cuer dur que Salemon dit « Que il ne puet faillir à male fin ».

Cest vice a quatre branches; quer tiex cuers sont rebelles, et rebours à conseil croire, et au commandement Dieu faire, et à chastiment soufrir, et à doctrine recevoir. Se aucuns de leur amis les veulent conseiller, et leur preu monstrer, ne les daignent-il escouter; anchies, /193/ pour ce qu'il en ont parlé, font-il plus volentiers le contraire. As conseils nostre Ségneur sont-il souvent contraires et rebelles; se on leur conseille chose qui soit au salut de leur ames, n'en veulent-il rien faire, anchies s'en gabent.

Après, quant on les chastie et reprent, il se deffendent comme senglers, si que eus, né leur folies il ne connoissent; et comme plus s'escusent, plus agreige 1 le péchié. Aussi est-il, quand Dieu les bat et chastie; malgré l'en sévent, et dient: « Que me veut Dieu? que li ai-je méfait? ». Et ainsi fait le fol. Quer ce qui li doit estre triacle li tourne en venin, et le médecine li donne la mort.

Après, il sont aucuns de si divers sens, que nule bonne doctrine ne rechoivent; mais tous jours défendent leur sentence, quele que èle soit. Si que souvent en chiéent en erreur, et fausses opinions, et hérésies et mescréandises.


/194/

De Blaphème.

Blaphème est, si comme dist St. Augustin, « ou, quant on croit ou dit de Dieu chose qui n'y soit, ou que, on ne doit croire ne tenir; ou quant on ne croit ce que on ne doit tenir ». Mais espéciaument nous appelons ci blaphème, quant on mesdit de Dieu, ou de ses sains ou de ses sacremens de Saincte Eglyse.

Cest péchié est fait en molt de manières; ou, quant on le dit apenséement, comme font les Bougres et les mescréans: ou quant on le dit par convoitise de gaagnier, comme font ces enchanteurs et ces sorchières: ou, quant on le dit par ire et par despit, comme font ces joueurs qui tant vilainement jurent le cors Ihucrist, et si vil mesdient de Dieu et de sa bonne mère, que c'est horreur à oir, et à escouter. Ceus sont comme chiens esragiés qui mordent, et ne cognoissent pas leur Ségneur.

C'est péchié est si grant, que Dieu le punist aucune fois tout apertement, comme nous avons dit devant, quant nous parolames des mauvais Juis.

De cest péchié Dieu dist en l'Evangile: « qu'il n'iert ja perdonné en cest siècle, ne en l'autre».

Or, avons-nous nombré dix péchiés de la langue, dont la première est huiseuse, la derraine, blaphème. /195/ Et, par avanture, c'est ce que dist Salemon que «le commencement de la male langue est folie, et la fin, erreur très pesme ».


Ci finissent les sept péchiés mortiex, et toutes les branches. Qui bien s'estudieroit en cest livre, il y pourroit molt proufiter, et aprendre à conoistre toutes manières de péchié, et à li bien confesser. Quer nul ne se puet bien confesser, ne de péchié garder se il ne le connoist. Or doit donques 1 celi qui en cest livre list, regarder diligaument se il est coupable de nul de ces péchiés devant dis; et, se il se sent coupable d'aucun, il s'en doit repentir, et diligaument confesser, et garder à son povoir. Des autres dont il n'est coupable, doit Dieu loer, et mercier humblement que il l'en a gardé.


/196/

Du profit de la langue.

Or vous veul montrer un poi comme vos devez parler et soigneusement vos paroles garder; quer l'Escripture dist: « Tu seras justefié de tes paroles, ou dampné ». Certes, grant honte est quant l'omme est dampné de ses paroles.

Comme St Jérome dist « Oiseuse parole si est qui ne porte point de profit; et sont molt de gens qui n'acontent 1 rien à ces péchiés véniaus; et il ne lor souvient mie de ce que nostre Sire dit en l'Evangile « que de toutes les oiseuses paroles que li homs dit, il rendra raison au jour du Jugement ». Et dit la glose une parole qui molt fait à redouter « que nostre Sire resgarde si près la vie de chascun, et si escoute si estroit nos pensées, nos paroles et nos fais, qu'il n'est si très soutive pensée, ne si petite, qui au jor du Jugement ne soit ramentevée et Jugiée ».

Gardez-vous des petis péchiés, se vous voulés fuir les grans! —.

Une autre chose qui nous doit moult retraire des huiseuses paroles dire, si est que, par une oroison pure et /197/ dévote, povons-nous acquerre la grâce nostre Seigneur, et le royaume de Paradis. Après, par bonnes paroles dire, povons-nous donner à plusieurs achoison de salut; et si povons les âmes du purgatoire, qui en ont grant mestier, aidier, et secourre, et délivrer, et leur paine alégier.

En ce apert-il bien que l'home fait molt à reprendre et à blasmer, qui sa bouche deploie en huiseuses paroles; quer il puet trouver et cueillir en sa bouche huit manières de fruis très dignes et très précieux, dont ses espris puet estre repeu et raempli, nenne seulement d'an en an, ou de mois en mois, mais chacun jour.

« De cest fruit, est-il escript es Proverbes Salemon, chascun, dist-il, sera raempli du fruit de sa bouche ».

Le premier fruit si est de DIEU LOER, et l'autre est, de LI GRACIER. La préciosité de cest fruit est, et apert, es arbres de paradys: ce sont les angies et les saintes ames qui portent douz fruit; quer il ne fons onques que Dieu loer et gracier, si comme dist le prophète.

Le tiers fruit si est OROISON. La digneté de ce fruit puet-on savoir, à ce que les angies la portent es ciex, et présentent à nostre Segneur. Certes, molt est précieus jouel, quant si gentil messagier le présentent à Dieu.

Le quart fruit si est CONFESSION. La préciosité de cest fruit apert, en ce que nostre Sire le veut tous jours avoir devant ses iex; aussi comme le riche home, quant on aporte à sa table divers fruis, si en retient, et en met devant li du plus bel. Aussi nostre /198/ Sire veut avoir devant li tous jours du fruit de confession, pour ce qu'il est bel.

Le quint fruit si est ATEMPRANCE, qui est en ce que on ne parole ni poi, ni trop; et que ses paroles soient raisonnables et vraies, et que èles soient à la loenge et à la gloire nostre Segneur.

Le Six fruit est ABSTINANCE DE BOIRE ET DE MENGIER. La préciosité de cest fruit apert, en ce que l'abstinence est de si grant vertu « que èle aloigne la vie d'omme » ce dist Salemon.

Le sept fruit est d'ENSEIGNER et d'aprendre son prochain ce qu'il doit faire et comment il doit vivre. Cest fruit espécialement, fist l'arbre de vie; ce fu le fils de la beneoite vierge Marie, si come il dist en l'Evangile.

Le huit, si est quant l'omme VOIT QUE ON FAIT TORT ET VILONIE A DIEU, ET A SON PROCHAIN; et il en parle, et l'en reprent, et argue. La préciosité de cest fruit est, que on en treuve petit; quer petit voit-on de ceus qui aient cest fruit. Et garde chascun qu'il ait de ces fruit; si fera que sage 1.


/199/

L'arbre sec.

Tant avon alé, esperonnant, que nous sommes vennus, par la grâce de Dieu, à l'arbre sec.

Cest arbre est un arbre qui, en sa jonéce, fu planté seur bonne rivière 1; si comme le Prophète Ezéchiel le descrit, « très bien né, très bien norri, très bienvenant », si que il semblait des arbres de Paradis.

« Cis arbres, si come dit Salemon, flouri si comme amandeliers », c'est à dire, bien et bel. Mais « trop se hâta » si comme dist Ysaie « et vint un vens chaus et ardans, et le brûla tout », si come dit le devant Prophète Ezéchiel. Pour la quelle chose un autre Prophète, qui out à non Joel, pleure, et crie, et fait grant deul en son livre. Quer, si comme dist Jérémie « ce qui deust profiter, et croistre, et molteplier comme paumier 2, ores /200/ est devenu geneste qui bèle fleur porte, et nient de fruits ne riens ne vaut fors que au feu ».

Cest arbre nous monstre l'estat et la vie de l'omme qui bien commença à bonne vie, et sainte; or croist, et profite en grâce et en vertus, et en bonnes meurs, et flourist très bien, et jète bone ondeur par tout. Mais « là où il est encore en sa premiére flour » si dist Job « vient un vent ardant de très grant ferveur, et li esrache les fleurs, et brise ses branches; et il demeure sec, et brehaing 1 et bon à couper, et à geter au feu ».

Cest arbre, à parler esperituelment, commencha bel et bien à geter les getons des sept vertus qui respondent as sept vices capitaus. Mais le vent ardant de grant ferveur, de propre sens, et de indiscrétion les corrompt, et les fait devenir vices. Quer fole humilité devient pusillanimité, par indiscrétion et par propre sens; fole amistié devient charnalité; fole débonaireté, niceté; fole prouesce, cruauté; fole largesce, prodigalité; fole chasteté, desloiauté; fole abstinence, pestilence. Or, entend bien comment.

Quant le Déable voit le novice serjant Dieu, et le voit nice, et voit que à senestre il ne le puet embatre es vices et es péchiés dont nous avons parlé; lors le cueuvre d'un mantel de vertu, et en espèce et en semblance de bien l'assaut à destre, plus soutilment que à senestre. /201/

Or, li monstre comment il li convient très grant humilité avoir, qui doit parfaitement vaincre orguel et toutes ses filles. Lors le fait li meisme tant despire, et li dégeter, et anientir, et desprisier, que il cuide rien ne valoir, ne savoir, et que il chiet en pusillanimeté, c'est en une défaute de cuer. Quer il regarde tant ses défautes, et les périls oû sont ceus qui les grans biens font, que il ne s'ose aidier de grace nule que Dieu li aist prestée, ains repont le trésor son Ségneur dont il deust gaagner, et li et autri aidier. Comme fist le mauvais que Dieu laidenge en l'Evangile, et l'apèle serf, et desloial, et mauvais, et parecheus, et nient pourfitable, et le commande à ruer es ténèbres d'enfer. Mais ainsi n'est pas humilité vraie, ne vertu acquise. Quer el champ convient entrer qui veut vertu acquerre.

Dont, nul n'est si hardi comme le vrai humble. Quer, si comme dit St Bernart, « de tant comme le juste ès petites querèles a mains de fiance en soi, de tant a-il en Dieu es grans emprises plus de foy; si comme il parut bien en la virge Marie, qui de grant foi, et de grant humilité est loée seur tous ceus qui onques furent, après Dieu ».


/202/

Après, quant cel novice Serjans, sans raison et sans mesure, regarde envie, tant aigrement la commence à hair, qu'il chiet en une fole amistié. Quer, quant il deust son proisme amer comme li meisme, il le commence à amer plus que li meisme. Quer « à tort ou à droit il amera son ami » ce dit-il; et met cel fol à ensient s'âme en péchié, pour garder ceste fole amistié.

Ceste amour est fole, et desordenée; quer « après Dieu, seur toute riens, tu dois amer t'âme, et, après t'âme, ton proisme » si comme dit St. Augustin. Dont, se tu ames ton proisme plus que Dieu, ou que t'âme, tu n'es pas en charité. Pour ce dist Dieu en l'Evangile « que nul ne puet estre son deciple, se il ne het et père, et mère, et parens, et amis » (non pas les persones, mais les vices).

Il resont uns fols débonaires qui tant héent et fuient félonie et ire, que pour garder l'amour et la pais des hommes ils perdent molt souvent l'amour et la pais de Dieu. Si comme il voient les maus et les péchiés que il deussent abatre, et il s'en taisent pour pais avoir.

Ceste débonaireté est trop cruèle, dont St Augustin dit « Certes, se ton frère a ou fer, ou plaie el cors, et il le veut repondre pour raison du rasoir au mire, se tu, qui le ses, ne l'acuses, n'est-ce péchié? et, se tu le choiles, n'est-ce cruauté? Dont on seut dire « que mère piteuse fait fille tigneuse ». Et, ne est-ce grant desloiauté, se tu ois et vois que on dit ou fait honte à ton père du ciel, et tu le seufres dèbonairement, et fais samblant qu'il /203/ n'apartiègne de riens à toi? Dont dist bon mot St Johan bouche d'or. « Homme qui ses propres injures perdonne de légier, et oublie, c'est vertu et débonnaireté. Mais ès injures Dieu estre débonnaire, est très grant iniquité et mauvaistié ».

Dont, tout aussi comme nul n'est si hardi, quant mestier est, comme le vrai humble; aussi n'est nul si roys en justise, comme li vrai débonnaire. Comme il parut en Moyses qui, au tesmoignage de la saincte Escripture, fu le plus débonaire homme qui fust au monde, en son temps. Mais, en péchié vengier, quant il le trouvoit, nul si cruel, ne tel justisieres ne fu.

Hé las! dous Ihucrist, ceste vertu est, au tans qui ore queurt, molt bestornée; quer des hontes que on fait à toi, nul n'a cure, mais sa propre injure chascun veut vengier, et sans pitié, et sans mesure.


Contre le vice d'ACCIDE et de fole parèce, respont le vice de FOLE PROESCE, qui est un vice molt périlleus.

Aussi comme cil qui est ordené en batalle, et rang et ordre ne veut tenir, ains veut poindre sans compagnie et sans conseil, pour los acquerre, aussi est de ceus qui, sans conseil, font les pénitances trop grans, ou singulières, et desguisés; veillent, jeunent, aourent, pleurent, portent la haire, tuent le cors. /204/

Vaincu sont, se leur samble, se il ne passent les autres; et font de leur cors sacrefice au déable, que il deussent garder pour Dieu servir. Or, si, comme dit Samuel le Prophète « qui, contre raison et obédience, par son propre sens, fait sacrefice, il fait ofrande as diables, non pas à Dieu » et c'est à dire en clerjois 1, ydolatrie.


Contre AVARICE respont, d'autre part, le vice de PRODIGALITÉ, cest folle largesce.

Li aver tolt, ravist et tient, et ce qui sien est, et ce qui sien n'est pas. Le fol large ne donne point, ains espant tout quenque il puet tenir as mains, et ce qui sien est, et ce qui sien n'est mie. Le large va voie moienne, que rien ne toult, à cui ce qu'il a soufist; et donne le sien sagement, et liément, et de cler cuer, et là où il doit, et tant comme il puet, et si comme il doit.


Encontre LUXURE naist FOLE CHASTÉE ou de cuer ou de cors. /205/

Fole chastée de cors est en ceus qui en mariage sont, qui envers leur compagnie ne font pas ce qu'il doivent, ne ne ce que le mariage requiert; et ce est roberie et desloiauté.

De cuer requièrent cil et cèles folement pureté et chastée qui, tantôt que il commencent à pénitance faire, devenir cuident angies, qui à mort se traient lues 1, comme la pensée laide vient audevant. Et tant plus voit le déable que il se courrouce plus de droit, tant plus les assaut et en veillant et en dormant; et les met en une doleur, et en une tristrèce, et en une conscience estroite et fole.

Et est de ceus, aussi comme de celi qui cuidait la maison si nétoier, que poudre ne poutié 2 n'y demourast. Mais, come plus nétoie, et plus viennent pouties parmi le rai du solail. Aussi est-il d'aucuns nices cuers et novices, qui veulent avoir la pureté des parfais, ains que il soient nès. Et quant il sentent une raiéte de clarté que Dieu leur monstre leur défautes, tant se veulent confesser et l'hôtel du cuer rammoner, qu'il tuent eus et autri. Et plus versent ce cueur et reversent, et plus roient 3 pouties et pensées que le déable fait venir, pour /206/ eus mettre à mal aise, et pour eus retraire des biens que il pourroient et devroient faire.


Au vice de GLOUTERNIE répond, d'autre part, le vice d'AUSTÉRITÉ; par quoi li homs est aussi comme homecide de li meisme, et desloiaus envers Dieu, quant il li toult son bon serjant, c'est son cors propre. Et c'est un des fors engiens au déable; si comme dist St. Bernart « Quer quant il ne puet abatre le chevalier, il se paine de son cheval tuer ». C'est à dire: quant il ne puet le courage qui tant est preus et fervens vaincre, lors se paine de li toldre son cors.

Ainsi vont li vice et li péchiés, fors voie, l'un à destre, l'autre à senestre. Mais vertu va son chemin royal. Vertu est l'arbre qui doit en haut monter, pour ce qu'il attaigne dusques au ciel. Et pour celi convient-il ses branches à destre et à senestre molt soigneusement recouper.


/207/

De la chaine des vices.

Or vous dirai comment li péchié sont enlachié l'un l'autre. La chayne des vices dont le pécheur est lié s'entretient en telle manière: par orguel il laisse Dieu le père, pour ce qu'il ne veut pas estre subjès; ains veut tous jours estre desseure les autres. Et quant il veoit que les autres li passent, il chiet en envie; et d'envie en ire et en haine. Or a-t-il perdu par orguel l'amour et le soulas de ses prochains; par ire, la joie et la pais de son cuer. Or a perdu tout vrai confort de cuer. Or chiet en accide et en tristrèce de cueur, et en annui. Et pour ce que il a perdu tout vrai confort dedens, il se met du tout à pourcarchier confort de vanité dehors. Primes, par les eus, des choses temporeus; et ainsi chiet en avarice.

Après, quant il a richesses, dont veut avoir le soulas de la gueule, des vins et des viandes. Dont chiet en glouternie. Et quant le ventre est plain et eschauffé, si demande le délit de rains, et chiet li chaitif en la longaigne 1 de luxure. /208/

Or, pues tu veoir que ces sept vices s'entretiennent comme font aniaus en une chayne. Quer à li deslier, nul n'a pooir fors Dieu, sans plus 1.


CI FINE LE ROMANS DES VICES, ET COMMENCE LE LIVRE DES VERTUS.

