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Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande

Edition numérique

Jacques-David NICOLE

Recueil historique sur l'origine de la Vallée du Lac-de-Joux

Dans MDR, 1838, tome 1 première partie, p. 285-497

© 2018 Société d’histoire de la Suisse romande

 

RECUEIL HISTORIQUE SUR L'ORIGINE DE LA VALLÉE DU LAC-DE-JOUX,

L'ÉTABLISSEMENT DE SES PREMIERS HABITANTS

CELUI DES TROIS COMMUNAUTÉS DONT ELLE EST COMPOSÉE, ET PARTICULIÉREMENT DU CHENIT.

Avec un récit abrégé de quelques événements arrivés dans ce petit coin de pays pendant l'espace d'environ six-cent-quarante ans, qui commencent en l'année 1140.
Le tout extrait tant des documents et titres mentionnés dans cet ouvrage, que de certaines traditions qui ont paru assez bien fondées pour pouvoir donner quelque éclaircissement aux faits qui sont rapportés.

« Legent haec nostra nepotes »

PAR
JACQUES-DAVID NICOLE,
Juge, président de l'honorable Conseil du Chenit.

LAUSANNE,
IMPRIMERIE ET LIBRAIRIE DE MARC DUCLOUX, ÉDITEUR.
1840.

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/280/

Lecteur, qui que tu sois, qui verras ce recueil,
Daigne lui accorder un favorable accueil:
Veuille, par un motif de douce complaisance,
User, à son égard, de ta condescendance,
Et, mettant de côté son imperfection,
Regarder seulement la bonne intention
De celuy qui l'a fait, qui, pour sa récompense,
N'exige rien de toi, sinon de l'indulgence;
Car, il n'a employé le temps de son loisir
Qu'en vue simplement de te faire plaisir,
Et non point à dessein de briguer un suffrage,
Bien ou mal mérité, pour son petit ouvrage.

/281/

RECUEIL HISTORIQUE
SUR
LA VALLÉE DU LAC - DE - JOUX.

AVANT-PROPOS.

La connoissance de l'histoire n'est pas moins agréable qu'elle est utile. On remarque que chacun voudroit la savoir et en raisonner; cependant, peu de personnes s'appliquent à une étude exacte de cette science, ce qui serait cependant nécessaire pour y démêler le vrai d'avec le faux et pour prévenir bien des erreurs qui la rendent quelques fois inutile, ou même nuisible à la Société.

La partie de l'histoire la plus intéressante pour nous est, sans contredit, celle qui a pour objet le païs que nous habitons. Il n'y a point de nation, de société, ou de communauté, qui n'aime à conserver le souvenir de ses ancêtres et à remonter jusqu'à son origine, aussi loin qu'il lui est possible de la découvrir. Cette connoissance n'est pas entièrement une affaire de pure curiosité, /282/ puisqu'il nous importe souvent de savoir ce qui s'est passé autrefois dans le païs où nous sommes nés, et quels ont été les anciens possesseurs des fonds dont nous jouissons aujourd'hui. On voit, tous les jours, des cas où cette connoissance est absolument nécessaire pour pouvoir jouir paisiblement de ses possessions et de ses privilèges.

C'est dans cette vue que je me suis déterminé à composer ce recueil, d'après quelques anciens titres qui me sont tombés entre les mains. Il seroit plus complet si j'avois eu une plus grande abondance de matériaux à mettre en œuvre. On comprend aisément qu'un peuple qui commence, pour ainsi dire, aujourd'hui à se civiliser, et qui vivoit, il n'y a qu'environ un siècle, dans la plus crasse ignorance, ne peut être bien fourni de monumens historiques. Ceux qu'on y trouve se réduisent à quelques anciens titres concernant les droits accordés aux habitans sur les terres ou les forêts qu'ils venoient défricher et cultiver. D'ailleurs, une partie même de ces titres a été, malheureusement, perdue dans l'incendie arrivé au Lieu en 1691. Ainsi, ce qui en reste ne peut même être suffisant à mon but, qui n'est pas, sans doute, de faire connoître proprement tout ce qui s'est passé dans notre patrie pendant les siècles passés (une histoire de ce genre renfermerait peu de choses intéressantes), mais de rassembler, pour l'usage de mes compatriotes et de leur postérité, les principaux traits et les titres qui concernent leurs droits et leurs privilèges, dont ils sont généralement peu instruits.

Mon recueil seroit plus agréable et plus intéressant, s'il étoit écrit d'un style plus pur et plus orné; mais, /283/comme il ne dépendait pas de moi de l'écrire en cette manière, j'ai cru pouvoir remplir également mon but en le donnant dans mon style, tel qu'il est; d'ailleurs, il n'est pas destiné à l'impression, mais uniquement à l'usage de mes compatriotes, qui seront dédommagés des défauts du style par l'exactitude de l'histoire. J'ai observé, avec le plus grand soin, de ne rien insérer dans ce recueil qui ne fût parfaitement conforme à la vérité, autant que j'ay pu la connoître.

Il est vrai que j'ai entremêlé, dans mon récit, certains faits vraisemblables, dont j'aurois peine à garantir toute l'authenticité, mais j'ai eu la précaution de me servir, pour en faire la narration, de termes qui les feront assez reconnoître, comme, par exemple: on dit, il est vraisemblable, il est probable, il est à présumer, et autres expressions de cette nature. J'ai aussi tiré parti de la tradition, lorsqu'elle avoit quelque affinité à mon sujet et que je l'ai reconnue fidèle. Et, comme ce recueil embrasse divers objets, qui n'ont pas un rapport direct les uns avec les autres, et qu'il eût été difficile de les arranger de manière à en faire un discours parfaitement suivi et lié ensemble, cela m'a engagé à partager mon récit en différentes sections, ou articles, pour faire, en quelque sorte, la distinction de ces différens objets.

Enfin, je dois encore avertir que j'ai eu dessein, dans cet ouvrage, surtout depuis l'époque où il s'agit de l'établissement de la Communauté du Chenit et de ses progrès, de faire remarquer que la subordination, l'union, la paix et l'amour du bien public qui ont règné dans cette Communauté, joints à la bonne économie et au /284/désintéressement de ceux qui l'ont dirigée, sont les seules choses qui, avec la bénédiction du Seigneur, l'ont tirée de l'état misérable où elle étoit, surtout au commencement de ce siècle, et l'ont amenée au degré de prospérité où on la voit aujourd'hui. C'est ce dont il m'a paru qu'il ne sera pas difficile de se convaincre, par la lecture des faits que je rapporterai, lorsque l'occasion s'en présentera.

Je n'ajouterai plus rien, avant que d'entrer en matière, que les vœux que je fais, du plus profond de mon cœur, pour qu'il plaise au Seigneur, notre Dieu, de continuer à couvrir cette Communauté de sa puissante protection: Qu'il veuille en bannir l'envie, la vanité, la présomption, l'orgueil, les haines, les divisions et l'esprit de parti, afin qu'on y voie toujours règner l'union, la paix, la charité et la bienveillance réciproque! Ce seront les moyens les plus infaillibles pour attirer de plus en plus sur elle cette bénédiction et cette protection du Tout-Puissant, sans lesquelles le désordre et la confusion auroient bientôt pris la place de la prospérité dont elle jouit maintenant./285/

§. 1 er.

L'histoire nous apprend que, lorsque Jules-César, Empereur des Romains, étoit occupé à la conquête des Gaules, aujourd'hui la France, environ cinquante ans avant la venue de notre Seigneur, les Helvétiens, trouvant leur païs trop étroit et trop ingrat, formèrent la résolution de l'abandonner, pour aller dans les Gaules chercher de meilleurs établissements. A cet effet, ils envoyèrent des Ambassadeurs à Jules-César, qui étoit alors à Genève, pour lui demander passage du côté de cette ville. Il fit semblant de vouloir le leur accorder; mais, les ayant amusés pendant quelque tems, sous divers prétextes, il profita de ces renvois pour faire construire une muraille de vingt pieds de hauteur et de quinze d'épaisseur, depuis le bord du Lac Léman jusqu'au Mont Jura. On prétend encore en avoir vu, de nos jours, des vestiges au-dessus de Nyon.

Les Helvétiens furent donc arrêtés, à leur passage, de ce côté là; mais, ils ne laissèrent pas, pour celà, d'émigrer: ils prirent une autre route, et partirent, au nombre de près de trois-cent-soixante-mille personnes, femmes et enfans, après avoir brûlé leurs villes et leurs villages, passèrent par le détroit du Mont Jura, en traversant la Séquanie (la Bourgogne), bornée à l'orient par ce mont, pour se rendre /286/ au païs d'Autun, qui bornoit cette province du côté du couchant.

Jules-César les poursuivit, et, les ayant défaits en plusieurs batailles, il contraignit ceux qui réchappèrent, au nombre de quatre-vingt-treize-mille, de retourner dans leur païs, et de rebâtir leurs villes et leurs villages, et il y établit des garnisons romaines, pour les tenir en bride.

Avant cette révolution, toute l'Helvétie étoit divisée en quatre Cantons, dont le principal, qui étoit le plus voisin de l'Italie, s'appeloit Pagus Urbigenus, c'est-à-dire: Canton des Urbigènes. Il tiroit son nom de la ville Urba (Orbe) originairement, sans doute, la plus ancienne et la plus considérable de ce Canton.

D'entre ceux qui rentrèrent dans l'Helvétie, après cette défaite, ces Urbigènes furent des premiers, et comme, vraisemblablement, ils rentrèrent par où ils étoient sortis, on en a inféré que ce détroit du Mont Jura par où ils passèrent n'étoit pas éloigné de cette ville d'Orbe, et que ce pourrait être à l'entrée de Jougne qu'il faut le placer.

Mais, s'il est permis de faire des conjectures, il ne serait peut-être pas plus hors de vraisemblance d'établir ce passage par la Vallée du Lac-de-Joux, qui forme véritablement un détroit dans ce mont. Elle aurait pu alors être habitée, comme aujourd'hui, mais cette révolution n'auroit pas manqué de la dépeupler, et il est très-probable que le peu d'habitans qui revinrent dans l'Helvétie, comparé au nombre de ceux qui en étoient sortis, s'habituèrent dans les meilleures contrées du païs et négligèrent cette Vallée, trop froide et trop ingrate.

Une coutume, qui étoit fort en usage chez les anciens, consistant à marquer, par de certains signes, les événements de quelque importance, peut encore donner lieu à une autre conjecture, qui se présente d'elle-même à l'esprit.

/287/ Elle se tire des noms de Petra felix; Pierra fuliz, selon le langage vulgaire. Ces noms, qui sont latins d'origine et qui signifient, mot pour mot: Pierre heureuse, ne pourroient-ils pas avoir été donnés, par ces émigrans, à l'endroit qui porte, encore aujourd'hui, ce nom, en vue de laisser à la postérité un monument, par lequel ils ont voulu faire entendre que, dans leur passage par cet endroit-là, Ils avaient eu le bonheur de franchir heureusement les pierres, ou les rochers, qui s'étoient trouvés à leur rencontre? Ce qu'il y a, du moins, de certain, c'est que la traduction de ces deux mots ainsi rendus, bien loin d'être opposée au génie de la langue latine, présente, au contraire, un sens qui y est fort analogue.

J'ajouterai encore une autre conjecture en faveur d'une ancienne peuplade dans la Vallée. Elle a son fondement sur certaines remarques qui ont fait croire que le lit de la rivière du Brassus avoit, autrefois, son emplacement à une certaine distance de celui qu'elle occupe aujourd'huy. Ces remarques ont acquis quelque poids par des indices que l'on a trouvés en creusant dans la terre, et même encore en dernier lieu, qui dénotent assez clairement qu'il y a eu des fabriques de fer et des instrumens à rouages dans l'endroit où l'on a supposé le premier cours de cette rivière. Qu'en conclure, si ce n'est: qu'il y a eu, autrefois, quelque révolution considérable, dans les terrains des environs, pour opérer le transport du lit de cette rivière? … Il est cependant évident qu'une telle révolution n'a pas eu lieu depuis l'établissement des fabriques en ce genre qui y existent aujourd'hui.

Ces diverses conjectures pourroient encore être fortifiées par une légère circonstance, qui est cependant digne de remarque: on a trouvé au Chenit, dans la terre, des meules de moulins à bras, dont se servoient les anciens, /288/ particulièrement les Romains. Le Chenit a été le dernier quartier de la Vallée habité dans les derniers siècles, et même il l'a été fort tard. D'où venoient donc ces meules, si ce n'est d'anciens habitans?

Quoi qu'il en soit, que cette Vallée ait été habitée, ou non, dans ces anciens tems, il est certain que, dès-lors, elle a été inhabitée pendant l'espace de plusieurs siècles, tems suffisant pour y opérer bien des changemens, pour la remplir de bois, et, par-là même, pour y effacer les traces d'une première habitation. Ainsi, il faut avouer qu'on ne peut, avec certitude, remonter plus-haut que vers le 12me Siècle, pour trouver des habitans dans cette contrée. Il est, cependant, très-vrai qu'il s'y étoit établi, longtems auparavant, un ermite nommé Pontius (Ponce, ou Poncet). On croit communément qu'il vivoit dans le sixième siècle et qu'il étoit contemporain des frères Saint-Romain et Saint-Lupicin, qui, à ce que l'on dit, étant dégoûtés du monde, se retirèrent dans une vallée nommée Condadiscone, située dans les épaisses forêts du mont Jura, où prit naissance le monastère de Saint-Oyens-de-Joux. De là, après s'être attiré des disciples, dont ce Pontius aurait pu être du nombre, ils vinrent fonder le monastère de Romainmôtier.

Il se forma, dans la suite, dans l'endroit de l'ermitage de ce Pontius, un couvent de moines, qui subsistoit encore en l'année onze-cent-cinquante-cinq, et qui, peu de tems après, fut réuni à celui de Saint-Oyens-de-Joux, aujourd'hui Saint-Claude, en Bourgogne. Cette réunion occasionna une partie des difficultés sans nombre qui eurent lieu entre ce couvent de Saint-Oyens et celui de l'Abbaie du Lac-de-Joux.

J'ignore l'époque de la fondation de ce premier couvent établi dans la Vallée; cependant, c'est ce qui y attira peu-à-peu des habitans, qui commencèrent à défricher le terrain et à former le premier Village, ou la première /289/ Communauté, qui fut d'abord nommée le Lieu de l'ermite Ponce. Ce nom fut abrégé dans la suite, et cet endroit s'appela, tout simplement, le Lieu.

§. 2.

L'abbaie du Lac-de-Joux, appelée quelquefois l'abbaie de Cuarnens, ou du lac de Cuarnens, parce qu'elle possédoit un grand domaine et la plus grande partie de la seigneurie de ce Village, fut un autre monastère, composé de Chanoines de la règle de Saint-Augustin, ordre des Prémontrés, qui avoit été institué, environ l'an 1120, par Saint-Norbert.

Cette Abbaie fut fondée et dotée par Ebal de la Sarraz, en l'an 1140, et confirmée par Guido (Guy), Evêque de Lausanne, par un rescript de la même année, qui porte, en substance: « que lui, Evêque de Lausanne, fait savoir que l'Eglise du Lac a, dans son ressort, le dit lac et toute la terre qui est à l'entour, dans les limites des grands monts, comme les eaux pendent et découlent vers le dit lac. » — Elle fut encore confirmée, la même année, par Innocent II, Pontife à Rome. Ce Pape déclare que « la possession de l'église du Lac, et les possessions à l'entour du lac, entre les dépendances des deux grands monts, et comme les eaux découlent vers le lac de l'église de Cuarnens, et autres biens, appartiennent à la dite Eglise du Lac. »

Cette Abbaie fut aussi, dans la suite, gratifiée de plusieurs biens, censes et droitures seigneuriales par les Barons de la Sarraz, à qui la Vallée appartenoit, par inféodation des Empereurs d'Allemagne, qui possédoient alors le Royaume de la petite Bourgogne, comme on l'appeloit jadis, d'où cette Vallée relevoit, et dont elle faisoit partie.

Mais, avant que de passer outre, je crois devoir faire observer qu'il ne faut pas confondre le Royaume dont je /290/ viens de parler avec la Bourgogne proprement dite. Celle-ci comprend les deux Provinces de Bourgogne, le Duché et la Franche-Comté; dans ce tems, elle se nommoit la grande Bourgogne, ou la Bourgogne cis-Jurane, par opposition à la petite Bourgogne, ou Bourgogne trans-Jurane, laquelle comprenoit non-seulement tout le Pays-de-Vaud, mais aussi une partie du Païs allemand, qui portoit le nom de Duché d'Allemagne, d'où le Royaume de la petite Bourgogne étoit séparé par la rivière de l'Emme, qui a donné son nom à l'Emmenthal, et qui traverse le Canton de Berne, du midi au nord, et tombe dans l'Aar, au-dessous de Soleure. Or, les choses ne restèrent pas longtemps dans cet état, parce que les affaires de l'Helvétie, qui étoient déjà fort en désordre dans ce siècle, allèrent de mal en pire dans le suivant, par la confusion qu'il y eut dans l'Empire, causée tant par les Papes, qui excommunioient les Empereurs et délioient leurs sujets du serment de fidélité, que par d'autres événements, qui firent que l'Empire fut souvent sans Chef, à l'occasion de quoi les diverses contrées de l'Helvétie se trouvèrent dépendre du premier qui voulut s'en rendre maître. Pierre, Comte de Savoie, ne laissa pas échapper une si belle occasion de faire valoir ses droits de convenance et de voisinage: il s'empara, en l'an 1252, de tout le Païs de Vaud, à la réserve de ce qui appartenoit à l'Evêque de Lausanne, et cela, sans beaucoup de résistance, pendant que les Ducs de Zäringen et d'autres faisaient la même chose ailleurs. Mais, il est tems de revenir à mon sujet.

§. 3.

Les gratifications dont j'ai parlé ci-dessus, faites à l'Abbaie du Lac-de-joux par les Barons de la Sarraz, se trouvent /291/ déjà exprimées dans une déclaration d'Etienne, Abbé de la dite Abbaie, datée du dimanche de l'incarnation de l'an 1149, dans laquelle il est dit: « qu'il ne veut pas que la postérité ignore et perde la mémoire, par le laps du tems, que Ebal, Seigneur de Grandson, par singulière faveur, sa femme et ses enfans, Rodolph et Milo de Cuarnens, leurs femmes et leurs enfans, par droit d'héritage, possédoient en communion divers biens, et entr'autres au lac de Cuarnens et à l'entour du dit lac, en paquiers, bois, cours d'eau et tous usages, ainsi que les montagnes pendent et que les eaux découlent au dit lac, et qu'ils en ont fait donation à l'Eglise de Marie-Madelaine et aux frères de la règle de Saint-Augustin, de l'Ordre des Prémontrés, du Lac. »

§. 4.

Pierre, Archevêque de Tarentaise, et Amédée, Evêque de Lausanne, rendirent, en l'année 1155, une prononciation sur une difficulté qui étoit survenue entre les Chanoines de l'Abbaye du Lac-de-Joux et les moines demeurans au « Lieu de Dom Poncet, ermite, de bonne mémoire. » Cette difficulté concernoit, entr'autres choses, le nombre des moines, tant tonsurés que frères laïques, qui pouvoient se trouver au dit Lieu. Elle rouloit aussi sur la pêche du lac.

Deux ans après, savoir en l'an 1157, il y eut un accord entre l'Abbé de Saint-Oyens-de-Joux, soit Saint-Claude, et l'Abbé du Lac-de-Joux, concernant, entr'autres, cent et soixante truites, il est très-vraisemblable que c'est alors que le Couvent du Lieu fut réuni à celui de Saint-Claude et que cette réunion donna lieu à cet accord. On parlera encore d'un accord semblable, fait dans le siècle suivant, ce /292/ qui pourra donner un nouveau degré de force à cette vraisemblance.

Cette même année 1157, le Pape Alexandre III confirma l'Abbaie du Lac-de-Joux en faveur des Chanoines qui la composoient. On voit encore une confirmation de l'Abbaie du Lac-de-Joux, faite par l'Empereur Fréderic premier, datée de Mulhausen, le 7e des Kalendes de Septembre de l'année 1180.

§. 5.

Ce fut environ ce tems-là que cette Abbaie eut, avec celle de Saint-Claude, une difficulté sur l'étendue de leurs droits respectifs, qui fut terminée par une décision, ou prononciation, des Archévêques de Vienne et de Tarentaise et d'autres arbitres.

Cette prononciation fut confirmée, en l'an 1184, par le susdit Empereur, cependant sous la réserve expresse « que cette approbation ne dérogeroit en rien au droit d'Ebal de la Sarraz, Seigneur de Grandson, fondateur de la dite Abbaie du Lac-de-Joux, ni à celui de ses successeurs, sur toute la Vallée, droit (y est-il-dit) que le dit Ebal tenoit en fief d'ancienneté, tant du dit Fréderic que des Empereurs ses prédécesseurs. »

Ce droit d'Ebal de la Sarraz, sur toute la Vallée, lui fut renouvelé et confirmé, d'une manière encore plus positive, par le dit Fréderic I, par lettres impériales données à Mulhausen (ou Mul'henhause) le 25 (26) jour du mois d'Août de l'an 1186, dans lesquelles les limites de celle Vallée sont établies de conformité aux premiers titres, mais d'une manière beaucoup plus-claire, par les sommités des montagnes qui bordent ce Vallon, exprimées et spécifiées de la manière suivante:

/293/ « Depuis le lieu appelé Pierra Fuliz, jusqu'à une lieue vulgaire proche le lac dit Quinzonnet, selon la manière de délimiter du Païs-de-Vaud, et, depuis le mont appelé Risoux, qui est tourné vers Mothios, jusqu'au mont appelé Mont-Tendroz, qui, depuis le haut, penche du côté de Vaud, comme les eaux regardent (courent) et tombent des dites montagnes vers la dite Abbaie, et le lac de dite Abbaie, et vers l'eau appelée l'Orbe, qui sort du dit lac Quinzonnet, tombant dans le lac de la prédite Abbaie. »

§. 6.

La prononciation entre les couvents de l'Abbaie et de Saint-Claude, dont on a parlé ci-dessus, qui avoit été confirmée par l'Empereur, en 1184, fut une source de fréquentes difficultés et de diverses contestations entre ces deux couvents, au sujet de leurs droits, principalement sur la partie méridionale de la Vallée, dès l'eau, soit la rivière, du Brassus, qui avoit été donnée, par cette prononciation, pour limite au domaine de Saint-Oyens, quoique cette limite, donnée par erreur, eût été rectifiée, en faveur d'Ebal de la Sarraz, par les limites impériales de l'an 1186, que l'on vient de rapporter, malgré ce redressement de limites, les religieux de Saint-Claude persistèrent dans leurs prétentions. Le 6e jour du mois de Janvier de l'année 1219, il y eut un nouvel accord, entre Bénédict, Evêque de Belley, Abbé de Saint-Oyens-de-Joux, et Humbert, Abbé de Cuarnens, du consentement des moines du dit Saint-Oyens et des Chanoines du Lac, au sujet de cent-soixante truites, et de quarante-cinq sols, monnaie de Genève, pour le Lieu de dom Ponce, ermite, que les chanoines du Lac devoient payer et rendre annuellement au dit Saint-Oyens, par forme de cense, « ne dérogeant en rien, par le dit accord, /294/ à la juridiction que les dits chanoines et le Seigneur Ebal de la Sarraz, fondateur de l'Abbaie, ont sur les joux et dans les limites de la prédite Abbaie. » Ces limites sont spécifiées, dans cet accord, quant au sens, de conformité à celles qui sont contenues dans l'acte de 1186. Le dit Abbé et Couvent de Saint-Oyens confessent et reconnaissent de plus, par cet accord « n'avoir, ni devoir avoir, aucun droit, de quelle nature que ce soit, plus loin que la limite d'une lieue vulgaire, au-delà du lac Quinzonnet. » Nonobstant cet aveu, qui paroit assez formel, l'Abbé et les Religieux de Saint-Claude ne laissèrent pas, dans la suite, de continuer leurs prétentions sur cette partie méridionale de la Vallée. On peut même dire qu'ils ont toujours été fort-imbus de préjugés, par rapport à cet objet, puisque les Chanoines de ce Couvent qui ont succédé à ces premiers moines ont cherché, et cherchent même encore aujourd'hui, les moyens de faire revivre ces prétendus droits.

§. 7.

A la réquisition d'Ebal de la Sarraz, Humbert, Abbé du Lac-de-Joux, ayant consulté avec son Chapitre, et après toutes les informations prises sur les actes et lettres scélées par ses prédécesseurs, prêta, en l'année 1235, une reconnoissance au dit noble Ebal, Seigneur de la Sarraz et de Grandson, dans laquelle il confesse: « que le dit Ebal et ses prédécesseurs sont les vrais fondateurs, gardiens et avoués de l'Abbaie du Lac-de-Joux, et que le dit Ebal et ses héritiers doivent avoir, dès les tems anciens: barres, saisies, clames, bams, mère et mixte empire, et omnimode juridiction sur le lieu de dite Abbaie et au-delà, suivant ses limites et possessions, /295/ terres cultivées, bois, métairies, hommes, revenus, et autres droits quelconques » . Le dit Abbé s'y engage, « sous la peine de payer cent marcs d'argent, de ne vendre, ni aliéner aucun des susdits biens que par le consentement du dit Ebal; il promet, de plus, de lui rembourser la somme de trois-cent-soixante livres Lausannoises, pour les dépenses considérables que le dit Ebal avoit faites en faveur du Couvent de la dite Abbaie, dans les difficultés sans nombre qu'elle avoit eues avec celle de Saint-Oyens, à l'occasion de la dite Abbaie, et de l'endroit de l'ermite Ponce, difficultés qui avoient été terminées par la médiation du dit Ebal. »

En l'année 1244, l'Abbé et les Chanoines de l'Abbaie prêtèrent une seconde reconnoissance, en faveur d'Aimon, Seigneur de la Sarraz et de ses successeurs, en confirmation de la précédente; ils reconnoissent les mêmes droits en faveur du dit seigneur « dans toute l'enceinte de la Vallée, au long et au large, » suivant les limites correspondantes à celles dont on a parlé à la date de 1186. On y observe aussi que « le dit seigneur avoit le droit de construire, dans toute l'étendue des dites limites, toutes sortes de bâtiments, excepté dans l'enceinte des murs du Couvent, et pas plus près de deux jets d'harbalette, tirée par un homme de taille ordinaire, dès les murs de derrière leur grand-autel. »

Le dit Aimon leur accorda « les dixmes et la permission de pouvoir bâtir une maison simple, dans les villes ou bourgs fermés, pour y garder leurs effets en tems de guerre » . Cette permission étoit, vraisemblablement, donnée pour les endroits du Païs-de-Vaud où cette Abbaie possédoit des biens, puisqu'il paroit qu'elle ne pouvoit pas regarder la Vallée. Enfin, ces Religieux déclarent, par cette reconnoissance, « que, en cas de contravention de leur part à ce qui y est désigné, le dit seigneur seroit en droit de les expulser de dite Abbaie, /296/ et d'y appeler d'autres Religieux du même Ordre des Prémontrés. »

§. 8.

Jean, Seigneur de Cossonay, d'une part, et Jean, Seigneur de la Sarraz, de l'autre, firent entr'eux un traité d'amitié et de confédération, où ils se promettent de se prêter aide et assistance l'un à l'autre dans toutes les affaires fâcheuses qui pourroient leur survenir. Ceci étant épisodique à mon sujet, je n'en ai fait mention que dans la vue de faire remarquer que le seigneur de Cossonay reconnut, par ce traité, le droit que celui de la Sarraz avoit sur toute la Vallée.

§. 9.

Au mois d'Avril de l'année 1307, Etienne de Vienne, Seigneur de Bocelenges, Marguerite de Jor, Dame de la Sarraz, sa femme, et Aimé, fils de la dite Marguerite et de feu noble Jean de la Sarraz, ayant considéré que l'Abbaie du Lac-de-Joux avoit été fondée par leurs prédécesseurs, et que le dit Jean de la Sarraz, premier mari de la dite Marguerite et père du dit Aimé, étoit enseveli dans le cloître de la dite Abbaie, trouvèrent bon de donner et d'accorder aux Religieux de dite Abbaie, pour amélioration de leur couvent, « le droit de recevoir des abergataires, ou habitans, quels qu'ils fussent, de quel païs que ce fût, et en aussi grand nombre qu'ils le trouveroient convenable, dans la Vallée, aux environs de la dite Abbaie, depuis Petra-Felix, jusqu'au lac de la dite Abbaie et jusqu'au lac Brunet, et le long de l'eau appelée l'Orbe, le tout du côté où est située la dite Abbaie, autant que la Seigneurie /297/ de la Sarraz s'étend, en longueur et en largeur, dans les dites limites. » Ils donnoient pouvoir aux habitans qui viendroient ainsi à s'y établir: « d'extirper, de faire des prés, de bâtir, au long et au large, et où bon leur sembleroit, cependant sous la soumission des Religieux, à qui ils accordèrent, en même tems, toute juridiction et seigneurie sur ces habitans qui viendroient ainsi à s'y établir. » Ils donnèrent aussi aux Religieux « le pouvoir de faire grâce à ceux de ces habitans qui viendroient à tomber dans quelque faute, comme aussi celuy de les saisir, juger et condamner, selon leurs mérites, par le Métral, ou des commis de leur part » , de la manière suivante: « Lorsqu'un malfaiteur seroit condamné à être puni dans son corps, ou mutilé dans ses membres, il devoit être conduit tout nud à la porte du château de la Sarraz, pour recevoir sa punition à teneur de la sentence rendue par les dits commis des Religieux, et les biens du dit criminel étoient adjugés en faveur du couvent. » En échange de cette donation, « pour chaque » abergataire, ou habitant, qui, à l'avenir, aura domicile, ou feu, dans les dites limites, les dits Religieux sont tenus de donner, ou payer, par eux-mêmes, ou par leur député, au dit seigneur de la Sarraz, ou à son ordre, chaque année après la fête de Noël, à la Sarraz, un ras d'avoine, mesure de la Sarraz, et un chapon, ou une poule; de façon pourtant, que ceux des dits habitans qui ne pourront, ou ne voudront, pas payer le dit chapon, ou la dite poule, payeront, à la place, six deniers, monnoie de Lausanne. »

Voilà la véritable origine du ras, ou focage, établi à l'orient du Lac et de l'Orbe, qui se paye, encore aujour-d'huy, dans le District du Brassus; les plaisans lui ont cependant attribué une autre cause. On verra, dans son tems, de quelle manière les particuliers de la Communauté de /298/ l'Abbaie, et ceux de l'Orient de l'Orbe, dans celle du Chenit, en ont été déchargés.

§. 10.

Outre les actes dont j'ay fait mention, il y en a d'autres, dans les Régistres des Notaires Jean Mayor et Pollens, mais je ne les connois que par un petit mémoire, ou extrait, que j'ay sous la main, qui porte qu'on y voit quantité de procédures, sentences et arbitrages, entre les Religieux de Saint-Oyens, ou Saint-Claude, et ceux de l'Abbaie du Lac-de-Joux, par lesquels il conste que, si ces derniers n'avoient pas été bien soutenus, les premiers les auroient presque dépouillés de tout. Ils les laissèrent enfin en repos, ce qui est démontré par le fait suivant:

Ces Religieux de Saint-Oyens remirent les droits, ou, pour mieux dire, les prétentions qu'ils avoient sur la partie méridionnale de la Vallée, à l'Abbaie de Bonmont, par acte du 3. Janvier 1307, comme on le voit par une copie, ou translation, françoise de cet acte, qui, après avoir fait mention de certaines possessions et domaines qu'ils remettoient à l'Abbé de Bonmont, s'exprime comme suit:

« Item, donnons, concédons et quittons, au mode et nom que dessus, aux dits Religieux de Bonmont et à leurs successeurs, tout droit, possession, propriété et domaine que nous avons, ou que nous pouvons avoir, ou que nous devons avoir, comme que ce soit, dans la Chaux et lieux d'Emburnex, de quel nom qu'on puisse les nommer et appeler, avec leurs appartenances universelles, depuis les lieux les plus proches de l'eau appelée l'Orbe, tendant par un chemin, inclusivement et directement, le long des Chaux des hommes Religieux du /299/ Lac-de-Joux, vers Bière, vers Saint-George et vers Bassins, ainsi, depuis les dits lieux, comme descend la dite eau. »

J'ai vu un extrait latin de cette donation, ou d'une semblable, dont la date est du 10. Janvier 1317, qui exprime le mot qu'on a traduit Emburnex par celui de Burnay, et auquel la traduction dont je viens de parler est assez conforme pour tout le reste, d'où j'ay conjecturé que cette dernière date pourroit être la véritable. Ma conjecture est appuiée sur une remise qui en fut faite au baron d'Aubonne, de laquelle j'aurai occasion de parler ci-après.

Quelque tems après cette concession, l'Abbé et les Religieux de Bonmont, s'associèrent plusieurs communautés et divers particuliers, accordant « le droit de pouvoir faire pâturer » chacun une certaine quantité de bétail, sur ce mas des Emburnex, dans l'enceinte des limites désignées comme suit: « depuis la montagne de Bassins, de vers vent, jusques aux Chaux de Bière, de vers bise. »

Il paroit encore, par le mémoire dont j'ay parlé au commencement de cet article, que, dès que les Religieux de l'Abbaie du Lac-de-Joux furent en repos, ils voulurent dominer à leur tour; on y observe qu'il y a aussi, dans les Régistres de Mayor et Pollens, un grand nombre de procédures, sentences et arbitrages, au sujet des droits et impôts que ces Religieux s'attribuoient et vouloient imposer sur les habitans du Lieu de Dom Poncet et aux environs.

Ces habitans du Lieu, ayant résisté opiniatrément, au sujet de quelques-unes de ces impositions onéreuses, furent condamnés, par des arbitres ecclésiastiques et d'autres, de plus-haut rang, d'une manière indigne, révoltante et flétrissante. Par exemple, l'une de ces sentences porte: « que ceux du Lieu devoient se prosterner à genoux, dans l'église de l'Abbaie, devant l'autel de Sainte Marie-Madelaine, /300/ avec des cierges allumés, les tenant à la main, et, dans cette posture, demander pardon, grâce et miséricorde. »

Enfin, ce mémoire porte qu'il y a aussi, dans les registres que j'ay indiqués, plusieurs autres sentences au sujet du moulin de la Sagne (des Charbonnières), le premier qu'il y ait eu dans la Vallée, et qui dépendoit de celui de Cuarnens, dont ces premiers habitans de la Vallée étoient sujets.

§. 11.

Le 24e jour du mois d'Avril 1344, François, Seigneur de la Sarraz, vendit la Vallée à Louis, Duc de Savoye, Seigneur du Païs-de-Vaud, pour le prix de mille livres Lausannoises.

Les limites portées dans l'acte de cette vente sont les mêmes que celles qui sont contenues dans l'inféodation de l'année 1186, qu'on a rapportée ci-devant.

En faisant cette vente, le dit François de la Sarraz « réserva » plusieurs choses, tant pour lui-même que pour ses gens de la Sarraz et de la dite Vallée; entr'autres, « l'usage à perpétuité des joux, bois et paquiers, sans payer aucun tribut ni servitude pour le dit usage. »

Il est à présumer que les Barons de la Sarraz, prédécesseurs de celui-ci, avoient déjà accordé quelques privilèges semblables aux premiers colons de la Vallée, pour les encourager à s'y établir; la donation du mois d'Avril 1307, dont le précis est rapporté ci-devant paroit assez l'insinuer, et il n'est pas naturel de croire que des gens se fussent fixés dans des bois et des lieux, en quelque sorte, inhabitables, si l'on ne leur avoit pas donné quelques prérogatives. D'ailleurs, ce Baron dit lui-même, dans l'acte de cette vente, « qu'il se voit obligé de la faire pour payer ses dettes, puisque ses biens étoient prêts à être anéantis par les usures. » On ne /301/ peut guère s'imaginer qu'un homme réduit dans cet état eût fait ces réserves, en faveur de ces premiers habitans, s'il ne les leur avoit pas dues, et il est évident qu'il auroit beaucoup augmenté le prix de sa vente s'il avoit pu la faire sans y insérer ces réserves.

Louis, Duc de Savoie, après s'être mis en possession de la Vallée, l'annexa à sa Seigneurie des Clées, et, par ce moyen, ses habitans en devinrent ressortissants, et furent fait participants des privilèges attachés à cette Seigneurie.

Mais, avant que d'aller plus loin, je crois devoir faire observer que ce Duc n'avoit qu'une fille, nommée Cathérine. Il la maria à Guillaume, Comte de Namur, qui, après la mort du dit Louis, devint Seigneur du Païs-de-Vaud; mais il ne garda pas longtems cette Seigneurie: il la vendit, en l'année 1359, à Amédée VI, Comte de Savoie, cousin-germain de la dite Cathérine, son épouse.

Amédée, Comte de Savoie, étant ainsi devenu Seigneur du Païs-de-Vaud, confirma, par acte donné à son château de Morges, le 14 Juillet de la même année 1359, aux nobles, bourgeois, manants et habitans de la Ville et Chatellanie des Clées, les libertés, franchises, privilèges, exemptions et coutumes qui leur avoient déjà été accordés par les Seigneurs de ce païs, ses prédécesseurs.

§. 12.

Quelques années après la confirmation de ces privilèges, les fermiers du Païs-de-Vaud, comme aussi quelques vassaux qui avoient des droits de péages rière leurs terres, voulurent exiger ces péages sur des marchandises et denrées que leurs ressortissants de la terre des Clées faisoient conduire dans le dit païs. Ils adressèrent à ce sujet des représentations au Comte Amédée de Savoie, leur nouveau Souverain, lequel, après avoir pris toutes les informations /302/ suffisantes de leurs droits, leur accorda l'exemption de ces péages, par lettre sous son sceau de la teneur suivante:

« Nous Amédée, Comte de Savoie, savoir faisons à tous que nos fidèles et bien-aimés les bourgeois et ressortissans des Clées, en notre terre du Païs-du-Vaud, seroient parvenus à nous, pour plusieurs marchandises et denrées dont ils se servoient, portoient et faisoient charier par notre Païs-de-Vaud, pour lesquelles ils nous devoient péages et tributs et gabelles, lesquels étoient perçus par nos fermiers et amodiateurs de péages, et sollicités à ce payement par nos officiers. Desquelles choses, ils nous auroient supplié les vouloir décharger de semblables charges de péage, gabelle, et de tous autres quelconques tributs, pour ce qui vise leurs propres et particulières marchandises, et c'est dans et rière tout notre Païs-de-Vaud, lesquelles ils n'ont jamais payées, ni avoir été de coutume de payer, à nos gens pour ce établis aux péages, gabelles et tributs quelconques, pour ce qui concerne leurs marchandises et denrées, auxquelles nos gens les vouloient astreindre. »

« Il est ainsi que, nous, sur ce, ayant désiré conseil par certains de nos Conseillers et officiers, de telle cette notre exemption, ensorte que nous trouvons, par la rélation à nous faite par les dits Conseillers et officiers, les dits, nos fidèles des Clées, devoir être francs et exempts du payement des dits péages, gabelles, et tributs, rière tout notre Balliage-de-Vaud, et, à cette cause, voulons i ceux gratifier de telle immunité et privilège, comme à nos bons et fidèles sujets et bourgeois, et à toute leur postérité quelconque, savoir: de pouvoir mener et ramener, conduire et faire conduire, leurs propres marchandises et autres marchandises, à charge de corps, bêtes ou chariots, par tout le Balliage de notre Païs-de-Vaud, soit que ce /303/ soit immédiatement rière nous, soit rière nos Banderets et autres Seigneurs, sans payer aucuns péages, gabelles, ni tributs quelconques, ains qu'ils en soient entièrement quittes et tout-à-fait exempts. »

« Mandans, sur ce, et commandans, par la teneur des présentes, à tous nos fermiers des péages, péageurs et autres nos officiers de notre Balliage-de-Vaud, présens et à venir, la présente concession et octroy qu'ils ayent à l'observer perpétuellement et inviolablement. »

« Et cela a été fait moyennant cent florins d'or de petit poids reçus par notre fidèle et bîen-aimé Anthoine Champion, qui nous en devra rendre compte, puisqu'il a fait confession de les avoir reçus. »

« Donné, à Morges, le 23e février de l'année 1371, sous notre sceau, et par notre authorité scellées par le seigneur, présens messieurs de Montheyson, Claude, Chancelier de Savoie, et Henry de Colombier. »

§. 13.

Il s'éleva, dès-lors, des difficultés entre le Recteur et Sindic de la Ville et Communauté des Clées et celui de la Ville et Communauté du Lieu, proche le Lac-de-Joux. Le premier vouloit « que ceux du dit Lieu eussent été et fussent jurisdiciables du Château des Clées, et qu'ainsi ils contribuassent aux fortifications et à la garde de la dite ville, en un mot: qu'ils fussent obligés de faire, en toute manière, toutes sortes de contributions, comme les autres hommes de cette ville et Chatellanie. »

A quoi ceux du Lieu opposoient, en disant: « qu'ils n'avoient jamais contribué, par le passé, pour la dite Ville; qu'ils étoient chargés de garder les passages par où l'on venoit de Bourgogne par le dit Lieu. »

/304/ Après bien des contestes, des condamnations et des sentences, obtenues par ces deux Communautés l'une contre l'autre, ces Recteurs et Sindics, celui des Clées, par le consentement des principaux de cette Ville, et celui du Lieu, par approbation de sa Commune, et de l'aveu du Révérend Père en Christ, le Seigneur Henri, Abbé du Lac-de-Joux, se soumirent à la décision absolue de noble messire Nicod de Saint-Martin, Capitaine, Châtelain des Clées, lequel prononça, par forme de transaction, sous la date du 30 Juin 1396: « que ceux du Lieu et leurs successeurs, à perpétuité, seroient exempts de toutes sortes de contributions, ou cotizations, envers la dite Ville des Clées, mais qu'en vertu de cette exemption, ils payeroient annuellement au Recteur de la dite Ville quarante sols, bonne monnoie, coursable au Païs-de-Vaud, et, de plus, une fois pour toujours, quarante-cinq florins de bon or, payables en trois termes, les trois premières années, ou, en place de chaque florin, quatorze sols bonne monnoie. »

Cette prononciation fut acceptée par les parties, et confirmée par le Comte Amédée, Seigneur du Païs-de-Vaud, par lettres données, à Chambéri, le 7 Juillet de la susdite année 1396.

§. 14.

Les Religieux de l'Abbaie prêtèrent reconnoissance, le 11 Août 1445, en faveur de noble Guillaume de la Sarraz, « que ses prédécesseurs ont été, et lui-même est, comme aussi ses héritiers doivent être, les vrais fondateurs, gardiens et avoiers de l'Abbaie et du Couvent, de même que de ses droits, et des Villages, et territoires de dite Abbaie et Couvent du Lac-de-Joux. »

Le 16. Janvier 1449, les mêmes Religieux, sous les titres /305/ ci-après: « Le Révérend Père en Christ et Seigneur, le Seigneur Wilhelm de Bettens, Abbé du monastère du Lac-de-Joux, de l'ordre des Prémontrés, du diocèse de Lausanne, et les frères Religieux-Profès du dit monastère, » prêtèrent reconnoissance, sur les mains du Commissaire Jaques Guibert, en faveur du Duc de Savoie, à cause du Château des Clées. Ils confessent que « le sus-nommé Duc et les siens ont, veulent et doivent avoir, haute, moïenne et basse seigneurie et omnimode jurisdiction, tant sur les hommes taillables domiciliés au village du Lieu, que sur tous ceux qui y habitent, et sur les étrangers venant à y habiter, de même que sur le territoire, les confins et les environs de l'Abbaie des dits Religieux. » Ils exceptent, dans cette reconnoissance, « les lieux sacrés du monastère, et certains droits de Vidamie et de Métralie appartenants au Baron de la Sarraz, et à Pierre de Jougne. » Ces droits étoient du nombre de ceux que François de la Sarraz s'étoit réservés, dans la vente de 1344, rapportée ci-dessus.

§. 15.

Le Seigneur Nicolas de Gruffi, Abbé du Lac-de-Joux, abergea, le 22. Juillet 1466, à la Communauté de Bière, « un mas de pré, situé ès joux, appelé en la Perrausa, sous la cense annuelle de vingt sols bons Lausannois. » Les limites sont: « le pré commun du Village de Dignens d'orient, la dépendance de l'eau de l'Orbe d'occident, le pré dou Crosset de bise, le pré commun du dit Bière et de la Forma de vent. »

L'année suivante, la Commune de Bière associa à cet abergement celle de Denens, qui, comme on le voit, possédoit déjà quelque terrain dans cet endroit, moyennant qu'elle payât, à l'avenir, la moitié de la cense. C'est de-là que /306/ la Commune du Chenit tire vingt sols, tant de Monsieur de Denens que de la Commune de Bière. On peut avoir remarqué que j'ay déjà parlé de ce pré de la Forma, sous le nom des Chaux de Bière, lequel avoit été assigné pour limite au mas des Emburnex du côté de bise. Il seroit, cependant, assez difficile de démontrer les droits que cette Commune avoit eus pour se mettre en possession de cette montagne, renfermée dans les limites de la Vallée; tout ce que j'en connois se réduit à savoir que cette Commune a eu, autrefois, prêté des reconnoissances pour ce terrain. Une de ces reconnoissances, faite quelque-tems avant l'abergement de la perrausa, dont on vient de parler, porte que « cette Commune, reconnoit tenir d'Amé de Viri, Seigneur de Mont-le-vieux, Rolle et Bière, la Chaux, soit fruitière, sise sur Bière, jouxte le pré, soit marais, des Emburnex à vent, le pré de la Chaux de Dignens à bise, l'eau appelée l'Orbaz du couchant » (sans limite d'orient). Mais, à supposer que ce seigneur eût abergé cette montagne, il n'en avoit pas le droit, et il est étonnant que les Abbés de l'Abbaie n'y ayent pas formé des oppositions, non plus qu'aux premières possessions de la Commune de Denens, dont, vraisemblablement, les droits n'étoient pas plus authentiques.

Quant à cette limite de la rivière de l'Orbe, mentionnée dans cette reconnaissance et ailleurs, on voit, par d'autres titres, et par les explications qu'on en a données, dans la suite, que c'étoit une limite d'aspect, par-où il falloit entendre que cette limite s'étendoit jusqu'à l'endroit d'où l'on pouvoit découvrir et voir cette rivière.

§. 16.

Le 8. Juillet de la susdite année 1467, l'illustre prince Jaques de Savoie, Comte de Romont, fit une /307/ prononciation entre noble Guillaume de la Sarraz et le susdit Nicolas de Gruffi, Abbé du Lac-de-Joux, au sujet d'un grand nombre d'articles que ce premier demandoit et que le dit seigneur Abbé refusoit absolument. Le jugement sur l'un de ces articles (le seul qu'il m'a paru nécessaire de rapporter ici) porte que « l'Abbé doit reconnoître et confesser que les seigneurs de la Sarraz sont fondateurs, avoiers, protecteurs de l'Abbaie; que le dit seigneur et ses hommes du district doivent avoir, dès-à-présent et à l'avenir leur usage dans les joux, pour bois à bâtir et aussi le droit de pâturage, » ce que l'Abbé leur refusoit.

L'usage ici accordé, des bois et paquiers, est fondé sur la réserve de François de la Sarraz, dans la vente de 1344. Il semble, cependant, que celui des bois est ici restreint; mais, il est probable que le droit de bocherage, proprement dit, n'étoit pas contesté, qu'au contraire, l'Abbé qui, comme on l'a vu, étoit en possession des dixmes, n'étoit pas fâché que l'on défrichât, mais que, sans doute, il auroit voulu, pour étendre de plus en plus son autorité sur les habitans, avoir à sa disposition ces bois à bâtir, pour y imposer quelque tribut. Le Comte de Romont, arbitre, n'ignoroit pas la vente de 1344 (il en est même fait mention dans l'acte de cette prononciation) et il n'est pas naturel de croire qu'il eût voulu, ni même qu'il eût pu, y déroger.

§. 17.

Trois ans après, savoir en l'année 1470, Amédée, Duc de Savoie, Seigneur du Païs-de-Vaud, confirma à la Chatellanie des Clées le droit d'omguelt, dont elle jouissoit déjà précédemment, et cela, par lettres données, à Chambéri, le 15. décembre de la dite année.

§. 18.

/308/ Jean Pollens, abbé du Lac-de-Joux, abergea, par acte du 14e. Janvier 1480, à Vinet Rochat, de Ville-Dieu, en Bourgogne, et à ses trois fils, pour eux et leurs successeurs à perpétuité, le cours de l'eau et flux de la Lionnaz, depuis les murailles du couvent, jusqu'à sa source, pour y construire des martinets, forges, ou hauts-fourneaux. Il leur accorda la permission et le droit de couper tous les bois qu'ils voudroient, dans la dépendance des monts appartenants au dit Abbé et couvent, suivant leurs besoins, tant pour faire du charbon qu'autres choses à eux nécessaires. De plus, il leur accorda le droit de pêcher à la ligne au lac comme ceux du Lieu pouvoient le faire, il leur abergea aussi une certaine quantité de terres aux environs de l'Abbaie, et des pâturages du côté du mont du lac, et le droit de moudre au moulin de dite Abbaie sans émine, pourvu qu'ils missent en état le dit moulin et qu'ils le fissent moudre. Enfin, il leur permettoit de bâtir, où bon leur sembleroit, hors de l'enceinte des murs du couvent, sous réserve de payer le ras, ou focage, qu'il étoit tenu de payer lui-même à la Sarraz.

