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Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande

Edition numérique

Jean Joseph HISELY

Recherches critiques sur l'histoire de Guillaume Tell:
Avant-propos

Dans MDR, 1843, tome 2, troisième livraison, p. 427-429

© 2019 Société d’histoire de la Suisse romande

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AVANT-PROPOS.

Aucune partie de l’histoire n’a été plus controversée que celle qui est à la base de la Confédération Suisse. Depuis trois cents ans la mémoire de Guillaume Tell était vénérée dans les Alpes, où ce nom rappelait le souvenir d’un montagnard intrépide qui avait affronté les périls pour délivrer son pays du joug de la tyrannie sous lequel il gémissait. Depuis trois siècles Guillaume Tell était l’idole des Confédérés, lorsqu’une main audacieuse s’arma d’un instrument destructeur pour abattre les monuments qu’une nation reconnaissante avait consacrés au vengeur de la liberté opprimée. Dès lors la sape en ébranla toujours davantage les fondements et les bases. Des hommes d’un esprit supérieur ont révoqué en doute les faits que la tradition attribue au citoyen de Bürglen. Comme s’ils eussent voulu empêcher que Tell ne fût admis, avec Stauffacher, Melchthal et Fürst, au Panthéon qu’un roi poète a fait ériger, sous le nom de Walhalla, aux grands hommes de langue ou de race germanique, ils l’ont dépouillé successivement de tous ses attributs; ils ont nié jusqu’à son existence, et de ce héros, dont la /428/ tête était ceinte d’une auréole de gloire, tout ce qui semble rester aujourd’hui, c’est une ombre, un fantôme.

Ainsi, d’une part Guillaume Tell est considéré comme le sauveur de la liberté helvétienne; d’autre part, il est envisagé comme un mythe ou un être fabuleux. Entre ces extrêmes sont des opinions intermédiaires, plus ou moins vraies, plus ou moins entachées de faussetés.

Ces opinions diverses ont besoin d’être réformées.

Ce n’est point un vain désir de satisfaire une curiosité indiscrète qui me pousse à de nouvelles recherches sur l’histoire de Guillaume Tell. Le champ que Guillimann a ouvert aux discussions est comme une lice où je suis forcé d’entrer pour la troisième fois. Je ne puis m’obstiner au silence sur une question d’histoire nationale qui préoccupe des savants de la Suisse, de l’Allemagne, du Danemark et de la France. Cette question, qui au premier abord pourrait sembler frivole, cesse de l’être par l’importance qu’on y attache. Elle mérite d’être discutée de nouveau et traitée à fond.

Un travail préliminaire qui m’a paru indispensable, c’est l’historique des débats et des travaux que la tradition de Guillaume Tell a fait naître depuis 1607 jusqu’en 1842 inclusivement. De longues recherches et la bienveillance de quelques amis, qui m’ont facilité les moyens de rassembler les matériaux nécessaires pour la composition de ce travail, me permettent d’offrir au public autre chose qu’une sèche nomenclature des auteurs qui se sont occupés de la tradition de Guillaume Tell. Dans cette histoire littéraire j’ai tenu compte des écrits spéciaux sur la matière, et d’articles divers qui sont disséminés /429/ dans une foule d’ouvrages. Il convenait de faire un choix. Si j’eusse voulu citer tous les livres et tous les journaux où il est question de Guillaume Tell, j’aurais fait un catalogue de libraire, une énorme liste d’articles dont la plupart ne contiennent que des répétitions ou des observations insignifiantes.

Mon ouvrage se divise en six parties. La première, qui a pour titre: Introduction, est l’historique dont je viens de parler. La deuxième contient les principales traditions de Guillaume Tell, ou, si l’on veut, les différentes version d’un même événement. La troisième est destinée à la recherche des sources où les chroniqueurs suisses ont puisé l’histoire de Guillaume Tell. Dans la quatrième, j’examinerai l’authenticité des détails dont se composé cette histoire, à l’exception du trait de la pomme qui est l’objet d’une enquête spéciale. L’examen de cette partie de la tradition, un recueil de légendes analogues et la comparaison de ces légendes forment la cinquième partie. Enfin, des preuves et diverses autres pièces, soit publiées, soit inédites, compléteront ce mémoire, dont le sujet, à coup sûr, était un des plus délicats et des plus difficiles que l’on pût proposer à la critique historique et littéraire.

Lausanne, janvier 1843.

J. J. H.