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Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande

Edition numérique

Jean Joseph HISELY

Examen du mémoire intitulé

Die Anfænge der Freiheit von Uri

bis auf Rudolf von Habsburg, urkundlich nachgewiesen von Dr. A. Heusler, Mitglied des Kleinen Rathes in Basel.

Publié dans le Schweiz. Museum für historische Wissenchaften Tom. 1er 2e cahier pag. 181-216

Dans MDR, 1839, tome 2, première livraison, p. IX-XXXIII

© 2019 Société d’histoire de la Suisse romande


Die Anfænge der Freiheit von Uri

von Dr. A. Heusler

Deux cents pages de mon ouvrage étaient imprimées, la lettre qui le précède était écrite, lorsqu’on me remit le cahier qui contient l’intéressant mémoire dont je viens de transcrire le titre, dans lequel M. le conseiller Heusler cherche l’origine et le développement de la liberté d’Uri. Je regrette de n’avoir appris la publication de ce travail qu’à une époque où je ne pouvais plus profiter des lumières de son auteur pour compléter le mien. Cependant, éluder toute discussion, comme deux écrivains du siècle passé, qui, dans une circonstance analogue à celle où je me trouve, se contentèrent de dire: « Je vous remercie des renseignements que vous voulez bien me donner, mais mon histoire est achevée », ou « mon siége est fait », ce serait montrer pour le /242/ travail de M. Heusler une indifférence qui ne trouverait pas d’excuse.

Je donnerai donc à ce mémoire l’attention qu’il mérite, toutefois sans entrer dans l’appréciation de tous les détails, et sans m’arrêter aux observations générales de l’auteur sur la nature et la tendance de l’ouvrage de M. Kopp, à qui je laisse le soin de répondre aux objections de son adversaire.

M. Heusler expose l’une après l’autre les opinions de Tschudi, de Muller et de M. Kopp sur l’ancienne condition politique des trois Waldstetten, puis, abandonnant les vallées de Schwyz et d’Unterwalden, où, comme on le sait positivement, les comtes de Habsbourg avaient des propriétés et des droits héréditaires, il s’occupe uniquement de celle d’Uri, dont l’histoire présente plusieurs difficultés, qu’il s’est proposé de résoudre. La question la plus importante, qui fait l’objet principal de ses recherches, et à laquelle se rattachent plusieurs questions secondaires, est celle-ci: « La maison de Habsbourg avait-elle des droits héréditaires sur la vallée d’Uri? » La solution de ce problème dépend surtout de l’intelligence de certains documents.

Après une longue discussion, qui repose sur la comparaison des chartes relatives à ce sujet, M. Heusler conclut ainsi: « La liberté d’Uri, comme la liberté de mainte ville impériale, s’est développée depuis le neuvième siècle sous la protection de l’immunité ecclésiastique; par l’extinction de la maison de Zæringen, Uri, ainsi que Zurich, a échappé au danger d’être soumis à l’autorité d’avoués (Vœgte) héréditaires; mais cette vallée fut exposée pour la seconde fois au même danger, lorsque (entre 1218 et 1231) Frédéric II confia l’avouerie au comte Rodolphe de Habsbourg: le roi Henri la reprit et déclara qu’Uri ne serait plus aliéné: Frédéric II confirma cette dépendance immédiate de l’Empire, et Rodolphe 1er l’a solennellement reconnue.— Où sont les droits héréditaires de Habsbourg? » /243/

M. Heusler prouve d’abord que par diplôme de 853 Louis-le-Germanique fit aux monastères de S. Felix et de S. Regula, à Zurich, la donation de tout ce qu’on appelait alors pagellus Uroniæ; que ce petit pays, jouissant de l’immunité, ou du privilége de relever nûment de la couronne, était soumis à la juridiction de Notre-Dame-de-Zurich, c’est-à-dire que l’avoué de cette grande-église, dont le pouvoir émanait du chef de l’Empire, exerçait dans la vallée d’Uri la haute juridiction, et que l’abbesse y faisait administrer ses droits et ses propriétés par des officiers subalternes. — Je me félicite de m’être si bien rencontré avec M. H. sur ces points qu’il importait de voir éclaircis. 1