/209/

ENVIS MUERT QUI APRIS NE L'A. APREN A MOURIR, SI SAURAS VIVRE. QUER NUL BIEN VIVRE JA NE SARA, QUI A MORIR APRIS N'ARA. ET CELI EST

Se tu veus vivre franchement,
Appren à vivre liéement.
Se tu me dis com' on l'aprent.
Je le te dirai maintenant.

Tu dois savoir que ceste vie n'est fors que mors; quer mors est un trespas qui est molt brief, ce set chascun. Dont on dit d'un homme, quant il muert, que il trespasse, et, quant il est mort, que il est trespassé.

Ceste vie tout ensement n'est fors un trespassement, voire molt brief; quer toute la vie d'un home, se il vi voit mil ans, ce ne saroit pas un seul moment, au regart de l'autre vie qui tous jours durra sans fin, ou en tourment, /210/ ou en joie perdurablement. Ce nous tesmoignent bien li roys, et li conte, et les princes, et les empereurs qui la gloire du monde orent aucunes fois, qui en enfer pleurent et crient, et ullent 1, et regrestent, et dient « Hélas! que nos valut ore nostre pooir, honeur, noblece, et richesce, et joie et beuban? Tout est trespassé plus tost que ombre, ne que oisel volant, ne quarrel d'arbaleste! Ainsi est trespassée toute nostre vie. Or fusmes nés, et tantost mors. Or sommes en perpétuels tourmens; nostre joie est tornée en pleurs; nos karoles en doleurs; chapiaus, robes, déduis, festes et tous biens nos sont fallis! »—.

Tels sont les chancons d'enfer, si comme l'Escripture nous tesmoigne, pour nous monstrer que ceste vie n'est fors que un trespas molt brief; et mort n'est fors trespas, et vivre n'est que trespasser; dont, n'est vivre fors morir. Et c'est voir come Patrenostre. Quer quant tu commences à vivre, tantost tu commences à morir: et tout ton aage, et tout ton temps qui passé est, la mort l'a conquis et le tient. Tu dis que tu as XL ans; n'est pas voir. La mort les a, ne jamais ne les te rendra. Pour ce, est le sens du monde folie, et les clers voians n'y voient goute. Jour et nuit font ceste chose; et come plus le font, mains se connoisent. Et tous jours muerent, et ne sèvent morir; quer jour et nuit tu muers, si comme je t'ai dit. /211/

Encore en autre manière t'aprendrai-je ceste clergie, afin que tu saches bien morir et bien vivre. Or escoute, et enten: La mort n'est fors dessevrement 1 de cors et d'âme, ce set chascun. Or nous enseigne le sage Chaton « aprenon, fet-il, à morir. Départon l'esperit du cors souvent ». Ce firent plusieurs de ces grans philosophes qui ceste vie tant haoient, et le monde tant mesprisoyent, et tant desiroient imortalité, qu'il s'occioyent de leur gré. Mais rien ne leur valoit, quer il n'avoient pas grace, ne la foi de Ihucrist 2.

Mais les sains hommes qui Dieu aiment et criénient; qui, de trois mors, ont les deux passées, (quer il sont mors au péchié et mors au monde), or attendent la tierce mort, c'est la dessevrée de l'âme et du cors. Entre eus et Paradis n'a fors une paroi petite que il trespassent souvent par pensée, et par desiriers. Et, se le cors est par deça, le cuer et l'esperit est par delà. « Là ont leur conversation, si comme dist St. Pol, leur soulas et leur joie, et leur confort, et tout leur désirier ». Et, pour ce héent ceste vie qui n'est que mort, et desirent la mort corporèle; /212/ quer ce est DAMOISELLE PORTE-JOIE que la mort, qui tous les sains couronne, et met en gloire.

Mors est as preud'ommes fin de tous maus, et porte, et entrée de tous bien. Mort est le ruissel qui départ mort et vie. Mort est par deça, vie par delà. Mais les sages de cest siècle qui deça le ruissel voient si cler, par delà ne voient goute; et pour ce les appèle l'Escripture fols et aveugles. Quer ceste mort il apèlent vie, et la mort qui est as bons commencement de vie, il apèlent fin. Et pour ce héent-il tant la mort; quer il ne sévent que c'est, ne delà le ruissel n'ont point convoisé. Et il ne set riens qui hors ne va.

Dont, se tu veus savoir que est bien, et que est mal, is hors de toi; is hors du monde; apren à morir. Dessévre t'âme par pensée. Envoie ton cuer en l'autre siècle, c'est el ciel, et en enfer, et en purgatoire. Là verras que est bien et que est mal. En enfer verras-tu plus de doleurs que on ne seuroit deviser. En purgatoire, tu verras plus de tormens que on ne porroit endurer. En Paradis, plus de joie que on ne pourroit desirer.

Enfer t'enseignera comme Dieu venge péchié mortel. Purgatoire t'enseignera comment Dieu venge péchié véniel. En Paradis tu verras que vertu est bone euvre, et guerredonnée hautement.

En ces trois choses a quenques il convient à bien savoir vivre, et à bien mourir.


/213/

Comment on aprend à haïr péchié.

Or esgarde encore un poi, et si ne t'annuit mie, à ces trois choses, enfer, purgatoire, et Paradis, pour ce que tu aprègnes à haïr péchié.

Oublie ton cors, une fois le jour; va en enfer en ton vivant, que tu n'y voises en ton morant. Ce font souvent les sains hommes et les sages; et iluec 1 verras que cuer het et fuit: deffaute de tous biens, plente de tous maus, feu ardant, soufre puant, déables horribles, faim et soif que estanchier ne puet, divers tourmens et plours, et dolours, plus que cuer ne pourroit penser, ne langue deviser; et tous jours durront sans fin. Et pour ce est cèle paine bien apelée mort perdurable; quer on y vit tous jours en mourant, et muert tous jours en vivant.

Quant tu verras que un seul péchié mortel y convendra si chier compter, tu te lairoies avant escorchier tout vif, que tu t'osasses à un seul péchié mortel consentir.

Après, t'en va en purgatoire. Là verras-tu la paine des âmes qui ci ourent repentance, mais ne furent pas plainement purgiés. Or, font le remanant de leur pénitance, /214/ jusques à tant que èles soient clères et nètes, aussi come èles furent au point et à l'eure que èles issirent des fons et du batème. Mais cèle pénitance est molt horrible, et molt dure. Quer quenques soufrirent onques li Sains de martyre, ne femmes qui d'enfans travallent de doleurs, n'est que un baing en yaue froide, au regart de cèle douleur oû ardent les âmes, tant que èles soient purgiés, aussi comme un or tout affiné el feu, où on ne treuve mains que espurgier. Quer cel feu est de tel nature que quenque il treuve en l'âme de ruil 1, de fait ou de dit, ou de pensée, ou petit ou grant, tout art et espurgie. Et là sont punis tous les péchiés véniels, et vengiés, que nous apelons péchiés menus que nous faison souvent el menu, en foles pensées, foles paroles et huiseuses, gas, truffes, et toutes autres vanités, tant que en l'âme n'ait qu'espurgier, et que elle soit digne d'entrer el ciel, ou rien n'entre, s'il n'est très fai cler.

Ce feu redoutent ceus et cèles qui à leur pooir se gardent de péchier vénielment et gardent saintement leur cuers, leur cors et leur bouches, et les tienent sains de tous péchiés. Et aussi vivent comme s'il deussent chascun jour mourir, et venir au jugement devant Dieu. Et pour ce que nul ne puet vivre du tout sans péchié, (quer, si comme dist Salemon « sept fois le jour chiet le preudomme » ) pour ce, par sainte confession, et par /215/ lermes, et par oroisons, il métent paine à eus laver, et relever et amender, et de eus ci jugier, si que il atendent seurement le derrain jugement. Quer, qui se jugera vraiement, il n'ara garde d'estre dampné au jour du jugement 1.

Ainsi aprent-on mal à connoistre et à fuir, et conchoit-on /216/ la sainte paor de Dieu qui est le commencement de sainte vie et de tout bien.


Comment on aprent à bien faire.

Ce n'est pas assez de laissier les maus, se on ne fait le bien, et se on n'aquiert les vertus sans lesquelles nul homme bien ne adroit ne vit.

Dont, se tu veus aprendre à bien vivre selonc vertu, apren à mourir comme je t'ai dit.

Dessevre ton esperit de ton cors par pensée et par desirier. Is hors de cel monde morant; va en la terre des vivans oû nul ne muert ne envellit, c'est en paradis. Là aprent on à bien vivre, et sens et courtoisie; quer là ne puet entrer nule vilonie. Là est la glorieuse compaignie de Dieu, et des angies, et des sains. Là sourabondent tous les biens, biauté, richesses, honneur et gloirre, vertu, amour, sens et joie perdurable. Là n'a point d'ypocrisie, ne barat, ne losengerie, ne discorde, ne envie, ne faim, ne soif, ne chaut, ne froit, ne mal, ne doleur, ne paour d'anemis; mais tos jours noces et festes royaus, et chancons et joie sans fin. /217/

Ceste joie est si très grande, que qui en arait tasté une seule goute de la plus petite joie qui là est, il seroit de l'amour Dieu si enyvré, que toute la gloire de cel monde li serait puant et tourment; richesse li serait fiens, et honneur vilté. Et celle très grant amour, et le desirier que on arait de lâ venir ferait cent mil tans plus haïr péchié, et amer vertus, que toute la paour d'enfer dont j'ai ci devant touchié; quer amour est plus fort que paour. Et celi que amour maine, il quert 1 plus tost, et mains li couste que celi qui sert Dieu par paour. Le lièvre queurt et le lévrier, l'un par paour, l'autre par desirier. Li un fuit, et l'autre chace. Les sains hommes queurent comme levriers qui ont tous jours les eux el ciel. Il voient la proie que il chacent; et pour ce, oublient tous autres biens, aussi comme fait le gentil chien, quant il voit sa proie devant ses eux.

C'est la vie as fins amans, as cuers gentils et afaitiés, qui tant aiment vertu et héent péchié, que s'il estoient certains que homs ne le deust savoir, ne Dieu ne le deust vengier, ne daigneroient il mie faire un seul péchié. Mais toute leur pensée et toute leur paine est de leur cuers garder nétement, et apareiller que il soient dignes d'avoir la joie du paradis, el quel cueur vilain n'entrera ja, ne fol, ne fel, ne orguelleus; quer pis en vaudrait la compaignie. — .


/218/

Comment on vient à bonne vie.

Or, t'ai je monstré comment on aprent à bien morir, et à bonne vie mener. Mais tu dois savoir que le commencement de parvenir à bonne vie, et d'aquerre vertu si est, non mie seulement, que on cognoisse que est péchié et qu'est aumosne, mais que on sache bien acertes conoistre et jugier que est mal et que est bien, et deviser le vrai bien de l'aparant, et le grant du petit; quer chose que on ne connoist n'est haie ne desirée. Et pour ce, dois tu savoir, selonc ce que les Escriptures dient, que il sont uns petis dons de Dieu que on apelle les petis biens, et uns moiens, et uns grans et vrais qui seulement sont biens adroit, dont tout le monde est presque déceu; quer il donnent les grans biens pour les petis, et les moiens pour les petits, ou les grans pour les moiens. Quer cest monde est aussi comme une foire oû moult de faus marcheans a, qui achatent voirres pour saphirs, et couivre pour or, vessies pour lanternes. Mais celi est adroit bon marcheant, qui de chascune chose connoist la propre vertu et la value. Ce nos enseigne le St. Esperit. Et un autre maistre nos enseigne et aprent à connoistre les grans choses des petites, les précieuses des vils, les douces des amères.


/219/

Des petits biens.

Il apelle les petis biens les biens temporeus: les biens de fortune que dame Fortune a seur sa roue toute jour, et tolt, et donne, et tourne ce dessus dessous. Ce sont les pierreries de voirre luisans que li musart achatent pour rubis et pour saphirs, ou pour esmeraudes. Ce sont comme violes à enfans, que Dieu nous donne pour nous soulacier, et pour nostre amour attraire à li, parce qu'il set que nous sommes fiébles et tendres, et tenir ne poons les aspres voies de poureté, d'angoisse et de martyre; si comme font les bons chevaliers Dieu qui le règne du Ciel prennent par force et conquèrent par leur proesce. Dont ce ne sont ne grans biens, ne biens adroit. Quer se ce sont vrais biens, dont fu fol le fis Dieu Ihucrist qui eslut poureté et honte, et refusa joie, et honeur, et richesse. Se ce sont vrais biens, dont ne sont pas tous vrais biens el ciel; dont, n'est pas Dieu parfaitement beneure, qui de tiex biens n'use nient. Dont est Dieu desloial et desnaturé qui tiex biens tolt à ses amis, et les donne à ses anemis plus largement.

Se ce sont vrais biens, adont furent fols tous les clers sages, et les sains, et les grans philosophes qui ces biens /220/ fuioient et despisoient comme fiens. Se ce sont vrais biens, dont ment Dieu, et Saincte Eglyse, et Saincte Escripture qui les apèle menconges, et ombre, et songes, et vanité roi, et liens et las au déable; et c'est voir comme patrenostre. Quer ce sont les engiens au déable par quoi il déchoit les âmes en mil manières, et prent, et lie, et tient.

Mais li sage marcheant, ce sont li preudhomme que le Saint Esperit enlumine par vraie connoissance, qui sevent ce que chascune chose vaut. Il voient trop bien et entendent que tout le monde n'est pas un bon morsel pour cuer d'omme saouler, et que molt y a de maus et poi de bien; et pour ce il donnent le monde pour le Ciel, noeint 1 pour tout, boe por or; tout pour Dieu, richesses, délices, honeurs; et demeurent poures pour Dieu gaaigner, et pour le ciel conquerre. C'est la plus bèle vie, la plus nète qui soit en cest monde.

Les autres sont qui voient que en molt de manières puet on son preu faire des biens temporex, qui les porrait avoir sans trop amer; quer Dieu ne commande mie tout à laissier. Il les retiennent, mais petit les prisent; il en usent, mais poi les aiment, comme fist Sainct Abraham, et Job, et David.

Et molt d'autres en est qui les périls en ont, et leur preu font des biens que Dieu leur a prestés; quer il en /221/ sévent le ciel acheter; ils en sévent les péchiés rachater, et leur prochain aidier; il en sévent Dieu plus amer, et loer, et mercier, et honourer et redouter pour le grant péril où il sont; et eus meismes plus humilier, quant il voient leur feblecce et leur poure amor, et leur deffaute, quant l'estroite voie n'osent aler; quant si petit veulent pour Dieu seufrir et donner, qui tant soufri et donna, et laissa pour eux.

Ceus bien se sauvent, mais fort ja; quer plus légière chose est tous les biens du monde laissier à un coup pour Dieu, que les retenir et nient amer.


Des moiens biens.

Les moiens biens sont les biens de nature et de doctrine. De nature, si comme biauté de cors, proesce, force, débonnaireté, cler sens, mémoire, et tous tiex biens que nature aporte; ou de doctrine, comme grant clergie 1, et tous autres biens que on aquiert par bonne /222/ estude ou par bonne accoustumance, si comme sont les bonnes moeurs et aucunes vertus.

Mais ce ne sont encore mie vrais biens; quer il ne font mie celi qui les a parfaitement bon. Quer molt de philosophes et de bons clers, et de roys, et d'empereurs qui molt ourent de tiex biens, sont dampnés en enfer.

Après, tiex biens donne aussi nostre Sire à ses anemis, come il fait à ses amis; as Sarrassins et as faus crestiens, comme il fait as bons.

Après, n'est mie vrai bien qui faut, et que il convient perdre malgré sien. Et se lerres ne les puet embler, ne robeur tollir, toutes voies, en la fin, les tolt la mort.

Après, vrais biens aident tous jours, et ne nuisent onques; mais certes, tiex biens et tex graces foraines font souvent damage, et nuisent à ceus qui les ont, se il ne usent bien: quant il s'en vantent, ou s'enorguellissent, et les autres en despisent. Quer celi à qui Dieu a données tex graces et tex biens que j'ai dessus nommés, pour Dieu servir et son prochain aidier, se il n'en use loiaument, il en sera en plus grant tourment. Et estroitement le convendra conter et rendre raison à Dieu, au jour du Jugement, que il a fait et que il a gaagnié des biens que Dieu li a prestés pour molt emploier.


/223/

Des vrais biens.

Or t'ai-je briefment monstré qui sont les petis biens, et les moiens. Or te veul je monstrer qui est le vrai bien, et bien adroit, qui fait celi qui l'a bon, et sans qui onques nul adroit bon ne fu.

Cest bien on apèle la grâce Dieu, et vertu, et charité. Grace, pour ce que il donne vie et santé à l'âme; quer sans cestui bien, l'âme est morte.

Il est appelé vertu, pour ce qu'il aorne l'âme de bonnes meurs et de bonnes euvres.

Il est appelé charité, pour ce qu'il joint l'âme à Dieu, et le fait aussi comme tout un; quer charité n'est autre chose fors CHIÈRE UNITÉ. C'est la fin, c'est la perfection et la beneureté à quoi nous devons tendre.

Molt furent de ceus, ces anciens philosophes, qui tant curieusement desputèrent et enquirent que estait le souverain bien en ceste vie, ne onques trouver ne le purent. Quer les uns le metoient en délit du cors, les autres en richesses, les autres en honneste vie. Mais le grant philosophe St. Pol, qui fu ravi jusques au tiers ciel, nous preuve par molt de raisons, que le souverain bien en ceste vie est la royne des vertus, Dame Charité. /224/ « Quer sans cesti » dist-il, « il ne vaut rien nul autre bien; et qui cesti a, il a tous les autres; et quant tous les autres faudront, il ne faudra ja. Et dessus tous les grands biens qui sont, ceste est la Dame ».