Le dit Abbé se réserva le droit de pouvoir faire construire un moulin et une scie dans les limites de cet abergement, comme aussi la dixme pour chaque journal, ou chaque pose, de terre que les dits abergataires pourroient ensemencer, à raison d'une coupe par pose, mesure de la Sarraz, chaque année, de tel bled qui seroit semé et auroit crû en dite terre, et l'avoine au comble. Il se réserva, de plus, l'omnimode jurisdiction, haute, moyenne et basse, à l'exception du dernier supplice, sur les dits abergataires et sur toutes les choses abergées.

Si ce Vinet Rochat, qui est la tige de cette nombreuse /309/ famille de la Vallée, ne fut pas le premier habitant de l'Abbaie, il fut, du moins, le second; c'est ce qui se démontre clairement dans l'article suivant.

§. 19.

On peut avoir remarqué, par tout ce qui est rapporté ci-devant, que, dès les commencemens du siècle qui précède celui-ci, les Religieux de l'Abbaie avoient cherché, peu-à-peu, à augmenter leurs droits, et qu'ils n'avoient pas, non plus, négligé les occasions favorables d'étendre leur autorité sur les habitans du Lieu. Ils n'en laissoient échapper aucune, et ils en saisirent une, qui se présenta dans ce tems fort à-propos pour les engager à pousser leurs prétentions jusqu'à vouloir que les susdits habitans ne fussent point hommes, ou sujets, du duc, mais du couvent. C'est en conséquence de cette prétention qu'ils les enrégistrèrent dans le nombre des feux et des hommes du seigneur Abbé, en dressant le rôle d'un certain gîte qui avoit été accordé au seigneur souverain, le Duc de Savoie; sur quoi, en les supposant sujets du dit Abbé, le procureur de Moudon, receveur du dit gîte, les fit gager. Ces habitans du Lieu, ayant opposé à ce gagement, furent assignés a comparoitre, avec le dit seigneur Abbé, par-devant le vénérable Conseil étroit de Moudon, sur le 3e Janvier 1483, pour y exhiber et y expliquer les droits des uns et des autres, et voir les raisons pour lesquelles ceux du Lieu refusoient de payer cette cottization en qualité de sujets du dit Abbé.

Deux députés du Lieu ayant comparu au jour nommé, avec le procureur de l'Abbé, ces premiers produisirent « certains actes et reconnoissances, qui firent foi que les hommes du Village du Lieu étoient hommes de l'illustrissime prince, le Duc de Savoie. »

/310/ Après quoi, le dit Conseil interrogea et somma le procureur de l'Abbé de déclarer combien le dit Abbé avoit de sujets; sur quoi, il déclara par serment: « que le dit Abbé n'avoit que deux hommes faisants-feu qui fussent ses sujets. » Les habitans du Lieu furent donc reconnus dépendre immédiatement du dit seigneur Duc, et payèrent, comme tels, la cottization en question, pour treize feux qu'ils avoient, à raison de quatorze sols bons, Lausannois, pour chaque feu, et, de plus, deux sols six deniers, pour la nourriture des chevaux qui avoient été levés de gage, le tout se montant à la somme de quinze florins quatre sols six deniers, dont ils tirèrent quittance du dit procureur de Moudon, receveur de ce gîte.

La même année, le susdit Jean Pollens, Abbé du Lac-de-Joux, tant en son nom qu'en celui de son Couvent, prêta reconnoissance, en faveur de noble Nicod, Baron de la Sarraz, sur le pied des reconnoissances des Abbés ses prédécesseurs en faveur de ces Barons; l'acte est daté du 6e. Mars 1483.

L'année suivante, il y eut encore une reconnoissance en faveur du dit Nicod, qui fut faite par Jean de Tornafol, qui prit possession de cette Abbaie.

§. 20.

Dix ans après, savoir en 1494, l'abbaie de Bonmont, à qui, comme on l'a vu, l'Abbé de Saint-Oyens, ou de Saint-Claude, avoit remis, en l'année 1307 ou 1317, ses prétentions sur la partie de la Vallée qui est du côté de vent du Brassus, en fit cession, cette année, au Comte François de Gruières, Baron d'Aubonne.

La transaction qui fut faite pour cette remise porte: « que, contre la teneur de la concession de 1317, il seroit arrivé /311/ que Gimel, Ballens, Mollens, Bière, Saint-Livres, Saint-Saphorin, et autres hommes et Communes, tant au nom du dit seigneur Comte que de leur propre authorité, se seroient, ci-devant, indhuement approprié le bien d'autruy, aux lieux contenus en dite donation, y auroient construit des bâtimens et fruitières, pâturé leurs bêtes et gagé celles du monastère de Bonmont et de ses hommes … mené les gages à Aubonne … contre la forme et teneur de dite donation, le tout au préjudice des dits de Bonmont, ce que, pourtant, ledit Baron déclare avoir désapprouvé, et dit avoir été fait par les dites communes à son insceu. » Sur quoi, « par entremise d'amis, le monastère du dit Bonmont cède au dit Baron tout droit, domaine, usage et jurisdiction etc, … » sur les lieux portés dans la dite donation de 1317, assavoir: « dès l'eau de l'Orbe, par jouxte la Chaux des hommes Religieux du Lac-de-joux, descendant jusques sus Bière, montant droitement par la Chaux que tiennent ceux de Bière, jusqu'à la dite eau de l'Orbe, inclusivement. »

« Au réciproque, le dit Baron loue, ratifie et approuve la prédite donation, faite au dit Abbé de Bonmont, avec toute sa teneur et clausules, et à ses abergataires présens et futurs, de ce lieu-là qui s'appelle Amburnex, avec ses accoutumés pâquérages, joux et appartenances, tant en montagnes, joux, et chaux circonvoisines, que des chaux de la Sèche, l'Illenche, la Forma, Cossonay, Brutinaz, et autres usitées à pâturer. »

Il est, cependant, vraisemblable que le Baron d'Aubonne, quoiqu'il eût déclaré, ci-devant, qu'il désapprouvoit la manière dont ces différentes communautés avoient agi envers le monastère de Bonmont, il est, dis-je, vraisemblable que, du moins, il l'avoit tolérée, à dessein de faire valoir des prétentions de jurisdiction qu'il avoit sur ces terrains avant /312/ que cette cession lui eût été faite. Il fondoit ces prétentions: 1º, sur un certain abergement fait, en 1208, à Pitton, baron d'Aubonne, par Berthold IV, Duc de Zäringen, de toutes les montagnes existantes depuis le mont Marchas, dessus Montricher, du côté de bise, jusqu'au mont Salaz, inclus, et, depuis le dit mont, par certain chemin appelé de Vame, et, par le dit chemin, jusqu'au milieu de l'eau de l'Orbe, du côté de vent, et, dès la dite eau de l'Orbe en-dessus, jusqu'au territoire de Mont; — 2º. , sur un accord fait l'année suivante, 1209, entre l'Abbé de Saint-Oyens-de-Joux et Humbert de Thori, baron d'Aubonne, par lequel l'Abbé lui abandonnoit les montagnes sur Bière et Cuney, proche, et en devers vent, de Montendre, jusqu'à l'eau de l'Orbe; — 3º. enfin, sur un autre accord, fait en 1301, à la suite de certaines difficultés survenues entre Odet, Abbé de Saint-Oyens, et Nicolas Abbé de Bonmont, d'une part, et Amé de Villars, baron d'Aubonne, de l'autre. Par ce dernier accord, ils étoient convenus que « la haute jurisdiction sur tous ces lieux appartiendroit audit baron, et qu'il jouiroit, indivisément, de la moïenne et basse seigneurie avec le dit Abbé de Bonmont. »

Voilà tout ce que je connois sur l'origine des droits de jurisdiction des barons d'Aubonne sur cette partie de la Vallée appelée les Amburnex, et aussi des droits de propriété du terrain en faveur des Communautés et des particuliers qui jouissoient de ces pâturages.

Il paroît d'abord, ainsi que je l'ai déjà remarqué, que l'Abbé et les Religieux du Lac-de-joux ne devoient pas regarder d'un œil indifférent ces établissements qui se faisoient à leur préjudice, par une suite des prétentions peu-fondées de l'Abbé de St.-Claude, mais qu'ils devoient réclamer la portion de ce mas renfermée dans leur territoire, en vertu des droits qu'ils tenoient des barons de la Sarraz, ce qu'ils auroient déjà dû faire en 1317, ou même plus-tôt. /313/ Mais, puisqu'ils ne le firent pas, il est assez probable que ce fut moins par manque de volonté que par défaut de puissance, d'autant qu'il est aisé de reconnoître qu'ils étoient plutôt portés à augmenter leurs droits qu'à les diminuer; ils eurent même, dans la suite, des difficultés, avec le baron d'Aubonne, à l'occasion des terrains à qui l'on donna le nom de Pra-Rodet, situés à l'occident de ceux-là.

Depuis cette dernière concession, ce mas des Amburnex continua à être pâturé indivisément, par tous ces compartissants, jusqu'au tems où il s'éleva des difficultés entr'eux à ce sujet. Ces difficultés, s'étant toujours augmentées par la suite des tems, furent enfin terminées, en 1670, par le partage qui fut fait entr'eux de ce mas, après qu'il eût été délimité d'avec celui de Pra-Rodet.

§. 21.

Le 3e novembre 1513, il y eut une prononciation sur une difficulté ventillante entre le seigneur Jaques Varnier, abbé du Lac-de-Joux, et les habitans du village de Vaulion, au sujet des bois que ces derniers venoient couper dans le lieu du Chinit, lesquels ils fendoient par le milieu, et dont ils appeloient les pièces du nom de Punes, qu'ils amenoient de-là par radeaux sur le lac jusqu'à l'Abbaie, l'abbé leur demandant certains droits pour cela.

Cette prononciation accorda auxdits de Vaulion le droit de couper ces bois, nonobstant les oppositions de l'Abbé, non-seulement dans cet endroit, mais même dans toute l'enceinte de la Vallée, dont les limites y sont désignées de conformité à celles de l'Empereur, de l'an 1186, sous réserve cependant qu'ils payeraient audit abbé une obole lausannoise pour chaque Pune amenée sur l'eau, ou pour chaque billon rond qu'un cheval pourrait amener par terre.

/314/ Il est aisé de reconnaître que cette prononciation étoit directement contraire aux droits des gens de la Vallée, fondés sur la réserve de François de la Sarraz; elle n'avait d'autre fondement, pour accorder ce droit aux habitans de Vaulion, que celui qui est rapporté dans cette prononciation, savoir, que ces habitans de Vaulion étoient de la même souveraineté et de la même Vidamie que la Vallée, et qu'ils payaient une cense considérable au château des Clées … Une telle raison n'étoit pas bien solide, non plus que le droit qui en résultoit, aussi n'en ont-ils pas joui long-temps.

Il est à propos de remarquer ici que ce titre est le plus ancien (du moins de ceux que je connais) qui fasse mention du quartier de la Vallée nommé le Chenit, qui y est appelé Chinit.

§. 22.

Dans ce tems-là, les habitans de Rances et de Valeire furent inquiétés par les fermiers des péages de la seigneurie des Clées, qui voulurent exiger d'eux les péages des marchandises qu'ils faisaient conduire rière ladite seigneurie. Cette prétention, qui étoit contraire aux lettres de privilèges accordées par Amédée, comte de Savoie, rapportées ci-devant, à la date de 1371, engagea lesdits habitans d'adresser une requête au duc de Savoie. Ils le supplioient d'examiner les dites lettres en vertu desquelles tous les ressortissans de cette seigneurie avoient été jusqu'alors exempts de ces tailles dans tout le Païs-de-Vaud, comme aussi rière les seigneurs, barons et banderets; ils disoient, de plus, qu'il n'était pas naturel qu'ils payassent dans la seigneurie d'où ils étoient ressortissants, pendant qu'ils ne payoient pas ailleurs, et que même ils avoient soutenu un procès à Montagni, rière les seigneurs de Berne et de Fribourg, où leur privilège étoit demeuré en son entier; qu'en conséquence /315/ ils le supplioient que son bon plaisir fut d'ordonner que ces amodieurs de péages les laissassent en repos, et qu'il fût ordonné au gouverneur et procureur du Païs-de-Vaud de donner « patentes pour telle exemption … » En conséquence de cette réquisition, ce prince fit émaner le mandement suivant:

« Charles, duc de Savoie, Chablais, Aoste, prince du Sacré Empire et vicaire perpétuel, marquis en Italie, prince du Piémont, comte de Genevois, de Bugey, de Romont, de Vaud, Faucigny, Nice, Bresse, etc. »

« A notre bien-aimé gouverneur de Vaud, soit à son Lieutenant, salut! Ayant vu la lettre de supplication annexée avec les lettres de privilèges, portant exemption de péages et gabelles, ayant icelles été considérées par spectable notre fidèle et bien-aimé conseiller François de Marin, demeurant et séjournant avec nous, et icelles duement visitées, et ayant entendu sa relation sur lesdits privilèges et exemptions, de notre certaine science, nous les acquittons de ces choses, vous mandant et constituant dès à-présent, ledit privilège et exemption pour avoir été et être en sa force, et observé inviolablement comme dessus, et à cette condition, que vous fassiez observer lesdits privilèges et exemptions par lesdits péageurs et amodiateurs desdits péages, et mettre en effet, et rendre irrécherchables par iceux, des dites choses pour lesquelles ladite supplication a été faite, et que lesdits suppliants ne soient tenus à qui que ce soit répondre payer pour l'effet desdits péages, en quel lieu qu'ils puissent être appelés, car ainsi avons-nous ordonné que vous deviez vous conduire sur cette affaire, comme chose juste et équitable, et à laquelle ne doit, être apporté aucune opposition, en manière que ce soit, tous mandements et contradictions nonobstant. »

« Donné, à Lausanne, le 3e décembre 1517, par le /316/ seigneur, présents révérends seigneurs Claude de Seissel, archevêque de Turin, Claude de Stavayer, évêque de Belley, … De la Palud, comte de Vaud, Claude, seigneur de Balleyson, baron de St.-Germain, Jean de Lucerna, Hugonin de Vallis »

Ce Claude de Stavayer, évêque de Belley, un des témoins nommés dans cet acte, étoit alors abbé du Lac-de-Joux; il se donnoit encore les noms de commandeur des perpétuels et insignes monastères de Ste.-Marie de l'haute-Combe, et de Ste.-Marie-Madelaine du Lac-de-Joux. Ce fut sous ce dernier titre qu'il abergea, aux nommés Jean et Jacques Rochat, le cours à perpétuité de l'eau courante de l'Embouchaz (Bon Port), dès le soleil levant, et, dès le pré de l'Epine, jusqu'au pied de la Torna, pour y construire « des moulins, battoirs, raisses, martinets à fer, et tous autres bâtiments et aisements. »

§. 23.

L'année suivante, la communauté du Lieu, « soit de l'endroit de l'ermite Ponce » , prêta reconnaissance, sur les mains du commissaire Quiod, receveur des extentes du château, de la ville et de tout le ressort et mandement des Clées, par acte du 25 octobre 1525. Elle y confesse que « tous les biens qu'elle possédoit » dans les limites rapportées dans cet acte, qui sont les mêmes que celles de l'inféodation impériale de 1186, « étoient de la jurisdiction de l'illustrissime Charles, duc de Savoie, se reconnoissant, en même temps, dépendre de lui, et être ses hommes. »

§. 24.

Jean, comte de Gruière, baron d'Aubonne, qui se trouvoit en possession, par la concession faite, en 1494, à son /317/ prédécesseur, non-seulement de la jurisdiction des Amburnex, mais aussi des prétentions que l'abbé de St.-Claude avoit autrefois sur toute la partie méridionale de la Vallée, eut, dans ce temps, une difficulté avec Claude de Stavayer, évêque de Belley, abbé du Lac-de-Joux, à l'occasion d'un certain « mas de pré, buissons et forêts, situés dans les Joux-Noires, au lieu dit Pra-Rodet, tant en-deçà qu'au-delà de l'eau appelée Orbe, comme les eaux coulent et courent par les deux pentes … »

Ces deux seigneurs ayant conféré ensemble, pour terminer cette difficulté, et n'ayant pu en venir à bout, convinrent enfin d'aberger, de concert, ce terrain en conteste à celui ou ceux qui se présenteroient pour cela, d'autant plus, disent-ils, « que, ledit mas étant resté anciennement vacant, et l'étant encore aujourd'hui, parce que ce lieu paroit être inhabitable, cependant, à cause d'un léger différent qui s'étoit élevé entre nous, les susdits seigneurs, à l'occasion dudit mas, et surtout du Pra-Rodet, il ne se présentoit personne qui voulût aberger ce mas. »

Ils trouvèrent donc qu'il leur seroit plus avantageux d'aberger ce terrain, « d'un consentement réciproque » , que de continuer à le laisser vacant, à cause du différent qui subsistoit entr'eux. C'est pourquoi ils l'abergèrent aux communes de Bursins et de Burtigni, le dernier jour du mois d'octobre 1527, sous le nom de Pra-Rodet, « tant en-deçà qu'au-delà de l'eau appelée Orbe. » Ils lui donnèrent pour limites: la roche du Lac Quinsonnet, d'occident; le Beysioux (le Beyblanc), soit à une demi-lieue en-delà, d'orient; la montagne appelée le mont Risod, du côté de Bourgogne, et les paquiers des Amburnex, soit les manet, du côté de Savoie et du Païs-de-Vaud.

Ce nom de Manet dérive naturellement du verbe latin manere, qui signifie, demeurer, résider, habiter; il fut /318/ peut-être donné à ce mas des Amburnex à raison d'une maison d'habitation qui étoit située sur la montagne dite aujourd'hui la Riondaz, des mazures de laquelle on connoît encore les vestiges. La tradition porte qu'anciennement, avant que la Vallée eût été extirpée, il y avait un chemin qui règnoit tout le long des montagnes, par le vallon appelé communément la combe des Amburnex, depuis St.-Cergue, jusqu'à Romainmôtier, lequel servoit de communication entre les monastères de ces deux endroits, et que cette maison étoit destinée à recevoir et loger ceux qui faisoient cette route.

Le nom de chaussée, qui désigne aujourd'hui un grand chemin, dérive, selon le sentiment de quelques savants, du nom de Chaux; ce nom, donné alors, comme on a pu le remarquer, à ces diverses montagnes, pourroit servir à fortifier cette tradition, qui d'ailleurs ne paroit pas entièrement destituée de fondement.

§. 25.

En conséquence de l'abergement de 1527, dont nous venons de parler, les communautés de Bursins et de Burtigni voulurent prendre possession de ce Pra-Rodet, elles y établirent une vacherie; mais, la commune du Lieu s'y opposa, se fondant sur ce que ce mas étoit dans la seigneurie des Clées et territoire du Lieu, et qu'ainsi il n'avoit pu être abergé au préjudice de leurs droits, ce qui occasionna un procès.

Mais, avant que d'en voir la suite, il convient, pour suivre l'ordre des dates, de faire mention d'un événement après lequel les choses changèrent totalement de face, je veux parler de la bienheureuse réformation, que la ville de Berne embrassa l'année 1528, et qu'elle communiqua, dans la suite, /319/ dans le Païs-de-Vaud, après l'heureuse et glorieuse conquête qu'elle en fit sur le duc de Savoie, en l'année 1536.

J'ignore ce que devinrent, dès-lors, l'abbé et les chanoines de l'abbaie; probablement, ils ne furent pas regrettés par les habitans du lieu, puisque, par cet heureux changement, ils sortirent de l'esclavage et recouvrèrent cette précieuse liberté si naturelle à l'homme, liberté qui, sans doute, a été une des principales causes de l'accroissement de ce peuple, situé, pour ainsi dire, dans un lieu désert, et des progrès qu'il a faits dès-lors; progrès étonnants, si l'on considère que les habitants de cette Vallée se montent, aujourd'hui, au nombre de près de cinq-mille personnes, sans parler de ceux qui en sont sortis, pendant qu'en 1483, époque plus que mitoyenne entre sa fondation et le temps où nous vivons, cette Vallée ne contenoit que quinze faisans-feu, qui, à les supposer composés chacun de dix personnes, n'en auraient fait que cent et cinquante.

§. 26.

Revenons au procès d'entre les communautés du Lieu et celles de Bursins et de Burtigni. Je ne connois pas le jugement qui en fut fait en première instance, mais, lorsqu'il pendoit en appel, en l'année 1541, on remarque que Amé Mandrot, procureur patrimonial de Leurs Excellences, y intervint, « et remontra que ni l'une, ni l'autre des parties n'y avoit droit, mais que les Joux et Pra-Rodet appartenaient à LL. dites EEx. , comme choses régales. »

Sur ce principe, l'abergement de 1527 fut déclaré nul, comme ayant été fait par gens non-ayant droit, puisque la haute-seigneurie n'appartenoit pas à eux, mais au prince, à cause du château des Clées …

Les habitants du Lieu furent aussi éconduits de leurs prétentions, pour n'avoir pu produire d'abergement à eux fait, /320/ par les seigneurs de Savoie ou des Clées, ou d'autres titres suffisants pour avoir en propriété les dites Joux et Pra-Rodet, et pour en empêcher l'abergement.

Ces Joux et Pra-Rodet étant ainsi adjugés à LL. EEx. , il n'y avait pas d'autre moyen, pour tirer quelque avantage de ces terres incultes et couvertes de bois, que celui de les donner en emphithéose à des personnes qui les missent en culture et les fissent valoir. Aussi, elles députèrent les illustres seigneurs Jean-François Nægeli, ancien Avoyer, et Michel Ougspourguer, boursier des païs nouvellement conquis, pour en reconnoître la valeur et ensuite les aberger.

Ces illustres seigneurs se rendirent donc sur les lieux, étant accompagnés des magnifiques seigneurs Jost de Diesbach, de Vorbe, baillif d'Yverdon, Pierre de Graffenried, baillif de Romainmôtier, et Georges Zombach, ancien baillif d'Yverdon, avec Amé Mandrot, commissaire-général; lesquels après avoir pris les informations requises à leur commission, abergèrent, par acte prononcé à l'Abbaie, le 20 juillet 1543, savoir, à la communauté du Lieu, d'une part:

« Toutes les Joux, Pra-Rodet, bois, places et paquiers, et autres, étant deçà de la rivière de l'Orbe, de la part d'occident et de Bourgogne, et qui peuvent être rière la Seigneurie des Clées et territoire de dite Abbaie et village du Lieu, sans déroger, ni préjudicier, dans les droits que aucuns (quelques-uns) des particuliers dudit village y peuvent avoir, à cause des possessions pour lesquelles ils payent cense à ladite Abbaie, enclose dans lesdites limites, et aussi les Joux, lieux, bois et paquiers qui sont de-delà de ladite rivière de l'Orbe, devers orient, et du côté de Savoie, dès un ruisseau d'eau appelé le Brassus, en tirant contre la bise. » Cet abergement fut fait pour le prix de « vingt-cinq florins d'entrée, et de deux florins de cense annuelle. »

Par le même acte, il fut abergé aux communes de Bursins et de Burtigny, d'autre part: /321/ « Toutes les Joux et Pra-Rodet, paquiers, bois et autres, étant de-là ladite Orbe, de la part d'orient et de Savoie, enclavés en la seigneurie des Clées, et territoire de ladite abbaie du Lac-de-Joux, à savoir, en tirant du vent à la bise, jusqu'au dit ruisseau du Brassus, descendant dans ladite rivière de l'Orbe, pour le prix d'autres vingt-cinq florins d'entrage, et deux florins de cense annuelle. » Au moyen de quoi, lesdits abergataires avoient la liberté de faire, dans toute cette étendue: « fruitière, pré, terre, et autrement en jouir et user à leur bon plaisir, et comme de leurs choses propres, » Sous la « réserve en faveur de LL. EE. , de la directe seigneurie, omnimode jurisdiction, censes et dixmes. »

Cet abergement fut confirmé par Leurs Excellences, le 9e décembre 1559, et, derechef, le 23e juillet 1614, et le grand sceau de la République y fut apposé.

§. 27.

Le 17e août de l'année suivante, les seigneurs Jacob Thormann, banneret, Michel Ougspourguer, boursier, et Claude May, conseillers de Berne, commis et députés sur les affaires de l'abbaie du Lac-de-Joux, abergèrent à Gabriel et Michel Berney, frères, « la pleine faculté et totale puissance, pour devoir faire bâtir et construire un moulin, sur le cours de l'aigue de la Lionnaz, au-dessus de leur raisse … sans aucuns sujets. »

§. 28.

La commune du Lieu prêta reconnoissance, sur les mains du commissaire Abel Mayor, en faveur de LL. EE. , le 7e octobre 1549. Elle reconnoit « de tenir tous les bois, joux, paquiers, dévies, fontaines et tous autres communs, et /322/ généralement tout ce qu'ils possèdent et pourront posséder et extirper, au temps à venir, rière tout le territoire du Lieu, de quelle espèce que ce soit, sous la taille à la miséricorde, modérée à trente-huit livres, qui ne pourra être augmentée en manière que ce soit, et aussi sous main-morte, directe seigneurie. … »

Il est assez vraisemblable que cette taille fût ainsi modérée par LL. EE. , après le rapport des illustres seigneurs qui avoient été envoyés de leur part, en 1544, pour reconnoître les droits annexés auparavant au couvent de l'Abbaie.

Cette taille à la miséricorde, reste de la barbarie des anciens siècles, étoit un droit que quelques seigneurs avoient, sur les communautés et emphithéotes de leur dépendance, dans de certains cas exprimés par les contrats qui avoient fondé ce droit. Lorsqu'il y étoit dit, comme ci-dessus, « taille à la miséricorde » , cela signifioit « une servitude telle que le seigneur pouvoit en user à sa volonté, » et exiger cette taille aussi forte que ses sujets pouvaient la supporter, et même jusqu'à ce qu'ils fussent dans le cas d'implorer sa miséricorde.

J'ignore le temps et les raisons pour lesquelles les habitants du Lieu avoient été assujettis tant à cette taille qu'à celle de la main-morte. Mais, ne pourrois-je point rapporter leur origine à cette disposition soutenue que les religieux de l'abbaie avoient fait paroître pour augmenter leurs droits? Il ne me paroît pas, du moins, impossible que ces religieux n'aient pu établir ces tailles dans le temps où j'ai fait mention des vexations qu'ils exerçaient sur ces premiers habitants de la Vallée, encore en petit nombre, et hors d'état de leur résister.

Quoi qu'il en soit, je ne connois aucun titre qui en fasse mention, si ce n'est la reconnoissance que l'abbé du Lac-de-Joux fit, en faveur du duc de Savoie, en 1449, cent ans avant /323/ celle dont on vient de parler. Cette reconnoissance porte que les hommes du Lieu étoient « taillables » mais elle ne désigne point en quoi consistoit cette taillabilité, d'où on pourroit conclure qu'elle étoit arbitraire.

Quant à la main-morte, LL. EE. l'ont aussi relâchée, sous une modique cense, et, en échange, la Vallée a reconnu, en leur faveur, « le fief et directe seigneurie généralement sur toutes les maisons, granges, bâtiments, terres, montagnes, bois, fours, moulins, raisses, etc … comme aussi les lauds pour chaque vendition, aliénation, échange » , ainsi qu'on le voit dans les diverses reconnoissances, particulièrement dans celle de l'année 1669.

§. 29.

Jean Viande, autrement Meylan, ressortissant de la communauté du Lieu, propriétaire des moulins et du battoir de Cuarnens, situés sur la Venoge, où, comme on l'a remarqué ci-devant, tous les habitants du Lieu étoient astreints d'aller moudre, à défaut du moulin de la Sagne, qui en dépendoit, et aussi d'y aller battre leurs chanvres, vendit, par le consentement des susdits habitants du Lieu, aux frères Gabriel et Michel Berney, possesseurs du moulin de l'Abbaie, par l'abergement de 1544, ci-devant mentionné: « l'astriction, sujétion et suivance, qu'il avoit à ses dits moulins et battoir » pour être transportées audit moulin de l'Abbaie, avec pouvoir, auxdits frères Berney, de construire « un battoir, ou rebatte, pour ledit chanvre, sous privilège de LL. EE. » L'acte de cette vente est daté du 22e mai 1550, et l'approbation de LL. EE. , insérée au pied dudit acte, est du 4e décembre 1551.

§. 30.

Ce fut environ ce temps-là que quelques particuliers de /324/ la communauté du Lieu commencèrent à s'écarter de ce village, en défrichant du côté du midi, à mesure que le monde augmentoit, et que, dès-là, ils pénétrèrent peu-à-peu dans l'endroit nommé le Chenit, et s'y formèrent des établissements. C'est ce dont l'abergement du cours-d'eau du Brassus, qui fut fait, au nom de LL. EE. , le 3e janvier 1555, à Jean Berrier « pour y construire des forges, martinets, haut-fourneau … » ne permet pas de douter, et c'est aussi ce que les faits que l'on verra ci-après pourront démontrer plus-particulièrement. Mais, avant que de les rapporter, il est nécessaire de remarquer:

Que, par l'abergement authentique de l'année 1543, dont le précis est rapporté ci-dessus, et ensuite de la reconnoissance de 1549, la commune du Lieu se trouva invêtue des objets à elle abergés, sur lesquels elle n'avoit auparavant que le droit d'usage, réservé, en 1344, par François de la Sarraz. Cette communauté eut donc, par cette invêtiture, le pouvoir de revendre et sous-aberger de ses bois et paquiers, et même d'y réserver des censes en sa faveur, pour se dédommager, sur les particuliers acquéreurs, de la cense annuelle des trente-huit livres dont elle s'étoit chargée, pour être affranchie de la taille à miséricorde dans tout son territoire. Elle en profita, et en revendit, en différents temps, par parcelles, à mesure que ses habitants augmentoient, et s'occupoient à défricher ces terrains, qui, jusqu'alors, étoient, pour la plupart, incultes.

Je ne m'arrêterai pas à faire un détail de toutes ces diverses ventes; cela seroit assez inutile, et même impossible. Je me contenterai de faire mention de quelques-unes, qui peuvent avoir du rapport aux principaux faits que je me suis proposé de rapporter.

Une des plus intéressantes, c'est celle d'une « pièce de pré, joux, marais, et autres places à faire prés, terres et /325/ possessions, située aux confins du lieu appelé Pré-Rodet et autres lieux, » qui fut faite, par ladite commune, le 10 mai 1557, pour le prix de cinq-cents florins, à deux gentilshommes françois, noble Julian David, seigneur du Perron, diocèse de Costenels, et noble François Prévot, seigneur de Beaulieu, diocèse de Poitoux. Les limites de ce terrain étoient: « la rivière de l'Orbe, du côté d'orient; le plus haut de la montagne, du côté de Bourgogne, d'occident; affontant aux joux et limites de Bourgogne, comme la commune avoit accoutumé de posséder, devers vent; et, devers la bise, les autres joux appartenant à la dite communauté, par une fontaine appelée la fontaine du Planos, en traversant droit par cette fontaine, depuis ladite rivière de l'Orbe, jusqu'au haut de ladite montagne, devers Bourgogne. »

Ladite commune réserva, dans cette vente, et généralement dans toutes celles qu'elle fit, « les bois pour tous les besoins, et pour le négoce de ses habitants. » Par ce moyen, la propriété utile se trouva divisée entre les particuliers acquéreurs et la commune venderesse; les acquéreurs recevoient la propriété du sol, ou du fonds de la terre, pour tous les fruits qu'elle pouvoit produire par la culture, ou autrement; mais, la commune retenoit la propriété des bois qui y pouvoient croître.

Ces intérêts différents, joints au peu d'exactitude des limites assignées à quelques-unes de ces premières ventes, comme aussi à quelques abergements antérieurement faits, par les abbés du Lac-de-Joux, ont donné lieu, dans la suite, à un nombre, pour ainsi dire, innombrable de difficultés et procès, qui ont occasionné divers règlements souverains, relatifs à ces divers objets.

Ces gentilshommes français, s'étant mis en possession de ce mas, commencèrent à le défricher; ils y établirent une verrerie. La tradition porte, je ne sais sur quel fondement, /326/ qu'ils y bâtirent une chapelle, ou petite église; qu'ils y avoient planté de la vigne. Mais, ayant vu, sans doute, par expérience, que leur entreprise n'auroit pas le succès qu'ils en avoient espéré, ils l'abandonnèrent.

Ils ne possédèrent effectivement pas longtemps ce terrain, puisqu'ils le revendirent, à la ville de Morges, au mois de juillet de l'année 1563. Elle y forma une montagne, dont elle possède, encore aujourd'hui, une partie, sous l'ancien nom de pré-rodet, ayant revendu, dans la suite, le surplus du terrain compris dans ce mas à des particuliers, qui commencèrent à y former des établissements.

§. 31.

Les communes de Bursins et de Burtigny ayant partagé entr'elles, en l'année 1564, 1e mas qui leur avoit été assigné dans l'abergement de 1543, cette première, qui eut son lot du côté de bise, vendit aussi à des particuliers tout le terrain qui existe depuis les limites de la montagne qu'elle possède encore aujourd'hui, jusqu'au Brassus. Il est, cependant, vraisemblable que ces deux communes avoient déjà vendu, en commun, une partie de ce terrain avant ce partage; sans quoi, il paroît que les lots n'auroient pas été égaux.

La ville de Morges acquit ensuite la portion de ce terrain qui restoit à la communauté de Burtigny, pour le prix de douze-cents florins, et seize-cents florins, pour le droit de rachat. Elle y établit deux montagnes: la Burtignière et les Plats, mais elle ne garda pas cette dernière, elle la remit à Monsieur d'Aubonne, qui lui donna en échange trois-quarts de pose de vigne, et un char de vin, sur quoi, on dit que la dite ville lui rendit soixante écus d'or, qui feroient environ cinq-cents florins, monnoie d'aujourd'hui. /327/

§. 32.

Ce fut bientôt après la vente des gentilshommes françois que fut compassée et marquée la lieue vulgaire, depuis le Lac-Quinsonnet, ou des Rousses, comme en fait foi l'extrait d'un procès-verbal contenu dans les régistres de noble Urbain Quizard, seigneur de Crans, qui fut dressé, sur les lieux, par le magnifique seigneur baillif d'Yverdon, ledit Quizard, et Abel Mayor, le 13 juillet 1565, au sujet des plaintes portées à LL. EE. par la ville de Morges: « Que des Bourguignons avoient passé les limites en Pra-Rodet, et plus-haut, en la Chaux-Sèche, y ayant fait, de nuit, des abattis de bois, et bouché un chemin par lequel lesdits de Morges alloient pâturer dans cet endroit. »

Par un autre extrait des mêmes régistres, il conste que les ambassadeurs de Sa Majesté Catholique, et les députés de Berne, qui conférèrent ensemble, le 18 septembre 1566, ne purent convenir pour cette difficulté, ni pour d'autres, suscitées par les Bourguignons, appuyés des députés de l'Abbaie de Saint-Claude, et qu'ils tombèrent enfin d'accord que l'on prendroit des arbitres.

Il y eut bien d'autres difficultés, dans la suite, non-seulement dans cet endroit, mais aussi ailleurs, à l'occasion du bornage des souverainetés qui, comme on le voit par les extraits dont je viens de parler, avoit déjà été projeté depuis l'année 1548, et qui ne fut exécuté que cent ans après.

§. 33.

Ensuite d'une réquisition faite à LL. EE. , cette même année, par les habitans de la communauté du Lieu, elles détachèrent la Vallée de la seigneurie des Clées et du Bailliage d'Yverdon, d'où cette Vallée dépendoit, et /328/ l'annexèrent au Bailliage de Romainmôtier, par acte reçu à l'Abbaie, sur les mains d'Ege Abel Mayor, le 4 août 1566. Ce changement fut fait « sans préjudice des droits de LL. EE. , » ni, non plus, « des droits, titres, libertés, franchises et bonnes usances desdits habitans et sujets de la Vallée du Lac-de-Joux. »

Trois ans après, le commissaire Darbonnier fit la rénovation des droits de LL. EE. , rière ladite Vallée, par acte du 18e août 1569. La commune du Lieu reconnut la jurisdiction appartenante à LL. EE. , à cause du château des Clées, jurisdiction qui avait été annexée au Bailliage de Romainmôtier, et qui s'étendoit sur toute la Vallée, par les limites qui y sont spécifiées, conformément à celles qui sont désignées dans les anciens titres. Cette commune reconnut, en outre, tenir de LL. EE. , en vertu de l'abergement de 1543, « toutes les joux, Pra-Rodet et autres, qui pouvoient être rière la seigneurie des Clées, territoire de l'Abbaie et village du Lieu » … quoique Pré-Rodet fût alors possédé par la ville de Morges.

On observe encore, par une transaction faite la même année, entre les communautés du Lieu et de Vallorbes, que la propriété des bois, joux et paquiers, sans aucune restriction, étoit exercée et possédée par la commune du Lieu, selon les limites de la Vallée portées dans les anciens titres, et cela, en vertu de l'abergement de 1543, et en compensation de la cense qu'elle payoit pour avoir été affranchie de la taille à miséricorde.

La ville de Morges prêta aussi reconnoissance, sur les mains du même commissaire, par acte du 9e octobre 1570. Elle reconnoit tenir le Pré-Rodet, par les limites portées dans la vente de 1557, dont on a parlé ci-devant. au Bailliage de Romainmôtier, par acte reçu à l'Abbaie, sur les mains d'Ege Abel Mayor, le 4 août 1566. Ce changement fut fait « sans préjudice des droits de LL. EE. , » ni, non plus, « des droits, titres, libertés, franchises et bonnes usances desdits habitans et sujets de la Vallée du Lac-de-Joux. »

Trois ans après, le commissaire Darbonnier fit la rénovation des droits de LL. EE. , rière ladite Vallée, par acte du 18e août 1569. La commune du Lieu reconnut la jurisdiction appartenante à LL. EE. , à cause du château des Clées, jurisdiction qui avait été annexée au Bailliage de Romainmôtier, et qui s'étendoit sur toute la Vallée, par les limites qui y sont spécifiées, conformément à celles qui sont désignées dans les anciens titres. Cette commune reconnut, en outre, tenir de LL. EE. , en vertu de l'abergement de 1543, « toutes les joux, Pra-Rodet et autres, qui pouvoient être rière la seigneurie des Clées, territoire de l'Abbaie et village du Lieu » … quoique Pré-Rodet fût alors possédé par la ville de Morges.

On observe encore, par une transaction faite la même année, entre les communautés du Lieu et de Vallorbes, que la propriété des bois, joux et paquiers, sans aucune restriction, étoit exercée et possédée par la commune du Lieu, selon les limites de la Vallée portées dans les anciens titres, et cela, en vertu de l'abergement de 1543, et en compensation de la cense qu'elle payoit pour avoir été affranchie de la taille à miséricorde.

La ville de Morges prêta aussi reconnoissance, sur les mains du même commissaire, par acte du 9e octobre 1570. Elle reconnoit tenir le Pré-Rodet, par les limites portées dans la vente de 1557, dont on a parlé ci-devant. /329/

§. 34.

Toute la Vallée ne formoit encore, dans ce temps, que la seule communauté du Lieu, mais, ses habitans ayant peu-à-peu cultivé et bonifié les fonds, et s'étant multipliés, ceux d'entr'eux qui s'étoient établis à l'orient du lac, à l'Abbaie et aux environs, se séparèrent de ladite communauté du Lieu et en formèrent une seconde, qui retint l'ancien nom d'Abbaie. L'acte de ce partage est daté du 7e octobre 1571, et prend, pour règle de leurs droits communs, les inféodations des Empereurs aux barons de la Sarraz, et la reconnoissance de Quiod de l'année 1525.

On remarque, dans cet acte de partage, que la commune du Lieu avoit déjà supporté des frais à l'occasion des bois, joux, etc … en dédommagement desquels, la commune de l'Abbaie lui rendit « vingt florins, bonne monnoie » , et lui laissa le droit d'aberger, ou vendre, tout le terrain qui ne l'était pas encore, du côté d'occident des deux lacs et de la rivière de l'Orbe, dans tous les confins de la Vallée, et aussi du côté d'orient, « depuis le rus (ruisseau) de Mielay, qui est près de la possession de Groënroux, en-contre vent. » Cette nouvelle commune se réserva, cependant, le droit de paquiers et pâturages pour le bétail jusqu'au lieu appelé la Bombarde, qui, dans la suite, a été le point d'aspect pour fixer les limites de cette communauté de ce côté-là.

Il y a une tradition qui porte que, avant ce partage des communautés, on avait bouché un entonnoir dedans, ou aux environs du petit lac, qui, auparavant, était séparé du grand lac par une rivière, qui communiquait de l'un à l'autre, et qui étoit si peu profonde qu'on la passait à gué, ou sur une petite planche. On avoit, dit-on, bouché cet entonnoir pour former un étang suffisant à faire jouer à plaisir les rouages de Bon-Port; cela a donné lieu à bien des recherches inutiles, /330/ que l'on a faites, dès-lors, pour retrouver et r'ouvrir cet entonnoir, sur l'emplacement duquel cette tradition n'est pas d'accord; elle ne paroit cependant pas dénuée de tout fondement, si l'on considère que, dans l'abergement du dit Bon-Port, du 1er août 1524, il est parlé d'une eau courante.

Cette tradition s'est encore fortifiée, et peut-être même qu'elle s'est confondue avec un fait arrivé dans les commencemens du siècle suivant. Ce fait, qui est démontré par un ordre de LL. EE. , en date du 6 août 1630, qui s'est trouvé, en dernier lieu, à l'Abbaie, donne à connoître qu'un nommé Ypolite Rigaud, de Genève, avoit, en quelque sorte, tamponné, quelques années auparavant, l'écoulement du lac auprès d'un certain moulin, et, en particulier, « qu'un gros trou rond se trouvoit bouché au moyen d'un gros plot en forme de bouchon de la longueur d'environ dix pieds, » sur lequel on avoit mis une enclume, d'où il étoit résulté que le lac s'étoit élevé et avoit causé un dommage considérable aux possessions aboutissantes.

Il étoit donc ordonné de r'ouvrir incessamment ce tamponnement aux frais des héritiers dudit Rigaud et des particuliers intéressés à ce dommage, selon l'offre qu'ils en a voient faite, et même d'ôter entièrement ledit moulin et forges, bâtis dans un creux profond, si cela portoit préjudice à l'écoulement de l'eau …

Il est assez vraisemblable que ce fut environ ce temps que la communauté du Lieu se mit, sans beaucoup de réflexions, à construire, de son chef, le pont d'entre les deux lacs, pour se faciliter, avec l'Abbaie et le Païs-de-Vaud, la communication qui se trouvoit quelquefois interrompue par l'agrandissement de ces lacs, ce qui étoit devenu si incommode aux habitans de cette communauté qu'ils étoient souvent obligés, lorsqu'ils vouloient aller à l'Abbaie et au Pays-de-Vaud avec les chars, de passer par le chemin du Veriau. Ce nom, /331/ qui dérive naturellement du mot patois verié, lui fut, sans doute, donné à cause du contour et du détour qu'il falloit faire pour y passer. Je ne déciderai pas si la première construction de ce pont fut faite avant, ou après, l'érection des habitans de l'Abbaie en communauté, puisque j'en ignore la date. Je présume, cependant, que cet établissement n'eût lieu qu'après, puisqu'une des raisons fondamentales de ce partage porte, que « les lacs et la rivière de l'Orbe sont souventes fois difficiles à passer. » Il paroit que cette difficulté de passage auroit été applanie, si ce pont avoit été construit. D'ailleurs, il est vraisemblable que si cette construction avoit eu lieu avant ce partage, la commune de l'Abbaie auroit été chargée d'une partie de sa maintenance.

On a encore une autre tradition sur ce pont, qui porte que LL. EE. en furent irritées, et qu'elles donnèrent charge au seigneur baillif de faire paroître par-devant lui les habitans du Lieu, et de les châtier pour avoir fait cette entreprise sans permission; mais que, ayant déclaré qu'ils n'avoient pas pensé à mal, et ayant demandé grâce, ils en furent quittes en se chargeant de sa maintenance à perpétuité.

Les articles dont je viens de parler n'ont été que trop intéressans pour les communes de la Vallée; elles ont supporté des frais considérables pour chercher les moyens d'abaisser le lac, qui a causé de grands dommages dans de certaines années, où il a de beaucoup excédé ses bornes ordinaires, qui, au dire des anciens, se reculent peu-à-peu tous les jours.

§. 35.

Leurs Excellences confirmèrent de nouveau, par concession du 17e avril 1572, aux nobles, bourgeois, de la ville des Clées, châtellanie, à tout le ressort dudit lieu, toutes et /332/ chacune leurs franchises, libertés et privilèges, usances et coutumes, tant écrites que non écrites, par eux jadis obtenues des feux illustres comtes et ducs de Savoie, seigneurs du Païs-de-Vaud …

J'ai déjà fait mention de ces confirmations faites à cette ville et châtellanie, par les seigneurs du Païs-de-Vaud, les années 1359, 1371, 1470, et 1517, et je l'ai fait uniquement à cause de l'intérêt que la Vallée peut y avoir, comme dépendante autrefois de ce ressort; mais, quoique les communes de cette Vallée ayent fait des démarches pour se procurer l'acte où l'on dit que ces franchises sont contenues, que l'on croit qui consistent: au droit du Papegay, à l'affranchissement du péage de l'Ile, et à d'autres privilèges, elles n'ont pu venir à bout de trouver ni l'original, ni même aucune copie de ce premier titre. Toutes leurs démarches à ce sujet n'ont abouti qu'à se procurer une copie du tarif du pontenage d'Allaman et d'Aubonne, qui fut renouvelé en faveur de LL. EE. , le 3e juin 1706, sur le pied qu'il était en faveur du baron dudit Aubonne avant qu'elles eussent acquis cette Baronnie. Par ce tarif, il conste que la châtellanie des Clées est exempte de payer ces pontenages; c'est pourquoi, en suite des représentations faites, il n'y a pas long-temps, à monsieur le grand-commis des péages à Morges, il n'a pas vu lieu de pouvoir continuer à le faire exiger par le pontenier d'Allaman, avec qui plusieurs particuliers de la Vallée ont eu des altercations à ce sujet.

Le lecteur qui aura fait attention aux deux concessions du seigneur du Païs-de-Vaud, qui sont datées des années 1371 et 1517, dont les originaux, ou du moins des copies vidimées, doivent se trouver dans les archives de la communauté de l'Abergement, ou, à ce défaut, dans celles de Rances, ou de Valleires, et lesquelles j'ai rapportées ci-devant en leur entier, et à dessein, trouvera immanquablement de /333/ la contradiction au raisonnement que je viens de faire ci-dessus. C'est pour enlever cette contradiction apparente que je dois lui faire connoître que ces deux titres sont encore inconnus aux communautés de la Vallée, et que ce n'est que depuis peu, et comme par hazard, que l'on a découvert ces deux copies qui me sont tombées entre les mains, et dont je n'ai fait mention que dans l'idée que les communes de la Vallée pourroient, dans la suite, dans les endroits sus-indiqués, se procurer des copies en due forme de ces titres, afin d'en tirer usage, tant à l'égard de ce péage de l'Ile, que de ceux qui se payent en faisant conduire des marchandises d'un Bailliage à l'autre.

§. 36.

Quelque temps après que LL. EE. eurent confirmé à la châtellanie des Clées les privilèges dont on a parlé, savoir en l'année 1576, elles inféodèrent à Messieurs Varro et consorts, citoyens de Genève, un commencement de jurisdiction et de seigneurie dans la terre du Brassus, probablement après qu'ils y eurent acquis quelque terrain, et les droits du cours-d'eau, qui, comme on l'a vu, avoient été abergés en l'année 1555.

Il y eut, déjà cette même année, une difficulté entre les deux communautés de la Vallée, et celles de l'Ile, Villars-Boson et la Coudre, sur ce que ces dernières s'étoient avancées dans les joux contenues dans les limites de l'Abbaie, et y avoient fait de grands dégats.

Cette difficulté fut terminée par une prononciation du magnifique seigneur Sébastien de la Pierre, baillif de Romainmôtier, rendue le 14e février 1557. Par cette prononciation, il fut reconnu que ces communes n'y avoient aucun droit, mais que ces joux appartenoient à la Vallée, en vertu de l'abergement fait à la commune du Lieu en l'année 1543. /334/

§. 37.

On a déjà fait mention, ci-devant, du temps auquel quelques particuliers de la communauté du Lieu commencèrent à s'établir dans l'endroit nommé le Chenit. Il est certain que ces habitans s'y accrurent insensiblement, et que, à cette époque, il s'en trouvoit déjà un certain nombre, qui y avoient fixé leur demeure. Ainsi, il est aisé de reconnoître que c'est à cette petite colonie que l'on doit l'origine de la troisième commune de la Vallée.

Quant à l'étymologie de ce nom, Chenit, qui désigne en général toute l'étendue du terrain qui forme aujourd'hui la communauté qui porte ce nom, il seroit assez difficile d'en rendre raison, du moins avec la même certitude que l'on a eue pour reconnoître celles des noms du Lieu et de l'Abbaie. Je mettrai cependant en avant les différens sentimens que l'on a à ce sujet.

Les uns veulent que ce nom vienne d'un autre, qui n'est pas des plus honorables, c'est celui de Chenil, ou le lieu où l'on tient les chiens; ils disent que ce nom lui fut donné, jadis, par un chasseur du baron de la Sarraz, qui, ayant perdu un chien, le retrouva dans cet endroit.

D'autres le font venir du mot chenal, à raison de ce que l'on trouve ce nom au pluriel dans certains titres, ainsi, les Chenits, des Chenits … , et cela, eu égard au grand et petit vallon qu'il occupe, en forme de deux chenaux joints ensemble.

