NOTICE SUR UN MONUMENT SÉPULCRAL DU XIVme SIÈCLE, DÉCOUVERT A ROMAINMOTIER. *
LUE A LA SOCIÉTÉ HISTORIQUE DE LA SUISSE ROMANDE,
DANS SA SÉANCE DU 6 SEPTEMBRE 1837.
PAR
M. Fréderic de Gingins-LaSarraz
LAUSANNE,
IMPRIMERIE ET LIBRAIRIE DE MARC DUCLOUX, ÉDITEUR.
1843.
En démolissant un mur de jardin dans l’enceinte de l’ancien prieuré de Romainmôtier, on a découvert tout récemment, dans ses fondements, une pierre sculptée en relief, offrant la figure en pied d’un prélat revêtu de ses ornements sacerdotaux.
Cette statue est taillée dans un bloc de marbre bâtard blanchâtre analogue à celui que l’on exploite aux environs de Soleure. Sa longueur est de 94 pouces vaudois; il est taillé en dos d’âne, de manière que la figure sculptée forme le tranchant d’un prisme irrégulier dont la base est de 29 pouces de large sur 13 à 14 pouces de hauteur perpendiculaire.
Le prélat y est représenté couché sur sa tombe, la tête posée sur un carreau, les mains jointes et gantées; il est coiffé de la mitre épiscopale et revêtu du manteau et de la chape pontificale. Une crosse richement contournée passe sous son bras gauche et repose à côté de lui dans les plis de son vêtement. Le chef est surmonté d’un dôme à trois arcades élégamment découpées et dont les pointes sont terminées par de petites figures grimaçantes en cul-de-lampe. Sous ce dôme, de chaque côté du chevet, se trouve un écusson portant les armoiries du prélat, savoir: /388/ une croix en sautoir chargée de cinq coquilles (ou vannets) régulièrement distribuées sur la croix 1 .
Sur les deux grands côtés de la figure, où la pierre se termine en biseau, on voit une inscription gravée en creux, dont les caractères gothiques ont environ 18 lignes de hauteur; elle est un peu difficile à déchiffrer, à cause des nombreuses abréviations, mais cependant fort lisible, à l’exception de quelques parties ébréchées, auxquelles il n’est pas impossible de suppléer.
On y lit ce qui suit:
« Reverendus in Christo pater dominus Henricus de siviriaco, olim Prior hujus Prioratus, post Episcopus Mauriannensis, nunc vero Episcopus Ruthenensis, fecit (sibi) hanc sepulturam, anno Domini MCCCLXXXVIIo (1387), Pontificatus sanctissimi in Christo patris et domini Clementis, divina Providentia, Papæ VII, anno nono. »
Ce qui signifie littéralement: « Révérend père en Christ dom Henri de sivirie, jadis prieur de ce prieuré, puis évêque de Maurienne, présentement évêque de Rhodez, s’est fait faire cette sépulture en l’année du Seigneur 1387, l’an neuvième du pontificat du très-saint père en Christ dom Clément VII, pape par la Providence divine. »
Cette inscription, aussi simple que modeste, explique suffisamment la destination de ce monument. Quant à la place qu’il a occupée primitivement, on remarque que les armoiries blasonnées sur le tombeau se trouvent aussi sculptées sur l’un des piliers dont on aperçoit les restes dans le mur méridional du temple de Romainmôtier, où se trouvaient, autrefois, plusieurs chapelles particulières qui formaient l’un des bas côtés de la nef, lequel a été démoli depuis la Réforme. Il paraît hors de doute que la pierre sépulcrale en question a d’abord été placée aux pieds de ce pilier, sur la tombe qui attendait les restes mortels du prélat. Mais, avant que de passer outre, nous ne devons pas omettre une circonstance assez bizarre, qui a fortement éveillé la curiosité des visiteurs et donné lieu à maintes conjectures. /389/
Ce bloc de pierre tumulaire est percé dans son épaisseur d’un trou cylindracé d’environ trois pouces de diamètre, qui se prolonge de bas en haut depuis les pieds jusqu’au pectoral de la figure, où l’on trouve deux autres trous circulaires, qui correspondent avec le premier, en formant équerre, et dont les cavités convergent un peu à l’intérieur. On a trouvé dans ces trous plusieurs fragmens d’ossemens mêlés au sable et à la vase, ce qui a fait croire qu’ils avaient pu recéler autrefois des reliques; mais, comme on n’a pas d’exemple de reliques conservées dans des cavités aussi grossières, il a bien fallu chercher une autre explication de la présence de ces ouvertures.
