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Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande

Edition numérique

Jean Joseph HISELY

Recherches critiques sur l'histoire de Guillaume Tell
III. Investigation des sources où les écrivains suisses ont puisé l’histoire de Guillaume Tell.

Dans MDR, 1843, tome 2, troisième livraison, p. 517-542

© 2019 Société d’histoire de la Suisse romande

/517/

III.

INVESTIGATION DES SOURCES OÙ LES ÉCRIVAINS SUISSES ONT PUISÉ L’HISTOIRE DE GUILLAUME TELL.

Les pages précédentes montrent qu’il n’existe point une seule et même tradition concernant le héros d’Uri. Nous en avons plusieurs, entre autres deux qui sont bien distinctes, celles que Melchior Russ et Peterman Etterlin ont transmises dans leurs ouvrages. On remarque entre ces deux traditions une différence telle, qu’il y aurait de la présomption à soutenir, avant de les avoir bien examinées, que l’une émane de l’autre, et qu’elles ont en conséquence une origine commune. Et cependant l’aventure de Guillaume Tell a dû être, comme toute autre aventure, l’objet d’une tradition primitive. Faut-il appeler de ce nom le récit de Russ ou celui de son contemporain Etterlin? Ou bien l’histoire du citoyen de Bürglen a-t-elle été rapportée par un chroniqueur plus ancien, et l’un des deux chroniqueurs précités aurait-il adopté la narration de son prédécesseur, tandis que l’autre l’aurait considérablement modifiée?

Il importe de résoudre ce problème. Il faut suivre les traces de la tradition de Guillaume Tell, afin d’en découvrir la source.

Nous examinerons d’abord si l’histoire de Tell a été racontée par des auteurs du XIVme et de la première moitié du XVme siècle, et nous présenterons les conséquences que l’on peut déduire du résultat de cette enquête, au point de vue des personnes qui n’admettent pas avec une foi implicite la tradition Suisse, telle qu’on la croit dans les Waldstetten.

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§ I. LES FAITS ATTRIBUÉS A GUILLAUME TELL ONT-ILS ÉTÉ TRANSMIS PAR DES ÉCRIVAINS DU QUATORZIÈME ET DE LA PREMIÈRE MOITIÉ DU QUINZIÈME SIÈCLE?

 

On ne connaît aucune chronique antérieure à celles de Melchior Russ et de Peterman Etterlin où les faits dont se compose la tradition de Guillaume Tell aient été enregistrés. Il s’en faut bien que tous les ouvrages historiques écrits par les contemporains de ce héros aient été détruits ou ensevelis dans l’oubli. Il en existe encore un bon nombre. L’auteur de la Fable danoise cite, entre autres annales, celles de Ptolémée de Lucques, de Siffrid, de Stero, de Rebdorf, de Beneventura de Rambaldis. Toutes ces chroniques appartiennent, en effet, au siècle dont nous parlons; mais elles n’embrassent pas une époque aussi étendue que Freudenberger l’a supposé, et elles n’ont point l’importance qu’il a cru devoir leur accorder. Si ces maigres chroniques ne font pas mention de Guillaume Tell, on ne peut tirer de ce silence aucun argument valide contre l’authenticité des faits que la tradition attribue à ce personnage 1 . Freudenberger eût pu nommer encore d’autres anciens /519/ chroniqueurs de l’Allemagne, qui ne disent rien de Guillaume Tell dans leurs ouvrages arides et concis, parce qu’ils n’y destinaient aucune place à l’histoire des pâtres des Alpes, dont ils connaissaient à peine l’existence. Mais si nous sommes peu surpris de ne trouver dans les ouvrages de ces annalistes aucun détail sur l’émancipation des Waldstetten, aucune allusion au citoyen qui en est réputé le principal auteur, nous sommes d’autant plus étonnés de la réticence de quelques historiens laborieux et instruits, qui, semble-t-il, ne peuvent avoir ignoré le nom et les faits héroïques d’un homme que les Suisses envisagent comme un libérateur. Supposons que les événements sérieux qui se pressèrent dans les Waldstetten sur la fin du XIIIme et au commencement du XIVme siècle n’aient pas eu de retentissement au-delà des Alpes; que de pieux cénobites, vivant dans la solitude d’un cloître, aient ignoré les actions courageuses de Tell; supposons encore qu’il n’y ait eu dans ce temps-là aucune voie littéraire par laquelle on pût transmettre à des personnes éloignées le récit des grandes choses dont les vallées des Alpes avaient été le théâtre, ne penserons-nous pas, même dans cette hypothèse, qu’un écrivain voisin de la Suisse alemannique, qu’un chroniqueur, tout à la fois homme de lettres et homme d’affaires, devait nécessairement connaître un montagnard dont l’héroïsme et le dévouement à la patrie avaient opéré une révolution qui portait un coup /520/ sensible à la puissance de la maison de Habsbourg-Autriche? Aussi Freudenberger, Haeusser et d’autres critiques ont-ils été fort surpris de ne trouver, dans l’ouvrage que Urstisen a publié sous le titre de Chronique d’Albert de Strasbourg 2 aucun trait qui rappelât Guillaume Tell, ou qui fit allusion aux faits mémorables que le peuple des Alpes lui attribue. La chronique dont nous parlons n’est point une simple nomenclature de faits et d’individus: c’est un livre riche de détails. L’auteur, contemporain de Guillaume Tell, était attaché au service d’un prélat qui entretenait des relations avec plusieurs villes de la Suisse allemande, et qui prit une part active aux événements de cette époque agitée. Il connaissait l’état politique de la Suisse peut-être aussi bien que celui de l’Alsace. Il rapporte diverses particularités concernant quelques villes de notre pays et les vallées d’Uri, de Schwyz et d’Unterwalden. Tous les détails de la conjuration des nobles contre Albert lui sont connus. Il parle aussi de la bataille de Morgarten. Cet écrivain, comme la plupart des narrateurs du moyen-âge, aimait à raconter des anecdotes, à retracer le souvenir d’une joute, d’un tournoi ou de quelque autre fête publique, pour rompre la monotonie fatigante d’un long récit de troubles, de guerres, de dissentions politiques et religieuses. Or, quelle histoire du XIIIme ou du XIVme siècle eût été plus propre que celle du héros d’Uri à charmer les ennuis d’un lecteur de chroniques? Et cependant, Albert de Strasbourg ne cite pas un trait de cette histoire, dont les détails sont si poétiques et si merveilleux. L’aurait-il omise à dessein pour ne point offenser la maison d’Autriche? Mais comment supposer une pareille complaisance de la part d’un /521/ auteur qui condamne l’avidité du roi Albert 3 qui indique comme principale cause de la guerre du Morgarten le projet qu’avait formé le duc Léopold de soumettre à son frère Fréderic les Vallées, qui relevaient de l’Empire 4 ; qui ajoute que le peuple de Suice détruisit sans miséricorde l’élite de l’armée autrichienne et mit en déroute le reste avec le duc qui se lamentait? Le chroniqueur dont nous parlons avoue franchement qu’à l’époque où il transmettait à la postérité le souvenir de cet événement, les hommes des trois Vallées étaient encore invaincus 5 . Comment suspecter la bonne foi d’un écrivain qui termine le court récit de la sanglante bataille de Morgarten par une réflexion propre à humilier l’orgueil autrichien?