Enfin, d'autres le font dériver de l'ancien mot Chenu (vieillard), à raison de ce que cet endroit a été le dernier habité dans la Vallée, étant rempli d'arbres chenus qui tomboient de vieillesse. Le mot patois tzenet, que l'on prononçoit autrefois tzneu, comme quelques-uns le prononcent encore aujourd'hui, semble fortifier cette conjecture. De ce /335/ mot, chenu, pourroit encore dériver le nom de Villiards, comme qui diroit vieillards, qui s'est conservé aux maisons, ou au quartier qui porte encore ce nom, soit que cet endroit fût celui qui étoit le plus rempli de ces vieux arbres, soit que les plus anciens habitans de cette commune s'y soient cantonnés. En suivant cette dernière supposition, on trouvent aisément l'étymologie du nom de Campe, ou Campoux, que porte le quartier qui joint celui-là, ce mot dérivant naturellement du verbe camper, ou dresser un camp; d'où, il s'ensuivait que ces premiers habitans auroient campé, dans cet endroit, au moyen de quelques mauvaises cabanes, en attendant qu'ils eussent construit des bâtimens plus solides dans l'endroit où ils vouloient se fixer.

Le chemin appelé le grand-pont, dont on connoît encore quelques traces, qui fut établi, dans ces premiers temps, à travers le marais tendant à ces maisons chez Villiards, pendant qu'il n'y avait encore qu'un sentier dans l'endroit où le hameau, chef-lieu de la commune du Chenit, existe aujourd'hui, et d'où il tire son nom, pourroit encore appuyer ce sentiment; mais, quoiqu'il semble paroître le moins équivoque, le plus sûr, peut-être, seroit d'avouer que l'on n'en sait rien. L'étymologie du nom Brassus paroit assez naturelle, en la faisant dériver du mot bras, et de l'ancien mot sus, pour dire le bras-sus, ou au-dessus de la rivière appelée l'Orbe, qui, probablement, tire son nom de celle qui passe à Orbe, et pourroit lui avoir été donné dans le temps de l'émigration dont on a parlé au commencement de cet ouvrage.

Ce nom d'Orbe pourroit, peut-être, aussi dériver du mot latin orbis, que l'on désignoit en françois par orbe, ce qui, selon le langage d'aujourd'hui, signifie un rond, un cercle, eu égard à ce que cette rivière fait divers contours, en parcourant le vallon, qui approchent beaucoup de la figure ronde.

/336/ Le nom de Pré, ou Pra-Rodet, dont il est souvent parlé, pourroit dériver du mot latin pratum, qui signifie un pré, et du verbe rodere, qui signifie ronger, comme pour dire: un pré où il y a quelque chose à ronger ou à manger par le bétail, ou duquel il faut ronger, ou rogner, les bois, pour en profiter.

Le nom de Solliat, ou Souillard, comme on l'écrivoit autrefois, vient de l'ancien verbe françois se souiller, selon la tradition, qui porte que, avant que cet endroit fût habité, les ours venoient boire dans des creux, qu'il y avoit dans cet endroit, où l'eau étoit fangeuse, on bourbeuse, et où ils se souilloient, ou sâlissoient, en s'y vautrant.

Mais, en voilà assez, et peut-être plus qu'il n'en faut, sur ces étymologies; j'ajouterai seulement, avant que de passer outre, que les autres noms, qui ont été donnés aux différens quartiers de cette commune, viennent, ou de leur situation, ou du nom des familles qui s'y sont habituées, ou, enfin, de quelques autres noms, qui y ont du rapport.

§. 38.

La commune du Lieu vendit aux nobles Robert du Gard, seigneur de la Chaux, et George-François Charrière, seigneur de Mex, par acte du 6e août 1586, et pour le prix de douze-cents florins, à savoir, « un morcel de pré, bois et joux, levable en la montage, en un lieu appelé en l'haut du grand-Mollard, ainsi qu'il pouvoit s'étendre du côté d'orient » , sous la réserve de ses droits pour les bois.

C'est ce morcel qui forme aujourd'hui quatre belles montagnes, sous le nom des Crosets. Les autres limites sont spécifiées par « le ruisseau de la Bombarde, du côté de bise, tirant droit en-haut la montagne; les possessions des particuliers d'occident, par les bornes qu'on y mettroit, et le reste /337/ des bois de la communauté, comme porte la maison des Meylan, devers vent. »

La tradition porte qu'on vendoit du vin dans cette maison ici donnée pour aspect; elle étoit située à bise du sentier, à côté du chemin du Veriaux, auquel aboutissoit celui du grand-pont, dont a parlé ci-dessus.

Cette commune fit encore, la même année, une petite vente à un Rochat, des Charbonnières, qui possédoit déjà quelque terrain dans ce quartier, près de la rivière de l'Orbe; elle lui vendit à l'orient, et de la largeur de sa pièce, jusqu'au grand-Mollard, pour le prix de sept florins, bonne monnoie. La limite du côté de vent de ladite pièce répondoit à celle ci-dessus assignée au Croset, de ce côté-là, et celle de devers bise répondoit à un ruisseau qui est du côté du vent des maisons des Capt, lieu dit, à la Corne.

C'étoit donc ce grand-Mollard qui devoit servir de limite occidentale à ces Crosets; or, comme, vraisemblablement, on négligea de planter les bornes dont il est parlé dans ce premier acte, ce fut ce qui causa, dans la suite, un grand nombre de difficultés et de procès entre les particuliers y aboutissans et les possesseurs de ces montagnes. Ces derniers prétendoient descendre, ou étendre leur terrain, jusqu'à la première éminence, appelée, encore aujourd'hui, les Mollards; par-contre lesdits particuliers prétendoient monter beaucoup plus-haut que la limite, qui en fut enfin fixée, après bien des contestations, dans l'endroit où elle existe aujourd'hui, laquelle correspond à celle du côté d'occident de la montagne des grandes Chaumilles.

§. 39.

Ces premiers particuliers, qui s'étoient établis au Chenit, s'étant accrus jusqu'à un certain nombre, commencèrent à /338/ penser aux moyens de se procurer quelques établissemens publics, pour l'utilité générale de leur petite société.

Le premier qu'ils eurent en vue fut celui d'un moulin; pour quel effet, ils s'adressèrent aux frères Jaques et André Mayor, fils de noble Ege Abel Mayor, de Romainmôtier, possesseurs actuels du moulin de l'Abbaie, auxquels ils étoient astreints et sujets, comme ressortissans de la commune du Lieu. Ils leur répétèrent « la difficulté qu'ils avaient, d'aller moudre à l'Abbaie, vu la longueur du chemin, le péril à passer le lac … et ils les prièrent d'établir un autre moulin à leur portée, sur quelque rivière commode, où ils auroient la même sujétion. »

Lesdits Mayor, ayant écouté favorablement cette réquisition, s'adressèrent à LL. EE. , pour obtenir la permission de construire un moulin au Chenit, ce qu'elles accordèrent gracieusement, en ordonnant au seigneur baillif de Romainmôtier d'aller visiter l'endroit le plus convenable pour cet objet; ce qui ayant été exécuté, lesdits Mayor convinrent par accord, ou transact, du dernier jour du mois de mai de l'année 1590, fait avec lesdits particuliers qui y sont tous nommés, au nombre de trente chefs de famille, « de les affranchir de ladite sujétion, qu'ils avoient au moulin de l'Abbaie, et de leur bâtir et établir un moulin audit Chenit, pendant le courant d'une année, où ils auroient la même sujétion … Réservé que, si lesdits Mayor n'édifioient pas ce moulin dans l'an et jour, lesdits particuliers pourroient le construire à leurs frais, et qu'alors le dit moulin leur appartiendroit, en propre, en payant la cense qui pourroit y être imposée, au bon vouloir de LL. EE. » Cet accord, ou concession, fut ainsi fait, « moyennant la somme de cinq-cents florins que ces particuliers payèrent auxdits Mayor. »

Le susdit accord fut ratifié, entre parties, le 18e octobre de ladite année, et, le 6e décembre suivant, deux autres /339/ particuliers du Chenit, qui demeuroient à la fontaine du Plane, s'associèrent à ces premiers, après avoir obtenu desdits frères Mayor un semblable affranchissement, ce que fit encore un particulier du Lieu, qui demeuroit en Combenoire.

Dès-là, ces premiers particuliers furent nommés, les trente-deux du Chenit, nom sous lequel ils furent désignés pendant quelque temps, ainsi que le porte la tradition.

Lesdits Mayor ne s'étant pas exécutés pour la bâtisse de ce moulin, dans le terme prescrit, les trente-deux érigèrent, à leurs propres frais, non-seulement ce moulin, mais aussi une scie.

§. 40.

Le susdit Jaques Mayor, tant en son nom, qu'en celui des hoirs d'André et de Salomon Mayor ses frères, vendit, en forme de discussion, par acte du 29e janvier 1592, aux nobles Varro et consorts, seigneurs du Brassus, tout ce qu'ils possédoient dans la Vallée, tant maisons, terres, forges, haut-fourneau, moulins, scie, battoir, que le cours de la Lionnaz, depuis sa source jusqu'au Lac; le tout, selon qu'il est plus amplement spécifié dans cet acte. Il vendit de plus toutes les mines et droits de mines quelles qu'elles fussent, « grosses, menues et franches, propres à fondre et faire fer, rière la Vallée. »

Ces mines avoient été abergées antérieurement, comme on le voit par un abergement que LL. EE. avoient accordé le 7 janvier 1563, à un nommé Jean Pollens, de Vaulion, par lequel elles lui abergent le résidu des mines de fer dans la Vallée, pour les « tirer, fondre … le tout sans déroger aux abergemens précédens qu'il en avoit. »

Ledit Mayor, outre ce que dessus, vendit encore toute prééminence de couper bois, et faire du charbon pour l'usage desdites forges, comme ils pouvoient l'avoir en dite /340/ Vallée; mais, comme on ne voit pas en quoi consistoit cette prééminence, je pense qu'elle se réduisoit à peu de chose.

§. 41.

Ce fut dans ce temps que la communauté du Lieu, avec tout son territoire, furent gracieusement affranchis de la cense de deux quarterons d'avoine et d'un quarteron d'orge que chaque faisant-feu devoit pour la moisson.

Deux ans après, les trente-deux du Chenit s'affranchirent aussi de la sujétion qu'ils avoient encore au moulin de la Sagne, moyennant la somme de deux-cents florins (l'acte de cet affranchissement est daté du 28e mars 1595) et, le 3e avril, même année, ils obtinrent du seigneur Trésorier, au nom de LL. EE. , un abergement pour leur nouveau moulin, sous la cense d'une coupe d'orge, mesure de la Sarraz, et de soixante sols pour la scie.

Théobald Favre, ministre de la parole de Dieu, à l'Abbaie et au Lieu, abergea, par acte du 27e avril 1596, à Jaques et Claude Capt, demeurant au Solliat, le moulin et scie ci-dessus, avec toutes leurs appartenances et dépendances, selon qu'il avoit acquis le tout, le même jour, des susdits trente-deux du Chenit.

Il venoit de faire cette acquisition pour le prix de trois mille et deux-cents florins de capital, et deux-cent-quarante florins, pour lauds et vins bus, et il fit cet abergement sous la cense de trois-cent et vingt florins payable annuellement, par lesdits Capt, jusqu'à ce qu'ils fussent en faculté, « par eux-mêmes, et sans emprunter de personne, » de rembourser ledit capital. Il ajoute encore plusieurs autres conditions, à la charge de ces abergataires, qui sont contenues et narrées fort au long, dans cet acte.

Une telle convention qui paroîtroit aujourd'hui assez /341/ singulière, donne à connoître que ce Pasteur entendoit mieux ses intérêts que ses vendeurs, puisqu'il semble qu'il n'auroit tenu qu'à eux d'avoir un même bénéfice que lui, s'ils avoient ainsi abergé ce moulin, qui, par cette convention, rapportait le dix pour cent de la somme pour laquelle ils l'avoient vendu; mais peut-être que les circonstances où ils se trouvoient les obligèrent à faire ainsi cette vente.

En l'année 1681, les propriétaires de ce moulin obtinrent, de LL. EE. la permission ou abergement pour en établir un second, et enfin pour un troisième, qui a été joint, en dernier lieu, aux deux précédens.

§. 42.

La commune du Lieu fit, le 21e août 1598, à noble et généreuse dame, Françoise Morloth, veuve de noble Jean-Baptiste Varro, dame du Brassus, une quittance de toutes ses prétentions, « au sujet de la maintenance des chemins et communs, facture et entretien de l'église et dépendances, sous la réserve que cette dame pourroit être cottisée, dans la suite, pour l'entretien de ladite église, comme les autres communiers. »

Cette commune lui accorda de plus, le droit de pouvoir pâturer son bétail sur ses possessions de rière le Brassus, et sur d'autres y joignant, que feu son mari avoit acquises de quelques particuliers, sans qu'on pût le gager, réserve que les communiers pourroient aussi y mener paître le leur.

Enfin, ladite commune exemptoit cette dame de toute servitude qu'elle pouvoit avoir, « comme les communiers, » pour la maintenance des chemins publics, sous condition qu'elle maintiendroit les chemins, rière sa terre, avec le pont de l'Orbe, pour quel sujet cette dame paya la somme de deux-cents florins à cette commune.

/342/ Je pense qu'il faut entendre par ce droit de pâturage accordé à cette dame, en partie, et, en partie, réservé, celui qui appartenoit aux habitans de la Vallée, en vertu d'une réserve insérée dans la vente de François de la Sarraz, de l'année 1344. Cette réserve porte: « Que s'il arrivoit qu'on vint à faire, dans cette Vallée, des esserts, pour y former des champs, ou prés, lorsque les fruits desdits esserts, soit champs, soit prés, seroient recueillis, on pourroit y faire paître le bétail … » C'est un droit que toutes les communautés du Païs-de-Vaud ont sur toutes les pièces qu'elles n'ont pas passé à clos et à record, et celle du Chenit est, peut-être, la seule qui ne jouisse pas de ce droit, soit parce qu'elle n'a point de bien commun et de berger public, soit pour avoir négligé de faire valoir ce droit dans les commencemens de son établissement. C'est par ce moyen que toutes les possessions en ce genre, renfermées dans l'enceinte de cette communauté, sont envisagées et jouies comme si elles avoient été passées à clos et à record, chacun se rendant maître de la dernière herbe qui croit sur son terrain.

Il y a encore dans cet acte de 1344, une autre réserve de pâquerage, jointe à celle de l'usage des bois, en faveur des gens de la Vallée, par laquelle on doit, probablement, entendre celle qui étoit en pratique anciennement, qui consistoit dans « le droit de faire pâturer les bêtes d'attelage dans les montagnes, en y charriant les bois, et même tout autre bétail, depuis la Madelaine. » Ce droit n'existe plus aujourd'hui, et personne n'a pu me dire, au juste, comment, ni depuis quand, la Vallée l'a perdu. On peut conjecturer que la commune du Lieu a vendu, peu-à-peu, ce droit à ceux qui avoient acquis, ou qui acquéroient, ces terrains; on remarque une phrase, dans l'acte de vente des Crosets, qui paroit fortifier cette conjecture; elle porte, comme par une espèce d'ajonction à cette vente: « Item, leur vendons le pâturage de leur /343/ bétail audit morcel. » Quoiqu'il en soit, il est aisé de remarquer que, dans ce temps-là, on faisait peu de cas des montagnes et pâturages, dont on ne savoit pas tirer parti comme on l'a fait, dans la suite, et que toute l'attention de ces premiers habitans se bornoit à l'exploitation des bois, qui étoient, alors, leur unique ressource pour se procurer une très mince subsistance. Ce ne fut que long-temps après, comme on aura lieu de l'observer, que ce peuple chercha et imagina, peu-à-peu, d'autres ressources pour vivre plus commodément, et pour se procurer, en toutes choses, plus d'aisance. Elle est, enfin, parvenue, de nos jours, jusqu'au luxe, ou, du moins, elle en approche beaucoup.

§. 43.

La commune de l'Abbaie prêta reconnoissance, le 22e mai 1600, sur les mains du commissaire Monney. Elle reconnoit tenir de LL. EE. « sa part de tous les bois, paquiers, dévies, fontaines, et tous autres communs, et, généralement, tout ce qu'ils pourront posséder et extirper, au tems à venir, rière le terroir de dite Abbaie du Lac-de-Joux, sous la cense de trente-huit livres, portée dans les reconnoissances précédentes, laquelle ne pourra s'augmenter, et égalée suivant la proportion des possessions particulières et reconnues, tant du Lieu que de l'Abbaie … »

La commune du Lieu prêta aussi une semblable reconnoissance, sur les mains du même commissaire, le 25e août de la même année, « pour tout ce qui pouvoit concerner son territoire, » et quoique ces deux reconnoissances pussent paroître différer, dans certaines expressions, qui y sont couchées différemment, elles sont cependant semblables, dans le fonds, et reviennent à la même chose.

Elles sont fort étendues, et contiennent un grand nombre /344/ d'articles reconnus par ces communautés, entre lesquels on y trouve les suivans:

Le droit de la pêche, exprimé, dans celle du Lieu, en ces termes: « Item, confessent, en outre, tenir, de nos dits seigneurs, l'aisance et liberté que ladite communauté a, et doit avoir, selon les lettres, accords, et titres précédens, et reconnaissances, en lacs, tant grands que petits, et aussi en rivières courantes, en toute et par toute la Vallée du Lac-de-Joux, depuis le mont de Pierre-Félix, au mont Risot, et, depuis la Tornaz, jusqu'à une lieue vulgaire, près le Lac-Quinson, et, selon l'extension de dite seigneurie, de pouvoir pécher, avec la ligne, en tous les temps, et, quand aucuns de la dite communauté veulent faire noces, préverés, ou fêtes des femmes qui ont fait des enfans, aux comparailles, peuvent pêcher, avec tous filets et autres instrumens, pour leur provision et ûs de leur maison, en ladite fête; ayant, toutefois, et doivent en demander, licence, au lieu, de l'abbé, à présent, au pêcheur et amodieur desdits Lacs-de-Joux, à ceux et celui qui, au nom de nos dits seigneurs, auront charge desdits lacs, laquelle licence leur doit être concédée et baillée. Plus, sont tenus à autres usages et conditions écrites aux transacts, prononciations, par-avant, entre les seigneurs dudit Lac-de-Joux et ladite communauté, faits déjà, écrits et doublés, en précédentes reconnoissances, tant de Mayor que de Pollens, ès quelles l'on se réserve et rapporte, et qui demeurent en leur vigueur et force, sans, par icette, vouloir corrompre … »

Le mot de préverés, énoncé ci-dessus, qui parait signifier: un repas de baptisé, est exprimé, dans la reconnoissance de l'Abbaie, par celui de picoray; mais, ils ne paroîssent pas, ni l'un ni l'autre, avoir beaucoup de rapport au langage d'aujourd'hui.

On ne devroit pas négliger la conservation de ces droits /345/ de pêche, du moins du premier, car je pense qu'il seroit assez difficile, aujourd'hui, de remettre le second en vigueur. Quant au premier, il en est parlé dans la reconnoissance de l'année 1549, et aussi, comme on l'a vu, dans l'abergement fait à Vinet Rochat, en 1480, où il est reconnu, en faveur des habitans de la communauté du Lieu; d'où, l'on peut conclure que ce droit est fort ancien, et même qu'il existe depuis qu'il y a eu des habitans dans la Vallée, ce dont on seroit encore mieux convaincu si l'on voyoit ces registres de Mayor et Pollens auxquels cette reconnoissance renvoye.

Dans un autre acte de cette reconnoissance, de 1600, on trouve « le droit de faire des fours particuliers, et aussi l'obligation, où étoit la commune du Lieu, de maintenir le four commun, qui existoit au milieu du village, pour servir à sécher les blés et cuire le pain des pauvres gens, qui n'auroient pas la faculté d'en établir; » le tout, en vertu d'un abergement que LL. EE. en avoient fait, à ladite commune, le pénultième jour du mois de novembre 1549, lequel est rapporté et tenorisé dans la dite reconnoissance.

Ladite commune reconnoit, encore, de devoir payer, « la dîme de toutes les graines qui seroient ensemencées, à raison d'une coupe, mesure de la Sarraz, par chaque pose, ou journée de charrue, du blé, tel qu'il croit en dite pose. »

Il est très-probable que, par cette coupe, dans tous les endroits où il en est parlé, on doit entendre celle de deux quarterons qui est encore en usage dans certains endroit du païs. Or, comme cette coupe ou ces deux quarterons se payoient au comble, il arriva, ainsi que la tradition nous l'apprend, que les fermiers qui amodioient ces dîmes se, servoient de quarterons fort-larges et peu profonds, par quel moyen, les particuliers se trouvoient beaucoup en perte. Cet abus occasionna des plaintes qui, étant parvenues à LL. EE. , elles ordonnèrent qu'on payerait, dans la suite, trois /346/ quarterons ras, en place de ces deux combles, et c'est ainsi, comme chacun sait, que cela se pratique aujourd'hui. Il paroîtroit, cependant, qu'on ne devroit payer ces dîmes qu'à la mesure de la Sarraz; mais, c'est ce que je ne déciderai pas, puisque j'ignore le contenu de cet arrêt, et même le temps auquel il fut rendu.

Divers particuliers prêtèrent aussi, cette même année 1600, entre les mains du susdit commissaire, des reconnoissances, pour les terres qu'il possédoient rière cette communauté, comme aussi la ville de Morges, et les particuliers qui avoient acquis d'elle, dans les limites renfermées dans la vente de l'an 1557.

Les communes ont un rentier, où toutes ces reconnaissances de l'an 1600 sont détaillées fort-au-long.

§. 44.

Quelque temps après, les particuliers qui s'étoient établis au Chenit, qui, comme on l'a dit, avoient commencé à former une espèce de société, entreprirent d'y fonder une église, et de demander à LL. EE. un ministre, pour la desservir, d'autant qu'il n'y avoit encore, alors, pour toute la Vallée, qu'un seul pasteur, qui résidoit à l'Abbaie, et faisait les fonctions de cette église et de celle du Lieu.

Ces particuliers donnèrent charge à l'un d'entr'eux, nommé Pierre Lecoultre, de pousser cette entreprise, qui eut un heureux succès, ce qui est démontré par une petite histoire, qui a été conservée dans les archives de cette communauté, de laquelle je transcrirai quelques morceaux, en rapportant ce qu'elle contient, pour l'essentiel.

Pierre Lecoultre, auteur de cette histoire, la commence par l'invocation du nom de Dieu. Il avertit ensuite le lecteur du sujet qu'il se propose de traiter; de-là, il passe à la /347/ commission que lui donnèrent ses associés: « de faire un recueil du tout, et de l'enregistrer en ce petit livre, pour servir de futur mémoire, à cause que c'est un lieu nouvellement habité et accru, dans ces montagnes et joux noires, et que c'est une nouvelle église, et que, de mémoire d'homme, il n'y en a point été, en ce dit Chenit. »

On voit, ensuite, un rôle, ou catalogue, dressé le 21 novembre 1609, dans lequel tous les chefs de famille qui s'associèrent, pour cette entreprise, sont désignés par leurs noms, avec le nombre des individus dont chacune de ces familles étoit composée; ce nombre consistoit en trente-cinq familles, faisant, ensemble, celui de trois-cent et neuf personnes.

On remarque qu'il y avoit encore quelques particuliers, de la commmune du Lieu, qui possédoient des fonds au Chenit, mais qui n'y faisaient pas leur résidence, qui refusèrent de s'associer; mais, dans la suite, ils furent giétés, c'est-à-dire, obligés de payer des contributions, pour cet établissement, dont les associés firent tous les frais, à la réserve des donations qu'ils reçurent, dont on aura occasion de parler.

Le 15 mai 1610, Pierre Lecoultre présenta, à LL. EE. , une requête, au nom de ses associés; elle faisoit observer que, depuis environ quarante ans, les habitans du Lieu s'étoient trouvés à l'étroit, vu leur accroissement, ce qui les avoit obligés de l'éloigner peu-à-peu de ce village, pour extirper et cultiver du terrain, pour fournir à leur subsistance et à celle de leurs familles; qu'une partie, s'étant habitués, au Chenit, le long de la rivière de l'Orbe, se trouvoit actuellement beaucoup éloignée de ce village … Cette requête entre, ensuite, dans un grand détail de toutes les difficultés et incommodités qu'éprouvoient ces habitans du Chenit, pour se procurer l'avantage de recevoir quelque instruction, et pour entendre la prédication de la Parole de Dieu, avantage dont les vieillards et jeunes gens se trouvoient /348/ entièrement privés. « Toutes ces difficultés, en y ajoutant celle de porter les petits enfans à l'église, pour y recevoir le saint baptême » , se tiroient de « l'éloignement où ils étoient, de la rudesse et froidure du climat, de la quantité de neige qui y tombe … »

Enfin, ce détail étoit terminé par cette réflexion: « même, pourroit advenir, par fois, qu'étant, les pères et mères de famille, allés pour ouïr la Parole de Dieu, étant si éloignés de leurs maisons, et cependant tout-proche des Bourguignons, dont il pourroit arriver grand désavantage et détriment à leurs familles, tant par volerie que pillerie et autrement, même, avec les propres armes des dits du Chenit, leur venir, à tous, couper la gorge au temple du Lieu. »

Après avoir établi ces motifs de leur requête, ces associés supplioient LL. EE. de leur accorder « la permission de bâtir un petit temple au Chenit, de les gratifier d'une petite cloche, pour y assembler le peuple, de leur faire quelques libéralités, pour subvenir aux frais de cette entreprise, et de leur permettre d'établir un cimetière à l'entour de ce temple »; ils offroient, de leur côté, de faire tout ce qui dépendrait d'eux, pour fournir les marinages et autres choses nécessaires à cette construction.

« Et, quant au ministre qui pourroit faire la charge pour leur prêcher, il se pourroit facilement faire par un diacre, qui seroit entretenu aux frais du village du Lieu, au lieu du maître d'école qui déjà y est entretenu par une partie de vos libéralités … »

Cette requête fut écoutée favorablement de LL. EE. , puisqu'elles adressèrent aux magnifiques seigneurs Hantz-Rodolphe Hornn, ancien baillif de Romainmôtier, et Hantz Ulderich Cocq, nouveau baillif au dit lieu, des lettres, qui leur ordonnoient de se transporter au Chenit, pour examiner le lieu le plus-propre pour bâtir le dit temple.

/349/ Ce transport eut lieu au mois de juillet de ladite année 1610, et, après avoir vu l'emplacement que ces associés avoient choisi, ces seigneurs firent marché avec des maçons de Longeville, en Bourgogne, pour faire les murailles de ce bâtiment, qui devoit avoir deux toises de hauteur, quatre pieds d'épaisseur, dans les fondemens, et trois pieds en-dehors; ils leur promirent sept florins par chaque toise de muraille, et autant pour chaque porte et chaque fenêtre de ce bâtiment; après quoi, ils s'en retournèrent, pour donner avis du tout à LL. EE.

Il arriva, sur ces entrefaites, un contre-temps occasionné par un armement que faisoit le duc de Savoie, dont les troupes passoient les monts, ce qui engagea LL. EE. à mettre des garnisons dans tout le Païs-de-Vaud; en conséquence, elles envoyèrent, au Lieu, deux pièces de canon, et une compagnie de soldats de trois-cents et quelques hommes, sous la conduite de l'ancien seigneur bailli Hornn, qui en étoit capitaine. Ces troupes y séjournèrent, depuis le 1er mars 1611, jusqu'au mois de juillet de la même année.

« Dont (récite Pierre Lecoultre), pendant ces troubles et émotions, notre entreprise fut, pour un petit temps, offusquée, dont étions moqués d'aucuns de nos voisins, estimans que nous avions perdu courage; mais, ce bon Dieu nous ayant touché le cœur, et donné bon courage à une partie de nous, conjoints, dont nous étant assemblés, le 24e d'octobre 1611, nous avons fait un jet, entre nous, de cent-soixante florins, pour poursuivre au bâtiment de l'église, lesquels conjoints ont député Isaac, fils de Claude Piguet, pour aller avec Pierre Lecoultre, et poursuivre en cette entreprise. »

« Par quoi, ayant reconnu qu'il falloit recourrir par-devant LL. EE. , à Berne, ayant prié notre honoré seigneur baillif, pour nous, de rechef, sceller une supplication, nous /350/ ayant répondu que la maladie de peste étoit fort à Berne et qu'il falloit, encore un peu, attendre, dont ayant été, par plusieurs fois, à Romainmôtier, importuner notre seigneur baillif, nous eûmes, de rechef, congé de lui, et nous scella une supplication fort de même teneur que la précédente, … avec une lettre de faveur, écrite de nos très-chers et bien-aimés pasteurs, tant de la classe d'Yverdon que de Romainmôtier. »

J'interromps, pour un moment, le fil de la narration de Pierre Lecoultre, pour faire remarquer que cette maladie de peste, dont il parle, régnoit à Berne et y fit un ravage incroyable, de même que dans tout le païs, ainsi que l'histoire nous l'apprend. Elle dit qu'il y eut des villes presque désertes, tellement que l'on vit croître l'herbe dans les rues et sur les toits. On y remarque, qu'elle emporta, l'année suivante, douze ministres, dans la seule classe de Lausanne, ce qui en faisait le quart, et qu'on célébra un jour solennel de jeûne et d'humiliation, pour détourner la colère de Dieu de dessus le païs.

On a une tradition qui porte que, dans ce temps-là, toute la Vallée étoit remplie de fumée, provenant tant des fourneaux à charbon que des bois qu'on brûloit pour l'esserter, d'où on a conclu que cette fumée purifioit l'air, et empêchoit la communication de cette maladie. Mais, je pense, pour raisonner plus-juste, que ce fut, plutôt, le manque de communication des habitans de la Vallée avec ceux qui étoient infectés de cette maladie qui l'empêcha d'y pénétrer.

Quoi qu'il en soit, il est vraisemblable que la Vallée en fut exempte, ou que, si elle s'y fit sentir, ce fut d'une manière fort-légère, sans quoi l'entreprise de ces habitans du Chenit n'auroit pu être poursuivie, et auroit été nécessairement renvoyée à un autre temps.

Je reviens à la lettre de faveur dont Pierre Lecoultre fait /351/ mention. Elle consistoit dans une représentation, par laquelle messieurs les Pasteurs de la vénérable classe faisoient envisager, à LL. EE. , les habitans du Chenit « comme un peuple très-pauvre, qui ne devoit sa subsistance, dans les bois de ses hautes montagnes » où il est situé, qu'au travail de ses mains, qui, cependant, étoit d'un bon caractère, fidèle à son souverain et zélé pour le service de Dieu. Ils démontroient, d'une manière simple, mais très-énergique, l'équité et la légitimité de la requête de ces habitans; ils établissoient, de plus, les dangereuses conséquences qui pourroient résulter, à l'égard de ces habitans, si leur requête étoit rebutée. Enfin, ils concluoient cette représentation en ces termes: « Etendez donc, ô pieux et bénins seigneurs, votre main gracieuse et secourable à ces pauvres supplians. Il est question d'une institution de pension nouvelle, soit d'un diacre, soit d'un ministre; or, comme le Seigneur vous a établis pourvoiables et fidèles dispensateurs des biens ecclésiastiques qui sont en votre puissance et domination, et qu'il les applique ainsi, selon les occurrences et nécessités diverses, à légitime usage, aussi nous assurons-nous que cette considération-là n'apportera, de la part de Vos Excellences, aucun retardement à cette œuvre très-sainte, et que donnerez, dans cet endroit, comme faites d'ordinaire, en toutes vos actions, une preuve de votre saint et ardent zèle à l'avancement de la gloire de ce grand dominateur de l'univers … »

Pierre Lecoultre et Isaac Piguet, munis de la requête de leurs associés et de la lettre de recommandation dont on vient de parler, furent les présenter à LL. EE. , au mois de janvier 1612. Le succès de leur voyage fut très-heureux, et ils rapportèrent eux-mêmes des lettres adressées au seigneur baillif de Romainmôtier, qui portoient en substance: « Que LL. EE. , ayant permis à leurs sujets du Chenit de bâtir un /352/ petit temple, au dit lieu, elles avoient, en même temps, ordonné à la classe d'Yverdon et Romainmôtier de nommer « un personnage signalé et expert, pour y prêcher la Parole de Dieu; que ce pasteur seroit, en même temps, ministre au Chenit et diacre au Lieu, où il feroit l'école et vâqueroit à l'instruction de la jeunesse. »

Ces lettres ordonnoient en conséquence au seigneur Baillif de délivrer annuellement, à ce nouveau Pasteur, les quarante florins qu'il donnoit, auparavant, au maître d'école qui étoit entretenu au village du Lieu, en y ajoutant un muids de froment, et un de messel, pris au château de Romainmôtier, et, de plus, quatre muids et quarante florins, en argent, pris sur les dîmes du Chenit, du Lieu, de l'Abbaie et des Charbonnières.

Les communiers du Lieu et du Chenit devoient, de leur côté, fournir à ce ministre « une maison, dans le village du Lieu, un jardin, du pâturage commun, et du terrain pour recueillir le fourrage nécessaire à l'hivernage d'une vache. » Ils devoient, de plus, lui charrier son bois d'affouage, qu'il devoit faire couper à ses frais. Ils devoient, en outre, donner à ce ministre « la somme de cent-florins qu'ils payoient, précédemment, au maître d'école. » Enfin, ces lettres désignoient les fonctions de ce nouveau pasteur de la manière suivante:

« Icelui diacre sera tenu aller au temple du Chenit, toutes les dimanches et jour de jeudi, faire une prédication, en été environ les sept heures, et, en hiver, environ les huit heures du matin; et au village, il devra faire, les jours de dimanche et de vendredi, les prières, et les autres jours tenir l'école. »

Quelques jours après l'obtention de ces lettres, Pierre Lecoultre se rendit à Arnay, auprès de l'ancien seigneur baillif Hornn, qui y demeurait alors; ils firent, de concert, marché avec un maître charpentier de Vaulion, qui s'engagea /353/ de faire « tant la charpente et couverture du nouveau temple, que tous les autres ouvrages en bois nécessaires à la perfection de ce bâtiment, pour le prix de trois-cents florins, trente livres de beurre et cinquante de fromage, qui lui devoient être payés par les associés; » outre cela, ils devoient lui fournir « tous les matériaux sur place, et lui donner un homme, pour travailler avec lui et ses ouvriers, tout le temps qu'ils seroient occupés à cet ouvrage. » Le dit ancien seigneur baillif promit, encore, de faire livrer au dit charpentier, du grenier de LL. EE. , « six sacs de graine, moitié messel, et moitié orge. »

Les choses étant ainsi réglées, ces associés s'assemblèrent, au mois de mars suivant, et, ayant fait venir le maître charpentier, « sont (dit Pierre Lecoultre), tous montés ensemble en la haute-joux du mont Risot, au droit de la Varraz, pour illec couper tout le marin nécessaire au-dit bâtiment, et, sur ce, ordonner des chevaux et personnes pour tirer hors le dit marin et le rendre sur la place du bâtiment … »

Ces associés s'adressèrent, ensuite, à la vénérable classe, pour la prier de nommer un ministre, selon les ordres qu'elle en avoit reçus; en conséquence de quoi, elle nomma spectable Pierre Tharrin, de Montagni près d'Yverdon. Cette nomination ayant été confirmée par LL. EE. , il fut présenté, le dimanche 10e mai 1612, dans l'église du Lieu, en présence de toute l'assemblée, pour diacre dans la dite église, et ministre de celle du Chenit, où il vint, dès-lors, faire la prédication dans une maison particulière, en attendant que le bâtiment du temple fût construit.

L'établissement de ce nouveau pasteur fortifia, de plus en plus, le courage de ces associés: ils envoyèrent incessamment chercher le maître maçon avec lequel les deux seigneurs baillifs avoient convenu, comme on l'a vu ci-devant. Mais écoutons là-dessus Pierre Lecoultre. « Ce maître étant venu, /354/ pour mettre la main à la muraille, et quatorze maçons avec lui, et nous, les conjoints, ayant ordonné de toutes les familles, selon le nombre des personnes, hommes, femmes, filles et chevaux, pour tirer des pierres et de l'arène, pour l'amener sur la place, d'autres pour servir les maçons, tant de pierres que de mortier … tellement qu'il y avoit, tous les jours, des quarante personnes pour servir les maçons. »

Jusques-ici, les choses étoient allées à souhait, mais, quelque temps après, ces associés s'étant assemblés et ayant levé, sur chaque personne dont leurs familles étoient composées, une contribution de deux florins, pour payer le maître charpentier et tous les différens articles servant à la construction du temple, consistans en clouteries, ferrures, et autres choses nécessaires, tant au clocher qu'au reste du bâtiment, il arriva que la somme provenue de cette contribution se trouva bien éloignée de pouvoir suffire à tous ces différens besoins. Ces associés, dont le plus grand nombre étoient pauvres, et qui, tous, avoient de la peine à se procurer les choses les plus nécessaires à leur subsistance, n'ayant d'autres ressources que leur travail, se trouvèrent fort embarrassés. Ils avoient déjà supporté les premiers frais et fourni, par contribution, les ais, lambris, ancelles, et autres marchandises en bois, ce qui les mettoit hors d'état d'augmenter cette dernière contribution, ou d'en lever une autre, pour suppléer à ce qui leur manquoit.

Dans cette extrémité, ils prirent la résolution de s'adresser au conseil du Lieu, en offrant leur église à tous les individus de la communauté, les priant, « d'être frères, en ce bâtiment, et en leur proposant de payer, de la bourse publique de la commune, les frais déboursés. » Ces propositions ayant été rebutées, Pierre Lecoultre continue à dire, dans son langage naïf: « En après, nous leur présentâmes une /355/ humble requête pour nous assister de quelque peu d'argent, au nom de Dieu, et que cet argent seroit mis en compte à la communauté, et que même nous en paierions notre part et rate, comme communiers avec eux, et que, pour un bâtiment d'église, il étoit permis de demander à toutes personnes qui sont zélateurs de l'avancement du règne de Jésus-Christ: laquelle requête nous fut refusée tout-à-plat, voire jusqu'à un sol. »

Cependant ces associés ne perdirent pas entièrement courage; ils prirent le parti de s'adresser à des étrangers, desquels ils présumèrent qu'ils tireroient plus de secours que de leurs compatriotes. Pierre Lecoultre fait le détail tant des requêtes qu'ils adressèrent à ce sujet, que des gratifications qu'ils reçurent.

Ce détail commence par la communauté de l'Abbaie, qui leur donna quatorze florins; un nommé Jean Berney, particulier de dite commune, leur donna sept florins; de même, continue ce détail, « nous adressâmes une supplication, par deux fois, aux nobles, bourgeois et conseillers de la ville de Romainmôtier, lesquels, de leur bon gré et franche volonté, nous accordèrent … rien. »

Le seigneur, baron, de la Sarraz, les gratifia d'un sac de messel, la ville de Morges d'un char de vin et d'un sac de froment, noble Samuël d'Aulbonne, châtelain de Morges, d'un tonneau de vin de trois septiers. Enfin, les nobles, Jean, Louis, et Henri Varro, seigneurs du Brassus, leur donnèrent les trois grandes fenêtres du côté oriental de la dite église.

Toutes ces libéralités ne se trouvant pas suffisantes aux besoins de ces associés, leur dernière ressource ce fut de lever des contributions sur des biens ou grangeages, situés an Chenit, qui appartenoient à quelques particuliers du Lieu et des Charbonnières, qui, comme on l'a dit au /356/ commencement de cet article, avoient refusé de s'associer à l'entreprise. Quelques-uns d'entr'eux payèrent volontairement ces contributions, mais la plupart s'y étant refusés, y furent condamnés par le seigneur baillif de Romainmôtier.

A l'aide de ces contributions, qui montèrent à la somme d'environ deux-cents florins, et des donations qu'ils reçurent, spécifiées ci-dessus, le bâtiment du temple fut continué, en sorte qu'il fut achevé au mois de novembre, à l'exception de quelque peu de murailles, qui n'étoient pas comprises dans la tâche des maçons, mais que l'on trouva nécessaire d'exhausser, des côtés de vent et de bise.

Ce fut alors que les associés reçurent l'ordre de faire venir la cloche que LL. EE. avoient eu la bonté de leur accorder. La commission en fut donnée à Pierre Lecoultre, qui rapporte au long toutes les circonstances de son voyage, qu'on peut résumer, en peu de mots, à ceci, c'est que, étant arrivé à Berne, il trouva cette cloche à la fonderie, d'où elle fut conduite dans la ville pour y être pesée; elle se trouva du poids de six-cent et septante-cinq livres: « alors (dit-il), elle fut libérée à Pierre Lecoultre, pour la poser en la nouvelle église du Chenit, par le magnifique seigneur Abraham Sturler, Trésorier du Païs-Roman, sans demander audit Lecoultre aucun or, ni argent, ni aucun présent, en la ville de Berne; ainsi, nos bénins seigneurs la nous ont librement donnée. »

Il fit ensuite voiturer cette cloche jusqu'à Morat, où il trouva un batelier d'Auverny, près de Neuchâtel, « auquel batelier (dit-il), je fis marché pour naviguer moi et ma cloche jusqu'à leur village. » Dès-là, il se fit conduire à Yverdon, d'où il fit voiturer sa cloche jusqu'au Lieu, où elle fut déchargée à la forge d'un nommé Abel Aubert, pour en compléter les ferrures, « et, dès-lors (continue-t-il), fut posée en l'église du Chenit, pour sonner pour le jour de Noël 1612, /357/ et demeurai à faire le voyage à Berne douze jours, et dépendis trente-trois florins, et payai pour les voitures de la dite cloche trente-six florins. »

Les associés étant ainsi venus à bout de leur entreprise, s'assemblèrent au mois de juin 1613, pour lever une contribution, tant pour achever les murailles de leur église que pour quelques autres réparations qu'il y avoit encore à faire, et aussi pour payer des redevances, dont ils s'étoient trouvés chargés par les comptes qu'avoient rendus les susdits Pierre Lecoultre et Isaac Piguet, au mois de janvier. Ils levèrent cette contribution comme les précédentes, et elle fut fixée à un florin et six sols par chaque personne de leurs familles.

L'histoire dont je viens de donner le précis finit par rapporter une difficulté que ces associés eurent à soutenir avec monsieur le Pasteur de l'Abbaie; j'en ferai mention ci-après, à sa date.

§. 45.

La commune de l'Abbaie prêta reconnoissance sur les mains de commissaire Monney, le 11 août de l'année 1614, comme par appendice, et en confirmation de celle de 1600, au sujet d'une vision faite ce jour là par quatre seigneurs de l'Etat dans les joux et montagnes, sur des difficultés qui étoient survenues entre les communiers des villages de Bière et de Denens, d'une part, et ceux de la Vallée du Lac-de-Joux, de l'autre. Il conste, d'après cette reconnoissance, que les gens de la Vallée tenoient les droits de pâquérages, bocages, usages aux joux et montagnes … , en toute la seigneurie et jurisdiction du Lac-de-Joux, par les limites établies dans les titres et reconnoissances précédentes, dont on a fait mention, qui existoient alors en entier et qui furent produits, dont cette reconnoissance fait l'indication, en commençant par l'inféodation, ou fondation de la dite Abbaie, jusqu'à la /358/ reconnoissance de Darbonnier, de l'an 1559, inclusivement; il ne reste aujourd'hui, de quelques-uns de ces titres, que des lambeaux.

Cette reconnoissance de 1614, établit des limites de la Vallée, comme suit: « Depuis Pierre-Foëlix, tirant, contre vent, sur le haut de mont Lendrus, droit au mont Risier, et dès-là, sur le haut de Montendroz, et dès-là directement contre le Lac-Quinzonnet, jusqu'à une lieue vulgaire du dit Lac, traversant, du côté de vent, contre occident, par le haut du mont Risod, ainsi que les eaux découlent, et comme les deux principautés de Berne et Bourgogne s'étendent, du côté d'occident; et, de là, traversant, du côté de bise, par le haut du dit mont Risod, jusqu'aux confins et limites de la mayorie de Vallorbes, tirant, contre le soleil levant, par le haut du mont d'Orsire, et, dès-là, tendant sur la Dent-Chichevaux, tirant jusqu'à la Roche de l'Ormoz, qui sépare les deux seigneuries d'Yverdon et Romainmôtier, et droit jusqu'à la dite Pierre Foëlix. »

Quoique ces limites soient assez claires et positives, on y remarque une erreur, depuis Montendre, en allant du côté de vent. Cette erreur fut redressée par LL. EE. , en l'année 1664, ce qu'on aura occasion de remarquer ci-après.

§. 46.

La difficulté que j'ai annoncée ci-dessus, qui sert de clôture à l'histoire de Pierre Lecoultre, fut élevée par spectable Jean Perreaud, Pasteur des églises du Lieu et de l'Abbaie. Il vouloit astreindre le ministre du Chenit à faire les fonctions de ces deux églises, dans les temps où lui-même ne pourroit pas y vaquer, soit pour raison d'absence, soit pour quelque autre cas qui pourroit lui arriver. Il prétendoit que dans ces occasions, le temple du Chenit fût fermé, et /359/ les habitans de cet endroit obligés de se rendre au Lieu, comme cela s'étoit pratiqué avant l'établissement de ce temple. Il fondoit entr'autres ses prétentions sur ce que le Pasteur du Chenit avoit été établi diacre au Lieu, d'où il concluoit qu'il étoit tenu de faire, en cas de besoin, non-seulement les fonctions de cette église, mais encore celles de l'église de l'Abbaie.

Ces prétentions ne se trouvèrent pas du goût des habitans du Chenit; ils ne tardèrent pas à s'y opposer, et ils firent parvenir à ce sujet des représentations à la vénérable classe, par la voie de monsieur le doyen qui était venu dans ce temps faire la visite de la Vallée; il les écouta favorablement et leur marqua journée au 12e avril 1615, pour se présenter en classe, et y avancer leurs raisons.

Pierre Lecoultre, avec un autre député, s'y étant rendus au jour marqué, alléguèrent, contre les prétentions de monsieur le Pasteur de l'Abbaie, plusieurs raisons d'opposition: ils produisirent les lettres que LL. EE. leur avoient accordées, qui portoient, comme on l'a vu plus-haut, que le Pasteur du Chenit y devoit faire une prédication tous les jours de dimanche et de jeudi; après quoi, ils prièrent cette vénérable assemblée de les maintenir au bénéfice de ces lettres, et de les sortir de difficulté, sans quoi ils se verroient obligés de recourir à Leurs Excellences.

Messieurs les Pasteurs, ayant examiné les raisons avancées de part et d'autre, et fait attention tant aux lettres produites qu'aux ordonnances ecclésiastiques, ne purent admettre les prétentions de M. Perreaud, d'autant que ces ordonnances portoient: « que chaque pasteur devoit, premièrement, faire les fonctions de son église, et que, après cela, il lui étoit loisible de faire les fonctions d'un autre, autant que les circonstances le pouvoient permettre, cependant, sans y être forcé. »

/360/ « Dont (dit Pierre Lecoultre, pour conclusion de son histoire), fut commandé au ministre du Chenit de toujours bien faire sa charge en son église, et que si d'abondant il pouvoit soulager monsieur Perreaud, qu'il le pouvoit faire. Par quoi, les députés du Chenit se retirèrent bien-contens, avec humble remerciation. »

§. 47.

Les particuliers de la Vallée, dont il est fait mention dans la reconnoissance de 1614, dont on a parlé ci-dessus, qui étoient en difficulté avec les communes de Bière et de Denens, étoient ceux qui habitoient la lisière de l'orient de l'Orbe, depuis les limites de la terre du Brassus, en devers bise. Ces particuliers avoient acquis précédemment, de la commune du Lieu, des pièces de terrain aboutissantes aux montagnes de ces deux communes; celles-ci, sans doute, se fondoient sur leur abergement de la Perrausa, dont on a parlé ailleurs, pour faire descendre ces montagnes plus-bas que les limites portées dans les actes de ces particuliers, limites qui vraisemblablement étoient le grand Mollard, et, par-conséquent, les mêmes que celles qui avoient été assignées, du côté de bise de la dite lisière, à leurs voisins, qui, comme on l'a vu, soutinrent des difficultés, avec les possesseurs des montagnes des Crosets, pour un sujet semblable.

Ces particuliers, étant rassasiés de plaider, s'adressèrent au conseil de la communauté du Lieu, au mois de mars de l'année 1618, et lui firent borner leurs pièces de pâturage, du côté d'orient, par l'endroit où elles le sont aujourd'hui; après quoi, ils remirent, pour le surplus, leurs prétentions à la dite commune, laquelle, à force de plaider, recouvra, pour son compte, la montagne des petites-Chaumilles et une partie des grandes. /361/

§. 48.

Le jour de la Pentecôte 1621, il y eut un tremblement de terre, dans tout le Païs-de-Vaud, qui fut suivi d'une grande disette, qui dura jusqu'à l'année 1628. Il est assez probable que la Vallée n'en fut pas exempte; je n'en ai, cependant, aucune tradition bien-sûre, et je rapporte ceci d'après l'histoire, qui nous apprend que cette disette fut si grande que des paysans, du Village de Yens, s'avisèrent de sécher au four des glands, dont il y avoit abondance, et, les ayant fait moudre, ils en firent du pain, qui se trouva propre à les nourrir, ensorte que, après cette expérience, eux et leurs voisins se nourrirent de glands. La cherté étoit si grande que le sac de froment se vendoit quatre-vingts florins, et ceux qui le prenoient à crédit, par faute d'argent, l'achetoient sur le pied de cent florins.

