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Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande

Edition numérique

Jean Joseph HISELY

Recherches critiques sur l'histoire de Guillaume Tell
I. Introduction

Dans MDR, 1843, tome 2, troisième livraison, p. 431-486

© 2019 Société d’histoire de la Suisse romande

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I.

INTRODUCTION

Les monuments que le peuple des Alpes a consacrés à la mémoire de Guillaume Tell semblaient mettre à l’abri du doute les actes d’héroïsme qu’on attribue à ce personnage, et confirmer une tradition qui est en vogue non-seulement dans les vallées d’Uri, mais encore dans les autres parties de la Suisse, et même au-delà des limites de la Confédération. Quand la louange d’un homme est dans la bouche du peuple, elle se répand avec rapidité et s’accrédite en se propageant. Les chroniqueurs du 15me et du 16me siècle appuyèrent de leur autorité la tradition de Guillaume Tell, et long-temps elle fut comme sanctionnée par la conviction publique. Cependant, malgré le respect dont elle était entourée, elle ne pût prendre racine dans tous les esprits. Il y a, en effet, dans cette tradition, je ne sais quoi d’extraordinaire et d’étrange qui a pu ébranler la croyance de certains hommes peu admirateurs du merveilleux. Ceux-ci, toutefois, n’osaient pas manifester leurs doutes, de crainte d’offenser l’amour-propre national; ou bien ils n’exprimaient leurs pensées qu’avec circonspection, dans une controverse entre amis, dans une lettre confidentielle, ou dans quelque note qui, probablement, n’était pas destinée à l’impression. Plus d’un écrivain, peut-être, semblait admettre publiquement une opinion qu’il ne pouvait soutenir dans le cercle étroit des érudits. Tel fut, par exemple, François Guillimann. Cet écrivain judicieux a inséré les diverses parties de l’histoire de Guillaume Tell dans son ouvrage De Rebus /432/ Helveticis, qui parut sur la fin du 16me siècle. Dans sa préface dédicatoire, il dit qu’il a exposé l’origine et le développement des libertés et des institutions des Etats Confédérés, sans admettre des rapports fabuleux 1 . Malgré cette déclaration, qui paraît sincère et positive, Guillimann envisageait l’histoire de Guillaume Tell comme un mélange de fictions et de faits probables, ou plutôt comme une vérité de convention qui ne supporte pas l’examen; car il révoquait en doute jusqu’à l’existence du personnage dont le peuple Suisse honorait la mémoire comme celle d’un libérateur.

Invité par Goldast à s’expliquer clairement sur ce point, Guillimann lui écrivit le 27 Mars 1607: « Vous me demandez ce que je pense de l’histoire de Guillaume Tell? Voici ma réponse. Quoique dans mes Antiquités helvétiennes je me sois conformé à la foi populaire en rapportant certains détails, cependant, à vrai dire, quand j’y regarde de près, tout ce récit me paraît une pure fable. Ce qui me confirme dans mon opinion, c’est que jusqu’ici je n’ai rencontré aucun écrivain, aucune chronique antérieure au 16me siècle, qui fasse mention de cet événement. On dirait que tous ces détails ont été inventés dans le but de fomenter la haine (des Confédérés pour l’Autriche). Apparemment cette fable a pris son origine dans une façon de parler du vulgaire, qui, voulant donner une haute idée de l’habileté d’un archer, dit qu’il abattrait d’un coup de flèche une pomme placée sur la tête de son fils sans le blesser. Les Uraniens eux-mêmes ne sont pas d’accord entre eux sur l’endroit qu’habitait leur prétendu héros: ils ne sauraient donner aucun renseignement sur sa famille, ni sur sa postérité, tandis que la plupart des autres familles de ce temps-là existent encore. Je pourrais alléguer d’autres raisons qui rendent cette histoire suspecte. Mais à quoi bon vous arrêter en pareille matière 2 ? »

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Goldast partageait, du moins jusqu’à un certain point, les doutes de l’historien que nous venons de citer. Il proposa une objection à Marc Widler, pasteur à Kilchberg (ou Kirchberg) dans le canton de Zurich. Widler lui fit, le 1er mars 1608, cette réponse insignifiante: « Vous dites que les anciens écrivains n’ont point parlé de Guillaume Tell. Faut-il s’étonner de ce silence? Ignorez-vous que le siècle où vivait ce personnage était un siècle de barbarie, et que les premiers Confédérés étaient odieux aux étrangers 3

Quelques années plus tard Grasser publia son livre des Héros Suisses 4 . Ce compilateur sans esprit de critique a été peut-être le premier à faire remarquer certains traits de ressemblance entre Tell et Toko dont Saxon-le-Grammairien a raconté l’aventure 5 ; mais il n’a pas eu l’intention de faire le parallèle de ces deux faits prodigieux: il n’a point conclu de leur analogie frappante que l’un fût la copie de l’autre. Il les a simplement mis en regard 6 . Néanmoins ce rapprochement a suffi pour affaiblir la croyance de plusieurs personnes à l’authenticité de l’histoire de Guillaume Tell.

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Dans la seconde moitié du même siècle, un écrivain distingué, J. H. Rahn, après avoir raconté, dans sa grande chronique, l’histoire de Tell, suivant la tradition, exposa les motifs qui lui faisaient envisager cette histoire comme suspecte ou fabuleuse 7 . Rod. Hess, secrétaire de Zurich, en soutint l’authenticité dans une dissertation qui n’a pas été publiée. G.-E. de Haller, qui eût profité du travail de Hess, s’il contenait des arguments péremptoires en faveur de Guillaume Tell, se borne à dire que « l’auteur a écrit une défense intéressante de cet homme célèbre 8 . »

Le premier écrivain qui depuis révoqua en doute l’authenticité de l’histoire de Guillaume Tell, c’est Jac. Christ. Iselin. Dans son dictionnaire historique 9 , il ajoute au récit de l’aventure de Tell, les réflexions suivantes: « Quoique plusieurs écrivains modernes racontent cette histoire, cependant elle n’est point à l’abri du doute; car, 1oles anciens annalistes n’en font pas mention; 2o Olaus Magnus et, après lui, d’autres historiens ont rapporté une aventure semblable d’un certain Tocho, aventure qui doit avoir eu lieu sous le règne de Harald, roi de Danemark, par conséquent plusieurs siècles avant que les Suisses fussent exposés aux vexations des avoués de l’Autriche. On remarque entre les deux récits une conformité telle que l’on ne peut s’empêcher de croire que l’un a été calqué sur l’autre. Toutefois, nous ferons observer que l’histoire de Tocho remonte à une époque fort éloignée et que, si nous sommes bien informé, elle n’a été rapportée par aucun auteur contemporain. »

Un peu plus tard, un autre membre de cette famille célèbre dans la république des lettres, Jean Rod. Iselin, éditeur de la chronique du Tschudi, publia, dans une note relative à /435/ Guillaume Tell, quelques observations dans le but de combattre les arguments de Guillimann et d’infirmer l’opinion de l’auteur du dictionnaire que je viens de citer. Je traduirai ses remarques, parce qu’elles donnent en quelque sorte la mesure de la critique historique à l’époque où cet homme de lettres a vécu. « Malgré les raisons alléguées par Guillimann, dit-il, je ne saurais envisager comme fabuleuse l’histoire de Guillaume Tell. Il se peut, à la vérité, qu’on l’ait parée de quelques ornements, toutefois, même dans cette hypothèse, on n’est point autorisé à la rejeter toute entière. L’Histoire, en particulier l’histoire du moyen-âge, ne renferme-t-elle pas une foule de traits qui nous paraissent incroyables et que nous admettons malgré cela, quelquefois par respect pour la mémoire du personnage à qui on les attribue. Je pense, comme Widler, que si l’histoire de Guillaume Tell n’est pas enregistrée dans les annales contemporaines, il faut chercher la cause de cette omission dans l’ignorance du siècle où se forma la Confédération Suisse. Il y a des gens pour qui l’histoire de Guillaume Tell n’est qu’une fiction, parce qu’elle a des traits de ressemblance avec l’aventure de Tocho, racontée par Olaus Magnus (Hist. septent. gent. lib. XV, c. 4). Croira-t-on que le peuple d’une contrée septentrionale ait transmis aux habitants des Alpes une pareille aventure? Cela est d’autant moins probable que jusqu’ici l’histoire de Guillaume Tell a été jugée vraie par tous les Suisses et racontée par leurs écrivains. D’ailleurs, Olaus Magnus a débité tant de fables qu’on peut le soupçonner d’avoir copié quelque histoire Suisse et attribué au guerrier scandinave une action dont Tell est le héros. Werner Schodeler, Suisse d’origine, a raconté ce fait dans sa chronique environ un siècle et demi avant Olaus Magnus, et il l’attribue à Guillaume Tell. Or, personne n’a suspecté la bonne foi de cet écrivain. Etterlin, Guillimann, Tschudi et d’autres se sont servis avec confiance de sa chronique. Voilà, il me semble, une forte preuve de la vérité de cette histoire 10 . »

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Je m’abstiens de toute réflexion sur le contenu de cette note. Ce n’est pas ici le lieu d’apprécier les arguments de l’auteur. Je dirai seulement qu’il s’est trompé lorsqu’il a cru qu’Etterlin a puisé dans la chronique de Schodeler. Celui-ci, au contraire, a copié Etterlin.

Le 8 juillet 1737, Fréd. Zuinger, candidat à la chaire d’histoire vacante à l’université de Bâle, soutint quelques propositioos en latin, dont la douzième, qui remplit à peu près la huitième et dernière page de son opuscule, a pour objet Guillaume Tell. L’auteur de cette thèse ne défend ni ne rejette la tradition de la pomme, il ne s’en occupe pas. Passant sur l’objection grave qui ressort de l’analogie que J.-Chr. Iselin avait fait remarquer entre l’histoire de Tell et l’aventure de Tocho, il répète quelques arguments de Guillimann et leur oppose des raisons si faibles, qu’elles laissent subsister les difficultés. Ce qu’il y a de plus sérieux dans sa réponse, c’est l’observation suivante: « Si les anciens annalistes n’ont point parlé de Tell, c’est par la raison qu’il n’était ni prince, ni duc ou général (dux), mais simple particulier; c’est encore parce que l’aventure tragique de Gessler est peut-être le seul événement qui l’ait fait connaître. » Nous pouvons, à la rigueur, tirer de cette observation une conséquence assez importante; c’est qu’au point de vue du candidat que nous avons nommé, Guillaume Tell ne peut revendiquer aucune part dans la gloire des braves qui ont jeté les fondements de la Confédération Suisse. — Cette proposition vaut la peine d’être citée, parce que, soutenue publiquement à une époque et dans un lieu où l’on avait à craindre tout à la fois la censure académique et l’improbation des magistrats, elle obtenait une sorte de sanction par la faculté que l’auteur eut de la faire imprimer. Du reste, la thèse que je viens de citer prouve que la question soulevée par Guillimann préoccupait les esprits, ou du moins qu’elle continuait d’attirer l’attention des savants.

Voltaire ne croyait pas à l’aventure de Guillaume Tell. Dans son Essai sur les mœurs, il semble nier seulement l’épisode qui a été le plus controversé. « On prétend, dit-il, que ce conte est /437/ tiré d’une ancienne légende danoise 11 . Il faut convenir que l’histoire de la pomme est bien suspecte: il semble qu’on ait cru devoir orner d’une fable le berceau de la liberté helvétienne; mais on tient pour constant que Tell, ayant été mis aux fers, tua ensuite le gouverneur d’un coup de flèche, et que ce fut le signal des conjurés 12 . » Mais dans les Annales de l’Empire, imprimées pour la première fois à Bâle, en 1757, t. I, p. 328, Voltaire, en sceptique conséquent, pousse son système jusqu’à révoquer en doute tous les détails de l’histoire de Tell: « Il faut convenir, y lisons-nous, que l’histoire de la pomme est bien suspecte, et que tout ce qui l’accompagne ne l’est pas moins. »

L’opinion de cet homme de génie, que l’on se plaisait à considérer comme un oracle, fit impression sur les esprits. Déjà l’année qui suivit celle de la publication des Annales de l’Empire, un magistrat de Bâle, le docte Isaac Iselin, appuya de son autorité l’assertion de Voltaire et de quelques autres écrivains, dans ses Mélanges d’observations historiques, où il dit: « Dans l’histoire des peuples qui ont la même origine, on trouve des traditions que chacun d’eux s’attribue et rapporte à ses héros, quoique, provenant de la même source, elles soient une propriété indivise, un fonds commun … Nous pouvons appliquer également cette réflexion aux aventures de Tell et de Tocho, et aux détails qu’Olaus Magnus et Etterlin racontent l’un de Friedler et de Frotho, l’autre de Winkelried. Ces détails sont empreints du même sceau 13 . »

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Il est évident qu’Isaac Iselin tenait pour suspecte l’histoire de Guillaume Tell, ainsi que le fait héroïque de Struthan Winkelried, dont les flèches, suivant nos chroniqueurs, percèrent le dragon qui infestait le pays d’Unterwalden (Tschudi, I, 146).

Dans cette revue bibliographique ou littéraire, il importait d’indiquer la source commune d’où découlent les objections des écrivains qui ont rejeté l’histoire de Guillaume Tell. Ici, toutefois, j’ai dû me permettre un léger anachronisme, afin de présenter avec ordre et dans leur ensemble quelques observations intéressantes sur l’auteur de la Fable Danoise et sur cet opuscule de fâcheuse mémoire.

On croit généralement que la dissertation qui a pour titre: Guillaume Tell, fable danoise, fut écrite en 1760, sous l’influence du génie de Voltaire, et que l’auteur, avide de lauriers et de gloire, espérait s’illustrer en attaquant une tradition respectée dans son pays, ou que, dans sa folle témérité, il briguait l’honneur d’une persécution éclatante. Malheureusement pour sa réputation, des paroles sorties de sa bouche semblent confirmer cette opinion: « Je me suis attaché, » dit-il à l’entrée de son opuscule, « je me suis attaché à la bagatelle, plus capable dans ce siècle de nous acquérir une renommée que les recherches les plus épineuses. » Un peu plus loin, il ajoute: « L’amour pour la gloire de ma patrie m’engage à une recherche peu utile et peut-être dangereuse.» Mieux informé aujourd’hui que je ne l’étais en 1826, lorsque je publiai un travail sur Guillaume Tell, j’affirme, sans crainte d’être démenti, que l’auteur de la Fable danoise, loin de subir l’impulsion d’une curiosité indiscrète, ambitieuse et sans fruit pour la science, éprouvait au contraire, ainsi que son ami G.-E. de Haller, le besoin de constater un /439/ fait auquel la Suisse attachait une grande importance, un fait, dont l’authenticité, vivement contestée par quelques critiques, était faiblement défendue par leurs adversaires.

L’écrivain dont nous parlons eût désiré que l’histoire du héros d’Uri ne fût point problématique, qu’on pût en établir la vérité par des preuves certaines, plus positives que ne le sont les arguments allégués par l’éditeur de la chronique de Tschudi. C’est pourquoi il résolut de provoquer des recherches. Son espoir étant déçu, il sentit se convertir en doute sérieux ce qui chez lui n’avait d’abord été qu’un faible soupçon. Ce que j’avance n’est point un paradoxe, mais un fait dont je produirai la preuve en communiquant certains détails qui, tirés d’une bibliothèque où ils ont dormi jusqu’ici, jetteront du jour et de la clarté sur un sujet qui intéresse vivement les amis de l’histoire nationale 14 .