Plusieurs écrivains prétendent que Rodolphe 1er de Habsbourg, dit l’Ancien et le Paisible, fut fait en 1209 Reichsvogt des trois Waldstetten. Selon M. Heusler 2 , aucune autorité ne confirme cette assertion. Il dit que Berthold V, duc de Zæringen, exerçait alors la juridiction de l’abbaye de Notre-Dame-de-Zurich, ainsi que celle du pays d’Uri qui en était mouvant, et il en trouve la plus forte preuve dans un diplôme de ce duc, du 25 mars 1210. — A la page 48 de mon ouvrage j’ai dit exactement la même chose que M. Heusler, mais j’ai eu la mal-adresse de me contredire ailleurs (p. 54 et 74. init.). J’expliquerai comment celà s’est fait, de crainte qu’on ne conclue de cette partie pour le tout. En 1138 le duc Conrad de Zæringen, s’étant opposé à l’élection de Conrad III de la maison de Hohenstaufen, fut dépouillé de l’avouerie impériale (Reichsvogtei) de Zurich. Bientôt le nouveau roi de Germanie lui pardonna et lui rendit l’avouerie impériale de Zurich, mais il laissa la préfecture ou l’avouerie ecclésiastique (præfectura, Kastvogtei) /244/ de cette ville et de ses deux monastères à Werner de Lenzbourg, comte de Baden, qui, cette même année, avait été revêtu de cette dignité. Werner la transmit à son frère Arnold, dernier comte de Baden, après la mort duquel elle échut à Albert Ier comte de Habsbourg. Je pensais, toutefois sans l’affirmer, qu’après lui son fils Rodolphe Ier de Habsbourg, surnommé l’Ancien et le Paisible, obtint cette avouerie, et que nommé par Otton IV de Brunswick vicaire impérial ou avoué provincial des Waldstetten, il en exerça les fonctions non-seulement dans les pays de Schwyz et d’Unterwalden, mais encore dans celui d’Uri, comme le prétend Guilliman, dont les paroles positives à cet égard 1 me semblaient trouver leur confirmation dans la charte du 26 mai 1231 2 , par laquelle le roi Henri, sollicité par les hommes d’Uri, les affranchit de la domination (possessio) du dit comte Rodolphe et les reprit sous la protection de l’Empire. Mon opinion était donc probable. Après la lecture du savant Mémoire sur le Rectorat de Bourgogne je vis la nécessité de la réformer; mais, oubliant que j’avais répété mon erreur, je ne la rectifiai qu’à la page 48. — Le diplôme du 25 mars 1210, que M. Heusler donne en entier, prouve qu’à cette époque le dernier duc de Zæringen possédait l’avouerie de Zurich et de ses deux monastères, ainsi que du pays d’Uri. Au surplus la haine secrète de Berthold V contre la maison de Souabe qui le porta à se déclarer (en 1208) pour Otton de Brunswick, ne permet pas d’admettre l’assertion de ceux qui affirment que ce nouveau roi de Germanie commit à un autre l’avouerie dont nous venons de parler.

Ainsi, rétractant ce que j’ai dit à cet égard p. 54 et 74, et maintenant en entier les pages 46-48, je suis d’accord sur ce troisième point avec M. Heusler. /245/

Après l’extinction de la maison de Zæringen, l’empereur Frédéric II, se hâtant de faire valoir les droits de retour à la couronne de tous les fiefs et domaines régaliens qui formaient l’apanage des ducs, Recteurs de la Bourgogne, reprit aussi l’avouerie de la ville et des monastères de Zurich, et déclara leurs biens inaliénables de l’Empire 1 . Le pays d’Uri était compris dans cette déclaration.

Toutefois il est évident par la lettre du roi Henri, du 26 mai 1231, que le dit comte Rodolphe de Habsbourg exerçait alors un pouvoir, possessio, sur le pays d’Uri. Quant à cette possessio, sur laquelle je reviendrai, M. Heusler conclut entre autres d’une charte de 1233 2 (Tschudi I, 128) que c’était l’avouerie, ajoutant que ce comte l’obtint (entre 1218 et 1231) de Frédéric II, qui par cette faveur récompensa la fidélité de Rodolphe, homme dévoué, à qui il avait déjà donné une grande marque de bienveillance en tenant sur les fonts de baptême son petit-fils, qui avait devant lui une haute destinée 3 .