En feuilletant mes notes, j’ai trouvé, dans les manuscrits de feu M. le commissaire Sterchi 1 bis , que, du temps des baillis bernois, on voyait, dans la cour du château de Romainmôtier, une fontaine ornée de la statue en marbre bâtard d’un prieur de ce monastère. Ce renseignement digne de foi fut pour moi un trait de lumière; il m’a paru évident que notre pierre tumulaire, enlevée à sa première destination à l’époque de la Réforme, avait été forée pour servir de chèvre à la fontaine qui coule encore dans la cour de l’ancien château baillival, dont cette statue fit pendant longtemps l’ornement. Le tuyau longitudinal, devenu vertical par le redressement du bloc, servait de conduite pour l’ascension de l’eau dans la chèvre jusqu’à la hauteur des ouvertures correspondantes qui formaient les deux jets, un peu divergens, comme à l’ordinaire. En examinant de nouveau la pierre, je n’ai plus conservé aucun doute sur l’usage auquel on l’avait fait servir; d’autant moins qu’on retrouve des traces de crampons de fer, au nombre de quatre, qui retenaient les arcs-boutans des deux tuyaux de fonte par où l’eau coulait dans le bassin. On observe que ce bloc est rompu par le milieu, transversalement à la hauteur des jets: en examinant la rupture, on voit qu’elle est ancienne et qu’elle fut spontanée. Cet accident a dû être opéré par la force du gel, dans le cours d’un hiver /390/ très-rigoureux. La pierre, rebutée dès-lors comme inutile, et abandonnée, aura plus tard été enfouie dans les fondements du mur où on l’a retrouvée.
Telle me paraît être l’histoire tragi-comique, mais véritable, du monument qui nous occupe: elle n’ôte rien à sa valeur historique et artistique.
Disons maintenant quelques mots du prélat figuré sur ce tombeau et de la famille vaudoise à laquelle il appartenait.
L’ancienne maison de Sivirie semble avoir été une branche de celle des seigneurs de Vullierens, comme on le prouve par titres 2 . Ce rameau d’une antique et noble tige ayant reçu en partage la terre de Sivirie (de Siviriaco), ou de Sévery, comme on dit aujourd’hui, prit, vers le commencement du XIIIe siècle, le nom de ce village, qui est l’un des plus anciens du canton de Vaud, puisqu’il en est fait mention dans des actes du Xe siècle 3 .
Henri de Sivirie était, selon toute apparence, le plus jeune de quatre frères, dont l’aîné, Pierre, seigneur de Sivirie, était chevalier (miles); les deux autres, Humbert et Guillaume, qualifiés de damoisels ou donzels (domicelli), avaient des propriétés à Sévery, à Apples, à Gimel et à Aubonne 4 . Ils étaient tous fils (ou petits-fils?) de Jaques de Sivirie, damoisel, seigneur du dit lieu (vivant de l’an 1300 à 1333), et de Marguerite de Dizy.
Henri, comme le cadet de sa famille, se voua, selon l’usage, à l’état ecclésiastique, et fut d’abord prieur de Baulmes; puis, après le décès de Guillaume de Cossonay, il réunit à cette /391/ charge celle de prieur de Payerne 5 , qu’il occupa pendant cinq ou six ans; mais, dans le courant de l’année 1372 6 , Arthaud Alamandi, qui, depuis plus de 26 ans, gouvernait le monastère de Romainmotier, échangea cette dignité avec Henri de Sivirie, prieur de Payerne et de Baulmes, qui devint ainsi prieur de Romainmotier; sa famille comptait au nombre des bienfaiteurs de cette dernière église, où elle avait sa sépulture ordinaire.
Henri de Sivirie gouverna cette communauté avec autant de sagesse que de zèle pendant près de dix années consécutives 7 ; plusieurs actes attestent la bienfaisance de son administration et sa vigilance à défendre les intérêts spirituels et temporels de son monastère.
Nous en citerons quelques exemples:
Les religieux de Romainmotier possédaient des dixmes à Apples. Les seigneurs de Montrichier, Antoine, seigneur de Cottens, ainsi que Pierre, Humbert et Guillaume, seigneurs de Sivirie, prétendaient avoir des droits sur une portion de ces dixmes; leurs gens s’en étaient emparés de force, en coupant sur pied une portion de la moisson et en expulsant les décimateurs du monastère. Henri se rendit lui-même sur les lieux pour défendre les droits de son couvent, et, quoique ceux qui en attaquaient ainsi les droits fussent ses propres frères, il les obligea à se désister de leurs prétentions, en leur disant: « Vous êtes suffisamment riches de votre propre patrimoine; ainsi, n’usurpez pas les biens de l’église, qui sont le patrimoine des pauvres 8 !» /392/
Peu de temps après, Humbert de Sivirie, ainsi ramené à des sentimens plus chrétiens, fit son testament, le 10 octobre 1376, et, ayant choisi sa sépulture dans l’église de Romainmotier, il fonda une messe hebdomadaire pour célébrer son anniversaire sur l’autel de la chapelle de Saint Jean-Baptiste, où la tombe de sa famille était placée, et lui assigna 30 sols de rente, revenu qu’il porta même à 10 livres annuelles, dans le cas où ses biens passeraient par substitution à son neveu Jean de Sivirie, auquel cas cette messe hebdomadaire devait être convertie en une messe quotidienne 9 .