Est-il probable que l’auteur de la chronique que nous venons de citer eût dédaigné d’enrichir son ouvrage de faits aussi remarquables que ceux que l’on attribue à Guillaume Tell, s’ils eussent eu l’importance qu’on leur accorde, et si cet homme eût en effet décidé de la destinée de sa patrie 6 ? Prétendre que cet auteur et ses contemporains ont omis l’histoire de Guillaume Tell, parce qu’ils étaient partisans de l’Autriche, c’est alléguer une mauvaise raison. En effet, en vrais amis de l’Autriche, ces écrivains n’eussent pas manqué de flétrir la mémoire de l’assassin d’un officier du duc Albert.

Pour invalider la conséquence qui découle de ces observations, on m’objectera peut-être que le chroniqueur précité ne parle pas de la conjuration du Grütli. M’opposer cet argument, c’est me tendre un piège, ou tout au moins augmenter le nombre des difficultés que j’essaie de résoudre. Je ne prétends pas expliquer le silence de tel ou tel écrivain sur ce point, et /522/ je ne veux pas remettre en question l’entrevue nocturne des conjurés qui délibérèrent sur les moyens de délivrer leur patrie d’un joug odieux et insupportable. Je ne me permettrai que peu de réflexions à cet égard. Le secret de la réunion solennelle des premiers confédérés devait être inviolable. Il ne fut pas trahi. Les étrangers n’apprirent que fort tard, par des écrivains suisses, que cette conférence avait eu lieu. Voilà pourquoi, si je ne me trompe, les chroniqueurs allemands du moyen âge n’en parlent pas, tandis qu’ils s’étendent sur les actes arbitraires et les licences des avoués que les dynastes de Habsbourg avaient établis dans les Waldstetten. L’insolence de ces petits despotes et l’insurrection des pâtres qui les expulsèrent, sont des faits que la renommée publia dans les pays voisins. Nous sommes d’autant plus surpris de ne trouver, dans les chroniques du temps, aucun souvenir des actions mémorables qui, suivant la tradition, auraient illustré Guillaume Tell.

En effet, d’autres écrivains suisses, ou étrangers, Hämmerlin 7 , Faber 8 , Mutius 9 , rapportent en détail les vexations des avoués de l’Autriche, vexations qu’ils considèrent comme la cause principale du soulèvement des pâtres des Alpes; mais aucun d’eux ne parle ni d’un Tell ou d’un Guillaume, ni de l’histoire de la pomme, ni de la navigation sur le lac, ni de la fin tragique d’un Gessler qui aurait été frappé à mort d’un coup de flèche lancée par un confédéré.

Nous possédons l’ouvrage d’un écrivain suisse, nommé Jean /523/ de Winterthur 10 , qui était écolier dans cette ville lors de la bataille de Morgarten, partant contemporain de Guillaume Tell. Sa chronique est sans contredit une des meilleures du quatorzième siècle. Divers critiques en ont reconnu le mérite. Elle contient le récit des événements qui ont eu lieu depuis le règne de l’empereur Frédéric II jusqu’en 1348. L’auteur a emprunté certains détails à des chroniques anciennes et inédites, d’autres à des relations orales; enfin, il raconte des faits qui se sont passés sous ses yeux 11 . Jean de Winterthur connaissait l’histoire de la Suisse, de l’Allemagne et de l’Italie. Il était assez bien informé de certaines particularités concernant les Waldstetten et de l’origine des démêlés du peuple des vallées de Schwyz avec la maison de Habsbourg. Il raconte les détails de la guerre que les pâtres des Alpes eurent à soutenir contre Léopold. Il décrit avec un soin remarquable la bataille de Morgarten, sur laquelle il avait recueilli des renseignements exacts de la bouche de son père, qui en fut témoin oculaire. Il en parle comme d’un désastre qui atteignit toute la noblesse. Il dit que le soir de cette fatale journée il vit arriver le duc Léopold fuyant, pâle et demi-mort de frayeur. Dans un autre endroit de sa chronique, à propos du cruel supplice du baron de Wart, il compare le duc Léopold au féroce Jéhu. Le moine qui a établi une pareille comparaison, et qui n’a pas craint d’attribuer la mort violente d’Albert à l’insatiable avidité de ce prince 12 , ce moine n’était certes pas enclin à déguiser la vérité /524/ pour complaire à la maison d’Autriche. Jean de Winterthur nous apprend aussi que les héros de Morgarten instituèrent, le jour même de leur victoire, une fête solennelle pour en perpétuer le souvenir 13 . Eh bien! ce chroniqueur qui savait tant de choses et qui aimait à raconter jusqu’à des fables, n’a rien dit de la merveilleuse histoire des deux flèches. Il n’avait donc jamais entendu parler d’un Guillaume Tell, d’un héros dont la mémoire était célébrée par des fêtes publiques dans un pays qui avait des rapports journaliers avec Zurich? Comment expliquer ce silence, si Tell s’est en effet signalé par un acte héroïque, par un acte qui changea la condition politique et sociale du peuple des Waldstetten 14 ?

On n’est pas moins surpris du silence de Conrad Justinger, qui devait connaître la Suisse et son histoire, vu qu’il exerça les importantes fonctions de secrétaire de l’Etat de Berne, d’abord de 1384 à 1393, et pour la seconde fois de 1411 à 1426 15 , année de sa mort. Chargé, en 1420, par son gouvernement, de transmettre à la postérité l’histoire de la république de Berne, sa patrie, il s’acquitta en homme habile de cette honorable mission. Dire que Justinger n’a pas voulu faire mention de Guillaume Tell et de Gessler, parce qu’il ne devait retracer que le souvenir des faits les plus mémorables de l’histoire de son pays, c’est avancer une proposition qui ne peut se soutenir. En effet, la Chronique bernoise de Justinger n’est point une histoire spéciale. L’auteur de ce précieux ouvrage y rapporte plusieurs détails concernant les autres parties de la Suisse. Il consacre plusieurs pages à l’histoire des Waldstetten. Il indique les rapports de ces pays avec l’Empire et avec la /525/ maison de Habsbourg. Il signale les vexations des avoués de cette maison, et les envisage comme les causes de la querelle. Il enregistre les brillantes actions de guerre du 15 novembre 1315. Ce bon patriote est à l’aise en parlant de cette glorieuse journée. On se persuade facilement que Justinger eût volontiers enrichi son livre par le récit des faits héroïques de Tell, s’il les avait connus. Il semble que l’esprit confédéral qui unissait étroitement Berne et la patrie de Tell eût dû suggérer à l’annaliste bernois l’idée de célébrer le héros que Dieu avait suscité chez un peuple voisin et ami pour punir ses oppresseurs. Observons encore que, à la rigueur, on peut compter Justinger parmi les contemporains de Tell, ou que du moins il était dans l’âge mûr à l’époque où cent-quatorze personnes auraient déclaré qu’elles avaient connu le courageux citoyen de Bürglen. Un acte aussi important que l’était cette déclaration solennelle ne pouvait être un mystère pour Justinger. Cependant, on chercherait en vain dans sa chronique un seul mot qui eût trait à l’histoire de Guillaume Tell. Ce silence nous paraît une énigme inexplicable, si tout ce que la tradition rapporte de ce personnage est vrai 16 .

