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Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande

Edition numérique

Fréderic DE GINGINS-LASARRAZ

Cartulaire de Romainmôtier:
Notice préliminaire

Dans MDR, 1844, tome 3 troisième livraison, p. V à IX

© 2019 Société d’histoire de la Suisse romande

CARTULAIRE DE ROMAINMOTIER,

PUBLIÉ EN ENTIER SOUS LES AUSPICES DE LA SOCIÉTÉ D'HISTOIRE DE LA SUISSE ROMANDE.

PAR

Fréd. De Gingins-La-Sarra

LAUSANNE,

IMPRIMERIE ET LIBRAIRIE DE MARC DUCLOUX, ÉDITEUR.

1844.


NOTICE PRÉLIMINAIRE.

ORIGINE DU PRIEURÉ DE ROMAINMOTIER.

Avant de faire connaître le Cartulaire de Romainmotier, qu’il nous soit permis de dire quelques mots sur la première fondation de cet antique monastère. Il existe à ce sujet plusieurs opinions différentes indiquées par notre estimable collègue M. Frédéric de Charrière dans son histoire de Romainmotier en tête de ce volume (pag. 7, note 1re): nous le louons hautement d’avoir donné la préférence à l’autorité du Cartulaire; néanmoins, le texte même de celui-ci indique que ce couvent existait déjà depuis un siècle lorsque le pape Etienne II en consacra l’église et lui imposa un nouveau nom et de nouveaux patrons. C’est l’époque de cette première fondation dont nous cherchons à déterminer la date.

Les savants éditeurs des Monumenta germanica ont publié dans le tome quatrième, page 150e, un manuscrit du Cartulaire de Lausanne plus correct et probablement /VI/ plus ancien que celui du prévot Conon d’Estavayer. Cette publication nous permet de rectifier plusieurs erreurs chronologiques de notre Cartulaire.

L’un et l’autre nous apprennent que, sous le règne de Gontran, roi de Bourgogne de la dynastie mérovingienne, et sous l’épiscopat de Saint-Maire, évêque de Lausanne, en l’année 501 (ao 500, vieux style), ce monarque donna à un saint ermite nommé Sigonius, une grotte nommée Balmetta, la Baumette, située près de l’église de Saint-Didier, aujourd’hui Saint-Loup, près de La Sarraz, « speluncam quæ dicitur Balmetta sitam prope ecclesiam sancti Desiderii, » avec le petit vallon qui s’étend depuis le village de Pompaples jusqu’au Bec à l’Aigle près de Romainmotier. Le roi ajouta à ce don celui de plusieurs mas de terre cultivée à Orny, à Daillens, à Oulens, à Rances, à Tolochenaz et même à Apples 1 . On ne saurait guère douter que cette dotation royale n’ait été destinée à la fondation d’un monastère dans le voisinage du vallon de Saint-Loup, qui alors portait le nom de Balmetta ou Petite-Baume; mais il paraît que l’exécution de ce dessein fut différée jusque vers le milieu du VIIe siècle. Effectivement, le Cartulaire publié dans les Monumenta Germanica nous apprend qu’en l’année quatorzième du règne de Clovis, sous l’épiscopat de Saint-Protais, évêque d’Avenches, un homme puissant nommé Fœlix soit Chramnelenus et sa femme Hermentrude construisirent un nouveau monastère en l’honneur de la Sainte Vierge Marie dans un endroit nommé alors Locus Balmensis: « Felix quem /VII/ dicunt Gramnelenum et uxor sua Ermendrudis construxerunt monasterium in Loco Balmensi in honore sancte Dei genetricis Marie anno quatuordecimo Chlodovei regis laudante Prothasio Aventicensi vel Lausannensi episcopo 1 . »

La chronologie des rois et des patrices de Bourgogne étant mieux établie que celle de nos évêques, nous nous en tiendrons à la première.

Le personnage nommé Gramnelène dans le texte qui vient d’être cité, et par corruption Granvelensis dans le Cartulaire de Cuno d’Estavayer 2 , n’est autre que Chramnelène ou Ramnelène, duc ou patrice de la Transjurane, qui portait le surnom de Fœlix, qui lui avait été donné par sa mère Flavie, Romaine d’origine. Il était fils du duc Valdélène et frère de saint Donat, archevêque de Besançon, mort en 652, auquel on attribue la fondation de l’église de Château-d’Œx. En effet, on lit dans la vie de saint Colomban par Jonas, son disciple, que le duc Ramnélène fonda un monastère dans le mont Jura sur le ruisseau du Noson, « in saltu jurensi super Novisonun » fluviolum. » Qui ne reconnaîtrait ici le monastère de Romainmotier 3 ?