Les religieux de Romainmotier avaient depuis longtemps de graves difficultés avec les sires de Mont, au sujet de diverses prétentions que ceux-ci formaient sur les revenus des terres que le couvent possédait dans le territoire de ces seigneurs. Ici, l’ascendant du prieur ne suffisant pas pour faire plier la résistance des puissans sires de Mont, Henri de Sivirie eut recours à l’autorité de Bonne de Bourbon, comtesse de Savoie et régente de l’État en l’absence du comte Amédée-le-Vert. Cette grande princesse, qui appréciait le zèle et le mérite personnel du prieur de Romainmotier, ménagea entre les deux parties un accommodement, daté de Thonon, du 10 avril 1374 10 , lequel mit fin à ce pernicieux différend.
Cependant le prieur Henri n’affectait point un rigorisme inutile: très-sévère sur le chapitre de la discipline ecclésiastique, il soignait aussi le bien-être physique de ses religieux et, rétablit sur l’ancien pied d’une plus grande mesure 11 les prébendes de vin que son prédécesseur avait réduites. Peu d’années après et tandis que Henri de Sivirie vaquait, avec autant de zèle que d’activité, à tous les devoirs de sa charge de prieur de Romainmotier et en même temps se faisait connaître avec avantage des princes contemporains, Robert de /393/ Genève, cinquième fils d’Amédée III, comte de Genevois, fut élevé à la chaire pontificale, le 21 septembre 1378 12 . Il prit le nom de Clément VII et fixa le siége apostolique à Avignon. On n’ignore pas que son élection fut le signal du grand schisme de l’église d’Occident.
L’un des premiers soins du nouveau pape fut d’appeler le prieur de Romainmotier auprès de sa personne et de l’investir de sa confiance. Celui-ci se fit remplacer dans l’administration de son prieuré par Otton de Vuillerens, prieur de St. Paul, en qualité de vicaire et de lieutenant 13 . Le pontife donna bientôt à Henri de Sivirie une nouvelle preuve de sa bienveillance, en lui accordant une sauve-garde pour affranchir son monastère de la juridiction spirituelle et temporelle des prélats français et du roi de France, à laquelle ce couvent se trouvait indirectement soumis, comme dépendant de l’abbaye de Cluny, située en France. Cette bulle est datée du mois d’avril de l’an second du pontificat de Clément VII 14 , c’est-à-dire, de l’an 1380.
Il entrait dans la politique de Clément VII de remplacer la plupart des évêques ultramontains par des prélats de son obédience 15 ; et, le siége épiscopal de St. Jean-de-Maurienne, que ce pape avait occupé lui-même, étant venu à vaquer, celui-ci y nomma Henri de Sivirie, prieur de Romainmotier 16 . /394/
Sa nomination à ce siége date de la fin de l’an 1380, mais il paraît que, vu le schisme qui divisait l’église, son installation souffrit quelques difficultés, car elle n’eut lieu définitivement que le 8 janvier 1383, comme le marquent les dyptiques de cette église 17 .
Quoi qu’il en soit, ce nouvel évêque n’occupa ce siége que peu d’années; néanmoins, il se montra digne de son élévation par la manière dont il administra son diocèse, où sa mémoire est encore vénérée, à cause des règlemens qu’il fit pour rétablir dans le chapitre de sa cathédrale la solennité du culte divin, la résidence des chanoines, la décence et la bienséance ecclésiastiques, qu’il avait trouvées fort relâchées par suite du schisme régnant.
Mais, le pape Clément VII, qui ne pouvait se passer des talens et du dévouement éprouvé de l’évêque Henri, saisit l’occasion de la vacance de l’évêché de Rhodez, en Rouergue, pour y placer notre compatriote, et c’est ainsi que s’effectua sa translation du siége de Maurienne à celui de Rhodez, bien plus voisin de la résidence pontificale d’Avignon.
Ce changement eut lieu au commencement de l’an 1385 18 . Dès-lors, Henri de Sivirie travailla assidûment à la chancellerie apostolique (in curia (apostolica) assidue versabatur) 19 et demeura l’un des principaux conseillers du pontife, son bienfaiteur, jusqu’à la mort de ce pape célèbre 20 .
Les actes de l’église de Rhodez nous apprennent que l’évêque Henri y fonda quatre messes annuelles pour le salut de son âme et qu’il dota cette institution d’une somme de 400 livres /395/ (environ 10,000 fr. de France); cette dotation est datée du 24 septembre 1386 21 .