C'est à la suite de cette disette, arrivée au Païs-de-Vaud, que la peste s'y manifesta de nouveau et pénétra dans la Vallée; elle fit assez de ravages chez ces premiers habitans du Chenit, puisque la tradition nous apprend que ce fléau dura trois à quatre années consécutives, quoiqu'il paroissoit arrêté pendant l'hiver; qu'il y eut peu de maisons qui en fussent exemptées, et que, même, il ne demeura personne dans quelques-unes. Cette tradition porte que l'on abandonnoit dans les maisons ceux qui en étoient atteints, pour se réfugier dans des cabanes semblables à celles des charbonniers, que l'on construisoit à un certain éloignement, et que des femmes bourguignonnes, qui en avoient réchappé, et qu'on nommoit marronnes, venoient soigner ces malades. On dit que l'on enterroit les morts par-tout où il se rencontroit des lieux commodes, et aussi que ces Bourguignonnes pilloient et emportoient tout ce qu'elles trouvoient de valeur, dans ces maisons ainsi abandonnées, ensorte que ceux qui /362/ survécurent, et qui n'étoient pas déjà fort à leur aise auparavant, se trouvèrent réduits à la dernière misère.

C'est dans ce temps-là qu'il arriva dans la Vallée un ouragan dont la tradition nous a conservé le souvenir. Elle place cet événement environ l'année 1624. Cet ouragan commença au bois d'Amont, en Bourgogne, du côté oriental de la rivière d'Orbe; il renversa tous les bois qui se trouvèrent à sa rencontre, jusqu'au-dessus de l'Abbaie, ensorte qu'il forma un chemin, par lequel, en marchant par-dessus ces bois renversés, on auroit pu aller, de l'un de ces deux endroits à l'autre, sans toucher la terre.

§. 49.

En l'année 1627, LL. EE. abergèrent, par acte du 17e septembre, à noble Simon de Hennesel, de Vallorbes, le droit de construire des rouages, forges, haut-fourneau … , sur la rivière de l'Orbe, qui passoit sur sa montagne, située au Chenit, sous la cense annuelle de trente florins. Cette montagne consistoit dans une portion, prise à la fontaine du Planos, sur le mas de Pré-Rodet, que la ville de Morges avoit acquis des gentilshommes françois, et dont, comme on l'a vu, elle avoit revendu la grande partie. Il étoit expressément ordonné au dit de Hennesel d'extirper et de nettoyer la dite montagne, pour la rendre propre et fertile tant en champs que prés; cependant, pour la conservation des bois, « pour maisonnemens et autres usages » , il devoit laisser environ cent toises de bois au-dessus de sa montagne, joignant les frontières de Bourgogne, « pour que ledit bois fût en défense et en ban. »

Les particuliers qui possédoient le reste du terrain de ce mas, après ce que la ville de Morges s'en étoit réservée, étoient tenus aux mêmes conditions, et aussi de repousser /363/ les Bourguignons, qui faisoient des déprédations dans les bois, et vouloient anticiper sur les pâturages, ce qui se voit par des rescrits souverains des années 1632 et 1634.

Ces Bourguignons usoient souvent de violence; c'est pourquoi, il étoit ordonné de bâtir le plus près des frontières que possible, pour les en éloigner, et même d'user de représailles, dans ces cas de violence, sur quoi le seigneur baillif de Romainmôtier devoit prêter aide et assistance.

Ces particuliers se trouvoient trop foibles pour résister à ces Bourguignons, et c'est sans doute ce qui engagea LL. EE. d'établir, en l'année 1635, des forestiers à leur solde, et portant leur livrée, pour servir de gardes plus respectables à ces bois, en particulier, pour la conservation de ceux qui avoient été mis, et qui pourroient être mis, en réserve, dont la première bannalisation fut celle des cent toises, sur la montagne de noble de Hennesel, dont on a fait mention ci-dessus.

§. 50.

L'année suivante, LL. EE. accordèrent aux deux consistoires de la Vallée, par lettres du 30e mai, de l'année 1636, le pouvoir d'établir des tuteurs aux veuves et aux orphelins, de faire rendre les comptes de tutelle … et, aux juges des dits consistoires, le pouvoir de juger les causes sommaires, jusqu'à la somme de cinq florins.

C'est dans ce temps-là, et environ deux ans après, qu'il arriva, au Chenit, un fait que j'ai cru devoir rapporter:

Un détachement de troupes suédoises, qui étoient venues pour ravager la Bourgogne, se montra à travers des pâturages de derrière la Côte; c'étoit le dimanche, pendant qu'on étoit à l'église. La femme d'un nommé Jaques Migniot, qui demeuroit dans la maison appelée la Varraz, y étant restée /364/ seule, et ayant aperçu ces troupes armées, se saisit d'une caisse de tambour, qui probablement se trouva chez elle, et se mit à battre de toutes ses forces, en s'acheminant du côté du Sentier, pour donner l'alarme. Ces troupes ayant sans doute reconnu, par le son de cette caisse, qu'elles étoient sur terres de Suisse, montèrent le Risou, et ne reparurent plus. Elles enlevèrent, cependant, chemin faisant, un cheval qui étoit dans ces pâturages. On dit que le propriétaire courut après, pour le ravoir, et que, en étant à une certaine distance, il lâcha un coup de fusil, qui tua le cheval, sans faire aucun mal à celui qui le conduisoit.

Ces troupes suédoises, dont il parut encore un autre détachement, au bas du Chenit, à peu près dans le même temps, venoient, vraisemblablement, de l'armée combinée de France et de Suède, qui, comme l'histoire nous l'apprend, prirent, en l'année 1635, la ville de Porrentruy, avec toutes les terres du prince évêque qui se trouvèrent hors de l'enceinte de la Suisse, et qui ne lui furent rendues que treize années après, par la paix du Munster. Pendant cet intervalle, ces troupes eurent tout le temps de ravager la Bourgogne, vu que, comme chacun sait, elle appartenoit à l'Espagne, qui n'étoit pas à portée de leur donner du secours.

Pendant ces incursions, les Bourguignons se sauvoient en Suisse, emportant avec eux leurs plus précieux effets, dont ils cachèrent une grande partie dans le Risou. On trouve encore des personnes, aujourd'hui, qui croient, d'après la tradition, qu'il y a, dans bien des endroits, de l'argent que les Bourguignons ne purent pas retrouver, lorsqu'ils retournèrent chez eux, après que ces ravages eurent pris fin.

§. 51.

Ce fut aussi environ ce temps-là qu'une dixaine de /365/ particuliers du Chenit firent une convention avec noble Louis Varro, seigneur du Brassus, et dont l'acte fut stipulé, le 7e janvier 1641. En vertu de cette convention, il construisit un moulin sur la rivière du Brassus, auquel ces particuliers s'assujettirent, aux conditions contenues dans le susdit acte.

Les propriétaires de ce moulin établirent, dans la suite, un battoir, après en avoir obtenu le droit du possesseur de celui de l'Abbaie.

Ils y ont encore ajouté un second moulin, par acquis d'un droit que les propriétaires des forges avoient, par l'abergement de noble de Hennesel, pour en construire un sur la rivière de l'Orbe, lequel droit fut transporté en l'année 1767, sur la rivière du Brassus, ensuite d'une permission que LL. EE. leur accordèrent.

§. 52.

Les habitans du Chenit, qui, jusqu'alors, étoient restés en indivision avec ceux du Lieu, et ne formoient qu'une même communauté, quoique, comme on l'a dit, ils eussent formé une espèce de société entr'eux, pensèrent à s'établir en une communauté à part.

Cette affaire occasionna bien des difficultés, sur lesquelles il y eut un arrêt de LL. EE. Cependant, l'acte de ce partage fut stipulé, le 16 octobre 1646, selon les limites et conditions qui y sont contenues, conformément, est-il dit, au dit arrêt.

Les communiers du Chenit, se trouvant lésés dans ce partage, adressèrent une requête à LL. EE. , pour en demander relief, afin de pouvoir mettre en avant leurs griefs; sur quoi, elles ordonnèrent au magnifique seigneur David de Buren, baillif à Romainmôtier, d'en prendre connoissance.

Les parties ayant paru par-devant lui et sa cour, le dernier /366/ jour du dit mois d'octobre, même année, ce seigneur les exhorta très-sérieusement, probablement par les ordres qu'il en avoit, de rester dans l'indivision, comme du passé; les députés du Chenit s'y refusèrent absolument, en persistant à demander que le fait fût, de rechef, présenté à LL. EE. , pour qu'elles pussent revoir leur arrêt. Cependant, après plusieurs insinuations amiables, que leur fit le dit seigneur Baillif, ils se soumirent à sa décision absolue; après quoi, il ratifia ce partage, en y faisant très-peu de changemens, de quoi les communiers du Chenit furent fort-mécontens.

Il conste de ce partage, que les dits du Chenit ne tirèrent pour ainsi dire, rien du bien de la commune. Il n'étoit peut-être pas bien considérable, et ne s'étoit pas accru par les procès que cette commune avoit soutenus, tant à l'occasion des montagnes des Chaumilles, que pour d'autres objets. La nouvelle commune reçut ces deux montagnes, vraisemblablement, comme un équivalent du pâturage commun, qui resta à celle du Lieu, et quelques autres articles de très-peu de conséquence.

On inséra dans ce partage une réserve de combourgeoisie qui, dans les commencemens, pouvoit avoir son utilité, mais qui, par diverses circonstances, est devenue fort-onéreuse à la commune du Chenit. Cette dernière fut aussi chargée de la moitié de l'entretien du pont d'entre les deux lacs. Elle eut à suivre et à soutenir des procès continuels, à l'occasion de ses montagnes, et d'autres, qui lui survinrent, tantôt en son particulier, tantôt de concert avec les deux autres communes, pour le maintien de leurs droits communs. Je me contenterai de faire mention de quelques-uns des principaux, quand l'occasion s'en présentera, car il ne seroit pas possible d'en faire un détail circonstancié: je remarquerai seulement, ici, que ces procès avec les étrangers, et particulièrement avec la commune de Bière, ont duré au-delà /367/ d'un siècle, et que, en 1600, les frais faits à cette occasion se montoient déjà à environ neuf-mille florins, somme considérable dans ce temps-là.

Il fut encore stipulé, dans ce partage, ainsi que cela avoit déjà eu lieu dans celui de l'Abbaie, que les archives de la Vallée resteroient entre les mains de la commune du Lieu, et que, quand les deux communes qui en avoient été démembrées auroient besoin de se servir de quelque titre, elles en pourroient tirer copie, qui ne pourroit pas leur être refusée, « toutefois, à leurs dépens. »

Cette réserve paroissoit assez naturelle; mais ces archives furent consumées par les flammes, dans un incendie, qui arriva au Lieu, en 1691, et il en est résulté, pour toute la Vallée, une perte irréparable, et dont les communes se sont déjà ressenties plus d'une fois, dans les différens procès qu'elles ont été obligées de soutenir, pour le maintien de leurs droits, et dans quelques-uns desquels elles ont succombé par défaut de titres suffisans pour faire connoître ces droits, quoique elles ayent fait des frais considérables pour se procurer, du dehors, le peu de ces titres qui leur restent.

§. 53.

Environ deux ans après ce partage, savoir le 10e février 1648, LL. EE. concédèrent à la Vallée, en forme d'abergement, et suivant un traité fait auparavant, l'Ohmguelt que les cabaretiers de leur ressort doivent, pour le vin qu'ils débitent, sous la cense de vingt-cinq florins, pour la communauté de l'Abbaie, et celle de trente florins, pour la commune du Lieu.

Cette concession paroit naturellement tirer son fondement de la confirmation de ce droit d'Ohmguelt qui fut /368/ faite en 1470, par le duc de Savoie, à la ville des Clées, eu égard à ce que la Vallée relevoit de cette seigneurie; mais, il pourroit sembler que cette concession auroit dû être exempte de cense, si la ville des Clées n'en paye point. C'est ce que j'ignore.

§. 54.

Ce fut cette même année que furent fixées les bornes entre les souverainetés de Bourgogne et de Berne, par le moyen des seigneurs députés de Sa Majesté Catholique, et de LL. EE. de Berne. On a remarqué, ci-devant, qu'il y avoit eu bien des difficultés à ce sujet, et l'on voit, par le recès de ce bornage, daté du 20e septembre 1648, que l'on avoit déjà essayé plusieurs moyens d'accommodement et tenu diverses conférences, à cet égard, sans avoir pu tomber d'accord, et qu'il en résultoit de grandes contestations entre les possesseurs des deux souverainetés dont les terrains étoient limitrophes. Enfin, on vint à bout d'établir les principales bornes, ainsi qu'elles sont indiquées dans le recès; on les voit, encore aujourd'hui, avec les armes d'Espagne. Sur quoi, il est à remarquer que l'on se régla, pour le côté du vent de la Vallée, aux bornes d'accommodement d'entre ceux de Morges et des landes, là où se termine la lieue vulgaire.

J'ai déjà fait mention, ailleurs, du temps auquel cette lieue vulgaire fut délimitée; on a une tradition qui porte que, pour la régler, on se servit d'un Suisse et d'un Bourguignon, que l'on fit partir tous deux ensemble, depuis le Lac-des-Rousses; que le Bourguignon fit beaucoup plus de chemin que l'autre, pendant la durée de l'heure, et qu'ainsi, lorsqu'elle fut écoulée, ils se trouvèrent fort-éloignés l'un de l'autre et que, pour remédier à cet inconvénient, on toisa la distance qui se /369/ trouva entre eux, et on planta la première borne d'accommodement au milieu de cette distance.

§. 55.

Si, comme on a pu le remarquer, la nouvelle commune du Chenit eut, d'abord après son établissement, des procès à soutenir contre des étrangers, pour ses bois et son territoire, elle en eut aussi avec des habitans placés, pour ainsi dire, dans son centre, je veux parler des seigneurs du Brassus.

Une des premières difficultés s'éleva, entr'elle et noble Abram Chabrey, seigneur dudit Brassus, en qualité d'administrateur des biens de noble Louis Varro, au sujet de la soufferte (habitation), que la commune demandoit à un de ses fermiers. Il fut condamné par le seigneur baillif de Romainmôtier; mais, en ayant appelé, cela donna lieu à une prononciation, qui fut faite, à Berne, le 5 décembre 1650, entre les députés du Chenit et ledit noble Chabrey, laquelle portoit;

Que ledit N. Chabrey seroit exempté de la soufferte demandée, rière sa terre, à forme de son inféodation;

Que chaque partie resteroit dans ses droits, et en paisible possession de ce qui lui appartenoit;

Que le seigneur baillif feroit une délimitation du district du Brassus d'avec le reste de la commune;

Que, dans la suite, la partie qui recevroit du dommage de l'autre pourroit gager, et se récompenser de ses pertes, à forme des coutumes et ordres usités;

Que les bamps en résultant appartiendroient au seigneur baillif. Enfin, les dépens compensés.

Cette délimitation de la jurisdiction et fief noble du Brassus fut faite, le 15 juin 1652, en conséquence de cette prononciation, et d'un ordre de LL. EE. , en date du 29 avril de la dite année.

§. 56.

/370/ En ce temps-là, un nommé Bastien Simond, vendoit vin an Sentier; il présenta une requête à LL. EE. , qui lui accordèrent, par lettres du 13e août 1656, « de pouvoir mettre une marque à son logis, en considération de ce que le vendage du vin avoit été permis jadis du vivant de son père, au Chenit, lieu de frontière et de lisière. » En conséquence il prit l'Ours pour la marque de son enseigne.

§. 57.

En l'année 1660, un certain nombre de particuliers du Chenit formèrent le dessein d'établir une Abbaie, sous certaines règles, et en vue de s'exercer aux armes; ils en demandèrent la sanction à LL. EE. , qui leur fut gracieusement octroyée, par patente du 31e juillet de l'année suivante: elle porte le nom d' ancienne Abbaie des fusiliers du Chenit.

§. 58.

Dans ce temps, fut fait un échange entre LL. EE. d'une part, et noble Abraham Chabrey, seigneur du Brassus de l'autre, par acte du 12e décembre 1662. Par cet échange, celui-ci eut en augmentation de fief, la dîme du Brassus, avec la moyenne et basse jurisdiction sur toutes les maisons, terres, prés, joux et autres, derrière sa seigneurie, par les limites du territoire de la commune du Chenit, devers bise (ces limites étoient le fossé qui sépare le mas appelé, aujourd'hui, Crêt-Meylan d'avec le hameau dit l'orient de l'Orbe); la rivière de l'Orbe, y comprise, tout le long de sa seigneurie, devers occident; les limites de la Vallée, soit jusqu'où s'étendoit l'ancien mas du Brassus, d'orient; et, la montagne, ou /371/ fruitière de la commune de Bursins, devers midi, avec bamps, barres, clames … , et le pouvoir d'y établir « une justice, une prison, un pilier et carcan, pour ranger à leur devoir ses gens, serviteurs, ouvriers de ses forges, et autres délinquans; » de plus, le droit de chasse, rière sa seigneurie, et celui de pêche pour sa maison, le droit de pontenage, comme il avoit été usité du passé, « sur les étrangers, tant seulement » , à condition qu'il entretint « les ponts joignant sa seigneurie. » Ce droit de pontenage étoit de demi-crutz par personne, et d'un crutz par cheval, ou autre bête; J'ignore cependant s'il a été exigé, dans un temps, ou dans un autre; c'est de quoi je n'ai aucune tradition.

Le susdit noble Chabrey donna en échange plusieurs droits qu'il avoit acquis, la même année, de noble François de Gingins, baron de la Sarraz, comme: celui du vidomnat et de métralie, dans toute la Vallée, celui du ras, on focage, dans tout le quartier oriental de ladite Vallée, et autres. Il réserva cependant tous ces droits, pour en jouir lui-même, dans l'étendue de sa seigneurie; enfin, il rendit à LL. EE. pour « prévaillance de cet échange » , la somme de huit-cents florins.

§. 59.

Il s'éleva alors un procès, entre sept communes et quelques particuliers du Païs-de-Vaud, possesseurs du mas des Amburnex, d'une part, et les trois communes de la Vallée, de l'autre, au sujet des levées de gages que ces premiers avoient faites aux particuliers de dite Vallée coupant du bois rière ce mas. Après bien des contestations sur cet objet, cette difficulté fut terminée par quatre seigneurs de l'état, qui furent sur les lieux, et qui prononcèrent, par acte dressé, au Chenit, le 9e juin 1664, « qu'il étoit clairement porté, par la vente de 1344, que le baron de la Sarraz avoit cédé au duc /372/ de Savoie toute la Vallée, par les sommités des montagnes, comme les eaux coulent … , quoique le commissaire Monney eût ajouté, dans sa reconnoissance de 1614, ces mots: tendant directement, au lieu que la ligne de séparation doit aller par les frêtes des montagnes, à teneur de la vendition susdite, à laquelle n'est point dérogé, ains de plus-fort corroborée … »

Pour ces raisons, et d'autres contenues dans cet acte, ce gagement fut annullé, et il fut reconnu que ces sept communes et leurs associés ne pouvoient pas se prévaloir du coupage de ces bois, « réservé seulement le paquérage en leur faveur, sans pouvoir extirper, ou esserter, en aucune façon, les bois. »

Les trois communes de la Vallée furent donc « laissées dans leur paisible possessoire du coupage des dits bois de conteste, dans tout le penchant de la dite Vallée, depuis les sommités des hautes-joux et montagnes, comme les eaux coulent en devers l'Orbe et le Lac-de-Joux. » Les dépens furent cependant compensés, en considération de plusieurs défauts et improcédures faites de part et d'autre.

On a vu que ces communautés et particuliers, possesseurs du mas des Amburnex, n'y avoient d'autre droit que la permission, que leur avoit donnée l'abbé de Bonmont, d'y faire pâturer « chacun une certaine quantité de bétail. » Ce droit de l'Abbé de Bonmont n'étoit pas des mieux fondés: il le tenoit de l'abbé de St.-Claude, qui l'avoit usurpé sur celui de l'Abbaie du Lac-de-Joux, qui n'avoit pas eu le pouvoir de revendiquer ces terrains. Il est donc à présumer, et même la tradition le confirme, que, si les trois communes de la Vallée avoient alors demandé à LL. EE. un abergement de ces Amburnex, elles l'auroient obtenu, puisque leurs dites EE. avoient tout autant de droit sur ces terrains qu'elles en avoient eu, en 1541, par rapport au mas de Pré-Rodet, dont /373/ l'abergement, qui en avoit été fait en 1527, fut déclaré nul.

La prononciation de 1664, dont on vient de parler, fut confirmée souverainement, le 24 de Juin de dite année, et cependant ne mit pas fin à ces difficultés, ce qu'on pourra remarquer dans la suite.

§. 60.

Le 4 août 1668, LL. EE. apprécièrent à la commune de l'Abbaie, pour le prix de cent florins de cense annuelle, le droit de ras, ou de focage, qu'elles tenoient de l'échange du 12 décembre 1662, dont on a parlé, et cela, depuis le village du Pont, compris, jusques aux limites de la seigneurie du Brassus. Dès-là, cette communauté faisait retirer cette cense, des particuliers du hameau de l'orient de l'Orbe, au Chenit, par des fermiers, ou d'autres émissaires, qui les traitoient assez cavalièrement, ce qui engagea ces particuliers à s'arranger, dans la suite, avec la dite commune. Ils convinrent de lui payer annuellement, pour leur part de cette cense, la somme de trente-cinq florins. Cela fut ainsi pratiqué jusqu'à l'année 1727, que ces particuliers ramassèrent entr'eux le capital de cette somme, savoir sept-cents florins, qu'ils payèrent à la dite commune de l'Abbaie, au moyen de quoi elle se chargea du total de cette cense, et en donna une quittance authentique, datée du 27 février 1727, signée Ege Rochat, dont une copie, que j'ai en mains, porte que « l'original est chez le sieur David Meylan, du Campoz, et une copie vidimée sur le livre de la commune. »

§. 61.

La même année, 1668, LL. EE. accordèrent au nommé Abraham Capt, par patente du 28 novembre, la permission /374/ d'établir un logis à la maison qu'il avoit au Sentier, et d'y mettre une marque, sous réserve de payer l'omguelt au seigneur Baillif. Il prit, pour la marque de son enseigne, le Lion.

Cette réserve de l'omguelt ne subsista pas long-temps: elle fut enlevée par lettres de LL. EE. du 22 février 1669, lesquelles, en confirmant cette concession, remettoient cet omguelt à la commune du Chenit, en vertu de l'abergement qui en avoit été fait à la Vallée, en l'année 1648.

§. 62.

La commune du Chenit prêta reconnoissance sur les mains du magnifique seigneur Samuel Gaudard, commissaire-général, commis en ce fait par LL. EE. En vertu de cette reconnoissance, datée du 29 juin de la dite année, 1669, cette commune se soumit à payer annuellement, au château de Romainmôtier, sa part de toutes les censes et redevances que la Vallée devoit anciennement au château des Clées, à la jadis abbaie du Lac-de-Joux, et aux barons de la Sarraz, trois mouvances et dépendances auxquelles LL. EE. ont succédé, et aussi sa part de celles qui étoient dues à LL. EE. elles-mêmes, tant à cause de leur abergement, usage des paquiers communs, bois, joux, fontaines et autres, que pour l'affranchissement de la main-morte et taillabilité, le tout à teneur des anciens titres et reconnoissances, notamment de celle de 1600, fondée sur celle de 1549. Toutes ces censes sont spécifiées, dans cette dernière reconnoissance, en différens articles, entre lesquels il y en a un qui concerne quelques petites censes que des particuliers devoient. La commune fut chargée de les retirer, en payant une cense fixe et perpétuelle. Cette cense fut réglée à cent et quinze florins, seulement (quoiqu'elle auroit monté à quelque chose de /375/ plus), en compensation de ce que cette commune s'obligeoit de la rendre annuellement, à chaque seigneur Baillif de Romainmôtier, ou à son receveur, « sur chaque jour St.-Martin, en hiver, ou quelques jours après, à ses frais et dépends. »

Les deux autres communes prêtèrent aussi, dans le même temps, chacune, une semblable reconnoissance; cependant, toutes les trois ne doivent être envisagées que comme une seule reconnoissance générale, faite pour toute la Vallée, en abrogation de toutes les reconnoissances qui avoient eu lieu auparavant, et, comme il est mentionné dans celle-ci, « pour éviter les grands fraix, dépends et incommodités de toutes les rénovations et reconnoissances spécifiques selon l'ancienne méthode et forme, trop prolixe. »

Ce qui démontre encore plus évidemment que ces trois reconnoissances ne sont censées en faire qu'une, c'est un article inséré dans chacune, qui est aussi contenu dans celle de l'année 1549, comme aussi dans celle de 1600, par lequel on étoit tenu de faire « une fois l'an, pour LL. EE. , le charroi du vin de leurs vignes de Lonay, ou de semblable distance, » et cela, à cause de leur maison, jadis abbaie, du Lac-de-Joux. Cette taille avoit été reconnue devoir s'exécuter par chaque faisant-feu qui auroit des bêtes d'attelage, et celui qui n'auroit qu'un cheval devoit s'associer avec ses voisins, et ces deux ou trois associés ne devoient être comptés que pour un charroi; du reste, ils devoient être nourris, suivant l'ancienne coutume.

La commune de l'Abbaie ayant fait là-dessus des représentations à LL. EE. , elles adressèrent en conséquence aux illustres seigneurs de la Chambre-économique romande, à l'occasion de ces charrois, un brevet de la teneur suivante:

« Les députés de la commune du Lac-de-Joux prétendent d'être exempts des charrois de vin, quoiqu'ils soient /376/ contenus dans la reconnoissance générale, et de faire connoître cette exemption par des droits trouvés; c'est pourquoi, LL. EE. ont trouvé bon de les adresser, par les présentes, par-devant vous, mes très-honorés seigneurs, en vous insinuant d'examiner tant les dits droits que la reconnoissance générale, et de faire vos réflexions sur le tout, comme aussi d'entendre les dits députés en ce qu'ils pourront représenter plus outre, et de rapporter à LL. EE. votre sentiment là-dessus. Fait le 14 décembre 1669.

(Signé) Chancellerie de Berne. »

En conséquence de ce brevet, les illustres seigneurs de la Chambre-économique examinèrent les droits et les raisons de la commune de l'Abbaie, et adressèrent un ordre, à monsieur le commissaire-général Gaudard, d'effacer, dans la reconnoissance générale, l'article des dits charrois, et, en vertu de cet ordre, la reconnoissance de la commune de l'Abbaie en fut déchargée, mais, quoique le dit article qui en parle n'ait pas été rayé dans les reconnoissances des deux autres communes, comme dans celle de l'Abbaie, on n'exigea plus d'elle ces charrois, ce qui prouve ce que j'ai dit ci-devant, que ces trois reconnoissances n'en faisoient qu'une.

Il y a encore, sur ce sujet, une lettre de monsieur le commissaire Gaudard, en date du 10 juin 1670, qui, sans doute, certifie encore la même décharge, mais je ne la connois que par une indication qui en est faite au pied de la copie du brevet rapporté ci-dessus; elle pourroit être au château de Romainmôtier, ou peut-être à l'Abbaie.

La commune du Chenit ne retire plus, aujourd'hui, ces petites censes que devoient quelques-uns de ses particuliers, pour certaines pièces de terre, suivant les reconnoissances qu'ils en firent en 1600; elles sont, cependant, insérées dans la liste des autres censes, plus considérables, que cette /377/ commune perçoit aujourd'hui, qui lui fui remise par le dit seigneur commissaire Gaudard, lors de cette dernière reconnoissance, de 1669. Il y a lieu de croire, ou que la commune les a perdues, ou que ces particuliers lui ont payé le capital de ces censes, qui ne consistoient qu'à quelques sols et deniers, et qui, pour ainsi dire, ne valoient pas la peine d'être recouvrées en détail.

Cette commune paie, toutes les années, au château de Romainmôtier, cent et trente florins, pour toutes ces menues censes, ce qui fait quinze florins de plus qu'il n'est porté en dite reconnoissance. Ces quinze florins de surplus se paient, sans doute, pour la moitié de la cense de l'omguelt, qui, comme on l'a vu, fut apprécié, en 1648, à la commune du Lieu, sous la cense annuelle de trente florins.

Outre ces cent et trente florins, la commune du Chenit paie actuellement les lauds d'amortissement des montagnes qu'elle a acquises, et vingt-huit florins, cinq sols, trois deniers, pour sa part de l'entretien des maréchaussées.

§. 63.

Ce fut en cette année, 1670, que furent fixées les limites entre les mas des Amburnex et de Pré-Rodet, à la suite d'un grand nombre de difficultés entre les possesseurs de ces terreins. Cette délimitation fût faite, d'après un ordre de LL. EE. , par messieurs Forel et Debeaussobre, assesseurs baillivaux de Morges. Dès-lors, il y eut encore quantité de procès, qui ont duré jusques bien-avant dans notre siècle, soit de la part de monsieur d'Aubonne, à l'occasion de sa montagne appelée les Grands-Plats, soit de celle de la commune de Bursins, soit enfin, de la part des particuliers de derrière le Brassus, acquisiteurs de la dite commune, qui, tous, se plaignoient que la ligne de séparation, qui est, /378/ aujourd'hui, celle qui sépare les bailliages de Romainmôtier et d'Aubonne, avoit été faite à leur préjudice. Ces particuliers obtinrent, enfin, de faire monter leurs pièces de pâturage plus-haut que cette ligne, en payant le terrein à un certain prix. C'est par ce moyen qu'une portion de leurs pâturages se trouve renfermée dans ce mas des Amburnex, rière le bailliage d'Aubonne.

§. 64.

Peu de tems après, il s'éleva une difficulté, entre la commune du Chenit et noble Abraham Chabrey, seigneur du Brassus, au sujet de l'omguelt, que la commune demandoit aux fermiers du dit seigneur, en se fondant sur l'abergement qu'elle avoit de LL. EE.

Le dit Chabrey, ayant pris cette cause en main, refusa de payer ce droit, parce, disoit-il, que la terre et jurisdiction du Brassus ne dépendoit pas de la commune; cependant, il y fut condamné par le seigneur baillif de Romainmôtier; mais, en ayant appelé par-devant la suprême Chambre des appellations, à Berne, cette chambre ne trouva suffisantes ni les raisons de la commune, pour avoir ce droit rière le Brassus, ni non plus celles du dit Chabrey, pour le refuser; c'est pourquoi, elle ordonna, par arrêt du 27 novembre 1672, que les dites parties devroient produire des titres plus formels pour décider de cette cause. « Dépends en surseoi, jusqu'à plus ample éclaircissement. » La chose en resta là; ainsi, cet éclaircissement est encore à faire.

§. 65.

Ce fut dans ce tems que Abraham Migniot, mon bis-aïeul maternel, fils de cette valeureuse femme qui donna l'alarme lors de l'apparition des Suédois, fut établi recteur de la /379/ bourse des pauvres du Chenit. Il rendit ses premiers comptes au mois de décembre de l'année 1674. On y observe que, après ce qui fut délivré aux pauvres, qui n'est pas spécifié dans ces comptes, mais qui, probablement, ne montoit pas à une somme considérable, à en juger par des comptes postérieurs, où l'on remarque qu'on partageoit une mesure, ou un quarteron, d'orge entre plusieurs pauvres, il resta de bon à la dite bourse la somme capitale de trente florins.

Le livre des pauvres a été continué, dès-lors, sans interruption, et l'on peut y voir les progrès que cette bourse a faits, le capital se montant, aujourd'hui, à environ trente-cinq mille florins.

Si la bourse des pauvres étoit alors si peu fournie, celle de la commune ne l'étoit pas mieux. On a vu que cette commune naissante n'avoit, pour tout bien, que les montagnes des Chaumilles, qui lui donnoient un fort-petit revenu, dans ces tems où tout étoit en bois et joux-noires, à raison de quoi elle se trouva dans la nécessité, les années 1676 et 1677, de faire des jetées, c'est-à-dire de lever des contributions, sur les particuliers, pour subvenir à ses plus-pressans besoins; c'est ce qui se démontre par une difficulté qu'elle soutint avec le seigneur du Brassus, qui refusa de payer les jetées que la commune avoit faites sur ses biens ruraux, mais qui y fut condamné, par sentence du magnifique seigneur baillif de Romainmôtier, sous la date du 1er mars 1679.

On a déjà vu des exemples de ces contributions qui furent faites par les premiers habitans de cette communauté, et notamment pour la bâtisse du temple. Il est probable que celles dont il est ici question ne sont pas les seules qu'on eût exigé dès-lors. Ce qu'il y a de certain, c'est que ces contributions se renouvelèrent de-tems-en-tems, dans la suite.

/380/ Ces habitans, renfermés dans leurs bois, n'ayant, en quelque façon, aucun commerce avec le reste du monde, étoient, en général, pour ainsi dire, à-peu-près sauvages, si rustres et si grossiers qu'ils ne se servoient pas même de cuillières pour manger leur soupe, se contentant de prendre le pain avec les doigts, dans leurs écuelles, et de boire le bouillon, ainsi que la tradition nous l'apprend. D'ailleurs, à la réserve de quelques-uns, ils étoient plongés dans une profonde ignorance, non-seulement des vérités de la religion, mais même de toutes sortes d'arts, si l'on en excepte celui de couper des bois, d'ensemencer les terrains qu'ils défrichoient, et de se bâtir des maisons, ou plutôt des cabanes, moins habitables que les plus mauvais chalets d'aujourd'hui. Dans cette rudesse de mœurs, et dans cette manière de vivre, si simple et si grossière, ils faisoient, cependant, paroître une grandeur d'âme qui doit nous étonner, et briller des vertus qui ne sont plus guère à la mode, et qui devraient nous faire rougir. Où trouveroit-on, aujourd'hui, cette constance, cette fermeté, ce noble désintéressement et cet amour pour le bien public que ces pauvres ignorans manifestoient dans des tems où, bien loin d'avoir du superflu, ils n'étoient pas à même de se procurer la moindre aisance, ni la plus petite commodité?

Il faut, toutefois, avouer que, sur le total, il s'en trouva quelques-uns qui se rebutèrent, ce qui donna lieu aux premières émigrations de quelques-uns d'entr'eux, qui abandonnèrent cette commune, pour aller chercher à s'établir dans le Pays-de-Vaud. Dès-lors, il s'en est trouvé, de-tems-en-tems, qui ont suivi cet exemple, au point qu'aujourd'hui, si l'on pouvoit savoir au juste le nombre des descendans de tous ceux qui sont sortis de cette commune, il se trouveroit fort-considérable. Le calcul que l'on en pourroit faire, à /381/ vue de pays, se monteroit beaucoup au-delà du nombre de mille.

Il paroît d'abord que ces émigrations ont procuré un avantage réel à cette communauté, qui, avec cela, est encore considérablement peuplée aujourd'hui; mais, si ç'a été un bien, le mal qui en est résulté n'est, peut-être, pas moins grand, vu qu'une bonne partie des descendans de ces émigrans, qui n'ont jamais contribué en rien à la prospérité de la dite commune, sont tombés dans la pauvreté, et qu'elle est obligée de les assister de son bien et de celui de la bourse des pauvres.

§. 66.

De nouvelles difficultés étant survenues, depuis la prononciation de 1664, entre les communes de Bière et de Gimel, et leurs associés aux montagnes des Amburnex, d'une part, et les trois communautés de la Vallée, de l'autre, au sujet du cernement d'une assez grande quantité de bois, qui avoit été fait par les dits de Bière et consorts, ces difficultés donnèrent lieu à une vision de trois seigneurs, membres de l'Etat, qui furent sur les lieux, entendirent les parties en contradictoire et examinèrent tous leurs droits, d'où s'ensuivit un arrêt souverain, sous la date du 24 septembre 1679, émané pour terminer définitivement toutes ces contestes.

Les droits de bochérage des gens de la Vallée y sont déterminés encore d'une manière plus-claire que dans les précédens titres, surtout du côté d'orient et du midi: il porte, en termes exprès: « Qu'on ne peut, et qu'on ne doit, entendre, par ces limites, que celle de Petra-Felix, Mollendrus, Montendroz, Martzeiruz et la Neuvaz, jouxte desquelles nous entendons devoir être faite la séparation, /382/ et, dès le dit lieu de la Neuvaz, faire un angle pour retourner contre l'occident, par une ligne qui sera droitement jusqu'à la borne augulaire dite du Carre … » Il y est dit, de plus, et pour éviter qu'il survint, dans la suite, des difficultés dans ces endroits: « Nous voulons qu'il soit planté des bornes travaillées, sur chacune des dites sommités, et sur la ligne qui sera tirée jusqu'à la dite borne angulaire, en telle quantité qu'il sera jugé nécessaire. »

Il est à propos d'observer que ces bornes n'ont pas été plantées, d'où il est survenu, dès-lors, d'ultérieures difficultés, principalement sur cette ligne désignée depuis la Neuvaz à la borne du Carre, laquelle existe entre les deux souverainetés, au lieu dit sur les Petits-plats.

Ce règlement souverain désigne, en outre, la manière dont les habitans de la Vallée doivent user de ces bois, comme aussi celle dont les possesseurs des fonds doivent user du pâturage, et prendre de ces bois pour les usages de leurs montagnes. Il aurait été fort à désirer que ce règlement eût été suivi exactement par les possesseurs de ces montagnes; cela aurait évité aux communes de la Vallée nombre d'autres difficultés et bien des frais, qui ont eu lieu à l'occasion de la non-exécution du dit règlement.

Comment pourrait-on faire une estimation de ces frais, et des dépenses que ces communes ont supportées à l'occasion de tous ces procès concernant les bois? Il fut déjà reconnu, dans la narrative de cet arrêt, que ces frais surpassaient alors le capital près de deux fois. Combien n'en ont-elles pas essuié dès-lors, par les guerres continuelles qu'elles ont eues à soutenir, pour ces bois, contre tous ceux qui environnent leur vallon de tous les côtés! Il est vrai qu'elles se sont un peu ralenties, mais elles n'ont pas laissé de se rallumer de-tems-en-temps, et, quand on y réfléchit un peu, il n'est guère possible de comprendre comment ces communes, et /383/ particulièrement celle du Chenit, moins-fondée que les deux autres, ont pu y résister; aussi, cette dernière fut-elle obligée d'emprunter, et d'hypothéquer ses montagnes, ce qui la mit, dans la suite, à deux doigts de sa ruine totale.

LL. EE. donnèrent un éclaircissement, par rescript du 22 avril 1681, à la réquisition des trois communes, sur un article contenu dans le susdit règlement de 1679, concernant la manière de couper les bois sur les montagnes, et de débarrasser l'herbe pour les pâturages.

§. 67.

En suite d'une nouvelle difficulté, entre la commune du Chenit et le seigneur du Brassus, concernant une nouvelle jetée faite sur les biens du dit seigneur, il se fit un accord, le 22 mai 1684, par lequel il fut convenu qu'il payerait cinquante-deux florins et six sols, « sans préjudice du droit que la commune a, pour semblables faits, sur les dits biens, à l'avenir. »

Cette dernière clause lui fut d'autant-moins à charge qu'il vendit, par acte du 26 du même mois, même année, toute la seigneurie, soit le fief du Brassus, avec toutes ses droitures, au noble et magnifique seigneur Béat-Louis Thormann, Baillif de Romainmôtier, pour le prix de neuf-mille florins, « monnaie du Païs-de-Vaud, et deux-cent-vingt-cinq florins pour vins de la dame son épouse, » et dès-là, ce fief fut réuni à celui de LL. EE. , au château de Romainmôtier.

Les biens ruraux que possédait le dit seigneur du Brassus furent vendus, les années suivantes, à des particuliers du Chenit, à l'exception de la portion que les sieurs Jaquet, de Vallorbes, en acquirent, avec les forges, et les droits en dépendans.

§. 68.

/384/ En conséquence d'une requête que les trois communes de la Vallée adressèrent à LL. EE. , elles leur accordèrent une Justice, avec la liberté de la placer dans l'endroit le plus convenable; l'octroi est daté du 28 juillet 1686, et le siège en fut établi au Lieu.

§. 69.

Environ ce tems-là, vivoit une femme nommée la moinette; elle étoit, sans doute, ainsi appelée parce qu'elle étoit fille d'un moine prosélyte, nommé Jaques Bocci. Elle avoit appris à lire avec son père; cette science étoit assez rare et avoit à-peu-près été inconnue dans les tems précédens, même chez les hommes, d'autant-plus qu'il n'y avoit encore aucune école dans la commune. Cette femme se mit à donner des leçons de lecture à quelques jeunes-gens, qui témoignèrent y prendre goût. Là, en plein-air, devant une maison, elle faisoit des leçons aux enfans qui s'y rencontroient. Quelques-uns, en reconnoissance, lui apportoient un morceau de pain, qui tenoit lieu de payement; après quoi, elle allait dans un autre endroit, en faire de même. Elle en agit ainsi pendant quelques années, au bout desquelles la commune établit enfin une école au Sentier, et tous ceux qui voulurent commencèrent à la fréquenter. J'ignore la date de ce premier établissement; la tradition que j'en ai le place dans l'intervalle des années 1680 à 1690. Cette même tradition nous apprend que c'est aussi environ ce temps que l'on commença à apprendre la musique, qui était entièrement inconnue auparavant. Avant cela, on chantoit, dans /385/ l'église, un petit nombre de psaumes sur certains airs, qui leur avoient été donnés, ce qui s'appeloit chanter en rime. Quelques personnes, qui avoient appris ces psaumes par cœur, conduisoient le chant dans la dite église, que les plus éclairés d'entre le peuple suivoient comme ils pouvoient, et souvent même c'étoit des femmes qui prenoient cette conduite. Messieurs les ministres se voyoient ainsi obligés de s'en tenir, pour l'indication du psaume, à ce petit nombre que ces conducteurs du chant connoissoient, sans quoi tout le monde seroit demeuré muet.

On ne doit donc pas être surpris si, dans les tems plus reculés, la grossièreté et l'ignorance avaient été poussées si loin chez la plupart des habitans de cette communauté, et jusques-là qu'on y avait vu des personnes contracter des mariages en Bourgogne. Pour s'en former une idée, on n'a qu'à se représenter un peuple très-pauvre, peu nombreux, ayant essuyé le fléau de la mortalité; ce peuple, habitant quelques mauvaises cabanes, isolées et éparses, çà et là, au milieu des forêts, et dont les individus ont fort-peu de communications entr'eux, étant tous, hommes et femmes, uniquement occupés à détruire ces forêts et à défricher quelque terrein, pour fournir aux plus pressans besoins de la nature, je le demande: quelles connoissances pourrait-il acquérir?

Tel étoit, cependant, l'état de ceux qui succédèrent aux premiers habitans de cette communauté; je me flatte donc que l'on ne me taxera pas d'avoir outré les choses, si l'on prend la peine d'examiner toutes ces circonstances, qui ne permettoient pas qu'il en fût autrement, et si l'on consulte la tradition qui s'est transmise jusqu'à nos jours, et sur laquelle on doit compter, jusqu'à un certain point, surtout lorsqu'on n'y reconnaît rien de contraire à la saine raison.

Cette tradition laisse entrevoir que ceux qui, les premiers, vinrent habiter au Chenit avoient plus de lumières que leurs /386/ successeurs; en cela, il n'y a rien que de très-naturel: ils sortoient d'un village déjà un peu civilisé, où il y avoit une école, qui fut ensuite continuée par le diacre, qui y faisoit sa résidence; et, quoiqu'il fut nommé ministre du Chenit, il n'y étoit que lorsqu'on l'alloit chercher, pour faire sa prédication, qui, dans ces tems, se faisoit peut-être un peu à la légère; une réflexion, que l'on dit qui fut faite en chaire, dans ces tems d'ignorance, en parlant du larcin, pourroit en fournir une preuve. Voici cette réflexion:

« Qu'on ait volé les tourtes, pains d'avoine, à Jaques Bocci, je n'en suis pas encore tant surpris; mais, pour celles à la tante Pernon, comment peut-on manger au chavon! » (c'est-à-dire à l'entour), Pour sentir la force et l'énergie de ce raisonnement, il faut savoir que cette tante Pernon étoit, dans le tems de ce vol, la plus-habile et la plus-zèlée conductrice du chant des psaumes en rimes, dans l'église.

Quoi qu'il en soit, il est assez vraisemblable que le Chenit étoit alors envisagé comme la Sibérie de messieurs les ministres, qui, aussi, n'y séjournoient que le moins qu'ils pouvoient. C'est ce qui se démontre assez-clairement par le nombre de ceux qui ont desservi cette église depuis l'année 1612. Jusqu'à la fin du siècle, ce nombre est de vingt-six, desquels voici les noms:

Messieurs:

  • 1. Pierre Tharin.
  • 2. Jaques Jaquier.
  • 3. Abraham Marguerat.
  • 4. Julien d'Ethienne.
  • 5. Siméon Olivier.
  • 6. Nicolas Petit-Pierre.
  • 7. Isaac Fabri.
  • 8. Jaques Dutoit.
  • 9. Samson Toret.
  • 10. Jaques Mayor.
  • 11. Jaques Toret.
  • 12. Jaques Bonnard.
  • 13. Pierre Cantin.
  • 14. Pierre Cuche.
  • 15. Philippe Tacheron.
  • 16. Benjamin Mimar.
    /387/
  • 17. Nicolas Champier.
  • 18. Jean Mercier.
  • 19. Moïse Monney.
  • 20. David Combe.
  • 21. David Grobéty.
  • 22. Gamaliel Carré.
  • 23. David Tcheron.
  • 24. Pierre Bugnion.
  • 25. Jean-Henri Mangon.
  • 26. Louis-Frédérich Carrard.

§. 70.

Entre messieurs les Ministres ci-dessus nommés, la tradition nous a transmis monsieur Bugnion, qui fut établi pasteur du Chenit, en 1682 ou 1683, comme un homme fort zèlé. Elle porte qu'il se servoit de toutes les occasions qui se présentoient, pour instruire le peuple, parmi lequel il se répandoit beaucoup, s'accommodant à la portée d'un chacun, et faisant tourner la conversation sur des matières de la Religion, ce qui en donna beaucoup de goût, particulièrement à un certain nombre de jeunes-gens, qui en furent assez-bien instruits, et qui, par la suite, contribuèrent à répandre de plus en plus cette salutaire connoissance parmi leurs contemporains, quelques-uns s'étant voués à desservir les écoles qui furent établies successivement, et peu à peu, à l'orient de l'Orbe, au bas du Chenit, et enfin au Solliat.

§. 71.

Ce fut environ le même temps (autant que j'en ai de connoissance) que commença peu à peu à se perdre une pratique usitée autrefois, qui, cependant, ne fut entièrement abolie que quelques années avant le milieu du siècle suivant. Voici en quoi elle consistoit: les vachers, ou fruitiers, des montagnes des environs de Montendre, et d'autres plus éloignés, se rendoient, toutes les années, pendant six dimanches consécutifs, à commencer à la Saint-Jean, sur la sommité de /388/ ce mont. Là, se rendoient aussi beaucoup de jeunes-gens des deux sexes, de tous les villages situés au pied de la montagne, et aussi quelques-uns de la Vallée. On y dansoit en rond, dans des places que l'on connoît, encore aujourd'hui, par l'enfoncement du terrein; on s'y exerçoit à la lutte et au jeu de la pierre. Ce dernier consistoit à poser sur l'épaule une pierre fort pesante et à la pousser, par un mouvement du corps, aussi loin qu'il étoit possible. Des personnes du Pays-de-Vaud y faisoient conduire des vivres et du vin, on y mangeoit et buvoit souvent avec excès, ce qui occasionnoit ordinairement des disputes, des coups de poings, et quelquefois des batailles sanglantes.

L'indécence de ces assemblées, composées de personnes de divers endroits et de différens sexes, la licence et les dérèglemens qui ne pouvoient qu'en être la suite, sans parler de la profanation du jour du Seigneur, ne donnent pas une idée fort avantageuse de ceux qui les fréquentoient. On peut, cependant, présumer que ces assemblées, qui avoient aussi lieu dans d'autres endroits, en particulier sur la Dole, subsistoient depuis fort-long-tems, et il est assez probable qu'elles devoient leur origine à l'usage, déjà établi dans les premiers âges du monde, d'offrir, sur les hauts lieux, des sacrifices, qui étoient suivis d'un repas, de chants et d'autres cérémonies. On sait, tant par l'Histoire-Sainte que par la profane, que cet usage fut, dans la suite, adopté par toutes les nations, sans en excepter même les Juifs, et on l'a aussi retrouvé chez quelques peuples de l'Amérique.

§. 72.

D'après tout ce que j'ai rapporté ci-devant, je me crois fondé de dire que les dernières années de ce siècle furent l'époque où les mœurs des habitans du Chenit commencèrent /389/ à s'adoucir, ce qu'on ne peut attribuer qu'à ces premiers rayons de lumière qui percèrent les ténèbres de l'ignorance qui règnoit auparavant, et malgré laquelle on y avoit vu, comme je l'ai remarqué, briller certaines vertus qui font honneur au caractère de ce peuple.

