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Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande

Edition numérique

Fréderic DE CHARRIÈRE

Recherches sur le couvent de Romainmotier et ses possessions :
5. Appendice

Dans MDR, 1841, tome 3, première livraison, p. 368-384

© 2019 Société d’histoire de la Suisse romande

/368/

APPENIDICE.

I.

L’ABBAYE DE CLUNY 1 .

Quelques détails sur l’Ordre auquel appartenait Romainmotier, et sur sa Métropole, ne nous semblent pas déplacés.

Bernon fut le premier Abbé de ce Monastère fondé par Guillaume-le-pieux, Duc d’Aquitaine et Comte d’Auvergne, en 910. La charte de sa fondation est absolument dans le style du testament de la Comtesse Adélaïde de Bourgogne; on la dirait sortie du même moule.

Bernon mourant, donna le gouvernement de Cluny à Odon, en 927. Dans sa jeunesse, Odon prenait un grand plaisir à la lecture des classiques, de Virgile surtout. Or, il rêva qu’il voyait un vase de forme antique, admirable; mais pendant qu’il le considérait, un aspic en sortit et lui fit une dangereuse blessure: Dès lors Odon renonça à la littérature profane. — Odon parvint à réformer certains Monastères, qu’il adjoignit à son /369/ autorité abbatiale; Romainmotier, était du nombre. Dès lors ceux-ci n’eurent plus d’Abbés, mais des Prieurs seulement, et il y avait unité de règlemens entre tous. C’était une agrégation de Monastères autour d’un seul qui en devenait la Métropole, la tête. 2 Avant Saint-Odon, Cluny obéissait à l’Abbaye de Baume et Gigny en Bourgogne.

Aymard succéda à Odon.

Il s’adjoignit Maïeul pour coadjuteur, et celui-ci gouverna 40 ans, jusqu’en 994. C’était un homme fort instruit. Il adjoignit Payerne à son autorité, et aussi le fameux Monastère de Lérins.

Devenu vieux, il prit pour coadjuteur Odilon, né d’une famille équestre d’Auvergne. Raoul (Rodolphe III), roi de Bourgogne, les Evêques de Genève, de Lausanne, etc. confirmèrent sa nomination. Il gouverna 56 ans (jusqu’en 1049). Il favorisa les études dans tous ses Monastères. Par son ordre, le moine Glaber écrivit l’histoire de son tems, et le moine Syrus celle de St Maïeul.

Il acquit aussi à son Ordre, le Monastère de St-Victor, à Genève.

Il institua la fête des morts, où l’Abbaye de Cluny devait offrir le pain et le vin à tous les pauvres qui se présentaient.

Le pouvoir royal était encore faible en France, et la Papauté aspirait seulement à l’indépendance; mais l’Episcopat était la vraie puissance des églises provinciales. Or l’Evêque de Macon, voyant l’immense prospérité de Cluny, réclama jurisdiction sur ses moines. Il porta, en 1025, plainte au Métropolitain de Lyon. Un Concile provincial fut convoqué, qui jugea: que d’après les Conciles de Calcédoine, les moines et Abbés doivent en toute contrée être soumis à l’Evêque du diocèse, et qu’il est défendu à tout autre de faire ordres et consécrations dans le diocèse d’autrui (ce qui avait eu lieu à Cluny, où Odilon avait appelé le titulaire de Vienne. ) — Odilon résista quelque tems, /370/ exhiba des Bulles formelles d’exemption, de Papes; mais en vain; il fléchit enfin les genoux au milieu du Chapître de Macon, et implora le pardon des assistans. – Cluny est donc soumis à l’ordinaire.

Hugues, fils du Comte de Semur et d’Aremberge de Vergy, fut, en 1049, élu Abbé d’un accord unanime. Il avait 25 ans et gouverna plus de 60 années (jusqu’en 1109).

Il avait réconcilié l’Empereur Henri-le-noir avec les moines de Payerne. (?)