Ces mêmes actes remarquent qu’en l’an 1387 et 1388 il se trouvait depuis quelque temps retenu par ses affaires dans les pays étrangers (in remotis egisse legitur) 22 . Cette date coïncidant avec celle qui est gravée sur le monument de Romainmotier, on en doit conclure qu’il était momentanément revenu dans sa patrie, pour y visiter sa famille et les religieux de son monastère.
C’est pendant cette visite que l’évêque Henri, détachant sa pensée des pompes terrestres qui l’entouraient à la cour pontificale et même sur son siége épiscopal, choisit sa sépulture dans le cloître retiré où il avait passé plusieurs années paisibles. Il fit sculpter la pierre mortuaire destinée à recouvrir ses restes périssables et à consacrer le souvenir de son attachement pour sa patrie et particulièrement pour le berceau de sa fortune ecclésiastique. Il voulut aussi, conformément aux croyances et aux usages de son siècle, s’assurer des prières des fidèles, pour le salut de son âme, en faisant, dans ce lieu, une fondation perpétuelle pour son anniversaire et en donnant en même temps à l’église de Romainmotier une marque signalée de sa munificence.
Cependant l’acte de cette fondation ne fut expédié en sa présence qu’au mois de Mars de l’an 1390, ce qui ferait supposer que l’évêque Henri fit un second voyage au Pays-de-Vaud, pour mettre le sceau à cette mémorable fondation, l’une des plus riches dont se glorifie le monastère de Romainmotier. Cet acte s’exprime textuellement comme suit:
« Nous, Jean de Seissel, humble prieur de Romainmotier, faisons savoir que, comme le révérend père dom Henri, évêque de Rhodez, nous a donné 500 Livres de rente annuelle en augmentation de la fondation et dotation de la chapelle de St.-Jean Baptiste en l’église du prieuré de Romainmotier, /396/ en laquelle chapelle ses ancêtres et ses parens sont ensevelis, et où lui-même a choisi sa sépulture, si toutefois Dieu permet que ce dernier vœu s’accomplisse, lesquelles 500 livres de rente doivent, selon sa volonté, être annuellement appliquées à une distribution de pitance (pitancia; portion alimentaire) à tous les religieux et commensaux de notre monastère, ainsi qu’aux pauvres nécessiteux, nous, le dit prieur et couvent, considérant l’attachement manifesté par le dit seigneur évêque pour nous et notre Eglise, et nous remémorant en outre le bien qu’il a fait jadis à ce prieuré, dont il a été prieur, nous nous engageons spontanément, pour nous et nos successeurs, à célébrer conventuellement sur l’autel de la dite chapelle, au son de toutes les cloches, comme cela se pratique pour les grands anniversaires, premièrement: tous les dimanches, à vêpres, le grand office des morts, avec chant sacré, oraisons et répons, suivant le rit en usage; secondement, chaque lundi, à matines, une messe conventuelle, ou De profundis, après laquelle l’officiant se revêtira des ornemens sacerdotaux et, suivi de toute la communauté, il fera une procession en chantant les cantiques et stationnera sur la tombe des parens du dit seigneur évêque, tant que celui-ci sera vivant et, après sa mort, sur sa propre sépulture. Statuant que, dans le cas où nous négligerions d’accomplir les offices susdits, le dit évêque et, après lui, Jean et Guillaume-l’ancien, et Guillaume-le-jeune, et leurs successeurs de la maison de Sivirie auront le droit de nous y contraindre. Nous déclarons et confessons en outre que le dit révérend père dom Henri, évêque de Rhodez, de notre volonté et consentement commun, et pour le salut de son âme, de celles de ses parens et de ses bienfaiteurs, a institué et doté deux chapelains pour desservir la dite chapelle de St.-Jean Baptiste, à l’égard desquels il se réserve le droit de présentation à chaque vacation et le patronat, voulant qu’après son décès ce droit appartienne héréditairement aux deux membres les plus âgés de sa famille et du nom de Sivirie. Les dits chapelains devront être choisis entre les religieux prêtres /397/ du monastère, et ils ne pourront cumuler la prébende attachée à cette cure avec nul autre bénéfice du couvent, à l’exception de l’office de chantre et de magister de l’école enfantine, vu l’exiguité du bénéfice attribué à ces derniers. Ces chapelains seront tenus de dire alternativement une messe quotidienne de requiem sur l’autel de la dite chapelle, au lever du soleil et au son d’une cloche, afin que les passans puissent y assister.