Mais, si cette époque est mémorable à cet égard, elle ne l'est pas moins par la misère où ces pauvres habitans furent réduits, environ ce même tems. Elle fut une suite des chétives récoltes, dès l'année 1688, pendant sept à huit années presque consécutives, occasionnées tant par des grêles que par la gelée. Il y en eut trois autres dans lesquelles les graines qu'ils recueillirent ne furent presque d'aucun usage, ensorte qu'ils avoient à peine de quoi s'empêcher de mourir de faim. Ils n'eurent d'autre ressource que d'acheter quelque peu de graines au château de Romainmôtier, tant pour vivre que pour ensemencer, et, comme la plupart n'avoient ni argent ni crédit, la commune fut forcée, d'autorité supérieure, à les cautionner, ce qui augmenta considérablement ses dettes, ayant, par la suite, été obligée d'acquitter pour un grand nombre de ses communiers. Je tiens de gens dignes de foi, qui vivoient alors, que ces pauvres gens excitoient la compassion, ressemblant plutôt à des cadavres qu'à des hommes, tant ils étoient pâles et défaits. Toute leur nourriture consistoit, à peu près, dans quelque bouillie, faite avec de la farine d'orge ou d'avoine, et dans quelque laitage. Ceux qui étoient plus à leur aise se procuroient quelque peu de riz, qui coûtoit alors trois crutz la livre, prix, il semble, fort modique, mais considérable alors, vu la rareté de l'argent; on ne savoit encore ce que c'étoit que jardinage, qui ne fut cultivé et mis en usage que longtems après. Il n'est pas aisé de comprendre comment tous les malheureux habitans de la Vallée purent résister à tant de maux, et il est certain que ce ne fut pas sans beaucoup /390/ de peines et de souffrances; les jeunes-gens, entr'autres, pleuroient souvent de faim et mangeoient, pour ainsi dire, l'herbe, avec le bétail qu'ils gardoient, puisqu'ils cueilloient des chardons et d'autres herbes, feuilles ou racines, qu'ils mangeoient toutes crues, pour suppléer au peu de nourriture qu'on pouvoit leur donner à la maison.

C'est ainsi que finit ce siècle.

§. 73.

La première année de notre siècle, fut fait le règlement souverain concernant les bois et les joux, la manière de les économiser, d'en mettre en ban, etc. Je ne m'arrêterai pas à en expliquer le contenu, puisqu'il est assez connu de chacun.

§. 74.

Le 23 janvier de l'année suivante, fut présenté monsieur Christophe Agassiz, pour le 27e Ministre du Chenit. Il fut un de ceux qui déclamèrent le plus contre ces assemblées qui se faisoient sur Montendre.

§. 75.

Cette même année, 1701, LL. EE. abrogèrent, par lettres du 7 avril, la Justice qui avoit été accordée à la Vallée, en 1686; elles établirent, au Chenit, un Consistoire, qui devoit être composé des membres de la Justice. Elles lui conférèrent la charge des tutelles, sur le pied qu'on a vu ci-devant que cela avoit été accordé aux deux autres consistoires de la Vallée. Et, l'année suivante, le seigneur baillif de Romainmôtier accorda, en augmentation de droits, aux juges et secrétaires des dits consistoires, le pouvoir de juger /391/ les causes sommaires jusqu'à la somme de dix florins. Ce dernier octroi est daté du 28 octobre 1702.

§. 76.

C'est alors que la commune du Chenit se vit à la veille de perdre ses deux montagnes des Chaumilles, qui furent sur le point d'être subhastées pour la somme de vingt-cinq mille florins qu'elle devoit, les lettres étant déjà écrites pour cela. Cette dette provenoit de ces longs et fâcheux procès et des cautionnemens dont on a parlé. Les gouverneurs de cette commune furent, par-là, obligés d'être fort-longtems aux arrêts, au château de Romainmôtier, à l'occasion de cette dette. Ils eurent, cependant, le privilège d'y aller alternativement, par quel moyen chacun d'eux eut le tems de vaquer à ses propres affaires.

§. 77.

Ces tems de crise étant passés, les trois communes de la Vallée adressèrent, sur la fin de l'année 1704, une requête à LL. EE. , en conséquence de laquelle il y fut établi un troisième Ministre, dont le domicile fut fixé au Chenit. Ces trois communes furent sommées, par le seigneur baillif de Romainmôtier, de contribuer volontairement pour ce nouvel établissement. La commune du Lieu fournit mille florins, celle de l'Abbaie cent écus blancs, et celle du Chenit cinq-cents florins, outre le charroi de la plupart des matériaux pour la cure, qui fut bâtie, en 1705, aux frais de LL. EE.

La commune du Chenit fut encore chargée de fournir et de voiturer le bois nécessaire à l'usage de cette nouvelle cure, comme aussi de payer annuellement, à monsieur le /392/ Pasteur, soixante florins, pour les catéchismes particuliers qu'il fait aux catéchumènes, depuis Noël jusqu'à Pâques, à quel effet elle acquit le pré appelé le Clos-Rond, pour le prix de onze-cents florins, qui fut annexé à la dite cure, pour lui servir de domaine, au moyen de quoi la dite commune ne paie plus, aujourd'hui, que cinq florins, chaque année, pour cet article. Elle paie, en outre, pour les interrogats généraux et pour les visites d'écoles, savoir cinq florins par chaque interrogat, et trois florins et neuf sols par chaque école; en revanche, elle retire, du dit monsieur le Pasteur, quinze florins, pour la coupe de son bois, selon une pratique usitée dès long-tems, mais dont j'ignore l'établissement.

La pension qui fut réglée pour ce nouveau ministre a été augmentée, dès-lors; elle consiste, aujourd'hui, outre les articles sus-désignés, à six-cents florins, en argent, dix sacs de froment et dix sacs de messel, pris au château de Romainmôtier, dix sacs d'orge et dix sacs d'avoine sur les dixmes de la communauté du Chenit, et un char de vin, pris à Orbe, ou, en place, quand il n'y en auroit pas, ce qui arrive rarement, cent florins, en argent.

L'établissement de ce nouveau Pasteur donna lieu à un bon mot, qui même a passé, dès-lors, en proverbe; comme l'on proposoit en public, dans l'église, les conditions auxquelles on obtiendroit ce Ministre, et les contributions qu'il faudrait donner pour cela, un nommé Jaques Goy, demeurant sur le Crêt, se leva et dit:

« Por mé, n'y bouteré pas un lierd! Creidé mé, vos vos en voulié repenti: célé suerte dé dzein, lé vô mî luen qué pré, » c'est-à-dire: pour moi, je n'y mettrois pas un liard! Croyez-moi, vous voulez vous en repentir: ces sortes de gens, il les vaut mieux loin que près!

Monsieur Abraham Malherbe, 28e Ministre du Chenit, fut le premier placé à cette nouvelle cure. Il contribua /393/ beaucoup à la perfection du chant des psaumes en musique, ayant appris, à plusieurs jeunes-gens, à chanter non-seulement le tenor, ou plein-chant, mais aussi les autres parties; et, dans peu de tems, chacun y prit goût, jusques-là que l'on se mit à faire des concerts dans les maisons, ensorte que cette église égala bientôt, et surpassa ensuite, celles des environs, pour cette partie du service divin.

§. 78.

L'année suivante, à la suite d'une sécheresse extraordinaire, le feu s'alluma dans les bois du côté oriental de la Vallée, et courut, depuis les Grands-Plats, en allant du côté de bise, tout le long des montagnes. On travailla à éteindre ces feux: tous les particuliers y accoururent. On faisoit des tranchées à net, pour en arrêter les progrès, et on y répandoit de l'eau, qu'on y faisoit conduire; mais, comme la communication de ces feux se faisoit sous terre, par les racines des arbres, dans les cavités des rochers, il arrivoit fort souvent que, quand on les croyoit arrêtés, dans un endroit, ils se manifestoient dans un autre, à un grand éloignement, ensorte que c'étoit toujours à recommencer. Ainsi, avec toutes les peines et les précautions imaginables, on ne put garantir de ce dommage que la principale partie des bois de la Rolaz et des Chaumilles.

La tradition nous apprend que ces feux donnoient tant de clarté, pendant la nuit, qu'il paroissoit qu'on était en plein jour, et que, dès qu'ils eurent cessé, les souliers s'enfonçoient dans les cendres, dans bien des endroits, jusqu'à être entièrement cachés. Plusieurs particuliers, qui avoient des bois préparés pour du charbon, en souffrirent beaucoup, comme aussi ceux qui perdirent des chalets.

Cet incendie fut envisagé comme un grand malheur pour /394/ la Vallée, surtout pour la commune du Chenit, dont les particuliers étoient le plus à portée pour gagner leur vie au travail de ces bois. Mais, si ce fut un mal, comme on n'oseroit en disconvenir, on ne sauroit, cependant, désavouer qu'il n'en soit résulté un grand bien, pour la suite, en ce que, par cet événement, tous ces habitans, uniquement occupés au travail des bois, se trouvèrent dans le cas exprimé par cette sentence des Latins: « magister artis ingeniique largitor venter; » c'est-à-dire: c'est la faim qui enseigne les beaux-arts, c'est elle qui donne l'esprit.

Ces habitans se virent effectivement, par-là, comme forcés de chercher quelqu'autre voie que le travail des bois, pour fournir à leur subsistance, et l'on peut dire que ce fut proprement alors qu'ils commencèrent à s'apercevoir que tous les hommes ne sont pas faits pour un même genre de travail, mais que les uns sont propres à certains ouvrages, et les autres à d'autres, et que c'est cette diversité de goûts et d'inclinations qui apporte le plus de profit et de commodités dans la société.

On vit, dès-lors, plusieurs personnes, surtout parmi les jeunes-gens, montrer du penchant pour les arts et les professions; il s'en trouva qui eurent du goût pour l'écriture et pour une instruction plus-approfondie des vérités de la Religion, et même de l'histoire, et qui firent servir généreusement leurs talents au bien et à l'avantage de la Communauté. D'autres s'adonnèrent à perfectionner les arts les plus-connus, comme la manière de bâtir, de s'habiller, de se procurer des meubles, des outils, et d'autres commodités. Il s'en trouva même qui se mirent à faire des horloges de bois, probablement sur la vue des premières qui furent introduites dans cette commune, seulement au commencement du siècle. Auparavant, et encore longtems après, on se servoit, pour fixer les heures, pendant le jour, du passage /395/ de l'ombre du soleil dans les cheminées des maisons, et ailleurs, et, la nuit, du chant du coq et de l'inspection de certaines étoiles.

Les talens se développant ainsi, peu-à-peu, on apprit successivement à faire des horloges, ou pendules, en fer et en laiton, à racommoder les armes, à faire des boucles, des serrures, des couteaux, etc. Les femmes, de leur côté, commencèrent à cultiver du jardinage (légume) et à faire divers ouvrages convenables à leur sexe, et particulièrement du tricotage, (tricot) qui était encore inconnu. Auparavant, hommes et femmes, tous, portoient des bas de grossier drap, fait avec de la laine blanche, sans aucune teinture, ressemblant à ce qu'on appelle, aujourd'hui, drap de savoyard. On faisoit ces bas extrêmement-larges, en sorte qu'ils retomboient tout-autour du soulier, qui étoit serré étroitement contre le pied, avec des cordons de peau, et ces bas tenoient lieu de guêtres, dans les tems de neige. Quelques personnes s'avisèrent, alors, de faire des guêtres sans boutons, avec de ce même drap, qui servoit aussi aux autres parties essentielles de leurs habillements; ainsi, dans peu d'années, on vit un grand changement dans les mœurs et coutumes des habitans de cette communauté, et, quoique la grossièreté des anciens temps eût déjà un peu diminué, comme je l'ai remarqué, on peut dire que ce fut dès ce temps qu'elle commença à se dissiper avec plus de rapidité. Les affaires de la commune se rétablirent aussi peu-à-peu, par le désintéressement, l'économie et la bonne conduite de ceux qui furent appelés à la diriger, ensorte que, dans peu de tems, elle fit quelques acquisitions et s'affranchit totalement de ses dettes.

§. 79.

Cette commune ne perdit, cependant, pas de vue la /396/ conservation des bois, puisque, déjà l'année suivante, de concert avec les deux autres communes, elle soutint des difficultés avec des verriers établis alors sur la montagne des grands-Plats, en s'opposant à la continuation de cette verrerie. Le fait ayant été porté à LL. EE. , elles ordonnèrent au seigneur baillif de Romainmôtier d'entendre les raisons d'opposition que les communes avoient à avancer à ce sujet. Ces raisons furent, pour les principales, celles de leur droit de bocherage dans toute l'enceinte de la Vallée. En conséquence, LL. EE. ordonnèrent au dit seigneur baillif de faire cesser cette verrerie, « à cause des plaintes des communes et que les joux en souffroient … . » Cette ordonnance est datée du 7 octobre 1707.

Il y eut, cette même année, une difficulté, entre les communes du Lieu et du Chenit, d'une part, et celle de l'Abbaie, de l'autre, à raison de ce que les particuliers de cette dernière étoient entrés dans les hautes-joux qui avoient été préservées de feu, rière les prés de Bière, pour y charbonner, les deux communes s'y étant opposées, comme à une chose contraire au cinquième article du Règlement souverain de 1700.

Ceux de l'Abbaie apportoient pour raisons: qu'ils avoient le droit de couper, dans les dites joux, tout aussi bien que les deux autres communes, et qu'ils n'empêchaient pas les tonneliers de ces deux communes de prendre, dans leurs cordons, tout le bois nécessaire pour donner douves et autres fustailles, avant que de charbonner, et que la grande quantité de douves qui se fabriquoient chez elles n'étoit pas moins préjudiciable aux joux que le charbonnage. Parties ayant comparu, par-devant le magnifique seigneur baillif de Romainmôtier, le 28 juin 1707, il les renvoya à se transporter dans ces bois, pour réduire les charbonniers dans les endroits les plus propres et moins dommageables, et aussi /397/ pour tâcher de mettre en règle les faiseurs de douves … , et enfin à convenir, entr'elles, de l'endroit où elles voudroient mettre des bois en réserve … Après y avoir travaillé, il fut convenu:

Que les charbonniers se serviraient de tout le bois sec et endommagé par le feu, avant que de toucher à aucun bois vert, et que, ensuite, on se règleroit sur l'article 5 du règlement sus-indiqué;

Que l'on mettroit en réserve, en faveur des dites trois communes, tout le bois de la Rolaz renfermé dans les limites ci-après, savoir: du côté du vent, par une ligne droite, depuis la Croix du Varne, jusqu'au-dessus du Martzeiru; du côté d'occident, par un vieux chemin, qui traverse de vent à bise; et, du côté de bise, la fontaine qu'il y a sur la Forma, à l'embouchure du chemin de la dite Rolaz, tendant, en droite ligne, d'orient et d'occident.

Cette fontaine est un petit creux où l'on puise de l'eau, et qui se trouve, actuellement, beaucoup à bise de la limite actuelle de ce bois de la Rolaz, d'où il est à présumer que cette limite établie alors a été poussée du côté du vent, à raison de quelques extirpations faites par la commune de Bière, qui, de tous tems, a été portée a en faire sur ses montagnes, pour quel sujet les trois communes de la Vallée ont eu tant de difficultés avec elle.

Cette convention contient encore quelques autres articles. Le tout fut mis par écrit et autorisé du sceau du magnifique seigneur baillif de Romainmôtier, le 21 février de l'année 1709.

§. 80.

Ce fut dans ce tems-là qu'il s'éleva des difficultés, entre les seigneurs Baillifs de Romainmôtier et d'Aubonne, au sujet de la jurisdiction sur les montagnes des Amburnex.

/398/ LL. EE. rendirent là-dessus un jugement décisif, le 13 Juin 1710, en suite duquel fut faite, au mois d'Août suivant, une délimitation de ces Bailliages, suivant les bornes qui y sont indiquées, qui sont assez connues de chacun. Au moyen de cette délimitation, les deux montagnes de la commune du Chenit appelées les Chaumilles se trouvent entièrement renfermées dans le Bailliage d'Aubonne. Il fut expressément réservé que ce bornage ne dérogeroit en rien « aux droits spéciaux des propriétaires, des particuliers, des communautés, en un mot, de qui que ce soit, des deux Bailliages. »

Nonobstant ces réserves, il n'a pas laissé que d'en résulter un grand mal pour les communes de la Vallée, qui ont eu, dès-lors, plusieurs altercations avec quelques seigneurs Baillifs d'Aubonne, pour l'exercice de leurs droits sur les bois situés dans ce Bailliage, ce qui a occasionné à ces communautés des frais et des dépenses considérables, par les diverses représentations qu'elles ont été obligées de faire, et même de porter quelques fois jusqu'à Berne, en vue de maintenir ces droits. Ainsi, elles auroient eu un grand avantage, et beaucoup de profit, de payer une certaine somme d'argent, comme on dit que cela leur fut proposé, lors de cette délimitation, pour porter le Bailliage de Romainmôtier jusques sur la sommité de la montagne.

Cette même année 1710, Monsieur Abraham Courlat fut nommé et établi Pasteur au Chenit. Il fut le vingt-neuvième en nombre et le second placé à la nouvelle cure.

§. 81.

En l'année 1713, il s'éleva une difficulté, entre la commune du Lieu et celle du Chenit, à l'occasion d'une défense, que cette première avait faite à celle du Chenit, de couper /399/ du bois au lieu dit les Epinettes, pour la réparation du pont d'entre les deux lacs, sous prétexte qu'elle avoit fait bannaliser ce bois en sa faveur, les dits du Chenit prétendant y avoir droit, pour y avoir toujours coupé pour ces réparations, devant et après cette bannalisation.

Le fait ayant été porté par-devant le magnifique seigneur Baillif de Diesbach, de Romainmôtier, il rendit une sentence à ce sujet, le 29 Juin 1714, par laquelle il laissa la commune du Chenit dans le droit de couper de ce bois, pour la réparation de sa part du dit pont, et non pour d'autres usages, et sans abus.

C'est dans le même tems que fut établi monsieur Gabriel Jaquier pour le trentième Pasteur du Chenit.

§. 82.

La Commune du Chenit acquit d'Abraham Capt, par acte du 15 Mai 1715, une petite particule de sa montagne de derrière la grande-Roche, avec du bois qu'il avoit fait mettre en réserve, pour le prix de cent et cinquante florins de capital, et vingt-cinq florins d'épingles, outre les vins bus.

L'année suivante, la dite commune acquit le surplus de cette montagne, dans toute son étendue, par acte du dernier jour de Mars, selon les limites y énoncées, qui sont: la montagne de Morges appelée Pré-Rodet, d'orient; celle de monsieur de Mezeri, de bise; les terres de Bourgogne, de vent; et, la montagne appelée Pré-dernier et Risou, du côté d'occident, pour le prix capital de huit-mille florins, et quatre-cent-vingt et trois florins, neuf sols, pour épingles et vins bus, pour paiement de laquelle elle s'obligea auprès des créanciers du dit Capt.

§. 83.

Ces mêmes années 1715 et 1716, fut continué le bornage /400/ des souverainetés, par des députés de sa Majesté très-Chrétienne et de l'Etat de Berne, qui étoient convenus d'établir entre les premières bornes, placées sur la sommité du mont Risou, en 1648, d'autres bornes correspondantes, pour éviter les difficultés survenues entre les particuliers, « et afin que, à l'avenir, et pour toujours, les sujets des deux souverainetés sachent les endroits où ils se doivent limiter, et y contenir leur bétail. »

Ce bornage ne fut, cependant, pas fini alors, à cause des oppositions faites par des Bourguignons, et par le révérend père Salivet, Jésuïte, au nom de la Seigneurie de Mouthe, ce qui fit que les seigneurs députés se séparèrent, et ce ne fut qu'en 1751 et 1752 que cette délimitation fut achevée de conformité aux précédentes.

§. 84.

Etant survenu d'ultérieures difficultés, entre les seigneurs Baillifs de Romainmôtier et d'Aubonne, au sujet de la recherche des bamps pour les fautes commises dans les bois de rière les Amburnex, cela donna lieu à un brevet, émané du Deux-cents, à Berne, le 26 Juin 1715, adressé aux illustres seigneurs Boursier et Banneret, au moyen duquel ces bamps furent adjugés au seigneur Baillif d'Aubonne dans son Bailliage, selon la délimitation qui en avait été faite, en 1710, laquelle cependant fut changée, depuis la Croix du Varne, en allant du côté du vent. Il est dit expressément, dans ce brevet, « qu'il ne sera rien ôté aux gens de la Vallée-du-Lac-de-joux, ni à personne d'autre, soit pour leur bocherage, abergement, ni autres droits spécifiques … »

Ce brevet fut encore expliqué, par les dits seigneurs Boursier et Banneret, par arrêt du 10 Juillet 1717, d'où il /401/ conste que la montagne de Bursins et celle de monsieur d'Aubonne appelée les grands-Plats se trouvent, en entier, renfermées dans le Bailliage de Romainmôtier, au lieu que, par la délimitation de l'année 1710, la ligne avoit été tirée obliquement, dès la Croix du Varne, à la borne angulaire des deux souverainetés, au moyen de quoi une partie de ces deux montagnes se trouvoit être dans le Bailliage d'Aubonne.

§. 85.

L'année suivante, le feu s'alluma dans les bois de derrière la grande-Roche; on y apporta du secours, qui l'arrêta, et il n'eût pas des suites bien funestes.

§. 86.

L'année 1719, la Commune du Chenit fit bâtir la maison de commune, pour servir aux assemblées publiques; elle servit, en même tems, pour loger l'école du Sentier, qui, dès qu'elle avoit été établie, fut placée dans l'ancienne maison, sur laquelle celle-ci fut édifiée. Cette première maison avoit été acquise, en 1643, par les particuliers qui formèrent, les années suivantes, le corps de la dite Communauté.

La même année, fut présenté et établi monsieur Philippe Bridel, pour Pasteur de l'Eglise du Chenit. Il fut le trente et unième en nombre et le quatrième placé à la nouvelle cure.

§. 87.

Ce fut aussi cette même année que fut fixée, par ordre du magnifique seigneur Baillif de Romainmôtier, la /402/ délimitation intérieure de la forêt du Risou, pour être distinguée des bois des particuliers possesseurs du terrein sur lequel cette forêt est située.

On voit, par cette délimitation, que cette forêt fut élargie, dans certains endroits;

Que l'on promit des dédommagemens aux particuliers dont le terrein seroit diminué par-là;

Que les particuliers fournirent, à leurs frais, les bornes nécessaires à cette délimitation;

Qu'il devoit se faire un abatis à net de soixante toises de largeur, tout le long du bord de cette forêt, pour la dégager des bois des particuliers, et pour empêcher que le feu s'y communiquât, comme cela étoit déjà arrivé;

Que, par cette extirpation, les particuliers seroient dédommagés, pour le pâturage, de la perte qui leur seroit causée, lorsque le bois viendroit à recroître;

Que, d'ailleurs, on ne vouloit priver aucun particulier de son droit de pâturage dans ce bois, mais que chacun en jouiroit comme du passé … A quoi les particuliers acquiescèrent. Quant à cette extirpation de soixante toises, elle n'a eu lieu que dans quelques places.

Il fut, ensuite, procédé à l'établissement des bornes, qui furent au nombre de deux-cent-quarante-six, sur toute la longueur de cette forêt, qui fut trouvée être de vingt-six-mille et quinze pas, ce qui feroit environ huit-mil-six-cent-soixante et treize toises.

Et, pour ne rien laisser d'imparfait, le dit seigneur Baillif fit encore borner le bois de Petra-Felix, où il fut planté vingt-six bornes, sur la longueur de deux-mil-huit-cents et vingt pas.

§. 88.

En l'année 1720, un certain nombre de particuliers de /403/ la Communauté du Chenit formèrent le dessein de fonder une abbaie, pour l'exercice des armes, en mémoire de l'heureuse victoire remportée, à Villmergue, par les troupes de LL. EE. , en 1712. Ils en obtinrent l'approbation, par patente datée du 21 Mai 1721. Cette abbaye fut d'abord composée de soixante-quatre associés, et prit le nom de Nouvelle Abbaie du Chenit, ou Abbaie de St-Jaques.

§. 89.

Les arts et les professions dont on a parlé ci-devant, qui avoient commencé à être cultivés dans la communauté du Chenit, s'y répandoient et s'y perfectionnoient de jour en jour, et, environ ce temps-là, il s'y établit une profession nouvelle et jusqu'alors inconnue, non-seulement dans la Vallée, mais même au Païs-de-Vaud; je veux parler de celle de lapidaire. Un jeune homme, nommé Joseph Guignard, étant allé dans le Païs-de-Gex, y apprit cette profession, s'établit ensuite chez lui, y forma des apprentifs, qui se répandirent d'abord dans la dite commune, et ensuite dans le reste de la Vallée et dans les environs. Ces premiers ouvriers vendoient leurs ouvrages à des marchands de cette ville, (de Gex), voyage qui, alors, n'étoit pas réputé pour peu de chose. Ceux qui le faisoient avoient, à leur retour, bien des choses à raconter à leurs compatriotes, qui les écoutoient, pour la plupart, avec plus d'attention, d'étonnement et de surprise que l'on ne feroit, aujourd'hui, à un homme qui viendroit d'Amérique.

§. 90.

C'est dans ce tems-là que la commune du Chenit se trouva, par une suite de l'accroissement de ses habitans, dans le cas d'entreprendre un édifice de grandeur suffisante pour servir /404/ aux assemblées religieuses. J'ai cru devoir faire mention de cet événement avec un peu de détail, comme on le verra dans la narration suivante, que j'ai tirée d'un mémoire que feu le juge Daniel Nicole, mon père, qui eut beaucoup de part à la direction de ce bâtiment, en avoit mis par écrit. Le premier temple du Chenit, bâti en l'année 1612, étoit très-beau, pour avoir été fait dans ce tems-là, et dans un païs dont les habitans n'étoient pas encore civilisés; mais, actuellement, il ne pouvoit plus contenir la moitié du monde de la paroisse, vu que, par la faveur du Très-Haut, le nombre des communiers s'étoit si fort accru que, sans compter ceux qui étoient sortis de cette commune, pour s'établir dehors, il se trouva monter, en l'année 1725, au nombre de treize-cent et soixante personnes. On avait déjà fait, dans ce temple, des galeries tout-à-l'entour, mais il se trouvoit toujours trop petit, et il y avoit déjà quelques années que l'on parloit de l'agrandir; on avoit même déjà tenu diverses assemblées à cette fin, sans avoir rien obtenu, à cause de divers obstacles qui se présentoient.

Enfin, le neuvième jour du mois de janvier de l'année susdite, le Conseil des Douze étant assemblé, pour l'examen des comptes des gouverneurs, ayant mûrement remis cette affaire en considération, prit la résolution déterminée de travailler à cet agrandissement.

Les membres de ce Conseil étoient les sieurs:

  • David Lecoultre, juge, résidant au Sentier;
  • Jaques Meylan, assesseur, à l'orient de l'Orbe;
  • Ege. David Meylan, régent d'école, au Sentier;
  • David Meylan, assesseur, au Campoz;
  • Joseph Reymond, dit grand-Joseph;
  • Pierre Meylan, dit Perroud, officier;
  • Bastian Meylan, au Solliat;
  • Joseph Meylan, à l'orient de l'Orbe;
    /405/
  • Abraham Aubert, derrière la côte;
  • Abel Golay, assesseur, au bas du Chenit;
  • Daniel Nicole, assesseur, sur le Crêt;
  • Daniel Golay, l'aîné, vers chez les Piguet;
  • Ege. Jaques Meylan, secrétaire, au Sentier.

Ces conseillers, aidés de quelques membres du grand-Conseil, avoient conduit avec tant d'économie les revenus de la commune qu'ils l'avoient tirée du pitoyable état où on l'avoit vue réduite, au point que, par leurs soins et bonne conduite, soutenue de la bénédiction de Dieu, cette commune se trouva, en la susdite année, totalement affranchie de ses dettes, après avoir, de plus, commencé un petit fonds et fait l'épargne nécessaire pour l'agrandissement du temple.

Quoique, comme on l'a dit, on eût pris la résolution d'agrandir ce temple, l'on n'étoit, cependant, pas encore d'accord sur la manière de le faire. Il se tint, durant le cours de cette année, quelques assemblées à ce sujet, sans pouvoir rien conclure, d'autant que le projet était toujours, alors, de conserver le vieux temple en l'agrandissant; mais on ne voyoit pas le moyen d'en venir à bout, parce qu'on étoit gêné par le terrein et le chemin qui le joignoit, tellement qu'on fut sur le point d'abandonner l'entreprise et que cette année s'écoula sans rien préparer, si ce n'est quelques billons, pour l'exécution de ce projet.

On avait, cependant, envoyé à Berne le sieur Joseph Meylan, demeurant près des Moulins, qui étoit gouverneur cette année, pour présenter une très-humble requête à LL. EE. , aux fins d'obtenir la permission de bâtir, avec quelques secours, et, en particulier, une cloche d'une grosseur à pouvoir être entendue dans toute la paroisse.

LL. EE. eurent la bonté d'accorder cette permission, avec le don d'une cloche de quinze quintaux et cent écus /406/ blancs, en argent. Le susdit gouverneur rapporta au Conseil cette agréable nouvelle, huit jours après Pâques.

Les lettres souveraines du dit octroi parvinrent quelques jours après, mais elles causèrent beaucoup de surprise et une grande mortification, puisqu'elles portoient qu'il falloit porter à Berne la cloche que la commune avoit, pour avoir celle de quinze quintaux …

Ce n'étoit pas l'intention de LL. EE. , mais ce fut une équivoque, qui se fit à la Chancellerie, dont voici l'occasion: La commune du Lieu devoit mener à Berne sa cloche, qui étoit cassée, pour être refondue et augmentée jusqu'à quinze quintaux, soit au même poids que celle qui avoit été accordée à la commune du Chenit, et celle-ci reçut l'ordre qui concernoit celle du Lieu, aussi fut-elle longtems en perplexité pour savoir s'il faudroit mener la petite cloche à Berne, pour en avoir une autre, comme portoient les dites lettres, ou si l'on en auroit encore une avec celle qu'on avoit déjà, ainsi que le dit gouverneur affirmoit qu'il lui avoit été rapporté en Chambre-économique.

Enfin, le sieur Jaques Lecoultre, lieutenant de la compagnie des restans, étant allé à Berne, pour d'autres affaires, débrouilla l'équivoque, en suppliant LL. EE. de laisser à la commune la cloche qu'elle avoit, et de donner celle qui avoit été octroyée. Il fut ordonné, tout de suite, au magnifique seigneur intendant des fonderies, monsieur le colonel de Würstemberguer, de la faire mouler le plus tôt possible, ce qui pourtant ne fut exécuté qu'en 1728, et, au lieu de quinze quintaux, le dit seigneur la fit faire de dix-sept. Pendant cet intervalle, on pria de nouveau LL. EE. de faire monter la dite cloche, ce qui fut encore gracieusement accordé, et même elles l'envoyèrent franco à Yverdon, avec son bois et ses ferrures; le tout y arriva le 21 juin de /407/ l'année 1728, et les cent écus blancs furent livrés par le seigneur baillif de Romainmôtier.

Cet octroi de LL. EE. détermina enfin à bâtir; il ne s'agissoit plus que d'être d'accord sur la manière de le faire: les uns étoient du sentiment de faire des appendices au vieux temple, des côtés d'orient et d'occident; d'autres vouloient qu'on l'agrandit du côté de bise, et les autres, qui étoient en plus petit nombre, mais les plus sensés, vouloient que l'on abattît le vieux temple, et que l'on en construisît un nouveau, d'une forme et grandeur convenables. Ce dernier parti fut combattu d'une manière étrange, jusques-là qu'il se trouva des personnes assez téméraires que d'envoyer une lettre anonyme à LL. EE. , pour empêcher ce projet. Cette lettre fut estimée ce qu'elle valoit, et renvoyée à la commune, avec ordre de tâcher d'en découvrir les auteurs, pour les châtier; ainsi, elle ne leur apporta que la confusion secrète, d'avoir eu l'audace de l'envoyer.

Enfin, on députa, de tous les quartiers de la commune, tant du conseil que de la généralité, les personnes que l'on crut les plus entendues, pour examiner la chose, et prendre une résolution définitive. Il fut décidé qu'on abattroit le vieux temple, et que l'on en construiroit, à la même place, un nouveau, deux fois plus grand; mais, les gouverneurs qui furent établis quelque-tems après, d'intelligence avec quelques-uns de ceux qui pensoient le mieux, lui en donnèrent, à l'insu du conseil et du public, au-delà des trois-quarts, ce qui ne fut reconnu qu'après que les fondemens furent posés, et qui causa quelques murmures. Cependant, il en est résulté un grand avantage, puisqu'aujourd'hui il n'y a pas trop de place.

Les choses étant ainsi réglées, le conseil établit, au commencement de l'année 1726, pour gouverneurs, les sieurs Daniel Nicole, assesseur, qui avoit déjà été gouverneur en /408/ 1716, et Abraham Meylan, son beau-frère, fils du sieur Jaques Meylan, assesseur, lesquels on crut les plus propres à exécuter ce qui étoit requis pour cette entreprise, et qui, ayant accepté cet emploi, ne songèrent plus qu'à s'en acquitter avec soin.

Le sieur Jaques-David, fils du sieur juge Lecoultre, donna un plan du nouveau temple et du clocher, tel qu'il est, et, comme c'étoit un homme intelligent et fort ingénieux, pour ce tems-là, on lui donna à tâche la charpente de ce bâtiment, en lui joignant les sieurs Abraham et Siméon Meylan, de delà le Brassus. Plusieurs personnes auroient voulu s'y opposer, parce que ces ouvriers n'avoient jamais construit de ces sortes de charpentes; cependant, il en résulta un avantage pour la commune, parce qu'ils réussirent bien, et exécutèrent cet ouvrage beaucoup plus-tôt et à meilleur compte que n'auroient fait des étrangers. Ayant donc travaillé fort assiduement et au contentement du Conseil, il leur donna, en sus, six écus blancs de récompense.

On avoit demandé au seigneur baillif des plantes de bois pour cette ramure et assortiments nécessaires; on en eut jusqu'à passé deux-cents, dont il fallut payer les droits; on en prit aussi quantité à la côte de Pré-Rodet et un bon nombre aux Chaumilles. Les piliers du clocher furent coupés au bois du Carre et traînés, le sixième jour du mois d'avril, sur la neige, qui portoit les chevaux, dont il y avoit le nombre de six, par chaque pièce. On avait commencé à couper le marinage le 23 mars, et il fut presque tout sur la place le dit jour, sixième avril.

On ne sauroit décrire le zèle et la diligence que les communiers firent paraître pour cet ouvrage, pendant toute l'année; plusieurs particuliers, qui avoient déjà fait gratis des vingtaines de journées d'homme et de cheval, ne refusoient pas d'en faire encore davantage, lorsqu'on les /409/ demandoit; il n'y eut ni murmure, ni rébellion, et chacun s'employoit à faire ce qui lui étoit commandé avec plaisir et bon cœur; la manière douce et prudente de ceux qui commendoient y contribua beaucoup: on ne chagrinoit personne et ceux qui n'auroient pu, sans se déranger, faire des journées, dans les jours où ils en recevoient l'ordre, pouvoient renvoyer et revenir un autre jour. On supporta les pauvres, et ceux qui n'avoient pas de chevaux étoient employés à d'autres ouvrages; ils furent, cependant, tous obligés de payer quelques journées de cheval, chacun proportionnellement à ses facultés.

On donna la tâche de la maçonnerie à des maçons neuchâtelois, du mont de Buttes, qui étoient: le nommé David Juvet, et quatre de ses frères, avec plusieurs de leurs enfans et domestiques, pour le prix de trente-cinq batz la toise de muraille, et de trois batz et demi par pied de taille. On fit aussi creuser les fondemens à la tâche, ce qui fut un ouvrage assez difficile, parce qu'il fallut déterrer les morts, sortir leurs ossemens et creuser de la largeur de sept pieds et de la profondeur de neuf, pour pouvoir les rendre solides, et il fallut même piloter du côté de l'éperon du midi. Ceux qui creusoient étoient suivis des maçons, le plus près que possible, parce que la terre s'ébouloit et retomboit dans le fossé. On ne pouvoit trouver assez de place pour contenir les pierres que les communiers amenoient, avec des chars et des traîneaux, depuis la côte, et d'une prodigieuse grosseur, et l'on peut dire, sans exagérer, que, de ces deux côtés, d'orient et midi, il y a à peu près autant de muraille dans la terre qu'il en paroit dehors. Il y avoit journellement trente à quarante hommes qui tiroient les pierres de maçonnerie et s'aidoient à charger les chars, qui étoient à l'ordinaire au nombre de dix, ou environ; ils faisoient chacun vingt-trois à-vingt-quatre voyages par jour; d'autres amenoient des /410/ ancelles, des lambris, du sable …; d'autres s'aidoient à décharger les chars, pour qu'ils ne fussent pas arrêtés; en un mot: tout fourmilloit de monde qui travailloit avec un accord semblable à celui des abeilles. Il n'y eut, pendant ces travaux, aucun chagrin, ni démêlé; au contraire, on voyoit, de tous côtés, régner le plaisir et la joie, et tout s'exécuta si bien que rien ne manqua sur place dès que l'ouvrage fut commencé, et que le succès fut beaucoup plus heureux qu'on n'auroit pu l'espérer.

Lorsqu'on eut élevé les murailles à une certaine hauteur, il fallut abattre la ramure du vieux temple, ce qui fut fait, le dix-septième jour du mois de juin, avec bien de la peine et du danger, et aussi au grand regret de plusieurs personnes. On y avoit prêché jusqu'alors, et on prêcha toujours dans ses murailles, à l'exception de deux dimanches, où l'on fut obligé de s'assembler dans la grange du sieur Abraham Reymond, du Sentier.

On leva la ramure du nouveau temple les 22, 23 et 24 juillet. On y invita, de toutes les familles, une personne et on leur donna à manger du pain et du fromage, et du vin à chacun honnêtement et en petite quantité; les conseillers des douze et les charpentiers mangèrent ensemble, à part. Et, le 23 juillet, jour de Saint-Jaques, la petite cloche, qu'on venoit de remonter sur le clocher de ce nouveau bâtiment, se fit entendre. Le peuple, qui s'étoit assemblé à l'église au son du tambour pendant qu'elle avoit été dépendue, bénissoit Dieu de ce qu'on avoit si bien réussi, et en répandoit des larmes de joie. En effet, l'on avoit été favorisé du Seigneur d'une manière particulière, tant par le beau tems que parce qu'il n'arriva à personne, aucun accident fâcheux, ce qui animoit de plus en plus le courage des conducteurs et des ouvriers.

Ce temple étant lambrissé, on le fit couvrir par des /411/ couvreurs de Foncine, en Bourgogne, nommés Pierre et Claude Fumée, pour le prix de vingt-quatre écus blancs; la chape fut couverte, dans la suite, par le nommé Pierre Goy, de la Combe au Moussillon (Moucheron). On y employa, en tout, environ cent-cinquante milliers d'ancelles, et les charpentiers, avec d'autres personnes, posèrent l'aiguille, le pommeau et le ferblanc à l'entour de la dite aiguille; ils firent aussi la voûte, à la journée, avec des, ouvriers qu'on leur donna pour les aider; les communiers fournirent chacun deux lambris pour la faire, et aussi chacun deux baudrons pour le plancher, que les mêmes charpentiers firent aussi, conjointement avec des communiers. Les bancs, tant des hommes que des femmes, furent faits par les communiers; ceux qui étoient moyennés en faisoient un par ménage; d'autres se réunissoieut en deux ou trois ménages, pour en faire un; la commune ne fournit que les cloux nécessaires.

Les fenêtres avoient été faites et posées par maître Nicolas Bonzon, menuisier de Romainmôtier, qui en avoit pris la tâche pour le prix de cinquante-deux écus blancs et cinq batz. Tout fut ainsi fait et achevé pour la communion de Noël de la dite année 1726, à l'exception de la chaire, du plancher sur la voûte et de quelques ouvrages au clocher; la chaire fut faite ensuite, par un menuisier d'Arnay, pour le prix de cent florins, et le reste fut achevé en 1728, lorsque la grosse cloche fut pendue.

On déboursa, pour la construction de ce temple, la somme d'environ huit-mille florins, non compris la dite chaire, ni ce qu'il en coûta, en 1728, tant pour pendre la cloche que pour quelques autres articles. Les journées seules que les communiers firent gratis, pour cette bâtisse, en les évaluant à un prix raisonnable, se seroient montées environ à la même somme.

On demanda quelques contributions volontaires aux /412/ possesseurs des montagnes de rière la commune; la plupart n'en firent point. La commune de Bursins donna vingt-cinq florins; madame la baronne de La Sarraz un sac de mècle; monsieur Hollard, pour le Croset, un écu blanc; messieurs de la ville de Morges trente florins, deux sacs de bled et demi-char de vin. On s'engagea, en reconnoissance, de laisser mettre à un banc les armes de la dite ville, lequel doit servir pour leurs députés, quand ils viennent à leurs montagnes, sans que leurs fermiers et domestiques puissent s'en prévaloir; le tout, à forme d'un billet qu'on fit à ce sujet, dont chaque partie reçut un double.

Tous les particuliers qui habitoient hors de la commune ne firent ni journées, ni contributions, à l'exception de Jaques Meylan, demeurant à Bérole, qui donna un écu blanc, et David et Daniel Reymond, demeurant rière Genève, qui donnèrent deux écus blancs et demi.

Les susdits gouverneurs, Daniel Nicole et Abraham Meylan, ayant rendu leurs comptes, au mois de janvier 1727, se trouvèrent encore redevables à la commune de la somme d'environ six-cents florins, après avoir donné à chaque communier trois batz, au nouvel an, sans cependant avoir rien emprunté de personne, ils furent remerciés par le Conseil, et il leur donna, en récompense de leurs peines, à chacun une place dans la dite église, au premier banc à main gauche de la chaire, au bout de la grande allée.

Il semblera que les particuliers qui avoient fait de si fortes corvées en devoient être accablés, mais ils convinrent tous qu'ils n'en étoient en rien reculés, et ils ne pouvoient assez exprimer leur contentement et leur satisfaction de l'aisance et de la commodité qu'on s'étoit procurées en bâtissant, et de ce qu'on avoit réussi mieux et à moins de frais qu'on ne s'y étoit attendu.

Ce temple fut vu et examiné par le magnifique seigneur /413/ baillif de Romainmôtier et par monsieur Martin, architecte de LL. EE. , qui firent paroître leur satisfaction tant sur la forme qui lui avoit été donnée que sur la manière dont il avoit été construit.

Les étrangers y venoient en foule, tous les dimanches, surtout dès qu'on y eut introduit le chant des Psaumes, avec les trompettes. Ce fut le jour de Pentecôte de cette année 1727 qu'on commença à s'en servir, et ce fut les nommés David, Abraham, Joseph et Nicolas-Daniel, tous quatre, fils du sieur Abraham Meylan, gouverneur en 1726, qui en firent l'essai. Ces jeunes-gens, qui savoient chanter en quatre parties, apprirent à jouer de la trompette avec des Allemands, et en très-peu de tems, sans qu'il en coutât à la commune autre chose que les quatre trompettes, qu'elle acheta, à Berne, au mois de juillet 1727. On s'étoit servi jusqu'alors de trompettes empruntées.

Ce seroit ici le lieu de parler de la dédicace de ce temple; mais, comme il ne s'en fit point, cela me dispensera d'en faire le récit. Monsieur Bridel, pour lors ministre au Chenit, ne trouva pas qu'il fût nécessaire de faire la dédicace d'un temple situé à la place même de celui qui existoit auparavant, et où l'on avoit constamment prêché, excepté deux fois; le peuple, cependant, s'y attendoit, surtout lorsque le bâtiment fut entièrement fini. Le Conseil, qui n'ignoroit pas que le dit monsieur le pasteur n'inclinoit pas à faire cette dédicace, ne crut pas devoir la lui demander, puisqu'il lui paroissoit qu'il devoit la faire de son propre mouvement; d'ailleurs, on ne regardoit pas cette cérémonie comme absolument nécessaire.

Il arriva cependant que monsieur Agassiz, qui avoit été pasteur au Chenit, au commencement du siècle, y étant venu pour quelques affaires, fut appelé à y prêcher, le 21 novembre 1728; et, comme c'étoit un homme de grands talens, il /414/ choisit un texte relatif aux circonstances, et, en l'expliquant, il en fit l'application au nouveau temple et aux trompettes, en sorte que ce sermon fut considéré comme une très-belle dédicace; il en fut remercié par le Conseil, qui même lui fit une honnêteté à ce sujet. Le texte qu'il choisit est contenu au chapitre huitième du premier livre des Rois, verset dix-huit: « Mais l'Eternel dit à David, mon père: quant à ce que tu as eu au cœur de bâtir une maison à mon nom, tu as bien fait d'avoir eu cela au cœur. » « Vous avez bien fait, etc. »

Les galeries du côté du vent du dit temple furent faites en l'année 1733, et, en même tems, on couvrit les piliers avec des planches; le tout coûta environ sept-cents florins.

L'horloge fut faite et posée, en l'année 1737, par les frères Moïse et Isaac Golay, ce qui causa quelque changement dans la disposition du clocher: on fit des planchers au-dessus et au-dessous des cloches, qui furent réhaussées; tout cela coûta à la commune environ douze-cents florins.

Ici finissent les mémoires de feu mon père, qui étoit gouverneur, pour la troisième fois, la dite année 1737.

J'ajouterai encore deux mots concernant ce temple, pour ne pas y revenir dans la suite; après quoi, je reprendrai l'ordre des dates précédentes.

En l'année 1749, la pyramide qui portoit l'aiguille du clocher fut brisée et abattue d'un coup de vent, qui jeta tout le débris dans le champ de la cure; on fit venir un maître ferblantier, résidant à Echallens, pour la rétablir; les frais occasionnés par cette réparation coûtèrent environ quinze-cents florins.

Dès-lors, on a fait quelques autres petites réparations à ce temple, et l'on a été obligé d'augmenter le nombre des bancs, vu l'accroissement successif de la population, et il a été recouvert à neuf, en l'année 1763, pour la première fois depuis son établissement. /415/

§. 91.

Les particuliers du Chenit se trouvant fort incommodés d'être toujours obligés d'aller au Lieu pour se procurer le sel qui leur étoit nécessaire, la commune prit le parti d'envoyer à Berne un député, muni d'une requête à LL. EE. , pour qu'il leur plût d'établir au Chenit un magazin à sel, pour le soulagement et la facilité tant des habitans de cette communauté que des montagnes qui en dépendent. Ce député, qui étoit le sieur Daniel Nicole, ancien gouverneur, s'étant rendu à Berne et présenté, le 7 juillet de la dite année 1727, à l'audience du noble et magnifique seigneur Jean-Jaques Sinner, directeur des sels, il eut la bonté d'entériner tout d'un tems, et sans autre démarche, la susdite requête, en chargeant Ege. David Nicole, commis des sels au Lieu, qui se trouvoit alors à Berne, de tenir, d'ores-en-avant, au Chenit, un magasin de sel toujours ouvert, pour la commodité de cette commune, ce qui fut rédigé au pied de sa patente, et signé et scellé par le dit seigneur directeur; et, dès-lors, cet octroi a eu son effet, au contentement général.

§. 92.

Les années suivantes font une époque assez mémorable pour toute la Vallée, pour que j'en fasse mention, puisque les trois communes eurent à soutenir trois procès considérables, l'un après l'autre, à l'occasion de leurs droits de bochérage; j'en parlerai très-succinctement, vu que les procédures sont dans les archives de la commune, et que ceux qui pourroient souhaiter d'en être instruits plus à fond pourront y avoir recours.

Le premier de ces procès qui parut sur le bureau leur fut /416/ intenté par monsieur d'Aubonne, qui prétendit les exclure du droit de bochérage sur sa montagne des Plats, en vertu de l'abergement de 1543, fait à Bursins et Burtigny, sur le territoire desquels cette montagne est située, d'autant que cet abergement lui en donnoit la propriété. De leur côté, les communes de la Vallée prétendoient avoir ce droit, et même celui de pouvoir y établir des bois de réserve en leur faveur, en vertu de la réserve de François de LaSarraz, dans la vente de 1344, de la prononciation souveraine de 1664, et autres titres, de sorte qu'elles vouloient, peut-être, un peu plus qu'elles n'auroient dû.

La procédure ayant été instruite par-devant la Justice-inférieure de Romainmôtier, elle rendit, le 4 juin 1728, une sentence en faveur des dites trois communes, fondée sur ce que cet abergement ne pouvoit pas déroger au titre de 1344, qui se justifioit par la prononciation souveraine de 1664, en vertu de laquelle ces communes devoient rester dans le paisible possessoire de ces bois contestés, et dont elles avoient joui dès-lors.

La chose ayant été portée en appel, par-devant la noble Cour Baillivale du dit Romainmôtier, le 19e jour du dit mois de juin, elle confirma la dite sentence, en se fondant sur les mêmes motifs, et surtout, en ce que l'abergement en question étoit entré dans la dite prononciation souveraine de 1664.

Cependant, ces communes eurent le malheur de perdre leur cause, à Berne, par arrêt de la suprême Chambre des appellations, en date du 7 janvier 1729, et cela, dit-on, seulement pour une voix.

Le procès qui suivis fut celui que ces trois communes, de concert avec celles de la baronnie de LaSarraz, soutinrent contre monsieur de Bournens, qui leur contestoit aussi le droit de bochérage sur sa montagne des Mouilles, /417/ autrement pré d'Etoy, qui appartient, aujourd'hui, à la commune de l'Abbaie, par acquis fait il y a quelques années.

La procédure fut aussi instruite par-devant messieurs les inférieurs de Romainmôtier, où il fut condamné, par sentence du 12 décembre de la dite année 1729.

La sentence baillivale du 1er juillet 1730, fut conforme à la première, et, le 16 mars 1731, ces deux sentences furent confirmées, à Berne, par la suprême Chambre des appellations, ce qui ne rebuta pas monsieur de Bournens: il appela donc de cette sentence par-devant le Conseil souverain des deux-cent, où il fut encore méritoirement condamné, par arrêt du 13 décembre de l'année suivante, 1732, en confirmation des trois premières sentences.