Les défenseurs de la tradition suisse ont cru trouver dans des circonstances locales et dans les guerres presque incessantes des premiers confédérés la raison de la pénurie de chroniques indigènes du 14e siècle. « Nos ancêtres, disent-ils, maniaient plus volontiers la massue, la hallebarde et la hache d’armes que la plume. » D’accord: aussi n’exigeons-nous pas comme preuve indispensable de l’authenticité des faits attribués à Guillaume Tell, que ces faits soient consignés dans des livres d’auteurs contemporains de cet homme, et citoyens d’Uri, de Schwyz, ou d’Unterwalden. Les pactes de 1291 et de 1315, /526/ une foule de lettres et d’autres documents démontrent qu’à cette époque il y avait parmi nos valeureux ancêtres des hommes qui savaient lire et écrire au besoin. « Mais, dira-t-on, dresser des actes officiels et narrer des événements sont deux choses bien différentes. Plus d’un peuple a des archives et n’a pas d’histoire écrite. Il est d’ailleurs possible que les religieux de l’un ou de l’autre couvent des Waldstetten aient écrit l’histoire de Guillaume Tell dans quelque ouvrage qu’on aura détruit. La Suisse a été ravagée par la guerre et par d’autres fléaux: des livres, des archives, nommément celles d’Altorf, ont été la proie des flammes. » Ces raisons ne sont pas décisives, attendu qu’il existe des chroniques d’auteurs étrangers, contemporains de Tell, qui rapportent, comme nous l’avons dit, les causes du soulèvement des pâtres des Alpes, les détails de la guerre du Morgarten, et l’origine de la confédération suisse. Il est vrai que ces écrivains ne nomment pas Stauffacher, Fürst et Arnold du Melchthal. Malgré cela, nous ne concevons pas comment les auteurs des chroniques précitées ont pu passer sous silence, à l’unanimité, le fait héroïque qu’on attribue à Guillaume Tell, fait qui est accompagné de circonstances si remarquables qu’elles auraient dû frapper tous les esprits. L’amour du merveilleux est un trait caractéristique du moyen-âge. Et cependant, l’histoire si poétique de Guillaume Tell n’a laissé aucun vestige dans les annales de ses contemporains! Elle n’est pas rapportée dans la chronique de Zurich de 1479, qui ne cite pas même le nom de Tell 17 . Que peut-on inférer de ce silence? Les défenseurs de la tradition populaire n’en ont tiré aucun argument contre l’authenticité de l’histoire de Tell, tandis que des scrutateurs sévères de la vérité historique ont posé ce dilemme: « De deux choses l’une, ou les chroniqueurs nommés ci-dessus, quoique assez rapprochés du théâtre de l’événement prodigieux dont il s’agit, l’ont ignoré, — ce qui est inconcevable, — ou bien, l’aventure de Tell, grossie et dilatée par l’imagination, se réduit en réalité à un fait isolé de l’ensemble des faits relatifs à l’origine de /527/ la confédération Suisse, à un acte insignifiant, qui ne valait pas la peine d’être cité. »

Exprimer ici notre sentiment, ce serait préjuger la question. En poursuivant nos recherches sans préventions contraires ou favorables à la foi populaire, nous obtiendrons probablement des résultats propres à terminer cette longue controverse historique.

Le professeur Henne, après avoir observé que Tschudi rapporte des particularités omises par d’autres chroniqueurs, telles que le jour de la conférence du Grütli, celui de l’arrestation de Tell, et l’âge de l’enfant sur la tête duquel on posa la pomme, conclut de là que Tschudi a puisé aux premières sources les faits relatifs à l’origine de la Confédération, partant l’histoire de Guillaume Tell. M. Henne ajoute: « Attendu que, à l’occasion du pacte de 1206 18 , Tschudi cite (I, 104) une de ces sources, nous pensons que la même lui a fourni les détails dont se compose l’histoire de Guillaume Tell. Or, cette source était la chronique des chevaliers de Klingenberg, nobles de Thurgovie, dont Tschudi raconte que l’aîné, nommé Jean, qui vivait environ l’an 1240, son arrière petit-fils Jean, qui trouva la mort à Næfels en 1388, et le fils de celui-ci, qui avait le même nom, écrivirent les histoires de leur temps. Dans les Etudes et Notices conservées à la bibliothèque de St. Gall, Tschudi rapporte encore (?) d’autres détails empruntés à Klingenberg 19 . »

L’opinion de H. Henne n’est fondée, on le voit, que sur des apparences. Le nom de Klingenberg ne représente point un seul auteur; l’ouvrage en question était probablement une chronique de famille, contenant les annales et le nobiliaire d’une maison. Si une conjecture, bien que vraisemblable, opposée à une autre qui ne l’est pas, laisse la question indécise, nous combattrons le sentiment de M. Henne par des raisons plus solides. 1o L’âge de l’enfant est un détail que l’on retrouve, avec une petite différence (7 ans au lieu de 6), dans une légende du /528/ Nord, à laquelle les Suisses ont encore emprunté la prétendue distance de 120 pas qui aurait séparé l’archer de son enfant. 2o Les deux dates où Tschudi rapporte la conférence du Grütli et l’arrestation de Tell sont notoirement fausses. 3o Un argument décisif contre l’opinion de M. Henne, c’est que la source première où Tschudi a puisé les aventures de Guillaume Tell n’est point une chronique. — On trouvera ci-après les preuves de ces trois assertions.

L’ouvrage le plus ancien qui fasse mention de Guillaume Tell et de ses aventures, c’est la chronique de Melchior Russ, le jeune, écrivain de la fin du 15me siècle. Russ était issu d’une famille patricienne de Lucerne. Le gouvernement de sa patrie lui confia la charge de secrétaire d’Etat. Il fut du nombre des ambassadeurs que la Confédération envoya à Louis XI en 1476, et de ceux qu’elle députa en 1479 vers Mathias Corvin, roi de Hongrie, qui lui donna une preuve d’estime en le créant chevalier. On dit qu’il perdit la vie en 1499, à Rheinegg, en combattant pour sa patrie 20 ; mais on a des motifs de croire qu’il vivait encore au commencement du 16me siècle. Russ écrivit sa chronique dès la veille de la fête de St. Léger (dès le 1er Octobre) 1482, comme il le dit lui-même 21 . Elle devait comprendre l’exposé sommaire des principaux événements de l’histoire de Lucerne et de la Confédération en général, depuis la fondation du monastère de St. Léger jusqu’en 1482; mais elle s’arrête à l’an 1411. On ignore ce qu’est devenue la dernière partie de ce travail. La chronique de Russ, dont M. Scheller a publié la première partie 22 , est estimée, malgré quelques contradictions, des /529/ anachronismes et d’autres défauts que l’on peut reprocher à l’auteur. Elle renferme des détails précieux, et elle acquiert un nouvel intérêt par les renseignements qu’elle nous donne sur Guillaume Tell. Cependant, il ne faut pas exagérer le mérite de cet ouvrage. Ainsi que d’autres annalistes du moyen-âge, Melchior Russ a copié mot pour mot une bonne partie de la chronique de Conrad Justinger, laquelle était considérée, à ce qu’il paraît, comme propriété commune. Il a emprunté à son prédécesseur, entre autres détails, tout ce qui concerne les Waldstetten. Ainsi que nous l’avons fait remarquer plus haut, il interrompt deux fois la relation de Justinger, d’abord pour citer le fait de la pomme, ensuite pour entretenir ses lecteurs de l’arrestation de Tell, de sa navigation sur le lac, et de la fin tragique du bailli. Après avoir fait ces deux insertions, il poursuit sa copie jusqu’au bout du récit de la bataille de Morgarten. Chose étrange! Melchior Russ rapporte autrement que Peterman Etterlin et Tschudi l’aventure du célèbre archer. Balthasar prétend que « Russ a puisé cette histoire dans une tradition fondée sur d’anciens monuments dont l’authenticité est incontestable. » Nous indiquerons ailleurs la source de cette anecdote. Il suffit pour le moment d’avoir établi, avec une certitude presque entière, que l’histoire de Tell n’a été transmise dans aucune chronique antérieure à celle de Melchior Russ: d’où il suit qu’elle n’a été publiée qu’environ deux siècles 23 après l’origine de la Confédération et que les annalistes du moyen-âge, si avides de faits extraordinaires et de nouvelles intéressantes, ne l’ont pas connue. C’est pourquoi, au jugement de plusieurs critiques, cette prétendue histoire ne serait qu’une fable. /530/