J’ai dit, p. 74, que les lettres royales de 1231,1233 et 1234 permettent de croire qu’à cette époque le successeur du comte Rodolphe n’exerça pas la juridiction (ou l’avouerie) sur le pays d’Uri, et, p. 75 (cf. p. 72-73), que la fameuse charte de 1240 ne concerne que les vallées de Schwyz et d’Unterwalden, et nullement celle d’Uri, quoi qu’en disent Tschudi et Muller. Telle que Tschudi l’a publiée elle commence ainsi: « Fridericus … universis hominibus Vallis in Suitz. » En ayant peut-être lu la copie qui, concernant les hommes d’Unterwalden, portait le nom de ce pays, /246/ Tschudi a conclu des deux vallées pour les trois. M. Heusler, induit en erreur, a substitué sans hésiter le mot Ure au mot Suitz et s’est par là jeté dans des embarras dont tous ses efforts (p. 212-214) ne peuvent le tirer. J’ai expliqué, p. 57-61, la contradiction réelle entre les chartes de 1240 et d’autres relatives à la condition politique des Waldstetten dans l’Empire, par la différence de position des empereurs de la maison de Staufen, ennemis du pape et par conséquent obligés de favoriser les gardiens des passages d’Italie, et de ceux qui, vivant en bonne intelligence avec le pape, avaient besoin du concours des puissants comtes de Habsbourg pour maintenir leur pouvoir à l’intérieur. Il va sans dire que les princes de la maison de Habsbourg ou d’Autriche suivaient la même politique, pour consolider leur maison et conserver en même temps l’intégrité de l’Empire.

Quelques considérations nouvelles, en donnaut plus de force aux arguments que j’ai présentés en faveur de cette proposition, serviront en même temps de réponse aux objections qui pourraient naître de ce qui a été dit plus haut de l’attachement du comte Rodolphe de Habsbourg et de son petit-fils pour l’empereur Frédéric II.

Rodolphe comte de Habsbourg, le même à qui le roi Henri ôta en 1231 le pouvoir qu’il exerçait sur la vallée d’Uri, mourut en 1232. Quelques années après sa mort ses deux fils, Albert-le-Sage (✝ 1240), père de Rodolphe le Jeune qui fut élevé à la dignité royale, et Rodolphe (✝ 1249), aussi dit l’Aîné, se partagèrent sa succession (1239). Celui-ci reçut entre autres les domaines situés le long du lac de Lucerne, son frère Albert (à qui Rodolphe, son fils, succéda en 1240), les biens que bordaient l’Aar et la Reuss. La maison de Habsbourg se vit ainsi divisée en deux branches, qui dans la longue lutte du Sacerdoce avec l’Empire se trouvèrent dans deux camps opposés. La branche aînée (Albert /247/ et son fils Rodolphe-le-Jeune) favorisait le parti de l’Empereur, la branche cadette (Rodolphe, dit l’Aîné) défendait la cause du Pontife. M. Heusler sait celà (p. 212-213), ainsi que M. Kopp (préf. p. IX), qui ajoute que cette division politique, qui ébranla les trois Vallées, cessa par la mort du roi Conrad IV (1254). — Qu’était ce Rodolphe l’Aîné à l’égard des Waldstetten et de Lucerne? Il était de droit héréditaire seigneur des vallées de Schwyz et d’Unterwalden et de Lucerne. La bulle de 1248 1 le prouve d’une manière évidente: elle fut lancée contre les hommes de Schwyz, de Sarnen (d’Unterwalden) et de Lucerne, parce que, s’étant soustraits à l’autorité du comte Rodolphe, leur seigneur légitime, ils avaient embrassé le parti de Frédéric II que le pape avait déclaré déchu du trône. — Quand se sont-ils soustraits à l’autorité de ce comte? Lorsque Frédéric II, engagé dans une lutte terrible avec le sacerdoce de Rome, les affranchit de la domination de Rodolphe de Habsbourg qui, ami du pape, était l’ennemi de l’empereur, et se les attacha par cette démarche que lui dictait sa position. Frédéric, en frappant Rodolphe l’Aîné, fit plaisir au jeune comte Rodolphe qu’il comptait parmi ses gens de guerre au siège de Faënza. La charte de 1240 ne concerne en rien les habitants d’Uri, qui, n’étant pas sous la juridiction du comte de Habsbourg (de la branche cadette), comme le prouve le silence que la bulle d’innocent IV 2 observe à leur égard, n’avaient aucune raison de vouloir se réfugier sous les ailes de l’Empire, sous la protection duquel ils étaient déjà. Il faut absolument rapprocher la bulle de 1248 de la charte de 1240 dont elle est le meilleur commentaire, et laisser Uri en dehors de la question. Ces observations complètent ce que j’ai dit /248/ (p. 57-61) pour résoudre les difficultés que présentait la charte de 1240. En cherchant à l’expliquer, M. Heusler s’est tellement écarté de la voie qui pouvait le conduire à un résultat satisfaisant, qu’il croit trouver (p. 207) dans cet acte, dans ce privilége, « l’époque où Uri commence à se détacher de plus en plus de Zurich pour se rapprocher des autres Waldstetten », tandis que, au contraire, celles-ci profitèrent des circonstances critiques dans lesquelles se trouvait Frédéric II et de la haine qu’il portait au comte Rodolphe leur seigneur, pour assimiler leur condition à celle d’Uri dans ses rapports avec l’Empire, comme je l’ai fait observer, p. 74-75.