Afin de pourvoir convenablement à l’entretien de ces deux chapelains, le dit révérend père évêque a constitué et assigné une rente perpétuelle de 500 livres et il a présenté pour premiers chapelains les pieux frères Girard de Neuchâtel et Jaques de Giez, religieux de notre monastère, que nous avons admis et qui ont prêté le serment d’usage entre les mains du dit seigneur évêque et les nôtres. Et nous Henri de Sivirie, évêque de Rhodez, déclarons que toutes les choses susdites ont été arrêtées de notre consentement et expresse volonté; en foi de quoi, nous avons de notre sceau scellé les présentes, faites en trois doubles, et datées du mois de Mars de l’an de la nativité du Seigneur MCCCXC (1390) 23 . »
Cette dotation était fort considérable pour le temps où elle fut faite: la somme de 1000 livres équivalait à environ 24,000 francs de France de rente et représente le revenu d’un capital de 400,000 francs de la monnaie d’aujourd’hui * . Plusieurs actes du siècle suivant attestent que les devoirs que cette institution imposait aux religieux de Romainmotier furent scrupuleusement observés 24 .
Après avoir accompli cette fondation, l’évêque Henri retourna bientôt, soit à la cour d’Avignon, soit à Rhodez, où le /398/ rappelaient ses devoirs pastoraux. Il reçut ordre du pape dans le courant de l’année 1393 de procurer l’exécution d’un échange de terres fait antérieurement entre Jean, comte d’Armagnac et du Rouergue, et l’abbesse du monastère de St.-Saturnin de Rhodez, et en fit dresser l’acte le 5 Juin de la même année 25 . Il approuva aussi comme évêque du même diocèse la fondation d’un anniversaire, faite le 27 Mai 1395, par un pieux seigneur de son diocèse 26 . (Voir plus loin, page 403. )
Il paraît que l’évêque Henri eut à soutenir, contre la puissance du roi Charles VI, une lutte sévère, amenée peut-être par son adhésion et celle de son clergé au parti du duc de Berry, gouverneur du Languedoc, qui fut momentanément dépouillé de ses charges par le roi son neveu.
Le monarque écrivit, le 13 mai 1392, une lettre foudroyante au sénéchal et autres officiers royaux de la province de Rouergue, pour leur ordonner de procéder selon toute la rigueur des lois contre l’évêque, son vicaire-général et son official, comme coupables de lèse-majesté 27 (tanquam perduelles). On ignore les effets de cette mesure rigoureuse, mais il est probable qu’elle n’eut aucune suite grave pour notre prélat, puisque les annales de l’Eglise de Rhodez n’en font aucune mention.
Les dyptiques de cette église ne fixent point l’époque précise de la mort de l’évêque Henri de Sivirie, mais ils nous apprennent que Guillaume (de la Tour d’Oliergue), son successeur, ne fut intronisé qu’en l’année 1398, par le pape Benoit XIII 28 , ce qui donne lieu de supposer que son prédécesseur n’était décédé que depuis peu de temps; car, si la mort de ce dernier avait été suivie d’une plus longue vacance du siége de Rhodez, ces dyptiques n’auraient guère manqué d’en faire mention.
Nous croyons donc pouvoir fixer avec beaucoup de vraisemblance la mort d’Henri de Sivirie aux environs de l’an 1397. Quoi qu’il en soit, il ne paraît pas douteux qu’après sa mort ses /399/ restes furent rapportés dans sa patrie et placés dans la tombe qu’il s’était préparée dix années auparavant dans l’église de Romainmotier; car, le prieur Jean de Seissel, confirmant en 1418 la fondation de l’évêque Henri décédé, donne clairement à entendre que ses ossemens reposent dans la chapelle de St.- Jean-Baptiste 29 .
Le monument dont je viens de vous entretenir, Messieurs, est précieux sous le rapport de l’art, dont il présente un curieux échantillon, et de la paléographie, à laquelle il offre un beau modèle de caractères lapidaires du XIVe siècle. Il a de plus pour nous une certaine valeur historique, en ce qu’il constate, par un nouvel exemple, les dignités honorables auxquelles plusieurs de nos compatriotes furent élevés, même dans l’ordre clérical, par l’éclat de leur propre mérite, dont la renommée se répandit dans des pays fort éloignés du nôtre.
Il n’est pas non plus dépourvu d’intérêt pour les étrangers; car, sans la découverte de cette pierre sépulcrale, on aurait, peut-être, toujours ignoré qu’Henri de Sivirie, l’un des confidens du célèbre pape Clément VII, était le même personnage que les écrivains de la Maurienne nomment Henricus de Smiriaco, et ceux de Rouergue Henricus de Senery, 30 alias de Serny.
La-Sarraz, 4 septembre 1837.
F. De Gingins-La-Sarraz.
Planches:
Pierre tumulaire de l’Evêque Henri de Siviriez telle qu’on la voit dans le château ballival de Romainmotier
Inscription lapidaire répartie sur les deux côtés latéraux de la pierre tumulaire
Ecusson aux armes du prélat H. de Siviriez sculpté sur l’un des arceaux de l’ancien cloître
LES NOBLES DE SIVIRIEZ, SIVIRIÉ OU SÉVERY.