 

§ 2. INDICATION DES SOURCES OÙ LES CHRONIQUEURS SUISSES ONT PUISÉ L’HISTOIRE DE GUILLAUME TELL.

 

Les fouilles que nous avons faites dans le domaine de la littérature historique de la Suisse et de l’Allemagne ne nous ont donné qu’un résultat négatif. Ce n’est point dans des chroniques antérieures à celles de Melchior Russ et de Peterman Etterlin qu’il faut chercher la source où ces deux écrivains ont puisé l’histoire de Tell. Et quand même l’aventure de ce confédéré des Alpes eut été rapportée par le chancelier de Lucerne à qui Russ fait allusion 24 , encore faudrait-il, à la rigueur, remonter au temps du célèbre citoyen d’Uri. A la vérité, Melchior Russ dit plus d’une fois que, pour la composition de sa chronique, il a rassemblé des détails contenus dans des ouvrages anciens, mais il n’en cite pas un seul, que je sache. Si l’aventure de Tell eût été racontée dans un de ces ouvrages, assurément Justinger ou quelque autre écrivain de son temps ne l’eût pas omise. Nous avons déjà fait observer que Melchior Russ a copié textuellement du chroniqueur bernois les détails relatifs aux Waldstetten Uri, /531/ Schwyz et Unterwalden. Lors même que l’on prouverait que Justinger et Russ ont emprunté ces détails à une ancienne chronique, on ne serait point autorisé à conclure de là que l’histoire de Guillaume Tell s’y trouvait. Au reste, il nous est facile de prouver que cette histoire n’était point relatée dans une ancienne chronique. Melchior Russ indique lui-même, d’une manière précise, le monument littéraire qui rappelait l’aventure du héros suisse. Il dit: « Guillaume Tell fut forcé d’abattre d’un coup de flèche un pomme placée sur la tête de son enfant, faute de quoi il eût été mis à mort, comme vous le verrez ci-après dans une chanson 25 . C’est donc dans une ballade ou dans un chant populaire que Melchior Russ a lu cette aventure. Il est permis de supposer que cet écrivain, qui ajouta au récit de la guerre de Sempach la chanson que l’on fit sur la bataille de ce nom, a oublié d’insérer en temps et lieu convenable le Tellenlied, ou que, s’il ne l’a pas omis, ce morceau d’ancienne poésie nationale s’est égaré avec une bonne partie de la chronique de Russ, ou bien qu’on l’en a enlevé. Nous verrons plus tard si cette pièce est décidément perdue.

Une conséquence importante à déduire du passage où Russ a cité le chant de Tell, c’est qu’un seul fait était célébré dans cette pièce, à savoir le fait traditionnel de la pomme. L’aventure de Tell sur le lac était, avec la catastrophe qui la suivit, le sujet d’une autre ballade.

Ces deux chants, réunis dans la suite, formèrent un poème héroïque, auquel on ajouta le récit de quelques événements de l’histoire des Suisses; par exemple, celui de la guerre de Bourgogne. On peut retrouver dans la narration de Melchior Russ des lambeaux de la seconde ballade. Il n’est pas nécessaire de chercher longtemps. La première ligne (p. 65) est un vers:

« Nun merkent eben wie Wilhelm Thell. »

Même mesure dans une ballade encore existante en l’honneur du héros d’Uri: témoin ce vers:

« Nun merckend lieben Eydgnossen gut. »

/532/

Voici un second vers tiré du même récit de Melchior Russ, p. 64:

« Und rufftent alle den Landuogt an. »

J’ai dit que Russ, P. Etterlin et Tschudi ont puisé à une source commune les principaux détails de l’histoire de Tell, et que cette source était un chant populaire. J’appuierai cette assertion de preuves irrécusables, en produisant des vers tirés des récits mêmes de ces trois chroniqueurs. J’en ai déjà montré deux dans M. Russ. J’en indiquerai plus bas encore deux ou trois autres. — Le commencement du récit de P. Etterlin (et de Schedeler) est un vers:

« Nun was ein redlicher Mann im Land. »

On découvre une partie de ce vers dans le passage de Tschudi où se trouvent ces mots: « ging ein redlicher Landman von Uri. »

Tell, ayant refusé de s’incliner devant le chapeau, est dénoncé au gouverneur qui lui demande le motif de sa désobéissance. Le coupable s’excuse;

Chron. d’Etterlin. (Ach) « Herr, es ist angefärde beschechen
wer ich witzig — — — — —
So hiess ich anders dan der Tell
drum gnediger Herr sollen mirs verziehen. »
Chron. de Tschudi. « Das ward Ime Land-Vogt angezeigt.
— — —
Der Tell gab Antwurt: Lieber Herr
— — es ist ungevärd geschechen
Wär ich witzig, hiess ich nit der Tell
(Ich) bitt um Gnad es soll nit mer geschechen. »

[ Schiller, Wilh. Tell, act. III, sc. 3, a emprunté à Tschudi ces deux vers:

« Wär’ ich besonnen, hiess ich nicht der Tell:

Ich bitt’ um Gnad’, es soll nicht mehr begegnen. » ]

Tell, dit la tradition, était un habile archer, et il avait de jolis enfants.

/533/

Chron. d’Etterlin. « Nun was der Tell gar ein gnoter schütz
Hat hübsche kind die jm lieb warent. »
Chron. de Tschudi « Nun was der Tell ein gut Armbrust-Schütz
Hat hübsche Kind die im lieb warent. »

Le bailli fait quérir les enfants de Tell:

Chron. d’Etterlin. « Schickt heimlichen nach des Tellen kind. »
Chron. de Tschudi. « Die beschickt der Land-Vogt und sprach: »

À peine ces enfants sont-ils arrivés que le bailli demande à Tell s’ils sont tous à lui, et lequel il aime le plus.