Bientôt éclata la grande lutte du Sacerdoce et de l’Empire. On peut voir, sans doute, dans cette lutte, les dépositaires de l’ancienne civilisation aux prises avec la barbarie, et la victoire, peut ainsi paraître belle. 3 La question n’était pas si simple toutefois: une principauté temporelle (qui devait, sans contredit, hommage à l’Empereur et à laquelle, pour être conséquent, il eût fallu d’abord renoncer) étant alors annexée à chaque diocèse. La position de Hugues fut fort délicate durant cette tourmente, lié qu’il était aux deux partis: à l’Empire par des bienfaits, à Hildebrand, qui avait été moine à Cluny, par des relations étroites. Il sut se conduire avec assez de bonheur, pour leur rester attaché à tous deux. Il sut même réconcilier l’Empereur avec Grégoire par son crédit auprès de la fameuse Comtesse Mathilde. 4

Sous Hildebrand, le crédit de Cluny était immense, et l’autorité romaine avait grandi: Aussi, en 1063, dans un Synode tenu à Châlons, l’Evêque de Macon fut condamné à faire pénitence pour avoir méconnu l’autorité du pape et les immunités de l’Abbaye; 40 ans, à peine, après qu’Odilon avait dû s’humilier.

Nous avons vu les Bulles de Grégoire VII, et celles d’Urbain II /371/ et Pascal II: ces deux derniers étaient aussi des moines de Cluny, envoyés par Hugues à Grégoire VII. Au reste, plus de 40 papes confirmèrent ou accrurent successivement les priviléges ecclésiastiques de ce fameux Monastère. — Hugues était ami d’Anselme; et Orderic Vital, l’un des historiens les plus importans de ce siècle, était moine de Cluny.

Quelques paroles de Hugues prouvent que la doctrine de St Augustin vivait encore. 5

Hugues entreprit, en 1089, la colossale Basilique de Cluny: Saint-Pierre de Rome est le seul temple de l’univers qui fût quelque peu plus vaste. — Cette Basilique, d’architecture romane, était précédée d’une sorte de vestibule ou d’avant-nef bâti en 1220 seulement. 6

Pontius de Melgueil, d’une famille d’Auvergne, succède à Hugues. — Il était ami des sciences, mais fort orgueilleux. Il /372/ ambitionnait le titre d’Abbé des Abbés porté par l’Abbé de Mont Cassin; ne pouvant l’obtenir, il se nomma Archi-Abbé. — Le désordre s’introduisit à Cluny. Pontius mourut enfin excommunié à Rome.

Pierre Maurice de Montboissier, dit le vénérable, est élu en 1122 et gouverne 35 ans. C’est le plus connu des Abbés de Cluny, et le point culminant de la gloire de l’Abbaye, dont il fut le premier réformateur. — En ce tems, plus de 2000 Abbayes, Prieurés, Doyennés, étaient assujettis au chef d’ordre; sans compter plus de 300 Eglises, Colléges, Monastères, seulement associés. — Si maintenant nous nous rappelons l’étendue des possessions de Romainmotier seul, nous comprendrons que l’Abbé de Cluny fût vraiment une grande puissance: car sa volonté devait pénétrer par des canaux innombrables, au cœur de tous les pays de l’Europe, qu’il tenait comme enlacée d’un immense réseau.

Pierre le vénérable, soutint une grande controverse avec les Juifs. — Il combattit encore les Mahométans, et fit traduire le Coran. Il jugeait de la vérité du Christianisme par cette parole: « soyez toujours prêts à rendre raison de votre foi et de votre espérance »; comparée à ce mot de Mahomet: « il vaut mieux tuer que disputer. » — Il s’éleva aussi contre Pierre de Brueys, qui condamnait le baptême des petits enfans; ne voulait ni Eglises, ni autels, ni adoration et vénération de la croix, ni sacrifice de la messe, ni prières, ni aumônes, ni chants pour les morts. Pierre de Cluny adressa sa réponse aux Evêques d’Arles, de Gap, d’Embrun, etc.