Dont est-ce le plus grant bien qui soit sous le ciel.


De vraie proesce.

Après vertu et charité, donne vraie proesce. Il n'est proesce à droit, fors es chevalers Dieu que le Sainct Esperit adoube et arme de vertu et de charité.

En proesce a trois parties: HARDIESCE, FORCE, et FERMETÉ. Nul n'est adroit preus qui ces trois choses n'a: qui n'est HARDI ET SEUR AS GRANS CHOSES EMPRENDRE, FORT ET PUISSANT AU POURSUIR, FERME ET ESTABLE AU PERFOURNIR ET AU PERFINER. Mais sans sens et sans pourvéance, ne vaut rien nul de ces trois choses. Quer si comme dit le livre de l'ART DE CHEUALERIE: « En autres querèles, quant on mesprent, comme que ce soit, treuve on amendement. MES (mais) ERREUR EN BATALLE NE PUET /225/ ESTRE AMENDÉE; QUER ELLE EST TANTOST COMPÉRÉE 1 »—.

Fole emprise est où il gist molt de perils et de coust, et de paine.

Tèles sont les emprises de ceus que on apèle preus et hardis au siècle; qui cors et âme mètent en péchié, et en paine, pour un petit de los conquerre; quer molt est vain, et petit dure.

Mes vertu fait l'omme de grant cuer et de sage emprise, quant elle fait homme (qui n'est fors terre) si hardi, qu'il ose emprendre si grant chose, comme est le royaume des cieus à conquerre, et tous les deables, qui tant sont fors, à vaincre.

Qui n'a vertu n'a pas grant cuer; comme celi qui a grant paour de nient. Tiex sont ceus qui tant doutent les maus et les adversités du monde, et qui ont paour de perdre ce que on ne puet longuement tenir.

Celi n'a pas grant cuer qui pour nient le donne; comme font ceus qui donnent leurs cuers à amer les biens de fortune, qui, en vérité, ne sont nient au regart des vrais biens de gloire.

Dont, tiex gent sont aussi comme l'enfant qui plus aime un mireor que un royaume, une pomette que tout son eritage. Mais vertu donne grant cuer adroit; quer vertu fait le ciel conquerre, le monde despire, grant fais /226/ de pénitance porter, et tous les maus du monde sour porter, et liément soufrir et pour Dieu endurer, et à tous les assaus du déable contrester.

Et si comme dist le sage Sénèque: « Nient plus n'ont de pooir encontre vertu grietés 1, meschéances, doleurs, ne quenque vertu puet manecier 2 et faire, que ont goutes de pluie en la mer. Vertu fait home hardi comme lyon, fort comme olifant, ferme et durable comme soleil qui tous jours queurt et n'est onques lasse ».

Dont, il n'est proesce fors que en vertu. —


De vraie Segnourie.

Aussi n'est-il vraie Segnourie fors que en vertu. Grans Sires est ce li à qui tout le monde sert. Tèle Segnourie donne à homme grâce et vertu; quer èle met l'omme esperituelment en son droit estat où il fu fais premièrement. /227/

L'omme fu fait en tel honeur et en tèle Segnourie, qu'il estait Segneur de toutes les créatures qui sous le ciel estoient; à qui toutes choses obéissoient, et à qui rien ne peuvait nuire: et c'est le droit estat à homme, et sa Segnourie. Mais ceste Segnourie perdi il par péchié, ne recouvrer ne le puet, fors par vertu. Vertu esliève homme en haut, et li met le monde sous pié, et le fait converser el ciel.

Vertu fait plus adroit l'omme Segneur du monde que le roy n'est de son royaume; quer des biens du monde il a tant comme son cuer desire. Il y a son usage et sa soustenance, et tant comme il en veut avoir, plus soufisamment que n'a li roys.

Quenques ont les bons et les mauvais, tout est sien. Quer de tout fait son preu, et de tout loe Dieu et mercie; et plus l'en aime, et crient, et sert, en ce que il voit et croit et connoist que toute créature est faite pour li servir.

Après, il a un autre empire bel et grant, sans lequel nul n'est à droit Segneur: quer il est empereur de li meisme, c'est de son cors et de son cuer, lesquels il justise et tient en bonne pais, et dont il fait sa volenté. Quer son cuer est si joint à Dieu et à sa volenté, que quenques Dieu fait li est bel, et fortement li agrée. Et pour ce a il tous jours le cuer en pais, et le gouverne selonc la volenté Dieu. Et de quenques Dieu fait à son cors, grâces li rent et molt li plaist. Et c'est la Segnourie que vertu donne à celi qui l'a. De quoi parole Seneque qui dit ainsi /228/ « Grant honneur et grant empire te dourrai; soies Empère de toi-meisme ».

Hé Dieu! tant a de roys et de barons par le monde qui ont chastiaus, citiés et royaumes, qui ne sont mie Ségneurs de leurs cuers; quer il les tourmente souvent ou par ire, ou par mautalent, ou par convoitise, ou par desirier qu'il ne puevent accomplir.


De vraie franchise.

Après, n'a vraie franchise, se il n'a grâce et vertu. Dont se tu veus savoir que est franchise adroit d'homme, tu dois savoir et entendre que homme a trois manières de franchises; l'une de NATURE, l'autre de GRACE, l'autre de GLOIRE.

La première est franche volenté, par quoi il puet eslire et faire franchement ou le bien ou le mal. Ceste franchise tient il de Dieu si franchement, que nul ne li en puet tort faire; ne trestous les déables d'enfer ne pourroient volenté d'omme efforcier à faire péchié, sans son accort. Quer se homme faisait le mal du tout mal gré sien, il n'y arait point de péché: quer nul ne péche /229/ en ce que eschiver ne puet, si comme dist St. Augustin. Et ceste franchise ont tous hommes; mes èle est liée es effans, et es fols, et es forsenés qui n'ont mie usage de raison par quoi il sachent eslire le bien du mal.

Ceste franchise se tolt l'home en grant partie, quant il péche mortelment; quer il se vent pour le délit du péchié et se rend au déable, et devient serf au péchié, si que il ne s'en puet pas geter à sa volenté que il a ja aservie, se la grâce de Dieu ne li aide.

La seconde grâce que les preudhommes ont en cest siècle, les quiex Dieu a franchi, par grâce et par vertu, du servage au déable et de péchié, est: que il ne son sers ne à or, ne à argent, ne à leur charoigne, ne as biens de fortune que la mort puet tollir.

Ains ont le cuer si eslevé en Dieu, que il ne prisent le monde un bouton, et ne doutent ne roy, ne comte, ne meschéance, ne pourté, ne mort. Quer il sont ja demi mort, et ont le cuer dessevré du monde que il héent, et desirent la mort comme fait le bon ouvrier son paiement, et le gaaigneur son aoust, et ceus qui sont en tourment de mer bon port, et le prisonnier sa délivrance et le pèlerin son pays. Et ceus sont parfaitement frans, comme on puet estre en cest siècle; quer il ne criègnent ne ne redoutent nule riens fors Dieu, et sont en grant pais de cuer; quer il l'ont assis en Dieu, et sont ja en paradis par desirier. Et tèle franchise vient de grâce et de vertu.

Mais encore, toute franchise n'est fors servage, au regart de la tierce franchise que ont ceus qui ja sont du /230/ cors délivré du tout, et avec Dieu sont en sa gloire. Ceus sont vraiement frans; quer il sont délivrés de tous tourmens, et de paour de mort, et de péchié, des périls du monde, et des las de misère, et de toute paine du cors et du cuer, sans retourner; desquèles choses nul n'est franc en cest siècle, tant soit parfait.


De vraie noblesse.

Qui la seconde franchise de grâce et de vertu avoir porra, à grant noblesse en venra.

La vraie noblesse vient du cuer gentil. Certes nul cuer n'est gentil qui n'aime Dieu; dont il n'est noblesce fors en Dieu servir et amer, ne volenté mauvaise fors du contraire, c'est de Dieu courroucier et de péchié faire.

Nul n'est adroit gentil de la gentillesse du cors; quer, quant au cors, tous somes fis d'une mère: c'est de terre et de boe dont nous prismes tous char et sanc. De ces costé nul n'est adroit gentil ne franc. Mais nostre droit père est le roy du ciel qui fourma le cors de terre, et cria l'ame à sa semblance et à son ymage.

Et tout aussi comme il est du père charnel qui molt /231/ est liez, quant son fis li ressamble: ainsi est-il de nostre père du Ciel, qui, par ses escriptures et par ses messages, ne nous fine de semondre et de prier que nous mettons paine de ressambler à li. Et pour ce, nous envoya-il son benoit fils Ihucrist en terre, pour nous aporter le vrai exemplaire par qui nous serons réformés à son ymage et à sa biauté, comme sont ceus qui habitent en la haute cité du ciel, ce sont les angies et les sains du paradis, oû chascun est de tant plus haut et plus noble comme plus noblement porte ceste bèle ymage. Et pour ce, les sains hommes en cest siècle mettent tout leur cuer et leur paine à Dieu connoistre et amer, et leur cuer du tout espurgier; quer de tant comme le cuer est plus net, de tant voit-il ceste bèle face Dieu plus apertement.

Et com plus le veoit apertement, et plus l'aime ardaument, tant li ressamble-il plus proprement; et ce est la vraie noblesce que Dieu fait. Et pour ce dist trop bien St. Johan l'apostre « Que adont seron nous fis Dieu, et li ressambleron proprement, quant nos le verron apertement; ce sera en sa gloire, quant nous seron en paradis. » Quer ichi nul ne veoit à descouvert la biauté Dieu; mais aussi comme parmi un miroir » si comme dist St. Pol. « Mais adont nous le verrons face à face clèrement. »—

Hé Dieu! comme sont loins 1 de cèle hautesce ceus /232/ qui se font si nobles de ceste poure hautesce qu'il ont de leur mére la terre, (qui porte et nourrist les pourciaus aussi bien comme elle fait les roys,) et se vantent de leur gentillesse pour ce que il cuident estre de gentil lignie. Et cestui parage sevent trop bien conter, et à l'austre côté ne resgardent mie dont (d'oû) leur vient la vraie noblesce et le gentil parage.

Il deussent regarder à leur vrai exemplaire Ihucrist qui plus ama et honoura sa mère que onques ne fist autre homme. Et quant on li dist « Sire, vostre mère et vos cousins vos demandent ». Il respondit « Qui est ma mère, et qui sont mes cousins? Quiconques fait la volenté mon père du ciel, il est mon frère, et ma sœur, et ma mère » — .

Quer c'est le noble costé et le gentil parage dont vient et naist au cuer vraie gloire; aussi, comme de l'autre noblesse, orguel et vaine gloire, et vanité.


Comment vertu est pourfitable.

Il est nul bien honnorable à droit, fors vertu et charité, c'est l'amour de Dieu. Et, que il ne soit nul autre bien pourfitable, ce nous tesmoigne St Pol /233/ qui dit ainsi « Se j'avoie tant de sens en moi, que je seusse toute clergie, et tous langages, et parlasse aussi bien comme puet parler homme ou angie; et se je seusse les secrès et les conseus Dieu, et livrasse mon cors à martire, et donnoie quenque j'ai as poures, et faisoie par miracle les montaignes sallir d'un lieu en autre; se je n'avoie la vertu de charité, tout ne me vaudroit riens ».

Or esgarde ci, que St Pol à cui on doit bien croirre, nos a ci nommés les plus grans biens que home puet faire, et qui plus puevent valoir et profiter: ce sont peneances de cors et martyre soufrir, poures aidier, pécheurs convertir, et science de tout langage. Et dit que tous ces biens, sans charité, ne valent rien. Et, se tiex biens ne valent, comme vaudront autres biens mendres? Ce meismes pues-tu veoir par raison; quer piéce-a on dit: tant vaut li homs, tant vaut sa terre. Et c'est aussi voir que Patrenostre. Quer, combien que l'omme ait de biens temporeus, comme sont or et argent, ou biens esperituels, ou natureus, comme sont ars et engiens, sens et clergie, force et proesce et autres biens, comment dirai-je que il li profitent, quant il en est plus cruelment dampné, pour ce que il n'use mie à droit des biens que Dieu li avait presté pour gaaignier?

Après, se il fait euvres corporel, comme font ces la boureurs, ou ces menestrex; ou, se il fait euvres éspérituels, comme sont: jeuner, orer, poures vestir, haire porter, et ce soit sans charité; à droit parler, ne li vaut /234/ nient. Quer ja, pour ce, plus de mérite vers Dieu n'ara, ains ara anchies, s'il meurt, dampnation, et sera dampné.

Mais celi qui a vertu et charité parfaite de quenques Dieu li envoie en cest siècle, de tout fait son preu, de tout conquier grace et gloire.

Charité est la bonne marcheande qui par tout gaaigne, et nule fois ne pert. Toutes les bones denrées èle achate, et fait tout sien; et nepourquant, èle a tous jours son denier arrière, c'est l'amour du cuer qui est le denier Dieu dont on achate tous les biens du monde. Et toute voies, remaint-il 1 tous jours en l'aumônière.

Amour a en tous lieus ses ventes. Charité gaaigne en toutes querèles; la victoire a en toutes batalles. Elle fait que autant vaut à l'un jeûner un jour, comme à l'austre un carresme. Elle fait que, autant vaut à l'un un denier que il donne, comme à l'autre cent livres, et une Patrenostre dire, comme à l'autre un sautier. Et ce n'est pour autre raison, fors pour ce que tant vaut l'omme, tant valent ses euvres. Quer, tant comme il a plus vraie amour, tant gaagne-il plus chascun jour.

Amour si est le pois en balance St. Michel. Quer nule autre chose ne puet peser, quant vient à prendre chascun son loier, fors que amour et charité. Et, pour ce, di-je qu'il n'est nul bien pourfitable, à proprement et à droit parler, fors bèle amour et charité.


/235/

Que vertu est bien trop délitable.

Aussi comme Dieu fist homme de cors et d'âme, aussi li a-il donné deux manières de biens délitables, pour son cuer à li attraire en cui sont tous les vrais délis.

Les uns biens viènent par dehors, et par les cinq sens du cors: par veoir, par oïr, par flairier, par gouster, par taster.

Ces cinq sens sont aussi comme un conduit par ont 1 les biens délitables du monde querent au cuer, pour déliter, et pour li aléchier as vraies délices qui sont en Dieu amer. Quer tous les délis du monde que ont les cinq sens, ne sont que une goute de rousée, au regart de la fontaine de la grant mer dont tous ces biens descendent. La goute de rousée, quant on le voit de loing, resemble une pierre précieuse; mais quant on le cuide prendre, èle chiet à terre, et devient nient. Aussi est-il des cinq sens, quant on les cuide prendre. Quant on les /236/ pense, et figure, et desire, moult apparent 1 précieus; et quant on les tient, tantôt sont perdus, et deviennent nient, et songes. Pense du délit d'antan 2 et du songe d'à nuit, tu verras que tout est un. Tantost passent, et tost anuient, et en nule manière saouler ne puevent.

Et se en une goute a tant de douceur, quele est la douceur de toute la fontaine? Et pour ce, li sage et li saint home en cest siécle, de quanques il voient et saveurent des biens délitables de cest monde, loent Dieu, et plus en convoitent l'amour de li. Et com' plus voient les goutes douces, plus desirent venir à la fontaine. Et pour ce que il sévent bien que com' plus aime-on la goute, plus oublie-on la fontaine: et, com' plus plaist la douceur du monde, mains desire-on la douceur de Dieu; pour ce, tout le mains qu'il puevent, il prennent et usent des délis charnels, et des déduis qui par les cinq sens viènent.

Hé Dieu! comment sont fols et bestes, qui sèvent bien que cors d'ome est la plus poure créature et la plus vil qui soit, et que l'esprit de l'omme, c'est l'âme, est la plus noble chose, et la plus haute créature qui puist estre; et nepourcant, il puevent cuidier que plus soient /237/ dous et délitables les biens qui par le cors viennent, que ceux qui viennent par l'esprit, qui sont vrais biens, et purs et permanables, et puevent le cuer saouler et aemplir. Tiex biens donne Dieu à homme en cest siècle, quant il li donne pais de cuer, et victoire de ses anemis, et gloire de conscience; quant il li raemplist le cuer d'amour et de joie esperituèle, et l'enyvre de douceur mervelleuse, si que il ne se puet contenir, ne li meisme sentir.

De tel joie et de tel délit nule samblance ne nule compereson ne puest estre trouvée es joies ne es délis de cest monde, qui ne sont mais que goutes, au regart de la fontaine de douceur. C'est la fontaine dont nostre Sire parole en l'Evangile. « Qui bevra, dist-il, de l'yaue que je li dourrai, èle devendra une fontaine qui le fera sallir en la vie perdurable ». C'est la fontaine de joie, et de douceur, et de charité, qui puet aemplir et saouler le cuer, miex que nul autre qui soit.

De ceste fontaine avait tasté David qui disoit en son Sautier « Hé Dieu! comme est ore grande la multitude de ta douceur que tu gardes à tes serjans, et donnes à tes amis! ». Et certes, qui arait bien tasté et assavouré cèle douceur que Dieu donne à ses amis, il despiroit tous les délis et toutes les joies de cest monde; et si esliroit, et retenroit la joie espérituèle, et feroit aussi comme celi qui bulète la ferine qui dessévre la fleur du bren, et comme celi qui fait huile, qui en prent la craisse pûre, et laisse la grosse substance. Quer joie de cuer qui vient de Dieu amer, est vraie joie, et parfaite; si comme dist /238/ le proverbe « que nul n'a parfaite joie, se èle ne vient d'amer ».

Ceste joie est apelée en l'Escripture oyle; si comme dist nostre Sire par le Prophète, « Je donne, dist-il, oyle de joie, pour pleur ».