Pour avoir une juste idée du troisième procès, dont il est ici question, il faut se rappeler ce que l'on a dit plus-haut, à l'occasion de la délimitation faite, l'année 1670, des mas de Pré-Rodet et des Amburnex. La commune de Bursins avoit déjà été condamnée, en l'année 1704, à se soumettre à cette délimitation, comme devant servir de limites à son territoire du côté d'orient; les particuliers de rière le Brassus y furent aussi condamnés, en 1715, et obligés, comme on l'a remarqué ailleurs, de payer le terrein qu'ils ont au-dessus de cette ligne. Il ne restoit plus que monsieur d'Aubonne, qui, pour trouver un moyen de faire monter sa montagne des Grands-Plats au-dessus de la dite ligne, s'avisa de faire couper des bois sur la montagne nommée les Trois-Chalets, ou Chalet à Roch, qui appartenoit alors à la commune de Chéserex. Cette commune, à raison du territoire qui lui avoit été assigné par le partage des Amburnex, et les trois communes de la Vallée, à cause de leurs droits de bochérage sur le dit mas, firent gager, de concert, les ouvriers qui y travailloient. Monsieur d'Aubonne prit fait et cause en main, sous prétexte que ce terrein et /418/ ces bois lui appartenoient; et, après une longue guerre de mandats entre les parties, ces quatre communes se virent obligées de le clamer en droit, pour le débouter de ce prétendu possessoire. Dès-là, il s'instruisit une procédure fort-prolixe, par-devant la noble Cour baillivale d'Aubonne, où elle fut débattue, les 19 et 20 septembre 1732, et où il fut condamné à s'en tenir à la délimitation de l'an 1670, qui devoit servir de bornes, à sa montagne, de ce côté-là, et, de plus, à la réparation du dommage causé aux communes, par la coupe de ces bois.

Cette cause ayant été portée par-devant la suprême Chambre des appellations, à Berne, y fut examinée et plaidée, les 2, 3, 5 et 6 février 1733, et il en résulta une confirmation pleinière de la sentence baillivale.

Monsieur d'Aubonne, supportant à regret sa condamnation, chercha un moyen d'en revenir: il adressa, pour cet effet, un mandat aux sus-dites communes, daté du 10 juillet dite année, par lequel il leur manifestoit qu'il étoit dans le dessein de supplier LL. EE. de lui accorder un relief des deux sentences ci-dessus indiquées, en vertu des titres nouveaux qu'il avoit recouvrés dès-lors, et les sommoit à consentir à ce qu'il fût réintroduit en cause, à défaut de quoi il les citoit à paroître, à Berne, par-devant la suprême Chambre, vers le 20 août suivant, pour lors, voir obtenir le dit relief.

Les députés des communes ayant paru au jour nommé, la cause fut plaidée en plein, de part et d'autre, et, par certaines raisons, le jugement fut renvoyé au 24 du dit mois; mais, le dit monsieur d'Aubonne ne trouva pas à propos d'attendre ce jugement: il fit faire des propositions d'accommodement à ces députés, qui ne purent les accepter; enfin, le 23 août, veille du jugement, il passa expédient, en /419/ se désistant, avec dépends, du relief qu'il étoit venu solliciter, et, par-là, la cause fut enfin terminée.

§. 93.

Ce fut dans ce tems que les trois communes de la Vallée firent un arrangement, avec celles de la Baronnie de la Sarraz, pour le droit de bochérage que ces derniers avoient dans la Vallée, en vertu de la réserve de 1344, et qu'il leur fut assigné, en place de ce droit général, un cantonnement, situé dans le territoire de l'Abbaie, au penchant occidental des montagnes de Mollendruz et de Montendroz, qui tient, en longueur, depuis proche de Petra-Felix, jusques aux Combes de Cuney, par les limites désignées dans la transaction qui en fut faite, stipulée par Ege Vallotton, Curial de Vallorbes, et haut-forêtier, pour LL. EE. , sous la date du 1er octobre de l'année 1733; ces limites embrassent encore le bois-rond, situé à l'occident du chalet des petits-prés de Bière, un peu à bise du bois de la Rolaz, dont ces communes de la Baronnie ont la moitié.

§. 94.

Quelque tems après, la ville de Morges demanda, à LL. EE. , la permission d'extirper le bois bannal de la côte de Burtigny, pour bonifier le pâturage de cette montagne; cette demande ayant été communiquée aux trois communes de la Vallée, elles s'y opposèrent, comme à une chose contraire à leurs droits de bochérage. Cependant, après bien des démarches, de la part de cette ville, LL. EE. permirent enfin, par arrêt du 21 février 1737, l'extirpation des deux tiers de ce bois, en ordonnant que le tiers qui resteroit appartiendroit, en propriété, à la dite ville, sans jamais /420/ pouvoir être extirpé. Elles accordèrent en même tems, à titre de dédommagement, aux dites trois communes, les deux tiers du produit de la vente de celui qui devoit être extirpé, et l'autre tiers à la dite ville. Elles remirent, de plus, en toute propriété, aux dites communes, le bois de la côte de Pré-Rodet, pour servir au maintien des ponts, planches et autres bâtimens publics, sans que ces communes fussent obligées d'en requérir la marque; réservé, à la ville de Morges, le droit dans ce bois, pour l'usage de la dite montagne de Pré-Rodet.

§. 95.

Le monde croissant et se multipliant de plus en plus, dans la communauté du Chenit, au point que, par un dénombrement qu'elle fit cette année 1737, elle se trouva composée de deux-cent et quarante-cinq chefs de famille, qui avoient, entr'eux tous, le nombre de près de quatre cents enfans, depuis l'âge de six ans en-dessus, elle pensa aux moyens d'établir une cinquième école, pour que la jeunesse pût mieux être à portée de recevoir une bonne instruction, ce qu'elle reconnoissent, de plus en plus, comme un article très-essentiel à la société, et aussi pour que les régens, qui ne pouvoient plus y suffire, fussent un peu déchargés; mais, comme elle n'avoit pas encore des revenus suffisans pour payer ces régens sans le concours des particuliers, qui étoient obligés d'y suppléer, chacun a proportion de ses facultés, suivant les rôles que le Conseil dressoit à ce sujet, et qu'elle auroit plutôt voulu les décharger de cette paie, que de l'augmenter, elle prit le parti d'envoyer à Berne le sieur Daniel Nicole, juge, qui étoit gouverneur cette année-là, aux fins d'obtenir, de LL. EE. , la permission d'établir cette cinquième école, en les suppliant de donner /421/ quelque signe de leur charité, en faveur de ce nouvel établissement.

Ce député, étant allé à Berne, au mois de février de l'année suivante 1738, obtint, de la bonté de LL. EE. , la susdite permission, et, de plus, la somme de quinze-cents florins, par un gracieux octroi, de leur part, en date du 12 du dit mois, aux conditions que le revenu annuel de cette somme seroit employé à suppléer à la paie des dits régens. Le conseil dressa ensuite un règlement, tant sur la manière dont ces régens devroient s'acquitter de leur emploi que sur celle dont ils seroient payés, après avoir fixé le salaire de chacun d'eux. Tout cela fut approuvé par le magnifique seigneur Baillif de Romainmôtier, le 17 mars suivant.

Dès-lors, la dite commune, à mesure que ses facultés ont augmenté, a déchargé en entier les particuliers de la paie de ces régens, et a aussi augmenté de quelque peu leur salaire, qui se trouve encore fort-modique, aujourd'hui, par le changement des circonstances. Cette commune a aussi déchargé, peu-à-peu, les dits particuliers de certaines tailles, auxquelles ils étoient astreints, par exemple: de la garde journalière au Sentier, qui se faisoit à tour de rôle, du bois pour le chauffage de la cure, qui étoit fourni et voituré par les particuliers …

§. 96.

A mesure que le monde avoit augmenté dans cette commune, les arts s'y étoient aussi multipliés, et, déjà dans ce tems, la profession de lapidaire étoit répandue dans toute la commune. Cela occasionna, à-peu-près dans toutes les maisons, un changement général, surtout par rapport aux fenêtres, que l'on faisoit, avant cela, extrêmement petites, et qui, par-là, ne pouvoient pas donner assez de jour pour /422/ travailler de cette profession; cela apprit aussi à établir des fourneaux, ou poêles, pour chauffer les chambres, en tems d'hiver, usage qui n'étoit pas encore connu au commencement du siècle.

C'est aussi environ ce tems qu'il commença à s'établir des marchands, qui achetoient ces ouvrages, et les vendoient à Genève, d'où ils rapportèrent, peu-à-peu, en échange, plusieurs choses dont on s'étoit passé jusqu'alors, et qui avoient leur utilité, jusqu'à un certain point, et qui procurèrent, de plus en plus, à ce petit coin de pays, de nouvelles commodités. Il faut cependant avouer que, parmi ces nouveautés, il s'en est trouvé quelques-unes de simple curiosité, qui n'ont servi qu'à fournir des alimens au luxe, qui commença aussi à s'y introduire, et qui y a fait plus de progrès qu'il n'auroit été à désirer.

Ces commencemens de commerce apprirent à connoître l'utilité qui se trouve de faire entrer dans un endroit l'argent de l'étranger; plusieurs personnes apprirent, par-là, à tirer un meilleur parti des pâturages; quelques-uns se mirent à amodier des montagnes, qui, dans les tems précédens, étoient toutes tenues par des étrangers, qu'ils éloignèrent peu-à-peu, attirant ainsi chez eux le bénéfice de ces amodiations. Il s'établit aussi des marchands pour acheter les fromages, tant pour les revendre dans le païs que pour les envoyer à Lyon, en profilant des privilèges que les Suisses ont dans cette ville, à ce sujet.

Les choses prenant ainsi, tous les jours, une face plus nouvelle, on ne doit plus s'étonner si, aujourd'hui, ce quartier de païs se trouve si différent de ce qu'il étoit jadis; il ne faut pourtant pas s'imaginer, comme quelques-uns le pensent, que tous ces changemens n'ont fait que du mal dans cette communauté: je crois, au contraire, avoir raison de dire qu'ils y ont été avantageux, du moins pour le plus /423/ grand nombre, et qu'on ne doit regretter que ceux qui y sont arrivés par une suite de la fréquentation des étrangers, et qui s'y sont introduits à leur imitation, en tant qu'ils peuvent causer préjudice à la probité et à l'esprit de liberté naturelle. Je souhaiterois, par exemple, que l'on eût retenu cette simplicité de mœurs, cette candeur, cette naïveté, et cette franchise, dont la dissimulation, la subtilité, la flatterie, et une fausse politique ont pris la place chez un grand nombre.

§. 97.

Peu de tems après, la profession de l'horlogerie en petit prit naissance dans la communauté du Chenit, et, comme elle a beaucoup contribué à y fortifier ces commencemens de commerce dont on vient de parler, j'ai cru qu'il ne seroit pas hors de place de faire ici un détail du commencement et des progrès de cette profession, dans l'espérance que le lecteur voudra bien me pardonner cette digression, qui m'obligera à suspendre pour quelque tems la suite de mon récit.

On dit que cette profession étoit encore ignorée dans le Païs-de-Vaud au commencement de notre siècle, et l'on prétend qu'elle y fut introduite par un Français, qui vint s'établir à Nyon, et qui y fit quelques élèves; dès-là, elle se répandit peu-à-peu dans quelques-unes des autres villes du païs et particulièrement dans celles de Rolle et de Moudon.

Les horlogers de ces villes, étant parvenus à un certain nombre, s'adressèrent à LL. EE. , en l'année 1723, et les supplièrent de leur accorder une maîtrise, contenant divers articles, pour servir de règles tant aux maîtres qu'aux apprentifs, « afin que, par ce moyen, ils pussent parvenir à une meilleure débite de leur marchandise, et procurer un avantage au païs, et à eux en particulier … »

/424/ Sur cela, LL. EE. leur accordèrent leur demande, en donnant leur approbation à cette maîtrise, d'intention qu'elle serviroit de règle pour le Païs-de-Vaud, et qu'il s'établit des corps de maîtrise dans chaque bailliage où il y auroit le nombre de huit maîtres horlogers.

La plupart des articles de ce règlement étoient assez onéreux, particulièrement ceux qui concernoient l'apprentissage, qui devoit être de cinq années, après lesquelles il falloit travailler trois années en qualité de compagnon, avant que de pouvoir obtenir une lettre de maître; outre cela, on ne pouvoit jouir de ce privilège qu'après que la maîtrise auroit examiné et approuvé le chef-d'œuvre qui devoit lui être présenté au bout de ces huit années de travail.

Toutes ces difficultés, jointes aux frais qui en résultoient, et à une finance considérable qu'exigeoient alors les maîtres qui étoient disposés à se charger d'apprentifs, n'étoient pas propres à encourager les jeunes-gens à se vouer à cette profession: les uns pouvoient se rebuter par la longueur du terme de ces apprentissages, et les autres par défaut de facultés. Ce dernier cas, qui n'est que trop général dans toute la Vallée, paroissoit un obstacle assez-invincible pour pouvoir se persuader que cette profession pût s'y introduire un jour; aussi, il s'écoula une assez-longue suite d'années, sans que personne se mit en devoir de s'y vouer. Enfin, en l'année 1740, il se trouva un jeune-homme, nommé Samuel-Olivier Meylan, du Chenit, qui, ayant franchi ces difficultés, entra en apprentissage à Rolle. Deux ans après, un autre jeune-homme, à l'imitation de ce premier, alla apprendre cette profession dans le comté de Neuchâtel, et un troisième l'apprit aux environs de Genève.

Ce premier horloger, ayant fait son apprentissage, voulut s'établir chez lui, pour y travailler, mais la maîtrise de Rolle lui forma bientôt action, pour l'obliger à renvoyer un /425/ apprentif dont il s'étoit chargé, puisqu'il ne lui étoit pas permis de s'ériger sur le pied de maître sans avoir satisfait à ce qu'exigeoient les lois de la maîtrise. Il s'y refusa d'abord, et prit la résolution de se défendre, ce qu'il fit pendant quelque tems, au bout duquel il aima mieux s'expatrier que de souscrire ce que la maîtrise exigeoit de lui. Il quitta donc le Chenit, pour aller s'établir dans le comté de Neufchâtel, où il emmena son apprentif; après y avoir fait quelque séjour, il alla se présenter par-devant la maîtrise de Moudon, pour y faire son chef-d'œuvre; à quoi ayant réussi, il obtint sa lettre de maître; dès-là, il vint s'établir chez lui, pour la seconde fois, sur la fin de l'année 1748. A son arrivée, il pensa d'abord aux moyens de se soustraire à la domination de la maîtrise de Rolle. Il communiqua son dessein à son apprentif et à un de ces premiers ouvriers dont j'ai parlé ci-dessus, qui désiroit de s'établir au Brassus; ils prirent la résolution de travailler de concert et à communs frais, pour venir à bout de cette entreprise. Pour cet effet, ils adressèrent à LL. EE. , au mois de janvier de l'année suivante, une très-humble requête, aux fins d'être libérés, pour un tems, des règles des maîtrises du Païs-de-Vaud. Cette requête contenoit des motifs très-pressans, qui furent écoutés favorablement de LL. EE.: elles leur accordèrent, par un grâcieux octroi, daté du 5 février 1749, la permission de travailler de cette profession jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus au nombre de huit experts maîtres; elles les libéraient de toute maîtrise et règlement, « pour aussi longtemps que LL. EE. le trouveront à propos, et que l'on ne leur donnera pas lieu d'y apporter du changement … » Après avoir obtenu cette concession, ces horlogers s'arrangèrent entr'eux, pour les frais qui en résultoient; ils dressèrent ensuite un projet de règlement, pour maintenir une bonne harmonie ensemble, et pour empêcher que cette liberté, /426/ qui venoit de leur être accordée, dégénérât en abus. Pour cet effet, ils formèrent une société, dans laquelle seroient introduits, dans la suite, tous ceux qui voudroient profiter du bénéfice de cette concession, en payant leur portion compétente des frais qu'elle avoit occasionnés, jusqu'à ce que les premiers fussent un peu dédommagés, après quoi, cette société formeroit un fonds commun, destiné à fournir aux frais ultérieurs qu'elle pourroit être obligée de supporter à l'avenir. Ils résolurent, enfin, d'avoir un registre, et d'y insérer ce qui leur paroîtroit nécessaire.

Dès-lors, ces premiers maîtres commencèrent successivement à prendre des apprentis, et, quelque tems après, la maîtrise de Rolle leur ayant demandé raison, ils leur répondirent qu'ils en agissoient ainsi en vertu de l'octroi qu'il avoit plu à LL. EE. de leur accorder.

Cette réponse ne satisfit pas entièrement cette maîtrise; elle leur adressa ensuite un mandat baillival, qui ordonnoit à ces horlogers de lui remettre une copie vidimée de cet octroi, ce qu'ils exécutèrent, au mois de janvier de l'année 1751, crainte de s'attirer des difficultés.

Cette seconde démarche de la maîtrise de Rolle donna de la défiance à ces horlogers: ils en conclurent qu'elle avoit en vue de les assujettir de nouveau, en cherchant quelque prétexte pour faire révoquer cet octroi. Cette idée les engagea, de plus en plus, à être sur leurs gardes, pour ne laisser introduire parmi eux aucun abus, et, pour mieux y parvenir, ils prirent la résolution de mettre de côté le premier règlement qu'ils avoient, et d'en dresser un nouveau, qui fût rélatif à celui des maîtrises du Pays-de-Vaud, excepté pour le terme des apprentissages, qui ne seroient que de trois années. Ce règlement, étant dressé, fut présenté, le 31 juillet 1751, au magnifique seigneur baillif de Romainmôtier, qui l'autorisa de son sceau.

/427/ L'année suivante, toutes les maîtrises du Pays-de-Vaud adressèrent de concert, à LL. EE. , une représentation, en forme de requête, dans laquelle elles exposoient fort-an long plusieurs motifs, pour faire connoître l'avantage qui résulteroit pour le pays d'en établir dans les endroits où il n'y en avoit pas, et où il y avoit le nombre suffisant d'horlogers pour en former; ces messieurs disoient: « qu'il étoit bien-fâcheux pour eux d'être soumis à des règles gênantes, pendant que leurs voisins de la Vallée-du-Lac-de-Joux, soit bailliage de Romainmôtier, celui d'Yverdon, et d'autres lieux, qu'ils nommoient, étoient dans une entière liberté; que, n'y ayant aucune règle dans tous ces endroits, il ne pourroit que d'en résulter de grands abus, qui tendroient nécessairement à la ruine de cette profession, quelles précautions que pussent prendre les maîtrises, dans leurs ressorts, ce qui rempliroit le pays d'ouvriers peu-formés, et en décréditeroit totalement les ouvrages; que ce n'étoit que depuis l'établissement des maîtrises que cette profession avoit fleuri, etc. » LL. EE. trouvèrent bon d'envoyer, aux horlogers du Chenit, une copie de la sus-dite représentation, à laquelle étoit joint un mandement amiable, qui leur ordonnoit de leur faire parvenir un mémoire contenant les raisons et les réflexions qu'ils auroient à exposer sur le contenu de cette requête.

La société des horlogers, s'étant, en conséquence, assemblée, le 13 juillet 1752, résolut, d'un commun accord, de répondre:

« Que, ensuite du gracieux octroi qu'il avoit plu à LL. EE. de leur accorder, en 1749, ils s'étoient, dès-lors, et les maîtres, et les apprentis, attachés avec assiduité à cette profession, ensorte qu'ils étoient déjà parvenus au nombre de onze maîtres, et que, pour empêcher qu'il se glissât parmi eux quelque abus, ils avoient dressé un règlement, /428/ approuvé du magnifique seigneur baillif; qu'ils reconnoissoient que, s'il y avoit des maîtrises dans tout le pays, il en résulteroit un grand avantage; que, même, ils avoient déjà pensé d'en demander une, en vue de faire fleurir cette profession dans leur vallon; que, au surplus, ils s'en remettoient à ce qu'il plairoit à LL. EE. d'ordonner à ce sujet. »

Ils envoyèrent la réponse dont je viens de rapporter la substance avec une copie de leur règlement, en vue de faire connoître qu'ils ne cherchoient pas à introduire des abus, comme ils en étoient accusés indirectement dans la représentation dont on a parlé, et, en attendant le résultat de cette affaire, cette société continua à suivre son règlement et à s'augmenter peu-à-peu, par l'introduction de quelques nouveaux maîtres.

Les choses ayant resté dans cet état jusqu'au mois de septembre de l'année 1755, la société étant alors assemblée, il y fut mis en délibération que, n'y ayant eu aucun ordre de LL. EE. , à l'occasion de la requête des maîtrises du païs et de la réponse qu'on y avait faite, il pourroit arriver que ces maîtrises retourneroient à la charge, et, suivant l'octroi de l'an 1749, pourroient obliger la société à former une maîtrise entièrement conforme aux leurs …; qu'il importoit, pour le bien général de la Vallée, de ne pas assujettir à des règles trop-pénibles les jeunes-gens qui voudroient se vouer à cette profession, d'autant que leur situation étoit bien différente de celle des habitans de la plaine.

Toutes ces raisons, et d'autres, engagèrent la société à décider que l'on dresserait une maîtrise particulière pour la Vallée, dont les articles seroient beaucoup-moins-onéreux que ceux des maîtrises du païs, principalement pour le terme des apprentissages et compagnonnages, et qu'on en demanderoit au plus tôt l'approbation.

/429/ Cette résolution fut exécutée, au mois de novembre sécutif, par l'envoi d'un député, qui, ayant présenté à LL. EE. le règlement de cette nouvelle maîtrise, fut renvoyé à paraître par-devant l'illustre Conseil de commerce, pour en faire l'examen. La chose ayant été mise en commission, et celle-ci ayant fait quelques changemens et augmentations à ce règlement, et considéré que, s'il étoit approuvé, il convenoit d'y assujettir les villages limitrophes de la Vallée, puisque LL. EE. , en accordant une faveur à ces habitans des montagnes, verroient avec plaisir que leurs voisins, situés à-peu-près de même, pussent en profiter; c'est-pourquoi, ils trouvèrent bon de mettre dans la dépendance de cette maîtrise, non-seulement les trois communautés de la Vallée, mais aussi celles de Vallorbes, Vaulion, Juriens et Lapraz. Ils donnèrent ensuite congé au député, en lui disant que, dès que cette affaire auroit passé, le tout seroit envoyé au seigneur baillif de Romainmôtier, pour le faire parvenir aux horlogers. Ils furent longtems en suspends sur le succès qu'ils en attendoient, d'autant que ce règlement de maîtrise ne leur parvint qu'au mois de septembre de l'année 1756, quoiqu'il eût déjà été approuvé le 10 mars précédent.

Ces horlogers, ayant reçu leur règlement, s'assemblèrent pour l'examiner et pour en régler les frais, au payement desquels ils employèrent le petit fonds qu'ils avaient déjà commencé; ils prirent aussi les mesures nécessaires pour le faire exécuter. Tout cela fortifia encore leur zèle pour l'avancement de cette profession, qui continua à se répandre, de plus-en-plus, dans la commune du Chenit, et commença, dès-lors, à pénétrer dans celles du Lieu et de l'Abbaye.

Nonobstant la bonne intention de ces horlogers, dans l'obtention de cette maîtrise, et l'équité des motifs qui les avoient engagés à la demander, leur démarche fut envisagée, par la plûpart des communes intéressées, sur un tout autre /430/ point de vue: celles du Lieu, de l'Abbaye et de Vallorbes, entr'autres, s'associèrent pour lever l'étendart contre la tyrannie, et pour faire repentir les horlogers du Chenit de la hardiesse qu'ils avoient eue de tromper LL. EE. , en empruntant les noms de diverses communautés, sans leur aveu et même à leur insçu, et cela dans la vue de dominer sur elles; mais le seigneur baillif, mieux instruit sur cette question que ces communautés, ne daigna pas seulement écouter ces représentations, ni accorder son sceau à la requête que ces communes se proposoient d'adresser à LL. EE. , sur cet objet; ainsi, toutes ces menaces ne produisirent pas beaucoup d'effet, et ces horlogers, étant tranquilles à cet égard, ne songèrent plus qu'à faire fleurir leur profession, en donnant tous leurs soins pour que tous les articles de leur nouveau règlement de maîtrise fussent observés avec la plus scrupuleuse exactitude.

Au bout de quelques années, l'expérience apprit à ces horlogers combien cette maîtrise avoit apporté d'utilité dans la Vallée; ils remarquoient avec plaisir que, depuis son établissement, les jeunes-gens qui s'étoient voués à cet art avoient fait paroître beaucoup d'émulation pour s'y perfectionner, afin de produire des chefs-d'œuvre qui leur fissent honneur, et que, en général, les ouvrages qui se fabriquoient dans la Vallée acquéroient, de jour en jour, plus de réputation dans l'étranger, et particulièrement à Genève, où il s'en faisoit le plus-grand débit.

Mais, si, d'un côté, ces horlogers eurent cette satisfaction, de l'autre, ils eurent le déplaisir de voir que cette profession commençoit à se répandre dans différens endroits du païs, où l'on ne suivoit d'autre règle que celle de l'intérêt particulier de quelques maîtres, qui prenoient, pour un petit terme, autant d'apprentifs qu'ils pouvoient en trouver, dont ils recevoient beaucoup d'argent, ce qui /431/ commençoit à former, dans ces endroits, une pépinière de mauvais ouvriers, qui s'érigeroient en maîtres à leur tour, pendant qu'ils n'auroient qu'une légère teinture de cette profession, d'où ils prévoyoient que, tôt ou tard, il n'en pourroit résulter qu'un grand préjudice. Ils auroient fort souhaité de pouvoir remédier à tous ces abus, mais la chose n'étoit pas en leur pouvoir. Cependant, après avoir réfléchi sur tout cela, ils prirent, en l'année 1769, le parti d'en écrire aux autres maîtrises, en leur proposant de se joindre à eux pour solliciter une maîtrise générale pour tout le païs, dont les règles fussent émanées de LL. EE. , comme une loi d'Etat, ainsi que cela a lieu, en Angleterre, pour toutes les professions. Ces maîtrises entrèrent tout-de-suite dans cette idée, mais, lorsqu'il fut question d'y travailler, elles se rebutèrent, soit par la difficulté de l'entreprise, soit par la crainte des frais qu'il auroit été nécessaire de supporter pour se consulter ensemble, et pour compiler ces règles.

Les années suivantes, la maîtrise eut encore d'autres désagrémens; elle se vit obligée de soutenir des difficultés avec deux horlogers de Vallorbes, qui s'établirent chez eux sans vouloir suivre d'autres règles que celles de leur caprice. La maîtrise commença par les sommer amicalement de se conformer aux règles, mais, s'y étant refusés, la chose fut portée par-devant le magnifique seigneur Baillif de Romainmôtier, qui les condamna à souscrire à ce que la maîtrise exigeoit d'eux; néanmoins, ils continuèrent à vivre dans l'indépendance, ce qui donna lieu à une seconde comparoissance par-devant le dit seigneur Baillif, où il furent de rechef condamnés.

La commune de Vallorbes prit, là-dessus, fait et cause en main, tout en se promettant de faire connoître à cette maîtrise qu'elle n'avoit rien à commander chez elle; cependant, elle fut encore condamnée, et éconduite de /432/ l'appel qu'elle avoit voulu interjeter sur cette sentence. Malgré tout cela, ces altercations ne furent rien moins qu'avantageuses à la maîtrise, qui supporta bien des dépenses, à ces divers égards, en particulier vis-à-vis d'un de ces horlogers qui, par sa mauvaise conduite, s'étoit mis hors d'état de rembourser les frais qu'il avoit occasionnés et qui furent perdus pour la maîtrise.

Sur ces entrefaites, les horlogers de la Vallée apprirent que la ville de Lausanne avoit obtenu, de LL. EE. , une dispense de suivre les règlemens de la maîtrise de son Bailliage, privilège, si l'on peut le nommer tel, qu'avoit déjà obtenu, quelque tems auparavant, la ville de Morges, et que celle de Rolle sollicitoit actuellement. Toutes ces circonstances, réunies, donnèrent, aux dits horlogers de la Vallée, matière à beaucoup de réflexions, qui aboutirent à mettre en question si eux ne devroient pas en agir aussi de même? Cette proposition ayant passé, à une grande majorité de voix, dans une de leurs assemblées, ils prirent, en conséquence, les mesures pour demander aussi l'abolition de leur maîtrise, qui leur fut accordée par arrêt de LL. EE. du 6 mars 1776, ce qui mit fin à un établissement qu'ils avoient cru, jusqu'alors, fort-avantageux.

Il est bien tems aussi que je finisse, pour reprendre le fil de mon premier récit, celui-ci se trouvant déjà plus long que je ne l'avois présumé d'abord.

§. 98.

La commune du Chenit acquit, du sieur David Meylan, du Campoz, par acte du 30 juin 1741, la montagne de derrière la grande-Roche, qui porte, encore aujourd'hui, le nom du vendeur, pour le prix capital de dix-sept-mille florins, et huit-cents et cinquante florins pour les vins et épingles.

/433/ L'année suivante, cette commune acquit encore, du sieur Louis-Nicolas Meylan, du Sentier, justicier de Romainmôtier, pour la Vallée, le droit du logis de l'ours, pour le prix capital de trois-mille et sept-cents florins, et quinze florins de vins honoraires, outre les vins bus. L'acte de cette acquisition est daté du 11 août 1742.

Cet acquis fut approuvé, sans payer aucun laud, par le magnifique seigneur baillif de Romainmôtier, par rescript sous son sceau, daté du 27 avril 1743. Dès-là, ce droit de vendre vin fut transféré et annexé à la maison de commune, après qu'on y eut fait diverses réparations.

§. 99.

Un fait, qui arriva au mois de mai de la dite année 1745, dont j'ai été témoin et qui m'a paru digne de tenir place dans ce recueil, fut occasionné par un ordre de LL. EE. , qui portoit que « toute la milice de la Vallée devait se rendre au Lieu, pour y passer une revue générale en présence des magnifiques seigneurs de Tavel, haut-commandant du Païs-de-Vaud, et de l'ancien chancelier Rodt, seigneur baillif de Romainmôtier. » L'usage d'alors consistait, pour l'ordinaire, à faire une simple revue dans chaque communauté, et ces revues générales, qui n'avoient lieu que fort-rarement, étoient envisagées sous une face bien-différente de ce qu'elles le sont aujourd'hui, soit à cause de la nouveauté, soit, peut-être, à cause du zèle que chacun avoit pour l'exercice des armes, qui est fort-rallenti chez quelques-uns.

Il y avoit alors, au Chenit, un vieillard, nommé Claude Rochat, originaire de la communauté du Lieu, âgé de cent et un ans, qui, ayant entendu parler de cette revue, voulut en avoir sa part: il descendit, pour cet effet, au Lieu, au jour nommé, et se plaça devant le bataillon, l'épée au côté /434/ et la hallebarde en main. Une taille haute, bien-proportionnée, des cheveux blancs, fort-épais, un visage uni, haut en couleur, relevé par une longue moustache, et très-bien fournie, donnoient, à cet homme vénérable, un air qui le fit admirer de tous les spectateurs.

Il fit voir à ces seigneurs son extrait baptistaire, qui démontroit qu'il avoit été baptisé le 28 avril de l'année 1642. Il mourut, le 27 novembre 1751, âgé de cent-neuf ans et sept mois, sans avoir eu d'autres infirmités qu'une faiblesse de jambes, qui lui survint les dernières années de sa vie, qui ne lui permettoit plus de pouvoir marcher.

§. 100.

Pour pouvoir mieux comprendre la narration qui va suivre, et tout ce qui y a du rapport, il faut se rappeler du tems où les Bourguignons anticipoient, à force ouverte, sur les bois de la Vallée, et des moyens qui furent employés, les années 1632 et suivantes, pour les en empêcher … Dès-lors, il s'écoula, à peu près, un siècle, pendant lequel ils se trouvèrent dans le cas de ne pouvoir y entrer que furtivement.

Ces Bourguignons, las d'une contrainte qui les exposoit souvent à des amendes, trouvèrent enfin le secret de s'y introduire ouvertement: ils avoient eu l'adresse de s'insinuer auprès des seigneurs baillifs de Romainmôtier, en offrant de faire les ouvrages, pour le compte de LL. EE. , à un prix beaucoup-plus-bas que les gens de la Vallée ne les avoient faits jusqu'alors, pourvu qu'on leur donnât le bois nécessaire à la fabrique; et, pour faciliter le paiement de la main-d'œuvre et des voitures, ils voulurent bien encore se contenter d'être payés avec du bois. L'appât de ces marchés, qui parurent favorables, et qui n'auroient pu être /435/ acceptés, par les gens de la Vallée, sans s'exposer à travailler à pure perte, introduisit ces Bourguignons dans la forêt du Risou. Dès qu'ils y eurent mis les pieds, ils cherchèrent à s'y affermir; ils se familiarisèrent peu-à-peu avec les particuliers de la Vallée; ils commencèrent à y apporter vendre quelques graines, et autres denrées, provenantes de leur pays; ils en vinrent ensuite à échanger ces denrées, à des particuliers, contre des plantes, qu'on leur donnoit, ou à les leur payer en argent, à un prix qu'ils n'auroient pu retirer en les fabricant eux-mêmes. Ils suivirent la même marche auprès de quelques seigneurs du Pays-de-Vaud, qui obtenoient des plantes dans cette forêt, et les donnoient, à des Bourguignons, en échange des marchandises qu'ils leur fournissoient.

Par toutes ces manœuvres, ces Bourguignons parvinrent à leur but, et ils trouvèrent si-bien leur compte de leur entrée dans cette forêt, où ils se dédommageoient amplement, par les bois qu'ils en enlevoient, outre les plantes qui leur étoient marquées, et dont ils faisoient un grand commerce en France et à Genève, qu'ils cherchèrent encore, dans ce tems, à s'impatroniser dans les bois de rière le bailliage d'Aubonne, en se servant des mêmes moyens qu'ils avoient employés, une quinzaine d'années auparavant, à l'égard de ceux du Risou, et ils n'y réussirent que trop.

Les communautés de la Vallée ne furent pas long-tems à reconnoître les dangereuses conséquences qui résulteroient, dans la suite, de cette introduction des Bourguignons dans leurs bois: elles firent, à ce sujet, diverses représentations, qu'elles redoublèrent dès que ces Bourguignons eurent eu accès dans ceux du bailliage d'Aubonne.

De ces représentations réitérées, il résulta un arrêt, qui fut rendu, par LL. EE. , le 22 juin 1744, en explication des anciennes ordonnances. Cet arrêt contient plusieurs /436/ articles, tous relatifs à l'économie et à la conservation des bois; il défend, entr'autres, très-expressément « d'accorder aucun bois aux Bourguignons, afin d'éviter les dommages qu'ils font, dans les bois, à la faveur de telles concessions, et aussi de leur céder, ou remettre, aucune plante, sous quel prétexte que ce soit, vu les abus qui sont arrivés ci-devant. »

Il défend de même les cernemens, comme aussi à tous autres particuliers, sous l'amende de cinquante florins, ou même arbitraire, suivant le cas. — Il défend encore tout décombrement, excepté dans les prés, qu'on ne doit point étendre, ni augmenter, « vu que ce qui est pré doit demeurer pré, et ce qui est bois doit demeurer bois … » Il donne droit, aux communes, d'accorder des bois à leurs particuliers, pour en faire des marchandises en fustailles, etc. , comme aussi de marquer les ordons aux charbonniers, qui devront laisser sur pied les plantes de demi-pied de diamètre, et en-dessous, pour les laisser croître, afin qu'elles servent dans leur tems. Il donne de plus, aux communautés, le droit d'établir des forestiers, pour la garde de ces bois, et d'y faire, toutes les années, des visites, par des commis de leur part, et, s'il s'y trouve des abus, elles en donneront connoissance au seigneur baillif, qui devra faire procéder, par son fiscal, « en conformité des ordonnances souveraines. »

Le seigneur baillif a aussi le droit d'empêcher les abus que les communes pourroient y faire elles-mêmes, en accordant trop de bois; à quel effet, elles sont tenues de lui donner, toutes les années, sans aucun frais, une liste du nombre des plantes qu'elles ont accordées, s'entend dans les bois de réserve, pour voir si elles n'en mésusent point.

Ce règlement, de l'année 1744, contient encore quelques autres articles, et il a été, dès-lors, reconfirmé plus d'une /437/ fois, à la sollicitation des communes, particulièrement pour ce qui concerne l'expulsion des Bourguignons, qui, sous divers prétextes, y ont été réintroduits, principalement dans la partie qui se trouve renfermée dans le bailliage d'Aubonne.

§. 101.

Monsieur Charles-Louis Agassiz, fils de spectable Christophe Agassiz, dont on a parlé ailleurs, fut établi pasteur au Chenit. Il se présenta le dimanche avant la Pentecôte de l'année 1747, au moyen d'un discours qu'il prononça lui-même avant que de monter en chaire; il succéda à monsieur Philippe Bridel, qui avoit desservi cette église pendant l'espace d'environ vingt-huit ans.

C'est dans ce tems-là que le progrès du commerce dans la communauté du Chenit, suite des arts et des professions qui s'y répandoient et perfectionnoient de plus en plus, se trouvoit déjà beaucoup gêné par la difficulté des correspondances. Cela fit naître l'idée, à quelques particuliers, de trouver un moyen d'établir, dans cette communauté, un messager, pour porter deux fois par semaine les lettres à Romainmôtier et rapporter celles qui venoient du dehors, qui souvent étoient retardées fort-longtems. Ces particuliers s'adressèrent, en l'année 1748, à messieurs Fischer, directeurs des postes à Berne, pour demander cet établissement, offrant de contribuer, par souscription, au payement du salaire de ce messager. Ces messieurs, ayant goûté ces propositions, trouvèrent bon de faire un essai, pendant trois années, pour connoître si le montant des ports de lettres de la Vallée, qui seroient fixés à demi-batz, seroient suffisans, sans l'aide de ces contributions, pour le payement de ce messager, dans quel cas ils se chargeroient eux-mêmes de /438/ l'établir, pour la suite; c'est ce qui eut lieu, au bout de ces trois années.

§. 102.

L'année suivante, la commune du Chenit acquit, par acte du 13 octobre, une pièce de montagne appelée pré-derrière et Risou, joignant: du côté d'orient, la montagne que cette communauté avoit acquise en 1716; la montagne nommée alors Mezery, de bise; « et tant que droit de souveraineté s'entend, d'occident et vent, » pour le prix capital de quatre-mille et cent-cinquante florins, et deux-cent et dix-neuf florins, six sols, pour vins et épingles.

L'acquisition de cette montagne, enclavée dans la forêt du Risou, devint très-funeste à la commune, puisque, ayant voulu la faire décombrer, les années suivantes, quoique par permission du magnifique seigneur baillif de Romainmôtier, et sous les marques du Haut-forestier et de son subalterne, ces derniers y ayant laissé quelques abus, qui, étant relevés et amplifiés par certaines personnes, peut-être un peu trop-passionnées, tout cela porta les communautés du Lieu et de l'Abbaie à former des plaintes à LL. EE. à ce sujet, et même à leur demander une vision, laquelle s'exécuta, en l'année 1754, par des seigneurs de l'Etat, ce qui donna occasion au procès qui eut lieu, dans la suite, entre l'illustre Chambre des bois et les communautés du Chenit et du Lieu. Mais, avant que de parler de ce procès, j'ai cru devoir dire un mot de deux événemens assez-remarquables.

§. 103.

En l'année 1751, à la suite de grandes pluies, jointes à /439/ la fonte des neiges, le lac monta à une hauteur où les plus anciens ne se souvenoient pas de l'avoir vu: il reposoit tout-proche du pont des moulins du Sentier, il enleva le grand-pont d'entre les deux lacs, qui étoit construit avec de longues pièces de bois, à la façon de ceux qui sont établis sur la rivière de l'Orbe, surpassa la digue des moulins de Bon-Port, qui furent submergés, entra dans la dernière maison du Chenit, au Rocherais, que le propriétaire fut obligé d'abandonner, ainsi que dans quelques-unes des Charbonnières et du Pont; en un mot, il causa de grands dommages dans tous ses environs.

Quelque-tems après, on vit l'extrémité opposée, puisque, en l'année 1755, les eaux de ce lac baissèrent si-fort que les deux lacs furent séparés l'un de l'autre, et que l'on passait à pied sec sous ce même pont que ces eaux avoient emporté, quatre années auparavant. Par ce grand abaissement du lac, sa surface devint d'environ quatre pieds plus-basse que le fond des arches qui conduisoient l'eau sur les rouages des moulins de Bon-Port, dont les entonnoirs furent long-tems à sec. On déblaya un de ces entonnoirs, qui forme, dans le roc, un creux large et profond, ressemblant, pour la figure, à la trémie d'un moulin. Je fus du nombre des curieux qui s'y transportèrent, pour le voir; j'y remarquai simplement des fentes, répandues çà-et-là, et de tous les côtés, par où l'eau s'écoule, en filtrant à travers; j'y observai aussi, à peu-près dans le milieu de l'un de ses côtés, un trou, de la grosseur d'environ une fuste, dans lequel on avoir trouvé, en creusant, les débris d'une échelle, parmi le limon, dont il étoit rempli. Ce trou, qui est perpendiculaire, peut avoir sept à huit pieds de profondeur; quelques-uns de ma compagnie, y étant descendus, n'y virent que des fentes, semblables à celles que l'on remarquoit ailleurs. Ne seroit-ce point ici ce gros trou rond dans lequel Ypolite /440/ Rigaud avoit fait mettre le plot et l'enclume dont on a parlé plus-haut? (Voyez la date de 1571). Cela, du moins, est assez-vraisemblable, d'autant que cette enclume pouvoit être d'usage aux forges qu'il y avoit alors. Ce ne seroit donc point l'entonnoir dont la tradition fait mention, puisque celui-ci auroit été rouvert, comme il devoit l'être, selon l'ordre donné à ce sujet.

Les communautés du Lieu et du Chenit, chargées, comme on l'a vu, de l'entretien du pont dont on a parlé, profitèrent, avec beaucoup d'activité, de cette circonstance favorable, pour le rétablir. Elles prirent le parti d'y faire construire un pont de bois de chêne, et, pour le rendre plus-solide, elles r'avancèrent, d'environ quarante pieds, les deux chaussées qui portoient celui qu'il y avoit précédemment, après avoir fait des pilotis dans ce r'avancement, avec des piquets de douze à treize pieds de longueur, sur lesquels fut mis un grillage, de longues pièces de bois, pour y poser la pierre de taille qu'on y voit aujourd'hui. Cet ouvrage fut fort-couteux à ces deux communes, indépendamment de la somme de trois-mille florins, dont LL. EE. eurent la bonté de les gratifier, pour les aider à ce rétablissement.

§. 104.

Je reviens au procès indiqué ci-dessus, connu aujourd'hui sous le nom du grand-procès. Il fut ouvert par monsieur l'avocat Freymond, de Lausanne, ainsi que préposé de l'illustre et haute Chambre des bois et forêts de la Ville et République de Berne. Cet avocat avoit ajourné la Communauté du Chenit à paroître, par-devant la noble Cour Baillivale de Romainmôtier, sur le neuvième jour du mois de juillet 1757, pour entendre le contenu de la demande qu'il formeroit contr'elle.

/441/ Cette demande portoit, en substance: que la forêt du Risou, sise, disoit-il, entre la Vallée-du-Lac-de-Joux et la Franche-Comté, ne faisoit point partie de cette Vallée; que cette forêt n'étoit point comprise dans l'inféodation faite par l'Empereur à Ebal de la Sarraz, en l'an 1186, ni, non plus, dans la vente de François de la Sarraz, en 1344; qu'elle n'étoit pas renfermée dans les limites de l'abergement de LL. EE. , du 20 juillet 1543 … , système qui parut, à cette communauté, tendre entièrement à anéantir tous les droits de la Vallée, et à compromettre la fortune de ses habitans, ce qui l'engagea à donner communication de cette demande aux deux autres communautés, avec insinuation de se joindre à elle pour étaler aux yeux de leur auguste souverain leurs droits principaux, qui, pour la plus-grande partie, procédoient de sa munificence.

La commune du Lieu entra dans cette idée, et fit cause commune avec celle du Chenit, sous certaines conditions, mais celle de l'Abbaie trouva à propos de se tenir derrière le rideau. Dès-là, la procédure s'instruisit, et roula sur les deux points contestés par monsieur le préposé de l'illustre Chambre: 1º le droit d'usage, et, 2º, le droit de propriété utile, que les communes prétendoient avoir dans cette forêt, en se fondant sur les titres de 1186, 1344, 1543, et autres, qui furent produits, au nombre de cinquante-trois pièces.

Les prétentions des communes, sur ces deux points, furent trouvées très-bien fondées, par le noble et magnifique seigneur baillif Gross, de Romainmôtier, et sa noble Cour, qui rendit son jugement sur le mérite de cette procédure, le 6 janvier 1759. Par ce jugement, les communes furent libérées de la demande de monsieur le préposé, avec dépends, à modération.

Le dit monsieur Freymond ayant appelé de cette /442/ sentence, la cause fut portée par-devant l'illustre Chambre des suprêmes appellations, à Berne, laquelle rendit un arrêt, le 27 mars 1759, qui portoit que: « quant au premier point, qu'il a été bien-jugé par le seigneur Baillif de Romainmôtier, et mal à nous appelé: confirmons, à cet égard, la sentence baillivale. Et, quant au second point, qu'il a été mal-jugé par le seigneur baillif et bien à nous appelé, réservant les droits d'autrui, s'il y en a, et condamnant aussi, entièrement, tous les plans et vérifications faits à ce sujet par le sieur commissaire Lecoultre, comme dressés illégalement et sans fondement, compensant, enfin, pour bonnes considérations, entre parties, les dépens incourus à cette occasion. » De laquelle sentence, il y eut appel des deux parties par-devant LL. EE. du souverain Conseil des Deux-cent.

Avant la suite de ces appels respectifs, les communautés estimèrent qu'il leur convenoit de présenter, au souverain tribunal, une très-humble requête, aux fins d'obtenir la vérification de leur plan, qui venoit d'être condamné sans avoir été rejeté, ni contredit, dans la procédure, ou qu'il en fût levé un autre, par tels experts qu'il plairoit à LL. EE. de nommer, ou, enfin, qu'il leur plût de commettre quelques-uns des illustres seigneurs de leur auguste et souverain Tribunal, pour visiter les lieux et y vérifier, eux-mêmes, ces ouvrages.

Cette requête étoit fondée sur plusieurs motifs, qui paroissoient, à ces communautés, d'une nécessité indispensable pour pouvoir présenter, aux yeux de leur gracieux Souverain, cette importante question sous son véritable point de vue, et pour lui donner toute l'évidence nécessaire, par la comparaison qui seroit faite de leurs titres avec ce plan.

Ces communes pensoient encore que ces opérations /443/ pourroient être propres à donner lieu à quelque arrangement, en extinction du procès qui les accabloit de frais, et qui, d'ailleurs, leur étoit fort-douloureux de soutenir contre une si-auguste partie … Cette démarche ne fut pas envisagée par S. E. d'Erlach, seigneur Advoier règnant, selon l'idée que ces Communautés s'en étoient formées, puisqu'il leur refusa l'accès de cette requête. L'illustre Chambre des bois se désista ensuite de son appel, et reconnut le droit d'usage des gens de la Vallée « sur les bois et paquiers de la forêt du Risou, » par notification du 19 novembre de dite année; ainsi, l'appel des communautés, qui tomboit sur la propriété utile de ces deux objets, fut le seul qui restoit à porter au Trône.

Par la notification dont on vient de parler, l'illustre Chambre avoit fait entrevoir aux Communes qu'elle seroit disposée à écouter des propositions d'arrangement, pour terminer entièrement cette difficulté.

Les communautés, qui ne désiroient rien tant que de témoigner à leur haute partie leur déférence et leur profond respect, profitèrent, avec empressement, de cette ouverture gracieuse, toutefois avec une ferme résolution de ne consentir à aucun accommodement qui pût déroger à l'abergement de LL. EE. du 20 juillet 1543, dans la persuasion qu'elles se rendaient coupables envers leur postérité, si elles souffroient volontairement qu'il fût donné la moindre atteinte à ce titre respectable. Elles envoyèrent, pour cet effet, à Berne, au mois de janvier 1760, des députés munis d'instructions sur la manière de présenter un projet d'arrangement, qui ne fut pas goûté de leur haute partie, ce qui engagea ces députés à en compiler successivement d'autres, à l'aide des avocats qui les avoient assistés dans ce procès, qui étoient alors à Berne, le tout sous la direction de monsieur le docteur Rosselet, qui devoit plaider /444/ leur cause en Deux-cents. Ces divers projets d'arrangement n'ayant pas eu le succès désiré, l'illustre Chambre en fit dresser, elle-même, un autre, qui fut remis à ces députés, pour le communiquer à leurs constituans. Ce projet, ayant été examiné par les communes, il leur parut, par les conséquences qui en pourroient résulter à certains égards, beaucoup plus-onéreux qu'un passe-expédient de leur appel; c'est-pourquoi, elles prirent le parti de faire parvenir à cette illustre Chambre un mémoire respectueux contenant, en détail, les raisons et les motifs qui ne leur permettoient pas de pouvoir accepter les conditions établies dans ce dernier projet.