Il fut encore en rapport avec Abailard et Héloïse: celui-là mourut pénitent à Cluny.

Citeaux, plus récent que Cluny, se distinguait, comme toute institution naissante, par la sévérité de sa discipline; aussi l’ardeur du caractère de Saint-Bernard l’y jeta. Une controverse avec Cluny s’engagea: Bernard s’y montra fougueux et entraînant, Pierre y mérita, en revanche, son surnom de vénérable, par sa haute raison et sa charité indulgente. — C’était au fond la grande querelle des moines blancs et des moines noirs. — /373/ Ecoutons Pierre de Cluny lui même: « Qui peut souffrir, dis-tu moine noir, qu’une grande partie du monde soit enlevée à notre ordre antique; qu’on préfère les jeunes aux vieux, les blancs aux noirs. – Et toi moine blanc: honneur à nous, penses-tu, qui avons ressuscité un ordre mort; qui montrons au doigt la froideur des vieux moines. — Et voilà, s’écrie Pierre, la véritable cause qui détruit la charité. — Quelle puérile folie de croire que la diversité des couleurs puisse importer au salut. Je n’y vois pas même un sujet de contestation. Moine blanc, tu as revêtu la cuculle et la tunique blanche, pour que le moine noir ne pense point qu’on ne peut être moine que sous la tunique noire. Et toi moine noir, tu as le vieux costume de tes pères » etc.

Le relâchement reproché était vrai. Pierre fait une curieuse peinture de la sensualité des moines: « On les voir errer de lieu en lieu, dit-il, et accourir comme les vautours partout où ils aperçoivent la fumée des cuisines … Ils ont recours à des mets délicieux, royaux, exotiques. Le moine rassasié ne peut plus vivre que de chevreuils, de cerfs, de sangliers: il faut des faisans, des perdrix, des tourterelles, de peur que le serviteur de Dieu ne meure de faim. » 7 — « Combien, disait-il encore, y a-t-il, de frères qui lisent? combien moins qui écrivent? le plus grand nombre ne dorment-ils pas appuyés contre les murailles, ou ne perdent-ils pas leur journée dans de vaines paroles, ou, ce qui est pire, dans de médisantes conversations? » Une réforme était donc nécessaire, Pierre y donna tous ses soins, et il put dire avec vérité avant de mourir: « le Monastère de Cluny est célèbre presque dans tout l’univers, par sa religion, sa discipline, sa sévérité, l’observance parfaite des /374/ règles monastiques. Voilà bien la vigne véritable, qui s’enlaçant au Christ par ses pampres verts, et soigneusement émondée par la main paternelle du jardinier divin, produira beaucoup de fruit. »

Avec Pierre le vénérable finit l’époque héroïque de Cluny. Après avoir été le grand foyer de la vie monastique, il se vit dépassé, ombragé par d’autres branches sorties du même tronc: par les chevaleries religieuses, d’abord, Citeaux, les Chartreux: retours successifs à la sévérité primitive. – Puis, encore, par les Ordres mendians: sorte de protestation élevée contre les richesses des vieux Monastères. — Enfin deux géans, grandissaient toujours, menaçant, non seulement le pouvoir mais l’indépendance même de Cluny: la papauté et la royauté.

Avec l’importance que nous connaissons à Cluny, nous ne serons pas surpris de voir parmi ses Abbés aux 12e et 13e siècles:
Hugues de Blois, fils d’Etienne, roi d’Angleterre
Etienne de Boulogne
Rodolphe de Sully
Guillaume d’Angleterre.
Thibaud de Vermandois, 8
Hugues de Clermont
Hugues d’Anjou, à qui, en 1202, Raymond Comte de Toulouse, fit hommage
Guillaume d’Alsace
Gerold de Flandre
Rolland de Hainault, etc.