Chron. d’Etterlin. « Und welches im das liebste war? »
Chron. de Tschudi. « Welches unter denen ist dir das liebst? »

[ Schiller, ibid. a changé ce vers ainsi:

« Und welcher ist’s, den du am meisten liebst? » ]

Tell répond que ces enfants sont à lui et qu’il les aime tous avec la même tendresse:

Chron. d’Etterlin. « Ja gnediger Herr, sy sind alle min
Und sind mir ouch alle glich lieb. »
Chron. de Tschudi. « Herr si sind mir alle glich lieb. »

Le bailli ordonne à Tell d’abattre d’un coup de flèche une pomme placée sur la tête d’un, ou de l’un de ses fils:

Chron. de M. Russ. « Der von den vögten bezwungen wardt
— — das er sim eigen kindt
Ein öpfell ab dem houpt müst schiessen. »
Chron. d’Etterlin. « Dann du wirst diner Kinden eim
Ein öpfell ab dem Houpt (thun) schiessen. »
Chron. de Tschudi. « Da sprach der Land-Vogt: Wolan Tell,
du bist ein guter verrüempter Schütz
— — nun wirst du deine Kunst
Vor mir müssen beweren 26 . /534/
Und diner (lieben) Kinderh eim
Ein öpfell ab sim Houpt (thun) schiessen.
darum hab Acht, dass du jn treffst
dann triffst du jn nit des ersten Schutz
So kost es dich din Leben.
Der Tell erschrack, bat den Landt-Vogt,
Dass er jne des Schutzes erliesse.
 
Der Landt-Vogt sprach: Das must du thun,
Oder du und das Kind (beide) sterben.
Der Tell sach wol, dass ers thun must
Bat Gott dass er jn und sin lieb kind behüte. »

Lorsque Tell eut enlevé la pomme,

« Do nun der Schutz geschechen was. » (Tschudi.)

le bailli, lui demanda pourquoi il avait caché une seconde flèche. Il lui promit la vie sauve à condition qu’il dirait la vérité:

Chron. d’Etterlin. « Tell sag mir nun frölich die warheit
Ich will dich dines Lebens sicheren.
Da sprach Wilhelm Tell, Nun wolan,
(diewil) Ir mich mins lebens gesichret hand
So wil ich üch die warheit sagen.

Le dialogue entre ces deux personnages est en vers dans Tschudi:

Chron. de Tschudi. « Tell, nun sag mir frölich die Wahrheit 27 ,
du söll dins Lebens sicher sin.
Do redt Wilhelm Tell: Wolan, Herr,
(diewil) Ir mich mins Lebens versichret hand,
So will ich üch die Warheit sagen 28

wann ich min Kind getroffen hätte,
dass ich üch mit dem andern Pfyl
on Zwifel nit gefält wolt haben.
Der Landt-Vogt sprach: Non wolan Tell, /535/
Ich hab dich dins Lebens gesichert,
Doch will ich dich führen an ein Ort
Dass du sollt sechen weder Sunn noch Mon
damit ich vor dir sicher sig. »

On découvre des fragments de vers et même des vers entiers dans la suite de la narration de Tschudi. Par exemple, ceux-ci:

« Non was der Tell ein starcker Mann
Und konde vast wol uff dem Wasser. »

En comparant les récits d’Etterlin et de Tschudi, on voit que ces deux écrivains ont puisé l’histoire de Tell à la même source, qui est un poème héroïque. La prose d’Etterlin est moins cadencée que celle de Tschudi, parce que celui-ci a plus souvent que son prédécesseur conservé la construction et la tournure de l’original. Cependant le morceau de Tschudi offre plus d’une phrase qui semble empruntée à Etterlin. Je me borne à une seule citation:

P. Etterlin. « Nun wolhin — ich han dir zugesichert dein Leben — die wil und ich aber verstan dinen bösen Willen — so wil ich fürbas hin sicher vor dir syn und wil dich an ein ende legen das du weder Sunn noch Mon niemer mer sehen solt, » etc.

Tschudi. « Nun wolan Tell: Ich hab dich dins Lebens gesichert, das will ich dir halten, diewil ich aber din bösen Willen gegen mir verstan, so will ich dich füren lassen an ein Ort, und alda inlegen, dass du weder Sunn noch Mon sechen solt, damit ich vor dir sicher sig. »

Schiller s’est bien aperçu qu’il y avait quelques fragments de poésie dans les lignes que je viens de transcrire. Il en a composé les vers suivants [Wilh. Tell, act. III, sc. 3, vers la fin):

« Wohl Tell! Des Lebens hab’ ich dich gesichert;
Ich gab mein Ritterwort, das will ich halten —
Doch weil ich deinen bösen Sinn erkannt,
Will ich dich führen lassen and verwahren,
Wo weder Mond noch Sonne dich bescheint,
Damit ich sicher sey vor deinen Pfeilen. »

/536/

Afin de dissiper jusqu’au moindre doute sur la source où nos chroniqueurs ont puisé l’aventure de Guillaume Tell, je citerai quelques fragments du Drame d’Uri et de deux chants populaires, fragments dans lesquels on trouvera plusieurs vers parfaitement semblables à ceux qu’Etterlin et Tschudi nous ont transmis intacts.

Dans le Drame d’Uri (Ein hüpsch Spil), édit. de 1579, p. 20, le gouverneur demande à Tell:

« Welcher ist dir der liebste Sohn? »

Il retient le plus jeune des enfants, et dit à Tell, ibid. p. 21.

« Bist du ein schütz
als man mir seyt
So sag ich dir auf meinen eydt
Das du must disem kinde dein

Ein öpffel ab seim haupt thun schiessen

Triffst du jhn nit des ersten echutz
Fürwar es bringt dir wenig nutz. »

Les deux derniers vers et un troisième, que je citerai, font partie d’un petit poème que Tschudi et l’auteur du Drame d’Uri ont eu sous les yeux. Tschudi a supprimé le second, apparemment pour éviter la rime; en revanche, il a transcrit, presque dans son intégrité, le troisième, qui n’est pas dans le drame précité. Voici ce vers, tel que Tschudi l’a reproduit:

« So kost es dich din Leben. »

Dans une strophe du petit poème ou du Tellenlied que j’ai en vue, on lit:

« triffst du jn nit des ersten schutz,
fürwar es bringt dir keinen nutz,
und kostet dich dyn läben. »

Cette citation montre comme du doigt la source où Tschudi et l’auteur du Drame d’Uri ont puisé le colloque entre le gouverneur et Guillaume Tell.

En comparant cette demi-strophe avec le passage analogue de Tschudi, on voit que cet écrivain, en supprimant le second /537/ vers, devait nécessairement substituer à la conjonction und, du troisième vers, la particule so, et le pronom es à la terminaison du verbe kostet, afin d’achever convenablement sa phrase.