L'appel des Communes fut donc continué, et, après avoir fait dresser un factum, qui fut ensuite imprimé avec la procédure, cette cause fut portée au souverain Tribunal, où elle fut plaidée le 24 mars 1762.

L'arrêt définitif qui en résulta, en révoquant la sentence baillivale, par rapport au second point de la procédure, confirma, à cet égard, celle de l'illustre Chambre des appellations, « le tout, sous la gracieuse et expresse explication que toutes les possessions particulières, dans l'enceinte et bornes du vieux Risou, lesquelles existoient avant la dernière délimitation et bornage d'icelui, fait en l'année 1719 (appert des lettres de vente et actes de laudations), devront demeurer et rester sans être attaquées; et, à l'égard des frais en général de toute la procédure, depuis son commencement, ils devront être compensés, par gracieuses considérations … »

En envisageant, d'un premier coup-d'œil, cette gracieuse explication, il semble d'abord que la propriété de tous les fonds renfermés dans la forêt du Risou s'y trouve réservée, en faveur des possesseurs, par les limites portées dans leurs actes d'acquit, et que ce n'étoit que la propriété /445/ du bois qui étoit adjugée à LL. EE.; mais, ce n'est pas là le sens qui fut donné, dans la suite, à cette sentence, puisque, par les possessions particulières, dans l'enceinte du vieux Risou … , on voulut simplement entendre que la propriété des prés qui y étoient enclavés étoit réservée à chacun des possesssurs, avec le libre exercice du droit de pâturage dans le reste de la forêt, chacun selon l'étendue des limites de ces actes d'acquits. On trouva que cela revenoit à la même chose, puisque, quand les possesseurs auroient conservé la propriété du sol, ou du terrein, dans cette forêt, ils ne pouvaient pas extirper les bois, pour l'améliorer; par-conséquent, qu'ils n'auraient rien de plus que ce qu'ils ont actuellement, d'autant que ce libre exercice du pâturage se trouve équivalent à une propriété ainsi assujettie.

Ce fut ainsi que se termina ce procès, qui avoit fait beaucoup de bruit dans tout le païs, et duquel il semblera peut-être que j'aurois dû eu faire un récit plus-détaillé, puisqu'il étoit assez-intéressant pour en développer toutes les circonstances; mais, si je ne l'ai pas fait, j'ai eu mes raisons pour cela. D'ailleurs, ceux qui pourraient désirer de s'instruire plus-particulièrement de cette question n'ont qu'à recourir à la procédure, qui a été rendue publique, par l'impression, comme aussi à d'autres papiers, y relatifs, qui sont conservés dans les archives des communautés. Je n'ajouterai donc plus qu'un mot, c'est: que ce procès fut fort-coûteux à ces deux communes, en particulier à celle du Chenit, qui, par l'arrangement fait avec celle du Lieu, fut chargée de supporter les trois-quarts des frais qu'il avoit occasionnés, et cela, tant à raison de sa montagne du Risou qu'à d'autres égards, laquelle portion de frais se monta à le somme d'environ vingt-cinq mille florins. /446/

§. 105.

Par une suite de la sentence souveraine dont on a parlé, l'illustre Chambre des bois trouva nécessaire, pour la conservation et meilleure économie de cette forêt du Risou, de dresser un règlement, « au regard du droit d'usage que les communautés de la Vallée y ont pour leur nécessité, en vertu du titre de 1344. »

Ce règlement, dont la date est du 30 du même mois de mars 1762, porte que ce droit d'usage des communautés s'étendra, à l'avenir, « tant à leurs bâtimens, et autres besoins, que pour la fabrication et négoce des marchandises en bois, cependant avec toute modération, et qu'ils ne vendent aucunes marchandises hors du païs; » de plus, que les Conseils de ces communes devront dresser annuellement une liste de tous leurs communiers qui ont besoin de bois, en y marquant la quantité qu'il en faut à chacun, de même que l'usage auquel il doit être appliqué. Cette liste devra être envoyée au seigneur baillif de Romainmôtier, qui, avant que de l'accorder, doit l'examiner, pour connaître s'il ne s'y trouve pas de l'abus ou de l'excès, dans quel cas, il devait les redresser. Il ne devra accorder aucun bois, à qui que ce soit de la Vallée, qu'à ceux qui sont mis sur ces listes par les conseils, ou qui en auront des actes de nécessité, de leur part.

Ce règlement défend aux seigneurs baillifs d'accorder aucun bois aux autres ressortissans du bailliage de Romainmôtier, qui ne sont pas compris dans le titre de 1344, à l'exception de ceux qui pourraient se trouver dans le cas d'un besoin extrême, auxquels ils pourront donner une ou deux plantes moyennes, et pas au-delà. Ils ne devront, en outre, accorder aucun bois, à qui que ce soit, hors du /447/ Bailliage, ni à aucun Bourguignon, ni se servir d'eux, « ni pour coupage, ni pour travail d'aucun bois. »

De même, tous ceux à qui on accorde du bois ne pourront se servir des Bourguignons pour le travailler, ou autrement, ni leur en vendre, sous l'amende de cent florins, par chaque plante, ou de peine corporelle, selon l'exigence du cas.

Les articles dont on vient de faire mention, et d'autres, que ce règlement contient encore, sont assez relatifs aux règlemens précédemment émanés de LL. EE. , au sujet des bois; ceux-ci ont aussi un certain rapport aux propositions d'arrangement, dont on a parlé plus-haut, que les communes avoient présentées à cette illustre Chambre, en l'année 1760.

§. 106.

Dans les sus-dites propositions, les deux communes avoient encore fait mention de la nécessité qu'il y avoit d'établir des scies à eau, en nombre suffisant pour pouvoir assortir le plat-païs de marchandises travaillées avec ces bois. Cet établissement eut lieu, les années suivantes, au moyen d'abergemens que LL. EE. accordèrent à des particuliers. Ces communes avoient, de plus, fait sentir l'utililé de l'érection d'un chemin à char, pour pouvoir traverser la montagne, depuis le Brassus jusqu'à Gimel, afin de faciliter le transport de ces marchandises à la Côte et aux environs. Il y avait déjà quelques années que l'on avoit pensé à l'établissement de cette route, et même les trois communes de la Vallée avoient eu des pourparlers avec la Ville d'Aubonne à ce sujet; mais, il avoit été de cela comme de bien d'autres projets que l'on forme, qui, le plus-souvent, demeurent sans exécution.

La communauté du Chenit, qui n'avoit pas perdu de vue /448/ l'établissement de ce nouveau chemin, chercha, en l'année 1763, les moyens de renouer, avec la Ville d'Aubonne, les conférences qui avoient déjà eu lieu à ce sujet; la Ville de Rolle, y ayant pris intérêt, se joignit à elles, et, après quelques entrevues, il fut décidé que l'on examineroit le local de plus-près, pour s'assurer de la possibilité de l'entreprise, et que l'on inviteroit les autres communes de la Vallée à se joindre à une requête, que l'on dresseroit, pour demander à LL. EE. l'établissement de cette route …; mais, ces deux communautés s'y refusèrent, sous prétexte que ce chemin leur étoit inutile; que celui de Petra-felix, qui venoit d'être réparé, étoit d'autant plus-suffisant, pour toute la Vallée, qu'elle n'en avoit point eu d'autre dans les tems précédens, qu'il étoit, à-peu-près, impraticable.

Nonobstant ce refus, l'association de ces deux villes avec la communauté du Chenit se soutint, et, pour suivre à leur entreprise, elles firent, de concert, dresser une requête, et un mémoire qui détailloit tous les avantages que ce nouveau chemin pouvoit procurer, tant à la Vallée qu'aux montagnes qui en dépendent, comme aussi à la Côte et à divers villages à portée d'en profiter.

Ces deux pièces furent présentées à LL. EE. , au mois d'août de l'année 1765, et, comme cette affaire paroissoit très-importante, on ne négligea rien pour la faire réussir; ce ne fut, cependant, pas sans inquiétude que l'on en attendit le succès, surtout dès que l'on eut été informé des démarches qui se faisoient, en plusieurs endroits, en conséquence desquelles il parvint à LL. EE. diverses représentations, tendantes à opposer à cette entreprise; mais, comme, vraisemblablement, ces oppositions n'étoient fondées que sur des motifs d'intérêt particulier, ce fut un moyen de plus pour les faire échouer auprès d'un souverain clair-voyant, et toujours disposé à favoriser des établissemens utiles, /449/ surtout quand ils peuvent procurer l'avantage d'un plus-grand nombre de sujets.

LL. EE. accordèrent donc, non-seulement la permission d'établir cette nouvelle route, en ordonnant qu'elle seroit poussée depuis Gimel jusqu'au chemin de l'Etraz, pour tant mieux faciliter la communication avec la Côte, elles eurent, de plus, la bonté de donner gracieusement la somme de cinq-mille francs, pour aider à former cet établissement, à quoi elles ajoutèrent, dans la suite, celle de cent francs, pour le paiement d'une partie de la poudre qui y avoit été employée; elles se chargèrent, en outre, de payer le haut-inspecteur qui en aurait la direction. L'octroi qui en fut envoyé, de la part de l'illustre Chambre des péages, est daté du 26 mai 1766.

Il parvint ensuite des ordres pour lever, dans les bailliages de Romainmôtier, Aubonne et Morges, une contribution sur tous les fonds desquels les propriétaires pourroient tirer quelque utilité, par l'établissement de cette route. Cette contribution devoit se payer, toutes les années, jusqu'au montant de la somme nécessaire pour amener ce chemin à sa perfection; après cela, sa maintenance devoit tomber à la charge des communautés qui y auroient le plus-grand intérêt. Elle fut réglée, selon les différentes espèces de terrein, comme suit:

Pour une pose:
de vigne: 4 batz
de verger et pré à record (regain): 2 batz
de pré non à record: 1 batz
de champ: 2 crutz
de bois d'haute futaie: 3 batz
d'autres bois: 1 batz
Montagnes et pâturages, pour chaque vache: 2 batz

La même année, ce chemin fut commencé, et la première /450/ contribution fut levée dans la communauté du Chenit, selon l'état dressé, d'ordre supérieur, de tous les articles sujets à cette cotisation. Elle se monta à la somme d'environ deux-mil-sept-cent et soixante et seize florins, savoir: environ quatorze-cent-quarante florins, des particuliers de dite commune; six-cent-trente-deux, des étrangers, pour les montagnes enclavées dans son territoire; trois-cent-quarante-six, de communautés du Lieu et de l'Abbaie, tant pour leur part des bois qui existent dans ce territoire que pour les terreins que quelques-uns de leurs particuliers y possèdent; enfin, trois-cent-cinquante-huit, de la commune elle-même, pour ses bois en propre et montagnes. Il paroissoit assez-naturel que les deux autres communautés de la Vallée devoient aussi payer pour les possessions et les bois de rière leur territoire, mais, comme on l'a déjà insinué, elles s'y refusèrent, et l'on ne put les y contraindre, nonobstant les démarches que l'on fit pour cela.

Ce chemin, ayant été continué, les années suivantes, fut achevé, au mois de septembre de l'année 1769, au moyen de quatre contributions qui furent levées successivement, à mesure que l'ouvrage s'avançait; les particuliers du Chenit n'en payèrent que deux, parce que la Commune suppléa au payement des deux autres, à leur décharge. Les Villes et communautés du plat-païs intéressées avoient aussi levé la même quantité de contributions dans les lieux qui leur avoient été assignés; tout le provenu de ces différentes cotisations fut confondu ensemble et remis aux seigneurs baillifs, pour être appliqué aux divers payemens résultant de cet ouvrage.

Ce chemin fut examiné et reçu par des seigneurs, députés de l'illustre Chambre des péages, auxquels on fit remarquer qu'il n'étoit pas entièrement complet; c'est-pourquoi, ils ordonnèrent de lever encore une demi-cotisation, de /451/ laquelle la Commune du Chenit déchargea encore ses particuliers. Le produit de cette demi-contribution fut employé à perfectionner ce chemin, qui ne fut entièrement fini qu'en l'année 1770.

Dès-là, il fut remis à la charge des communautés; celle du Chenit fut obligée de se charger de sa maintenance jusqu'au sommet de la montagne; elle fit une seconde tentative pour engager les communautés du Lieu et de l'Abbaie à supporter une partie de cette maintenance, du moins rière le bailliage d'Aubonne, à raison des bois qu'elles y possèdent; ces communes continuant à y opposer, la chose fut portée devant l'illustre Chambre des péages, qui, en remettant à la commune du Chenit l'entretien de ce chemin, sur le pied dont on a parlé, la déchargea du tiers de la maintenance d'une portion de celui de Petra-Felix, qui, depuis quelques années qu'il avoit été réparé, avoit été assignée et mise à la charge des trois communes de la Vallée; ainsi, les deux communautés du Lieu et de l'Abbaie furent chargées du total de cette portion.

Cette illustre Chambre établit aussi, dans le même tems, au Brassus, un bureau, pour retirer le péage des fromages de toutes les montagnes renfermées dans l'enceinte du territoire de la communauté du Chenit, qui furent détachées de celui du Pont, comme aussi pour le péage des autres marchandises qui entrent dans le païs, ou qui en sortent. Il fut, de plus, ordonné à tous les particuliers d'indiquer an commis de ce bureau tontes les espèces de marchandises en bois qui seroient voiturées par ce nouveau chemin, dont il devoit tenir le régistre.

L'établissement de ce chemin m'ayant paru devoir être envisagé comme très-utile et très-avantageux, nonobstant la charge de son entretien, cela m'a engagé d'en parler avec quelque détail; mais, comme ce détail m'a obligé /452/ d'anticiper les dates, il faut revenir à celle de l'année où il fut commencé, pour dire un mot des autres chemins, qui étoient alors en très-mauvais état, dans toute la Vallée, au point qu'on avoit bien de la peine d'y passer, dans plusieurs endroits.

Les communes reçurent des ordres pour les réparer; celle du Chenit ne différa point de s'y conformer: elle se mit tout-de-suite en devoir de faire travailler à ces réparations, qui furent commencées cette même année, 1766, et continuées les années suivantes.

§. 107.

Quoique l'on ait déjà parlé, ci-dessus, de la sentence souveraine concernant le grand-procès, il est nécessaire d'y revenir, pour faire remarquer que, par l'explication qui lui fut donnée, la commune du Chenit se trouva dans le cas de faire une distinction des différentes parcelles de pré renfermées dans les limites de l'acte d'acquis de sa montagne appelée Pré-dernier (derrière) et Risou, enclavée dans cette forêt. Comme cette distinction, qui était d'une absolue nécessité, pour laisser parvenir à LL. EE. la propriété du terrein qui était en bois, et à la commune celle de celui qui étoit en pré, situés dans différens endroits de cette forêt, auroit été sujette à bien des inconvéniens et qu'il auroit été nécessaire de planter des bornes à l'entour de chacun de ces prés, l'illustre Chambre des bois demanda que la commune fît des propositions tendantes à réunir tous ces différens prés, par le moyen d'un cantonnement, en conséquence de quoi, cette communauté présenta divers projets relatifs à cet objet, entre lesquels celui qui fut accepté fut suivi d'un convenant stipulé, le 17 Mars 1767, sous le sceau du magnifique seigneur baillif Lerber, /453/ de Romainmôtier, au nom de cette illustre Chambre. Par ce convenant, la commune abandonna son vieux pré appelé Pré-dernier, et toutes les autres parcelles de vieux prés incluses et dispersées dans la forêt du Risou, pour être cantonnée au haut de la dite forêt, où elle auroit, en place, « un canton de bois et pâturage joignant, de bise, le vieux pré appelé Chalet du Risou, et la Bourgogne d'occident et vent, pour le réduire en pâturage et former ensemble, et y compris leur dit vieux pré; un mas de cent poses, conformément au plan levé, et aux vingt bornes y marquées pour fixer la séparation du dit mas d'avec la forêt de LL. EE. … »

La dite commune renonça « à toute propriété, tant du pré nommé Pré-dernier que de toutes autres parcelles de vieux prés qu'elle pouvoit posséder, ou prétendre, dans la forêt du Risou (en-dehors du mas qui lui est ci-dessus assigné et abandonné), pour désormais faire partie de la dite forêt et recroître en bois. »

Ce cantonnement fut fait de la manière ci-dessus établie, et aux conditions: 1º que la commune serait tenue de fermer et garantir de pâturage le dit Pré-dernier, par elle abandonné, du côté de la montagne de Mezeri, jusqu'à ce que le bois fût recru et en sûreté, et aussi de fermer, et maintenir fermé, le canton qui lui avait été assigné, des deux côtés aboutissant à la Bourgogne. 2º La commune s'engageoit de détruire le chalet qui existoit au dit Pré-dernier. 3º Le bois qui se trouvoit dans le cantonnement assigné à cette commune lui fut abandonné pour les frais qu'elle supporteroit à l'occasion de ces cloisons, bâtisse d'un chalet … , « et bien-entendu que, par le présent cantonnement de propriété, il n'est point attouché au droit d'usage et pâturage, que la dite communauté a eu, du passé, dans la dite forêt du Risou, confirmé par l'arrêt /454/ souverain rendu à ce sujet… » Dès-lors, cette montagne a perdu son ancien nom, et est connue, aujourd'hui, sous celui de Cent poses.

Il se fit aussi, dans ce tems, un arrangement pour la montagne d'un particulier, qui se trouvoit aussi toute enclavée dans la dite forêt du Risou. Et, quant aux autres montagnes et pâturages situés à l'orient de cette forêt, elles furent censées, pour ce qui concerne la propriété, devoir s'arrêter au bord du Risou; ainsi, lorsque les notaires auront des actes de vente à stipuler, le long de cette forêt, ils devront spécifier la dite forêt, pour limites occidentales du terrein vendu, en y ajoutant le droit de pâturage dans cette forêt, vis-à-vis, soit de la même largeur du dit terrein, jusques aux limites de Bourgogne.

§. 108.

Il y avoit déjà long-temps que l'on projetoit de faire, entre les trois communes de la Vallée, un partage de leurs bois, tant de ceux qui étoient en réserve, ou en ban, que de ceux de bocherage ordinaire, qui, tous, étoient toujours demeurés indivis entr'elles, mais ce projet avoit paru susceptible de tant de difficultés, et sujet à tant d'inconvéniens, qu'on n'avoit pas encore vu lieu de l'exécuter.

Cet objet ayant été remis, cette année, sur le tapis, il fut délibéré que chaque commune donnerait un projet, par écrit, sur la manière dont elle entendoit que ce partage dût se faire; ces projets, ayant été communiqués réciproquement, et ensuite comparés entr'eux, se trouvèrent si fort dissemblables qu'il ne fut pas possible de les concilier. Enfin, après bien des objections et des raisonnemens, de part et d'autre, l'on convint de remettre cette affaire au jugement qui en seroit fait par des arbitres, après qu'ils /455/ auroient examiné ces bois, et reçu les informations que chaque commune auroit droit de leur remettre; on choisit, ensuite, ces arbitres, qui furent: messieurs le châtelain Olivier, de la Sarraz, lieutenant-baillival de Romainmôtier, et commissaire Nillion, du dit Romainmôtier, assesseur baillival, et châtelain de Vallorbes, auxquels on se disposa de remettre la décision absolue de cette affaire, sous la médiation du noble et magnifique seigneur baillif Lerber, de Romainmôtier.

Ces messieurs, ayant été rendus sachans de cette nomination et priés de l'accepter, voulurent bien condescendre au désir des communautés; pour cet effet, ils se transportèrent à la Vallée, au mois d'août de la dite année 1767, et, après avoir fait, pendant plusieurs jours, la tournée dans ces bois, accompagnés des députés de chaque commune, ils s'en retournèrent sans rien prononcer. Dès-lors, la commune de l'Abbaie, à l'insçu des deux autres, insista fortement, auprès d'eux, pour les engager à faire une seconde tournée dans son territoire et dans celui des Amburnex, à quoi ils consentirent, en renvoyant cette opération à l'année suivante.

Les communes ne négligèrent rien, pendant ce délai, pour donner à leurs juges les informations qui leur parurent les plus convenables, jusques à abuser de leur patience et de leurs bonnes dispositions à tout écouter. Ils remontèrent, au mois de juillet 1768, et, après avoir satisfait à la demande de la communauté de l'Abbaie, par rapport à la seconde vision, ils travaillèrent à établir les portions de bois de réserve; ils assignèrent, eux-mêmes, à chaque communauté, quelques-unes de ces portions, qui leur étoient le plus de convenance, et firent tirer au sort les autres. Mais, ce fut seulement alors, et particulièrement dans le tems de cette seconde vision, qu'ils furent appelés à exercer leur /456/ patience: ils eurent les oreilles battues de mille contestations et objections, suscitées par quelques-uns des députés de ces communes, entre lesquels ceux de l'Abbaie se signalèrent, en soutenant des paradoxes et des avant-mis un peu trop-hazardés, que leurs parties se croyoient en droit de réfuter, ce qui occasionnoit bien des raisonnemens, dont la plupart étoient assez-inutiles, mais qui, pour cela, n'en étoient pas moins-bruyans.

Enfin, ces messieurs, qui ne pouvoient qu'être extrêmement fatigués et rassasiés de la pénible commission dont ils avoient bien voulu se charger, prononcèrent définitivement, sur le dit partage, le second jour du mois d'août de la susdite année 1768, et en communiquèrent le résultat aux députés des communes, assemblés au Pont, à ce sujet. Il fut question d'accepter cette prononciation, qui étoit faite sans retour ni relief, et de signer la minute de l'acte qui en seroit dressé; les députés du Lieu et du Chenit le firent sans difficulté, mais ceux de l'Abbaie témoignèrent une grande répugnance à cette acceptation, qu'ils donnèrent, à la fin, en faisant paroître beaucoup de mécontentement.

On raisonna fort-différemment sur ce partage; chaque partie, soit prévention, soit par quelqu'autre motif, prétendoit avoir reçu plus ou moins de lésion; d'autres soutenoient que la commune de l'Abbaie avoit considérablement gagné sur l'article du bocherage, sans cependant en rejeter la faute sur messieurs les arbitres, qui avoient paru fort-intègres et portés à rendre une justice égale aux parties. Ceux qui étoient de ce sentiment se persuadèrent que, à force d'informations, où la vérité avoit eu peu de part, la communauté de l'Abbaie avoit eu la glorieuse prérogative de leur en imposer …

Il parvint ensuite, à chaque communauté, un double de ce partage, ratifié par le magnifique seigneur baillif de /457/ Romainmôtier, et autorisé de son sceau, duquel je me dispenserai de parler plus-au-long, renvoyant à la lecture et à l'examen de ce titre ceux qui pourroient ignorer les limites tant des bois de bocherage que de ceux de réserve, qui y sont exprimées fort-clairement.

Il est certain que ce partage fut très-utile, et que chaque commune en auroit reçu plus davantage s'il avoit eu lieu plus tôt, particulièrement celle du Chenit, qui, certainement, auroit, actuellement, une plus-grande quantité de bois de bocherage, principalement du côté des limites des deux autres communautés.

§. 109.

Bientôt après, il arriva, au Chenit, un événement, dispensé par la divine Providence, consistant a une grêle extraordinaire, dont on n'avoit jamais vu d'exemple, dans la Vallée, ni même ouï parler de semblable; elle tomba, le 17 du même mois d'août, dans tout le territoire de cette communauté et dans celui du hameau des Bioux. Cette grêle, dont le reste de la Vallée ne se ressentit pas, fut si abondante que la terre en fut blanchie partout, et les grêlons d'une telle grosseur que les plus-ordinaires pesoient environ deux onces, et une grande partie beaucoup au-delà; ils furent poussés avec tant de force que toutes les fenêtres des maisons du côté du couchant en furent fracassées, et tous les toits considérablement endommagés; toutes les graines furent entièrement abattues; les pailles, hachées et rompues par morceaux, et enfoncées dans la terre, ne furent à-peu-près d'aucun usage; le reste des foins, qui n'étoient pas encore recueillis, furent aussi à-peu-près perdus. Dès que cette grêle fut fondue, ce qui n'arriva qu'au bout de quelques jours, on remarqua, surtout dans les prés, que /458/ la surface de la terre étoit remplie des petits enfoncemens que cette grêle avoit faits en tombant; ils se trouvoient tout-près les uns des autres, et ressemblent à ceux que l'on feroit avec le bout d'un gros bâton, de façon qu'on ne peut mieux les comparer qu'aux creux que l'on voit sur un dé à coudre. Mais, pour ne pas m'arrêter plus-long-tems à décrire les particularités de ce fléau, je m'assure que ce que j'en ai dit sera suffisant pour faire comprendre les suites funestes qui en résultèrent, par rapport à tous les particuliers, qui se trouvèrent, dans ce moment, privés, non-seulement de toute espèce de graines, et autres productions nécessaires à leur subsistance, mais, de plus, d'une bonne partie des fourrages pour l'entretien de leurs bestiaux.

§. 110.

L'année suivante, les trois communes de la Vallée eurent des difficultés à soutenir, avec celle de Bière, au sujet des dégâts que cette dernière avoit faits dans les bois qui venoient d'être partagés, à prétexte du transport d'un chalet, sur sa montagne appelée la Joux. Cette communauté n'ayant daigné faire aucune attention aux représentations de celles de la Vallée, à ce sujet, elles se virent dans la nécessité d'en porter plainte au magnifique seigneur Tscharner, baillif d'Aubonne. Il y fit faire, d'office, une vision par des membres de sa cour baillivale, lesquels lui ayant fait rapport de tous les abus qu'ils y avoient reconnus, il en résulta, après bien des oppositions de la part de cette commune, un arrangement, ou transaction, qui fut faite, le 19 septembre 1770, par la médiation, et sous l'autorité du dit magnifique seigneur baillif, en vertu de laquelle la dite commune de Bière s'engagea à se soumettre à la marque, que les dites communes de la Vallée lui feroient faire gratis, par leurs /459/ forestiers, de tous les bois nécessaires à l'usage de ses montagnes, à raison du droit qu'elle peut y avoir, selon le prescript du règlement souverain du 24 septembre 1679, à l'exception des bois pour cloisons, qu'elle pourrait prendre sans marque, en se conformant au sus-dit arrêt, et, en attendant que les dites montagnes fussent toutes fermées de murs-crus, « promettant d'en faire, annuellement, et dès-à-présent, cent toises, qui seront commencées dans les bois de réserve, » promesse, cependant, qu'elle ne s'est pas beaucoup mise en devoir d'accomplir.

§. 111.

La concession du bois que LL. EE. avoient faite à la commune du Chenit, par le cantonnement du 17 mars 1767, dont on a fait mention dans son tems, fut envisagée comme on dédommagement tacite des frais que cette communauté avoit supportés à l'occasion du grand-procès, à raison de quoi la commune du Lieu fut admise à y avoir part.

Or, comme ce bois devoit être extirpé, les deux communes avoient cherché, dès-lors, les moyens d'en tirer le parti le plus avantageux; quelques personnes du Païs-de-Vaud, verriers de profession, en avoient offert un prix assez raisonnable, dans l'espérance qu'on obtiendrait aisément la permission de le consumer par une verrerie; on avoit présenté, en conséquence, de concert avec ces verriers, une très-humble requête, contenant plusieurs motifs, qui paroissoient d'un certain poids, mais, LL. EE. n'ayant pas trouvé à propos d'accorder les fins de cette demande, vu que, depuis quelques années, ces sortes de fabriques avoient été défendues, dans tous les lieux de leur domination, ces communes n'eurent d'autre parti à prendre que de vendre ce bois au plus-offrant. Il fut, en conséquence, exposé en /460/ vente, le 23 mai de l'année 1771, et, après plusieurs mises et remontes, qui, cependant, ne parvinrent pas au prix que les verriers en avoient offert, ces communes, ne pouvant mieux faire, consentirent de l'échoir aux propriétaires des forges du Brassus, au montant de la dernière mise, qui fut de huit-mille et deux-cent-cinquante et un florins de capital, et un florin, pour chaque cent florins, de vins, du total de quoi la commune du Lieu retira un quart.

§. 112.

Il y avait déjà quelques années que l'on parloit, dans les communes, de demander à LL. EE. une justice pour la Vallée, mais, comme les sentimens étaient beaucoup partagés là-dessus, on ne s'étoit pas fort empressé à faire des démarches pour l'obtenir. Il y avoit, effectivement, bien des raisons pour et contre, qui, étant balancées, laissoient les esprits en suspends. Cette affaire ayant été remise sur le tapis, la pluralité fut pour la justice. Dès-là, les trois communes firent parvenir à leurs LL. EE. une requête à ce sujet … Leur demande fut gracieusement accordée, par octroi du 17 juillet de la susdite année 1771. Cet octroi porte que « cette justice seroit composée d'un châtelain, et de douze jurés, pris dans chaque communauté, à proportion de son étendue; que les tutelles et causes sommaires lui seraient remises … »

La communauté du Lieu prétendit que ce nouveau tribunal s'assembleroit chez elle, tant à raison de sa primauté, qu'en ce que l'ancienne justice y avoit déjà eu son siège.

Les deux autres communes n'insistèrent pas là-dessus, elles lui laissèrent volontairement cette prérogative; elles auroient, cependant, bien-désiré que la direction des tutelles fût demeurée à leurs consistoires, vu que les affaires /461/ s'y géroient plus-aisément et à moins de frais pour les hoiries; elles firent même des représentations à ce sujet, mais LL. EE. ne trouvèrent pas à propos de rien changer à leur octroi, d'autant que, partout ailleurs, les tutelles sont du ressort des justices.

§. 113.

Par une suite des chétives récoltes des années précédentes, occasionnées par divers accidens, survenus dans tout le païs, l'on y éprouva, pendant le cours de celle-ci, une disette générale, qui aurait été extrême, si la sage prévoyance de LL. EE. n'y avoit pourvu assez à tems. Elles vuidèrent tous leurs greniers, et firent venir ensuite une grande quantité de graines, tant de Piémont que des côtes d'Afrique, sur le montant desquelles on dit qu'elles consacrèrent, généreusement et à pure perte, une somme considérable, pour pouvoir la donner à un prix qui pût apporter quelque soulagement à leurs peuples. On concevra sans peine que la Vallée, qui s'était encore beaucoup ressentie du fléau de la grêle de l'année précédente, ne fut pas à l'abri de cette disette, qui était aussi fort-grande dans la Bourgogne et dans tous ses environs.

Quelques villes du Païs-de-Vaud firent aussi venir des graines de l'étranger, et LL. EE. en remirent une certaine quantité à diverses communautés, pour subvenir aux plus-pressans besoins de leurs ressortissans. Celle du Chenit reçut cent et cinquante sacs de froment, qui lui fut délivré au château de Morges, à raison de trente-deux batz le quarteron (celui du païs se vendit jusqu'à quarante). On fit venir cette graine par divers charretiers, qui la déchargeoient, dans différens quartiers de la Commune, chez des personnes que le Conseil avait préposées pour la débiter; chacun y /462/ accouroit, pour en avoir, et ceux qui n'avaient pas de l'argent s'obligeaient à la Commune par billet. On avait envoyé, auparavant, des personnes, pour faire mesurer cette graine, et la remettre à des commissaires, pour l'expédier, à quel effet on acheta, à un prix modique, les toiles dans lesquelles ce froment avait été transporté à travers les monts. Divers particuliers rachetèrent ces toiles, qui leur furent remises, ainsi que la graine, au prix d'acquit, en y ajoutant seulement la voiture. La commune supporta tous les autres frais, qui s'augmentèrent, dans la suite, par les embarras qu'elle eut de retirer le montant des billets de plusieurs particuliers, avec quelques-uns desquels elle fut encore en perte.

§. 114.

En l'année 1772, il s'éleva de nouvelles difficultés, entre la commune du Chenit et celle de Bière, à l'occasion des abus que les fermiers des montagnes de cette dernière avoient commis dans le bois du Martzeiru, en y arrachant de jeunes plantes. Elles n'eurent pas des suites, mais elles furent terminées par une convention, faite sur les lieux, le 16 juillet 1773, entre les députés respectifs des dites communes, ratifiée par les conseils, et autorisée, le 30 du dit mois, par le magnifique seigneur baillif d'Aubonne. Par cette convention, la commune du Chenit s'engagea de faire extirper une lisière de bois, au pied du dit Martzeiru, pour que, dans la suite, le terrain où existait cette lisière fût réduit et maintenu en pré, en faveur de ladite commune de Bière. En échange, cette commune du Chenit mit en ban un autre canton de jeune bois et broussailles, contenant quelque étendue de plus que celui qui devait être extirpé. Ce canton est situé à l'occident de la portion du bois de la Rolaz qui est du côté de bise du grand-chemin; il limite: la /463/ montagne du Sr. Rochat, du Brassus, devers vent; celle des hoirs de Jacques Meylan, du dit Brassus, d'occident; la dite portion de la Rolaz d'orient. Et, dès le coin occidental et boréal de la dite Rolaz, la ligne retire contre bise, en contournant jusqu'à la montagne des hoirs Meylan, selon que le tout est plus-amplement spécifié dans la dite convention, comme aussi par un bornage du 17 juillet 1777. La publication de ce nouveau bois à bamp fut faite, à la manière accoutumée, le 15 août de la dite année 1773.

§. 115.

Monsieur Charles-Louis Agassiz quitta le Chenit au mois de juin 1774. Il en avait desservi l'Eglise, en qualité de pasteur, pendant l'espace d'environ vingt-sept ans; monsieur Jean-François Réal, pour lors ministre de l'Eglise française à Stettin, fut nommé pour le remplacer. Il ne put se rendre au Chenit qu'au mois de juin de l'année suivante, qu'il y fut présenté pour pasteur. Pendant cette année, l'Eglise fut desservie par différens pasteurs, qui y venaient faire la prédication, et, les six derniers mois, par monsieur Jean-Gabriel Trayod, jeune impositionnaire, qui fut placé à la cure, sur la fin du mois de décembre, comme pasteur-subsidiaire, en attendant l'arrivée du dit monsieur Réal.

§. 116.

Par une suite du partage des bois dont on a fait mention ci-devant, qui fut fait, le 2 août 1768, entre les trois communes de la Vallée, celle du Chenit se trouva seule en possession du droit de bochérage sur la partie septentrionale de la montagne dite le pré-aux-veaux, appartenant à l'honorable Commune du Vaud. Elle fit, avec cette dernière, /464/ un arrangement amiable, par convenant, du 4 juillet de la même année 1774, ratifié, ensuite, par les Conseils de ces deux communes, en vertu duquel elle renonça, à perpétuité, en faveur de celle du Chenit, à tout droit de coupage sur un canton de bois situé sur la dite montagne, qui en joint les cloisons, du côté de bise et d'occident, une tranchée où il n'y a point de bois, et que l'on tient pour les limites de la Vallée, de-vers vent, et un vieux chemin à char, qui traverse de vent à bise, depuis les Illenches de la Riondaz, tendant à la montagne des trois-chalets, par les bornes établies le long de ce chemin, d'orient, au contenu du bornage qui en fut fait, le 24 août suivant, et qui est inséré au pied du dit convenant, lequel canton de bois appartiendra en propre à la dite commune du Chenit, pour en disposer à sa volonté, réservé que celle du Vaud pourra en prendre « tant-seulement » pour l'entretien des sus-dites cloisons.

La commune du Chenit, qui fit mettre et publier en réserve ce canton de bois, permit, en échange, à celle du Vaud de faire décombrer un bouquet de bois, qui avait recru depuis quelques années, à l'orient du sus-dit chemin, dans un terrain à peu-près tout en pré, à l'effet de quoi la commune du Vaud lui paya la somme de cent-quarante florins, sans préjudice du droit de bochérage de la dite commune du Chenit sur la partie orientale de cette montagne qui se trouve rière la Vallée, s'il vient à y recroître des bois.

Par ce même partage des bois entre les trois communes de la Vallée, celle du Chenit se trouva aussi en possession du droit de bochérage sur la montagne du Chalet-neuf, qui appartient à l'honorable commune de Bursins, par abergement de LL. EE. , en date du 31 mai 1730. Or, comme elle eut occasion de remarquer que cette dernière faisoit /465/ extirper les bois de cette montagne, au préjudice de ce droit de bocherage, elle lui en fit des plaintes, qui occasionnèrent quelques altercations entre ces deux communes. La chose ayant été portée par-devant le magnifique seigneur baillif Tscharner, d'Aubonne, il insinua aux parties de s'arranger, entr'elles, par cantonnemens, ne trouvant point de moyen plus-propre que celui-là pour jouir chacun de ses droits, et pour terminer toutes difficultés. Ayant adhéré à des propositions si-raisonnables, elles firent, le 4 octobre 1775, par la voie de leurs députés, une ébauche de convenant à ce sujet, qui fut confirmé et ratifié, par transact, en date du 24 août de l'année suivante, au moyen duquel le bochérage de cette montagne fut fixé et déterminé, à l'égard de chacune de ces deux communes, pour le conserver et en disposer, « comme mieux lui conviendra, savoir: pour la communauté du Chenit, sur soixante-quatre poses, chacune de quatre-cents toises, de dix pieds de Berne la toise, d'une partie de la dite montagne, à forme des limites et bornage ci-après, dont les bois crûs et à croître seront pour elle en propre et réservés à son entière disposition, pour les délivrer, par tems, à ses particuliers et y exercer seule le droit de bocherage … , réservé, en faveur de la commune de Bursins, la propriété du fonds et le pâturage, dans l'étendue de ce canton, avec tout autre bocherage et bois crûs et à croître sur tout le surplus de sa dite montagne du Chalet-neuf, qui seront aussi, pour elle, en toute propriété et à son entière disposition (hormis sur la partie à bamp, en faveur de la communauté du Lieu, à laquelle il n'est rien dérogé). » Ces soixante-quatre poses, désignées en faveur de la communauté du Chenit, sont situées dans la partie boréale de la dite montagne, par les limites indiquées et les bornes spécifiées dans le sus-dit convenant; ces limites sont: le chemin du Chalet à Roch, et, par /466/ encasse, le bois à bamp de la communauté du Lieu, d'orient; le surplus de la dite montagne du Cerney, d'occident; et celle de la Croix de Varne appartenant aux Simon, de bise, sous cette explication que, entre la dite montagne des Simon et le canton qui contient les dites soixante-quatre poses, il fût prélevé deux toises en largeur, du haut en bas, qui restent appartenir à la communauté de Bursins, pour le maintien de la cloison.

La commune du Chenit fit ensuite mettre en réserve le canton de bois sus-désigné, avec défense d'y couper sans permission, sous peine de bamps; la publication qui en fut faite est datée du 6 juillet 1777.

§. 117.

Il s'étoit établi, depuis environ quarante à cinquante ans, j'ignore sous quel prétexte, une pratique, en vertu de laquelle tous les particuliers de la Vallée qui faisoient du charbon dans les bois situés dans le bailliage d'Aubonne étoient tenus de payer trois sols, au seigneur baillif, et deux sols, à son forestier, par chaque char de charbon fabriqué dans cet endroit. Les propriétaires des forges du Brassus, qui avoient acquis la lisière de bois que la commune du Chenit s'étoit engagée de détruire, par le convenant dont on a parlé ci-dessus, fait, avec celle de Bière, le 16 juillet 1773, y avoient fait faire du charbon; le forestier leur demanda ces droits, tant au nom de monsieur le colonel Grüner, seigneur baillif d'Aubonne, que du sien; ils refusèrent de les payer, à raison de ce que ce bois leur avoit été vendu sans réserve d'aucuns droits seigneuriaux, disant, en outre, que, si ces droits avoient été dûs, ils appartiendroient au magnifique seigneur baillif Tscharner, prédécesseur de celui-ci, puisque c'étoit lui qui en avoit permis l'extirpation, /467/ et que, n'ayant rien exigé pour cela, c'étoit une preuve que l'on ne devoit rien; qu'on ne payoit aucun droit pour cet objet au bailliage de Romainmôtier; que, au surplus, on devoit produire les titres sur lesquels on fondoit ce droit …

Le forestier, n'ayant pas voulu se contenter de tous ces raisonnemens, qui ne s'accordoient pas avec ses intérêts, les fit citer par-devant le dit seigneur baillif d'Aubonne, où, ayant paru, le 17 avril 1776, ils furent, nonobstant toutes leurs raisons de défense, condamnés à payer ces droits, et le terme requis pour communiquer le fait à la commune du Chenit, venderesse, leur fut refusé. Ayant interjeté appel de cette sentence, disant que cet objet ne pouvoit pas être jugé sommairement, ils en furent éconduits; sur quoi, ils protestèrent de recours.

Les communautés de la Vallée, ayant eu connoissance de cette affaire, qui leur parut de conséquence par rapport à leurs particuliers, prêtèrent leurs noms aux sus-dits propriétaires des forges, pour suivre à leur recours auprès de LL. EE. , lesquelles, après avoir fait faire toutes les recherches nécessaires, reconnurent que le refus de payer ces droits étoit bien-fondé; c'est pourquoi, elles en déchargèrent les dits maîtres des forges, pour le cas dont il s'agissoit; après quoi, elles firent parvenir aux Communes un arrêt, sous la date du 3 janvier 1778, qui, après le détail du cas en litige, porte ce qui suit: « Et, voulons, en outre, que ce droit de cinq sols, par char de charbon (pourvu que cela regarde les bois du Bailliage d'Aubonne où une ou plusieurs communautés de celui de Romainmôtier ont quelque droit de se pourvoir de bois), ne soit plus exigé, dès-à-présent, et entièrement aboli pour l'avenir. » /468/

§. 118.

Il y avoit environ un siècle, comme on peut l'avoir remarqué, que la musique des Psaumes avoit commencé à s'introduire dans l'église du Chenit. Dès-lors, elle s'étoit fortifiée à un point que, dans ce tems, elle paroissoit être à son plus haut période; cependant, elle n'avoit pas atteint le degré de perfection dont elle peut être susceptible. Ce fût dans la vue d'approcher, de plus en plus, de ce degré de perfection que monsieur le ministre Réal, nouveau pasteur au Chenit, insinua à son troupeau d'apprendre à chanter cette musique selon la valeur des notes, ce qu'il entendoit très-bien. Il apprit à plusieurs personnes à marquer la mesure, particulièrement aux régens, qu'il engagea de l'introduire dans leurs écoles. Ce qui est nouveau plait ordinairement; on commença à faire des concerts, dans l'église, selon cette nouvelle méthode, à l'issue du service divin, auxquels le sus-dit pasteur assistoit avec plaisir; ces concerts se réitéroient en particulier, dans plusieurs maisons, où les voisins se rencontroient; en un mot, chacun témoignoit un zèle particulier pour se mettre au fait de cette manière de chanter. Peu de tems après, il s'établit une société de chantres, à l'imitation d'une semblable, érigée à Lausanne, quelque tems auparavant, qui comptait, parmi ses fondateurs, plusieurs ressortissans de la commune du Chenit, établis dans cette ville. Enfin, on introduisit ce chant dans l'église, après que les trompettes qui le conduisent s'y furent exercées. Le goût en passa dans les deux communautés voisines, où il se conserve encore, comme dans celle du Chenit, mais ce premier zèle paroit déjà se ralentir.

Il serait cependant à souhaiter qu'il se maintint et se /469/ fortifiât, puisque cette manière de chanter les Psaumes a quelque chose de plus-vif, de plus-animé et de plus-propre à fixer l'attention. On doit, à mon avis, envisager la musique et la poésie comme deux sœurs, qui cherchent à l'envi les moyens d'exciter dans nos âmes certains mouvemens agréables; mais, lorsqu'elles se réunissent, et se prêtent mutuellement une harmonie réciproque, c'est alors que nous recevons plus-particulièrement ces douces émotions. On dira, peut-être, que la musique se joint aussi à la poésie profane, et qu'elle produit les mêmes effets… Mais, on ne saurait disconvenir qu'il n'y ait une grande différence: la profane ne sert, bien-souvent, qu'à réveiller chez nous certaines passions déréglées, ou, tout au plus, à donner quelque récréation à notre esprit. La sacrée, au contraire, sert à le tranquilliser, à y produire des sentimens de reconnaissance et d'amour envers l'Auteur de notre existence, comme aussi à rendre un hommage de louanges et d'adoration à sa Majesté suprême. Or, il est certain que plus elle a d'accord et de mélodie, et plus elle est propre à y fortifier ces heureuses dispositions.

§. 119.

La commune du Chenit acheta, dans ce tems, pour le prix, en capital et vins, de six-mille et septante-cinq florins, une particule de montagne, située derrière la grande-Roche, enclavée, par encasse, dans celle que cette commune avoit acquise en 1741, qu'elle limitoit d'orient et vent; cette particule de montagne étoit d'une grande convenance à la Commune, pour rendre sa montagne carrée, aussi le propriétaire qui la vendit sut en profiter, pour en tirer un parti avantageux. L'acte de cette acquisition fut stipulé le 29 septembre 1777. /470/

§. 120.

On a déjà vu que les trois Communes de la Vallée ont fait, en différens tems, des frais assez inutiles en voulant chercher les moyens d'abaisser le lac, par la découverte de nouveaux entonnoirs. Celle de l'Abbaye, qui a toujours fait paroître beaucoup d'inclination pour ces vaines recherches, se mit, cette même année 1777, en devoir d'y travailler; elle invita les deux autres Communes à se joindre à elle pour cet objet. Celle du Lieu y consentit, sous certaines conditions, mais celle du Chenit, réfléchissant qu'elle n'avoit déjà que trop employé d'argent à pure perte à ce sujet, refusa absolument de s'y joindre.

La Communauté de l'Abbaie, qui venoit de faire l'acquisition des moulins de Bon-Port, avoit encore d'autres vues, c'étoit d'en déblayer les entonnoirs, et, particulièrement, de rétablir la digue de ces moulins, qui menaçoit ruine. Tout cela l'engagea à pousser son entreprise, qu'elle commença par l'établissement d'un bâtardeau à l'orient du pont d'entre les deux lacs, pour en arrêter la communication. Ce bâtardeau, qui avoit été aussi mal construit qu'il fut de peu de durée, ayant fait monter leur niveau à une douzaine de pieds plus haut que celui du petit lac, qui s'étoit beaucoup écoulé, vint subitement à se rompre. Cette irruption soudaine étant retenue par les chaussées qui supportent ce pont, toute la pesanteur de ces eaux amoncelées se jeta avec encore plus d'impétuosité dans l'arcade qu'il forme et y maintint, pendant l'espace de près de vingt-quatre heures, que les deux lacs restèrent à reprendre leur assiette ordinaire, un torrent affreux, qui, non-seulement, creusa, sous ce pont, un précipice étonnant, mais aussi rongea et emporta les terres, sous les bouts des /471/ dites chaussées, principalement à celle du côté de bise, qui se trouvait la plus exposée, jusques-là que l'on voyoit à découvert, au coin méridional de la dite chaussée, quelques-uns des pilotis qui la soutiennent, qui ne tenoient, à-peu-près, plus en terre que par la pointe, à côté de ce précipice, qui étoit, de plusieurs pieds, plus-profond que le bas des piquets, qui forme ce pilotis.

La communauté du Chenit, chargée de l'entretien de cette chaussée, qu'elle avoit rétablie à grands frais, en l'année 1755, fit des plaintes amères à celle de l'Abbaie, en lui demandant réparation de ce dommage; cette dernière trouvoit ce langage étrange, après la perte plus-considérable, disoit-elle, qu'elle avoit faite elle-même, par la ruine de son bâtardeau. Tous ces raisonnemens n'aboutissant à rien, celle du Chenit lui notifia des protestes, qui furent suivies d'un convenant, par lequel celle de l'Abbaie s'engagea de réparer convenablement le dommage arrivé à cette chaussée; elle y fit effectivement une espèce de réparation, sous la direction d'un homme du Pont, qui ne se trouva pas meilleur architecte, pour cet objet, qu'il ne l'avoit été pour le bâtardeau. La commune du Chenit, n'ayant pas voulu se contenter de cette réparation, que celle de l'Abbaie prétendoit et soutenoit être plus que suffisante, cela donna lieu à bien des discussions, qui durèrent deux à trois années, au bout desquelles cette commune fut enfin condamnée, par le magnifique seigneur baillif de Romainmôtier, qui avoit fait une vision sur les lieux, à faire cette réparation, selon son engagement, sous l'inspection d'un homme entendu à ces sortes d'ouvrages, qu'il avait nommé et qui, ayant examiné cette réparation, ne la trouva pas recevable, et, en outre, à payer à la commune du Chenit ses frais déboursés. /472/

§. 121.

Ce fut cette même année et la suivante que monsieur le Colonel Gruner, seigneur baillif d'Aubonne, introduisit des Bourguignons dans les bois de son Bailliage; les communautés de la Vallée, lui ayant fait inutilement de respectueuses représentations à ce sujet, se virent dans la nécessité d'en porter plaintes à LL. EE. , qui rendirent un arrêt, sous la date du 20 mai 1779, lequel, après avoir fait mention des sus-dites plaintes, et de la contre-information du dit seigneur baillif, rappelle les divers arrêts déjà émanés pour le même fait, comme suit: « Mais, comme, à l'égard de ces forêts, il est expressément défendu à un chacun, comme aussi à nos baillifs, par plusieurs ordonnances, du 22 juin 1744, 21 décembre 1758, 30 mai 1762, et 5 février 1776, d'y introduire les Bourguignons, ou de leur en accorder aucun bois; qu'aussi, par le règlement des ports et joux, de 1700, article 7, pour le Païs-de-Vaud en général, et par la défense souveraine de l'exportation des bois, du 26 août 1768, il est entièrement interdit d'accorder aucun bois à des étrangers, et d'en sortir du pays; c'est-pourquoi, LL. EE. n'ont pu approuver les permissions qu'avez accordées aux Bourguignons, et viennent vous ordonner, par les présentes, de n'accorder, dès-à-présent et dans la suite, sous quel prétexte que ce puisse être, l'entrée à aucun Bourguignon dans toutes ces forêts, ni de leur en octroyer aucun bois; ce que, pour votre conduite, et de vos successeurs, vous ferez inscrire en son lieu, … » /473/

§. 122.