On comprend que le triple vœu de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, fut en danger au milieu de tous ces enfans de princes souverains. Le désordre était, en effet, si grand, en 1232, que Grégoire IX proposa de prendre les règlemens de l’Ordre de Citeaux pour réformer celui de Cluny.

Viennent encore: Hugues et Aymard de Courtenay, fils de l’Empereur de Constantinople. /375/

Guillaume de France, petit fils de Philippe Auguste; sous lequel Innocent IV et Saint-Louis, séjournèrent à Cluny (1245), avec une multitude de prélats et de Seigneurs, sans que les moines eussent besoin de déranger leurs habitudes, tant l’Abbaye était vaste.

Puis, deux Yves de Vergy.

Puis, Bertrand de Colombiers, de noblesse bourguignonne (mais qui ne paraît pas avoir appartenu à la famille vaudoise) 9 ; fut élu en 1295. Il termina par un compromis, un différend avec l’Abbaye de Baume, au Comté de Bourgogne, qui ne voulait pas reconnaître l’autorité de Cluny. Il mourut, en 1308, sentant la nécessité d’une réforme.

Le nombre primitif et sacramentel des moines, d’après la règle bénédictine, était de douze, mais il s’accrut bientôt immensément à Cluny, enrichi par les dons innombrables de la dévotion: Sans parler du nombre immense des Monastères liés au chef-d’ordre. — D’autre part l’Abbé électif, était revêtu, à vie, d’un pouvoir dictatorial. — Mais il n’était pas possible que tous les pouvoirs jusqu’au cœur desquels il pénétrait, et par une innombrable milice et par des droits temporels infinis; il n’était pas possible, disons-nous, que l’Episcopat, et la féodalité, et la royauté, et la papauté ne s’élevassent contre cette dictature viagère 10 . A l’intérieur aussi et en dépit du vœu d’obéissance, elle était menacée par la résistance des moines, et par la profonde diversité de Monastères situés en tous climats. — Entre des mains faibles cette dictature devait périr. — Impossible d’ailleurs à l’activité d’Abbés vieillissans, de suffire par des voyages, à maintenir l’ordre dans 2000 Monastères d’Europe et d’Asie. L’Abbé fut donc forcé de convoquer des Chapitres généraux, comme moyen de gouvernement. — Les chefs des divers /376/ Monastères, venaient à Cluny, délibérer sur les mesures à prendre dans l’intérêt de la corporation entière, approuver les aliénations, débattre les condamnations, soumettre les comptes, etc. Ainsi l’autorité centrale se répandait dans les ramifications. L’Abbé était le chef et le lien de l’ordre. Il choisissait les chefs inférieurs (Prieurs): dans les Monastères, même, où les chefs étaient demeurés électifs, ils devaient être confirmés par l’Abbé de Cluny 11 . Ils lui juraient, en entrant en fonctions, obéissance filiale. Ils devaient, sous des peines sévères, assister tous les ans au Chapitre général de Cluny 12 . Et, pour que les liens du centre à la circonférence ne vinssent pas à se relâcher, aucun fonctionnaire, même inférieur, des Couvents divers, ne pouvait se dispenser de venir passer quelque temps au chef-lieu dans la première année de sa nomination 13 .

Les Chapitres naquirent donc de la nature des choses. — L’Abbé Hugues, avait dit: que l’Abbé ait toujours auprès de lui 12 sages frères dont il prendra les avis. Mais ce conseil, l’Abbé était libre, d’abord, de l’écouter ou non. Bientôt les Chapitres devinrent forcés, périodiques, dominateurs. Le moyen, en effet, pour l’Abbé de froisser, sans s’exposer, l’avis de la majorité de ces puissances secondaires? Cette transforma tion de l’autocratie de l’Abbé en aristocratie, était donc immanquable. La supériorité légale des Chapitres sur les Abbés, éclata au 13e siècle, et fut sanctionnée, entr’autres, par Innocent III, Grégoire IX, et Nicolas IV. — Alexandre III, déjà, avait défendu à l’Abbé d’aliéner les possessions du Monastère sans le consentement du Chapitre.