(Archives de la ville de Cossonay.)
Communiqué par M. Louis de Charrière.
| 1228 | Reymond, Jean et Humbert de Sivirié, frères, donzels, fils de Pierre, miles de Sivirié, et petits-fils de Nantelme de Cossonay, dit de Vuillerens, chevalier. |
| 1376 | Humbert de Sivirier, donzel, lègue trente sols de rente à la chapelle de St. Jean au couvent de Romainmôtier en fondation d’une messe hebdomadaire. |
| 1378 | Henri de Sivirier, prieur de Romainmôtier. |
| 1401 | Pierre de Sivirier, chevalier. |
| 1410 | Testament d’Otonette de Sivirier, femme de François de Villarzel. |
| 1429 | Reconnaissances de divers habitans de Sivirié, prêtées entre les mains du commissaire Allaman en faveur de noble Jean de Sivirié, donzel, fils de feu noble homme Guillaume de Sivirié, donzel, fils de feu le seigneur Pierre de Sivirié, chevalier. Le dit Jean de Sivirié possède sur les choses reconnues pleine, moyenne et basse justice et omnimode juridiction. A la même époque, Jean de Sivirié l’aîné, donzel, fils de feu Guillaume, fils d’Humbert dc Sivirié, donzel, possède des terres à Sévery. |
| 1458 | Pierre de Sivirier, fils de feu noble Jean de Sivirier, qui était fils de feu noble Guillaume de Sivirié, lequel était fils de feu messire Pierre de Sivirié, chevalier. |
| 1495 | Noble Jean de Mont, l’ancien, d’Aubonne, prête quernet pour la terre de Sévery, entre les mains du commissaire Quisard, comme mari de Claudine de Sivirié, fille de feu Pierre de Sivirié, donzel. A la même époque, les nobles Pierre et François de Sivirié, propriétaires à Sévery, probablement petits-fils de Jean de Sivirié, l’aîné, donzel d’Aubonne. |
| 1498 | Noble homme François de Sivirié, d’Aubonne, épouse à Berne, par contrat du 23me août, Isabelle, fille de feu Thuring de Baulmes (de Balmis). La dot fut de 900 florins du Rhin. /401/ |
| 1511 | Noble François de Sivirié, châtelain de Champvent. |
| Sans date. | Claudine, fille de noble François de Sivirié, d’Aubonne, femme de noble Gabriel, fils de feu noble Jordan Cassiod, de la Tour de Peyl. |
| 1527 | Restitution faite à noble Bastian de Sivirié et à ses frères de la dot de noble Anthonia, femme de feu noble Pierre Marchand, d’Aubonne, août 12. |
| 1529 | Jean Fabre, de Bignyn (Begnins), est nommé héritier de noble Bastian ou Sébastien de Sivirier, d’Aubonne, par testament du 23me … Les enfans mâles de noble Amblarde, femme de noble Jean de Lavignye, sont nommés héritiers substitués du dit noble Bastian de Sivirier, par le même testament du 23me … 1529. |
| 1529 | Noble François, fils de noble Amédée Martine, de Perroy, épouse, par contrat du 5me novembre, noble Claudine, fille de feu noble Claude de Gallérard, de Ferreyres, veuve de noble Bastian ou Sébastien de Sivirié, d’Aubonne. |
| 1532 | Gabrielle, fille et héritière de noble George Marchand, de Cossonay, fait donation de tous ses biens à noble François de Sivirier, son mari, par acte du 11me février, reçu égrège Brictonis. |
| 1533 | Le susdit noble François Martine, comme mari de la dite Claudine de Gallérard veuve de feu noble Sébastien de Syviryer, bourgeois d’Aubonne, fait subhaster les biens de noble Ayma Marchand, veuve de Claude Martignyer et tutrice des enfans eus de lui, « pro resto solutionis obligationis in qua quondam discretus Glaudius Martignyer, clericus de Insula, dicto quondam Sebastiano erat obligatus in 200 florenos, causa restitutionis tertiæ partis (un tiers) 600 florenorum sibi dicto nobili Sebastiano contingentibus cum suis fratribus, pro aliis duabus partibus dotæ quondam nobilis Anthoniæ, quondam uxoris nobilis Petri Marchiandi, de Albona. » 4 de mars. |
| 1533 | François de Sivirier, donzel, bourgeois de Morges, lègue à l’église de Morges huit sols de rente, en fondation de son anniversaire; héritiers universels: Sébastien et François de Sivirier (ses fils probablement), qui pourront racheter la dite rente moyennant huit livres. |
| 1542 | Jaquemaz, fille de feu noble George Marchand, de Cossonay, femme de noble Sébastien de Sivirier. |