C'est joie pûre et vraie, pour pleur de pénitance. De cest oyle sont enoyns ceus que Dieu a fait roys et Ségneurs du monde, et de eus meismes. Et adont est l'ome parfait crestien, quant il est oins de cest très saint cresme. Quer, de cresme est dist Crist; et de Crist est dist crestien. Et qui est oint de tel oignemens, c'est de joie et d'amour de Dieu, il vit en Dieu, et Dieu en li, si comme dist St Johan l'apostre. Et c'este vie de crestien, c'est, à droit parler, vie d'omme. Et c'est bonne vie, et beneurté, que crestien doit querre et desirier, pour acquerre vie perdurable. Quer, il n'est mie en vie, mais en langueur, qui tous jours vit en cures, en pensées, en angoisses. Et ce n'est mie vie d'omme, mais de beste qui toute la volenté de sa char veut faire.

Ne ne r'est mie vie d'omme, mais d'enfant qui or pleure, et or rit; or est aise, or est mal aise; or est iriés 1, or est en pais; or est en joie et en feste, or en tristrèche. /239/

Dont, qui veut bonne vie mener si clère qu'il ait le vrai bien, adont ara-il vie honorable, délitable, et pourfitable; adont vivra-il comme home, c'est à dire, sagement, seriement 1, joieusement. Sériement, sans courrous: sagement, sans erreur: joieusement, sans doleur. Et tèle vie a-on, ou par grâce, ou par vertu; et nenne autrement./240/


/241/

CI EST LE JARDING DES ARBRES DES VERTUS

Li sept arbres de cest jarding segnefient sept vertus dont ces arbre parole. L'arbre du milieu segnefie Ihucrist, sous qui croissent les vertus. Les sept fontaines du jarding sont les sept dons du St Esperit qui arrousent cel jarding. Les sept pucèles qui puisent en ces sept fontaines sont les sept pétitions de la Patenostre qui empètrent les sept vertus.

Or t'ai-je par dessus monstré la digneté, et la value, et la bonté de vertu et de charité, et pourquoi on les doit acquerre; quer, preu vient de l'avoir. Mais, pour ce /242/ que on ne cognoist mie si bien la chose en général, come on fait en espécial, pour ce est-ce m'entention de parler des vertus plus espéciaument, si que, chascun qui voudra en cest livre estudier, puisse sa vie ordener par vertu et par bones euvres; quer autrement, poi li vauroit savoir le bien, se il ne le faisoit. Quer, si come dist St Jaques: « Qui set le bien, et ne le fait, péche ja, et se méfait ». Fol est qui set la droite voie, et à son escient forvoie » 1.

La Saincte Escripture acomparage la vie du preudomme et de la preudefemme au biau jarding plain de verdure, et de beaus arbres, et de bons fruis dont Dieu dist el livre d'amour « Ma suer, ma mie, tu es un jarding enclos de deux clostures: c'est de la grâce de Dieu, et des angies ». Cest jarding plante le grand jardignier; c'est Dieu le Père, quant il amolie le cuer, et fait dous et traitable comme cyre maurre, et comme terre bonne et appareillée, et digne quèle soit plantée de bones entes.

Ces entes sont les vertus que le St Esperit arouse de grace. Le fils Dieu, qui est le vrai solail, par la vertu de sa clarté les fait croistre, et pourfiter en haut.

Ces trois choses sont necessaires à toutes les choses qui en terre croissent: c'est à savoir, terre convenable, humeur norrissable, et chaleur raisonnable. Sans ces trois /243/ choses espérituelment ne puevent les entes de vertus ne croistre, ne fructefier. Ces choses font la grâce du St Esperit el cuer venir, et le fait tout raverdir, et flourir, et fructefier; et y fait aussi comme un paradis trop délitable, plain de bons arbres et précieus. Mais, aussi comme Dieu planta Paradis terrestre plain de bons arbres et de fruit, et en mi lieu planta un arbre de vie, pour ce que son fruit avait vertu de garder la vie à ceus qui en menjoient sans mourir, et sans amaladir, sans enviellir, et sans affébloier; aussi fait esperituelment el cuer le grant Jardignier, c'est Dieu le Père. Quer il y plante les arbres de vertus, et el milieu, l'arbre de vie; c'est Ihucrist, qui dist en l'Evangile ainsi « Qui menje ma char, et boit mon sanc, il a vie perdurable ».

Cest arbre raverdist et embélist par sa vertu tout cest Paradis. Par la vertu de cest arbre, croissent, flourissent et fructefient tous les autres arbres. En cest arbre tout y est bon, quenque il y a. Cest arbre fait à loer, et à amer pour molt de choses: pour la racine, pour le fust, pour la fleur, pour l'ondeur, pour la fuelle, pour le fruit et pour son bel ombre.

La racine de cest arbre, c'est la très grant amour et l'outrageuse 1 charité de Dieu le Pére, dont il nous ama tant que, pour son très mauvais serf rachater, il donna son très-bon Fils, et livra à mort, et à tourment. De /244/ ceste racine parole le Prophète, et dit que « une virge 1 istroit de la racine Jessé ». Cest mot Jessé vaut autant comme un brasier d'amour 2. Le fust, est sa précieuse char. Le cuer de cest arbre fu sa sainte âme, en qui estoit le précieus moule de la sapience Dieu. L'escorche fu sa bèle conversation au dehors. La gomme de cest arbre, et les lermes, furent quatre précieuses choses de trop grant vertu, qui de ses précieus membres dégoutèrent: ce furent yaue, lermes, sueur et sanc. Les fueilles furent ses saintes paroles qui garissoient de toutes maladies; les fleurs, ses saintes pensées qui toutes furent bèles et honestes, et portant fruit.

Le fruit furent les douze Apostres qui tout le monde repaissoient et nourrissoient par leur doctrine, et par leur essample, en ses bonnes euvres, et en ses bénéfices.

Les branches de cest arbre, en un sens, sont tous les esleus qui onques furent, et sont, et seront. Quer, si comme il dist à ses Apôtres « Je sui, dist-il, la vigne vraie, et vos estes les branches ». En un autre sens, les branches furent les bèles vertus et les glorieus examples que il démonstra par euvres, et enseigna par bouche.

Ce furent les vertus parfaites et plaines de beneurtés vraies que il monstra à ses privés amis: ce fu as douze /245/ apostres que il mena en la haute montaigne privéement 1. Illeuques s'assist, si comme dist l'Evangile, et ses desciples entour li. Adont il ouvri sa bouche, de son trésor que il avoit repus dedens son cuer, et leur dit ainsi:

« Beneure sont li poure d'esperit, quer le règne des ciex est leur ».

« Beneure sont li débonnaire, quer il seront Ségneur de la terre ».

« Beneure sont cil qui pleurent leur péchiez 2, quer il aront confort de Dieu ».

« Beneure sont cil qui ont faim et soif de justice, quer il seront saoulés ».

« Beneure sont miséricors, quer il trouveront miséricorde ».

« Beneures sont li net de cuer, quer il veront Dieu apertement ».

« Beneure sont li paisible, quer il seront apelés fils de Dieu »./246/

Ce sont les sept branches de l'arbre de vie du fils Dieu, Ihucrist. En l'ombre de cest arbre se doit bon cuer embroier, et regarder les bèles branches qui portent le fruit de vie perdurable. En ces sept paroles est as bons toute vertu, et toute perfection de grâce, et de vertu, et de beneurté vraie, tant comme on puet avoir en cest siècle et en l'autre. Ce sont les sept rieules de cèle vie que le roy Salemon enseigne à ses enfans. C'est la vraie philosophie que le maistre des angies enseigne à ses deciples. /247/

En ces sept paroles, si comme dient li sains homes, est enclose toute la somme de la nouvelle Loy, qui est la loi d'amour et de douceur. Elle est bien dite nouvèle, quer elle ne puet envieillir, comme fist la vielle Loy as Juis. Et pour ce que èle fait l'âme qui est envellie par péchie rajounir, et nouvèle devenir; èle est nouvèle, et desguisée des autres Loys.

Loy si est dite, pour ce quèle lie; mais les autres lient, et ceste deslie. Les autres charchent, et ceste descharche. Les autres manacent et ceste pramet. Es autres, plait 1; en ceste, pais. Es autres, paour; en ceste, amour. Es autres maleyçon, en ceste, beneyçon. Dont, elle est toute plaine de beneurté; et pour ce sont beneures ceus qui le tiénent, ce dit Salemon; quer celi qui l'a, il a gaagnié l'arbre de vie.

Dont ces sept choses que Dieu dist si sont appelées beneurtés; quer èles beneure home en ceste siècle, si comme on le puet estre en ceste vie, et plus beneure en l'autre.

Or as-tu oï qui est l'arbre de vie qui est en mi lieu de Paradis que Dieu plante en la sainte âme?—. En l'ombre de cest arbre croissent et profitent, et portent fruit les arbres de vertu que Dieu le Père, qui est le grant jardignier, plante en cest jarding, et les arrouse de la fontaine /248/ de sa grâce qui les fait raverdir, et croistre, et profiter, et les tient en verdeur et en vie.

Ceste fontaine se devise en sept rainséles: ce sont les sept dons du St Esperit qui arrousent cest jarding.

Or regarde la très grant courtoisie de nostre dous maistre Ihucrist qui vint el monde querre et sauver ce qui estoit perdu, pour ce qu'il set bien nostre poureté et nostre féblesce. Quer, par nous, povons cheoir; mais, par nous, ne povons relever, ne resoudre, ne de péchié issir, ne vertu acquerre, ne venir à vie beneurée, se de sa grâce et de son don ne vient.

Pour ce, ne nous fine-il de semondre que nous le prions et requeron; et moult nous pramet que, se nos li requéron chose qui bonne nos soit, nous l'arons. Et plus nous fait-il de courtoisie; quer il est nostre advocat qui nous fourme nostre péticion que nous ne sarions fourmer, se il n'estoit 1.

La péticion que il nous fourme de sa beneoite bouche, bèle et bonne, briève et ataignant, ce fu la PATRENOSTRE, oû il a sept péticions, par les quèles nous requèron nostre bon père du ciel, que il nos doinst les sept vertus du St Esperit qui nous délivrent des sept péchiés mortiex, et les esracent du tout de nos cuers; et, en leur lieu, plantent et nourrissent les sept vertus qui nos mainent as sept beneurtés de perfection et de sainte vie, par /249/ quoi nos puisson avoir les sept pramesses qu'il fist à ses esleus, es sept paroles devant dites 1.

Dont, notre entencion est, avec l'aide du St Esperit, premièrement parler des sept péticions de la Patrenôtre. Après, des sept dons du St Esperit. Après, des sept vertus qui sont contre les sept péchiés mortiex dont nous avons dessus parlé.

Les sept péticions sont aussi comme sept très bèles puchèles qui ne cessent de puisier de ces sept ruissiaus les yaues vives, pour arrouser les sept arbres qui portent le fruit de la vie perdurable.


/250/

Comment on espont 1 la Patrenostre.

Quant on met un enfant à l'escole, au commencement on li aprent sa Patrenostre. Qui de ceste clergie veut aprendre, deviègne humble comme enfant. Quer à tiex escoliers aprent nostre bon maistre Ihucrist ceste clergie, qui est la plus bèle et la plus pourfitable, quant on l'entent, et la retient. Quer tel le cuide bien savoir et entandre, qui onques rien sot fors l'escorce, par dehors.

C'est la leitre qui bonne est; mais poc vaut au regart du noyel qui est par dedans si doux. Elle est molt courte en paroles, et molt longue en sentence; légière à dire, et suave à entendre.

Ceste oroison passe toutes autres en trois choses: en digneté, en briefté, en pourfitableté.—. La digneté en est, en ce que Dieu le filz la fist à Dieu le Père. Dieu, le Sainct Esperit, est ce que on y demande. — Il voult qu'èle fust briève, pour ce que nul ne s'escusast de èle aprendre, et pour ce que nul ne fust anuié du dire volentiers, et pour monstrer que Dieu le Père nos oist molt tost, quant nos le prion de bon cuer, qui n'a cure /251/ de longue riote 1, ne de paroles polies ne rimées. Quer, si come dist Sainct Grégoire, « Vraiement orer n'est pas dire bèles paroles et polies, de bouche, mais gecter plaintes et profons soupirs de cuer ».

La valeur et le profit de ceste oroison est si grant, que èle enclost à brief paroles quenques on puet désirer de cuer, et requerre de bien. C'est que on soit délivré de tous maus, et raempli de tous biens.


AINSI COMMENCE LA PATRENOSTRE.

Comment on espont cest mot PATER.

« Père nostre qui es ex Ciex ».

Regarde comme nostre bon advocat et nostre dous maistre Ihucrist, qui est la Sapience Dieu le Père, et seit toutes les lois et usaiges de sa court, t'enseigne bien /252/ à plaidier, et sagement, et briefment, et soutievement 1 parler. Quer St Bernart si dist que « l'oroison qui se commence par le dous nom du Père, donne espérance d'empétrer toutes nos proières ».

Cest dous nom Père, qui tout le remanant fait dous, te monstre ce que tu dois faire, et semont à ce que tu dois croirre. Et ces deux choses si sauvent home: quant il croit bien, et adroit, et il fait après ce que il doit.

Quant tu l'apèles Père, tu cognois que il est Sire del hostel, c'est du ciel et de la terre, et chevetin, et commencement, et fontaine dont toute créature et tous les biens viennent; et ainsi recognois-tu sa Puissance.

Après, puisque il est Père, il est governeur, ordeneur et pourvéeur de sa maisine, et nomméement de ses enfans, c'est des homes que il meismes a fais et criés à son sabbat; et ainsi recognois-tu sa sapience.

Item, puisque il est Père, il aime par droiture et par nature ce qu'il a fait, si comme dist le livre de Sapience. et est dous et débonaire; et si, aime et norrist ses enfans, et leur fait leur preu 2 miex que il ne sèvent deviser; et les bast et chastie quant il meffont, pour leur preu, comme bon père, et volentiers les reçoit quant il reviènent à li; et en ce, recognois-tu sa bonté et sa débonaireté. /253/

Or, te monstre donc cest mot que tu dis, Père, sa Puissance, sa sapience, et sa bonté.

Il te ramentoie, d'autre part, toi mesme, ta noblesce, ta biauté, ta richesse.

Plus grant noblesce ne puet estre que d'estre filz à si noble Empereur comme est Dieu.

Plus grant richesse ne puet estre que d'estre hoir de quenques il a.

Plus grant biauté ne puet estre que de ressambler li adroit; laquèle biauté est si grande, qu'èle passe pensée d'home et d'angies.

Dont, cest mot « Père » te ramentoie cui tu es fis, pour ce que tu te paines de resambler li, come bon fis doit resambler à son père. C'est à dire, que tu soies preus, et viguereus, et fort, et puissant à bien faire. Que tu soies sage et avisé, large, courtois, dous et débonnaire, net et sans vilonie, aussi comme il est. Que tu hées péchié et ordures, et toute mauvaisetié comme il fait, si que tu ne forlignes mie. Cest mot donques te ramentoit, toutes les fois que tu dis ta Patrenostre, que se tu es droit fis, tu li dois resambler par nature, par commandement, et par droiture; et que tu li dois amour, honneur, révérence, crénieur, servise et obédience.

Or pense dont, quant tu dis ta Patrenostre, que tu li soies bon fils et loial, se tu veus que il te soit bon père et débonaire.

« Pense cui fils tu es » dist-on, quant il entre en tournoiement chevalier nouvel. Or vois-tu bien comme cest /254/ premier mot est dous, et comme il t'amoneste que tu soies vaillans, et preus, et saige; et t'enseigne quel tu dois estre.


Comment on espont cest mot NOSTER.

Or te demande-je coment et pour quoi tu dis: Père nostre et non Père mien? et qui tu compagnes avec toi quant tu dis: donne nous, et non mie donne moi? Je le te dirai, se tu veuls.

Nul ne doit dire: Père mien, fors celi seul qui est son filz par nature, sans commencement et sans fin, le vrai filz Dieu. Mais nous ne sommes mie filz par nature, fors en tant que nous sommes fais à s'ymage; aussi sont les Sarrasins. Mais nous sommes ses fils par adoption et par grâce.

Adoption, si est un mot de loy. Quer seloc les loys des Empereurs, quant un home n'a nul enfant, il puet eslire le filz d'un poure homme, se il veult, et faire en son filz, se il veult, et son hoir par adoption, c'est par avouerie; si que il sera tenu pour son fils avoué, et emportera son héritage. /255/

Ceste grâce nos fist Dieu le Père sans nostre deserte 1, si comme dist Sainct Pol « quant il nos fist venir à baptesmes qui estions poures et nus, et filz d'ire et d'enfer». Dont, quant nos disons: Père nostre, et nous dison: donne nous, nous aquellons avecques nous tous nos frères de adoption qui sont fils de Saincte Eglyse, par la Foy que il rechurent en baptesme.

Or nous monstre donc cest mot: nostre, la largesce et la courtoisie Dieu nostre Père, qui donne plus volentiers grant chose que petite, et à plusieurs que à un seul. Dont St Grégoire dist « que oroison, comme plus est commune, plus èle vaut. Aussi que la chandèle est miex employée qui sert à une sale plaine de gent, que cèle qui sert à un seul homme. »

Ces mot nos amoneste de rendre grâces de tous nos cuers de ceste grâce que il nous a faite, par quoi nous sommes ses filz et ses hoirs; et que molt ardaument devons amer nostre aisné frère Ihucrist, qui nous compaigne avec li en ceste grâce.

Cest mot nos amoneste, que nous gardons en nos cuers dilijaument le St Esperit qui est nostre tesmoing de ceste adoption, et aussi comme un gage, ce dist St Pol, par quoi nous sommes seur que nous aion l'éritage nostre père, c'est la gloire de Paradis.