L’énergie dictatoriale de l’Abbé étant ainsi retenue par un frein, le Chapitre général régnait, lors même qu’il n’était pas assemblé, en choisissant des Définiteurs qui, se distribuant les /377/ provinces diverses, examinaient la situation de l’Ordre dans l’intervalle des Chapitres généraux, et leur rendaient compte ensuite eux-mêmes, ou les visiteurs par eux choisis 14 . Ils poussaient leur droit de remontrance et de contrôle jusqu’à l’Abbé lui-même: De là, sans doute, ces fréquentes abdications des Abbés, devant un jaloux examen.

Chose remarquable! la Métropole paraît avoir seule choisi le souverain! Cette élection pouvait se faire: — 1o Par scrutin. — 2o Par inspiration, c’est-à-dire par acclamation unanime. — 3oPar compromis, c’est-à-dire par élection indirecte et à plusieurs degrés.

Quant aux moines:

La flagellation en plein chapitre était quelquefois infligée aux coupables. — Si le condamné se révoltait, les autres moines se jetaient sur lui et l’entraînaient dans une affreuse prison, où il n’y avait ni porte, ni fenêtre et où il fallait descendre avec une échelle 15 .

Une surveillance continuelle était exercée dans le Couvent par des Circateurs.

Le Vendredi-Saint, à l’ouïe de cette parole: ils ont partagé mes vêtemens; les moines s’arrachaient entr’eux des tuniques disposées autour de l’autel.

On dit, encore, que lorsqu’un frère mourait, chaque moine devait coudre un point du suaire.

Dès le 11e siècle il y avait à Cluny, des frères lais, ou convers, que leur ignorance réservait aux travaux corporels; et des hommes libres qui, sous le nom d’Oblats, se dévouaient au service du Monastère: sorte de serfs de dévotion, mais qui gardaient le célibat.

On ne pouvait accepter la profession monastique d’un enfant, /378/ avant l’âge de 20 ans; et nul ne devenait prêtre avant 25 ou 30 ans.

Les règlemens les plus attentifs veillaient à la conservation des biens monastiques. – Mais le droit civil, redoutant l’extrême agglomération de ces propriétés, décréta tout moine inhabile à succéder par fiction légale de mort civile. — L’Abbé Henry de Fautrières, auteur d’une réforme et qui succéda à Bertrand de Colombiers, sanctionna les Camériers préposés par les Définiteurs du Chapitre général à la garde de chaque province 16 , et les Procureurs nommés par les Camériers.

On n’admettait à Cluny, ni boiteux, ni borgnes, ni bossus, ni bâtards.

Les moines errans, enfin, ou Gyrovagues, s’ils n’étaient porteurs d’une permission de l’un des Prieurs de Cluny, étaient arrêtés, reconduits à leur Monastère, et punis: Ces feuilles de route étaient de vrais passe-ports.

On comprend qu’au 14e siècle, entre Crécy, Poitiers, la Jaquerie, les Universités, les Papes captifs à Avignon et l’autorité royale croissant sans cesse, Cluny ne pouvait occuper une grande place.

Les Papes, depuis Avignon, exerçaient une influence prépondérante sur les élections des Abbés, sur celles de Raymond de Bonne, et de Pierre de Chastelux, par exemple 17 , sous lequel la justice abbatiale fut confirmée nominalement par les rois, mais annulée de fait, en la soumettant à l’appel royal: — Il est vrai que l’Abbé devint conseiller d’honneur au Parlement de Paris, et membre de la Cour des Pairs.

Les Papes firent aussi nommer Jaques de Damas-Cosan.