| 1543 | Reconnaissance de noble François, fils de feu noble François de Sivirier, demeurant à Cossonay, entre les mains du commissaire Mandrot, le 11me décembre. Biens à Senarclens au dit noble François de Sivirier, provenant de l’héritage d’Agnès Marpaudaz. Bénoite, fille de noble François de Sivirier et de défunte Gabrielle Marchand, et noble François de Gruyère, d’Aigremont, possèdent ensemble par indivis à Senarclens, une coupe de froment, mesure de Cossonay, d’annuelle pension à eux due par Jean Rossier, de Senarclens./402/ |
| 1543 | Feu noble Jean de Sivirier, donzel. |
| 1552 | Reconnaissance de noble Sébastien de Sivirier, donzel de Cossonay, entre les mains d’égrège LeComte; elle concerne Senarclens. |
| 1553 | François de Sivirier, donzel de Cossonay, Gabrielle, fille de feu noble George Marchand, sa femme, Bénoite, leur fille. |
Ce qui suit est extrait des comptes des gouverneurs et hôpitaliers de Cossonay:
| 1556 | Payé à noble Sébastien de Siviriez, pour les despends faicts par les taboriniers, 2e jour que l’on tira le papaguay, un florin. |
| 1557 | Le 26 septembre. A noble François de Siviriez, pour le vin et payn beu et mangé en la maison de ville par la généralité, trente-quatre sols. |
| 1561 | Le 1er avril. Livré, pour l’honneur de Dieu à la donna Loyse de Siviriez, six sols. |
| 1561 | A noble François de Siviriez, pour avoir porté une lettre à Chéry, fifre, pour venir à Cossonay, pour faire la bien-allée de la donna Loysa Paind’avoine (Louise de Gruyère), deux sols. |
| 1562 | Le 23me mars. Pour Dieu, du commandement de Messieurs du Conseil, au seigneur François de Syviriez, dix quarterons de froment, mesure de Cossonay. |
| 1564 | Pour le disné et gousté de François de Syviriez et Pierre Sappyn, officier de la ville, pour avoir tiré le lyn et chenève du jardin subhasté à Jean Favey, du commandement de Messieurs du Conseil, quinze sols. |
| idem. | Lettres de citation pour maître Robert, portées à Gollion et à Morges par le seigneur François de Syviriez, lequel reçoit douze sols pour sa peine. |
| idem. | Le 5me mai. Le seigneur François de Syviriez, officier (de ville), et le gouverneur font à Allens la vision des brebis. |
| 1566 | Noble François de Siviriez. |
| 1572 | Le 23me mai. Livré pour Dieu, du commandement de Messieurs du Conseil, à ceulx qui ensevellirent noble François de Syviriez, qui estait mort en la tour de l’hospital, un florin quatre sols. |
| Item, | a livré, pour l’huyle employée durant la maladie du dit François de Syviriez que pour ung lan (une planche) employé à parfaire le val (la fosse) du dit Siviriez, cinq sols. |
| idem. | Pour Dieu, du commandement du gouverneur, aux enfans du seigneur François de Syviriez, qu’estaient malades, un quarteron de messel, mesure de Cossonay. |
| 1576 | Pierre de Syviriez est au nombre des bourgeois de Cossonay pour lesquels l’hôpital de Cossonay paye la quotepart de l’impôt, soit giette, pour la cloche, n’ayant pas le moyen de la payer. /405/ |
Dès-lors, il n’est plus fait mention, à Cossonay, des nobles de Syviriez; il est à croire que cette famille ne tarda pas à s’éteindre.
A peu près à cette époque-là s’éteignit aussi l’ancienne et noble famille Marchand, venue d’Aubonne; ses derniers membres vécurent dans la misère et soutenus par les charités du Conseil. Noble Moyse Marchand, fils de noble Nicolas Marchand, seigneur de Bettens, fut le dernier mâle de cette famille; il était officier de la ville.
| 1568 | Noble François de Sivirier, bourgeois de Cossonay. |
| 1574 | Bénoite, fille de feu François de Sivirier, donzel de Cossonay, et de Gabrielle, fille de feu noble Georges Marchand. Pierre et Humbert de Séverie (Sévery) sont au nombre des vingt-neuf vassaux du baron de Cossonay mentionnés dans le quernet prêté par lui en 1577. Suivant deux anciens armoriaux de la noblesse vaudoise, les armoiries des nobles de Sivirier étaient: de gueule au sautoir d’argent, chargé de cinq têtes de maures tortillées d’argent. (Voir ci-devant, p. 386. ) |
| 1540 | Reconnaissance de Jaquemaz, femme de noble Bastian de Sivirier, donzel de Cossonay, fille de feu noble Georges Marchand, le 8me juin, entre les mains du commissaire Mandrot. A la même époque, maison de noble François de Sivirier, sise au château de Cossonay, laquelle fut de domp Pierre Vigoureux. |
NOTES ADDITIONNELLES.