Cest mot nous aprent et dit que nous sommes tous /256/ frères, grans et petis, poures et riches, haus et bas; d'un Père et d'une mère, c'est de Dieu et de Saincte Eglyse; et que nul ne doit autre despire, mais amer comme frère; et que l'un doit aidier à l'autre, come font les membres d'un meisme cors, et prier l'un pour l'autre, si comme dist St. Jaques. Et si y est nostre preu molt grant. Quer si tu mes ta proière en commun, tu auras part en toute la communauté de Saincte Eglyse; et, pour une Patrenostre que tu dis, tu en as plus de cent mil.

Cest mot « Nostre » nous enseigne à haïr trois choses: nomméement, orguel, haine, et avarice.

Orguel met homme hors de compaignie; quer il veut estre dessus les autres.

Haine le met hors de compaignie; quer, quant il guerroie l'un, il guerroie tous les autres.

Avarice si met homme hors de compaignie; quer il ne veut ne li, ne ses choses communer avec les autres; et pour ce, tel gent n'ont ne part ne hart en la Sainte Patrenostre.

Cest mot « Nostre » si nous monstre que Dieu est nostre, se nous voulon, et le Père et le filz, et le Sainct Esperit. C'est « se nos gardon ses commandemens »; ainsi le dit-il en l'Evangile Sainct Jehan.


/257/

Comment est entendu cest mot:

« Qui es in Celis ».

Quant je di « qui es in celis » je di deux choses. Aussi comme quant je di; le Roy est à Paris, Je di que il est Roy, et qu'il est à Paris. Aussi quant je di: « qui est aux ciex » je di que il est, et que il est ès ciex.

On trouve escript el secont livre de la Loy, que Dieu s'aparut à Moyses en une montaigne, et li dist « vaten en Egypte, et di au Roy Pharao, de par moi, que il délivre mon pueple, les fils Israhel, du servage oû il les tient ».

Sire, lui dit Moyses, se on me demande comment vos avez nom, que dirai-je? —. Je suy qui suy, dist Dieu. Ainsi diras-tu as fils Israhel « QUI EST m'envoye à vos » — .

Or dient li Saint et li bon clerc qu'en trestos les haus noms nostre Ségneur, c'est le premier et le plus propre, et qui plus adroit nous enseigne à connoistre que Dieu est. Quer tous les autres noms oû il parlent de sa bonté ou de sa sapience, ou que il est tel ou quel, c'est, LE TRÈS BON, LE TRÈS BEL, LE TRÈS SAIGE ET LE /258/ TRÈS PUISSANT, et molt d'autres manières de paroles que on dit de Dieu, ne dient point proprement la vérité de l'Estre Dieu.

Aussi, quant nous parlon de Dieu, molt trouvons de mos qui nous monstrent quoi que soit de li; mais n'en y a nul si propre comme cest mot QUI EST, ne qui si proprement, ne si briefment, ne si ataignaument, ne si soutilment le nous nomme, en tant comme nostre entendement se puet estendre. Quer Dieu est « celi qui seul est », si come dist Job. Il seul est, à droit parler, quer il seul est perdurablement, sans commencement et sans fin. Ce ne puet-on dire de nule chose.

Après, il seul est vraiement; quer il est vrai et vérité.« Toutes choses créés, ce sont toutes créatures, sont vaines et vanité » si comme dist Salemon « et nient au regart de li ». Et à nient vendroient donc èles, se il ne les soustenoit par sa vertu.

Item, il est seul establement et fermement; « quer il est tous jours, et en un meisme point sans li troubler, sans li changier, sans li muer en nule manière », si come dist St Jaques. Toutes autres choses sont muables en aucune manière, de leur nature.

Dont, il est apelé QUI EST; quer il est vraiement, sans vanité; establement, sans toute nuance; perdurablement sans fu, sans ierr, sans chief, sans fin. Quer il n'a nul trespassement.

Or dois-tu ci entendre que il n'est rien que on ne doie, ne puist miez savoir QUE DIEU EST. /259/

Mais il n'est rien si fort à savoir comme QUOI, ne QUEL CHOSE Dieu est. Pour ce, te lo-je bien que tu ne muses mie trop à l'enquerre; quer tu porrois tost forvoyer. Soufise-toi que tu li dies « Biau dous Père qui es ès ciex ».

Vérité est que il est partout présent en terre, en mer, en enfer, si comme il est es Ciex.

Après, il est ès ciex esperituels, c'est ès sains cuers qui sont haus, et clers, et nets, si comme est le Ciel. Quer en tex cuers est-il veu et cognu, creniu, honnouré et amé.

Or as-tu oï ces quatre mos? Le premier te semont à Dieu honnourer. Le second, à Dieu amer. Le tiers, à Dieu redouter. Le quart, à toi resvigourer. Quer, puis que il est si haut, et tu si bas, se tu n'es preus et viguereus, tu n'avendras ja là oû il habite.

Le premier mot nos monstre la longueur de sa Eternité. Le secont, la largesce de sa Charité. Le tiers, la profondesté de sa Vérité. Le quart, la hautesce de sa Majesté.

Qui arait ces quatres choses bien ataintes, sans doute, il seroit beneures.


/260/

Comment on entent ses mot,

« Sanctificetur nomen tuum ».

Or as-tu oï la prologue de la Patrenostre qui est aussi comme l'entrée de la vile?

Hé! Dieu, qui sarait bien toute la chançon, come il y treuveroit de douces notelètes! Quer il n'est joie douce qu'en la chançon que la Sapience Dieu fist.

Cil qui enseigne les oisiaux à chanter, met molt de notes suaves et douces, ja çoit ce qu'il y ait petit de lettre. En ceste chançon a sept notes qui sont les sept péticions qui empêtrent les sept dons du St Esperit, qui esracent et estirpent les sept vices capitaus du cuer, et y plantent et norrissent les sept vertus par les quèles on vient as sept beneurtés.

De ces sept péticions, les trois premières font homme saint, tant comme on puet estre en cest siècle. Les quatre après le font parfaitement juste —.

En ceste péticion nous requérons le premier et principal don du Sainct Esperit, c'est le don de SAPIENCE qui fourme et conferme le cuer en Dieu, et le joint à li, si que il ne puet estre dehors ne dessevré. /261/

Sapience est dite de saveur, et d'assavourer. Quer quant l'ome reçoit cesti don, il gouste, et assaveure, et sent la douceur Dieu, aussi comme on sent la douceur d'un bon vin au goust, et miex que au veu.

En ces cinq manières sanctefie le St Esperit par le don de sapience le cuer del home: premièrement, il le nétie et peurge, aussi comme le feu netie et peurge l'ort afiné. Après, il l'ost de terre, c'est de toute terriène amour, et de toute affection charnel, et fait devenir tout fade quenques on soloit devant amer, aussi comme haue est fade à celi qui est aléché au bon vin. Après, il le dédie du tout au servise Dieu; quer il l'oste de toutes cures, et le met du tout à penser à Dieu, et à li amer et servir; aussi comme le moustier est dédié au servise Dieu si que on n'y doit autre chose faire, fors le servise Dieu. Après, il le taint en sanc; quer il le met en une si douce dévocion de Ihucrist que, quant il pense à li et à sa passion, il est aussi tainct en sanc et abreuvé du précieux sanc que Ihucrist espandi pour li, comme est une soupe de pain chaut, quant on la boute en vin. C'est un nouvel baptesme; quer taindre et baptiser est tout un. Après, il le conferme si en Dieu, que rien ne l'en puet dessevrer ni desjoindre.

Or veut dont dire cest mot « ton nom soit sainctefié en nous » c'est à dire: donne nous l'esperit de sapience par quoi nous soion si afiné comme or, et nétiés de toutes ordures: par qui nous soyon si enyvrés de t'amour, que toutes autres douceurs nos soient amères: par qui nous /262/ soyons si adonnez à toi et à ton service, que jamais d'autre n'aions cure; par qui nous soyons nenne sans plus lavés, mes tains en graine, et renouvelés, et baptisez el sanc Ihucrist par dévocion de ferveur d'amour; par qui le nom nostre Père soit si conformé en nous, que il soit nostre Père, et nous, ses fils et et ses hoirs; et soions si confermés, que nule chose que puis advenir ne puisse desjoindre ceste fermeté ne ceste grâce. Molt est grant grâce de Dieu, quant la volenté est si enracinée en Dieu, que elle ne se puet crouller par nule temptacion. Plus et grant chose, quant on est si confermé en l'amour et abevré de la douceur de Dieu, que nul confort ne nul soulas il n'out, se de li non. Mais molt est le cuer parfaitement confermé, quant la mémoire est si aerse 1 à li, que èle ne puet à rien penser. se à li non. Et ce li requérons-nous quant nous disons « Sanctificetur nomen tuum ». « Sire, ton nom soit sainctefié en nous ».


/263/

Comment on entent

« Aveniat regnum tuum ».

C'est la seconde péticion de la Patrenostre oû nous prion que le règne Dieu viègne à nous, et soit dedens nous.

Nostre Sire dist en l'Evangile à ses Desciples: « le règne Dieu est ja dedens vous ». Or entent bien comme ce puest estre quant Dieu donne une grâce que on apèle l'esperit d'ENTENDEMENT EN CUER —. Aussi comme le solail oste les ténèbres de la nuit, et gaste les nues et les brullas du matin, aussi gaste cest Esperit toutes les ténèbres du cuer, et li monstre ses péchiés et ses deffaus.

Si que, celi qui cuidoit estre tout net, treuve adroit alt de deffautes et de pouties, et de poudre sans nombre, aussi comme la raie du soleil monstre les pouties et la pourreture qui sont aval la maison.

Après, il li remonstre d'autre part, nenne sans plus ce qui est en li, mais ce qui est dessous li en enfer, et ce qui est dessus li en Paradis, et ce qui est environ li: toutes les belles créatures qui toutes li loent Dieu, et li tesmoignent comme Dieu est bon et puissant, et sage et bel, et débonnaire, et dous. /264/

Et comme plus voit cler les créatures, et plus est desirant de li meisme veoir; mais il voit que il n'est pur, ne digne à li meisme veoir. Adont s'eschauffe le bon cuer loial, et se courrouce à soi meisme. Adont, prent son pic et sa pèle, et commence à fouir et à rainer 1, et entrer en son cuer là dedens; et y treuve tant de péchiés, et de vices, et de deffautes, tant de poudre, et de tribulacions, et de cures, et de pensées, et de mauvaise volenté, que il se courrouce et s'aduelist si 2. Et prent un mautalent à li meisme, si que il commence cel cuer à nétier à certes, et à geter toutes ordures qui li toloient la veue Dieu en li; et ce fait-il en la pèle de vraie confession. Et quant il a longuement rainé, et il a toutes ces ordures getées hors, adont treuve pais et soulas, et repos; tant que il li samble que tout le monde soit un enfer au regart de cèle clarté et de cèle pais que il treuve en son cuer. Et ce demandons-nous quant nous dison « adveniat regnum tuum »: c'est à dire « Biau Père! plaise que le Saint Esperit nos voille enluminer le cuer, et nétier et purgier, tant que il soit digne de Dieu veoir; et que il i daigne venir et manoir comme roy, et comme Seigneur, et governeur, et commandeur, si que tout le monde soit sien, et il en soit roys; et que tous jours le puission /265/ veoir; quer ce est vie perdurable, et le règne Dieu dedens nos avoir ».

Et pour ce dist nostre Sire en l'Evangile, que « le règne Dieu est aussi comme un trésor en un champ repus 1 », c'est en cuer de preudomme, qui plus est grant que tout le monde.


Comment on entent:

« Fiat voluntas tua, sicut in celo et in terra ».

C'est la tierce péticion oû nous requérons et prions que sa volenté soit faite en nous, aussi comme èle est ès Ciex; c'est, comme es saincts angies qui sont el ciel, qui sont si enluminez et confermés en Dieu, que il ne puevent autre chose vouloir, fors ce que Dieu veut.

Ceste prière nous ne pouvons avoir se n'avons le don de CONSEIL, qui est le tiers don du St. Esperit qui nous enseigne la sienne bonne volenté, et qui nous convertisse /266/ la nostre chaitive volenté, et le conferme à la sienne bonne volenté; si que en nous nait ne propre sens, ne propre volenté, mais la sienne, tant seulement, qui soit dame de tout le cuer entièrement, et face en nous quenques èle veut, aussi comme èle fait, et est faite ès sains angies du Ciel qui font tous jours sa volenté, sans mesprendre et sans contredit.

Or as-tu oï les trois premières pétitions de la Patrenostre, qui sont les plus hautes et les plus dignes? —. En la première nous demandons le don de SAPIENCE. En la seconde, le don d'ENTENDEMENT. En la tierce, le don de CONSEIL, si comme je t'ai dessus monstre.

Ces trois choses nous les requerons mie pour ce que nous les aions en ceste vie mortel parfaitement; mais nous monstrons à nostre Père nos desiriers qui sont, ou doivent être, à ce que trois prières soient en nous faites et accomplies en la vie perdurable 1. /267/

Es autres quatre qui après viennent, nous parlerons un autre langage; quer nous dirons apertement à nostre Père « donne-nous; perdonne-nous; délivre nous ». Quer se nous n'avons de li ces quatre proières, nous sommes mors et mal ballis en cest siècle; quer èles nous sont necessaires en ceste vie mortèle.


Comment on entent:

« Panem nostrum cotidianum da nobis hodie. »

Moult nous enseigne nostre bon maistre à parler humblement et sagement, quant il nous aprent à dire « Biau Père, nostre pain cotidien nous donne hui». Quer, que puet moins demander le fils à son père que du pain, sans plus, pour le jour passer?

Or samble que ce soit petit de chose que nous demandons; mais certes molt grant chose requérons. Quant on requiert à un Abbé le pain de s'Abeye, on requiert et la fraternité, et la compaignie, et part et droit en tous les biens de la maison. Aussi est-il ici; quer qui a l'outroi /268/ de cesti pain, il a la fraternité et part et droit et compaignie en tous les biens qui sont el ciel. C'est le pain de cel benoit couvent, le pain du ciel, le pain des angies, le pain délitable; quer il donne bonne vie, et garde l'âme sans mourir.

Cest pain est viande adroit, quer il estanche toute la faim du monde, et saoule homme si que il a assez. Ce ne fait nul autre viande.

C'est le pain et la viande que tu prens el sacrement de l'autel, que tu dois mangier hastivement et gloutement, si comm enseigne l'Escripture. Aussi comme fait li léchières 1 la bonne viande, qui aucune fois transgloutist le bon morsel sans machier. C'est à dire, que tu dois prendre ceste viande en grant ardeur de cuer, et en grant désirier, et le dois aussi transglourre sans mâchier. C'est à dire: croirre en gros que c'est le vrai cors Ihucrist, et l'home et la Déité tout ensamble, sans encerchier comme ce puet estre; quer Dieu en puet plus faire que homme ne puet entendre.

Après, on doit faire de ceste viande aussi comme le buef l'erbe que il transgloutist; c'est à dire que on doit recorder, et doucement, et menuement par parties toutes les bontés nostre Segneur, et quenques Ihucrist soufri en terre pour nous.

Adont treuve le cuer la droite savoir de ceste viande, /269/ et conçoit une très ardant amour de Dieu et un très grant désirier de faire assez, et de soufrir pour li quenques il porroit; et tout ce fait la vertu de cest pain.

C'est le pain qui conforte et enforcist le cuer à ce que il soit bien fort à soufrir, et à faire grand chose pour l'amour Dieu. Mais ce ne puet estre sans le grant don du Sainct Esperit, qui est appelé le don de FORCE, qui arme les chevaliers à Dieu, et les fait courre au martyre, et les fait rire entre les tourmens. Or pues tu bien veoir comment, quand nous demandons courtoisement cest pain, nous demandons le don de Force; quer, aussi comme le pain corporel soustient et enforce le cors, aussi le don de force fait le cuer fort à soufrir et à faire grant chose pour Dieu.

Cesti pain nous apelons nostre, quer il fu fait de nostre paste. Beneoite soit la prudefemme qui du sien i mist la fleur! Ce fu la Virge Marie. Il est nostre; quer pour nous il fu cuis et fris. Cuis el ventre de la Virge Marie, frit en la pouèle de la crois, si comme il dit el Sautier; voire frit en son propre sanc; quer ce fist-il en la grant ardeur de l'amour qu'il out à nous 1. Cest le bescuit dont il garnist sa Nef, c'est la Saincte Eglyse, pour passer la grant mer de cest périlleus monde.

Il est nostre, quer il le nous laissa à son congié prendre, et à son derrenier testament, comme le plus /270/ grant trésor qu'il nous peust laissier; et il le nous donna comme le plus bel jouel qu'il nous peust donner, que nous le gardissons pour l'amour de li, et usissons chascun jour en remembrance de li. Il est vraiement nostre, quer rien ne le nous puet tolir malgré nous.

Nous l'appelons nostre pain cotidian, c'est à dire, de chascun jour; quer c'est la cotidiane distribucion que Dieu donne à ses chanoines, chacun jour, qui font son service et chantent ses heures: c'est à tous bons cuers qui chascun jour doucement, par vraie amour, font mémoire et remembrance de sa Passion. Le gros de la provende nous prendrons en nostre Aoust el Ciel, quant nous le verrons à descouvert en sa biauté, si comme il est.

Il est dit, pour ce, COTIDIAN, que chascun jour il nous est nécessaire, et chascun jour le doit-on prendre, ou, au sacrement de l'autel, comme font les Prebstres, ou esperituellement par droite foy.

Cest pain est très précieus, très noble, et très bien apparellié. C'est viande royal, en qui sont toutes manières de délices et toutes manières de saveurs, si comme dit le livre de sapience (?).