Au milieu du 18me siècle, Gottlieb Emmanuel de Haller, occupé de rassembler les matériaux nécessaires pour la construction du beau monument littéraire qui honore et l’auteur et sa patrie, remarqua dans certaines chroniques suisses des contradictions nombreuses et frappantes touchant l’histoire de Guillaume Tell. Il fit part de ses découvertes à son ami Uriel Freudenberger, pasteur à Gléresse (allem. Ligerz) et l’engagea facilement à soumettre cette histoire à un sérieux examen 15 . Avant que Voltaire et Isaac Iselin eussent publié les ouvrages où le trait de la pomme est considéré comme un conte tiré d’une légende danoise, l’ecclésiastique bernois avait écrit, en langue allemande, un mémoire anonyme, intitulé: « Die Fabel vom Wilhelm Tell, sept. 1752 16 . » Ce mémoire inédit, de 18 p. in-8o, dont je dois la connaissance à feu M. Godefroi de Mulinen, a /440/ échappé aux investigations des autres écrivains qui se sont occupés de cette matière.

L’auteur semble nier dans ce mémoire jusqu’à l’existence de Guillaume Tell. Les arguments sur lesquels il fonde son opinion ayant été reproduits dans la Fable danoise, nous les examinerons dans une autre partie de notre ouvrage.

En décembre 1758, c’est-à-dire après un intervalle de six années, qui prouve, à mon avis, que Freudenberger n’était point pressé de se faire un nom, cet homme de lettres fit à son manuscrit une addition, dans laquelle il dit avoir remarqué depuis la composition de son mémoire qu’il n’était pas le seul à qui l’histoire de Guillaume Tell parût suspecte, que des hommes d’une grande sagacité, un Voltaire, un Isaac Iselin doutaient, comme lui, de son authenticité. A ces paroles il ajouta des réflexions qui, publiées un jour, devaient retentir jusqu’au sein des Alpes et remuer les passions. « C’est ainsi, » dit-il à peu-près en ces termes, « c’est ainsi que la lumière de la vérité perce enfin le voile qui la couvrait et dissipe les ténèbres de l’erreur. Espérons qu’en Suisse, à l’exemple des savants étrangers, des hommes courageux et libres de tout préjugé, s’éclairant du flambeau de la critique, débarrasseront notre histoire de ce faux merveilleux qu’enveloppe une obscurité trop longtemps respectée, et qu’ils en élagueront les vains ornements dont on l’a parée. Nos annales contiennent des faits si brillants, si admirables, que vouloir les embellir c’est les dénaturer. Le fard enlaidit le plus beau visage. »

Cependant Freudenberger avait soumis son mémoire au jugement de G.-E. de Haller, qui, à son tour, le communiqua au baron de Zurlauben, auteur de l’Histoire militaire des Suisses. Celui-ci, reconnaissant, je pense, la force des raisons que l’anonyme opposait à l’histoire de Tell, pria J. Imhoff, chapelain ou vicaire de Schaddorf (village voisin du chef-lieu d’Uri) de faire des recherches sur ce sujet, et de réfuter la Fable de Tell. Imhoff recueillit quelques pièces que nous examinerons ailleurs. Zurlauben pensa que ces pièces, censées valides, et les considérations dont il les accompagna suffiraient pour constater /441/ l’histoire de Tell. Il exposa ses raisons dans une lettre datée de Zug 1er janvier 1759 et adressée à Haller, qui la transmit au pasteur de Gléresse, lequel, dans un second appendice à son mémoire, du mois de février 1759, réfuta facilement les assertions de son adversaire.

Peu content des premiers résultats de cette controverse, Haller envoya le mémoire de Freudenberger à son ami Balthasar, de Lucerne, en le priant de l’examiner et de le juger. « Vous me demandez, lui répondit Balthasar dans une lettre du 2 mars 1759, ce que je pense de la Fable de Tell? Je vous avoue franchement que je ne puis adopter l’opinion de M. Freudenberger. » Les arguments que Balthasar oppose, dans cette lettre, à ceux du pasteur de Gléresse ont été développés dans sa Défense de Guillaume Tell et répétés depuis à satiété, quoiqu’ils ne soient pas concluants. Nous les pèserons dans la balance de l’équité, lorsque nous soumettrons à un nouvel examen l’objet de ce long débat.

La question que l’on avait abordée restait donc indécise: elle restait entière. Les hommes qui paraissaient les plus versés dans l’histoire des cantons primitifs avaient opposé aux objections de Freudenberger des raisons si faibles que, loin de l’ébranler, elles ne pouvaient que le confirmer dans son opinion.

Haller désirait des renseignements complets, des preuves certaines; il demandait, sinon des documents originaux, du moins la copie des actes officiels qui, disait-on, établissaient la vérité de l’histoire de Guillaume Tell. Il reçut enfin, soit directement du vicaire Imhoff, soit indirectement par Balthasar, ou plutôt par Zurlauben (la lettre d’Imhoff, du 30 mai 1759, n’a pas de suscription, et rien n’indique clairement à qui elle fut adressée), il reçut, dis-je, quatorze pièces ou documents prétendus authentiques, dont quelques-uns seulement sont relatifs à Guillaume Tell. Divers motifs tirés de ces pièces devaient servir concurremment avec elles à établir la certitude de l’existence de Guillaume Tell et la vérité des récits traditionnels qui le concernent. Dans la lettre du vicaire Imhoff, laquelle annonçait ou accompagnait cet envoi, on remarque un /442/ passage qui vaut la peine d’être cité: « En vous remerciant de la Fable de Tell, que vous m’invitez à combattre, je vous envoie les copies de plusieurs documents 17 . Je n’en connais pas d’autres. Il est cependant possible que j’en eusse trouvé quelques-uns s’il m’eût été permis de consulter les archives de l’Etat; mais le gouvernement ne communique pas volontiers ses papiers secrets. J’espére que l’auteur de la Fable, convaincu par les preuves que je produis, gardera le silence, et je suis persuadé que vous l’engagerez facilement à supprimer son écrit. » L’avis était bon. Déjà dans le lointain grondait sourdement un orage qui devait éclater avec grand bruit.

Imhoff annonçait encore à son correspondant l’envoi prochain d’une autre charte. Cette pièce, la plus importante de toutes, devait être remise par le landamman Crivelli, archiviste d’Uri, à M. Hedlinger de Schwytz, qui la ferait parvenir au personnage à qui la lettre susdite était destinée. Il paraît que Haller n’a pas reçu cette pièce; il est du moins certain que, malgré ses instances, Freudenberger ne put l’obtenir. Prenons note de cette particularité. Si l’auteur de la Fable danoise eût connu ce document, il eût agi comme il l’a fait à l’égard d’un autre acte 18 , il eût posé une question qui aujourd’hui est à la base de l’examen critique de l’histoire de Guillaume Tell, je veux dire la question de savoir si ce document, que nous possédons, est authentique, ou s’il est faux.

Freudenberger, ayant examiné les pièces qu’il avait reçues de Haller, lui adressa, le 15 juin 1759, une lettre en langue latine, dont Voici le sens: « Vous avez bien fait de ne pas révéler mon nom à propos de Guillaume Tell. Je connaissais, à la vérité, une classe d’hommes superstitieux; je savais où peuvent les pousser le fanatisme, les faux préjugés et l’autorité de la tradition; mais jamais je n’aurais supposé que les habitants d’Uri, /443/ et surtout leurs magistrats, parmi lesquels il y a des hommes de sens, pussent entrer en fureur, accuser du crime de lèse république et persécuter avec acharnement quiconque parlerait mal de Guillaume Tell. Mais poursuivons notre jeu, s’il vous plaît, et voyons si rien ne bat sous le sein gauche des érudits de cette contrée. Voici mon projet. Dans une lettre anonyme, en langue allemande, que vous recevrez prochainement, je feindrai d’être à peu près vaincu par les arguments du prêtre Imhoff, et de n’avoir plus que quelques doutes qu’il lui sera facile de résoudre à l’aide de documents authentiques et de raisons solides, afin que la gloire de Guillaume Tell, défendue par un de ses compatriotes, brille d’un nouvel éclat. »

« Pour cet effet je vous prie de m’envoyer la copie de l’acte no 4 (qui fut dressé, dit-on, à propos du pélerinage de Steinen). Je regrette que Zurlauben et Hedlinger s’occupent de pareilles misères. Les arguments allégués par Imhoff sont pitoyables, mais je ferai semblant de les admettre, afin que cet indigne docteur de théologie, comme il se signe, montre au grand jour sa crasse ignorance. »

Dans la lettre anonyme que Freudenberger avait annoncée à Haller, et qui est datée du 25 juin 1759, il feint d’être partisan du système adopté par les défenseurs de l’histoire de Guillaume Tell; il vante ci et là le zèle, le patriotisme, la sagacité du curé de Schaddorf, il blâme le scepticisme de l’auteur inconnu de la Fable de Tell, le déclare battu sur plusieurs points et paraît ne pas douter du triomphe de son antagoniste, si celui-ci produit en bonne et due forme la réfutation qu’il a promise 19 . Seulement il propose quelques difficultés, que M. Imhoff voudra bien résoudre, afin de forcer son adversaire à lâcher prise. Il l’engage, pour cet effet, à produire le fameux document qui tranchera la question; enfin, il observe combien il importe d’en démontrer clairement la validité.

Le 27 juin Freudenberger envoya cette lettre à son ami Haller avec un billet en latin, dans lequel il lui dit: « Voici la /444/ lettre anonyme que je vous avais promise. La plupart des arguments qu’Imhoff oppose à l’auteur de la Fable de Tell sont si misérables que celui-ci n’a pu s’empêcher de les tourner en ridicule. Vous avouerez cependant qu’il n’a pas poussé la plaisanterie trop loin, et qu’il s’est voilé avec assez d’adresse pour échapper à l’esprit des Uraniens, qui ne connaissent pas encore la figure qu’on appelle ironie. Dites-moi ce que vous pensez de mes observations. »

Cette correspondance nous révèle des particularités qui sont importantes, d’un côté, en ce qu’elles mettent en évidence l’intention de Haller et de Freudenberger, et indiquent la part réelle que chacun d’eux a prise à une œuvre qui devait avoir de si graves conséquences; d’un autre coté, en ce qu’elles nous permettent d’apprécier les efforts que firent les amis de la tradition, les défenseurs de Guillaume Tell, pour combattre l’audacieux qui avait osé attaquer la gloire et jusqu’à l’existence du héros national.

Les détails que nous venons de communiquer nous imposent l’obligation de déclarer que si le pasteur Freudenberger fut imprudent, peu délicat dans le choix de ses expressions, nous dirons même peu charitable envers des Suisses d’une autre confession, envers des confédérés dont le respect pour Guillaume Tell égalait leur vénération pour les saints, il n’a cependant mérité ni les outrages de ses contemporains, ni le mépris de la postérité. Depuis la composition de la Fable de Tell jusqu’à la publication de la Fable danoise il s’écoula huit ans. Devant ce chiffre tombent les assertions mensongères, les accusations fausses dont Freudenberger a été l’objet. Il prouve, ainsi que la correspondance dont nous avons communiqué des fragments, que le pasteur de Gléresse ne voulait point, de propos délibéré, saper les fondements de notre histoire, ni arracher de nos annales les pages qui conservent le souvenir des faits glorieux de nos ancêtres. Ils se trompent ceux qui prétendent que cet homme brûlait d’impatience de ceindre son front d’une couronne de laurier que devait remplacer une couronne de martyr. Ce n’est pas non plus par l’ascendant du /445/ génie de Voltaire que l’ecclésiastique bernois entreprit l’examen critique de l’histoire de Guillaume Tell. Freudenberger subit l’impulsion d’une autre philosophie. Il nous l’apprend lui-même dans la lettre où il feint de combattre la Fable de Tell. « L’auteur de cet écrit, dit-il avec ironie, montre assez clairement dans la première partie de son discours 20 , qu’il est imbu de la pernicieuse philosophie de Wolff, que jusqu’ici on a bannie avec raison des écoles catholiques. Car, je vous le demande, est-il, un homme qui ne fût bientôt dégoûté de la lecture des anciennes histoires, s’il fallait constamment les soumettre aux règles importunes de la critique, et douter de la réalité des faits qui nous sont transmis? Cette pensée seule empoisonnerait le plaisir d’ailleurs si doux que l’on puise à la lecture des livres qui racontent le passé. »

Si l’invraisemblance des détails que l’on rapporte de Guillaume Tell avait frappé Guillimann, l’étonnante analogie des deux aventures merveilleuses de Tell et de Toko devait, à plus forte raison, éveiller des doutes dans l’esprit d’hommes éclairés, à une époque où la philosophie de Chr. Wolff, et principalement celle de Leibnitz opérait une révolution dans le monde de l’intelligence et de la pensée.

Nous avons dit que le véritable but des deux amis bernois, en attaquant l’histoire de Guillaume Tell, était de provoquer une enquête et la publication de documents propres à vérifier les faits que des écrivains nationaux ou étrangers avaient contestés avant eux. Ils estimaient pouvoir de cette manière atteindre un but légitime. Notre opinion est pleinement confirmée par la lettre de Freudenberger, datée du 15 juin 1759, et par un passage que nous tirerons tout-à-l’heure de la Bibliothèque historique de la Suisse, de Haller. N’ayant obtenu, après une longue attente, que des résultats peu satisfaisants, ils résolurent de faire un appel eux savants de divers pays, en publiant en français la Fable de Tell sous le titre plus piquant de /446/ Guillaume Tell, fable danoise (Berne) 1760 (2 février). 30 p. in-8o. Un littérateur allemand s’est étrangement trompé en m’attribuant cet opuscule 21 .