Le duc Ramnélène était patrice de la Transjurane en l’année 642. ll est nommé parmi les grands qui complotèrent la mort du célèbre Flachoat, maire du Palais sous le règne de Clovis II auquel son père, le roi Dagobert, avait remis le gouvernement de la Bourgogne en l’année /VIII/ 633 et qui régna jusqu’à sa mort, arrivée en 656. La quatorzième année du règne de ce prince tomberait ainsi sur l’an 646, que nous considérons comme l’époque de la première fondation du monastère auquel le pape Etienne donna plus tard le nom de Romain-moûtier.

Il est à présumer que les propriétés attribuées par le roi Gontran à l’ermitage de la Petite-Baume (cella Balmetta) ou grotte de Saint-Loup furent données par Clovis II au monastère fondé par le duc Ramnélène. Il est au moins certain que le prieuré de Romainmotier a possédé une partie des domaines spécifiés dans la donation de son devancier, et notamment les fonds de Saint-Loup qui aboutisssent au vallon de Romainmotier, arrosé par le Noson 1 .

Après la mort du duc Ramnélène, sa veuve Hermentrude paraît avoir fondé un second monastère appelé depuis le prieuré de Baume, situé sur les premiers gradins du Jura où existe aujourd’hui le grand village de même nom, au district d’Orbe. Cette dernière fondation, qu’il ne faut pas confondre avec l’autre, est datée de l’épiscopat de Chalmégisèle, évêque d’Avenches, et de la onzième année du règne de Clothaire III, fils et successeur de Clovis II, laquelle se rapporte à l’an 667 2 .

En résumé, il semble que les renseignements fournis par le Cartulaire de Romainmotier sur sa première fondation se complètent au moyen des données historiques que nous venons d’indiquer. Il en résulterait assez clairement: /IX/

1o Qu’un ermitage renommé dans le pays existait à la fin du VIe siècle dans le voisinage de l’église de Saint Didier et de la grotte de Saint-Loup;

2o Que, dans la première année du siècle suivant, cet ermitage fut converti en petit monastère ou cellule (cella) et assez largement doté par Gontran, roi de Bourgogne;

3o Que, vers l’an 646, le duc Ramnélène, gouverneur de la Transjurane, ayant formé le dessein de donner plus d’étendue à ce premier établissement religieux et ne trouvant pas dans l’étroite gorge des fonds de Saint Loup d’emplacement qui y fût propre, choisit en remontant le cours du Noson le riant vallon de Romainmotier pour y construire un nouveau monastère, auquel il réunit la cellule du bienheureux Sigonius. Il paraîtrait en outre que le vallon de Romainmotier portait alors le nom de Grande Baume comme celui de Saint-Loup de Petite Baume, nom celtique qui s’applique aussi bien à un vallon resserré entre des roches escarpées qu’aux grottes (spelunca) creusées par la nature dans leurs flancs.

Ce résultat s’accorde d’ailleurs avec le Cartulaire, le roi Flodoveus qu’il mentionne comme premier fondateur du monastère n’étant autre que le roi Clovis II qui sanctionna la fondation du duc Ramnélène.

Quant au Prieuré de Baume (Prioratus de Balmes), qui dépendait non de Romainmotier mais du monastère de Payerne, sa fondation doit être attribuée à Hermentrude, veuve du duc Ramnélène.

Lausanne, Février 1844.

F. DE GINGINS-LA-SARRA.

 

 


NOTES:

note 1, page VI. Cartulaire de Lausanne, publié par George-Auguste Matile, 1840, page 23. [retour]

note 1, page VII. Loco citato, tomi IV pagina 150. [retour]

note 2, page VII. Edition Matile, page 22. [retour]

note 3, page VII. Voyez Dunod, histoire du comté de Bourgogue, tome Ier, page 194. [retour]

note 1, page VIII. Voir la Bulle du Pape Léon IX. [retour]

note 2, page VIII. Voyez l’Art de vérifier les dates, tome 1er, pages 241, 536, 546, et Dom Plancher, histoire de Bourgogne, tome 1er, pages 107 et 195. [retour]