Vint ensuite le Grand Schisme qui fut pour le Couvent un moment de repit, et donna lieu à un léger retour d’énergie et même d’ascétisme. /379/

Mais après Jean de Bourbon, 46e Abbé, élu en 1457, le pouvoir royal domina les élections: Louis XII fit nommer Jaques d’Amboise, à qui succéda, en 1510, Geoffroy d’Amboise. — Puis, en 1529, le roi fit parvenir l’Abbaye de Cluny aux Guise, en commende décidée. — Pillée dans les guerres de religion, cette Abbaye resta néanmoins dans la maison de Lorraine jusqu’à Richelieu, qui s’en fit nommer Abbé en 1627.

Le Prince de Conti, lui succéda.

Puis, Mazarin.

Puis, le Cardinal Renaud d’Este.

Puis, en 1683, elle passa aux La-Tour-d’Auvergne.

Auxquels succédèrent, en 1747, les La-Rochefoucaud, qui la possédèrent jusqu’à la révolution.

Alors tout fut détruit. — Et, chose à jamais regrettable pour les arts! Cette magnifique Basilique bâtie par Saint-Hugues, aussi étendue, peu s’en faut, que Saint-Pierre de Rome et de l’architecture aujourd’hui la plus rare; cette Basilique, disons nous, fut adjugée à l’enchère à la révolution pour la somme de 100,000 livres, et démolie pierre à pierre!! Elle n’existe plus! /380/


II.

ANTIQUITÉS.

Un territoire plat, assez vaste, entouré d’une couronne de collines, se trouve aux confins de trois communes de l’ancienne Terre de Romainmotier, Croy, Arnay et Bofflens. — Deux de ces monticules, au moins, renfermentd’anciens tombeaux. Sur le relief de l’un d’eux, nommé Villar dans d’anciens actes 18 , on a découvert plusieurs rangées longitudinales de tombes très-simples en pierres brutes, se faisant suite les unes aux autres et figurant des sillons. — Partout, dans le voisinage, de nombreux ossements ont été découverts, placés d’une manière irrégulière: ici un squelette isolé, ailleurs un certain nombre réunis. Sous les racines d’un vieux noyer, un squelette d’homme a été trouvé à côté du squelette d’un très-grand cheval. — Les cadavres paraissent avoir été ensevelis au lieu de leur chûte; et quelque nombreux que soient ceux connus déjà, tout porte à croire qu’un nombre non moins grand reste à découvrir encore. — Auprès d’un filet d’eau, un combat très-vif paraît s’être engagé, d’après de nombreuses dépouilles d’hommes et de chevaux 19 . Bref la bataille paraît avoir été importante. /381/

Avec les squelettes, plusieurs lames épaisses, larges et courtes ont été sorties de terre; puis des boucles de buffleterie en cuivre; et beaucoup de plaques de ceinturon, la plupart en fer rongé par la rouille, avec vestiges d’arabesques soit damasquinures d’or et d’argent. Deux en cuivre sont beaucoup mieux conservées: L’une semble offrir une inscription en langage inconnu; l’autre, des hommes et des griffons, en adoration devant une sorte de croix. On a trouvé aussi une espèce de châsse en cuivre, à compartimens remplis de petites pierres colorées, et avec entourage de petits clous d’argent: c’était un ornement sans doute. Une croix d’or avec pierres de couleur enchâssées, rappelle, par sa place sur la poitrine d’un squelette, les ordres de chevalerie. Et la trouvaille d’une monnaie romaine, portant, d’un côté, un quadrige, et sur le revers, les lettres saturn en exergue d’une tête de soldat, est venue compliquer la question 20 . Quoiqu’il en soit, ces débris, les lames et plaques de ceinturon surtout, paraissent appartenir au même peuple, que ceux recueillis en grande abondance auprès de Cheseaux 21 .

D’autres médailles romaines ont été découvertes dans les environs de Romainmotier; et même des instrumens qui paraissent avoir appartenu au culte des Druides 22 . /382/


III.

FAIT GÉOLOGIQUE.