Il y a dans le Drame d’Uri, p. 21, deux vers remarquables, que j’ai expliqués plus haut. On les retrouve dans les chroniques d’Etterlin et de Tschudi:

« Wer ich vernünfftig, witzig und schnell
So wer ich nit genannt der Thell 29 . »

Dans le même drame, p. 25, Guillaume Tell, pressé par le gouverneur de lui dire dans quelle intention il s’était pourvu d’une seconde flèche, répond:

« So jr mir wend fristen mein läben
So will ich euch die warheit sägen
Die sag ich euch auch vest und gut
Das ich han ghan in meinem mut
Hät ich mein eigen kind erschossen
Ich wölt euch warlich auch han troffen. »

Dans un Tellenlied on lit:

« Er sprach het ich myn son erschossen,
So sag ich üch Herr Landt-vogt gut,
So hat ich das in mynem mut,
Ich wölt üch han getroffen. »

Tschudi a les deux participes getroffen et erschossen. Il diffère d’Etterlin en ce que celui-ci n’a pas le premier de ces participes, mais deux fois le dernier, conformément à une autre ballade, où on lit:

« Hätt’ ich mein Kind erschossen,
Ich hätte dich, mein Landvogt gut,
Wie ich beschloss in meinem Muth,
Wohl auch geschwind erschossen »

Ces fragments, comparés avec des passages analogues des /538/chroniqueurs suisses, montrent de la manière la plus claire et la plus nette que ceux-ci ont emprunté l’aventure de Guillaume Tell à des chants populaires. Je pourras indiquer encore dans Etterlin et dans Tschudi des lambeaux de vers, qui sont reconnaissables, non-seulement au rythme, mais aussi à certains mots que l’on retrouve dans le Drame d’Uri et dans les ballades que le temps a respectées. Mais, à quoi bon multiplier les citations, puisque nous avons produit des preuves qui ne laissent plus subsister aucun doute sur la nature et la forme du document original où nos chroniqueurs ont puisé l’histoire du héros des Waldstetten.

Si, dans l’appréciation des chants populaires dont il s’agit, on n’avait égard qu’à l’orthographe des mots et à certaines formes du langage, on tirerait de cette observation incomplète un argument qui n’infirmerait point l’opinion des personnes qui pensent que ces petits poèmes sont d’une époque antérieure au 15e siècle.

Expliquons-nous. Les Tellenlieder que l’on connaît aujourd’hui sont des éditions nouvelles de ballades anciennes qui ont été retouchées, corrigées et augmentées. Réduites au nombre de strophes qui étaient destinées à célébrer les actions du héros d’Uri, ces ballades rendent, sous une forme moins antique, les idées et les faits qu’exprimaient les chants originaux. Il est même probable que ces poèmes, à l’exception du Tellenlied composé par Muheim, n’ont subi d’autre changement que dans l’orthographe. Ce qui me confirme dans cette opinion, c’est que parmi les vers que nos chroniqueurs ont tirés d’anciens chants populaires, il en est plusieurs qui sont parfaitement semblables à ceux que j’ai cités des ballades que nous possédons.

Une autre preuve de la justesse de mon observation, c’est que les vers dont je viens de parler se retrouvent dans le Drame d’Uri. Faut-il s’en étonner? Jacob Ruef, à qui j’attribue cet ouvrage, a puisé aux mêmes sources que nos chroniqueurs les détails qui composent le fonds de son œuvre dramatique, c’est-à-dire dans les chants populaires qui conservaient le souvenir des aventures de Tell. Le Drame d’Uri n’était que le /539/ développement d’une pièce plus ancienne, à laquelle un poème héroïque avait servi de base 30 . Ce poème était composé, selon toute apparence, de deux chants. L’un de ces chants, cité par Melchior Russ, rappelait le fait légendaire de la pomme; l’autre, dont nous avons produit plusieurs fragments, contenait la seconde partie de l’histoire de Tell. Les deux aventures du citoyen de Bürglen furent jadis représentées au pays d’Uri.

Dans l’opinion des pâtres des Alpes, Guillaume Tell était tout à la fois le sauveur de la liberté et le patron des archers. Il était donc naturel que le peuple aimât à le fêter par des jeux et des comédies, et que l’histoire de ce personnage qui l’intéressait plus qu’aucune autre, fût chantée par des ménestrels. /540/ En effet, aux fêtes du tir, un histrion, un ménestrel 31 célébrait les actions mémorables du héros national. Dans la suite, à un événement du passé il ajoutait des histoires incidentes, ou des faits nouveaux, et il rassemblait ainsi les matériaux d’une pièce de théâtre. Nous possédons un poème, qu’un héraut du tir, nommé Jérome Muheim, du canton d’Uri, a composé sur un ancien Tellenlied. L’auteur a augmenté l’original d’un grand nombre de strophes, et il en a même changé le mètre, de manière que l’on pût chanter le nouveau Tellenlied sur un air national des Pays-Bas. Dans ce poème, l’action principale est accompagnée de tous les faits accessoires jusqu’à la bataille de Morgarten inclusivement 32 .

Une autre ballade, plus ancienne que celle de Muheim, se compose de la légende de la pomme et du récit de la guerre de Bourgogne. Il suffit d’en retrancher la seconde partie pour retrouver soit une copie, soit l’original du chant héroïque cité par Russ, de ce poème tant regretté, dont la perte est cependant plus apparente que réelle. Au surplus, les vers du Tellenlied primitif se sont conservés, du moins en bonne partie, dans d’autres ballades, ainsi que dans l’œuvre dramatique de Ruef et dans les récits de nos anciens chroniqueurs.

Ceux-ci (nous pouvons le dire avec assurance) ont puisé dans des chants populaires les aventures de Guillaume Tell. Cet homme était l’objet de la reconnaissance et de la sympathie d’un peuple qui voyait en lui le défenseur, le martyr et le héros de la liberté. Serait-il étonnant que, dans leur enthousiasme, les /541/ montagnards d’Uri eussent paré leur idole de quelque ornement poétique? Il n’est aucun peuple dont l’histoire primitive ne soit entourée des prestiges de la poésie. Il n’en est aucun dont les faits, accomplis dans l’enfance de sa première ou de sa seconde civilisation, ne soient cachés sous l’enveloppe du merveilleux; aucun dont les premières sources historiques ne consistent en récits qui ont passé de père en fils, et de bouche en bouche, — en ballades destinées à célébrer les actions d’héroïques aïeux, et en monuments érigés, en leur honneur ou en mémoire des choses qui leur étaient arrivées. À part les documents qui indiquent les rapports des pâtres des Alpes, soit entre eux, soit avec l’Empire et des seigneurs, les sources de l’histoire des fondateurs de la liberté des Waldstetten, ce sont des chants populaires, des chapelles et la tradition orale, qui devint une seconde religion chez un peuple simple et isolé.