« Comment l’aurais-je fait, si je n’étais pas né? »

La Fable danoise fit sensation dans toute la Suisse. On devait s’y attendre. En effet, l’auteur y attaquait brusquement une tradition populaire, accréditée et respectée; il niait jusqu’à l’existence du héros national; il défiait hardiment tous les érudits de lui prouver l’authenticité de l’histoire qu’il rejetait dans le domaine des fictions poétiques; il employait tour-à-tour l’arme du raisonnement et celle du ridicule, en apparence pour faire prévaloir un système, mais en réalité pour exciter une lutte opiniâtre. Oubliant qu’on heurte facilement ceux dont on ne partage pas les opinions, oubliant le respect qu’il devait à la croyance religieuse des confédérés des Alpes, il les blessait à la partie la plus vulnérable aux traits d’une critique amère, en se moquant de l’ignorance et de la crédulité de ceux qu’il appelait des papistes, et en poussant la plaisanterie jusqu’à l’outrage. Le peuple de la patrie de Tell, aigri par l’injure qui lui était faite, l’envenima par une interprétation odieuse, et en tira vengeance. Laissons parler ici G.-E. de Haller, qui était initié dans le secret de Freudenberger, et qui fut gravement compromis dans cette malheureuse affaire. A la page 24 du T. Ve. de sa Bibliothèque historique suisse, il s’exprime ainsi au sujet de la Fable danoise et du scandale qu’elle causa. « Il semble que M. Uriel Freudenberger, pasteur de Gléresse, se soit autorisé du silence de tous les écrivains contemporains de Tell, de l’analogie que l’on a remarquée entre son histoire et celle du danois Toko, et de certains détails considérés comme invraisemblables, pour rejeter cette histoire. Mais il est plus probable que le but de l’auteur était simplement d’exciter quelque patriote à faire des recherches qui pussent éclaircir l’histoire de Guillaume Tell. Cet écrit a eu des conséquences /447/ fâcheuses. Le louable Etat d’Uri le fit brûler, et il engagea par une lettre très pressante, du 4 juin 1760, les autres cantons à manifester diversement leur improbation. Quelque relation du temps où Guillaume Tell vécut, ou un document valide eût sans doute mieux prouvé l’existence de Tell que ne l’a pu faire la sentence prononcée par un tribunal. »

Les autorités suisses sévirent non seulement contre cet ouvrage, qu’elles considéraient comme un acte de haute trahison, mais encore contre l’auteur réel ou supposé, en le livrant à l’opprobre et à la persécution. Je n’exagère pas. Cette rigueur est attestée par divers écrits du temps, en particulier par une lettre de Zimmermann à Tissot, datée de Brugg, 2 juillet 1760 22 . Voici cette lettre importante: « Savez-vous l’affaire désagréable que le jeune M. Haller, fils de M. Haller de Roche, s’est attirée? Il a écrit une mauvaise brochure intitulée: Guillaume Tell, fable danoise, sur laquelle vous pouvez consulter le Mercure de Neufchâtel. Le canton d’Uri s’en est plaint amèrement à LL. EE. qui dans leur feuille d’avis ont prononcé l’anathême contre cette brochure, d’une manière qui déshonore entièrement l’auteur. Le canton d’Uri, non content de cette réparation, a fait brûler cette brochure par la main du bourreau, et a fait mettre la nouvelle de cette exécution dans les gazettes de Bâle, d’une manière outrageante et cruelle pour M. Haller, qui par bonheur n’est pas nommé. »

Je ne sais s’il faut voir dans cette réticence une intention généreuse, ou plutôt une marque d’égard et de déférence pour le fils du grand Haller, dont le nom commandait le respect. D’ailleurs sa culpabilité n’était pas prouvée: on n’avait que des soupçons. L’auteur du délit n’était pas désigné. Le titre de sa brochure n’indiquait pas même le lieu de l’impression et de la publication. Une enquête sévère était difficile, sinon dangereuse. Les magistrats d’Uri savaient apparemment que l’auteur de cette fatale brochure était bernois, autrement ils /448/ n’eussent pas exigé de LL. EE. de Berne une satisfaction éclatante de l’injure faite au peuple des Waldstetten et à la mémoire de son héros. Balthasar devait le connaître 23 , et s’il l’a connu, il a eu la délicatesse de ne pas le nommer lorsqu’il réfuta la Fable danoise. Un autre écrivain contemporain disait en homme assez bien informé à certains égards, qu’un ecclésiastique du canton de Berne, homme de lettres, vivant dans la solitude d’un village, avait proposé dans une correspondance littéraire les raisons les plus propres à rendre suspecte l’histoire de Guillaume Tell; qu’un autre ecclésiastique, des Waldstetten, avait répondu aux objections du premier en produisant quelques preuves nouvelles et très-curieuses; que ces deux petits mémoires n’étaient pas inconnus au jeune auteur de la dernière brochure; qu’il l’avoue en partie lui-même 24 . Citons le passage qui exprime cet aveu. Nous le tirons de l’opuscule où l’histoire de Guillaume Tell est traitée de fable 25 « Un génie fort pénétrant, dit l’auteur, l’a combattue (cette fable) en forme, mais son ouvrage n’a pas encore été imprimé. Ce savant, que je n’oserais nommer, ma communiqué son travail, et je me fais gloire d’avouer que je lui dois la meilleure partie de ce que j’oppose à Guillaume Tell. » — Si le nom du véritable auteur de la Fable danoise n’était pas connu par sa correspondance et par d’autres indications, on serait tenté, après avoir lu les lignes que nous venons de transcrire, de l’attribuer au jeune Haller, qui à l’époque où elle parut n’avait pas encore vingt-cinq ans accomplis. Evidemment le public (et peut-être Balthasar lui-même) avait pris le change. Cette erreur s’accrédita en /449/ vieillissant. Haller fut assez prudent pour ne pas trahir l’auteur d’un opuscule auquel il n’était d’ailleurs pas étranger.

Il garda le silence jusqu’à la mort de Freudenberger. Alors, dans un discours que nous rappellerons ci-dessous, il prononça publiquement le nom du pasteur de Gléresse comme celui de l’auteur de la Fable danoise. Dans sa Bibliothèque historique de la Suisse, T. V, p. 24 et suivante, Haller se plaint de ce que dans certains journaux littéraires et dans l’Histoire de la confédération suisse, de Watteville, traduite par Bel, on lui attribue cet opuscule, et il déclare qu’il n’a fait qu’en soigner l’impression en langue française.

Dans la liste des ouvrages composés par cet homme célèbre 26 , à peu de distance du discours qu’il a prononcé en faveur de Guillaume Tell, figure à notre grande surprise la Fable danoise, qu’il avait, non pas rétractée, mais formellement désavouée.

Les flammes, en dévorant l’opuscule sur lequel on avait lancé la malédiction, ne pouvaient étouffer la voix de la critique et de la raison. La violence est un mauvais argument. Si, d’un côté, la condamnation de la fable danoise, prononcée par les tribunaux, témoignait tout à la fois de l’attachement des Suisses à une tradition longtemps respectée et du désir de maintenir entre eux la paix et la bonne intelligence, d’un autre côté, elle était une preuve aussi peu convaincante de l’existence et de l’héroïsme de Tell, que l’avait été la radiation par ordre supérieur (?) du passage de la chronique de Rahn, où l’histoire du prétendu libérateur de la Suisse était considérée comme suspecte 27 . Les hommes éclairés et modérés pensaient sagement qu’il fallait opposer des preuves solides aux objections présentées par l’auteur de la Fable danoise, laquelle devenait d’autant plus dangereuse qu’il en existait une traduction allemande 28 qui pouvait se /450/ répandre parmi le peuple. Freudenberger eut pour premier adversaire un homme qui, une année auparavant, s’était déjà élevé contre la tendance de son écrit 29 . Grande fut la joie du public lorsque parut la « Défense de Guillaume Tell 30 . » On sut bientôt que l’auteur de ce travail était l’historien Jos. Ant. Fel. de Balthasar, de Lucerne. L’Etat d’Uri lui témoigna sa reconnaissance en lui adressant une lettre flatteuse et deux médailles d’or 31 . La dissertation de Balthasar fait honneur au caractère et aux sentiments de cet écrivain; car s’il a plaidé avec talent la cause de Guillaume Tell, il s’est acquis encore un autre titre à l’estime publique, en donnant aux futurs défenseurs d’une cause si délicate, ainsi qu’à leurs adversaires, l’exemple de la tolérance et de la modération. Sous le rapport de la critique historique, Haller a exagéré le mérite intrinsèque de ce travail. A coup sûr il le jugea trop favorablement, lorsqu’il dit que l’auteur, suivant son antagoniste pied à pied, le combat victorieusement, qu’il montre au grand jour tout ce que les arguments de Freudenberger ont de spécieux, et qu’il établit par des preuves incontestables la vérité de l’histoire de Tell 32 . Le cœur a dicté cet éloge que la raison froide ou l’esprit de critique réduit à sa juste valeur. Balthasar, il est vrai, a réfuté quelques assertions hasardées de Freudenberger, mais il n’a pas établi solidement les faits principaux dont l’authenticité est contestée. Il y a loin d’un avantage partiel à une victoire complète. Balthasar a rallié autour de lui les hommes d’un parti; mais il n’a pas converti les incrédules, parce qu’il n’a pu les convaincre.

A cette époque le trait historique ou fabuleux dont nous parlons occupait plus d’une presse de la Suisse et de l’étranger. Les écrits périodiques, les journaux littéraires qui avaient /451/ amèrement critiqué la Fable danoise, firent un pompeux éloge de la Défense de Guillaume Tell. Il en parut bientôt deux traductions allemandes. L’une, sans nom de lieu ni d’auteur, 33 , est attribuée d’une manière positive à Jean-Rod. Füsslin 34 . Cette traduction fut d’abord réimprimée à Lucerne (1760. 23 p. in-8o) par ordre de l’Etat d’Uri, lequel en prit presque tous les exemplaires sans doute pour les distribuer au peuple; et depuis (avec quelques changements dans l’orthographe) à Flüelen, en 1824. Le nouvel éditeur, Fr. Xavier Z’graggen, a réuni en un petit volume de 66 p. in-8o, la dissertation de Balthasar, le discours de Haller et l’ancien Chant de Tell, et il a fait précéder ce recueil d’une préface peu convenable, où, sans respect pour les manes de Freudenberger, il donne à cet écrivain les épithètes de calomniateur et d’audacieux criminel. — L’autre traduction de la Défense de Guillaume Tell parut à Zurich, avec l’avant-propos très-remarquable d’un inconnu 35 . Cet écrivain, dont Haller a révélé le nom, était Salomon Wolf, de Zurich. Il vaut la peine de voir comme cet homme, d’un jugement exquis, s’est exprimé, il y a quatre-vingt-deux ans, sur une question qui alors irritait la colère du peuple suisse. « A-t-il existé un Guillaume Tell, un vengeur de la liberté opprimée, tel que la tradition nous le dépeint? Cette question, que deux écrivains ont examinée récemment, a été résolue d’une manière négative par l’un, affirmativement par l’autre, dont je traduis le mémoire. Le premier convient avec une aimable ingénuité que son entreprise est inutile et peut-être dangereuse. En faisant cet aveu, il condamne lui-même le penchant qu’ont certains hommes à s’inquiéter de vaines questions et à soutenir des vérités qui ne sont point indispensables. Il n’est qu’une vérité utile, importante, essentielle, et encore ne faut-il la dire que lorsqu’il s’agit d’accomplir un devoir. Mais ne nous exagérons pas le péril /452/ de l’auteur; ne prenons pas au sérieux ce qu’il ne dit sans doute qu’en plaisantant. Le siècle où nous vivons n’est pas celui d’un Rodolphe Weid 36 . Plus éclairés que ne l’étaient ses contemporains, nous comprenons qu’il est assez indifférent que Tell ait existé, ou qu’il ne soit qu’un être imaginaire. La réalité de ce personnage est-elle la base sur laquelle repose l’édifice de la confédération suisse? Quiconque a étudié l’histoire des événements qui eurent pour résultat l’affranchissement et l’association des peuples des Waldstetten, conviendra que Guillaume Tell est un hors-d’œuvre, que cet homme, à supposer qu’il ait vécu, n’a pris aucune part active au projet des trois héros fondateurs de la liberté helvétienne, et que plutôt, par sa témérité, il eût compromis l’avenir de sa patrie si la divine Providence n’eut pas veillé sur elle. Au reste, afin de rassurer les personnes qui attachent de l’importance à la réalité de Guillaume Tell, nous leur dirons que l’hérésie politique, qui s’enhardit à le ranger parmi les êtres fabuleux, est loin d’avoir remporté la victoire. L’habile écrivain dont nous traduisons l’opuscule, a arraché des mains de son adversaire les lauriers dont il pensait orner son front. Ajoutons cependant qu’il n’a pas prouvé l’existence de son héros de manière à ne laisser plus subsister aucune objection sérieuse, etc. »

La même année parut une Lettre de M. S. à M. K. sur une petite brochure, intitulée: Guillaume Tell, fable danoise 37 . L’auteur anonyme de cette lettre, laquelle a été traduite en allemand 38 , expose en abrégé les arguments pour et contre qui /453/ lui sont connus sur cette controverse historique, et il les accompagne de diverses considérations en faveur de l’histoire de Guillaume Tell. Du reste, on ne trouve dans cet écrit aucune preuve nouvelle de l’authenticité de l’histoire qui en fait l’objet. Le lecteur impartial ne partagera pas toutes les convictions de l’auteur anonyme. On peut dire de cet écrivain, en appliquant une sentence familière, que « l’esprit de parti change la critique en diatribe. »

Il s’en fallait bien que les brochures et les articles de journaux qui venaient de paraître donnassent toute sécurité sur l’existence de Guillaume Tell et sur les faits que lui attribue la tradition. Balthasar n’avait pas épuisé ce sujet 39 . Il restait encore des objections à détruire, des doutes à dissiper. L’œuvre dramatique de Le Mierre 40 , qui travestissait l’histoire du héros suisse, provoqua la Lettre sur Guillaume Tell 41 , que le général baron de Zurlauben adressa au président Hénault. Suivant Haller 42 , « l’auteur de cet opuscule y raconte d’abord l’histoire de Guillaume Tell d’après les meilleures chroniques, et il le termine par la citation des preuves tirées d’actes publics qui constatent la vérité de cette histoire. » Nous n’avons pu nous procurer l’écrit de Zurlauben, ni par conséquent nous assurer de la validité de ses preuves. Cependant quelques indications nous portent à penser que les documents sur lesquels cet auteur appuie la défense de Guillaume Tell, sont précisément les pièces que le vicaire Imhoff lui avait procurées et que lui-même avait alléguées dans sa lettre inédite du 1er janvier 1759, dont celle que suscita la tragédie de Le Mierre est sans doute le développement. Si les preuves que Zurlauben /454/ a mises en avant eussent été nouvelles et décisives, certes Haller en eût tiré parti pour donner plus de poids à son Discours. La plume du savant général n’a pas résolu la question que l’on a si souvent traitée depuis. J. de Muller a trop dit, lorsqu’il a prétendu 43 que « la seule approbation de Zurlauben peut servir de preuve. » Haller qui, dans son grand ouvrage, a exagéré le mérite des deux mémoires de ses illustres amis de Lucerne et de Zug, les a mieux appréciés dans un autre ouvrage 44 , où il dit, à propos de Guillaume Tell: « Son histoire n’a pas été bien travaillée: on lira cependant avec plaisir l’écrit que M. de Zurlauben a publié sur ce sujet. »

G.-E. de Haller n’avait pas dit son dernier mot sur l’histoire de Guillaume Tell. Quelques réflexions, à propos d’un nouvel écrit relatif à cette histoire, une ligne dans le petit volume que nous venons de citer 45 , semblaient prouver qu’il admettait l’authenticité des faits dont elle se compose, ou que, s’il l’avait combattue, le temps et la réflexion avaient réformé son jugement. Il fallait une preuve positive de son orthodoxie en matière d’histoire nationale, une déclaration formelle de sa part, qui confondit ses accusateurs et fit cesser les outrages auxquels il était exposé. Ce qui n’est point douteux, c’est qu’il fut invité, comme il le dit lui-même, à célébrer devant une assemblée nombreuse et imposante la mémoire de Guillaume Tell, et à retracer le souvenir d’un des événements les plus remarquables de l’histoire des Confédérés. On conçoit facilement que l’orateur ne devait pas énoncer une opinion contraire à celle de /455/ l’auditoire auquel il s’adressait. Son discours 46 , soumis à la censure, fut revêtu de l’imprimatur. En prononçant solennellement la réfutation de la Fable danoise, dont le véritable auteur n’existait plus, Haller sacrifiait son opinion à la foi populaire. Il n’est pas probable qu’il ait franchement adopté la tradition des Waldstetten. Son discours, intéressant d’ailleurs, ne porte pas le cachet de la conviction. Les sources où Haller a puisé ne lui ont fourni aucune nouvelle preuve certaine en faveur du héros dont il était appelé à faire le panégyrique. Les arguments de Balthasar et de Zurlauben, revêtus de la forme oratoire, composent le fonds de son travail, qui n’est après tout qu’un discours de circonstance.

Cependant l’authenticité de l’histoire de Guillaume Tell paraissait bien établie. Il semblait qu’on eût tout dit sur cette matière, et qu’un long silence dut effacer jusqu’au moindre souvenir des objections que plusieurs hommes de lettres avaient présentées pour faire rejeter dans le domaine de la fable un épisode qu’on venait de revêtir d’une prestigieuse autorité. La censure, introduite partout en Suisse, et exercée d’abord avec une sévérité inégale, était devenue plus rigoureuse depuis la publication de la Fable danoise. La surveillance méticuleuse des Cantons s’étendit bientôt sur toutes les productions de l’esprit. On répétait, sous des formes variées, l’histoire traditionnelle, sans se livrer à l’examen de son authenticité.