Les revues de milices se faisoient autrefois, pour l'ordinaire, ainsi qu'on l'a remarqué ailleurs, dans chaque communauté; mais, entre les différentes ordonnances qu'il a plu à LL. EE. d'émaner dès-lors, pour perfectionner le service militaire, il s'en trouve une qui porte qu'il se fera, toutes les années, une revue générale pour chaque bataillon. Dès-là, la milice de toute la Vallée, qui en forme un, fut obligée de se réunir, pour assister à ces revues. Lors de cette ordonnance, la place d'assemblée de ce bataillon fut d'abord établie dans la communauté du Lieu, sur le terrein qui aboutit au village du côté du vent; cela se pratiqua ainsi pendant quelques années, au bout desquelles cette communauté, qui, vraisemblablement, se crut en pouvoir de disposer à son gré de l'emplacement de ces revues, fit conduire le bataillon sur les communaux qui sont à l'occident de ce village, dans un endroit qui lui parut propre à y faire une place d'armes; elle voulut même se mettre en devoir d'en applanir le terrein, et poussa ses prétentions jusqu'à demander que les deux autres communes y contribuassent. La communauté du Chenit, dont la milice se trouvait déjà beaucoup gênée, à cause de l'éloignement, de se rendre au premier emplacement, trouvait encore plus de difficulté au second, encore plus éloigné, et où, d'ailleurs, on ne pouvait se rendre qu'avec beaucoup d'inconvéniens. Tout cela lui fit naître l'idée de chercher une place plus agréable et plus commode. Elle crut la trouver dans l'endroit où elle existe aujourd'hui, et, l'ayant fait voir à messieurs les majors, ils tombèrent d'accord qu'il n'y avoit point d'endroit, dans tonte la Vallée, plus-propre que celui-là pour y établir une place d'armes, vu qu'il étoit le plus central et le plus à /474/ portée de tous les grands chemins, par lesquels chaque contingent pouvait s'y rendre librement, de tous les côtés, de quoi ils donnèrent leurs rélations. Après quelques autres démarches, la Commune du Chenit présenta à LL. EE. une très-humble requête, accompagnée des sus-dites rélations et d'un plan idéal de la Vallée, dans lequel on avoit marqué les hameaux, les maisons isolées, les grands chemins, l'emplacement proposé, comme aussi celui que la Commune du Lieu avoit voulu choisir. On fut instruit du succès de cette requête par un rescript de LL. EE. du Conseil de Guerre, daté du 18 mars 1779, qui porte: « qu'elles n'ont trouvé aucune difficulté de changer la place d'armes de toute la milice de la Vallée, pour les revues générales, etc … En conséquence, le magnifique seigneur baillif de Romainmôtier fut chargé d'en donner communication aux Communes intéressées, et de leur ordonner de faire incessamment préparer cette place … »

Les mandats qui accompagnoient ce rescript désignoient déjà cette place pour y passer la revue: elle se trouvoit, cependant, bien éloignée d'être propre pour cela, il fallait emporter, dans une certaine largeur, et jusqu'au-delà de cinq pieds de profondeur, dans le milieu, une espèce de colline, ou d'élévation, qui régnoit à-peu-près dans toute sa longueur; il n'y avait donc pas du tems à perdre. D'abord après la publication de ces mandats, on s'empressa d'y travailler; tous les Communiers s'y prêtèrent avec joie, et la plupart avec un zèle et une diligence qu'il seroit difficile d'exprimer: ils firent, à-peu-près tous, chacun une journée de commun gratis, et ensuite deux autres journées, pour chacune desquelles la Commune leur donna trois bâtz; le nombre de journées se monta au-delà de treize-cents. Les particuliers du hameau des Bioux y firent volontairement et gratis un bon nombre de journées; outre cela, la /475/ Commune en paya une grande quantité d'autres, et bien des charrois, pendant l'espace d'environ six semaines que ces travaux durèrent; elle déboursa, à ce sujet, au-delà de dix-huit-cents florins, y compris ce qu'elle avoit donné aux Communiers.

Les Communautés du Lieu et de l' Abbaie, excepté le hameau des Bioux, ne virent pas d'un œil d'indifférence ce nouvel établissement, qui avoit été ordonné sans leur participation, et, comme il n'était pas de leur goût, et qu'il leur paraissait qu'il ne pouvoit pas subsister, elles se persuadèrent aisément qu'il ne seroit pas difficile de le faire révoquer. Dans cette flatteuse espérance, elles refusèrent de travailler à l'établissement de cette place, quoiqu'elles en eussent reçu les ordres du magnifique seigneur baillif. La Commune du Chenit ne crut pas qu'il lui convînt, dans ces circonstances, de faire des démarches pour les y obliger. Cependant, la milice de ces deux Communes se rendit à cette première revue, en se promettant bien de n'y pas revenir une seconde fois. En effet, ces communautés envoyèrent des députés, chargés de toutes les instructions nécessaires, pour requérir, de LL. EE. , ce changement si-désiré; mais, toutes leurs démarches n'aboutirent qu'à faire sortir un arrêt, que le noble et magnifique seigneur baillif de Romainmôtier fit parvenir à la Commune du Chenit, quelque temps après le retour de ces députés, dont voici le contenu:

« La requête présentée de la part des Communes de l'Abbaie et du Lieu, en la Vallée-du-Lac-de-Joux, tendant à obtenir que l'on change la place-d'armes, au Chenit, à la tête du lac, proche du marais de monsieur de Froideville, a été éconduite, comme mal-fondée, l'établissement qui fut fait, l'année dernière, de cette place-d'armes, ayant eu lieu en suite d'un plan proposé, et des /476/ conseils de feu sa très-noble seigneurie baillivale Jenner, des majors du régiment et du département. C'est ce dont vous êtes rendu sachant, pour en donner avis aux Communes, et en avoir la connaissance nécessaire. Actum, le 28 février 1780. »

Cette même année, 1780, la Commune du Chenit déboursa encore près de cinq-cents florins, pour perfectionner cette place; ainsi, tous les déboursés à ce sujet se montèrent à la somme de deux-mille et deux-cent-soixante et dix-florins, qui, joints à celle de deux-mil-trois-cent-quarante-trois florins, pour l'acquisition du terrein, font un total de quatre-mil-six-cent et vingt florins.

Le stipulation de l'acte de cette acquisition fut renvoyée jusqu'à ce que la Commune eût fait parvenir, à LL. EE. , une très-humble requête, pour demander l'affranchissement des lauds, eu égard à ce que ce terrein était uniquement destiné pour leur service; elles exigèrent le laud ordinaire, et accordèrent, gracieusement, la gratification de celui mortissement.

Dans le tems que la Commune du Chenit commençoit à faire travailler à l'établissement de cette place-d'armes, monsieur le Colonel de Froideville lui Offrit de prendre, sur ses marais, une lisière de terrein, qui se termine en pointe, du côté de bise, qui contient environ trois-cent soixante toises, qui joint, du côté d'occident, par les bornes qui y ont été plantées, celui que la commune avait acquis, et cela, pour que cette place fût plus-carrée, et d'une étendue plus-suffisante; il permettoit d'y mettre des matériaux, pour en affermir le sol, sous promesse d'en laisser la jouissance pour l'usage des revues. La commune, en conséquence de cette offre, fit mettre, dans toute cette lisière, jusqu'à deux pieds d'épaisseur, des matériaux qu'on ôtoit de dessus son terrein, pour l'aplanir.

/477/ Dès qu'elle fut nantie de l'arrêt de LL. EE. dont on a parlé ci-dessus, elle se persuada que cette place seroit stable, ce qui l'engagea de faire, avec le dit monsieur le Colonel, une convention, par écrit, sur l'offre qu'il avoit faite. Il ratifia sa promesse, et s'engagea à ne jamais faire, sur la lisière en question, aucun établissement qui pût préjudicier à l'usage perpétuel qu'il en accordoit. En échange, la Commune le déchargea d'une cense rédimable, de six batz par année, qu'elle avoit imposée anciennement sur ces marais, le tout comme il se trouve plus-amplement spécifié dans l'acte qui en fut stipulé, par Ege. Nicole, le 14 août 1781.

§. 123.

En l'année 1782, LL. EE. firent bâtir, au Brassus, une maison, pour y loger le commis des péages, qui est en même tems inspecteur des bois qui passent par le chemin de la montagne; on y fit, cette même année, une réparation assez considérable, et l'on observa que la commune avoit déboursé près de trente-mille florins, tant pour ce chemin que pour tous ceux qui ont été rétablis ailleurs, depuis l'année 1766 à celle-ci, comprise.

§. 124.

Monsieur Réal quitta le Chenit, au mois de mai de l'année suivante, pour aller prendre possession du ministère de l'Eglise française à Berne; il avoit desservi celle du Chenit, pendant l'espace d'environ huit années, avec une approbation toute-particulière, et on ne le vit partir qu'avec le regret le-plus-sensible. Je n'entreprendrai pas de faire son éloge; cependant, je ne puis m'empêcher de remarquer qu'il possède, dans un haut degré, diverses sortes de /478/ sciences, et qu'il passe pour un des meilleurs prédicateurs de ce pays, étant reconnu pour tel par les connoisseurs, dont quelques-uns même le mettent au premier rang. Ajoutez à cela une conduite exemplaire et édifiante, une humeur égale mêlée de douceur et de gaîté, sans sortir de la gravité qui convient si-bien au caractère d'un Pasteur. Toutes ces qualités, jointes à un abord facile, ne peuvent que lui gagner l'estime, l'amitié, la considération et le respect de ceux qui l'approchent.

Monsieur François-Louis Trillard fut nommé pour lui succéder; il fut présenté, pour pasteur du Chenit, le 28 mai 1783, jour de l'Ascension.

§. 125.

Quelque tems après, fut terminée une difficulté, ventillante, entre la commune de Bénins et celle du Chenit, à l'occasion du droit d'usage, que cette dernière avoit exercé, de tout tems, sur les bois de la Bursine et de sa dépendance, et dont elle demandoit la continuation, en vertu du titre de 1344, et autres droits, que cette première refusoit, depuis un certain nombre d'années, en se fondant principalement sur l'abergement de LL. EE. , de l'année 1543, qui lui en confère la propriété.

Le succès de ce procès paraissant assez équivoque, et cette montagne se trouvant, à l'exception des bois de réserve, à-peu-près tout-entière, réduite en pâturage, tout cela engagea la commune dn Chenit à écouter des propositions tendantes à un accommodement, qui eut lieu le 22 août de la dite année 1783, au-moyen duquel elle reçut un canton de dix poses de bois, situé au coin oriental et septentrional de la montagne du Cerney, pour être mis en champ en sa faveur, pour quel effet elle renonça à tout droit de /479/ bocherage sur les bois de toute le dite montagne, comprise sous les noms de Bursine, Milieu et Cerney.

De quel œil la postérité envisagera-t-elle cet accommodement? Quoi! avoir renoncé au droit d'usage sur les bois d'une montagne de cette étendue, pour en obtenir dix poses qui ne valoient pas les frais qu'on avoit déjà supportés pour ce procès? … Ce raisonnement, qui, sans doute, se tiendra un jour, s'il n'a pas déjà lieu aujourd'hui, on l'entend faire très-souvent, par rapport à d'autres objets, à bien des gens, qui se croient fort-éclairés, surtout lorsqu'il s'agit de blâmer la conduite de ceux qui les ont précédés; ils ne manquent pas de raisons spécieuses, pour insinuer que, s'ils avoient été de ce tems, et qu'on les eût écoutés, on n'aurait pas fait les fautes que l'on déplore aujourd'hui. Falloit-il, selon eux, avoir le sens commun, de vendre, pour rien, des terreins considérables; introduire, dans la Vallée, des étrangers, qui possèdent ce qu'il y a de plus beau et de meilleur? Pourquoi a-t-on négligé, dès-lors, d'acquérir certains fonds et montagnes qui valent le double, ou le triple, de ce qu'ils ont coûté? et mille autres raisonnement de cette nature, que l'amour-propre, la vanité et la présomption mettent dans la bouche de ceux qui les tiennent, lesquels je ne prendrai pas la peine de réfuter, dans la persuasion où je suis que tout homme de bon sens, et dépouillé de prévention, comprendra sans peine qu'avant que de critiquer, et de gloser sur la conduits de quelqu'un, il faut connoître les circonstances où il s'est trouvé, comme aussi les raisons qui l'ont déterminé à agir de telle ou telle manière. Sans cette connoissance, tous les jugemens qu'on peut faire seront toujours précipités et hasardés, et, par-là même, téméraires et ridicules.

Que n'aurais-je pas à dire, à l'occasion de divers autres /480/ raisonnemens, qui ne font que trop-souvent l'entretien de certaines personnes d'entre le public? A les entendre, ceux qui dirigent les affaires de la commune, bien-loin de procurer son avantage, ne cherchent qu'à s'élever, ne prennent part à aucune entreprise qu'avant qu'ils y trouvent leur compte; en un mot, ce sont autant de sangsues, qui s'engraissent aux dépends du bien public.

Je ne m'arrêterai pas, non plus, à faire connoître le faible d'un tel langage, quoiqu'il seroit fort-aisé de le convaincre de faux. Je remarquerai seulement que, si tous ceux qui tiennent ce langage, étoient capables de faire la moindre réflexion, ils s'apercevraient, immanquablement, qu'ils dévoilent, sans y penser, leur mauvais caractère, en se faisant connoître non-seulement pour des ignorans, mais aussi pour des gens sans retenue et sans bonne foi, qui seroient tout-disposés, si la chose étoit en leur pouvoir, de se conduire eux-mêmes selon les principes qu'ils attribuent, avec autant de légèreté et d'injustice, à ceux qui se trouvent les objets de leur envie et de leur calomnie. C'est ce qui me fait espérer que la petitesse et la bassesse, pour ne rien dire de plus, de tous ces raisonnemens, ne sera pas capable de porter le découragement dans l'âme de ceux qui exercent actuellement quelque emploi dans la communauté, ni, non plus, dans celle de ceux qui pourront être appelés à leur succéder, mais que, au contraire, ils se conduisent toujours par des vues plus-nobles, en s'efforçant, de plus en plus, à remplir dignement tous leurs devoirs, et en se souvenant, surtout, que les personnes appelées aux emplois doivent avoir pour maxime de procurer le bien public plutôt que leur propre agrandissement!

 

/481/ Dans cette persuasion, je réitère les vœux les plus ardens, pour qu'il plaise au Seigneur d'inspirer, aux uns et aux autres, tous les sentimens et toutes les dispositions qui conviennent à de vrais patriotes et à de bons citoyens, afin que, par une suite de sa bénédiction et de leur bonne conduite, la prospérité de la communauté se fortifie et s'augmente, de plus en plus, à la gloire de son grand nom, au bien et à l'avancement de tous les individus qui en sont membres!

FIN.

 

/482/

 

OBSERVATIONS.

Pour remplir le devoir que je me suis imposé, de rapporter exactement les faits contenus dans mon recueil, j'avertis ceux qui voudront bien se donner la peine de le lire que,

1º Lorsque j'ai parlé, à la page première, de la muraille que Jules-César fit construire, pour arrêter le passage des Helvétiens, j'ai suivi l'opinion commune, par rapport à son emplacement. Cependant, quelques-uns veulent qu'elle ait été placée de l'autre côté du lac Léman, et d'autres un peu plus-bas que Genève, joignant la rive gauche du Rhône. Quoi qu'il en soit, ce fut cette muraille, revêtue en dedans d'un grand fossé, garni de soldats, qui empêcha ces Suisses de passer, et qui les obligea de traverser le mont Jura et la Bourgogne, d'autant que leurs villes, au nombre de douze, avec quatre-cents villages, et autres bâtimens particuliers, comme aussi leurs grains et autres effets, excepté ce qu'ils emportoient avec eux, étoient brûlés, précaution qu'ils avoient prise pour s'ôter toute espérance de retourner chez eux, et pour avoir plus de hardiesse au milieu des dangers où ils s'exposoient.

2º Je dois aussi avouer que c'est par équivoque que j'ai donné, à la page 300 et ailleurs, le titre de duc à Louis de Savoie: il étoit simplement seigneur, ou baron, du Pays-de-Vaud, et, dans le tems qu'il acquit la Vallée, il étoit tuteur d'Amédée VI, comte de Savoie, son neveu, alors âgé de neuf à dix ans; c'est celui qui acquit la seigneurie du Pays-de-Vaud, comme je l'ai remarqué, en l'an 1339. Ce ne fut qu'au commencement du siècle suivant qu'Amédée VIII, comte de Savoie, reçut ce titre de duc, de l'Empereur, lequel il transmit à son fils, nommé Louis, qui fut le second duc de Savoie.

 

 


 

/484/

 

SUPPLÉMENT,

Qui contient un dénombrement, qui fut fait au mois d'août de l'année 1785,

DE TOUTES LES FAMILLES QUI RÉSIDOIENT ALORS DANS LA COMMUNAUTÉ DU CHENIT, CONTENANT AUSSI LE NOMBRE DES PERSONNES DONT ELLES ÉTOIENT COMPOSÉES.

 

HAMEAU DU SOLIAT
Familles Personnes
1Samuel Reymond, conseiller,8
2Abraham Meylan, menuisier,8
3Abraham-Samuel Reymond,1
4David Golay, horloger,4
5Abraham Simond,4
6Jean-François Reymond,5
7La veuve de Samuel Golay,3
8Samuel Capt, horloger,8
9Louis Capt,2
10Pierre Capt, et son fils,9
11La veuve de David Piguet, cordonnier,6
12Son fils aîné,3
13Joseph Piguet, conseiller, et son fils aîné,7
14Louis Piguet, son autre fils,3
15La veuve de Joseph Reymond, du pertuiset,2
16Siméon Reymond,5
17Abraham Reymond, son frère,6
18Abraham, feu Daniel, Reymond,5
19David Reymond, son frère,2
20Abraham-Joseph Piguet,4
21Louis-Timothée Reymond, et ses frères,8
22Joseph Meylan, compris ses pupilles,8
23Jaques Reymond, gouverneur,5
24Abraham-Isaac Lecoultre, régent,3
25Abraham-Isaac Lecoultre, régent,3
26Samuel Lecoultre,6
27Bastien Meylan, et David, son fils,11
28Henri Meylan, petit-fils du dit Bastien,3
29David Reymond , horloger,9
30Joseph Nicole, messager, et sa fille,4
31Joseph Reymond, horloger,11
32Daniel Meylan,5
33Abraham Lecoultre, lapidaire,10
34David Lecoultre, son cousin,9
35Henri Piguet, et son frère,6
  Total, 198
   
   
HAMEAU DU SENTIER, DERRIÈRE LA CÔTE
   
1Abel Golay,6
2David, feu le lieutenant Abraham Meylan,7
3Samuel Reymond, et son beau-frère David Aubert,6
4Jaques, fils de Pierre, Golay,7
5Jaques, fils de Joseph, Piguet,7
6Abraham-Isaac Simon, et Louis Simon, son parent,8
7Pierre Meylan, cadracturier,7
8Jaques-Abraham Golay,7
9David-Joseph Reymond,8
10Abraham Golay, conseiller,6
11H. David, ffeu Abraham, Golay,6
12Daniel Golay,2
13Samuel Audemars,1
14Pierre Meylan, cordonnier,5
15Abel Capt,9
16Pierre-Henri Golay, horloger,7
17Joseph Golay, horloger,4
18Pierre ffeu Simon Golay,3
19Pierre-Moïse Aubert,10
20Fréderich, d’Abraham, Aubert,3
21Abraham Aubert,4
22Henri, autre fils du dit Abraham, Aubert,6
23Joseph Audemars, cordonnier,4
24David, fils de Daniel, Golay,3
25David, fils d’Abraham, Golay, armurier,6
26David Aubert, marchand et conseiller,5
27David Aubert, l’aîné,10
28La veuve de Pierre Golay,3
29Pierre Aubert, conseiller,10
30David, fils de Jean, Aubert,5
31Henri Aubert, son frère,2
32Jean Aubert, assesseur,5
33Jaques-Louis Aubert,2
34Jaques-David Simon,5
35Abel, ffeu Abel, Piguet,8
36Abraham-Isaac Capt, tambour,9
37La veuve d'Abel Piguet, tailleur,2
38Jaques-David Aubert,6
39Bastien Simon,3
   
   
   
DEVANT LA CÔTE
   
40Jaques Lecoultre, ancien régent,4
41La veuve de Joseph Simon,5
42Pierre Golay, conseiller,12
43Pierre Guignard, et son fils David,6
44Henri Guignard, son fils, et sa sœur,6
45David, fils d'Abraham Simon,6
46Paul-Louis Capt,7
47Pierre-Abraham Guignard,7
48Abraham-Joseph Lecoultre, assesseur,9
49La veuve d'Abraham-Joseph Lecoultre,2
50La veuve de Joseph Meylan, assesseur,2
51La veuve de David Lecoultre,2
52Joseph Meylan, régent,2
53Eugène-David-Moïse Nicole, commis des,7
54La veuve d’ Abraham-Isaac Reymond, marchand,3
55Lily Rochat, habitant,7
56La cure,3
57Philippe Lugrin, forestier,7
58Jaques Meylan , officier,7
59Samuel Meylan, capitaine-lieutenant,8
60La veuve Piguet,6
61Benjamin Guignard,2
62Siméon Golay,4
63David ffeu David Golay,11
64Jaques Golay,7
65David Rochat, du Lion-d'or,5
66La veuve de David Golay, officier,6
67Joseph Meylan, vers les Moulins,10
68George Hoffmann, tailleur, habitant,6
69Abel Meylan, tonnelier,6
70Joseph Goy,3
71Joseph Simon,7
72Benjamin Golay, secrétaire,1
73Samuel Meylan,4
74Jaques Meylan,3
75Elisée Lecoultre,5
76Abraham-Joseph Piguet,10
77Abel Meylan, sergent,4
78Henri Golay,7
79Jean-David Golay,6
80Abel Capt, marguillier,5
  Total, 447
   
   
HAMEAU DES PIGUET, DERRIÈRE LA COTE
   
1Jaques ffeu Abraham Golay,7
2Joseph Golay, son frère,7
3Frédéric Piguet,10
4Jaques Golay, chirurgien,10
5Frédérich Golay, son fils,3
6Abraham Golay, armurier,6
7Jaques Golay, son fils,4
8Abel Piguet, horloger,10
9Pierre Piguet, conseiller,1
10Jaques Piguet, son fils,8
11Philippe Piguet, autre fils du dit,3
12David Golay, lapidaire,3
13Jeannot Reymond,10
14Pierre Reymond , cordonnier,4
15Henri Piguet,4
16Louis Piguet, son frère,4
17Abrabam-Isaac Piguet, conseiller,9
18David Piguet,6
19Henri Reymond,4
20Abraham-Isaac Lecoultre,6
21Pierre Audemars,3
22David Nicole, .,3
23David-Samuel Nicole, conseiller,7
24Moïse Nicole,1
25David Piguet,3
26David Capt, lapidaire,9
27David Samuel Capt,4
28Jean-David Goy,7
29Daniel Meylan, l’amodieux, et les hoirs Maréchaud,12
30La veuve d’Abraham Maréchaux,6
31La veuve de Samuel Aubert,6
32David Audemars,6
33Henri Audemars, tambour,11
34La veuve de Joseph Audemars,6
35Jaques Audemars,2
   
   
   
DEVANT LA COTE
   
36Joseph Aubert, de pré rond,8
37Les hoirs de Moïse Golay,2
38La veuve de Pierre Golay,2
39La veuve de David Golay, chirurgien,3
40Samuel Golay,7
41Jaques ffeu Daniel Golay,5
42Jaques Piguet, marchand,5
43Jaques-David Reymond, régent,5
44Henri Benoit,3
45Abraham Golay, assesseur,8
46Abel Piguet,8
47David Piguet, justicier,11
48David Piguet, conseiller,1
49Joseph Golay,8
50Jaques Piguet,10
51Joseph Piguet, conseiller,14
52Abrabam-Isaac Piguet, son fils aîné,6
53Abraham Piguet, du bas de la Combe,5
54Gabriel Golay, et son fils,2
55Benjamin Golay, autre fils du dit,9
56Daniel de Joseph Reymond,3
57Jaques-Louis Reymond ,3
58Joseph Reymond,2
59David Reymond,6
60David Piguet, gendre (du dit),9
61Daniel Golay, à la maison Thomasset,7
62Abraham Piguet, horloger,7
63Daniel Capt, lapidaire,4
64Jaques-David Aubert,11
65Abraham Reymond,9
66Joseph Raymond et Louis Piguet,9
67Daniel-Siméon Raymond,8
  Total, 405
   
   
HAMEAU DU BRASSUS ET DU BAS DU CHENIT
   
1Jean-Pierre Aubert,5
2Samuel Piguet,3
3Pierre-Jacob Aubert,5
4La veuve de Joseph Aubert,3
5Samuel Aubert, assesseur,5
6David Raymond,3
7Abraham Piguet,2
8Jaques-Henri Aubert,12
9Jaques Jaquet, habitant, et les forgerons résidens,10
10Jaques Rochat, horloger,7
11Jaques-David Nicole, juge,2
12Abraham Raymond,1
13Pierre ffeu Jaques Meylan,6
14Jaques-David Benoit,4
15Abraham Aubert, maréchal,13
16Pierre Meylan, lieutenant,5
17François Meylan,4
18Louis Simon,3
19David Rochat, de la lande,8
20Dunand, commis au bureau,1
21David-Moïse Golay,2
22David Reymond, horloger,8
23Pierre Rochat,11
24David Meylan,6
25David Meylan, son fils aîné, . . .,4
26Daniel Meylan, menuisier,10
27Siméon Meylan,7
28Pierre Abraham Meylan, conseiller, .,3
29Henri Meylan, serrurier,7
30Louis Meylan, tambour, et son oncle,5
31La veuve de Nicolas Simon,6
32Jaques, fils de Joseph, Simon,3
33Abraham-Isaac Aubert, et son gendre,8
34Abraham-Louis Meylan,3
35Jean-Baptiste Simon,5
36Abraham Viande,5
37Pierre-Moïse Piguet,7
38François Glardon, habitant,3
39La veuve Glardon, habitante,3
40Jaques Simon,3
41Abraham-Isaac Simon,5
42La veuve de Jean-Daniel Piguet,4
43Abraham, ffeu David, Lecoultre,9
44David, ffeu David, Lecoultre,6
45Louis Tavel, habitant,3
46Daniel-Louis Lecoultre,6
47Samuel Lecoultre,4
48Daniel Lecoultre,10
49Samuel Lecoultre, régent,6
50Jean-David Lecoultre,7
51Jaques Capt, forestier,10
52Félix Capt, son frère,6
53David Golay, assesseur,11
54Abraham, ffeu Christophe Golay,7
55Timothée Golay, conseiller, et sa belle-sœur,5
56Jean-Daniel Golay, conseiller,14
57Jean-Pierre Piguet, et Abraham, son fils,9
58David Piguet,5
59Elisée Piguet,5
60Daniel Golay, conseiller,9
61Daniel Piguet, horloger,1
62Charles Piguet,3
63Isaac Piguet,3
64Abraham Lecoultre,13
65Daniel et David Audemars,7
66Daniel Piguet, lapidaire,9
67David Capt, son beau-fils,3
68Abraham Raymond,7
69Abraham-Isaac Raymond, colporteur,3
70Pierre Lecoultre,8
71La veuve de Jaques-David Reymond,5
72Le fils de feu Joseph Lecoultre, et David Golay,11
73Isaac Reymond,6
74La veuve de Daniel Piguet, régent,2
75David Meylan, conseiller, et son gendre,8
76Moïse Maréchaux,2
77Pierre Maréchaux,2
78Abraham Piguet et ses fils, en deux maisons,9
79Joseph Piguet,13
80La veuve de David Piguet,2
81Fréderich Piguet,3
82Abraham Lecoultre,5
83Joseph Golay,3
84Bénédict Lecoultre,7
85Les filles de feu Jean-Daniel Lecoultre,3
86Nicolas Lecoultre,7
87La veuve de Jaques-David Lecoultre,4
  Total, 501
   
   
HAMEAU DE L'ORIENT DE L'ORBE
   
1David ffeu Benjamin Golay,6
2Henri Meylan,5
3Daniel et David-Moïse Meylan,8
4Timothée Meylan,1
5David ffeu Simon Golay,4
6David Piguet,4
7Pierre Rochat,6
8Abel Meylan,9
9Henri Meylan , trompette,3
10Daniel Meylan , maçon,5
11Siméon Meylan, son frère,5
12Daniel ffeu Abraham Meylan,12
13Abraham Piguet,3
14Philippe Meylan,4
15Jaques Capt,3
16Abel Capt, et son fils David,4
17La veuve de Jean-Abel Meylan,5
18Samuel Reymond , conseiller,8
19Henri-Joseph Reymond,11
20Joseph Reymond, son cousin,2
21David-Marc Maréchaux, conseiller,6
22La veuve d’Isaac Capt,10
23Henri Reymond,4
24Abraham ffeu Abraham Meylan,9
25Daniel Meylan, son frère,9
26Pierre Capt, conseiller, en deux,12
27Pierre Meylan, tonnelier,4
28Daniel Meylan, son fils,5
29Timothée Meylan,2
30Daniel Meylan, son frère,6
31Nicolas Meylan, régent,8
32Pierre Capt, forestier,2
33Jaques Meylan, fifre,5
34Joseph Meylan, trompette,3
35Abraham Meylan, son frère,5
36Abraham-Samuel Meylan,4
37David Meylan,8
38François Massy, habitant,3
39Isaac Meylan,2
40Samuel Meylan , conseiller,7
41Abraham Reymond,6
42Joseph Rochat,2
43David-Enoch Goy,7
44Jaques Capt,3
45David Capt,5
46Daniel Capt, tambour,3
47Jean-Daniel Capt,5
48Daniel Capt, charron,9
49Abraham-Daniel Capt,9
50Jean Capt, justicier,4
51Abraham Reymond, ffeu Abel,8
52Joseph Aubert,3
53David Capt, tambour,4
54La veuve de David Capt,4
55Charles-Louis Reymond,1
56Abraham-Siméon Reymond,7
57Daniel Guignard,8
58Abel Guignard,10
59David-Joseph Guignard,5
60Joseph-Esaïe Reymond,8
61Jaques Reymond, son frère,5
62Jaques-Daniel Goy,2
63Frédérich Reymond,8
64Jean-Samuel Reymond,2
65Jean-Abel Reymond,2
  Total, 352
   

Selon ce dénombrement, qui fut fait exactement, au mois d'août de l’année 1785,

Le hameau du Solliat contenait 35 familles, 198 personnes
Celui du Sentier80447
Celui des Piguet67405
Celui du bas du Chenit87501
Celui de l’orient de l’Orbe65352
Totaux:3341903

Dans ce nombre de trois-cent et trente-quatre chefs de famille, qui font ensemble celui de mille et neuf-cent-trois personnes, ne furent pas comptés un bon nombre de jeunes-gens de ces différentes familles, qui se trouvoient dehors de la commune, pour quelque tems, soit au service, soit pour travailler de quelque profession. Les domestiques, apprentis et ouvriers étrangers n’y furent pas compris non plus. Tout cela, ajouté, approcherait fort le nombre de deux-mille personnes.

Si l’on ajoute à ce nombre celui des descendans des familles qui sont sortis de cette communauté, qui, comme on l’a remarqué ci-devant, monteroit au-delà de mille personnes, on a de la peine à se figurer un accroissement si-prodigieux, qui, dans l’espace de deux siècles, moins un quart, se trouve être d'environ dix pour un.

 

 

 


 

 

Table des matières

Avant-proposVII à X
Les Helvétiens voulant passer dans les Gaules sont arrêtés à Genève par Jules-César285
Leur défaite à Antun, puis ils retournent dans leur pays286
Conjectures à regard d’une ancienne peuplade dans la Vallée, à cette occasion286
La Vallée fut certainement habitée au 12e siècle288
L’ermite Pontius, ou Poncet, fonde le Lieu 288
L’ordre des Prémontrés institué, environ l’an 1120, par St-Norbert289
L’abbaie du Lac-de-Joux fondée par Ebal de la Sarraz289
La Grande et la Petite Bourgogne; ce que c’est290
Conquête du Pays-de-Vaud par Pierre de Savoie290
Difficultés entre le couvent de l’abbaie et celui de St-Claude293
Reconnaissance du couvent en faveur d’Ebal de la Sarraz294
Reconnaissance du couvent en faveur d’Aimon295
Donations faites à l’abbaie296
Difficultés entre les habitants du Lieu et le couvent de l’abbaie299
François de la Sarraz rend la Vallée à Louis de Savoie, baron de Vaud300
Le comte Amédée VI de Savoie l’acheta en 1359301
Exemption de péages par lui accordée aux ressortissants de sa terre des Clées, mais non à ceux de la Vallée302
Difficultés entre ceux des Clées et ceux du Lieu305
Nicod de Saint-Martin prononce là-dessus304
Difficultés de Guillaume de la Sarraz avec l’abbé Nicolas de Gruffi307
Vinet Rochat et ses fils s’établissent au Lieu308
L’abbaie de Bonmont cède ses prétentions sur la Vallée au comte François de Gruyère, baron d’Aubonne310
Prononciation entre l’abbé Jaques Varnier et les habitants du village de Vaulion, au sujet du coupage des bois313
Première mention du Chenit314
Mandement du duc Charles de Savoie exemptant ceux de Rances et de Valleyres (sous Rances) de péages et gabelles315
Abergement du cours de l'Embouchaz à Jean et à Jaques Rochat316
Reconnaissance de la communauté du Lieu pour le comte Charles de Savoie316
Difficulté entre Jean de Gruyère, baron d’Aubonne, et Claude d’Estavayer, abbé du Lac-de-Joux, à l’occasion du mas de Pra-Rodet317
Ils abergent de concert ce terrain317
Influence de la Réformation sur la Vallée; l’abbé et les chanoines ont quitté l’abbaie319
Procès de la communauté du Lieu avec celles de Bursins et de Burtigny, abergataires de Pra-Rodet319
Les Bernois abergent une partie des Joux et de Pré-Rodet à la communauté du Lieu et le reste à celles de Bursins et de Burtigny320
Reconnaissance de la commune du Lieu pour LL. EE. sous la taille à miséricorde. Ce que c’était322
LL. EE. affranchissent la Vallée de la main-morte, sous une modique cense323
Jean Viande vend aux frères Gabriel et Michel Berney, pour les transporter à leur moulin de l’abbaie, les droits de ses moulins et battoir de Cuarnens323
Julien David et François Prévôt, gentilshommes français, ayant acheté de la commune du Lieu un mas de terrain, le font défricher et y établissent une verrerie323
Ils revendent ce terrain à la ville de Morges326
Cette commune forme les deux montagnes des Plats et de la Burtignière326
Difficultés occasionnées par les dégâts des Bourguignons dans les bois; bornage des souverainetés limitrophes327
LL. EE. détachent la Vallée de la Seigneurie des Clées et du bailliage d’Yverdon et l’annexent à celui de Romainmôtier328
Le commissaire George Darbonnier renouvelle les extentes de LL. EE.328
La communauté du Lieu se sépare en deux et forme ainsi celle de l'Abbaie329
Elle construit le pont d’entre les deux lacs330
Crue du lac causée par le manque d’écoulemcnt de l’eau par un entonnoir qu’on avait bouché. Elle cause beaucoup de dommages330
LL. EE. confirment aux Clées leurs franchises331
Inféodation de LL. EE. à MM. Varro et consorts, de Genève, au Brassus333
Prononciation du baillif de Romainmôtier Sébastien de la Pierre entre les deux communautés de la Vallée et celles de l’Isle, Villars-Bozon et la Coudre, au sujet des grands dégâts de celles-ci dans les joux (forêts de sapins)333
La communauté de Chenit se forme334
Etymologies et définitions diverses, 317 318 331 334 333 336 344379
Montagne des Crosets336
Etablissement d’un moulin au Chenit338
Etablissement d’une scierie339
Mines de fer à la Vallée339
Abergement du moulin et de la scie susmentionnés à Jaques et à Claude Capt, par le ministre Théobald Favre340
Quittance de la commune du Lieu à noble Françoise Morloth, veuve de Jean-Baptiste Varro, seigneur du Brassus341
On se bornait à l’exploitation des bois comme unique ressource343
Reconnaissance de la commune de l’Abbaie pour LL. EE.343
Reconnaissance de la commune du Lieu pour LL. EE.343
Droit de pêche pour noces, préverés, comparailles344
Il n’y avait qu’un seul pasteur pour toute la Vallée, résidant à l’Abbaie et desservant cette église et celle du Lieu346
Histoire de Pierre Lecoultre sur l'établissement d’une église au Chenit; requête à LL. EE. à ce sujet, le 15 mai 1610346
Contributions et libéralités pour cet établissement355
Peste à Berne350
Pierre Lecoultre et Isaac Piguet vont à Berne solliciter à ce sujet LL. EE. au mois de janvier 1612351
Pierre Tharin est présenté le 10 mai 1612, dans l’église du Lieu, pour diacre de celle église et ministre de celle du Chenit333
Reconnaissance de la commune de l’Abbaie du 11 août 1614 , au sujet de difficultés avec les communes de Bière et de Denens357
Difficultés susdites par le pasteur Jean Perreaud au sujet du service des églises du Lieu et de l’Abbaie358
Tremblement de terre dans le Pays-de-Vaud, suivi d’une longue disette361
Bourguignonnes pillardes361
Un ouragan renverse beaucoup de bois362
Etablissemens formés par Simon de Hennesel362
Mesures contre les dégâts des Bourguignons363
Tuteurs établis aux veuves et aux orphelins par les deux consistoires de la Vallée363
Ravages que causent des troupes suédoises; la femme de Jaques Mignot donne l’alarme avec une caisse de tambour364
Louis Varro établit un moulin et un battoir au Brassus365
Les habitants du Chenit forment une communauté distincte de celle du Lieu365
Partage de biens entre elles366
Procès onéreux à la commune du Chenit pour ses montagnes des Chaumilles366
Les archives de la Vallée, restées au Lieu, furent consumées dans un incendie, en 1691367
LL. EE. concèdent, per abergement, à la Vallée l’impôt sur les boissons spiritueuses vendues par les cabaretiers367
Délimitation des souverainetés de Bourgogne et de Berne, déjà projetée en 1548368
Difficultés de la commune du Chenit avec Abraham Chabrey, seigneur du Brassus; délimitation du Brassus d’avec le reste de la commune369
Etablissement du logis de l’Ours au Sentier et de l’ancienne Abbaie des fusiliers au Chenit370
Echange de LL. EE. avec Abraham Chabrey370
Procès au sujet du mas des Amburnex371
Des particuliers de l'orient de l'Orbe s'affranchissent auprès de la commune de l'Abbaie d’une cense annuelle qu’ils lui devaient pour droit de focage373
Abraham Capt établit le logis du Lion au Sentier374
Reconnaissance de censes de la commune du Chenit, en faveur de LL. EE., du 29 Juin 1669374
Les communes du Lieu et de l’Abbaie les reconnaissent aussi375
Brevet de LL. EE. déchargeant ces trois communes du charroi de leur vin de Lonay ou de pareille distance376
Délimitation des mas des Amburnex et de Pré-Rodet377
Difficulté entre la commune du Chenit et Abraham Chabrey, au sujet de l’omguelt378
Abraham Mignot est établi recteur de la bourse des pauvres du Chenit379
Contributions imposées pour subvenir aux besoins de cette commune379
Rudesse de mœurs et simplicité grossière des anciens habitants de la Vallée, ignorans, mais vertueux380
Quelques-uns émigrent dans le Pays-de-Vaud; ce qu'il en est résulté381
Nouvelles difficultés au sujet du mas des Amburnex; règlement souverain pour terminer ces contestations381
Accord entre la commune du Chenit et Abraham Chabrey au sujet d’une nouvelle contribution. Il vend son fief du Brassus à Béat-Louis Thormann. Vente de ses biens ruraux383
Etablissement d’une Justice au Lieu, pour toute la Vallée384
La Moinette, fille de Jaques Bocci, donne des leçons de lecture. Une école s'établit au Sentier. Introduction de la musiqne pour le chant des psaumes384
Réflexion faite en chaire sur le larcin386
Depuis 1612 jusqu’au 23 janvier 1701, vingt-six ministres ont desservi l’église du Chenit386
Fêtes champêtres au Montendre387
Les mœurs des habitants du Chenit s’adoucissent. Grande disette. Ses suites389
Règlement souverain sur les bois390
Christophe Agassis, 27e ministre au Chenit390
Un troisième consistoire, composé des membres de la Justice établie au Lieu, siège à la place au Chenit390
Ces trois consistoires peuvent aussi juger les causes sommaires jusqu’à dix florins391
Les gouverneurs de la commune du Chenit sont mis aux arrêts a Romainmôtier; pour quel motif391
Un troisième ministre, Abraham Malherbe, est établi; il réside au Chenit391
Pension qu’il retire392
Bon mot de Jaques Goy; le chant des psaumes en musique se perfectionne392
Feu dans les bois; la majeure partie de ceux de la Rolaz et des Chaumilles fut préservés393
Grand bien qui résulta de cet incendie394
Développement que prend l'instruction; les arts et les professions sont cultivés394
L’ignorance et la grossièreté diminuent; les affaires de la commune s’améliorent, elle paie toutes ses dettes et fait même des acquisitions395
Difficultés avec des verriers établis aux Grands-Plats; LL. EE. ordonnent de faire cesser cette verrerie, pour la conservation des bois396
Difficultés entre les communes du Lieu et du Chenit avec celle de l'Abbaie pour coupage de bois396
Convention à ce sujet397
Délimitation des bailliages de Romainmôtier et d’Aubonne; les Chaumilles se trouvent dans celui-ci398
Abraham Courlat, 29e pasteur du Chenit398
Sentence par laquelle la commune du Chenit est autorisée à couper du bois aux Epinettes pour réparer le pont d’entre les deux lacs399
Gabriel Jaquier, 30e pasteur du Chenit399
La commune du Chenit acquiert la montagne de derrière la Grande-Roche399
Le bornage des souverainetés de Bourgogne et de Berne est continué400
Nouvelles difficultés de juridiction entre les baillifs de Romainmôtier et d’Aubonne; brevets de LL. EE.400
On fonde la maison de commune du Chenit401
Philippe Bridel, 31e pasteur du Chenit401
Délimitation et bornage de la forêt du Risoud et du bois de Petra-Felix401
Fondation au Chenit de la nouvelle abbaie, dite de St-Jaques403
Les arts et les professions se perfectionnent encore. Joseph Guignard introduit celle de lapidaire403
Construction d’un nouveau temple plus grand au Chenit; requête à LL. EE.404
On décide d’abattre l’ancien et d’en construire un deux fois plus grand à la même place407
On y introduit le chant des psaumes avec les trompettes413
M. Bridel n’en fit pas la dédicace; pour quel motif415
M. Agassiz y prêche le 11 novembre 1728 sur un texte relatif à cette circonstance414
Etablissement au Chenit d’un magasin de sel413
Procès des trois communes de la Vallée avec Monsieur d’Aubonne au sujet de leur droit de bochéage sur sa montagne des Plats. La Justice inférieure de Romainmôtier et la Cour baillivale rendent une sentence en leur faveur. Leur cause est perdue par arrêt de la Chambre des appellation, à Berne416
Procès de ces trois communes, de concert avec celles de la baronnie de La-Sarraz, pour leur droit de bochéage sur la montagne des Mouilles416
M. de Bournens est condamné par quatre sentences417
Procès avec M. d’Aubonne au sujet de la montagne des Trois-Chalets, ou Chalet-à-Roch417
M. d’Aubonne passe expédient418
Arrangement des trois communes avec celles de la baronnie de La Sarraz pour le droit de bochéage que celles-ci avaient dans la Vallée419
Arrêt de LL. EE. au sujet du bois banal de la côte de Burtigny419
Dénombremcnt fait au Chenit en 1737420
Le Juge Daniel Nicole va, à Berne, supplier LL. EE. d’établir une cinquième école à la Vallée420
Changements avantageux qu’occasionne dans les maisons la profession de lapidaire421
L’horlogerie prend naissance au Chenit423
LL. EE. établissent une maîtrise générale pour le Pays-de-Vaud, et des corps de maitrise dans chaque bailliage424
Difficultés de Samud-Olivier Meylan avec la maîtrise de Rolle; ce qu’il en résulte424
Il se forme une société d’horlogers au Chenit; démarche de la maîtrise de Rolle426
Requête des maîtrises du Pays-de-Vaud à LL. EE.427
Règlement de maîtrise particulier à La Vallée429
Représentations des communes du Lieu, de l’Abbaie et de Vallorbes à ce sujet rejetées430
Utilité de cette maîtrise pour la Vallée430
Abus dans quelques localités du pays431
Abolition des maîtrises432
La commune du Chenit acquiert la montagne de derrière la Grande-Roche de David Meylan, du Campez432
La commune du Chenit acquiert le droit du logis de l’Ours de Louis-Nicolas Meylan433
Revue générale de la milice de la Vallée, au mois de mai 1743, au Lieu433
Claude Meylan, âgé de 101 aus, y assiste434
Artifices des Bourguignons pour renouveler leurs dégâts dans les bois434
Un arrêt de LL. EE. sensuit (22 Juin 1744)433
Charles-Louis Agassiz succède à Philippe Bridel dans l’église du Chenit437
Un messager est établi au Chenit pour porter les lettres à Romainmotier deux fois par semaine437
Cette commune acquiert une pièce de montagne enclavée dans la forêt du Risoud. Suites funestes de cette acquisition. Vision en 1754438
Dommages que cause une grande crue du lac. Extrémité opposée; les entonnoirs de Bon-Port sont à sec; les deux lacs sont séparés439
Les communes du Chenit et du Lieu construisent un pont en bois de chêne et un fort pilotis440
Grand procès entre les communautés du Chenit et du Lieu et la Chambre des bois et forêts de la ville et république de Berne. L’Abbaie se tient derrière le rideau440
Il fut fort coûteux; la commune du Chenit paya pour les trois-quarts des frais 25,000 florins445
Règlement de la Chambre des bois pour l'aménagement de la forêt du Risoux (50 mars 1762)449
On établit des scies à eau447
Requête à LL. EE. pour l'établissement d’un chemin à char du Brassus à Gimel448
LL. EE. l’accordent en outre depuis Gimel au chemin de l’Etraz, avec un don de 8000 francs449
Contributions levées pour cela dans les bailliages de Romainmotier, Aubonne et Morges449
La Chambre des péages établit un bureau au Brassus451
Convention, entre la Chambre des bois et la commune du Chenit, fixant un cantonnement de cent poses dans la forêt du Risoux, du 17 mars 1767453
Des arbitres sont chargés de faire entre les trois communes le partage des bois indivis entre elles454
Contestations et objections de l’Abbaie à ce sujet456
L’acte de ce partage eut lieu le 2 août 1768 et fut ratifié par le baillif de Romainmotier455
Grêle extraordinaire au Chenit, le 17 août 1768457
Difficultés des trois communes avec celle de Bière au sujet de dégâts de celle-ci dans les bois. Vision de la cour baillivale; une transaction en résulte458
La commune du Chenit vend son cantonnement de bois à extirper au Risoux. Celle du Lieu retire le quart de la somme459
LL. EE. établissent de nouveau une Justice pour la Vallée , au Lieu460
Disette générale en 1771461
Nouvelles difficultés entre les communautés du Chenit et de Bière pour dégâts dans les bois du Martzairu; une convention les termine462
Jean-François Réal remplace Charles-Louis Agassiz comme pasteur au Chenit463
Arrangement entre les communes du Chenit et du Vaud au sujet du droit de bochéage de la première sur la partie septentrionale de la montagne du Pré-aux-veaux464
Contestations de la commune du Chenit avec celle de Bursins au sujet de son droit de bochéage sur la montagne du Chalet-neuf. Elles se partagent ce terrain; la commune du Chenit obtient un cantonnement de 64 poses465
Recours des propriétaires des forges du Brassus et arrêt de LL. EE. au sujet de droits que le forestier du bailliage d'Aubonne leur réclamait pour le charbon qu’ils y avaient fait467
M. Réal perfectionne le chant des psaumes; une société de chantres s’établit au Chenit468
La commune du Chenit achète une particule de montagne derrière la Grande-Roche (29 Septembre 1777)469
Nouvelle entreprise des communes de l’Abbaie et du Lieu pour abaisser le lac470
Protestation de la commune du Chenit contre celle de l’Abbaie pour la réparation du dommage qui ee résulta471
LL. EE. interdisent l’entrée dans les bois aux Bourguignons, ensuite de plaintes des communautés de la Vallée472
Une autre place d’armes pour les revues générales de la Vallée est désignée et préparée au Chenit, à la tête du lac475
M. le colonel De Froideville abandonne à perpétuité une lisière de marais de 360 toises pour la rendre plus carrée, le 14 août 1781477
LL. EE. font bâtir une maison pour le commis des péages au Brassus. On répara le chemin de la montagne477
M. Réal devient ministre de l’église française de Berne477
François-Louis Trillard lui succède au Chenit478
Procès de la commune du Chenit avec celle de Bursins pour son droit d'usage sur les bois de la Bursine. Accommodement entre elles478
Observation482
Dénombrement des habitants de la commune du Chenit fait au mois d’août 1785484

 

 

 

 

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