J’irai plus loin. Après l’extinction de la maison de Zæringen, qui avait possédé l’avouerie de Zurich, ainsi que de ses deux monastères et de leurs dépendances, l’empereur Frédéric II la commit à son fidèle vassal Rodolphe de Habsbourg (l’Aîné et le Paisible), ou du moins il lui donna la possessio d’Uri, c’est-à-dire, selon moi, l’avouerie héréditaire de ce pays, qui, cherchant à se détacher de N. D. de Zurich, fut effrayé et se plaignit. Le roi Henri, fils de l’empereur, ôta l’avouerie au comte de Habsbourg et la prit à lui. Pourquoi? Parce que, voulant se révolter contre son père, il jugea convenable d’affaiblir la puissance du comte Rodolphe et de satisfaire le désir des hommes d’Uri pour se les attacher. Il est probable que Frédéric II, après avoir fait dégrader en 1235 le roi Henri, révoqua les actes de ce fils rebelle, et confia l’avouerie de Zurich et de ses deux monastères à Albert-le-Sage, qui mourut en 1240, ou que, s’il ne changea rien à ce que son fils avait décrété à l’égard d’Uri, comme le pense M. H. (p. 212), il investit plus tard de la dite avouerie son vaillant filleul Rodolphe, qui en effet l’a possédée, comme on le verra bientôt. Ce n’eût pas été aliéner Uri de l’Empire. Cette circonstance /249/ peut, avec d’autres, avoir engagé Schwyz et Unterwalden à demander le privilège de relever nûment de l’Empire, en d’autres termes, de ne plus appartenir en propriété à la branche cadette de Habsbourg, et de ne dépendre que de l’Empire et de la juridiction d’un Reichsvogt. La comparaison de la bulle de 1248 avec la charte de 1240 me semble confirmer cette opinion.

M. Heusler établit avec raison une différence entre l’office de Landgrave et celui de Reichsvogt, différence à laquelle j’avoue n’avoir pas donné toujours l’attention qu’elle mérite, puisque, à l’égard d’Uri, qui relevait nûment de l’Empire, j’ai parfois confondu le Landgrave avec le Reichsvogt, toutefois sans méconnaître les rapports d’Uri avec l’Empire. M. H. doute qu’Uri ait jamais fait partie du landgraviat de l’Aargau, et que par la vallée de la Reuss, où les comtes de Habsbourg exercèrent la haute juridiction, il faille entendre celle qui est dans le pays d’Uri plutôt qu’une vallée de l’Argovie (Wagenthal, freie Æmter, p. 206 cf. p. 192). Ce qu’il oppose à l’opinion reçue n’est fondé que sur des conjectures peu propres à résoudre des difficultés de la nature de celles que présente la question des limites territoriales des Gaue, districts ou comtés, et de l’étendue de la juridiction des seigneurs-suzerains, à diverses époques.