Les réflexions du célèbre A. W. de Schlegel, à propos de Jornandes et de Paul Diaconus, sont applicables à Melchior Russ, à Peterman Etterlin et à Tschudi. « … La fiction s’est introduite dans l’histoire: nos chroniqueurs sont remplis de récits puisés dans les poésies nationales. Les savants modernes souvent n’ont su dire autre chose, sinon que tel ou tel événement, rapporté par un historien du moyen-âge, est fabuleux et contraire aux faits constatés. Il fallait expliquer comment des historiens qui, presque toujours, font preuve de bonne foi et quelquefois de bon sens, ont pu raconter des choses aussi incroyables. Le mot de l’énigme est que les récits en question sont des extraits de poésies populaires … L’historien était imbu de l’opinion de ses compatriotes, qui croyaient tout de bon aux fictions héroïques, dans lesquelles il y avait en effet un fond de vérité 33 . »

Ces lignes remarquables expriment ma pensée et résument le jugement que je porte de nos chroniqueurs. Nous connaissons les sources où ces écrivains ont puisé les faits que l’on attribue /542/ à Guillaume Tell. On ferait assurément de vains efforts pour découvrir d’autres preuves écrites que celles que nous avons indiquées. Si respectables que soient ces preuves, elles ne suffisent pas pour constater toutes les parties de l’histoire du célèbre archer d’Uri. Le dépôt de la tradition se compose de souvenirs que le temps a altérés, et de fictions que l’imagination a créées. Les souvenirs de faits réels s’enrichissent de détails étrangers que le peuple recueille et ajoute aux premiers. Si l’histoire héroïque de Guillaume Tell était sans mélange, elle serait une exception.

Nous allons discuter ici les divers détails de cette histoire, à l’exception du trait de la pomme, qui sera l’objet d’une enquête spéciale.

 


Notes:

 

1 Outre une histoire ecclésiastique, qui s’étend de la naissance de J. C. jusque vers l’an 1312, Ptolémée de Lucques (Ptolemaeus Lucensis, episcopus Forcellensis) a écrit de courtes annales, breves annales, comprenant on espace de 242 ans, de 1061 à 1303. L’auteur passe rapidement d’une année à l’autre: il ne parle, en général, que d’affaires relatives à l’Italie, et il se borne, quant à l’Allemagne, à indiquer la succession des rois. On cite quelque part son Catalogus Imperatorum ou Chronicon Pontificum atque Imperatorum, ouvrage qui n’était pas imprimé du temps de Fabricius (Biblioth. mediae et inf. Latinit. L. XVI, p. 20, sq.

Siffrid a écrit un épitome en deux livres: Siffridi presbyteri Misnensis Epitomes libri duo ab anno 458 ad ann. 1307. Ce travail, de 22 pages in-folio, est peut-être l’abrégé d’un plus grand ouvrage, qui n’a jamais été publié. On y trouverait, je pense, aussi peu de renseignements sur Guillaume Tell, et en général sur les habitants des Waldstetten, que dans mainte autre chronique allemande.

Stero est l’auteur d’un opuscule ou d’un compendium de 26 pages, où il ne faut chercher aucun détail historique: Hainr. Steronis transcripta ex Chron. Cœnobii sui, rerum sub Imper. Rudolpho, Adolpho, Alberto, Henrico VII, ab anno 1266 usque ad annum 1300 gestarum, Ulric et Conrad Welling ont continué cet ouvrage jusqu’à l’année 1334; ils ont consacré quinze pages à une période de 34 ans, si riche en faits divers. Pourquoi ces écrivains auraient-ils parlé de Tell, puisqu’ils ne mentionnent pas même la bataille de Morgarten?

Suivent les Annales Hainr. monachi in Rebdorff, rerum ab anno 1295 sub Adolpho, Alberto, Friderico, Ludovico Bavaro, Carolo IV Imp. usque ad annum. 1362 gestarum. L’auteur consacre une bonne partie de son livre à la vie de Louis de Bavière, et dans 45 pages il embrasse l’histoire de 67 ans! Enfin, l’opuscule intitulé: Benevenuti de Rambaldis — liber Augustalis (latin) contient dans 16 pages les biographies des empereurs romains, de Jules-César jusqu’à Maximilien! [retour]

2 Suivant Haller (Bibl. der Schweiz. Geschichte. t. V, p. 18-19.) la chronique intitulée Alberti Argentinensis chronicon a Rudolpho Habsburgico 1270 ad annum 1378, se compose de deux parties, dont la première, jusqu’au milieu du XIVme siècle, est l’ouvrage de Mathias de Neuchâtel ou de Novo Castro, chapelain de Berthold de Buchegg, évêque de Strasbourg (de 1328 à 1353), et la seconde, la continuation de cette chronique par Albert, qui vivait à la cour épiscopale de Strasbourg. [retour]

3 « Albertus rex monoculus, potens in regno Alemanniae, et inibi filiis suis omnia quae potuit attrahens, partes alias non curavit » Albert. Arg. Chron. ap. Vrstis. p. 111. [retour]

4 « Lupoldus … ascendit cum magno exercitu versus Suiciam, volens fratri villas illas, quae sunt de jure Imperii, subjugare. » Id. ibid. p. 119. [retour]

5 « Sicque valles illae post adhuc stant invictae. » Id. ibid. [retour]

[retour] 6 Cf. Haeusser, dans les annales littéraires de Heidelberg, (Heidelb. Jahrb der Litt.) cahier de mai 1842, p. 415.

7 Fel. Hämmerlin (Malleoli) Dialog. de Suitensium ortu, nomine, confoederatione, In Thes. Hist. Helvet. [retour]

8 Fel. Fabri Histor. Suevor. libri duo, ap. Goldast. [retour]

9 H. Mutii Chronica de Germanorum prima origine, moribus, pace et belle gestis etc. ap. Pistor. T. II. Francof. 1584.

Hämmerlin et Faber écrivirent au XVme siècle, Mutius au commencement du XVIme, mais nous pouvons les citer ici tous les trois, parce qu’ils ont compilé des chroniques anciennes. Mutius dit positivement qu’il en a consulté plusieurs. [retour]

10 Johannis Vitodurani chronicon, in Thes. Histor. Helvet. [retour]

11 Nous avons insisté dans nos deux mémoires précédents sur l’importance de la chronique de Jean de Winterthur. Le savant Eccard, in Corp. script. med. aevi, T. I. praef. XXIV, parle de cet ouvrage en ces termes: « Opus egregium et eo maioris aestimandum, quod auctor priora ex chronicis nondum vulgatis et relatione hominum fidorum, posteriora vero visu proprio et auditu vel communi voce et fama celebri accepta, distincte in litteras retulerit. » Cf. Haller, Bibl. der Schw. Gesch. T. V, p. 19. Haeusser, Die Sage vom Tell. p. 20 et suiv. Aschbach, Heidelb. Jahrb. der Litt. 1840. No 32. p. 512. [retour]

12 « Hunc regem Albertum fama vicio avaritiae nimis excessive irretitum testatur: nam tantum lucris et rebus temporalibus inhjavit, quod castra civitatis et oppida suorum consanguineorum sibi indebite usurpavit, quod causam ante tempus morti suae dedit. » [retour]

13 « Illa die (Swicenses, les Suisses) pro triumpho a Deo habito diem festum, feriamque solemnem singulis annis in perpetuum recolendam statuerunt. » [retour]

14 Cf. Haeusser, die Sage vom Tell, l. c. et Heidelb. Jahrb. cah. de Mai et de Juin 1842. p. 413-415. [retour]

15 Voy. la préface de J. R. Wyss, éditeur de la chronique de C. Justinger. [retour]

16 Le Dr W. B. Mönnich (über das Geschichtliche und Glaubwürdige in der Sage vom Tell,) a essayé (p. 6) de donner la raison du silence de Justinger, en disant que le gouvernement de Berne ayant institué des baillis, craignait que ses sujets ne lussent l’histoire des deux flèches. M. Haeusser a pris la peine de réfuter cet argument. Voy. Heidelb. Jahrb. ibid. p. 416 et suiv. [retour]