Ce n'est mie viande à garchonier, ne à donner à piétaille, ne à chiénaille, ne à vilains; mais à cuers nobles et gentils, et courtois et nets, c'est à dire, qui est gentil par grâce, noble par bonne vie, métié et lavé par vraie confession. De sa vertu parle St. Mathieu l'Evangelistre, /271/ et l'apèle pain SUP-SUBSTANCIEL 1; c'est à dire que, il passe et surmonte toutes sustances et toutes créatures de loing en vertu, et en digneté, et en toute manière de valeur, et il ne le puet miex descrire, ne plus soufisamment que apeler SEUR-SUBSTANCIEL.

On dit que une viande est substancieuse, quant il i a assez de substance et de norrissement. Et, comme plus est bien norrissante, plus dist-on que èle est substancieuse. Et pour ce qu'en cest pain a plus de bien et de vertu, et de norreture que on ne porroit penser ne dire, ne dit-on pas que il est substancieux, sans plus; ains dit-on que il est super substancieus, c'est, vertueux et substancieux outre entendement et cuidier.

Cest pain nous requérons à nostre Père, et li prions que il le nous doinst hui, cest jour, c'est en ceste vie mortel; si que nous puissions bonne journée faire, et attendre plus liéement nostre loier. C'est le denier que il donne à ses ouvriers, quant vient au vespre, c'est à la fin de la vie 2.


/272/

Comment on entent:

« Et dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris. »

En ceste péticion nous requérons nostre père du Ciel, que il nos voille perdonner nos meffais, aussi comment nous perdonnons à ceus qui nous meffont ou ont meffait. Dont nous disons ainsi:

« Biau Père, quitte nous nos debtes, comme nous quittons nos débiteurs ».

Nos debtes sont nos péchiés que nous avons accru seur nos âmes; ce est le melleur gage del hostel. Dont, le pécheur, pour un seul péchié mortel qui sitost est passé, quant au délit ou quant au fait, est obligé à si grant usure que il n'a povoir de finer: c'est à la paine d'enfer qui est sans fin.

Après, il en doit si grant amende à Dieu que il a courroucié, que il n'a povoir de paier. Quer, en toute sa vie, se il vivoit cent ans, ou plus, il ne pourroit mie faire la pénitance d'un seul péchié mortel, se Dieu vouloit user de droite justice; et, pour ce, convient recourre à la Court de miséricorde, et crier merci, et demander pardon. Or, par le droit de la Court de Justice, le pécheur /273/ seroit jugié et condapné à mort perdurable. Et pour ce, nostre bon maistre Ihucrist nous enseigne à demander pardon et quittance, quant nous prions nostre bon Père qui est dous et débonnaire, large et courtois, pour donner qu'il nous perdoinst nos meffais.

Mais, prens-te bien garde comment tu pries, quant tu dis « Perdonne-nous nos meffais, aussi comme nous perdonnons à ceus qui nous ont meffait ». Quer, se nous ne perdonnons à ceus qui nous ont meffait, il ne nous perdourra mie les nos meffais, si comme il meisme dist en l'Evangile. Dont, celi qui dit sa Patrenostre, et garde en son cuer aucune rancune, ou félonie, ou haine, il prie plus contre li, que pour li; quer il prie à Dieu que il ne li perdoinst mie, quant il dist « aussi comme je perdonne ». Et pour ce, toutes les fois que tu dis ta Patrenostre devant Dieu qui voit ton cuer, tu dois perdonner ton mautalent, et geter de ton cuer toute ire et toute hayne et rancune; autrement, ta prière est plus contre toi, que pour toi.

Se il te samble forte chose et griève à geter de ton cuer toute ire et perdonner ton mautalent à ceus qui te héent, ou qui mal te veulent, ou qui t'ont meffait ou mesdit: pense que Dieu perdonna sa mort à ceus qui le crucifièrent, pour donner toi example de perdonner à ceux qui t'ont meffait; et plus encore, de bien faire leur, se ils ont mestier de toi; et plus encore, de prier pour eux que Dieu leur perdoinst. « Quer, si comme il dist en l'Evangile, cel n'est mie grant chose, ne grant desserte /274/ vers Dieu, de bien faire à ceus qui bien nous font, ne d'amer ceus qui nos ament. Quer, ce font les paiens, et Sarrazins, et autres pécheurs ».—. Mais, nous qui sommes fils Dieu par foi, et par grâce, et sommes crestiens nommés de Ihucrist, et sommes hoirs avecques li des éritaiges de Paradis, devons perdonner l'un à l'autre. Devons amer nos anemis, c'est à dire les personnes, et prier pour eus, et bien faire leur, se il en ont mestier; quer ainsi le commande il en l'Evangile. —.

Adont, nous devons tant seulement hair les péchiés et amer les âmes qui sont faites à l'ymage nostre Seigneur; aussi comme un membre du cors aime et porte l'autre. Se l'un membre blèche l'autre par aventure, les autres ne se vengent mie pour ce. « Nous sommes tous un cors en Ihucrist », si comme dist l'Apostre. Et pour ce, nous devons amer li un l'autre, et nenne haïr et grever à tort l'un l'autre. Qui autrement le fait, il est homecide, et se dampne, si comme dist l'Escripture. Tel dist sa Patrenostre qu'il vaudrait miex qu'il se teust; quer il muet son juge contre li. En ceste prière que nous faison à Dieu, nous li requérons un don du St Esperit qui est apelé le DON DE SCIENCE qui fait homme estienteus. Cest Esperit li monstre qui il est, et en quel péril il est, et dont il vient, et oû il va, et ce qu'il a fait, et combien il a accreu, et combien il doit. Et quant il voit que il n'a dont finer, adont le fait cet Esperit plourer et souspirer, et merci crier à Dieu et dire « Sire, perdonne moi mes debtes, ce sont mes péchiès, quer /275/ je sui molt en debtes vers toi, et pour les maus que j'ai fais, et pour les biens que j'ai oubliés et laissiés à faire que je peusse et deusse avoir fait, et pour tes biens que tu m'as fais, et tes grans bontés que j'ai tous jours receues, dont j'ai mauvaisement usé, et t'ai mauvaisement servi. Et pour ce, Sire, que je n'ai de quoi faire paiement, perdonne-moi ce que je te doi».

Quant cest Esperit si le enlumine, que il cognoist ses défautes, adont li fait geter hors de son cuer toute hayne et toute rancune, et tout perdonner son mautalent, se il en a. Et, se il n'en a point, il est en volenté et en propos de perdonner de cuer, se on li meffait. Adont, puet celi bien dire « Biau Père, perdonne nous nos meffais, aussi comme nous perdonnons à ceus qui nous ont meffait. »


Comment on entent:

« Et ne nos inducas in temptacionem. »

ESCHAUDÉS HAUE CHAUDE CRIENT; et celi qui est aucune fois cheu en péchié, quant li péchié li sont perdonnés, il en est plus humble et plus crénetieus; /276/ et plus à grant paour de temptacion. Pour ce, prie celi à qui Dieu a ses meffais perdonnés, que il le gart de rencheïr, et dit ainsi « Et ne nos inducas in temptacionem ». C'est à dire « Biau très dous Père, ne nous maine mie jusques dedens la temptacion ».

Le Déable est le tempteur; quer c'est le mestier de quoi il sert en l'ostel Dieu, d'esprouver les nouviaus chevaliers. Et, se la temptacion ne fust bonne et profitable, Dieu qui fait tout pour nostre preu, ne soufrist ja que elle ne veinst. « Mais, comme dist St. Bernart,« quant tel tempteur nous martèle seur le dos, il nous forge nos couronnes de gloire. Aussi comme celi qui le bon chevalier fiert sus le dos et frappe, li forge son los et sa gloire ».

Le déable à ce proprement tempte l'homme, que il le puisse esrachier de l'amour Dieu. Pour ce prie Sainct Pol ses desciples que il soient fundés comme tours, et racinés comme arbres en charité, si que nule temptacion ne les puist movoir ne crouller. Pour ce en ceste péticion nous demandons l'aide de Dieu en nostre batalle, et le don de pitié. C'est une grâce qui arrouse le cuer, et le fait dous et piteus, et le fait tout raverdir et porter fruits, assez de bonnes euvres par dehors, et, par dedens, fermer ses racines en la terre des vivans. Ce est aussi comme le bon ciment Sarrazinois que on ne puet desconfire ne à pic, ne à pierrière.

Quant nous disons donc « Et ne nos inducas in temptacionem », c'est à dire, « Biau Père, fai nos cuers fermes /277/ et estables, que il ne se muevent pour nule temptacion qui leur viègne, par la grâce du don de pitié: Nous ne prion mie que nous ne soion temptés; quer ce seroit fole prière et honteuse. Aussi come le fils au prudome qui seroit nouviaus chevaliers li priait: « Biau père, je vous pri que vous me gardez et déportés que je ne voise ja mais ne au poigneis 1, ne au tournoiement ».

Nous voulons bien estre temptés; quer c'est nostre prou en molt de manières; quer nos en sommes plus humbles, et plus crémeteus, et plus saiges en toutes manières; et plus preus, et plus esprouvés.

« Quer, si comme dist Salemon, qui n'a esté tempté, il ne puet riens savoir à droit, fors aussi comme on set la batalle de Troies par oïr dire ». Quer il ne puet li meisme cognoistre ne l'enfermeté, ne la force à ses anemis, ne leur soutileté; ne comme Dieu est loial au besoing à ses amis aidier; ne de queus périls, ne de queus péchiés il l'a souvent gardé. Et pour toutes ces raisons, il ne sara ja adroit Dieu amer, ne li regracier de ses biens, se i n'est tempté.


/278/

Comment on entent:

« Sed libera nos a malo, Amen ».

Sainct Augustin dit que « tous les autres vices nous font ou le mal faire, ou les biens laissier à faire ». Mais tous les biens que on a fais, et tous les biens que on a conquis, orguel bée à destruire et à tolir. Et pour ce, quant Dieu a donné à home ce qu'il li a requis en ces six péticions devant dites, adont privés est il mestier, à certes, que il le délivre du mauvais et de ses engiens. Et pour ce vient en derrenier ceste pétieion, comme l'arrière garde, qui dit ainsi: « Sed libera nos a malo, Amen ». C'est à dire: Beau Père, delivre nos du mauvais et de ses engiens, (c'est du déable et de ses engiens,) que nous ne perdons par orguel les biens que tu nos as donnés ».

En ceste péticion nous li prion que il nous doinst le don de SAINTE PAOUR, par quoi nous soions délivrédu mauvais et de tout autre mal; ce est de tous périls et de tous péchiés en cest siècle et en l'autre.

AMEN.

« Ainsi soit-il comme nos avons dit » ce veut dire cest mot Amen. /279/

Or as-tu oï les notes que on seut dire seur ceste chançonnette que Dieu fist? C'est la PATRENOSTRE. Or garde que tu les saches bien chanter en ton cuer; quer grant bien t'en vendra, se ainsi le fais.

CI FINE LA PATRENOSTRE.


NOTES:

Note 1, page 1: ProismesProximus — prochain. [retour]

Note 2, page 1: Aoureras — adoreras. [retour]

Note 1, page 2: C'est le second Concile de Nicée, en 787, qui porta atteinte à la Parole divine, en entraînant la suppression du second Commandement, remplacé ici par le troisième et par le dédoublement du dixième (Exode XX, v. 4, 5, 6. — Deutéron. V, v. 8, 9, 10). [retour]

Note 1, page 3 : Escient. [retour]

Note 2, page 3 : Mépriser (despicio). [retour]

Note 1, page 4 : 2de personne du présent de l'indicatif, de souloir. [retour]

Note 1, page 6 : Loist: de loire, ou loisir, être permis, convenir. [retour]

Note 1, page 7 : dévéé: de veto. [retour]

Note 1, page 8 : Bareter; tromper; tendre des piéges; barrat; embarras. [retour]

Note 1, page 10 : La distinction subtile établie dans cet article, était sans doute nécessaire pour motiver la mutilation du dixième commandement, afin de couvrir le déficit occasionné par le retranchement du second, qui gêne le culte des images et des reliques dont Rome a besoin pour entretenir la crédulité du peuple. [retour]

Note 1, page 13 : Ce sont. — Ce, ici — de même que chi, à la ligne suivante. [retour]

Note 2, page 13 : Saus; salvus. [retour]

Note 1, page 14 : El Père, el Fix, etc. al, nel, de l'Italien. [retour]

Note 2, page 14 : Il n'est pas facile de préciser l'époque où l'Eglise crut devoir assigner à chacun des Apôtres la rédaction des articles du credo qui les concernent ici. Rufin le fait au Ve siècle. [retour]

Note 3, page 14 : Créateur; dans d'autres endroits, l'auteur écrit créatour. — On observera souvent cette lutte du dialecte méridional qui fut absorbé par la langue d'oïl; elle se trahit encore dans ce livre. [retour]

Note 4, page 14 : L'on conçoit pourquoi, dans le système de Rome, le premier article du symbole est attribué à Simon-Pierre: mais, en y regardant de près, on doit remarquer que cette église eût dû attribuer à Simon-Pierre le second plutôt que le premier, attendu que l'Apôtre avait déjà formulé de bouche ce grand fondement de la foi, lorsqu'il répondit à Jésus Christ (Matth. XVI, 16): Tu est le Christ, le fils du Dieu vivant. — La même profession de foi sortit des lèvres de Thomas; lorsqu'il s'écria en voyant les plaies de Jésus: Mon Seigneur et mon Dieu! On eût pu lui attribuer tout aussi bien ce second article. [retour]

Note 1, page 17 : Pourquoi cet article, qui paraît être une amplification de la doctrine avancée par St.-Pierre lui-même (1 Epître III, 19, 20), ne lui est-il pas attribué, plutôt qu'à Philippe, dont nous n'avons aucune profession de foi écrite? Il semble que Rome n'eût pas dû manquer, pour étayer son système de la suprématie de Pierre, de relever l'importante particularité qu'il est le seul des écrivains sacrés qui ait mis en relief la doctrine dont il s'agit ici, et qui conduit d'ailleurs à celle du purgatoire. Il est vrai que cette dernière doctrine ne fut admise dans l'église romaine qu'à une époque bien postérieure à celle où l'on imagina d'attribuer à chacun des douze Apôtres un des articles du Symbole. — Grégoire Ier, à la fin du sixième siècle, avait commencé à proposer le dogme du purgatoire. Ce ne fut qu'au Concile de Florence, 1439, qu'il passa en article de foi. [retour]

Note 1, page 19 : Jaques, le frère Sainct Symon. — On a vu Jaques et Jean, fils de Zébédée, indiqués précédemment comme ayant formulé, l'un le second, l'autre le troisième article du Symbole. — Celui dont il est ici question est donc Jaques, fils d'Alphée. — L'auteur en fait un frère de St.-Simon (qui doit être Simon le Cananite), et de Saint-Jude, qui sera l'auteur de la dernière des Epîtres, lequel pourtant ne se dit être frère que de Jaques, sans nommer Simon. — Rien ne justifie, dans les diverses énumérations des disciples du Sauveur, rapportées par les Evangélistes, cette consanguinité de Simon avec Jaques, fils d'Alphée, et Jude. [retour]

Note 1, page 20 : S'il s'agit ici de l'auteur de la dernière Epître, il est curieux de lui voir attribuer le fondement de la rémission des péchés, basé sur les sacrements que l'église romaine a cru pouvoir ajouter successivement, et dans des temps bien postérieurs à ceux où vivait St.-Jude, aux deux seuls sacrements institués par Jésus-Christ lui-même. [retour]

Note 1, page 21 : Sainct Marc l'Evangelistre.— L'auteur, en nous annonçant qu'il allait nous transmettre l'œuvre des douze Apostres, à chacun desquels l'église romaine attribue un article du credo, a lieu de nous étonner,lorsque, dans son énumération, il ne fait pas mention de Matthias, ni de Lébbée, qu'il remplace par Jude et Marc.— Pour être conséquent, le système qui proposa la tradition de la composition du credo par les douze, eût dû n'en omettre aucun, et surtout, faire ressortir la primauté de Pierre. — Ou bien, il eût fallu n'attribuer cette œuvre qu'aux hommes dont nous avons les écrits, à l'exclusion de Philippe, de Barthélemi, de Jaques, fils de Zébédée; d'André, de Thomas,de Simon, dont nous ne possédons rien. Mais mettre au nombre des douze des hommes qui n'en étaient pas, pour en ôter ceux qui en faisaient partie, c'est une faute qu'il fallait au moins éviter, si l'on voulait appuyer la tradition, d'ailleurs contestée à bon droit, que le credo, tel que nous l'avons, ait pu être l'ouvrage des douze. On sait assez les causes de sa formation successive, causes qui n'existaient pas toutes du temps des douze. [retour]

Note 1, page 27 : Issent; issir, sortir. [retour]

Note 2, page 27 : Tolt; tollir, enlever. [retour]

Note 1, page 29 : Poi; peu, dans d'autres endroits l'auteur écrit poc. [retour]

Note 2, page 29 : Tex, tiex, tieus, indifféremment, tels. [retour]

Note 1, page 31 : Ci parole; ici il se parle. — L'auteur écrit indifféremment: paroler, parler. [retour]

Note 1, page 32 : Garchonnier; garçons d'hôtel. — Maisine, ménagi, train de maison. — Piétaille, valets de pié, canaille. [retour]

Note 2, page 32 : Beuban; luxe. [retour]

Note 3, page 32 : Triacle; thériaque, remède. [retour]

Note 1, page 33 : Voir; vrai. [retour]

Note 2, page 33 : Guerpir; déguerpir, abandonner. [retour]

Note 1, page 34 : Rainsiaux; rameaux, embranchements, ruisseaux. [retour]

Note 2, page 34 : Out; eut et avait, indifféremment. [retour]

Note 1, page 35 : Et li créanta … et placa sur sa tête à fonds perdu. [retour]

Note 2, page 35 : S'ajoinst. — Ici, 3e personne du singulier du prétérit défini; ailleurs il est au présent de l'indicatif et du subjonctif. [retour]