Quand même on admettrait qu’il ne faut pas entendre par Ruistal la partie du pays d’Uri qui porte le nom de Vallée de la Reuss, on ne saurait nier que le comte de Habsbourg, le même qui fut appelé à gouverner l’Empire, n’ait administré la haute justice dans le pays d’Uri, « sub tilia in Altorf. » En quelle qualité, et de la part de qui exerça-t-il ce droit de haute police? M. Heusler croit que ce ne fut pas en qualité de Landgrave, et je suis de son avis sur ce point. C’était donc en qualité de Reichsvogt? /250/ Mais non, M. Heusler, adoptant l’opinion de Tschudi et de Muller, dit que Rodolphe, invité par les hommes d’Uri à venir rétablir dans leur pays la paix que troublaient deux familles, s’y rendit comme simple Schirmvogt, et il en trouve la meilleure preuve dans la part que prirent les hommes d’Uri à la sentence prononcée contre les coupables, en y apposant leur sceau, et dans ces mots « cum consensu et conniventia vniversitatis vallis vranie, » dont j’ai donné l’explication (p. 81). Mais quel sens M. Heusler donne-t-il à cette partie du jugement prononcé par le comte Rodolphe: « Adiudicamus integre et plenarie Reverende in xpo Abbatisse Thuricen(si) omnia bona que ipsi (ceux de la famille condamnée) iure hereditario a suo monasterio vsque ad hanc diem dinoscuntur possedisse? » Ces paroles, comme d’autres du même acte, ne prouvent-elles pas clairement qu’en cette occasion Rodolphe exerça le droit de haute juridiction, celui de Reichsvogt, ou d’avoué impérial de Zurich, ainsi que de ses deux monastères et de leurs dépendances? M. H. a prouvé (p. 200-201) que l’avoué d’une Eglise, notamment celui de N. D. de Zurich, exerçait le droit de glaive ou de haute police, de haute juridiction, dans les terres qui en étaient mouvantes. Or, il est manifeste que le dit comte Rodolphe de Habsbourg était avoué de N. D. de Zurich. M. Heusler en fournit une preuve (p. 214), dont je rapprocherai le document de 1275 (Kopp, p. 10), duquel il résulte que le Richter ou lieutenant de Rodolphe (alors roi) dans l’Aargau et le Zurichgau, administra la haute justice à « Altdorff. » Nous pourrions hardiment faire un pas de plus, en citant la charte du mois de juin 1273 (Kopp, l. c.), antérieure à l’élection de Rodolphe, par laquelle Herman de Bonstetten, lieutenant du Landgrave dans la vallée de la Reuss, déclare avoir, de la part du comte Rodolphe, le droit d’avouerie et la /251/ puissance judiciaire sur les hommes libres de cette vallée, et dire que l’expression « homines liberos, » qui a été souvent employée pour distinguer des serfs les hommes dits libres d’Uri, s’applique à ces derniers. M. Heusler interprète (p. 193) ce document et d’autres d’une manière qui ne me paraît pas satisfaisante.

Quoi qu’on en pense, il est certain que Rodolphe de Habsbourg a exercé le droit de haute juridiction sur le pays d’Uri. Il est très-probable que, dévoué à Fréderic II, son parrain, il reçut en récompense de sa fidélité l’investiture de l’avouerie impériale de Zurich, de ses deux monastères, et par conséquent d’Uri, comme je l’ai déjà fait observer. Il faudra de nouveaux documents pour éclaircir ce point douteux. Quoi qu’il en soit de l’époque à laquelle Rodolphe-le-Jeune fut investi de l’avouerie de Zurich, les documents du 23 décembre 1257 et du 20 mai 1258 offrent la preuve irrécusable qu’au temps de l’anarchie qui suivit la chute de la maison de Hohenstaufen, le comte Rodolphe exerçait les droits d’avoué impérial de Zurich et de ses monastères. — La maison de Habsbourg aspirait à succéder à une partie considérable des droits de la puissante maison de Zæringen.