Vers la fin du 18me siècle la littérature historique prit presque partout un autre caractère. On vit se fonder une nouvelle école, celle des historiens critiques, qui jugèrent qu’avant d’admettre un fait, il convenait de l’examiner. Les ouvrages des écrivains de cette école se distinguèrent de ceux de leurs prédécesseurs par « cet esprit de critique sans lequel on n’est pas historien, /456/ parce que sans lui il est impossible de dégager les semences de la vérité de cette ivraie de mensonges et d’erreurs si abondante dans le champ de l’histoire 47 . » En Suisse, c’est Jean de Muller qui le premier sut appliquer l’esprit philosophique à cette science, et qui donna l’exemple d’une nouvelle direction dans l’étude de notre histoire 48 . Le chef-d’œuvre de cet homme de génie a contribué plus que tous les travaux de ses devanciers à accréditer l’histoire de Guillaume Tell.

Cependant la découverte d’un grand nombre de chartes, inconnues à Muller, a diminué son autorité à certains égards, notamment en ce qui concerne la formation de la Confédération suisse. A vrai dire, ses immenses recherches de détails, en lui fournissant des matérieux abondants pour la construction du beau monument littéraire qu’il a consacré à sa patrie, ne lui ont fait découvrir aucune preuve nouvelle et décisive de l’existence de Tell et de l’authenticité des actions dont il est réputé l’auteur. Muller en appelle au témoignage des chroniques du 15me et du 16me siècle, et aux preuves alléguées par ceux qui ont traité cette question spéciale; mais la manière dont il groupe leurs arguments et les considérations dont il les accompagne, donnent à l’histoire de Tell un aspect nouveau, un caractère de vraisemblance, disons mieux, un air de vérité qui inspire la confiance. Muller a revêtu cette histoire de l’autorité d’un grand nom, mais il ne l’a pas mise à l’abri de toute espèce de doute, parce qu’il a laissé subsister dans toute leur force les principales objections de ceux qui l’ont rejetée.

En comparant les différentes éditions de l’histoire de la Confédération suisse par J. de Muller, les modifications que tel ou tel passage relatif à Guillaume Tell a subies, et en y regardant de près, on croit remarquer une hésitation, qui est l’indice de l’incertitude. Nous ne ne voulons cependant pas insister sur cette assertion, qui semble tenir du paradoxe. Dans /457/ l’appréciation de certaines parties de l’histoire de la Confédération, il faut tenir compte des tracasseries que l’auteur a éprouvées de la part des autorités suisses, qui ne lui permirent pas même de publier son ouvrage dans sa patrie. Muller n’était pas libre de dire tout ce qu’il pensait. Je crois que M. Haeusser a fait une remarque très-juste en disant que Muller, afin de complaire à ses compatriotes, s’est parfois écarté de l’exacte vérité 49 .) Notre célèbre historien dit lui-même, à propos d’un fait qui intéressait moins que l’histoire de Guillaume Tell la nation suisse: « Si je trouve la vérité, mon ami, et que je la dise, j’offre le pari que mon livre sera brûlé 50 . » ) Le sort de la Fable danoise était présent à sa pensée. Comment eût-il osé manifester des doutes sur l’histoire de Guillaume Tell? En historien-poète il admettait volontiers l’authenticité d’une action héroïque, mais, ainsi que l’a dit un écrivain français, « il y a loin des motifs de la conviction à la conviction même. »

L’écrivain qui a plus que tout autre amorti les coups que la critique portait à Guillaume Tell, c’est le poète favori de l’Allemagne, l’illustre Schiller. C’est par lui que le mythe de la pomme est devenu la propriété inaliénable de la Suisse. Schiller a fait davantage. En transportant du cercle étroit des érudits dans la sphère plus vaste du public le fait réputé le plus héroïque, le plus mémorable de l’histoire des Suisses, il l’a popularisé en Europe. L’auteur du drame intitulé Guillaume Tell, a le mérite, non seulement d’avoir entouré son sujet des prestiges enchanteurs d’une sublime poésie, que les découvertes de la science ne parviendront point à détruire, mais encore d’avoir imprimé à son œuvre le sceau durable du caractère et de la physionomie helvétique. On dirait qu’il a pris la nature sur le fait, tant il est vrai qu’il l’a bien rendue. La simplicité des touches, la fraîcheur du coloris, l’exactitude des détails topographiques, la fidélité du pinceau dans les tableaux de caractères, une admirable précision dans les peintures de mœurs, l’art du poète à /458/ s’identifier avec le peuple des Alpes, tout cela donne à sa poésie une réalité, à l’ensemble de son œuvre un air de vérité historique et de nationalité suisse qui paralyse les efforts que fait la science pour désenchanter la tradition. Comment à la lecture de ce drame, l’enfant des Alpes, qui a visité les sites classiques de la liberté, pourrait-il se persuader que l’acte héroïque de Guillaume Tell, qui dans ce poème est l’action principale, ne serait dans l’histoire de son pays qu’un incident, qu’une vérité de convention qui ne supporte pas l’examen; en un mot, qu’elle ne serait qu’une brillante illusion? Ne croira-t-il pas plutôt que la muse de Schiller, qui, vraie déesse, devait connaître les mystères du passé, a révélé à son confident les choses merveilleuses dont il a tracé le tableau, et que le poète est ici le prêtre de la vérité?

Si nous mentionnons cette œuvre dramatique dans notre revue, c’est surtout parce qu’elle a une valeur historique, l’auteur ayant puisé son sujet dans la chronique de Tschudi. S’il était nécessaire d’ajouter une déclaration formelle aux preuves que je produirai, en temps et lieu convenable, à l’appui de cette assertion, j’invoquerais le témoignage non suspect de Jean de Muller.

L’intérêt que Schiller sut inspirer au public pour l’histoire de Guillaume Tell a blessé l’amour-propre des savants et provoqué de nouvelles recherches. Mais elles n’ont pas eu de résultat définitif.

Parmi les ouvrages d’érudition relatifs à notre sujet, nous mentionnerons en premier lieu un écrit très-remarquable de Jacob Grimm, dans lequel cet homme célèbre a exposé ses « idées sur le mythe, la fable et l’histoire 51 . » Il peut sembler au premier abord que dans notre revue cette dissertation ne figure après le drame de Schiller que pour servir de contraste. Cependant elle y occupe la place que lui assigne l’ordre des temps. Sic fata ferebant. L’auteur de ce mémoire y envisage /459/ comme un fait avéré la fin tragique de Gessler tombant sous le coup d’un homme hardi, et comme fabuleux les autres détails que rapporte la tradition. Il résulterait des observations philologiques de ce savant, que Tell ne serait qu’un personnage mythique, comme l’étymologie de ce nom semble du reste l’indiquer. Ce n’est pas ici le lieu de discuter l’opinion de Grimm, qui a été adoptée par plusieurs écrivains. Il nous suffit pour le moment de signaler le nouveau ravage que la science a fait dans le domaine de la poésie qui entourait l’origine de la Confédération suisse.

Dans l’Art de vérifier les dates (édit. in-8o. 2e série T. XVII, p. 86), ouvrage qui jouit d’une grande estime, on a passé sous silence la mort violente de Gessler, je ne sais par quelle raison; mais l’insolence de ce bailli, l’épreuve dangereuse à laquelle il soumit le cœur et le bras de Guillaume Tell, l’expulsion des officiers de l’Autriche, y sont rappelées comme autant de circonstances réelles. Voici l’observation que l’on a faite, dans cet ouvrage, sur l’histoire de la pomme: « Ce trait, vainement contesté, quant à la substance, par quelques modernes, est du 18 novembre 1307, et fut le signal d’une révolution préparée dans les trois cantons d’Uri, de Schwitz et d’Underwald, le 27 octobre précédent. »

Cependant, en France, l’aventure de notre héros trouvait aussi des incrédules. M. Simond, auteur d’un Voyage en Suisse dans les années 1817, 18 et 19, s’exprime en vrai sceptique sur l’existence et les actions d’un homme qui, dans les vallées des Alpes, est depuis plusieurs siècles l’objet d’une grande vénération. « Il y a, dit cet écrivain, je ne sais quoi de fabuleux dans l’histoire du bonnet et de la pomme qui jette des doutes sur Guillaume Tell lui-même, et son nom se trouvait associé dans mon esprit avec ceux d’Hercule, de Thésée et du fondateur de Rome, personnages à la réalité desquels on n’accorde qu’une croyance hypothétique. » Nous citons ces paroles, non qu’elles soient concluantes, comme pourrait l’être le résultat d’un examen consciencieux, mais parce qu’elles peuvent avoir fait quelque impression sur l’esprit de lecteurs prévenus, et /460/ ébranlé la croyance de plusieurs à la réalité de Tell et de l’héroïsme que lui attribuent la tradition et les chroniques. Il convient d’ailleurs de prendre note de pareilles dénégations.

Du reste, l’opinion du voyageur français a pu, en partie du moins, trouver des partisans même en Suisse, où un citoyen de Zurich, considéré tout à la fois comme historien et homme d’état, révoquait en doute le trait le plus admiré de l’histoire du héros de Bürglen. En effet, dans son Manuel de l’histoire de la Confédération suisse 52 , M. Louis Meyer de Knonau rappelle des exemples des vexations que les habitants des Waldstetten essuyèrent de la part des baillis autrichiens, entre autres l’acte d’insolence de Gessler, et il parle de Tell, dont il ne conteste pas l’existence, mais il omet à dessein toute parole qui eût pu faire allusion à l’histoire de la pomme. Nous inférons du silence de cet historien grave et scrupuleux, qu’il considérait cette prétendue histoire comme un incident poétique. Sur ce point Meyer de Knonau s’accordait avec J. Grimm et avec d’autres savants distingués, parmi lesquels je citerai Ch.-Dan. Beck 53 , qui pensait que l’histoire de Tell, vraie quant à la substance, avait été enrichie par la tradition et par les chroniqueurs, et que l’aventure de Toko, rapportée par Saxon-le-grammairien, ne pouvait autoriser personne à nier toute l’histoire du célèbre citoyen des Waldstetten.

La Biographie universelle 54 contient un article sur Guillaume Tell. Cet article, signé U-i, mérite d’être cité parce que, né de la plume du savant J.-M. Usteri, il a une valeur réelle, malgré quelques fautes d’impression qui défigurent des noms propres; fautes que nous jugeons à propos de relever. On y lit Burghau, et Bringen, au lieu de Bürglen; Guihiman, pour Guillimann; Fuelen, pour Fluelen. C’est peut-être par une erreur de traduction que Freudenberger paraît dans cet article comme curé /461/ de Berne 55 . Après avoir raconté l’aventure de Tell, sous une forme qui la dégage du merveilleux, l’auteur de la notice biographique que nous citons fait une observation qui annonce un esprit de critique exempt de tout faux préjugé: « On a ajouté (dit-il) à cette histoire, dont l’exactitude n’est pas démontrée, celle de la pomme qui est encore moins probable … Le silence des écrivains contemporains, l’analogie d’un événement raconté par les historiens de Danemark du douzième siècle, et le peu de vraisemblance des détails, ont fait naître des doutes sur une partie de cette histoire etc. »

Pour combattre victorieusement les opinions d’hommes aussi éclairés que ceux que je viens de nommer, il faut d’autres armes que des assertions vagues, des déclamations et des invectives. Aussi l’opuscule de M. Constantin Siegwart, intitulé « Tell d’Uri » est-il une mauvaise défense d’une cause qui demande un avocat habile, calme, maître de lui. M. Siegwart a simplement raconté l’histoire de Tell d’après la tradition, sans l’appuyer de preuves. Au jugement des critiques qui ont lu sa brochure, elle se distingue d’autres écrits sur la même matière par une chaleur de style affectée, qui nuit à la cause que l’auteur voulait défendre. Voici un échantillon de ce faux pathétique: « Il y a des pédants (dit M. Siegwart), qui tournent en ridicule l’histoire de Guillaume Tell, parce qu’ils ne comprennent pas qu’un homme libre peut porter la vertu jusqu’à l’héroïsme. Lecteur, méprise ces misérables 56 . »

Deux ans auparavant, un jeune Suisse, éloigné de sa belle patrie, avait essayé d’établir la vérité de l’histoire de Guillaume Tell dans tous les détails, en opposant au scepticisme qui la /462/ retranchait des fastes helvétiques, les arguments communs et ses propres convictions. Le mémoire qu’il publia 57 ne vaut la peine d’être cité que parce qu’il témoigne d’un patriotisme ardent, et qu’il servit en quelque sorte de base à un ouvrage plus étendu, qui parut en 1826 58 . Ce dernier mémoire se divise en quatre parties. 1o Etat primitif des trois cantons, Uri, Schwytz et Unterwalden. (L’auteur n’a point déguisé les imperfections et les erreurs de cette partie dans son mémoire sur les Waldstetten). 2o Histoire de Guillaume Tell. 3o Défense de Guillaume Tell ou réfutation de la Fable danoise (qui est réimprimée dans ce volume 59 .) 4o Les deux Défenses de Guillaume Tell par de Balthasar et de Haller. — Comme il y a presque toujours quelque ridicule à parler de soi, et que cependant il importe d’apprécier dans notre revue le mémoire que je viens d’annoncer, je résumerai les observations des juges qui l’ont examiné. « Cet ouvrage, a-t-on dit, est le plus étendu sur la matière, la défense la plus complète de Guillaume Tell. L’auteur a présenté les arguments de ses devanciers sous un jour qui les rend plus frappants pour tous les esprits, et groupé autour d’eux des considérations qui leur servent d’appui. On peut cependant lui reprocher d’avoir accordé trop de confiance à l’autorité suspecte de Melchior Russ, et d’avoir cru qu’en s’appuyant sur elle, il pouvait transporter dans le domaine de l’histoire les détails de la tradition. Il envisage Guillaume Tell comme un des fondateurs de la liberté helvétique, mais il n’a produit aucun document nouveau comme preuve incontestable de la réalité de ce personnage et de la part qu’on lui attribue à la formation de la /463/ Confédération suisse 60 . » Je tiens à déclarer que je n’ai pas eu la prétention de prouver dans cet ouvrage que tous les détails qu’on rapporte de Guillaume Tell sont purement historiques. Le célèbre Heeren m’a rendu justice à cet égard 61 . Longtemps avant de connaître l’opinion de Louis Meyer et d’Usteri, j’avais donné à entendre en plus d’un endroit de mon ouvrage 62 que je ne pouvais pas établir par des preuves certaines la vérité de l’histoire de la pomme, et que je la considérais comme problématique.

La question que nous nous proposons de traiter encore une fois semblait convoquer autour d’elle des savants de divers pays. En 1830 le professeur Bourgon, écrivain distingué, que l’académie de Besançon regrette vivement, lut dans la séance publique du 28 janvier un Mémoire sur l’authenticité du trait d’héroïsme attribué à Guillaume Tell 63 . On remarque dans cet ouvrage des noms propres mal orthographiés, et d’autres inexactitudes que l’auteur eût facilement évitées s’il eût consulté les chroniques de la Suisse allemande. En lisant le mémoire dont nous venons de transcrire le titre, on s’aperçoit bientôt que M. Bourgon ignorait l’existence de divers écrits relatifs au sujet qu’il a traité; d’où il suit qu’il n’a pas examiné /464/ toutes les raisons alléguées pour ou contre l’histoire de Guillaume Tell. Après avoir indiqué les objections présentées par l’auteur de la Fable danoise, opuscule qu’il attribue par erreur à G.-E. de Haller, il leur oppose des arguments qui n’offrent rien de nouveau: en revanche, il les appuie de considérations qui donnent du prix à son travail. En reconnaissant tout ce qu’il y avait de généreux dans les intentions de l’auteur, nous devons cependant déclarer, dans l’intérêt de la science et de la vérité, que son mémoire, intéressant d’ailleurs, mais incomplet à divers égards, n’établit, avec certitude, ni l’existence de Guillaume Tell, ni l’authenticité de son histoire, et qu’il ne justifie point la croyance à la tradition.