Dans les registres du Conseil de Romainmotier, de l’année 1671 (1 avril), on lit les mots suivans qui mériteraient d’être éclaircis pour l’histoire physique de notre sol: « Ordonné en aumosne à ceux de Novalle rière Grandson, où environ deux cents poses de leur confin et vignoble se sont enfoncées, 6 florins, » etc. /383/


IV.

ARBITRAIRE D’UN BALLIF.

Le Conseil d’Yverdon expose (en 1576): que LL. EE. ayant dempuis l’heureuse conqueste de leur pays de Vaud, confirmé à leurs sujets, mannans (demeurant), et habitans en icelui, plusieurs anciennes libertés; par soin paternel il leur aurait plu adresser lettres expresses au Banderet et Conseil d’Yverdon, pour que, sans respect de personne, ils dussent révéler toutes innovations de leurs Ballifs, afin qu’ordre y fût mis. Or pendant la tenue de leur moderne Ballif, la plupart de leurs libertés ne sont nullement observées, à leur grande perte et appauvrissement de plusieurs gens de bien. — Puis viennent les plaintes. La plupart portent sur actes arbitraires pécuniers et augmentation indue d’émollumens, etc. — Citons la dernière comme exemple: Yverdon avait le pouvoir d’accorder la bourgeoisie à volonté; laquelle notable franchise, dit le diplôme, a été par vos EE. observée jusqu’à présent. Le Ballif, veut rançonner les bourgeois reçus depuis 10 à 12 ans, et défend, dans le même but d’en recevoir de nouveaux sans son commandement. Là-dessus, assemblée des Communes du balliage, et supplication de suspendre jusqu’au résultat d’une requête à /384/ LL. EE. Cette supplication est présentéeau Ballif par le premier Seigneur conseiller d’Yverdon le plus honnêtement possible. « Au contraire de quoi, le dit Seigneur Ballif fâché et irrité, proféra plusieurs propos de mépris et vilipendation, jusques à le prendre par le nez en présence des commis des dites communautés; ce que vos sujets ont trouvé merveilleusement étrange et de grand mépris, et supplient ne permettre telles innovations insupportables, etc. » — La pièce ci-dessus était sans doute la réponse à la demande de Berne (Grenus, p. 273, N. 154), sur les innovations et surcharges du Ballif, dont jusques à présent, disent LL. EE. , avons du tout été ignorans. — On comprend, du reste, que sans dépasser toutes limites, comme dans le fait ci-dessus, les Ballifs pussent souvent commettre avec impunité des actes arbitraires 23 .


FIN DE L’APPENDICE.

 


NOTES:

1 Les détails qu’on va lire sont puisés dans l’ouvrage important de Mr. Lorain, de Dijon. [retour]

2 Système adopté un siècle plus tard par Citeaux. [retour]

3 Mr. Lorain. [retour]

4 Nous trouvons une confirmation de cette rare habileté de l’Abbé Hugues, dans les chartes accordées à Romainmotier, non seulement par des Papes, mais aussi par des Empereurs. [retour]

5 Moi pécheur Hugues, par la grâce de Dieu, Abbé de Cluny, aussi longtems que Dieu voudra que je fasse pélérinage dans le vase de terre que je porte, et jusqu’à ce que le suprême pouvoir m’ait délivré de ces ténèbres, et m’ait remplacé par celui qu’il aura préconnu avant les siècles et ordonné pour le salut de ses élus; je veux, etc. - Cart. de Romainmotier. [retour]