17 Voy. I. A. Henne, Schweizerchronik, édit. de 1840. T. I, p. 323. [retour]

18 Voy. l’Essai sur les Waldstetten, p. 142. [retour]

19 « Ex Clingenberg. » Henne’s Schweizerchr. ibid. p. 325. [retour]

20 Voy. J. Schneller, sur la chron. de M. Russ; Avant-propos, p. XXI et suiv. [retour]

21 Melchior Russ affirme qu’il commença d’écrire son ouvrage à l’époque que nous venons d’indiquer. Dans la préface dédicatoire il nomme les douze cantons qui en 1501 formaient la Confédération. M. le Col. Wurstemberger (note ms.) infère avec raison de ces deux circonstances que M. Russ composa la dédicace après avoir achevé la chronique, et qu’il vivait encore au commencement du 16me siècle. [retour]

22 Melker Russen des Jüngeren, Ritters und Gerichtschreibers, Eidgnössische Kronik. Herausgegeben von Joseph Schneller. (Dans les mémoires du Schweizerische Geschichtforscher, t. IX, 2e cah.) Bern, 1834.
L’avant-propos de l’éditeur (écrit en 1832) offre plusieurs détails intéressants. [retour]

23 Plus exactement: 186 ans, intervalle de 1296 à 1482; c.-à-d. de l’année où, selon nous, la Confédération fut fondée à celle où M. Russ commença d’écrire sa chronique. [retour]

24 Melchior Russ parle, dans sa préface dédicatoire, d’un « prudent chancelier qui a transmis à la postérité les belles actions des Lucernois et les pertes qu’ils ont faites au dehors. » Comme il entend par guerres extérieures celles de Bourgogne, il est probable que, dans le passage que nous venons de citer, il s’agit du père de notre auteur, c’est-à-dire de Melchior Russ l’aîné, secrétaire de Lucerne, qui avait décrit la guerre de Bourgogne et qui mourut en 1493. (Voy. Schneller, dans l’avant-propos en tête de la Chron. de M. Russ le jeune, p. VI et VII, et Haller, Bibl. der Schw. Gesch., T. IV, p. 163 et V. p. 70). D’autres pensent que le chancelier en question était le bachelier ou maître-ès-arts Egloff Etterlin, ou egolfus etterly, de Brugg, qui, nommé en 1427 aux fonctions de secrétaire de Lucerne, les exerça pendant quinze ans, et mourut dans la seconde moitié du 15me siècle. On a de lui on recueil inédit de documents et de faits mémorables, qui est connu sous le nom de Livre d’argent, (Silberin Buch), parce que ce MS., recouvert de velours bleu et blanc, est garni en argent. La préface de cet ouvrage porte la date de 1433. Il n’y est pas question de G. Tell, et il est fort douteux qu’Egloff Etterlin ait raconté dans un autre livre l’aventure de ce héros. (Voy. Schneller, l. c. p. XIII, et Haller, ibid. t. IV, p. 163 et VI, p. 330 et suiv.). [retour]

25 Voir le texte ci-dessus, dans la IIe Partie. [retour]

26 Schiller, Wilh. Tell, act. 3, sc. 3.
— — — — « so wirst du deine Kunst
Vor mir bewähren müssen. » [retour]

27 Schiller, ibid.
« Sag’ mir die Wahrheit frisch und fröhlich, Tell! » etc. [retour]

28 Schiller, ibid.
« Weil Ihr mich meines Lebens habt gesichert,
So will ich Euch die Wahrheit gründlich sagen, » etc. [retour]

29 Dans le Drame d’Uri (édit. de 1579), Guillaume Tell allègue cette excuse après que le gouverneur l’a condamné à tirer sur la tête de son enfant; dans nos chroniques, au contraire, il la prononce immédiatement après que Gessler lui a demandé le motif de sa conduite à l’égard du chapeau. Cette différence est peu importante. [retour]

30 Dans mon Essai, p. 134 et suiv., j’ai donné sur le Drame d’Uri des renseignements que je suis heureux de pouvoir compléter ici. J’ai d’abord supposé que l’édition princeps de ce précieux monument littéraire du 16e siècle était celle de 1579, qui est préférable à tous égards à l’édition incorrecte de 1740. Elle a pour titre: « Wilhelm Thell. Ein hüpsch Spil gehalten zu Vry in der Eydgnoschafft, von Wilhelm Thellen jhrem Landtmann, vnnd ersten Eydgnossen. — Getruckt zu Basel, bey Samuel Apiario. 1579. » 48 p. in-8o avec 19 gravures en bois. Ce drame est moins une nouvelle édition qu’un nouvel ouvrage sur un sujet que l’auteur avait déjà traité. Sans altérer le fond, il changea et réforma le plan d’un drame plus ancien, dont voici le titre: « Ein hüpsch vnd lustig Spyl vorzyten gehalten zu Vry in dem loblichen Ort der Eydgnoschafft, von dem frommen vnd ersten Eydgnossen Wilhelm Thellen jrem Landtmann. Yetz nüwlich gebessert, corrigiert, gemacht vnn gespilt am nüwen Jarstag von einer loblichen vnn junge burgerschafft zu Zürich, im Jar als man zalt MDXLV. Per Jacobum Ruef urbis Tigurinae Chirurgum. » Ce drame parut à Zurich, chez Augustin Friess, en 1548. (Il a été réimprimé sur l’exemplaire de la bibliothèque royale de Munich, et publié par le Dr Fréd. Mayer, qui l’a enrichi d’une introduction et d’un vocabulaire. Pforzheim, 1843). — Le titre que je viens de transcrire enseigne, 1o que l’auteur du Drame d’Uri s’appelait Jacob Ruef, 2o que ce drame fut représenté à Zurich le premier jour de 1545, et 3o que l’auteur avait refondu une pièce plus ancienne. En effet, Ruef avait composé, en 1542, un drame en vers, dont le sujet était, comme celui du Hüpsch Spil, l’origine et le déclin de la confédération suisse (Voyez Haller, Bibl. der Schw. Gesch., tom. V, page 145 et suiv., no 494 ), et antérieurement il avait écrit, en latin, une pièce intitulée: « Comœdia de Wilhelmo Tellio. (Haller, ibid., p. 23, no 66). De cette comédie sont nés les drames dont j’ai indiqué les différentes éditions.

Jacob Ruef a sans doute connu la chronique de Peterman Etterlin, qui parut imprimée à Bâle en 1507. Il peut lui avoir emprunté quelques-uns des détails qui composent le fonds de sen œuvre dramatique: mais à coup sûr il a puisé aussi à la source commune, à savoir, dans la tradition orale, et dans les chants populaires, dont j’ai retrouvé des fragments dans les Drames d’Uri.[retour]

31 Prœco, Pritschenmeister. [retour]

32 Voir ce poème dans la dernière partie de notre ouvrage. [retour]

33 Observations sur la langue et la littérature provençales, par A. W. de Schlegel. Paris 1818, p. 92, cité par J. L. Ideler, die Sage von dem Schuss des Tell, page 102. [retour]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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