Qu’on ne s’étonne point de nous voir quitter tout à coup l’école philosophique pour visiter un instant celle du romantisme. La littérature de cette école offre, sur l’objet de nos recherches, un travail que nous croyons devoir mentionner dans notre revue. C’est l’article intitulé: Le Grutli, que M. Alex. Dumas a publié dans la Revue de Paris, de 1836 (9 oct., p. 75-115). Cet article, brillant de style, et par là très-propre à propager le mensonge, n’a aucune valeur historique. M. Dumas, peu soucieux de fatiguer son esprit à l’étude sérieuse du passé et à l’examen consciencieux des sources, a simplement ajouté aux vieilles erreurs les fictions que son imagination féconde lui a dictées. La manière dont il travestit les noms des Suisses qui figurent dans son tableau ne donne pas une haute idée de l’exactitude avec laquelle il a procédé dans ses recherches. Il écrit Mechtal, Grüssler, Wolfranchiess. Le héros de son conte est Wilhem Tell. Citerai-je quelques détails curieux? M. Dumas nous apprend que « trois communes étaient restées libres au milieu de contrées couvertes d’esclaves et d’oppresseurs » … « Quant à Wilhem Tell, qui avait pris une part si active à cette révolution (de 1291), après avoir retrouvé sa trace sur le champ de bataille de Laupen, où il combattit comme simple arbalétrier avec 700 hommes des petits cantons, on le perd de nouveau de vue pour ne le retrouver qu’au moment de sa mort, qui eut lieu, à ce que l’on croit, au printemps de 1354, » Ajoutons /465/ à ces phrases instructives un passage qui annonce tout à la fois une connaissance peu commune de la littérature historique de la Suisse et un esprit philosophique, qui, heureusement, devient toujours plus rare. « Le fils aîné du savant Heller » (est-il permis d’ignorer le nom d’Albert de Haller?) «le fils aîné du savant Heller, dit M. Dumas, publia en 1760 un extrait d’un auteur du XIIe siècle, nommé Saxo Grammaticus. Aussitôt l’école positive, cette bande noire de la poésie, déclara que Wilhem Tell n’avait jamais existé. » Nous pardonnons à M. Dumas de n’avoir pas lu nos chroniques. S’il a voulu simplement faire un conte pour amuser un public crédule et avide de l’absurde, nous n’avons rien à objecter. Quam quisque norit artem, in hac se exerceat; chacun son métier. Mais s’il a prétendu raconter un trait de l’histoire des premiers confédérés, il valait du moins la peine de consulter J. de Muller.

Du reste, en défigurant des noms propres, M. Dumas pouvait s’autoriser de l’exemple d’un auteur célèbre. Sur trois noms des principaux conjurés suisses, Voltaire en a estropié deux. Il a l’air de s’excuser en disant que « la difficulté de prononcer des noms si respectables nuit à leur célébrité 64 . »

Passons à un objet plus sérieux, à l’examen du mémoire du Dr J.-L. Ideler, intitulé: « die Sage von dem Schuss des Tell. » Berlin 1836. VIII et 102 p. in-8o. A ne voir que le titre de cet ouvrage, on devine que l’auteur révoque en doute l’épreuve à laquelle auraient été soumis l’amour paternel et l’habileté du citoyen de Bürglen, ou pour mieux dire, qu’il considère comme une légende, ou comme une ingénieuse fiction, le trait d’adresse et de courage attribué à Guillaume Tell. M. Ideler a réuni et comparé une foule de traits qui ressemblent plus ou moins à celui que des chants populaires suisses et des chroniques ont célébré. Il a montré non-seulement que l’on trouve dans l’antiquité classique, dans Valerius Flaccus, dans Sidoine-Apollinaire, dans l’anthologie grecque, et ailleurs, des faits légendaires qui ont du rapport avec celui de Guillaume Tell, mais /466/ encore que la tradition concernant l’aventure de Toko, racontée par Saxon-le-grammairien, était répandue dans le Nord, qu’elle remonte à une époque fort éloignée, que, telle que les Sagas l’ont conservée, elle a une analogie frappante avec le récit d’Etterlin et de Tschudi, enfin que cette fable héroïque est le sujet d’anciennes ballades anglaises. M. Ideler pense que si Tschudi n’a pas emprunté cette légende à Saxon-le-grammairien, qui l’aurait tirée d’une Saga, il doit l’avoir puisée dans l’ancienne ballade des trois archers Adam Bell, Clym of the Clough et William of Cloudesly, laquelle, dans cette hypothèse, aurait été connue en Suisse. Du reste, M. Ideler envisage Tell comme un personnage historique dont l’existence, à son avis, a été solidement établie par les écrivains suisses qui en ont soutenu la réalité. L’histoire de la pomme est le seul fait qu’il considère comme une fiction, ou comme un récit d’emprunt, à cause de sa ressemblance avec l’aventure de Toko.

Le livre de M. Ideler est moins un ouvrage de critique historique proprement dite qu’un recueil de morceaux curieux, tirés des littératures de plusieurs peuples anciens et modernes, qu’il a groupés autour de l’épisode suisse, avec lequel ils ont de l’analogie. On lui a reproché, d’un côté, d’avoir réuni dans son petit volume bien des choses qui n’ont pas directement trait à son sujet, et d’un autre côté, de n’avoir pas eu égard aux plus anciennes sources de l’histoire suisse, nous voulons dire à la chronique de J. de Winterthour, à celle de Justinger, et surtout aux chants populaires. Nous regrettons aussi qu’il n’ait pas comparé le récit de Melchior Russ avec celui des chroniqueurs dont il a publié des extraits. L’ouvrage de Russ n’était pas à sa disposition, il est vrai, mais ce que cet annaliste a dit de Guillaume Tell a été communiqué par G.-E. de Haller dans la Bibliothèque historique de la Suisse, T. IV, p. 167. no 376. Enfin, M. Ideler eût bien fait d’examiner si l’histoire de Tell, dans sa substance, est intimément liée aux événements qui aboutirent à l’affranchissement des Waldstetten; en d’autres termes, si ce personnage a pris une part active au changement qui s’est opéré dans l’état politique et social des peuples de ces vallées, et s’il /467/ doit être considéré comme un des fondateurs de la Confédération. Au jugement de critiques sévères, la monographie de M. Ideler, si intéressante quelle soit, laisse indécise la question qu’il a traitée 65 .

Il est probable que M. Ideler eût modifié son opinion au point de n’admettre que difficilement la réalité du personnage de Guillaume Tell, s’il eût connu deux publications dont la bibliographie historique de la Suisse venait de s’enrichir lorsqu’il fit imprimer son mémoire. Nous voulons parler de la première partie de la chronique de Melchior Russ, éditée par M. Schneller, de Lucerne 66 , et du recueil de documents publiés et commentés par M. Kopp. 67 Le premier de ces deux érudits exprime dans des notes savantes 68 des doutes sérieux sur l’histoire et même sur l’existence de Guillaume Tell. Ses doutes acquièrent une nouvelle importance par le travail de son honorable concitoyen. En effet, non-seulement M. Kopp présente sous un point de vue bien différent de celui de Muller et de Tschudi l’origine et les progrès de la Confédération suisse, mais encore il essaie de désenchanter la tradition qui fait de Guillaume Tell un vengeur de la liberté opprimée. Dans une note, à la p. 44, il fait voir d’abord que nos écrivains du 15me et du 16me siècle, loin de s’accorder sur le temps où Guillaume Tell se serait signalé par un acte d’héroïsme, rapportent, au contraire, ce fait à des époques si différentes, que les deux dates extrêmes sont séparées par un espace de quarante ans; puis il montre /468/ entre autres contradictions manifestes, ou apparentes, une légende qui attribue à un personnage différent de Gessler, savoir à un prétendu comte de Seedorf, l’ordre barbare que Tell dut exécuter. M. Kopp rend l’anecdote de la pomme encore plus suspecte, en assurant d’une manière positive (à la p. 63), que l’avouerie de Kussenach ne fut jamais confiée à un Gessler. Cette assertion, puisée dans des chartes qui indiqueraient la succession non interrompue des avoués de Kussenach pendant le siècle où l’événement dont il s’agit aurait eu lieu, semble annoncer que, dans l’histoire de la Confédération suisse que M. Kopp a promise, l’histoire de Guillaume Tell ne sera plus que de la fumée qui se dissipera sans laisser de traces.

Le livre de M. Kopp a fait sensation. Il a provoqué une lutte qui peut se prolonger. Car, bien que l’on ait déjà remarqué dans cet ouvrage plus d’une erreur assez grave, plus d’une assertion qui montre que « l’esprit de critique n’est pas toujours l’esprit de vérité » 69 , cependant, les notes de M. Kopp contiennent des indications précises qui ébranlent la base sur laquelle repose l’histoire de Guillaume Tell, et menacent de la renverser. Si M. Kopp a rencontré des adversaires qui n’adoptent pas ses conclusions, il compte, en revanche, un bon nombre de partisans du système qu’il a exposé.

Nous citerons entre autres un habile écrivain qui a publié, dans la Gazette d’Etat de Prusse (no 216 de 1836), un article fort remarquable à propos de la brochure du Dr Ideler. Considérant comme un épisode ce qu’on appelle communément histoire de Guillaume Tell, il l’examine au point de vue esthétique, comme une œuvre de l’imagination et de l’art. Ce n’est pas ici le lieu d’apprécier ce travail. Nous dirons seulement que l’auteur ne pouvait adopter un autre système, après avoir inféré des observations du professeur de Lucerne que l’on ne peut admettre ni l’existence de Gessler, ni la réalité de Guillaume Tell.

Le prince E.-M. Lichnowsky, auteur de l’Histoire de la maison de Habsbourg, nie aussi les faits attribués au fameux archer /469/ d’Uri, ainsi que les divers détails qui accompagnent l’origine de la Confédération suisse. Nous attachons peu d’importance à l’opinion d’un écrivain partial, qui adopte à tous égards le système de M. Kopp sans l’appuyer d’aucune preuve 70 . « Trancher n’est pas résoudre. »

Nous pouvons, avec quelque raison, appliquer cet adage à M. Leo, professeur à l’université de Halle. Cet écrivain spirituel et fécond, mais passionné et parfois superficiel, a prétendu, sans discuter les opinions de M. Kopp, que tous les récits dont nos chroniqueurs entourent le berceau de la liberté helvétique ont été imaginés par la haine implacable dont l’Autriche était l’objet, et rattachés confusément à l’histoire primitive des Confédérés. Il ajoute que jamais homme du nom de Gessler n’exerça un pouvoir à Kussenach, que l’action révoltante qu’on impute soit à Wolfenschiess, soit à quelqu’autre officier de l’Autriche, le trait d’adresse de Guillaume Tell, et d’autres détails, ne sont que des fictions et des contes. Toutefois, au jugement de cet écrivain, l’existence d’un habitant d’Uri, nommé Tell, n’est pas douteuse; il se pourrait même qu’à l’époque de l’effervescence populaire où il vécut, cet homme, poussé par le désir immodéré de l’indépendance et de la liberté, se fût fait remarquer par un coup de tête 71 .

M. Leo considère comme des fables les vexations des officiers de la maison de Habsbourg-Autriche, mais il admet la réalité de Tell et la probabilité d’une action hardie dont ce personnage serait l’auteur. L’opinion de M. Leo donne un relief odieux à la conduite des « turbulents pâtres » des Alpes? On sait de reste que le professeur de Halle n’est point l’ami politique des Confédérés, et qu’il condamne l’esprit d’indépendance dont ils étaient animés. On peut se défier du jugement d’un historien qui se laisse dominer par l’esprit de parti.

Un autre écrivain allemand, scrutateur sévère de la vérité /470/ historique, M. le professeur Aschbach, a jugé avec autant de discernement que d’impartialité plusieurs écrits relatifs à l’origine de la Confédération. Cet historien distingué nous inspire d’autant plus de confiance que, dans l’examen de la question qui nous occupe, il fait preuve non seulement d’une grande sagacité, mais encore d’une connaissance peu commune des sources de l’histoire des Suisses.

Dans une analyse critique de l’ouvrage du Dr Ideler, publiée dans les annales littéraires de Heidelberg 72 , M. Aschbach admet aussi comme probable l’existence d’un habile archer du pays d’Uri, lequel aurait vécu à l’époque où la Confédération se forma; mais il ne peut ajouter foi aux divers détails de la tradition. Il estime que depuis la publication de l’ouvrage de M. Kopp on ne saurait croire avec J. Grimm à la fin tragique d’un Gessler, avoué de Kussenach, qui aurait péri d’un trait lancé par un homme aussi adroit que courageux. Ainsi, selon M. Aschbach, tout ce que l’on peut raisonnablement admettre, c’est la réalité d’un personnage, d’un arbalétrier, qu’on désignait sous les noms de Guillaume Tell. Cependant, ajoute-t-il, comme toute tradition a nécessairement un fond de vérité, il importe d’examiner comment la fable de Tell a pris naissance en Suisse, ou bien par quelle voie, et à quel propos, une tradition vivante chez un autre peuple a pénétré dans les vallées des Alpes. — Après avoir présenté d’autres considérations, que nous apprécierons ailleurs, M. Aschbach termine son article par une observation importante: « Au lieu de traiter, dit-il, la tradition de la pomme à part, indépendamment des détails qui l’accompagnent, il faut, au contraire, pour obtenir un résultat définitif, examiner dans leur ensemble les faits traditionnels qui constituent l’histoire du héros d’Uri. Ainsi, à notre jugement, il convient de soumettre cette histoire à une nouvelle discussion. » /471/

L’article de H. Aschbach concluait donc à une révision de la cause célèbre dont on s’était occupé environ deux siècles et demi, sans qu’elle fut décidée. Le vœu du savant professeur fut accueilli comme il méritait de l’être. La faculté de philosophie à l’université de Heidelberg mit au concours la question que H. Aschbach avait suggérée. On devait y répondre dans l’année académique 1836-37. Nous verrons ci-dessous quel fut le succès de cette démarche. En attendant, voyons ce que la littérature historique de cette époque offre d’intéressant par rapport à l’aventure de Guillaume Tell.

Nous citerons en premier lieu un ouvrage qui parut à Copenhague en 1840, postérieurement à d’autres, auxquels nous aurons égard dans cette revue. Cet ouvrage a pour objet l’examen d’une tradition du Nord, considérée dans ses rapports avec la tradition qui, de temps immémorial, est en vogue dans notre patrie 73 . L’auteur, M. Fréd. Schiern, donne d’abord un aperçu de divers écrits relatifs à l’histoire de Guillaume Tell, ou plus exactement, au trait d’adresse et de courage qui a rendu cet archer célèbre. Il embrasse le temps qui s’est écoulé depuis la publication de la lettre de Guillimann jusqu’à celle de la monographie du Dr Ideler inclusivement; en sorte que, déjà sous ce rapport, la place que nous assignons à son mémoire est réellement celle qu’il doit occuper. Il convenait d’ailleurs, à notre avis, d’observer ici l’ordre plus rationnel de l’analogie, ou des rapports qui lient l’un à l’autre des ouvrages dont le sujet et la tendance sont les mêmes. En effet, les recherches et les observations de M. Ideler et de M. Schiern se concentrent sur un seul objet, qui est le fait de la pomme; elles tendent au même but, qui est de prouver que ce fait a été faussement attribué à Guillaume Tell. Dans notre opinion, le mémoire du /472/ docteur allemand a provoqué celui du savant danois, qui, circonscrivant ses idées et ses vues, évite les digressions, redresse les erreurs et complète les observations de son devancier.