Note 3, page 35 : Ert; erat, imparfait. [retour]

Note 4, page 35 : Fouc; foule. [retour]

Note 5, page 35 : Neis; pas même; même. [retour]

Note 1, page 36 : Esplois; exploitations. Issues; exportations. [retour]

Note 2, page 36 : Trémela; jouer au trémerel, sorte de jeu de dez. [retour]

Note 3, page 36 : Serf. L'auteur écrit autre part Sers (servus). [retour]

Note 1, page 39 : Noif negie; neige nouvellement tombée. Noif, nof: neuf, nouveau. [retour]

Note 1, page 40 : Boterel; un crapaud. [retour]

Note 1, page 41: Caroles; coraules, espèces de rondes, encore en usage dans le canton de Fribourg; lat. choraule, χοραυλις , de χορὸς et ἀυλή , c'est-à-dire danse ou ronde au son de la flûte. (H.) [retour]

Note 2, page 41 : Repon-toi; retire-toi, repono. [retour]

Note 1, page 42 : Escharnir; escarner; médire, insulter. — Escopir; insulter, battre, flageller, (scopare), cracher (expuere). [retour]

Note 1, page 46 : Desaerié, déshérité. [retour]

Note 2, page 46 : A envis, difficilement; de vix, à peine. [retour]

Note 1, page 47 : Rien, res, ei (sur toute chose). [retour]

Note 1, page 48 : Les vingt-deux points de la foi. — L'auteur n'a pas délimité ces points que chacun peut distinguer diversement dans le credo. [retour]

Note 2, page 48 : T'ahersis, t'attachas; — de hæreo. [retour]

Note 1, page 49: Liément: joyeusement. [retour]

Note 1, page 50: Bougres, Bulgares, Balgarz; ancien peuple des bords du Danube. C'est aussi le nom de la secte venue des Vaudois, 1180. De même, Béguars, Béguins (1305) embranchement des Spirituels (1214). On sait que l'un des principes de ces chrétiens était qu'on ne doit point faire de serment.
Les Béguins furent condamnés par le Concile de Vienne, 1310, et dès lors persécutés longtemps.
De Marca, dans son histoire de Béarn, rapporte cette curieuse épitaphe: « Cy gist Alix, Comtesse de Bigorre, fille de Guy de Montfort, qui pour la Foi (sic) mourut contre les Bulgares, en Albigeois. » [retour]

Note 1, page 51 : Vilain, vileniax. Depuis le XIIme siècle, jusqu'au XVIme, ce mot ne présentait rien d'infâme, quoiqu'il fût employé pour vilis; il désignait l'ordre du Tiers-état. Il signifiait paysan, marchand, etc. Il est vrai que vilonie désignait à la même époque une action honteuse, une friponnerie. Mais ce mot venait probablement de guiller, guillonner, usités dès le XIIme siècle pour désigner ces actes méprisables. [retour]

Note 2, page 51 : Oublée que le prestre, etc. Oublée, hostie; pâtisserie légère. On sait que la transsubstantiation ne devint article de foi qu'au Concile de Latran, 1215. [retour]

Note 3, page 51 : Le blâme sévère et la terrible menace que notre auteur laisse ici tomber de sa plume contre des chrétiens qui n'avaient d'autre tort que celui de ne pas prendre au pied de la lettre ces paroles: « ceci est mon corps, » contrastent d'une manière frappante avec l'ardente charité, la profonde humilité qui brillent dans l'ensemble de cet excellent ouvrage, où les Sarrasins, les Païens sont traités avec la plus convenable équité. C'est bien toujours l'âpre et tenace préjugé de Rome contre tout ce qui, dans la chrétienté, n'est pas Rome. Et pourtant, à part ces lignes comminatoires, véritable tache sur un bel ouvrage, notre auteur n'eût pas été loin de tendre la main à Jean Huss et, plus tard, aux divers héros de la vérité dont on trouve dans ce livre des traces déjà bien marquées. [retour]

Note 1, page 52 : Foymentie. Jean-sans-Terre fut cité devant la cour des pairs, par Philippe-Auguste (en 1203), pour y répondre sur l'accusation de foymentie, et de divers trahisons semblables à l'assassinat des officiers de la garnison d'Evreux. Il fut condamné à mort par contumace. [retour]

Note 2, page 52: Contrevues, contrevaille, controuvure; imagination, rêverie. Il peut aussi signifier les charmes qui provoquaient des sortes d'apparitions.
Il est curieux de voir notre auteur frapper sur les erreurs de Rome elle même, qui possède encore une riche collection d'exorcismes usités précisément à l'endroit des charmes et contrevues de ces sorchières à cui le Déable enseigne tant de renoieries plus orribles et plus graves, aucunes fois, que n'est ce que le bougre croit. — Voilà, au moins, un cri de la conscience en faveur de tant de martyrs de la vérité, que Rome précipitait dans les flammes, au temps où vivait l'auteur du Mireour du monde. — C'est aussi une petite naïveté de la part de l'auteur qui, sans doute, avait connaissance des rituels d'exorcismes dont nous avons trouvé un exemplaire du temps, dans le même lieu où nous avons découvert le Mireour du monde. [retour]

Note 1, page 54 : Estoc; pointe, source. [retour]

Note 2, page 54 : Puis à sa douce mère. — Notre auteur, s'il assistait aujourd'hui à la célébration du culte catholique-romain, n'approuverait probablement pas la primauté qu'on y donne toujours plus à l'adoration de Marie, et que nous pouvons nommer la mariolâtrie. [retour]

Note 3, page 54 : Serjant; serviteur (serviens). — Serjant à cheval, cavalier. [retour]

Note 1, page 55 : Barnage; de baron. La meilleure étymologie de ce mot est vir, homme, mari; il devint insensiblement titre de noblesse. — Dans les anciennes poésies, la femme appelle son mari, mon baron. [retour]

Note 2, page 55 : Pour ta propre querèle avancier. — Pour obtenir l'objet particulier de ta demande (quœro). [retour]

Note 3, page 55 : Trufent; trufer, trufler; médire, calomnier, railler, friponner. [retour]

Note 1, page 56 : Parceval; le roman de Perceval, de Crestien de Troye, auteur qui florissait en 1150. — Il s'agit ici de cet ouvrage traduit en prose dans le 14e siècle. [retour]

Note 2, page 56: As tables; jeu de dames, de trictrac, d'échecs.

« Là sont servis joyeusement
De soulas et d'ébattement,
De tabourins et de vieilles,
De moult de dances nouvelles,
De jeus de dez, d'échecs, de tables
Et d'oultrageus mets délitables.
            Roman de la Rose. [retour]

Note 3, page 56 : Bastiaus, de baster; tromper, faire illusion. D'où basteleur, qui fait illusion, qui fascine les yeux. [retour]

Note 4, page 56 : Il y avait un jeu dans lequel celui qui le faisait à son tour, disait en tournant le dos aux autres personnes: « Je vous vens l'asne. » L'auteur fait allusion à ce jeu, pour blâmer la distraction et l'irrévérence dans la prière de ceux qui semblent ne pas s'adresser à Dieu sérieusement, et d'une manière directe. [retour]

Note 1, page 57 : Hui est le jour; aujourd'hui. [retour]

Note 2, page 57 : Souef (suaviter); suavement, doucement, légèrement. [retour]

Note 3, page 57 : Essauciés (exaltare) exaucer, exalter, élever. [retour]

Note 1, page 59 : Buffe, buffet, bufle; coup de poing, soufflet, tape. [retour]

Note 2, page 59 : Œus; gré, à son gré. [retour]

Note 1, page 60 : Gaagme à sa houe, gaaigner; labourer, ensemencer. Gaaigneur; laboureur. D'où est venu gaigner, gagner, commercer. [retour]

Note 2, page 60 : Parti, partir; partager, prendre part, choisir.

« Le Duc fist partir le butin; si le fist bailler et délivrer à ceulx qui bien l'avaient desservy ».
            Roman de Gérard de Nevers. [retour]

Note 1, page 62 : Oublêes est ici pris figurément: des riens, des misères. [retour]

Note 1, page 63 : Autressi, autrestant, autretel; pareillement, autre, tel. [retour]

Note 1, page 64 : Ert; sera (erit). — Dans d'autres endroits du livre, on trouve sous cette forme, la troisième personne du singulier de l'imparfait (erat). [retour]

Note 2, page 64 : Aroise, aresmer, aroisner, aroiser; raisonner, arraisonner. [retour]

Note 1, page 65 : Regéhir; dégorger, rejeter, avouer. [retour]

Note 1, page 66 : Coloier; cultiver, entretenir, aspirer — à. Il signifie aussi se livrer à la mélancolie. [retour]

Note 2, page 66 : Crasset, crastier; cuisine, lampe; craisu, en patois. [retour]

Note 3, page 66 : Trébusquet; machine à lancer des pierres. [retour]

Note 1, page 69 : Derrée, denrée, denrée d'ouvrage. On nommait denrée de terre un terrain qu'on estimait valoir un denier par an. De là, on a nommé denrées toutes les menues marchandises. Ce terrain était, selon sa bonté ou son exposition, de 240, 213 ou 180 verges, de 10 pieds de Roi. Le denier d'or valait 25, 22, 16 sols. [retour]

Note 2, page 69 : Estuet (il). Il convient, il importe (stat). [retour]

Note 3, page 69 : Nepourquant, neporcant; cependant, néanmoins, malgré cela.

« Nuls n'a envie de povreté; et nepourquant est-ce la plus seure chose qui soit. »
            Proverbes de Sénèque. [retour]

Note 4, page 69: Nice, niche, nicette; timide, niais (nescius). — Niceté; simplicité, timidité.

Elle ne fu ni nice, ni ombrage,
Mais saige, et sans nul outraige.
            Roman de la Rose. [retour]

Note 1, page 71 : Lorain; rène, mors d'une bride; équipages de cheval. — Lorica; cuirasse. [retour]

Note 2, page 71 : Boutent, sachent; poussent, tirent. [retour]

Note 1, page 72 : Se doutent, douter, se douter; craindre, redouter. [retour]

Note 2, page 72: Peus, péu; repu, rassasié (pascere).
Guiot de Provins, parlant des chanoines de la règle de St.-Antoine, dit:

L'ordre des Chanoines riéglez
Pourroi-je soufrir assez,
Qu'il sont trop nettement vestu
Et bien chaussié et bien péu;
Il sont dou siècle pleinement,
Il vont par tout à leur talent.
                  Bible Guiot. [retour]

Note 1, page 74 : Aquerre, aqueter, aquoster; acquérir, acheter. Acquerir; pro voquer, chercher fortune, voler. Aqueteurs de grans chemins; voleurs de grands chemins. [retour]

Note 1, page 75 : Piéça; temps, espace de temps, depuis longtemps. [retour]

Note 2, page 75 : Il s'agit sans doute, ici, de la substance à laquelle Pline donne le nom de Saccarum, et non de celle que nous devons à Christophe Colomb. [retour]

Note 1, page 76: Noise, noixe, noyse. Querelle, bruit, cris de joie, son des in struments.

« Li rossignau alors s'efforce
De chanter et de faire noise. »
                Roman de la Rose. [retour]

Note 2, page 76 : Trisque, tresche; danse, assemblée. [retour]

Note 1, page 79 : Esclavine, esclamine; manteau de pélerin. [retour]

Note 2, page 79 : Orfroi; broderie, frange, galon d'or ou d'argent (aurum fractum). [retour]

Note 1, page 80 : Fremaus; fermail; fermilière; agrafe, chaîne. [retour]

Note 1, page 81 : Coulon, coulomb; pigeon. [retour]

Note 1, page 83: Plente, plénité, abondance, plénitude, multitude.

« La terre est au Seigneur, et sa plenté, et li biens dont ele est pleine. »
              Sautier, Ps. XXIV, 1. [retour]

Note 1, page 85: Envoisiée, s'envoiser, s'envoisier; se réjouir (gaudere).

« Tristan guérit: et quant il voit qu'il puet porter armes, si se envoise, et joue, et rit. »
              Roman de Tristan. [retour]

Note 1, page 87 : Accésiner, accesmer; orner, parer, du bas latin acosmare (comare). [retour]

Note 1, page 88 : Avoutrise, paillardise, adultère. [retour]

Note 1, page 89 : Delez, deli; plus, mieux que lui. — Delez; plus, mieux qu'eux. Delez-li; avec, devant lui. [retour]

Note 1, page 90 : Sororeure, seuroreure, de seurorer; surdorer, dorer avec pro fusion. [retour]

Note 2, page 90 : Si faites; faiteis, faictis, fétis; feint, factice, joli, fait artistement. [retour]

Note 1, page 91 : Repostaille; lieu caché, retraite. — Repostaille; refuge, immunité ecclésiastique. — En repost; secrètement. [retour]

Note 2, page 91 : Pesmes (pessimus). [retour]

Note 3, page 91 : Agaiteurs, aghaisteur; espion (acuere). [retour]

Note 4, page 91 : Choiler; céler (celare.) [retour]

Note 1, page 92 : Langes; laine, vêtement de, robe de moine (lana). — Il signifie aussi peuple, nation, langue. [retour]

Note 1, page 93: Atapissoient, atapir; voiler, cacher.

« Un Prestre qui avait non Plégilles, un jour pria nostre Seingneur qu'il li monstra quel forme, et quelle semblance s'atapissoient sous le pain et le vin que li Prestre sacrait à l'autel. »
              Vies des Saints Pères. [retour]

Note 1, page 94 : Revèse; à l'envers, au contraire. [retour]

Note 2, page 94 : On aime à trouver dans cette censure l'expression du besoin d'une réforme. [retour]

Note 1, page 97 : Torfais, torfez; injustice, violence (Forfait). [retour]

Note 1, page 100 : Mucier, muchier; cacher, ensevelir, changer (amicire). En notre patois romand mussâ. [retour]

Note 2, page 100 : Anchies, anchie; aussi, autant, de même (Ital.). [retour]

Note 1, page 104 : Doute; redoute. [retour]

Note 1, page 105 : Ensement, ensemblement; toujours, aussi, pareillement, en même temps (Ital. insième.) [retour]

Note 1, page 110 : Mahommerie; idolâtrie, mosquée de Mahomet. [retour]

Note 2, page 110 : Ague; fièvre chaude, maladie aigue. [retour]

Note 1, page 111 : Hénas, Hanap; fiole, burette, bouteille, coupe; channe, kanne (allemand). [retour]

Note 1, page 114 : Grenches; granges. [retour]

Note 2, page 114 : Haterel; col. [retour]

Note 3, page 114 : Cas; malheurs. [retour]

Note 4, page 114 : Arsins; incendies. [retour]

Note 5, page 114 : Pressiures; oppressions. [retour]

Note 1, page 117: Accide; nonchalence, vie de vague contemplation. Usité autrefois pour désigner spécialement l'état moral et physique où tombaient les moines relâchés.
Accides; nom d'un peuple, employé dans les Chroniques de St.- Denys, pour désigner les assassins, sujets du viel de la montagme, roi des accides (occidentes) [retour]

Note 1, page 118 : Uiseuse, oisiveté. [retour]

Note 1, page 119 : Téveté; tiédeur. [retour]

Note 2, page 119 : Potence; béquille. [retour]

Note 1, page 120 : Coute; coëtre, duvet. [retour]

Note 1, page 121 : Haitié; gai, dispos, en bonne santé. [retour]

Note 1, page 124 : Mésel; lépreux, ladre. Mésé ou mésex est encore employé pour la même signification dans notre patois. [retour]

Note 2, page 124 : Escoufle; milan, oiseau de proie. [retour]

Note 1, page 125 : Délit; passion, mollesse; délice. Passé au sens de passion criminelle, puis à celui de l'acte criminel. [retour]

Note 1, page 126 : Crient; craignent, de criendre, cregneur, creigneur, crainte. [retour]

Note 1, page 127 : Truist; troisième personne du présent du subjonctif de treuver. [retour]

Note 1, page 129: Entichent, enticher; persuader, suggérer.

« Sathanas se eslevad encuntre Israel , et entichad David que il feist anumbrer ces de Israel et ces de Juda. e li Reis cumandad à Joab ki esteit maistre cunestables de la chevalerie le Rei que il en alast par tutes les lignees de Israel des Dan jesque Bersabee » .
                Traduction des quatre livre des Rois (XIe siècle). [retour]

Note 1, page 131: Gast; ruine, ravage (vastatio), gaster. — Gas, gabs, gaz; geai, oiseau, risée, plaisanterie; de gavisus, gaber. [retour]

Note 2, page 131: Soufreite, soufrette, soufraige; besoin, disette. - Soufraitex, pauvre.

« Icil sains homs avait moult grant
de pain. Un jour avint qu'il accoucha au lit mortel; et quant li autres frères estoient entor li, il vit entre les autres celi qui son pain li avait emblé ».
                Vies des Saints Pères. [retour]

Note 1, page 133 : Encarchier, encarchir, carchier, sarchier; chercher, poursuivre, affecter. [retour]

Note 2, page 133 : Atemprement; à propos (a tempore). — Atemprence, tact, convenance, accord. [retour]

Note 1, page 135 : Il s'agit ici des ordes mendians. [retour]

Note 2, page 135 : Art, ardre; brûler (ardere). [retour]

Note 3, page 135 : Ajoulist, ajoulir, rajoulir; rajeunir. [retour]

Note 1, page 136 : Eechars, escars; chiche, étroit, resserré; escarcelle. [retour]

Note 2, page 136 : Chevetains; chefs, principaux (caput), d'où capitaine. [retour]

Note 3, page 136 : Vair. Le vair était proprement la pelléterie variée dont on faisait les doublures de manteaux des grands. L'on appelait un palefroi vair, un cheval pommelé ou pie. Toute couleur changeante, en général. Yeux vairs, gris-bleu (variegatus). [retour]

Note 1, page 137 : Mains, moyennant, pourvu que. [retour]

Note 1, page 139 : Forceiler; receler, cacher, détourner. [retour]

Note 2, page 139 : Resoigne: dédaigner, refuser, se résigner (resignare). [retour]

Note 1, page 140 : Gardent en l'espée. On trouve encore des livres de secrets admirables pour panser toutes plaies et blessures de l'épée, où la médication consiste à nettoyer progressivement le sang attaché à l'arme qui a fait le mal, ce qui amène par correspondance sympathique la guérison du blessé. [retour]

Note 1, page 141 : Cuiles, guile, gile; ruse, moquerie (guilleret, gilles, gillotin). [retour]

Note 1, page 142 : Bonnes, bornes, — Bouenne, en notre patois. [retour]

Note 2, page 142: Engiginer; séduire, tromper (ingannare, italien) guignon. — Boiste le conserve … enganner. — La Fontaine veut encore le retenir.

« Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui, Qui souvent s'engeigne soi-même. »
                La grenouille et le rat. [retour]

Note 1, page 144 : Caoursins; habitants du pays de Cahors. — Prêteurs sur gage (appelés ensuite Lombards), vers l'an 1250. [retour]

Note 2, page 144 : Denne, denier. [] [retour]

Note 3, page 144 : Gregnieur; plus grand (grandior). [retour]

Note 4, page 144 : Moitaierie; métairie, ferme. [retour]

Note 1, page 145 : L'original porte un 8 après un I, du moins un signe qui ressemble beaucoup à un 8 et auquel nous n'avons su assigner de valeur. [retour]

Note 2, page 145 : Sous fuer faire; à forfait. [retour]

Note 1, page 146 : Caloigne, calangage, calange, calonge; contradiction, dispute, concurrence (calumnia). [retour]

Note 1, page 148 : Boisdie, boisette, boisie; ruse, trahison. [retour]

Note 1, page 150 : Aroies; préparé, disposé. — Arréer, labourer. [retour]

Note 1, page 152 : Chartre, cartre; prison, liens. — Chartrier, geôlier, lieu oùl'on tient les lois, les chartres (lois). [retour]

Note 2, page 152 : Carchié, chargé. [retour]

Note 1, page 154 : Rieuille; règle, principe (regula). [retour]

Note 2, page 154 : Chien garni, garny; prévenu, averti, préservé, instruit, dressé. [retour]

Note 1, page 155 : Regrateries. Probablement de grateine, souricière, ratière (piége). [retour]

Note 1, page 156 : Mors, morsel, morsiax, mort; morceau (mordere) morsure. [retour]

Note 1, page 157 : Pis, piscte, pits, pect; puits (puteus), pieu (palus), poitrine, estomac, gorge (pectus). [retour]

Note 1, page 161 : Ens; dans. [retour]

Note 1, page 162 : Ort, ord; sale (sordidus). [retour]

Note 1, page 163 : Depecié; dépécé, défiguré, désorganisé. [retour]

Note 1, page 164 : Cointement; légèrement, délicatement, avec intention d'être remarqué. [retour]

Note 1, page 166 : Deult, douloir; souffrir. [retour]

Note 2, page 166 : Houlier; crapuleux, etc. [retour]

Note 1, page 168 : Fisique, médecine, régime. [retour]

Note 2, page 168 : Dessert, desservir; mériter. [retour]

Note 1, page 169 : Boif, boifvre; boire. [retour]

Note 2, page 169 : Seur toute ries; sur toute chose (res). [retour]

Note 1, page 172 : Trestuit; tous, trè tous (patois). [retour]

Note 2, page 172 : Maint, maner; demeurer (manere). Signifie aussi moindre (minus). [retour]

Note 1, page 175 : Greveuses, greveux, grevoux; désagréable, fâcheux (gravis). [retour]

Note 1, page 177 : Préist, préir; aller devant, devancer, surpasser, valoir mieux (præire). [retour]

Note 1, page 178 : Voisent, voiser, s'avoiser, se mettre sur la voie, s'embarquer, partir (via). [retour]

Note 1, page 180: Goupil; renard. — Goupiller; se cacher, faire le poltron. — Goupillage; tromperie, ruse. — Goupillon, balai avec lequel le prêtre répand l'eau bénite.

« Les goupils ont fossées, et les oiseals des ciels lours nics, mais le fil del home ne ad oû récline soun chief. ».
                  Traduction de Jehan de Vignai (Matth. 8, 20). Ao 1315-1340. [retour]

Note 1, page 181 : Deffuet, deffouir; fouir (defodere), s'enfuir (fugere). [retour]

Note 2, page 181 : Les Prémontrés étaient vêtus d'une longue robe blanche, de laine grossière, avec un sayon plus court, de même étoffe, chaperon d'un gros feutre blanc, et étaient appelés par le peuple, moines blancs. [retour]

Note 1, page 182 : Blandist, blandir; flatter (blandiri). [retour]

Note 1, page 187 : Ait; troisième personne du singulier présent indicatif aidier, aider. Au verbe auxiliare avoir, la même personne s'écrit quelque fois ad. [retour]

Note 1, page 188 : Isneles, isnel, isnelle; agile, dispos, prompt. Au pluriel isnéaul (ignitus, igneus). Isnel le pas; sur le champ (ignito pede). [retour]

Note 1, page 190 : Geté, geter, gecter, gitter; jeter, calculer, supputer, mettre de hors, lâcher (jactare). — L'auteur fait erreur de nombre ici. Les Israélites se trouvèrent 603,350. Nomb. I, 46. — Jettons, petites pièces servant à marquer le jeu. [retour]

Note 2, page 190 : Bayasse, bagasse; domestique, jeune fille. Devenu par la suite un terme injurieux. [retour]

Note 1, page 192 : Rebors, rebours; revèche, rebutant. Mais il signifie aussi d'agréable, de gracieuse humeur. [retour]

Note 1, page 193: Agreige, agregier, agreigier; s'appesantir sur quelque chose, se trouver plus mal, supporter avec peine, s'agraver (aggravare).

« La croiz estait mise devant son lit et devant ses eux; la quelle i fu mise par le commandement du Sainct Roys méesmes, quant il commanca à agreigier. »
                Vie de St. Louis.

Lafontaine nous l'a conservé avec une variante, dans la Matrone d'Ephèse:

« Chacun rendit par là sa douleur rengrégée. » [retour]

Note 1, page 195 : Donques; donc. Dans tous les autres endroits où l'auteur emploie cette conjonction, il l'écrit dont, adont qui est encore celle de notre patois romand. [retour]

Note 1, page 196 : Acontent, aconter, raconter; raconter, passer en compte, tenir compte de (computare). [retour]

Note 1, page 198: Fera que sage, locution qui a encore toute sa force et sa couleur sous la plume de La Fontaine.

« Celui-ci s'en excusa,
Disant qu'il ferait que sage
De garder le coin du feu. »
                Le pot de terre et le pot de fer. [retour]

Note 1, page 199 : Rivière; source, origine, extraction, pays; ici, plant. - En la rivière; auprès, autour. [retour]

Note 2, page 199: Paumier, paulmier; le palmier. Pèlerin qui, qui revenant de Terre Sainte, pour preuve en rapportait une branche de palmier.

« Job fu samblant au vert paumier,
Qui, tous tans, porte vert ramier,
Vert en yver, vert en esté ».
              Roman de charité. [retour]

Note 1, page 200 : Brehaing; stérile. [retour]

Note 1, page 204 : Clerjois, clercois; langue latine. Ainsi nommée parce que jadis elle était regardée comme la clef de toutes les sciences, et qu'elle se retirait dans la cellule du clerc, devant la langue romane qui frayait la route au français. [retour]

Note 1, page 205 : Lues; presque. [retour]

Note 2, page 205 : Pouties; saleté. Nous avons encore en patois pout, pouet; laid. [retour]

Note 3, page 205 : Roient; rayonnent. — Rai, rayon. [retour]

Note 1, page 207 : Longaigne; cloaque. [retour]

Note 1, page 208 : Il est à observer que la chayne des vices est placée dans le manuscrit dans l'article Ire, avant les remèdes contre ce péché; par conséquent, avant l'accide, l'avarice, la luxure et la glouternie. Ce fragment a l'air d'avoir été composé en chemin, et déposé par l'auteur à la première place venue, mais probablement avec l'intention de le reporter en son lieu; ce que l'auteur n'avait pas fait, et que nous avons cru pouvoir nous permettre. N'est-ce pas encore ici un indice assez fort que nous aurions plutôt un ouvrage original que la traduction d'un poéme encyclopédique? [retour]

Note 1, page 210 : Ullent, ouller; hurler (ululare). [retour]

Note 1, page 211: Dessévrement, dessevrée; séparation, de dessevrer: rompre un mariage, de là, sevrer un enfant.

« La belle Euriant demenoit grant deul pour son amy Gérard, dont ainsi estoit dessevrée ».
              Roman de Gérard de Nevers. [retour]

Note 2, page 211 : De Ihucrist. — Préposition de très-rarement placée devant les noms propres. [retour]

Note 1, page 213 : Iluec; l'auteur écrit ailleurs illeuc; là. [retour]

Note 1, page 214 : Ruil; rouille. [retour]

Note 1, page 215: Dans l'exposé de ce qui doit se passer en purgatoire, et de ce qu'il y a à faire pour l'éviter, notre auteur laisse entrevoir qu'il n'est pas très-arrêté lui-même sur le fond de ce dogme que l'église romaine sanctionna seulement au Concile de Florence de 1439. Il n'avait qu'un pas à faire, pour recevoir, à la place du purgatoire (qui n'est pas soutenable par la Parole de Dieu), ces déclarations que nous pourrions accompagner de beaucoup d'autres de la même autorité:

« Il n'y a donc maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, lesquels ne marchent point selon la chair, mais selon l'Esprit. » Rom. VIII, 1.
« En vérité, en vérité, je vous dis, que celui qui entend ma parole, et croit à Celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle, et il ne sera point exposé à la condamnation; mais il est passé de la mort à la vie. »Jean V, 24.
« Le sang de Jésus-Christ nous purifie de tout péché. » Jean I, 7.

A l'égard de la distinction si hardie et si difficile à faire, entre les péchés mortels et ceux qu'on a imaginé d'appeler véniels (pour légitimer le purgatoire et les messes lucratives, à l'intention des morts) on a pu s'apercevoir aussi de quelque hésitation chez notre excellent écrivain, dont la raison et la conscience acceptaient, sans doute, ces graves déclarations:

« Le gage du péché, c'est la mort. » Rom. VI, 25.—
« Or, quiconque aura gardé toute la loi, s'il vient à pécher en un seul point, il est coupable de tous. » Jaq. 11, 10. [retour]

Note 1, page 217 : Quert, queurt, de queurir, courir. [retour]

Note 1, page 220 : Noient, prononcez noyant; néan. [retour]

Note 1, page 221 : Clergie; instruction, enseignement. [retour]

Note 1, page 225 : Autres traces de vérification qui n'indiquent pas une traduction. [retour]

Note 1, page 226 : Grietés, grieftés; souffrances, peines du coeur et de l'esprit. [retour]

Note 2, page 226 : Manecier; menacer, exposer à … [retour]

Note 1, page 231 : Loins; pris ici adjectivement. [retour]

Note 1, page 234 : Remaner, rester, demeurer. [retour]

Note 1, page 235 : Ont; où; (unde). Dont; d'où. [retour]

Note 1, page 236 : Apparent, apparer, apparier, appareiller; paraître. Plus tard, apparoir. [retour]

Note 2, page 236 : D'antan, antan, antax, anten; l'an passé, le temps écoulé (ante annum), — D'antan, usité dans notre patois. [retour]

Note 1, page 238: Iriés, s'aïrer, s'airier, s'errer, s'irier; se courroucer, s'emporter, se jeter sur quelqu'un (irasci).

« Li rois s'aïre, si l'esgarde,
Vilain-, fet-il, li maus feu t'arde! »
            Fable de male honte. [retour]

Note 1, page 239: Seriement. Seri, seriz; joli, doux, paisible, lent, grave. Seri, le soir (sero) d'où nous avons serein, rosée après le coucher du soleil.

« Ami, chantez! » s'il lui respondit moult humblement que, pour eulx deux se vouloit acquitter. Alors, à vois basse et serie, moult doucement en commença de chanter » .
            Roman de Gérard de Nevers. [retour]

Note 1, page 242 : Traduction en vers français de passages scripturaires qui n'étaient probablement pas en vers latins. [retour]

Note 1, page 243 : Outrageuse charité, outrage, oultraige; excès (ultra). [retour]

Note 1, page 244 : Virge; verge, branche (virga), vierge (virgo). [retour]

Note 2, page 244 : L'auteur eût trouvé dans le mot hébreu la notion naturelle qui est ici le salut, la rédemption. [retour]

Note 1, page 245 : Ce n'est pas aux disciples seuls que s'adresse le discours du Christ sur la montagne. L'auteur a une légère tendance à faire des gens d'Eglise les amis particuliers de Jésus-Christ. [retour]

Note 2, page 245: L'auteur fait ici une transposition dans l'ordre des béatitudes; il met la seconde à la place de la troisième. Puis il ajoute les mots: leurs péchés, qui ne sont pas dans le texte, et qui paraissent préparer le petit escamotage de la huitième béatitude offerte à ceux qui souffriront persécution pour la justice. « Bienheureux sont ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux. » Matth. V, 10.
  On doit voir la raison de l'adjonction des mots: leurs péchés, à la seconde béatitude, dans l'état des choses du temps où notre auteur, tout ami de la paix et de la tolérance qu'il était, n'ignorait pas les persécutions qu'avaient à souffrir les fidèles dont le martyre annonçait les jours de la réforme (note sur les Bulgares, page 50). Il a cru pouvoir, sans infidélité, limiter au seul sentiment du péché les larmes que veut bénir Jésus-Christ, et sans tenir compte de toutes celles que les supplices (si bien nommés, par leurs cruels inventeurs, auto da fé) feraient couler dans la chrétienté.
  La limitation des béatitudes au nombre de sept est motivée par la singulière limitation, au même nombre, de ce qu'on a voulu appeler péchés mortels. Il fallait des parties correspondantes, une balance exacte entre péché et vertu, ce qui n'est donné à aucun homme de pouvoir jamais établir. D'ailleurs on sait tout ce que le nombre sept a prêté et prête encore au mysticisme. On verra de même sept pétitions dans le Patrenostre, au lieu de six. [retour]

Note 1, page 247 : Plait, plaict; plaidoyerie, dispute. [retour]

Note 1, page 248 : Estoit, ester; inster pour. [retour]

Note 1, page 249 : Si l'auteur estime absolument que les béatitudes ne furent adressées qu'aux apôtres, pourquoi laisse-t-il de côté la dernière, qui leur promettait, ainsi qu'à tous les prédicateurs futurs de la vérité, la même gloire après la persécution? C'était peut-être celle qui avait le plus d'actualité, eu égard au temps où la persécution était à la porte. Au temps où écrivait notre auteur, la persécution était aussi à l'oeuvre; mais les rôles avaient changé. De là une suppression qui n'est légitime ni dans le cas où la béatitude ne se serait adressée qu'aux apôtres, ni dans celui où elle s'adresserait à tous les fidèles. Elle est d'ailleurs condamnée par Apoc. XXII, 18, 19; comme celle du second commandement par Deutéron. IV, 2; XII, 32. [retour]

Note 1, page 250 : Espondre; expliquer, développer, traduire, exposer (expono). [retour]

Note 1, page 251 : Riote; bruit, combat, duel, altercation, discussion, péroraison (rotare?). [retour]

Note 1, page 252 : Soutièvement; subtilement. Soutiènement; avec instance. [retour]

Note 2, page 252 : Preu; profit, bien. Preus; vaillant. Prou, prau; (patois) assez. [retour]

Note 1, page 255 : Déserte; motif de récompense ou de châtiment. [retour]

Note 1, page 262 : Aerse; on a déjà vu s'ahersir, s'attacher (hæreo). [retour]

Note 1, page 264 : Rainer, creuser, sillonner, rayer. Raire, racler, raser. [retour]

Note 2, page 264 : S'aduelist, duelir, s'aduelir; s'attrister; prendre, mener deuil (doleo). [retour]

Note 1, page 265 : Repus; caché (repositus). Repondre; cacher. [retour]

Note 1, page 266 : L'auteur laisse quelque chose à désirer dans le développement des trois premières demandes de l'oraison dominicale. Il semble trop concentrer l'impétration de leur objet sur ou dedens l'individu, au détriment des masses de la société humaine, des païens, des étrangers, des voisins, amis, parents, que le chrétien ne doit ni ne peut oublier en profèrant ces excellentes requêtes. La communauté dans l'oraison est précisément établie par l'auteur, d'une manière si admirable, qu'on a lieu d'être surpris de ne pas trouver l'esprit missionnaire indiqué dans ces lignes. Faut-il peut-être accuser de cette omission le peu d'étendue que l'horison monastique pouvait alors avoir? [retour]

Note 1, page 268 : Léchières; gourmand, glouton. [retour]

Note 1, page 269 : C'est sans doute au Ps. XXII que l'auteur fait allusion. [retour]

Note 1, page 271 : L'auteur veut sans doute faire allusion à Jean VI, 48-52. [retour]

Note 2, page 271 : Ce n'est pas nous qui serons au dernier rang des admirateurs du point de vue spirituel sous lequel notre auteur envisage cette partie de l'oraison dominicale; mais nous ne pouvons nous empêcher d'y voir encore une trace de l'influence que la vie monastique exerçait sur ceux qui s'y vouaient, en diminuant en eux le sentiment des misères et des besoins matériels de l'humanité, que voulut prévenir et consoler le Sauveur du monde. [retour]

Note 1, page 277: Poigneis. Combat, siége, assaut, duel (pugna). Pogna, italien. [retour]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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