Le pouvoir de ce comte Rodolphe de Habsbourg, de la branche aînée, s’accrut avec ses possessions et ses dignités. Ensuite de démêlés sérieux entre les deux branches de Habsbourg, démêlés dont les chroniqueurs ne parlent que d’une manière vague 1 , la cadette vendit ses droits à l’aînée, qui fut dans la suite appelée maison d’Autriche. Les possessions, les droits et la puissance judiciaire de Habsbourg passèrent ainsi à la maison dite d’Autriche. Si, élevé à l’Empire, Rodolphe fit plus que témoigner de la bienveillance aux hommes d’Uri, s’il leur promit de maintenir leurs /252/ priviléges, s’il reconnut leur dépendance immédiate de l’Empire et leur promit de ne pas les aliéner, il n’en fit pas moins exercer les droits de l’avouerie de Zurich dans leur vallée par un Richter ou lieutenant, comme le montre le document de 1275, que j’ai cité. Il maintint également dans les deux autres vallées les droits de Landgrave. Rodolphe, bien qu’équitable, n’était pas homme à diminuer les droits de sa maison. Son fils Albert, on le sait, n’était pas disposé à les céder. Il ne fit à l’ordre de choses établi aucun changement qui pût lui être désavantageux. La succession des hauts-justiciers ou des avoués ne fut pas interrompue 1 . Il se peut qu’Albert ait voulu substituer dans le pays d’Uri la juridiction du Landgrave à celle du Reichsvogt ou de l’avoué de Zurich, qu’il ait voulu punir cette vallée des efforts qu’elle faisait pour se détacher de N. D. de Zurich. Cependant l’usurpation d’Albert n’est pas constatée, et quoi qu’en pense M. H. (p. 190), le mal que plusieurs écrivains ont dit de ce prince prouve, comme les éloges que d’autres lui ont prodigués, qu’il y a de l’exagération des deux côtés. Sans doute l’ambition, propre à sa famille, a pu l’entraîner à des actes d’injustice.— Les Vallées tâchaient constamment de s’approprier des droits seigneuriaux et de se soustraire à l’autorité de ceux qui s’efforçaient de les contenir dans le devoir. De ce conflit naquit la révolution des pâtres des Alpes.

Ecartant, avec M. Heusler, l’idée d’un droit héréditaire préexistant de la maison de Habsbourg sur la vallée d’Uri, je résume ainsi les résultats de l’examen auquel je me suis livré. — Les libertés du pays d’Uri, fief immédiat de l’Empire, se sont développées depuis le 9e siècle sous le patronage de l’avouerie impériale et ecclésiastique. Dans la première moitié du 12e siècle, Uri fut commis avec les deux /253/ monastères de Zurich à un avoué ecclésiastique (Kastvogt) ou préfet (præfectus) sous l’autorité de l’avoué impérial (Reichsvogt) de Zurich et de son territoire. Cette avouerie ecclésiastique, ou cette préfecture, passa de la maison de Baden à celle de Habsbourg, mais Uri échappa à l’autorité héréditaire des comtes de cette maison, lorsque l’avouerie ecclésiastique fut de nouveau réunie à l’avouerie impériale dans la personne du duc de Zæringen. Le danger auquel Uri avait été exposé menaça de nouveau ce pays, lorsque, après l’extinction de la maison de Zæringen, l’empereur Frédéric II confia (entre 1218 et 1231) l’avouerie au comte Rodolphe de Habsbourg, dit l’Ancien et le Paisible: le roi Henri, usant du droit de retour à la couronne, l’ôta au comte Rodolphe; mais bientôt, à ce qu’il paraît, Frédéric II la rendit à la branche aînée de Habsbourg. Rodolphe (le Jeune) en exerça les droits, d’abord en personne, puis par un délégué: devenu roi, il confirma les anciens priviléges d’Uri, mais, en réservant ce pays à l’Empire, il ne l’affranchit pas de l’avouerie de Zurich, qui resta dans sa famille jusqu’à ce qu’elle en fut dépouillée par les décrets des rois de Germanie d’une autre race et par les armes des valeureux montagnards.

J.-J. H.


NOTES:

Note 1, page 243 Voy. le mémoire de M. Heusler, op. c. p. 198. 200-202. et mon Essai, p. 23. 48. [retour]

Note 2, page 243 Ibid. p. 208. cf. p. 202. [retour]

Note 1, page 244 Voy. mon Essai, p. 55. note 137. [retour]

Note 2, page 244 Ibid. p. 71. [retour]

Note 1, page 245 Voy. la charte du 1er avril 1218, dans Tschudi I, 116. et M. F. de Gingins, Mém. sur le Rectorat de Bourgogne, p. 138. [retour]

Note 2, page 245 M. Heusler rapporte par erreur (p. 210 et.211) à l’an 1232 la charte de 1233, année de l’indiction VI. [retour]

Note 3, page 245 Ibid. p. 207-208. [retour]

Note 1, page 247 Voy. mon Essai, p. 76, note 177. [retour]

Note 2, page 247 Ibid. , p. 74-76. [retour]

Note 1, page 251 Voy. C. Justinger, p. 61-62. M. Russ, I, p. 61-62. P. Etterlin, p. 33. [retour]

Note 1, page 252 Voy. Essai, p. 115. [retour]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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