M. Schiern a fait l’exposé sommaire de la controverse dont nous faisons l’histoire. Cette partie de son travail est incomplète. Nous ne pourrions rectifier certaines inexactitudes, ni combler mainte lacune, sans répéter ce que nous avons dit dans les pages qui précèdent. Passant à l’examen de la tradition concernant le citoyen d’Uri, l’auteur du mémoire précité réunit les arguments que d’autres écrivains ont avancés pour la combattre, et il les appuie de considérations qui leur donnent plus de solidité. Il observe que plusieurs érudits, suivant chacun une méthode différente, ont obtenu le même résultat, à savoir que le fait de la pomme, attribué à Guillaume Tell, n’est pas admissible, mais que, néanmoins, ce personnage peut être considéré comme un des fondateurs de la liberté helvétique. Sans nier et sans affirmer positivement l’existence de ce héros, M. Schiern croit cependant que, loin d’être constatée, elle est d’autant moins certaine que la validité de l’acte de 1387 est douteuse, et que, depuis la publication de l’ouvrage de M. Kopp, la réalité de Gessler même est remise en question.

L’historien danois a réuni dans son ouvrage les traditions scandinaves qui ont de l’analogie avec celle de l’arbalétrier suisse, laquelle, suivant lui, aurait été transportée dans les vallées des Alpes par une colonie venue du Nord. Il montre qu’elles découlent toutes d’une source commune, et il essaie de tracer la route que la légende de la pomme aurait suivie pour pénétrer dans les montagnes de l’Helvétie.

Le mémoire de M. Schiern est sans contredit le plus intéressant de tous ceux qui ont traité la question spéciale de la tradition de la pomme, et le plus complet sur cette matière. Du reste, il jette peu de jour sur l’histoire de Guillaume Tell.

L’auteur de la Géographie de la confédération suisse, M. Gerold Meyer de Knonau, s’exprime à peu près en ces termes à propos /473/ de la tradition qui concerne Guillaume Tell 74 . « Depuis que M. Kopp a commencé de reconstruire l’histoire de la confédération suisse sur une base plus solide, l’appréciation sévère des documents et la critique historique détruisent peu à peu cette poésie des souvenirs qui nourrissait le patriotisme, ces traditions nationales qu’il ne faut pas confondre avec des contes et des légendes. Tout doit céder à la vérité; mais, à moins que l’on ne puisse démentir les faits qui se sont transmis de siècle en siècle et que la foi populaire a consacrés, rien n’autorise à leur refuser toute croyance. Il est vrai que l’histoire de la pomme ouvre un vaste champ pour la discussion … Toutefois, lors même que l’on prouverait que cette anecdote est une fable, il ne s’en suivrait pas que Tell est un personnage d’invention, et que, en conséquence, il n’a pu se signaler par quelque action mémorable. »

L’histoire de Guillaume Tell a trouvé depuis un défenseur officieux, mais peu habile, dans la personne de William Peter, auteur d’une traduction anglaise du drame de Schiller, à laquelle il a joint des notes que leur originalité rend assez piquantes. En voici quelques échantillons. « On peut diviser en deux classes (dit M. Peter) les écrivains qui ont attaqué Guillaume Tell et son histoire. La première se compose des partisans de l’Autriche, — gens qui, ennemis de tout esprit d’indépendance, éprouvent le besoin de déprécier et de dégrader les héros de la liberté … La seconde classe des adversaires de Tell comprend ce qu’on peut appeler des charlatans ou des marchands de nouveautés, esprits subtils et creux qui se décorent, je crois, du titre de philologues … Ce sont des hommes qui poussent le scepticisme jusqu’à douter de tout ce que d’autres ont admis ou reconnu pour vrai … Ce que les alchimistes anciens ont été pour les chimistes modernes, les philologues d’aujourd’hui le sont pour les historiens futurs. »

Les preuves alléguées par ce sage critique en faveur de Guillaume Tell, n’offrent rien de nouveau. Il invoque les chants /474/ populaires, les chroniques, le témoignage des cent-quatorze personnes qui auraient connu Tell, la tradition constante et les monuments. L’auteur de cette diatribe montre sa partialité en ne citant, parmi les objections nombreuses de ses adversaires, que le faible argument qu’ils ont tiré de la ressemblance de l’aventure de Tell avec celle de Toko 75 . Les notes de M. William Peter justifient le proverbe: « Beaucoup de bruit, peu de fruit. »

Dans le résumé de l’histoire de la Confédération Suisse, dont M. le professeur Escher, de Zurich, a enrichi la grande Encyclopédie qui se publie en Allemagne 76 , cet habile écrivain ajoute aux traits principaux de l’histoire de Guillaume Tell des réflexions auxquelles nous devons avoir égard. « On ne saurait déterminer, dit-il, quelle partie de ces détails provient de première source, nommément de la chronique du chevalier de Klingenberg et de la tradition orale. En tout cas, il convient d’observer les règles générales que la critique a établies pour l’appréciation des récits traditionnels, et de remarquer la différence notable qui existe entre les traditions et les contes ou les légendes; enfin, il ne faut pas oublier que les traditions des Waldstetten se rattachent à des localités réelles et à des monuments respectables par leur ancienneté … Il faut avouer que les objections que l’on a présentées contre l’authenticité de l’histoire de Guillaume Tell sont assez graves. On affirme depuis longtemps qu’elle est identique à une légende danoise, qui aurait pénétré jusqu’au cœur des Alpes. Tout récemment on a montré que la même tradition est répandue en Islande et dans le nord de l’Angleterre, et l’on a réduit Guillaume Tell à un personnage mythique. Mais un document de 1387 prouve que Guillaume Tell d’Uri a réellement existé … Quelque trait de /475/ l’histoire du nord aurait-il été appliqué à ce personnage, ou bien l’insolent bailli a-t-il renouvelé un acte de tyrannie dont le souvenir pouvait s’être conservé par la tradition 77 ? Nous doutons que la critique parvienne jamais à résoudre ce problème. » Telle est l’opinion de l’historien judicieux et impartial que nous avons nommé.

Pendant que le travail de M. Escher s’imprimait à Leipzig, la Société d’histoire de la Suisse romande publiait à Lausanne un mémoire sur les Waldstetten 78 . L’auteur de cet ouvrage pense que l’on n’eût jamais dû faire de l’histoire de Guillaume Tell l’objet d’une enquête spéciale, en la séparant, comme un fait absolu, des circonstances relatives à l’origine de la Confédération; qu’il fallait, au contraire, examiner si elle est une partie intégrante de l’histoire de l’affranchissement des Waldstetten. Dans cette opinion, il a traité d’abord les questions purement politiques, en les dégageant des détails accessoires, c’est-à-dire qu’il a essayé d’indiquer les rapports des peuples des Alpes avec l’Empire et avec les dynastes de Habsbourg, etc., et de donner la raison des événements qui aboutirent à l’acte d’association d’Uri, de Schwyz et d’Unterwalden. Cette manière de procéder est, à son avis et au jugement d’habiles critiques, la seule voie /476/ qui conduise à la vérité. L’auteur de l’Essai ne s’est donc pas livré à l’examen particulier de certains faits contestés, qu’il se proposait de soumettre à une nouvelle discussion lorsqu’il aurait traité la question d’état social. Toutefois, convaincu de la réalité de Guillaume Tell, il n’a pu envelopper ce personnage d’un silence que peut-être on eût mal interprété. Mais, depuis qu’on a prétendu que Gessler est un être fabuleux, il ne devait pas une seconde fois mettre Guillaume Tell sur l’avant-scène. Aussi, en infirmant certaines assertions de M. Kopp, a-t-il fait en même temps quelques efforts pour vérifier l’existence du personnage appelé Hermann Gessler, et s’il ne l’a pas établie avec certitude, ses conjectures ont du moins, comme on l’a dit, le mérite de la vraisemblance, ce qui est déjà considérable. Dans son opinion, il résulterait de diverses circonstances que Gessler exerçait un office de la part du duc d’Autriche, qu’il résidait, non pas à Kussenach, mais au château de Schwanau dans le lac de Lowerz, que Tell fut un des conjurés, que cet homme ayant été arrêté pour un acte de désobéissance, parvint à se sauver et tua l’officier autrichien; enfin que, en dépit de la tradition, ce n’est pas dans le chemin creux, à l’endroit où s’élève une chapelle près de Kussenach, qu’il faut chercher le théâtre de cet événement tragique.

Ce ne sont là que des indications que l’auteur se propose de soumettre à un examen sévère.

Dans un mémoire imprimé en 1840 79 , M. le conseiller Heusler rapproche deux faits qu’il oppose au système de M. Kopp, à savoir la non-confirmation des franchises d’Uri, qu’Albert d’Autriche négligea ou refusa de sanctionner, et l’action courageuse de Guillaume Tell, action qui aurait été la conséquence plus ou moins éloignée de la conduite du prince. M. Heusler pense, comme l’auteur de l’Essai sur les Waldstetten 80 , « qu’il /477/ faut chercher dans la condition politique ou dans l’état social des peuples des Alpes, et dans la conduite des avoués de la maison de Habsbourg-Autriche à leur égard, les causes et la raison des événements qui eurent pour résultat l’affranchissement des Waldstetten. Suivant l’opinion de cet habile écrivain, les habitants de Schwyz et d’Unterwalden se plaignaient de l’administration vexatoire et de la cruauté de leurs avoués. Ils intéressèrent à leur sort les hommes d’Uri. Ces derniers, qui avaient plus de franchises que leurs voisins, voyaient avec douleur un officier de l’Autriche insulter à leurs libertés, en usurpant des droits et en faisant élever un château seigneurial, un Twing-Uri, siége futur du Twing und Bann, ou de la haute-juridiction, dont l’exercice, dans leurs vallées, n’appartenait qu’à l’Empire. Cette construction, qui présageait l’abolition de leurs priviléges, excita leur mécontentement. Afin de rompre leur opiniâtreté, l’insolent bailli fit placer le chapeau ducal au bout d’une perche; Guillaume Tell refusa de s’incliner devant cet emblême de la domination étrangère. Les persécutions auxquelles il fut exposé inspirèrent à ce héros une action hardie, qui fut le signal du soulèvement des Waldstetten. Bien que l’on n’ait pas constaté les détails de la tradition, celle-ci y cependant, concorde en ce qu’elle a d’essentiel avec la teneur des chartes qui font connaître les rapports d’Uri avec l’Empire. Cette coïncidence est une preuve de son ancienneté. »

Si le système que nous venons d’exposer n’appartient pas exclusivement à M. Heusler, il acquiert cependant une nouvelle importance par l’appui solide que lui porte le savant publiciste bâlois.

La faculté de philosophie à l’université de Heidelberg avait mis au concours cette question: « Examiner plus sérieusement que ne l’ont fait MM. Kopp et Ideler, l’origine de la confédération suisse et les détails que l’on rapporte de Gessler et de Tell, indiquer et apprécier les sources d’où ces détails sont parvenus jusqu’à nous » 81 . La faculté reçut en réponse à cette /478/ question un mémoire en latin, qui fût couronné. L’auteur ne le publia que plus tard, après l’avoir revu et traduit en allemand 82 . De tous les ouvrages qui ont paru sur cette matière jusqu’en 1840, celui que nous annonçons est sans contredit le plus complet et le plus important. A une grande érudition dans la littérature historique de la Suisse, l’auteur unit cet esprit de critique sans lequel il est impossible de distinguer le vrai du faux. Dans ce grave débat entre le scepticisme orgueilleux qui doute de tout, et la crédulité facile qui admet tout sans examen, M. Haeusser poursuit consciencieusement la vérité. Il discute avec calme et sans partialité les détails de la tradition; il examine avec soin, il apprécie sans préjugé les récits des chroniques, les chants populaires, et pèse dans la balance de la justice et de l’équité les divers arguments que ses devanciers ont allégués pour ou contre l’histoire de Guillaume Tell. A la fin d’une introduction fort intéressante, il annonce qu’il a jugé convenable de traiter d’abord le fond de la question, c’est-à-dire d’examiner les preuves de l’existence de Guillaume Tell et de l’influence qu’il aurait exercée sur la destinée de sa patrie, et de ne s’occuper des détails que l’on rapporte de ce personnage qu’après avoir donné la solution du problème qu’il vient de se poser. Il pense que c’est là le seul moyen de s’assurer si la question concernant Guillaume Tell offre véritablement quelque intérêt historique. En conséquence M. Haeusser examine: 1o les sources immédiates de l’histoire de la confédération helvétique du 14e siècle; 2o les sources médiates ou les rapports des annalistes de la fin du 15e et du commencement du 16e siècle; 3o divers travaux critiques dont l’histoire de Guillaume Tell a été l’objet. — Cette partie, que nous appelons la partie bibliographique ou littéraire, est incomplète, — 4o Il expose le résultat des /479/ recherches qu’il a faites sur l’existence de Guillaume Tell et sur la part que la tradition lui attribue à la fondation de la liberté des Waldstetten. Dans la seconde partie de son mémoire, M. Haeusser essaie de montrer l’origine et le développement de la tradition de Guillaume Tell: il compare l’histoire de la pomme avec la tradition scandinave, discute certains détails, et termine son opuscule par un résumé, auquel nous ajoutons quelques observations tirées de l’ouvrage même que nous avons cité.

Voici les conséquences que M.Haeusser a déduites de ses recherches:

1o Rien ne justifie l’importance historique que l’on attache communément à Guillaume Tell. Ce personnage n’a aucun droit au titre de libérateur de la Suisse, vu qu’il n’a pris aucune part active à l’affranchissement des Waldstetten.

2o Cependant l’opinion de ceux qui prétendent que Guillaume Tell est un personnage emprunté à la tradition scandinave ne peut se soutenir. L’existence d’un Suisse appelé Guillaume Tell est à l’abri de tout soupçon. Il est assez probable que, dans un coin de son pays, cet homme se fit remarquer de ses entours par une action hardie, mais du reste insignifiante, qui ne se rattache par aucun lien à l’histoire de la Confédération. Il se peut que, partageant la haine de ses compatriotes pour les avoués de l’Autriche, cet homme ait évité ou refusé de saluer le chapeau ducal. Ce fait, qui ne fut point le signal des conjurés, qui ne méritait pas même d’être cité par les écrivains contemporains, étonna cependant les témoins oculaires; il se grava dans leur souvenir, se transmit de bouche en bouche, et fut célébré dans les chants populaires, qui peu à peu s’enrichirent de nouveaux détails. Si, comme on le dit, Guillaume Tell périt en voulant sauver un malheureux dans une inondation, ce noble dévouement aura contribué pour beaucoup à perpétuer sa mémoire.

3o La postérité, reconnaissante et passionnée pour la gloire de sa patrie, n’examina pas avec une extrême attention les titres de ses aïeux à la vénération publique. Elle fit du nom de Guillaume Tell le symbole du courage et du patriotisme /480/ helvétique: elle para de faux ornements son prétendu libérateur, groupa autour de son nom les détails d’une tradition scandinave, et ce personnage ainsi décoré devint l’idole d’un peuple crédule, qui lui consacra des monuments et célébra des fêtes en son honneur.

4o Quant à la tradition, telle que l’ont conservée les ballades et les chroniques, à la prendre dans sa généralité, elle est appuyée sur des preuves si faibles qu’on ne peut, en vérité, lui accorder quelque créance. Il est facile de démontrer que certains détails qu’elle rapporte ne sont pas authentiques, et qu’ils ont été inventés par l’imagination.

Enfin nous ferons observer que, sans se connaître, MM. Haeusser et Schiern s’accordent sur un point essentiel, à savoir que la tradition de la pomme est d’origine scandinave.