I.
Anno 1374 (1375, nouveau style) sexdecimo Februarii, comparuit Henricus de Siviriaco, prior Romani monasterii, coram viro venerabili Guidone de Prengino, præposito Lausannæ, et Anthonio Championis, castellano Morgia, ex una parte, et domina Lucia, domina de Monte, et Galesius de Viriaco, eius filius, ex altera, propter jurisdictionem de Brussins, etc.
(Archives Cantonales à Lausanne: Registres-copies relatifs au bailliage de Romainmôtier. I, No 176.)
II.
L’an 1376, le 18 juillet, Henri de Siverye, prieur de Romainmôtier, donna à Jean, prieur de Miège, et à son église, commission pour recevoir les censes, rentes, issues, obventions, etc. , leur appartenant à Bannens, Sainte-Colombe, Vaux et Chantegrue, et autres lieux de l’archevêché de Besancon, et y exercer en son nom la juridiction.
(HALLER, Collection diplomatique à la Bibliothèque de Berne. )
III.
Anno 1377, 21 octobris, « Petrus, filius quondam Johannis de Dulicio », (Dullit), donzel, prête hommage « Henrico de Siviriaco, priori Romani monasterii, manibus interpositis, oris et osculo interveniente, ut moris est. » Témoins: Ludovicus de Cossonay, dominus de Berchier, miles; dominus Humbertus de Columberio, dominus de Vullierens, ballivus Vaudi, dominus Petrus de Siviriaco, domicellus, Johannes de Senarclens, domicellus. Datum apud Brussins in domo dicti domini prioris.
(Archives cantonales à Lausanne: Registres-copies du bailliage de Romainmotier, I. No 174. )
IV.
Anno 1378, in vigilia beati Galli, ratification d’un accord entre le couvent de Rüggisberg et Pierre de Krochthal, ab Henrico de Siviriaco, priore Romani /405/ monasterii, camerario, vicario generali in provincia Alamanniæ et Lotharingiæ (Lorraine) pro abbate cluniacensi, data est die 25 octobris.
(HALLER, Collection diplomatique, XII, page 300, EFFINGER, I, p. 81. )
V.
Anno 1579, 28 aprilis, frater Henricus de Siviriaco, prior Romani monasterii, quittat dominum Johannem de Frasino, socium et receptorem suum in terra Burgundiæ, de toto regimine et redditibus ab ipso recuperatis in villi Burgundiæ.
(HALLER, Collection diplomatique. )
D’après la Gallia christiana, dom Henri de Sivirie fut le quarante-deuxième évêque de l’église cathédrale de Rhodez. Voici, de verbo ad verbum, ce qu’on en dit:
DE SENERY, Alias DE SERNY.
Henricus, origine sabaudus, a Clemente VII, in cujus curia assidue versabatur, accepit episcopatum ruthenensem, jamque sedebat die vicesima-quarta septembris anno 1386, quo tempore fundavit aut instituit quatuor missas singulis annis pro salute animæ suæ celebrandas in ecclesia ruthenensi datis 400 libris. Anno 1388, in remotis egisse legitur instrumento Bonæ-vallis. Anno 1393 mandato a sancta sede accepto, scripsit die tertia junii pro executione cujusdam excambii inter Johannem, comitem Armaniaci ac Ruthenorum, et Raimundam abbatissam monasterii sancti Saturnini secus urbem, jam propositi anno 1381. Tempore ejus episcopatus, scilicet anno 1395, die vigesima septima Maii, Aymericus de Mercato constituit eleemosynam tribus diebus cujuslibet hebdomadæ Quadragesimæ (carême) a capitulo erogandam, anniversarium et quamdam supplicationem, pro quibus dedit castrum de Pruhines. Non invenio quo anno e vivis excesserit. » (Ex tabula ruthenensi. ) »
« Male audiit hic episcopus apud Carolum VI regem, qui scripsit ad Ruthenorum senescallum et alios magistratus ut summo jure agerent in ipsum ejusque officialem, vicarium generalem ac baillivum tamquam perduelles. Litteræ Carol datæ sunt tridecima maii 1392. »
La date de sa mort ne coincide pas avec celle que donne son épitaphe, et son successeur ne fut en outre intronisé qu’en 1398.
« Guillielmus Moïssiaci in adurcis (de la Tour d’Oliergues) natus, sanctioris consilii regii assessor, anno 1398, munitus bulla Benedicti XIII, alias Petri de Luna, cathedram ascendit. »
(Communiqué par M. le chanoine Boccard, de Saint-Maurice )
FIN