6 Cette Basilique avait plusieurs rapports avec le temple de Romainmotier: Par cet avant-nef, d’abord, dont le but est indiqué, peut-être, par ces mots du Pontifical (ancien) de Châlons sur Saone: « Dans quelques Eglises, le prêtre célèbre la messe sur un autel très rapproché des portes du temple, pour les pénitens placés devant le portail. »
Au-dessus du portail de la grande nef, était une suite d’arcades légères supportées par des pilastres. Celle du milieu servait à éclairer une Chapelle de Saint Michel placée derrière, suspendue dans la grande nef comme les orgues de nos jours, et renfermée en grande partie, sans doute, dans l’intérieur de la muraille massive qui séparait l’avant-nef de la nef principale, mais débordant de six pieds et se terminant en cul-de-lampe dans l’Eglise. Par un double escalier en escargot, caché dans la muraille, on montait à cette Chapelle dont l’autel regardait l’orient. — Quelque chose de très analogue se voit à Romainmotier.
Derrière l’autel matutinal fut placé le tombeau de Hugues. La Basilique était bâtie de l’occident à l’orient, et il fallait descendre de nombreux degrés pour arriver à la nef principale: — Nouveaux rapports avec Romainmotier. [retour]

7 Après ces paroles, comment entendre l’assertion de Mr. Lorain, que dans le congrégations bénédictines, la chair des quadrupèdes était interdite absolument? — Il y a ici un malentendu, sans aucun doute. — En tout cas, très décidément, la chair des quadrupèdes ni celle des oiseaux n’étaient interdites à Romainmotier. [retour]

8 Que nous avons vu. [retour]

9 Il était parent de Guillaume de France, dit Mr Lorain. [retour]

10 Nous ne serions pas étonné que les Monastères fondateurs, en quelque sorte, de Cluny c’est-à-dire ceux qui formèrent le premier noyau de l’ordre (Romainmotier en était), eussent conservé une sorte de prééminence sur les autres. [retour]

11 Il en était ainsi, croyons-nous, à Romainmotier. [retour]

12 Voyez p. 46, l’office du Sommier. [retour]

13 Il semble difficile que ce règlement ne souffrit pas de fréquentes exceptions. [retour]

14 On se rappelle Michel de Barre, et Maxime de Bruel visitateurs délégués par les deffiniteurs du Chapitre de Cluny, dans la fameuse prononciation de 1512 sur l’intérieur du Couvent de Romainmotier. [retour]

15 N’est ce point là l’usage de cet affreux cachot découvert à Romainmotier dans la tour de St-George? [retour]

16 Camériers de province, non de Couvent. Voyez p. 62, le Camérier d’Allemanie et de Lorraine, et pag. 184. [retour]

17 Voyez p. 61 et 62, puis 119. [retour]

18 Aujourd’hui Riondan. [retour]

19 Il y a telle localité où l’on n’a trouvé que des ossemens de chevaux, en Romans par exemple, autre étymologie latine. [retour]

20 Plusieurs de ces objets ont été déposés au Musée Cantonal. [retour]

21 par Mr Troyon: Description des Tombeaux de Bel-Air. [retour]

22 On voyait, il y a quelques années, près d’Envy, une immense pierre en forme de section de cylindre, où l’on découvrit, dans une excavation du pié, plusieurs ustensiles: une sorte de hache entr’autres, d’une forme fréquente chez les Gaulois, et qui probablement avait égorgé des victimes humaines!!
Malheureusement le possesseur n’en connaissait pas le prix: ces ustensiles furent dénaturés, et la pierre brisée. [retour]

[retour] 23 Il existe à Romainmotier deux exemplaires de la requête du Conseil d’Yverdon qui vient de nous occuper, l’un d’où l’on a éliminé toute aspérité, toute plainte personnelle; l’autre plus explicite.
Plusieurs autres actes dépaysés se trouvent dans les archives de Romainmotier:
a) L’original d’une concession de priviléges à Moudon, en l’an 1352.
b) Une copie des franchises accordées au jeu de l’arc, de l’arquebuse, etc. par le Duc de Savoie, en 1527 (voyez Grenus p. 131).
c) La réponse de Lausanne aux commis de Berne, en 1590, sur la paix proposée par le Duc de Savoie: Réponse analogue pour le fond, mais non identique avec celle du reste du pays, citée plus haut.
Ces exemples de déplacement de titres sont un encouragement à fouiller toutes les archives, où, peut-être, des découvertes inattendues seront faites.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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