D’après ces résultats, fruit d’un examen sérieux, Guillaume Tell ne serait en définitif qu’un hors-d’œuvre, comme avait dit quatre-vingts ans auparavant l’auteur de la préface d’un Inconnu.

La dissertation que nous venons d’examiner a été l’objet de plusieurs articles de critique, dont nous avons lu peut-être les plus importants 83 . M. Haeusser dit, dans un morceau qu’il a publié depuis, que « les auteurs de ces divers articles représentent trois partis, celui de l’extrême droite, qui prétend que cette dissertation ne prouve rien; celui des modérés, qui consentirait à faire quelque concession, et qui se partage en fractions jusqu’à l’extrême gauche, où un des juges les plus compétents, le professeur Aschbach, semble reprocher à l’auteur trop de crédulité plutôt que trop de scepticisme. »

Avant de présenter les observations de M. Aschbach, nous dirons qu’il a paru naguère à Nuremberg une brochure du Dr Mönnich, qui a défendu avec plus de zèle que de succès l’authenticité de la tradition de Guillaume Tell contre ceux qui l’ont contestée, en particulier contre le Dr Haeusser. Tel article d’un /481/ 481 parti qui juge plus commode d’affirmer ou de nier, selon les circonstances, que d’examiner, a proclamé la victoire de M. Mönnich et prétendu que cet écrivain avait établi l’authenticité de l’histoire de Guillaume Tell de manière à ne plus laisser subsister aucune objection. Or, loin d’avoir irrévocablement fermé la discussion sur cet objet, comme quelques hommes prévenus l’ont affirmé, M. Mönnich n’a point réfuté par des preuves péremptoires les arguments de ses adversaires; car ses études sur la matière se sont bornées à la lecture des monographies d’Ideler et de Haeusser. Il n’oppose à celui-ci que les raisons et les preuves que l’on avait maintefois répétées sans succès. Les considérations dont il les appuie ne facilitent nullement la solution du problème que tant d’autres avant lui ont essayé de résoudre. La dissertation de M. Mönnich témoigne d’un louable mais inutile effort pour justifier la croyance à la tradition de Tell dans sa totalité, ainsi que M. Haeusser l’a fait remarquer dans les pages où il réfute cet opuscule 84 .

Une grave erreur de M. Mönnich est de croire qu’il existe des chroniques suisses de la première moitié du 15e siècle. Les arguments qu’il a tirés de cette supposition gratuite n’ont aucune valeur.

M. le professeur Aschbach, qui s’intéresse si vivement à cette controverse historique, a rendu compte du mémoire de M. Haeusser, dans un savant article des annales littéraires de Heidelberg, 1840, p. 510-519. Cet habile critique pense, avec raison, que les admirateurs de Guillaume Tell et ses compatriotes seront peu satisfaits du résultat obtenu par M. Haeusser, parce que, loin de chercher la vérité, ils prétendent imposer à d’autres une tradition qui ne supporte pas l’examen. Cette observation nous rappelle ces deux vers de La fontaine; /482/

« L’homme est de glace aux vérités; Il est de feu pour les mensonges. »

M. Aschbach fait observer que si M. Haeusser eût pu consulter à temps l’Essai sur les Waldstetten, il aurait évité quelques erreurs, qu’il doit à M. Kopp, et peut-être modifié son opinion à l’égard de Gessler, dont l’existence cependant n’est point encore avérée. Enfin, comme M. Haeusser, après avoir conclu de diverses circonstances à la réalité de Guillaume Tell, appuie son opinion sur l’autorité d’un rapport suivant lequel cent quatorze personnes auraient connu ce citoyen, notre critique sévère demande l’indication précise de la source où l’on a puisé ce renseignement, afin que l’on puisse vérifier le témoignage qu’invoquent tous les défenseurs de Tell.

M. Aschbach estime que le travail de M. Haeusser a considérablement dégagé la question des ténèbres qui l’obscurcissaient, mais il n’envisage point le débat comme terminé.

Un autre critique fort estimable, M. Jahn, s’exprime sur le même sujet à peu-près en ces termes, dans Annales de Philologie et de Pédagogie 85 . « Aussi longtemps que l’on ne produira pas des documents qui constatent les faits attribués à Guillaume Tell, on obtiendra difficilement un résultat différent de celui qu’à obtenu M. Haeusser, à savoir que l’existence de Guillaume Tell n’est pas douteuse, mais que le récit de ses actions est orné de fables. Cependant, il y a peut-être dans ces récits moins de fictions et, partant, plus de réalité que M. Haeusser ne le pense. Il est possible, en effet, que Guillaume Tell se soit signalé par un acte plus important que ne le serait le refus de saluer le chapeau. Il se pourrait aussi que, dans le pays d’Uri, Tell eût contribué puissamment à la conquête de la liberté, sans prendre toutefois une part active au projet des premiers confédérés et à leurs délibérations. Cette circonstance expliquerait le silence de Justinguer et de Jean de Winterthur. Voilà des questions qui méritent d’être sérieusement discutées. En tout cas, il est fort probable que la gloire de Tell n’eut point /483/ obscurci l’éclat du mérite de Fürst, de Stauffacher et de Melchthal, dans les ballades et dans la tradition populaire, s’il n’eût pas été le principal auteur de la délivrance d’Uri. »

A cet égard un autre écrivain de la docte Allemagne, M. K.-G. Jacob, partage l’opinion de son honorable compatriote. « On commença, dit-il, par contester le fait de la pomme, on finit par nier l’existence de Guillaume Tell. Cependant, il nous paraît difficile, sinon impossible, de prouver que ce personnage est un être imaginaire. Il n’y avait qu’un nom cher au peuple, un nom auquel se rattachaient le souvenir et la gloire d’un action profitable à la patrie, qui pût s’entourer des prestiges d’une tradition poétique 86 .

En 1840, le prof. Henne publia la seconde édition de sa Chronique Suisse 87 . Après avoir raconté dans cet ouvrage les faits que la tradition attribue à Guillaume Tell, l’auteur discute dans quelques pages la question de leur authenticité. Le résultat de cet examen est en faveur de la tradition. M. Henne la défend avec une énergie qu’il a puisée dans des motifs de conviction. Il l’admet dans les détails, sans adopter toutefois l’opinion des écrivains qui prétendent que Tell tua le bailli autrichien dans le chemin creux, et que la chapelle près de Küssenach fut érigée en son honneur. Il combat le système du Dr Haeusser, et soutient que Guillaume Tell a été un des sauveurs de la liberté, un des fondateurs de la Confédération. Le travail de M. Henne sur cette matière est important, sans doute, mais il ne termine point le débat. L’auteur accorde trop de confiance à Tschudi, et il ne réussit pas à donner plus de poids à l’autorité de ce chroniqueur, en disant que selon toute apparence il a puisé l’histoire de Tell à une source authentique du XIVme siècle.

M. le colonel Nüscheler, de Zurich, auteur d’une Histoire de /484/ la Suisse, dont le premier volume a paru l’année dernière 88 , tient pour authentique l’histoire de Guillaume Tell. Cet écrivain pense que si les actes d’insolence et de brutalité que l’on impute aux officiers de l’Autriche sont avérés, nous n’avons aucune raison d’envisager comme fabuleux les deux traits que Guillaume Tell décocha, l’un pour abattre la pomme placée sur la tête de son fils, l’autre pour percer le cœur du tyran, dans un siècle où l’on se courbait difficilement sous le joug du despotisme. M. Nüscheler observe que le silence des chroniqueurs contemporains de Tell, silence dont on s’est prévalu pour rejeter les faits attribués à ce personnage, n’est point une preuve concluante; que l’histoire de Guillaume Tell, considérée dans ses rapports avec d’autres événements qui précédèrent l’acte de confédération, est semblable à un grain de semence, qui, tombé en terre à l’insu de la plupart des contemporains, germe et devient un arbre qui excite la reconnaissance et l’admiration de la postérité. Entre autres preuves positives de l’existence de Guillaume Tell, et de ses actions mémorables, M. Nüscheler cite: 1o le décret de 1387 89 , en vertu duquel on aurait institué un service religieux à la place même où Tell avait eu sa demeure; 2o le rapport de 1388, selon lequel cent quatorze personnes auraient connu Tell; 3o un passage de la chronique de Klingenberg, que nous reproduirons plus tard. - Ces preuves ont souvent été alléguées en faveur de l’histoire du héros d’Uri. Elles eussent fermé la discussion sur quelques points contestés si elles portaient l’empreinte irrécusable de l’authenticité.

L’imprudence que commit un professeur de Lucerne en disant à ses élèves que l’histoire de Guillaume Tell est une fable, provoqua l’article fort étendu qu’un ardent défenseur de cette histoire fit insérer dans le Confédéré de Lucerne du /485/ 11 juillet de l’année dernière 90 . Une note du rédacteur de cette feuille prévient le public, que l’auteur de l’article dont il s’agit oppose aux objections de M. Kopp et de ses partisans des preuves décisives en faveur de la tradition qu’ils ont révoquée en doute.

Il n’entre pas dans le plan de notre revue de discuter ces preuves; il suffira de les exposer sommairement, sauf à les examiner plus tard, s’il y a lieu. L’auteur anonyme de l’article dit entre autres: « On doit nécessairement reconnaître pour vraie toute tradition écrite qui ne répugne pas au bon sens, qui n’est pas invraisemblable, et qui a été transmise par un homme ami de la vérité. Peu de traditions historiques sont consignées dans des livres avec une exactitude qui inspire une entière confiance. Une tradition est suspecte lorsque les chroniqueurs la rapportent différemment, quant à la substance, ou que l’un d’eux réfute l’autre; toutefois, dans ce cas même la tradition est digne de foi si l’on peut démontrer que l’adversaire était dominé par l’esprit de parti, car les passions n’entendent point la voix de la vérité. Jugez l’histoire de Guillaume Tell d’après ces règles, vous verrez qu’elle soutient facilement l’épreuve. Le silence des anciens annalistes est un faible argument contre cette histoire. Ces écrivains ne parlent pas des cruautés des baillis autrichiens, et l’aventure de Tell est une cruauté. La différence des dates où ils placent cet événement n’est pas une raison de le considérer comme rejetable. La précision des détails rapportés par Tschudi prouve que cet historien a puisé à des sources authentiques. Ces détails se rattachent à des localités bien connues. Ils sont d’ailleurs confirmés par des chants populaires, des monuments et des fêtes publiques, qui attestent non seulement que Tell a existé, mais encore qu’il s’est signalé par des actions mémorables. Kopp n’a pas prouvé qu’entre 1302 et 1314, notamment en 1307, l’avouerie de Kussenach n’était pas commise à un Gessler. Les observations de /486/ ce savant ne sauraient affaiblir la croyance à l’histoire de Guillaume Tell. »

Cet extrait de l’article du Confédéré de Lucerne suffit pour démontrer que l’auteur n’oppose aucun argument péremptoire aux objections des écrivains qui ont mis en doute l’histoire de Guillaume Tell et jusqu’à l’existence de ce personnage.

Nous avons commencé par une lettre de 1607 l’historique des débats et des travaux qu’à fait naître cette cause célèbre; nous le terminerons par une remarque sur la dernière discussion dont elle a été l’objet, en 1842.

Dans le programme du congrès scientifique de France qui s’est tenu à Strasbourg, on avait proposé cette question: « Quel est le résultat des recherches critiques (de Kopp de Lucerne et de ses adversaires) sur l’histoire de Guillaume Tell? » — A voir les erreurs nombreuses de dates, de faits, de noms propres, dans le compte-rendu des deux séances consacrées à cet objet, on dirait que jamais question n’a été traitée avec plus de légèreté. L’extrait du bulletin, que nous avons lu, ne produit aucune preuve nouvelle et décisive en faveur de la tradition de Guillaume Tell. Les savants qui se sont occupés de ce problème historique dans la capitale de l’Alsace ont laissé la discussion ouverte.


NOTES:

1 « Civitatum quoque origines et progressus non omisi, sed procul a fabulis. » Guillim. de Reb. Helvet. sive Antiquitatum Libri V. Friburgi. 1598, in-4o et dans le Thesaur. Histor. helvet. [retour]

2 « De Tellio quod requiris, etsi in antiquitatibus helveticis famam secutus vulgarem quaedam tradiderim, tamen, si serio et pensitato sententiam proferre lubeat, fabulam meram arbitror, praesertim cum scriptorem aut Chronicon nullum adhuc repererim, qui ante centum annos vixerit aut scriptum sit, in quo eius rei mentio fiat. Ad maiorem invidiam ficta videntur ea omnia, et fabulam ortam ex more loquendi vulgi, qui sagittarium commendans pomum de vertice filii posse impune et innoxie deiicere telo, eum iactitat. Ipsi Uranii de eius sede non conveniunt, nec familiam aut posteros eius ostendere possunt, cum pleraeque aliae familiae eorum temporum supersint. Multa alia argumenta habeo. Sed cur te morer in tali re? etc. » Guillim. epistol. ad Goldast. Ep. CXLIII. [retour]

3 De W. Tellio quod rogas, nullam eius fieri apud antiquos scriptores mentionem, mirum non est: nosti enim illius saeculi barbariem. Et qua invidia tum laborabant apud exteros primi confoederati! » Epist. ad Goldast. CCCXX. [retour]

4 Schweizerisch Helden Buch. — Per Jo. Jacobum Grasserum. Basel, bey H. Heinrich Glaser. 1625. in-4o. [retour]

5 Je partage à cet égard l’opinion de J. de Muller, Hist. de la Conféd. Suisse t. I, p. 645, n. 224, de l’édit. all. de 1825, ou t. II, p. 232, n. 233 de la nouv. traduct. franç. [retour]

6 Grasser rapporte à la page 54 et suivante l’histoire de Guillaume Tell, et page 58 et suivante l’aventure de Toko. [retour]

7 Voy. G. E. Haller, Bibl. der Schw. Geschichte, t. IV, p. 236, et t. V, p. 25. [retour]

8 Discours von dem Wilhelm Tell; gehalten im Collegio Insulano zu Zürich, von Hn. Landschreiber Rudolph Hess, den 7n Dec. 1680. Voy. Haller, ibid, t. II, p. 73, et t. V, p. 23. [retour]

9 Histor. und geogr. allgem. Lexicon von Jac. Christ. Iselin. Basel 1727, in-fol. t. IV, p. 574, art. Tell, et p. 600, art. Tocho. [retour]

10 Voy. la Chron. de Tschudi, t. I, p. 238, note. [retour]

11 Essai sur les mœurs et l’esprit des nations. Edit. de Lecointe. Paris, 1829, in-8o. T. IV, p. 146, note. [retour]

12 Ibid. Dans une autre édition du même ouvrage (T. XXV, p. 237 des œuvres complètes de Voltaire. 1785. in-8o), on lit ainsi le passage que j’ai cité: « Avouons que toutes ces histoires de pommes sont bien suspectes: celle-ci l’est d’autant plus qu’elle semble tirée d’une ancienne fable danoise. » Cf. le Nouveau Dictionnaire historique portatif, par une société de gens de lettres. Amsterdam, chez Rey. 1770. t. IV, art. Tell. [retour]

13 Observationes historiae miscellaneae, quas … subm. Isaacus Iselius. Basil. 1754. 18 p. in-4o: « Quæ communem originem habuerunt gentes, apud has naturale est reperire communes de magnis suis viris fabulas, quarum quaevis sibi soli tribuat, quae, ut ita dicam, ad communes parentes referendae sunt … An idem de Guilelmo Tello, Tochoneque dicamus? Quae de Friedlero, Frothone, et Winkelriedio Olaus Magnus, Etterlinus ahique narrant, eiusdem videntur commatis. » p. 14. [retour]

14 Les lettres et autres pièces inédites, que nous allons citer, se trouvent à la Bibliothèque de la ville de Berne, Manuscr. VI, 63. Chart. Miscellanea helvet. varia (spécialement les Telliana). [retour]

15 Article inédit de Freudenberger, daté de déc. 1758. [retour]

16 Ibid. [retour]

17 Ce sont les documents auxquels Freudenberger a fait allusion dans sa Fable danoise, p. 26-27. [retour]

18 Lettre de Freudenberger à Haller, dat. 25 Juin 1759, concernant les motifs allégués par Imhoff en faveur de la tradition de Guillaume Tell [retour]

19 Dans sa lettre du 30 mai 1759. [retour]

20 Où il établit les règles selon lesquelles on doit examiner un fait et apprécier les traditions orales et poétiques. [retour]

21 Dans la Gazette d’Etat de Prusse (Preussische Staatszeitung) de 1836. No 216, p. 885. [retour]

22 Je dois la communication de cette lettre à la bienveillance de Monsieur Ch. Eynard, auteur de la biographie du célèbre Tissot. [retour]

23 « Ich bekenne Ihnen frey dass es mir hart vorkommt Herrn Freudenbergers Meynung Beyfall zu geben. » (Je vous avoue franchement que je ne puis adopter l’opinion de M. Freudenberger). Lettre de Balthasar à G.-E. de Haller. Lucerne, 2 mars 1759. [retour]

24 Lettre de M. J. à M. K. dans le Journal helvétique de Mars 1760, p. 272 et suiv. On devine que les deux ecclésiastiques auxquels l’auteur de cette lettre fait allusion étaient Freudenberger et Imhoff. [retour]

25 Guillaume Tell, Fable danoise, p. 9-10. [retour]

26 A la suite de la maigre biographie de G.-E. de Haller, laquelle est en tête du VIe vol. de sa Bibl. historique de la Suisse. [retour]

27 Voyez Haller, Bibl. der Schw. Gesch. T. IV, p. 236. [retour]

28 Der Wilhelm Tell. Ein dänisches Mährgen. 1760. 23 p. in-8o. Cette traduction, sans nom de lieu ni d’auteur, est peu soignée. Il s’agissait de satisfaire promptement la curiosité du public. [retour]

29 Lettre déjà citée de Balthasar à G. E. Haller, du 2 mars 1759. [retour]

30 Défense de Guillaume Tell. 1760. 30 pages in-8o sans nom de lieu ni d’auteur. [retour]

31 Voyez Haller, Bibl. der Schw. Gesch. T. V, p. 25. Haller a décrit ces médailles dans son catalogue des médailles de la Suisse, (Schweis. Münz-und Medaillen-Kabinet. 1780). T. I, p. 7. [retour]

32 Haller, Bibl der Schw. Gesch. ibid. [retour]

33 Vertheidigung des Wilhelm Tell. 1760. 23 p. in-8o. [retour]

34 Haller, ibid. T. V, p. 25. [retour]

35 Schuzschrift für Wilhelm Tell. Aus dem französischen Original ins Teutsche übersezt. Samt der Vorrede eines Ungenannten. Zürich. MDCCLX. 32 p. in-8o. [retour]

36 L’auteur avait sans doute écrit ces paroles avant que les gouvernements suisses eussent sévi contre la Fable danoise. — « En 1615, Rodolphe Weyd, de Zurich, fut contraint à faire devant le conseil de cette ville des excuses à une députation d’Uri, pour avoir appelé Guillaume Tell un bourreau.» L’auteur de la préface d’un inconnu donne à entendre que l’action de Tell, considérée au point de vue de la morale chrétienne, est un assassinat. Nous rapportons simplement cette opinion sans la discuter. [retour]

37 Cette lettre, qui parut dans le Journal helvétique (v. note 24), a 16 pages in-8o. [retour]

38 Schreiben von M. J. an M. K. Betreffend eine kleine Schrift, unter dem Titel: Wilhelm Tell, ein Dänisches Mährchen. Aus dem Journal helvétique, Mars 1760. übersezt. MDCCLX. 16 p. in-8o. [retour]

39 Voy. Heeren, dans les Göttingische gelehrte Anzeigen de 1828. No 94 p. 936. [retour]

40 Guillaume Tell, tragédie, représentée pour la première fois le 17 novembre 1766. [retour]

41 Paris, 1767. 75p. in-12o. [retour]

42 Biblioth. der Schw. Gesch. T. V. p. 27. [retour]

43 Dans son histoire de la Confédération suisse. T. I p. 645. note 224 de l’édit. all. de Leipz. 1825. T. III p. 361. note 211 de la trad. de Mallet, ou T. II p. 233 note 232 de la nouv. trad. [retour]

44 Conseils pour former une bibliothèque historique de la Suisse. Berne 1771. in-8. p. 63. [retour]

45 Conseils etc. p. 63 où il dit: « Je parlerai encore de deux Suisses qui se sont acquis beaucoup de renommée. Le premier est Guillaume Tell. » — Dans sa Bibl. hist. de la Suisse. T. V, p. 23. No 68 il donne à Guillaume Tell l’épithète d’homme célèbre. [retour]

46 Wilhelm Tell. Eine Vorlesung, gehalten im hochlöblichen äussern Stande zu Bern, den 21 Merz 1772. von Gottlieb Emanuel Haller, Kriegsrathschreiber. Bern. Gedrukt bey Brunner und Haller. 29 pages, petit in-8o. Ce discours a été traduit en français par l’auteur de « GuiUaume Tell et la révol. de 1307. Delft 1826 » et inséré, dans les deux langues, dans cet ouvrage. [retour]

47 Paroles de M. le professeur Ch. Monnard. [retour]

48 Voy. l’excellent résumé de la Littérature historique de la Suisse Allemande, publié dans le T. V. de la Revue Suisse, par M. Fr. Hurter junior. [retour]

49 Haeusser, die Sage vom Tell, p. 74. cf. ibid. p. 52 [retour]

50 Voy. Revue Suisse, T. V, p. 308. [retour]

51 Gedanken über Mythos, Epos und Geschichte. dans le recueil qui a pour titre: Deutsches Museum, publié par Fréd. Schlegel. T. III. (p. 53-75.) Vienne. 1813. [retour]

52 Handbuch der Geschichte schweiserischer Eidgenossenschaft. Zurich 1826. T. I. p. 85-86 et 94. [retour]

53 Allgem. Welt-und Völkergesch. von C. D. Beck. T. IV. p. 239. [retour]

54 Tome XLV. Paris. 1826. [retour]

55 L’auteur avait probablement écrit « Berner Pfarrer. » — On sait que Gléresse ou Ligerz est un village du canton de Berne, situé au bord du lac de Bienne, vis-à-vis de l’île de S. Pierre. [retour]

56 « Tell der Urner, » Fluelen. 1826. 16 p. in-8o. Voici le passage en question, cité par M. Haeusser, op. I. p. 71. « Es gibt Witzlinge, welche über Tells Geschichte spotten, weil sie nicht verstehen, was ein freier Mann zu thun vermag. — Du aber verachte die Elenden! » [retour]

57 Dissertatio historica inauguralis de Gulielmo Tellio, libertatis helveticae vindice. auct. J. J. Hisely. Groningae 1824. VIII et 69 p. in-8o. [retour]

58 Guillaume Tell et la révolution de 1307. etc. par J. J. Hisely. Delft 1826. VII et 279 p. in-8o. [retour]

59 Les brochures de Freudenberger et de Balthasar ont été réimprimées dans cet ouvrage, sur l’édition (inexacte sous le rapport de l’orthographe et de la ponctuation) que Breyer en a publiée dans son magazin historique. (C. W. F. Breyers Historitches Magazin, 1r Band, Iena 1805). [retour]

60 Voir MM. Ch. Monnard, dans la Revue encyclop. du mois d’avril 1828, p. 151 et suiv.; Heeren, dans les Gött. gel. Anz. 1828, no 94, p. 934 et suiv. Haeusser, dans le mémoire intitulé: « Die Sage vom Tell » p. 71; Iahn, dans les « Neue Iahrb. für Philol. und Paedag. » 1840. T. XXXII, p. 362, et d’autres. [retour]

61 « Behaupten zu wollen, dass alle Erzahlungen von W. Tell reine Wahrheit sey, konnte nicht sein (des Verfassers) Zweck seyn; aber dessen bedurfte es auch nicht, um darzuthun dass Tell allerdings mit Recht für einen der Hauptstifter der helvetischen Freyheit gehalten werde. » Heeren, l. c. [retour]

62 Voy. Guil. Tell et la révol. de 1307, p. 123, 186 et suiv. 189 et suiv. — L’auteur de cet ouvrage ne cite ici que pour la forme une lettre sur G. Tell, qu’il a publiée en 1835 dans un ouvrage périodique hollandais, int. « Athenæum. » A la Haye. 1836. 1re année. No III, p. 315-320. [retour]

63 Ce mémoire, dont l’auteur mourut en 1841, est inséré dans le volume publié en 1830 par l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Besançon. p. 108-124. in-8o. [retour]

64 Voltaire, Essai sur les mœurs etc. ch. 67. [retour]

65 Voir Preussische Staatszeitung du mois d’août 1836. no 216. Aschbach, Heidelb. Jahrb. der Litter. 1836 cah. de sept. no 61 et 62. p. 971-978. Haeusser, die Sage vom Tell, p. 71-72. Jahn, Neue Jahrb. für Philol. und Paedag. 1840. T. 30. p. 332 et suiv. Fr. Schiern, Wanderung einer nordischen Sage, ou l’extrait de cet ouvrage, dans le journal littér. qui a pour titre Magazin für die Litteratur des Auslandes, 1840. no 154. note 24. [retour]

66 Melker Russen des Jüngeren Eidgnössische Kronik. Herausgegeben von Joseph Schneller. — dans le recueil de mémoires historiques intitulé « Der schweizerische Geschichtforscher » T. IX. 2e cah. Bern. 1834. [retour]

67 Urkunden zur Geschichte der eidgenössischen Bünde. Herausgegeben und erläutert von J. E. Kopp. Lucern. 1835. [retour]

68 Schneller, Chron. de M. Russ, p. 58 à 59. 63 et suiv. [retour]

69 « Scharfsinn ist nicht immer Wahrheitssinn ». Heeren. [retour]

70 Voir notre (second) mémoire sur les Waldstetten, p. 263 (ou 9). Cf. l’article de M. Fr. Hurter jun. dans la Revue Suisse T, V. p. 346. [retour]

71 Voy. H. Leo dans les annales intit. « Berliner Jahrb. für wissensch. Kritik. Cah. de mai 1836, p. 676-679. et dans son ouvrage historique: Lehrbuch der univers. Geschichte. Halle. 1839. T. II. p. 309 et suiv. [retour]

72 Heidelb. Jahrb. der Lit. 1836. l. c. [retour]

73 Wanderung einer nordischen Sage, besonders mit Hinsicht auf die Sage von Wilhelm Tell. von Frederik Schiern, dans le T. I. des mémoires de la Société d’histoire de Danemark. (« Historisk Tidsskrift, udgivet af den Danske historiske Forening, ved Selskabets Bestyrelse. Redigeret af C. Molbech, B. I. ») Et « Magazin für die Litteratur des Auslandes.» Berlin. 1840. No 153, 154 et 157. [retour]

74 Erdkunde der schweizerischen Eidsgenossenschaft. 2e édit. T. I. p. 309 note 96. [retour]

75 William Tell, an historical play from the German of Schiller, by William Peter, Esq. Heidelb. 1839. Nous avons emprunté ces détails au mémoire de M. Haeusser, qui à la p. 72 a donné le texte des observations de l’auteur anglais, que nous avons traduites. [retour]

76 Voyez Ersch- und Grubersche allgem. Encyclopädie der Wissenschaften und Künste, 32r Theil ( 1839). Article « Eidgenossenschaft » p. 90 et suiv. [retour]

77 J. de Muller avait énoncé cette opinion. Voyez l’édit. de 1786, T. I, p 611, ou T. III, p. 361 de la trad. franç. par Mallet. [retour]

78 Essai sur l’origine et le développement des libertés des Waldstetten, etc. par J. J. Hisely. Lausanne 1839. XXIII et 253 p. in-8o. Les observation de l’auteur ont été en partie rectifiées, en partie développées et confirmées dans un mémoire supplémentaire, int.: « Les Waldstetten — considérées dans leurs relations avec l’Empire germanique et la maison de Habsbourg. » Lausanne 1841. 165 p. in-8o. (Vol. II des Mém. et Docum. de la Société d’Hist. de la Suisse rom. ) — Plusieurs questions relatives à Uri, qui n’avaient pas été suffisamment éclaircies par les auteurs qui se sont occupés de l’histoire primitive de cette contrée intéressante, ont été reprises par M. le baron de Gingins-la-Sarraz, qui les a traitées à fond et discutées avec conscience et sagacité dans un écrit remarquable, intitulé: Essai sur l’état des personnes et la condition des terres dans le pays d’Ury au XIIIe siècle, et publié dans le Recueil de Mémoires et Documents de la société générale d’Histoire Suisse (Archiv für schweiz. Geschichte). T. I, p. 17-66. Zurich. 1843. [retour]

79 Die Rechtsfrage zwischen Schwyz und Habsburg — von Dr A. Heusler,— dans le Schweiz. Museum für histor. Wissensch. T. III, p. 257 et suivantes. Le mémoire de M. Heusler ne fut imprimé qu’en 1840, quoique le titre du cahier où il est inséré indique l’année 1839. Ce fait a quelque importance. [retour]

80 Voy. l’Essai sur l’origine, etc., p. 132, 146, etc. [retour]

81 « Quæ de origine fœderis Helvetici, de Gessleri et Tellii rebus vulgo traduntur, post Koppium Idelerumque denuo disquirantur, simulque accuratius quam ab utroque factum est, dispotetur de fide historica fontium, ex quibus ista narratio ad nostra usque tempora fluxit. » [retour]

82 Die Sage vom Tell aufs neue kritisch untersucht von Dr Ludwig Häusser. Eine von der philosophischen Facultät der Universität Heidelberg gekrönte Preisschrift. Heidelb. 1840. XIV et 110 p. in-8o [retour]

83 Ceux de MM. Havemann, Gött. gel. Anz. 1840. No 72, p. 705-708. Jahn, Neue Jahrb. für Philol. und Paedag. 1840. t. 30. p. 333 et suiv. Aschbach, Heidelb. Jahrb. der Litter. 1840. Nos 32 et 33, p. 510-519. [retour]

84 Voy. dans les Heidelb. Jahrb. Cah. de Mai et de Juin 1842, p. 411-422, l’examen de la dissertation qui a pour titre: « Ueber das Geschichtliche und Glaubwürdige in der Sage vom Tell, » von Dr W. B. Mönnich. Nuremberg. 1841. dissertation de 16 p. in-4o, que remplissent en partie des morceaux tirés des chroniques de Jean de Winterthur, de Tschudi, de Saxon-le-grammairien. [retour]

85 Voir la note 83. [retour]

86 Neue Jahrb. für Philol. etc. T. XXXII, p. 442. [retour]

87 Schweizerchronik in vier Büchern. durch J. A. Henne. 2te Aufl. St. Gallen und Bern 1840. La première édition parut en 1828-34. [retour]

88 Geschichte des Schweizerlandes. von David Nüscheler. Hamburg bei Perthes. 1842. in-8o. T. I. p. 364 et suiv. [retour]

89 1383, dans l’ouvrage de H. Nüscheler, est sans doute une faute d’impression. [retour]

90 Eidgenosse von Lucern, 11 Juli 1842. L’article que nous citons a pour titre: « Ein Wort zur Zeit. » [retour]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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